Forum Paysan. Rapport sur la réunion du. tenue en marge de la vingt-neuvième session du Conseil des Gouverneurs du FIDA, février 2006



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Transcription:

Rapport sur la réunion du Forum Paysan tenue en marge de la vingt-neuvième session du Conseil des Gouverneurs du FIDA, février 2006 Oeuvrer pour que les ruraux pauvres se libèrent de la pauvreté

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Table des matières Sigles 4 Avant-propos 7 Les actes du Forum paysan 9 Influence du contexte mondial sur les conditions de vie et les moyens d existence en milieu rural perspectives générales 17 Perspectives régionales 21 Afrique 21 Asie 23 Amérique latine 24 Discussions thématiques 27 Accès des pauvres à la terre et sécurité foncière 27 Renforcement des capacités des institutions rurales locales et développement institutionnel en faveur des pauvres 29 Intégration des marchés régionaux et agriculture familiale 31 Synthèse des délibérations 35 Appendice 1: Étapes de l évolution du Forum Paysan 38 Appendice 2: Déclaration finale de l'atelier «Vers un Forum Paysan lors du Conseil des Gouverneurs du FIDA» (Rome, février 2005) 39 Appendice 3: Ordre du jour du Forum 40 Appendice 4: Participants au Forum Paysan 42 3

Sigles AFA AFDI AGRICORD ANASE ANGOC AOPP AsiaDHRRA ATC BKF CNCR CNFR CNOC CNOP CNOP-CAM COCOCH CNPFP/N CONTAG CONGCOOP COPROFAM COSOP CPF CSA EAFF EHNE/UGAV FAA FAO FFFC FIDA FIPA FNMCB FODESA FONG FSPI FTM/CPM Asian Farmers Association for Sustainable Rural Development Agriculteurs Français Développement International Réseau des agri-agences Association des nations de l Asie du Sud-Est Asian NGO Coalition for Agrarian Reform and Rural Development Association des organisations professionnelles paysannes du Mali Asian Partnership for the Development of Human Resources in Rural Asia Asociación Trabajadores del Campo, Nicaragua Bangladesh Krishok Federation Conseil national de concertation et de coopération des ruraux, Sénégal Comisión Nacional de Fomento Rural, Uruguay Coordinadora Nacional de Organizaciones Campesinas, Guatemala Coordination Nationale des Organisations Paysannes du Mali Concertation Nationale des Organisations Paysannes, Cameroun Consejo Coordinador de Organizaciones Campesinas de Honduras Coordination nationale de la plateforme paysanne du Niger Confederação Nacional Dos Trabalhadores Na Agricultura, Brazil Coordinación de ONG y Cooperativas, Guatemala Coordinadora de productores familiares del MERCOSUR Country Strategic Opportunities Paper (FIDA) Confédération paysanne du Faso, Burkina Faso Collectif Stratégies Alimentaires, Belgique Eastern Africa Farmers Federation Union de Ganaderos y Agricultores Vascos, Espagne Federación Agraria Argentina Food and Agriculture Organization/ Organisation des Nations Unies pour l alimentation et l agriculture Federation of Free Farmers Cooperatives, Inc., Philippines Fonds International pour le Développement Agricole Fédération internationale des Producteurs Agricoles Federación Nacional de Mujeres Campesinas de Bolivia Bartolina Sisa Programme de Fonds de Développement en zone Sahélienne Farmers Organisations Network in Ghana Federasi Serikat Petani Indonesia Firaisankinan ny Tantsaha eto Madagasikara/ Coalition Paysanne de Madagascar 4

FUPRO ICRAF IFOAM IMBARAGA IPC JA KENFAP LVC/IOS MERCOSUR MONLAR MNC-CR MST MVIWATA NAFSO NEPAD OMC OMD OP PAKISAMA PARC PROPAC REAF ROPPA RUTA SACAU SEWA UNAC UNAG UNORCA UPA-DI USMEFAN UTAP VNFU WFF WFFP Fédération des Unions de Producteurs du Bénin International Centre for Research in Agroforestry (World Agroforestry Centre) International Federation of Organic Agriculture Movements Organisation nationale des agriculteurs, Rwanda International Planning Committee for Food Sovereignty Jeunes Agriculteurs, France Kenya National Federation of Agricultural Producers La Via Campesina / International Operative Secretariat Mercado Común del Sur Movement for National Land and Agricultural Reform, Sri Lanka Mesa Nacional Campesina de Costa Rica Movimento dos Trabalhadores Rurais Sem Terra Mtandao wa Vikundi vya Wakulima (Plateforme nationale des organisations d agriculteurs de Tanzanie) National Fisheries Solidarity Movement, Sri Lanka Nouveau partenariat pour le développement de l Afrique Organisation Mondiale du Commerce Objectifs du Millénaire pour le Développement Organisation Paysanne National Federation of Peasant Organizations, The Philippines Palestinian Agriculture Relief Committee Plateforme sous-régionale des Organisations Paysannes d Afrique Centrale Reunión Especializada sobre Agricultura Familiar/MERCOSUR Réseau des Organisations Paysannes et de Producteurs de l Afrique de l Ouest Unidad Regional de Asistencia Técnica, Costa Rica Southern African Confederation of Agricultural Unions Self Employed Women s Association, India Uniao Nacional de Camponeses, Mozambique Union Nacional des Agricultores e Ganaderos, Nicaragua Union Nacional De Organizaciones Regionales Campesinas Autonomas, Mexique Union des Producteurs Agricoles-Développement International, Canada Union of Small & Medium Scale Farmers of Nigeria Union Tunisienne de l Agriculture et de la Pêche Viet Nam Farmers Union World Forum of Fish Harvesters and Fishworkers World Forum of Fishermen Peoples 5

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Avant-propos Les petits exploitants et autres producteurs ruraux dénués de ressources forment la majorité écrasante des pauvres dans le monde. Il faut impérativement leur donner des moyens économiques, sociaux et politiques si l on veut réduire la pauvreté, améliorer la sécurité alimentaire et atteindre les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). Cela dépend largement de la capacité qu ont les ruraux pauvres de créer leurs propres organisations pour représenter et défendre leurs intérêts face à d autres acteurs et institutions qui interviennent dans: les marchés agricoles; la planification du développement rural et l affectation des ressources; la fourniture de services, y compris la recherche et le conseil agricole; et les processus politiques locaux, nationaux et internationaux. Ces dix dernières années, de nouvelles organisations paysannes indépendantes ont vu le jour dans de nombreux pays en développement. C est dans ce contexte qu est née, en 2004, l idée d un Forum Paysan. Le Forum est un processus ascendant de consultation et de dialogue entre les petits exploitants, les organisations de producteurs ruraux, le FIDA et les gouvernements, axé sur le développement rural et la réduction de la pauvreté. Dans le droit fil des objectifs stratégiques du FIDA, il met en œuvre, dans les pays et les régions, des activités concrètes de partenariat et de collaboration. L engagement sur le terrain auprès d organisations rurales et le dialogue international se renforcent mutuellement. À l issue de consultations nationales et régionales, le Forum se réunit tous les deux ans en marge du Conseil des Gouverneurs du FIDA 1. Le FIDA voit dans ces organisations des acteurs essentiels qui défendent les intérêts des ruraux pauvres dans un marché de plus en plus concurrentiel et mondialisé. Il les considère comme des interlocuteurs et des partenaires à part entière dans les programmes de développement et le dialogue politique, qu elles soient des organisations représentant les producteurs ruraux ou des institutions proposant des services à leurs membres. Plusieurs grandes organisations paysannes régionales ont demandé au FIDA d intensifier sa collaboration et son appui. En s engageant davantage, le FIDA accroîtra sa connaissance des conditions de vie et des moyens d existence des ruraux pauvres et ainsi alignera plus efficacement ses stratégies et ses interventions sur leurs besoins réels. Gunilla Olsson Directrice de la Division des politiques du FIDA 1 L appendice 1 décrit les grandes étapes de l évolution du Forum. L appendice 2 présente les conclusions de l atelier initial, intitulé «Vers un Forum Paysan lors du Conseil des Gouverneurs du FIDA», tenu à Rome en février 2005. 7

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Les actes du Forum Paysan Les 13 et 14 février 2006, le Forum Paysan a tenu, à l issue de consultations nationales et régionales, sa première réunion bisannuelle en marge du Conseil des Gouverneurs du FIDA. Il a rassemblé plus de 50 dirigeants représentant des millions de petits exploitants et producteurs ruraux d Asie, d Afrique, d Amérique latine, du Plénière du Forum Paysan, Proche-Orient et d Europe afin de les session d ouverture, 13 février 2006 mettre en contact avec le personnel du FIDA et certains partenaires. Des participants ont également été invités au Conseil des Gouverneurs, où ils ont pu participer aux trois tables rondes thématiques auxquelles étaient également conviés, en qualité d experts intervenants, plusieurs représentants de paysans. Le Forum s est ouvert par un discours de M. Lennart Båge, Président du FIDA. C est il y a un an, dans cette même salle, avec nombre d entre vous présents aujourd hui, que nous avons jeté ensemble les bases d une initiative qui, nous l espérons, sera marquante et utile. Aujourd hui, un an plus tard, examinons comment nous pouvons mettre à profit ce que nous avons fait au cours de l année écoulée. Nous savons que nous visons un objectif commun une vie meilleure pour des paysans souvent englués dans la pauvreté. Nous nous sommes engagés, dans l optique du présent Forum, à considérer notre diversité, nos différences et nos rôles distincts comme des atouts, dont la réunion peut créer des synergies. Nous avons décidé de favoriser dans toute la mesure du possible un développement plus équitable, c est-à-dire un développement de l agriculture et des moyens d existence qui offre aux personnes les plus touchées par la faim et la pauvreté, à savoir les ruraux des pays en développement, de meilleures perspectives d avenir. La présence ici, aujourd hui, de tant d organisations du monde entier et de tant de pays est pour nous, en effet, le plus grand des encouragements; nous avons beaucoup fait, mais il reste beaucoup à faire. Je sais que les derniers mois ont été, pour nombre d entre vous, une période très chargée. Vous avez porté la voix des petits paysans et producteurs ruraux à Hong Kong, à la Conférence ministérielle de l Organisation mondiale du commerce (OMC). Vous avez fait de même aux récents Forums sociaux de Bamako et de Caracas. Vous recommencerez en mars à Karachi et à Porto Alegre, à la Conférence internationale sur la réforme agraire et le développement rural qu organise notre institution sœur de Rome, l Organisation des Nations Unies pour l alimentation et l agriculture (FAO). Le FIDA y sera également. 9

Cyril Enweze, Vice-Président, Lennart Båge, Président, Gunilla Olsson, Directrice de la Division des politiques, Jim Carruthers, Président adjoint, Département gestion des programmes Il importe d avoir une structure dans laquelle les organisations paysannes puissent rencontrer le FIDA pour évaluer les types de programmes mis en œuvre, analyser les succès et définir les besoins en matière de programmation. Cette structure doit également aider à atteindre l objectif plus vaste d amélioration des revenus paysans et de la sécurité alimentaire dans le monde. Jack Wilkinson, Président de la Fédération internationale des producteurs agricoles (FIPA). Ces quatre derniers mois, dans le cadre du Forum Paysan, nous avons organisé six consultations nationales et une consultation régionale en Asie. Nos collaborateurs ont participé à plusieurs réunions organisées par la Fédération internationale des producteurs agricoles (FIPA), le Réseau des organisations paysannes et de producteurs de l Afrique de l Ouest (ROPPA) et la Coordination des producteurs familiaux (COPROFAM). Au FIDA, d importantes activités et réflexions ont été engagées pour déterminer la meilleure façon de renforcer et d institutionnaliser nos partenariats avec la société civile et, en particulier, les organisations de paysans et de producteurs ruraux. Nous voulons le faire à la fois dans le cadre de nos opérations de terrain et dans celui de nos activités de concertation et de promotion. Nous avons déjà pris plusieurs mesures en ce sens. Je suis persuadé que nous allons conclure un nombre bien plus important de partenariats opérationnels, non seulement avec les organisations paysannes, mais aussi avec nombre d autres partenaires publics et privés du développement rural. Nous partageons une même cause et un engagement résolu auprès de la société civile. Nous voulons que notre dialogue, ici à Rome, s enracine dans la réalité du terrain. Nous voulons tirer des enseignements de votre action, de votre expérience et de votre réalité. Nous voulons que ce dialogue guide concrètement ce que vous et nous faisons dans les zones rurales, où nous investissons plus de 500 millions de USD par an pour améliorer les conditions de vie des ruraux les plus pauvres. Nous savons que les investissements ne suffisent pas, même s ils sont dédiés aux petites exploitations et à l amélioration des moyens d existence ruraux. Dans un monde en transformation permanente, qui se mondialise rapidement et où la concurrence est la norme, il importe plus que jamais de mettre en œuvre des politiques publiques favorables aux pauvres. Selon moi, le Forum Paysan favorise précisément ce dialogue indispensable sur la façon de procéder dans un monde en mutation rapide, processus ascendant de dialogue et de consultation qui guidera l action et l innovation sur le terrain. Ces deux activités favoriseront l apprentissage réciproque et accroîtront l efficacité de la lutte contre la pauvreté rurale. C est là mon espoir et mon attente. Après une brève présentation des participants, chaque membre du comité de pilotage du Forum a exposé les raisons de son engagement et ses attentes. M. Jack Wilkinson, Président de la Fédération internationale des producteurs agricoles (FIPA), a souligné la nécessité d avoir une structure dans laquelle les organisations paysannes puissent rencontrer le FIDA pour évaluer les types de programmes qu il appuie et définir, pays par pays, les besoins en matière de programmation. Il a ajouté que cette structure s inscrivait dans le cadre plus général de la réalisation des OMD, moyen d améliorer les revenus paysans dans le monde. Les revenus paysans, a-t-il poursuivi, sont sinistrés dans presque tous les pays, y compris les pays développés. Nous devons sérieusement étudier ce qui facilite l accès des paysans aux marchés, les obstacles 10

auxquels ils se heurtent dans presque tous les pays et les raisons pour lesquelles ils perdent du terrain. À cette fin, le FIDA et [ ] les organisations internationales peuvent grandement contribuer à [ ] ce que les gouvernements réfléchissent à la façon dont ils traitent avec leurs organisations paysannes, au fait de savoir [ ] s ils leur donnent véritablement les moyens de modifier leur fonctionnement et d améliorer les revenus de leurs producteurs et de leur famille. C est donc le début, le tout début d une tentative visant à changer le monde, à le rééquilibrer un tant soit peu. Je pense qu en tant que paysans, nous sommes tous capitalistes, car nous avons, je l espère, quelque chose à vendre. Nous sommes conscients, par ailleurs, que nous avons une responsabilité sociale, que nous faisons plus que seulement cultiver des aliments, pêcher du poisson et protéger l environnement. Nous avons également, comme producteurs, le devoir d aider à nourrir la planète. Souvent, cependant, d aucuns en profitent et le marché ne récompense plus notre action. Il récompense les fabricants d ipods, la société du divertissement; nous vivons dans un monde fou où le dernier poste de votre budget est celui de l alimentation. Cela vaut dans presque tous les pays industrialisés. Même là, des pressions s exercent pour que l on vende moins cher même à un prix inférieur au coût de production. Cela doit changer et des réunions telles que celle-ci n y suffiront pas. Cela ne changera qu en donnant aux organisations paysannes les moyens de s organiser elles-mêmes sur le marché, de faire adopter par les gouvernements des lois qui leur donnent le droit de négocier les prix. Il faudra, pour cela, que des donateurs aident à mettre en place ces systèmes, aident les organisations paysannes à conclure des arrangements sud-sud et nord-sud qui leur permettent de mettre sur pied ces systèmes de commercialisation. Wal-Mart ne va pas résoudre le problème des revenus paysans dans le monde en ouvrant des magasins dans tous les pays. Il ne le fera que lorsque nous créerons des organisations paysannes capables de négocier un bon prix, de bonnes conditions, une bonne sécurité sanitaire des aliments et d excellents systèmes de traçabilité. Les petits exploitants perdent du terrain et les affaires vont aux exploitations commerciales car il n est pas rentable, actuellement, pour les petits producteurs, de mettre en place des systèmes de traçabilité. Tout cela, nous pouvons le faire en travaillant ensemble, collectivement. J attends donc beaucoup de la nouvelle relation qui s instaure avec le FIDA et me réjouis de voir ici tant de nos membres ainsi que des membres de Via Campesina. J espère qu il va se créer d excellentes relations de travail. Réduire la faim et la pauvreté est pour nous une grande préoccupation, et je sais que le FIDA la partage. Nous sommes ici pour vous aider à nous aider à le faire. N diogou Fall, Président du Réseau des organisations paysannes et de producteurs de l Afrique de l Ouest (ROPPA). N diogou Fall, ROPPA et Gilberto Atz Sunuc, CNOP Guatemala Ceux qui définissent les politiques internationales ne nous ont jamais consulté sur... le type de développement qui nous conviendrait le mieux dans nos zones rurales. Ils ne nous ont jamais posé la question. Nous pensons qu en tant qu organisation nous devons représenter les intérêts locaux et nationaux... Nous sommes l expression des exclus et des laissés pour compte. Atz Sunuc, Porte-parole de La Via Campesina M. N Diougou Fall, Président du ROPPA, a expliqué pourquoi la pauvreté s est aggravée en Afrique de l Ouest. L idée de réduire la faim et la pauvreté en Afrique de l Ouest, a-t-il déclaré, est une grande préoccupation et je sais que le FIDA la partage. Nous sommes ici pour vous aider à nous aider à le faire [ ]. Les paysans se heurtent à de nombreux problèmes et nous les voyons de plus en plus incapables de mener les 11

activités qui leur permettraient de vivre dignement. Lorsqu ils produisent, ils ne peuvent vendre. Et lorsqu ils vendent, ils vendent à des prix dérisoires, à perte. Dans ces conditions, il est impossible que même de petites entreprises agricoles puissent croître et se développer. Il faut au moins faire un bénéfice, ce qui n est plus possible. Le deuxième point est que nous réalisons insuffisamment de valeur ajoutée sur nos activités. L Afrique est considérée comme un continent qui ne fournit que des matières premières, des produits de base. Il faut changer cette situation si nous voulons pouvoir mieux combattre la faim et la pauvreté. Nos organisations restent faibles, nous n avons qu un accès très limité à l information et à l innovation, et il est très difficile, pour ces organisations, de défendre nos intérêts. C est là que le FIDA peut nous aider et nous appuyer. Il nous a aidés à obtenir nos premiers résultats en termes d organisation. Nous avons vu de nouvelles organisations voir le jour dans nos pays, cela aussi grâce au FIDA. Des réseaux commencent également à se former. Notre devoir est de continuer à appuyer ces organisations et, au plan national, à faire en sorte que les paysans participent plus efficacement aux programmes nationaux. Il reste beaucoup à faire, on peut encore progresser car de nombreux problèmes persistent, mais je pense qu en accroissant les moyens des organisations, en facilitant leur accès à l information et en leur permettant de défendre leurs intérêts, on ira de l avant, on améliorera leur situation et l on facilitera le combat contre la faim et la pauvreté. M. Atz Sunuc, porte-parole de La Via Campesina, a décrit le modèle actuellement imposé aux petits exploitants et aux habitants des régions marginalisées ainsi que la façon dont ce modèle détruit les communautés, leurs systèmes de subsistance et l environnement. Nous sommes, a-t-il dit, témoins de la pauvreté qui sévit dans les zones rurales, dans les régions marginalisées. Nous sommes témoins de la crise très grave qui frappe l environnement. C est un modèle qu on nous a imposé. C est un modèle qui détruit purement et simplement des communautés indigènes et paysannes. Ceux qui élaborent les politiques internationales ne nous ont jamais consultés sur le type de développement qui convient le mieux à nos zones rurales. Ils ne nous ont jamais demandés. Nous estimons qu en tant qu organisation, nous devons représenter les intérêts locaux et nationaux [...]. Nous sommes la voix des exclus, des abandonnés. La Via Campesina est [ ] un mouvement qui lutte aux niveaux local et régional pour mettre au point des alternatives et des propositions que nous défendons aux niveaux local et national. Nous tentons également de faciliter l échange des savoirs que nous tenons de nos aïeux et souhaiterions transmettre à nos descendants [ ]. La Via Campesina doit continuer de favoriser ce type d organisation de façon que nous puissions rejeter les modèles qu on nous impose, que nous puissions dire que les modèles qu on nous impose ne sont pas ceux que nous voulons. Aujourd hui, nos problèmes tiennent principalement à la privatisation de nos ressources naturelles eau, forêts, lacs, rivières, etc. Les quelques personnes qui en tirent profit détruisent, dans le même temps, la nature et l environnement. Elles semblent oublier que ce sont les humains qui appartiennent à la terre et à l environnement, et non l inverse. En tant que mouvement, La Via Campesina opère également au niveau mondial. Nous avons élaboré de nombreuses propositions que nous avons soumises non 12

seulement aux gouvernements, mais aussi aux organisations internationales. L une de ces propositions a trait à la souveraineté alimentaire, à la sécurité sanitaire des aliments et à l accès à la terre, mais pas par l intermédiaire du marché, qui considère la terre comme un bien de consommation qui peut être vendu à un prix fixé par un individu. La terre n est pas un bien que l on peut échanger dans le cadre du commerce. Elle fait partie de la nature et doit, à ce titre, être respectée, ce qui vaut également pour l environnement. De plus en plus, nous voyons l environnement être exploité par un petit nombre. Nous, peuples indigènes et paysans, avons pris soin de ces ressources. Nous en avons été les intendants. Cela n empêche pas, cependant, certaines sociétés transnationales ou multinationales d aller jusqu à penser que c est nous qui sommes responsables de la destruction de l environnement. Nous défendons également notre souveraineté alimentaire. Vous voyez que, malheureusement, nous avons perdu nos semences naturelles et locales suite à l introduction d aliments transgéniques [ ]. Nous voulons faire respecter de nouveau ces semences naturelles. Nous voulons également faire respecter nos populations indigènes et empêcher l extermination de nos peuples par des politiques imposées principalement par la Banque mondiale et l OMC. Nous estimons également qu il ne faut pas appuyer nos mesures uniquement au niveau gouvernemental, car ces mesures sont souvent intégrées aux campagnes qui aident les candidats à remporter les élections. Il faut aussi se concentrer sur le développement local, ce qui nous incite à penser qu il faudrait que ce type de ressources aille directement aux organisations qui prennent à cœur les intérêts locaux [ ]. Nous espérons que le Forum Nous espérons vivement que le présent forum donnera lieu sera un lieu permanent de à d importantes résolutions dont les paysans et peuples indigènes consultation et de collaboration tireront profit. Ici, nous parlons bien de paysans. Nous parlons avec le FIDA Nous recherchons pour les paysans, mais très peu d entre nous, en fait, ont sali leurs de nouveaux modèles pour mains, se sont confrontés à la réalité. C est pourquoi nous estimons comprendre la complexité de qu il faut appuyer les politiques économiques et autres qui émanent cette nouvelle réalité qu est la du niveau local. mondialisation. Pedro Avendano Garcès, Directeur exécutif du WFF M. Pedro Avendaño Garcès, Directeur exécutif du Forum mondial des pêcheurs et travailleurs de la pêche (WFF), a souligné la nécessité d associer les pêcheurs aux travaux du Forum Paysan. Ces 50 dernières années, a-t-il expliqué, les politiques publiques et les modèles de développement adoptés dans le cadre de la mondialisation ont frappé les petites communautés côtières. La privatisation des ressources, la perte d accès et la perte de droits dans les zones côtières ont posé d énormes problèmes. Pourtant, la pêche artisanale nourrit, dans le monde, plus d un milliard de personnes. Le poisson est l aliment que l on retrouve le plus sur les tables des populations rurales. Les pêcheurs résident à 70% dans des zones rurales et subissent tout le poids de la marginalisation. Ces communautés, exclues de la mondialisation et de ses promesses, en subissent tous les effets dévastateurs [...]. Il faut tenir compte de la nature et de la culture spécifiques des hommes et femmes qui vivent de la pêche, le long des côtes. Il est possible, pour le FIDA et les pêcheurs, Pedro Avendano Garcès, WFF et Alberto Ercilio E. Broch, COPROFAM 13

d ouvrir de nouvelles perspectives de travail, d appuyer les projets mis en œuvre et d aller au-delà de l appui que le Fonds a accordé, par exemple, à l Asie suite au tsunami. Ce dont je parle ici, c est d une politique qui se traduira par une méthode de travail et qui facilitera la tâche des organisations des zones côtières en tenant compte de leurs desiderata. La pêche artisanale a conduit à accorder une nouvelle importance aux zones rurales et côtières et c est ce sur quoi nous fondons nos espoirs et nos attentes. La pêche est une activité qui peut avoir un impact très important, aussi bien au niveau local que mondial. Nous espérons, par conséquent, que le FIDA comprendra la nécessité de travailler ouvertement avec les organisations de producteurs ruraux, tant agriculteurs que pêcheurs, qui forment un tout important pour la sécurité et la souveraineté alimentaires sur cette planète. M. Alberto Broch, Président de la COPROFAM, a évoqué l importance du Forum et la nouveauté de cette initiative, qui se déploie dans le cadre d une organisation internationale qui est également multilatérale. La concentration des terres, la concentration des revenus, la diminution constante des prix agricoles pour les paysans et l inadéquation des politiques publiques sont autant de problèmes qui confèrent une grande importance à ceux qui représentent les petits exploitants, les peuples indigènes et les pêcheurs, a-t-il dit. Il importe, pour tous ces gens, de savoir que leurs propositions sont présentées et exprimées, notamment parce qu ils vivent selon un modèle pervers et faux. Il importe que ceux qui travaillent dans de petites exploitations familiales puissent faire des propositions, s écouter les uns les autres, créer des partenariats solides et durables afin que nous puissions faire face à la situation. Nous espérons, par conséquent, qu un Forum Paysan tel que celui-ci ne décevra pas nos attentes, que les politiques qui sont débattues ici, comme l an dernier, seront suivies d effet dans le monde et que, si possible, nous pourrons changer la façon dont les projets sont conçus et dont les financements sont obtenus, afin que cela ne passe pas nécessairement par les gouvernements qui, la plupart du temps, sont loin d être efficaces. Au lieu de cela, nous voulons que ces projets soient conçus directement par les organisations paysannes pour que les politiques puissent atteindre les endroits où vivent les paysans et les pêcheurs, afin que leur sagesse, leur culture et leurs droits soient respectés. Ce dont nous avons besoin maintenant, c est d un modèle d agriculture qui corresponde aux besoins des paysans. Faute de quoi, dans quelques années, nous aurons une agriculture sans paysans. C est un problème qu il nous faut examiner et nous devons élaborer des programmes dans le cadre de discussions analogues à celles que nous allons avoir à Rome. Nous espérons qu un forum tel que celui-ci nous aidera à modifier la vision qui prévaut. Puissent les revendications et les propositions de nos représentants être examinées, entendues et appliquées dans le monde entier. Après les interventions des membres du comité de pilotage, le FIDA a retracé l évolution de son propre engagement auprès des organisations paysannes. Des représentants de cinq organisations paysannes nationales ont ensuite fait part de leur expérience (voir les encadrés de la section Perspectives régionales ). 14

L après-midi, les travaux se sont subdivisés en trois groupes régionaux (Afrique, Asie et Amérique latine), où l on a débattu de la façon d améliorer et d institutionnaliser les partenariats FIDA/organisations paysannes. Le deuxième jour du Forum, des groupes thématiques ont été constitués pour examiner les points suivants : accès des pauvres à la terre et sécurité foncière ; renforcement des capacités des institutions rurales locales ; et intégration des marchés régionaux et agriculture familiale. Le Forum a rédigé une déclaration de synthèse, que deux dirigeants paysans ont lue devant le Conseil des Gouverneurs. Les sections du rapport ci-après présentent les principaux points de discussion correspondant à l ordre du jour du Forum: influence du contexte mondial sur les conditions de vie et les moyens d existence en milieu rural perspectives générales (premier jour, matinée) perspectives régionales (premier jour, après-midi) discussions thématiques (deuxième jour, matinée) 2 synthèse des délibérations (deuxième jour, après-midi) Il importe de noter que les sections qui suivent ne constituent pas nécessairement des exposés de faits, des déclarations de consensus entre les participants au Forum ou des positions officielles du FIDA ou de quelque organisation présente. Elles ont plutôt pour vocation de représenter la diversité des opinions, préoccupations et points de vue qui se sont exprimés. Malgré la diversité des idées qu ils ont exprimées, les participants au Forum sont parvenus, dans plusieurs domaines, à des conclusions et recommandations communes que résume la section finale du présent rapport. Ils ont, en particulier, recommandé au FIDA de renforcer son aptitude à résoudre les problèmes socio-économiques auxquels sont confrontés les ruraux pauvres et leurs organisations. Les principales recommandations ont porté sur les points suivants: participation d organisations paysannes aux activités que pilote ou appuie le FIDA qu il s agisse de l élaboration de ses stratégies au niveau des pays, des régions et du Fonds lui-même ou de la conception, de la mise en œuvre et de l évaluation de programmes et projets institutionnalisation du Forum Paysan renforcement de l action que le mène FIDA pour faciliter l accès aux ressources naturelles par l intensification du dialogue entre les gouvernements et les représentants de petits exploitants et d éleveurs, de femmes rurales, de peuples indigènes, de communautés côtières et d autres groupes marginalisés appui au renforcement des capacités des organisations paysannes par l offre soutenue de financements directs approfondissement et élargissement de l appui apporté par le FIDA à la participation active des organisations paysannes aux processus d intégration régionale et de libéralisation des marchés par l évaluation de leurs impacts sur l agriculture familiale et les conditions de vie et d existence des ruraux pauvres 2 Deux des trois thèmes ont été choisis par le Forum pour correspondre à deux des thèmes de discussion des tables rondes du Conseil des Gouverneurs, auxquelles les représentants paysans ont activement participé. 15

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Influence du contexte mondial sur les conditions de vie et les moyens d existence en milieu rural perspectives générales La première séance de la matinée a été consacrée à des exposés au cours desquels les membres du comité de pilotage ont décrit, de leur point de vue, la situation actuelle de la pauvreté rurale, de l agriculture et de l insécurité alimentaire, ainsi que ce qu ils attendaient du Forum Paysan et du FIDA. Les principaux points soulevés sont résumés ci-après. Le modèle actuel de développement agricole Le modèle de développement prédominant consiste en une alliance tripartite entre les pouvoirs publics, la société civile et le secteur privé. Pour évaluer son efficacité, il faut mettre au point une méthode. Ces alliances ont-elles réellement contribué à réduire la pauvreté rurale? Améliorent-elles la situation politique, sociale, économique et culturelle des paysans? En suivant ce modèle, les organisations de paysans et les paysans eux-mêmes sont-ils socialement plus influents? L évaluation devrait également porter sur les politiques publiques, industrielles et agricoles afin de déterminer si ces politiques sont favorables aux pauvres et dans quelle mesure la société civile et le secteur privé influent sur cette orientation. Il s est dégagé, cependant, un consensus général selon lequel le modèle actuel de développement agricole a été imposé aux petits exploitants, qui n ont pas été consultés sur le type de développement qui leur paraît le mieux adapté à leurs zones rurales. De ce fait, les petits exploitants perdent du terrain. Ils n ont aucun pouvoir sur le marché et leurs revenus diminuent de façon critique. Il faut mettre au point un modèle agricole qui tienne compte des besoins réels des paysans et respecte leur sagesse, leur culture et leurs droits. À cet égard, le Forum constitue un moment très important pour ceux qui représentent les petits exploitants, les sans-terre, les ouvriers agricoles salariés, les pêcheurs, les artisans et, parmi eux, les peuples indigènes et les femmes. Il offre aux différents intervenants la possibilité de s écouter et de créer des partenariats solides et durables, et aux ruraux pauvres celle de voir leurs propositions exposées et argumentées. Le FIDA et d autres organisations internationales peuvent grandement contribuer à aider les paysans et leurs organisations à mettre en place des programmes publics parrainés par des donateurs et presser les gouvernements d examiner de près la façon dont ils traitent avec les organisations paysannes et dont ils affectent les ressources pour véritablement changer la façon dont ces organisations fonctionnent et accroître le revenu des producteurs et de leur famille. Ils peuvent réorienter les projets qui doivent être mis en œuvre directement par des organisations rurales de façon à ce que ces projets desservent les endroits où les agriculteurs, pêcheurs et autres paysans vivent et travaillent. En outre, il faut revoir les circuits financiers des dons et des prêts afin de 17

pouvoir financer directement les organisations paysannes plutôt que de passer systématiquement par les gouvernements. Enfin, les organisations paysannes doivent disposer de moyens suffisants pour contribuer à la conception, la mise en œuvre et l évaluation des projets et programmes portés par les gouvernements ou d autres partenaires techniques et financiers. Le système de marché actuel Le marché ne récompense pas les producteurs qui nourrissent leur pays. Les pressions qui s exercent pour que l on vende moins cher même à un prix inférieur au coût de production doivent cesser. Les petits pêcheurs, par exemple, nourrissent plus d un milliard de personnes dans le monde. Le poisson est l un des aliments de base des populations rurales et 70% des pêcheurs vivent dans des zones rurales. Or, au lieu de tirer profit de la mondialisation et de ses promesses, ils se retrouvent complètement marginalisés. Cette situation ne changera que lorsque les organisations rurales pourront s organiser sur le plan commercial et obtenir des gouvernements une législation qui leur donne le droit de négocier les prix. Les organisations paysannes doivent pouvoir négocier de bons prix, de bonnes conditions ainsi que la sécurité sanitaire et la traçabilité des aliments. Le FIDA et d autres organisations internationales doivent, ensemble, faire pression sur les gouvernements pour qu ils adoptent des politiques appropriées et créent des programmes qui aident les paysans à satisfaire aux normes. Ils doivent utiliser toute leur influence pour faire en sorte que les organisations paysannes nationales soient consultées. En outre, de nombreux paysans récupèrent très peu de la valeur ajoutée créée par la transformation de leurs produits. Cette valeur ajoutée crée parfois des emplois ruraux, mais les paysans n en conservent pas nécessairement une part équitable. Trop souvent, les grandes multinationales, qui maîtrisent tous les échelons de la production agro-industrielle, cherchent à vendre leurs produits au prix le plus faible possible. Face à cette concurrence, les petits exploitants sont contraints de vendre à des prix inférieurs à leurs coûts de production, ce qui accentue leur pauvreté. Nous devons faire en sorte que nos petits exploitants tirent profit des marchés. Nous devons les former, les organiser afin qu ils puissent répondre aux exigences spécifiques qui voient le jour. Nous devons faire en sorte que ces exploitants, aussi petits soient-ils, puissent réellement accéder aux marchés et aux financements de manière plus souple. Philip Kiriro, Président de l Eastern Africa Farmers Federation (EAFF) Privatisation des ressources naturelles Dans de nombreux pays, on a privatisé les ressources naturelles forêts, lacs, rivières, etc. pour les transformer en biens de consommation. Cette privatisation profite à un petit nombre tout en privant les paysans de l accès et des droits aux ressources mêmes dont ils dépendent pour leur subsistance. Elle les pénalise et pénalise l environnement, qui pâtit de dégradations, de la déforestation, de la salinisation et d autres conséquences d une mauvaise exploitation. Elle a de nombreux effets négatifs, dont la pauvreté extrême et l insécurité alimentaire qui règnent chez les paysans. Ces conséquences, cependant, ne s arrêtent pas là, car ces derniers émigrent à la recherche de revenus, ce qui met à mal des familles, des cultures et des identités. 18

Accès à la terre et régénération des sols L un des aspects de l agriculture et de la réduction de la pauvreté sur lequel il faut se pencher est celui de la régénération des sols. En plaçant l accent sur la production intensive et sur le rendement, on a ignoré cet aspect essentiel de l environnement et de la subsistance en milieu rural. Le problème qui se pose, dans de nombreux pays en développement, est l incitation à la réforme agraire axée sur la «marchandisation» des terres, qui conduit des paysans à abandonner leur terre. À Sri Lanka, par exemple, on estime que si le projet de mise en place de titres fonciers que promeut la Banque Mondiale est mis en œuvre, la proportion de la population rurale passera de 70 à 50% et celle de la population urbaine de 30 à 50%. Cela représente un exode massif de paysans pour promouvoir les marchés. Le problème est principalement régional ; il faut associer les paysans aux discussions et aux négociations si l on veut éviter que les réformes agraires n entraînent un appauvrissement des sols ou ne contraignent les paysans à abandonner leur terre. Il faut que les organisations paysannes décident et que le FIDA suive." Sarath Fernando, Secrétaire adjoint du Movement for National Land and Agricultural Reform (MONLAR), Sri Lanka Souveraineté alimentaire L introduction d aliments transgéniques s est soldée par une perte de souveraineté alimentaire, les petits producteurs ne disposant plus de leurs semences naturelles ou locales. Ces intrants naturels et locaux jouent un rôle important dans les conditions de vie et d existence, la culture et l identité des paysans et des peuples indigènes. Sarath Fernando, MONLAR, Sri Lanka et Vincente Fabe, PAKISAMA, Philippines Rôle des organisations et réseaux paysans Pour pouvoir agir en exposant et défendant leurs intérêts, il faut que les organisations paysannes renforcent considérablement leurs moyens et aient accès à l information. Elles pourront le faire, notamment, en créant des réseaux capables de participer efficacement, au niveau national, à l élaboration de programmes et de politiques. Le FIDA et d autres organisations internationales ont appuyé et doivent continuer d appuyer la création de tels réseaux. Il n entre pas dans leurs attributions, cependant, d influencer directement les politiques locales et nationales. C est là le rôle des citoyens et des paysans. Ce que ces organisations internationales peuvent et doivent faire, c est donner aux paysans les moyens de se forger un avis sur les politiques et de participer à leur élaboration. Il faut donc les aider à organiser et à adapter les institutions dont elles disposent pour faire valoir leurs droits et avancer leurs vues et propositions. Les organisations internationales, de leur côté, doivent étudier les moyens d engager, avec les organisations paysannes, un dialogue véritable. Pour renforcer les organisations paysannes, il faut également développer leur capacité de communication. Souvent, en effet, les problèmes du secteur agricole concernent aussi l ensemble de la société. Si cette dernière ne s intéresse pas à des questions telles que l agriculture paysanne, la réforme agraire ou l environnement, il peut être difficile de traiter ces questions. Il faut que sur ces points, les organisations paysannes apprennent à communiquer efficacement, même au-delà du secteur agricole. Abdelmajid Laabidi, UTAP (Tunisie) et Ismail Daiq, PARC (Palestine) 19

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Perspectives régionales Les participants au Forum et des représentants de chaque division régionale du FIDA se sont répartis en trois groupes régionaux Afrique, Asie et Amérique latine pour étudier et recenser les possibilités de coopération entre leurs organisations respectives et le FIDA. Les principaux points débattus et les recommandations émises sont présentés ci-après. Afrique Le groupe de travail sur l Afrique a avant tout pris acte de la diversité des organisations, qu il faut respecter et accepter. La priorité absolue des organisations paysannes est de faire prendre en compte les intérêts des petits exploitants dans la prise de décisions et de réorienter les politiques agricoles et commerciales en faveur de l exploitation familiale et des moyens de subsistance en milieu rural. Le FIDA peut y contribuer en les aidant à analyser, susciter et formuler Samba Gueye, CNCR, Sénégal et Olaseinde Arigbede, USMEFAN, Nigeria La collaboration entre le Conseil National de Concertation et de Coopération des Ruraux (CNCR) et le FIDA au Sénégal Dans les années 90, le Gouvernement sénégalais et la Banque Mondiale ont lancé un programme de services agricoles. Ce programme est ouvert aux organisations de producteurs. Le FIDA a assisté à la création et à la mise en œuvre du cadre qui a permis aux communautés d avoir accès aux ressources publiques. C était la première fois que, dans un pays en développement, des fonds publics étaient négociés avec des organisations de producteurs. Les choses n ont pas été faciles. D importants programmes de renforcement des capacités ont également été lancés avec des associations de producteurs intervenant à tous les niveaux afin de faire connaître le programme et de favoriser le dialogue. Dans tous les documents que le Sénégal produit avec ses partenaires de développement, l agriculture paysanne occupe une place essentielle en sa qualité d important levier du développement agricole. Le CNCR a collaboré à l évaluation de l implication des communautés locales dans les programmes du FIDA, a participé aux négociations et a, au bout du compte, influencé les pouvoirs publics. Pour parvenir à ces résultats, il a fallu se transformer en partenaire efficace, être capable de négocier, d analyser et de participer. Sans cela, il est difficile de produire un effet ou d influer sur l élaboration des politiques. Le gouvernement est le premier partenaire, mais les producteurs jouent également un rôle de premier plan, en particulier grâce à leurs institutions, notamment un forum réunissant paysans et gouvernement, où les paysans interviennent de plus en plus. Les partenariats doivent également opérer au plan régional, où ils peuvent influer sur les politiques, ainsi qu au niveau international. (Samba Gueye, Président du CNCR, Sénégal) 21

d autres propositions. Cependant, c est aux organisations qu il revient de définir les conditions dans lesquelles cet appui doit se développer. Le groupe de travail a fait au FIDA les recommandations suivantes : Le FIDA doit respecter la diversité des organisations paysannes et leur droit à l autodétermination et à l auto-organisation. Pour commencer, il pourrait créer une base de données recensant les organisations existantes. Le FIDA doit, en matière de renforcement des capacités, analyser les besoins en partenariat avec les organisations paysannes au cas par cas et non en suivant des procédures standard. Il ne faut pas nécessairement rechercher des résultats rapides, les organisations paysannes devant pouvoir se développer à leur propre rythme. Le renforcement des capacités, enfin, doit avoir des applications concrètes pour contribuer à la professionnalisation des organisations. Il faut impérativement appuyer les réseaux d organisations nationales. Le FIDA peut aider à créer des liens entre les organisations nationales et locales avec lesquelles il travaille. Il faudrait réunir l ensemble des organisations paysannes dans une entité unique sans toutefois imposer de cadre unique. Les femmes et les jeunes devraient y trouver leur place. Il importe aussi d appuyer les réseaux régionaux, qui jouent un rôle croissant dans l élaboration des politiques. Le groupe de travail a recommandé d assortir le soutien apporté par le FIDA d un système d indicateurs permettant de mesurer son impact et de déterminer si les mesures prises améliorent concrètement les conditions de vie et d existence des ruraux pauvres. Ibrahima Coulibaly, CNOP et AOPP, Mali et King Amoah, FONG, Ghana La collaboration entre l Association des Organisations Professionnelles Paysannes (AOPP) et le FIDA au Mali L AOPP, principale organisation paysanne faîtière du Mali, a participé au Fonds de Développement en zone Sahélienne (FODESA), financé par le FIDA et dont le Gouvernement malien a confié la gestion à des associations d organisations paysannes et à des ONG au moyen d un instrument institutionnel utilisé en premier lieu au niveau local. Des organisations paysannes locales et d autres organisations de la société civile se sont constituées et décident des types d investissement à realiser. Certaines ont utilisé les fonds pour l irrigation, d autres pour des systèmes de commercialisation et de stockage en fonction de leurs priorités. Le programme a permis aux organisations de mettre en œuvre des projets et de concrétiser des ambitions irréalisables autrement. Le FODESA, dont la mise en œuvre se poursuit, illustre de façon concrète et innovante comment l on peut aider des organisations paysannes dans le cadre de programmes de développement rural. (Ibrahima Coulibaly, Président de la Coordination nationale des organisations paysannes/association des organisations professionnelles paysannes [CNOP/AOPP], Mali) 22

Asie Le déclin constant de l appui que les pouvoirs publics accordent au secteur agricole tient en grande partie à des politiques inspirées par les institutions multilatérales et les sociétés multinationales, et non favorables aux petits exploitants et à l agriculture familiale. Ces politiques consistent notamment à privatiser les services de base, à réformer les marchés fonciers et à privilégier les exportations et la monoculture. De nombreux pays d Asie sont dirigés par des élites, personnes issues des classes sociales supérieures qui ne considèrent pas l agriculture comme un secteur économique important, ne s intéressent pas particulièrement aux problèmes des paysans et n appuient donc pas suffisamment l agriculture. Ces personnes, de surcroît, voient dans les organisations paysannes une menace politique. Compte tenu de ces contraintes, le groupe de l Asie et du Pacifique a mis en avant plusieurs mesures qu il pourrait prendre en tant que groupe : se constituer en réseau d organisations paysannes afin de renforcer la solidarité et d intensifier l échange d information, se concentrer sur les intérêts, préoccupations et positions des petits exploitants, pêcheurs et producteurs, rédiger, au plan national, une charte des paysans que signeraient les gouvernements et qui préciserait le rôle des pouvoirs publics dans le secteur agricole, le cadre institutionnel requis, les choix politiques à opérer et le rôle des organisations paysannes, étendre le réseau à d autres organisations d autres pays de la région. Le groupe a recommandé au FIDA d accorder aux organisations paysannes une place importante dans ses procédures ainsi que dans l exécution, le suivi et l évaluation des projets qu il appuie. Il lui a également recommandé de mettre au point de nouveaux instruments permettant de transmettre les fonds directement aux organisations paysannes partenaires. Il a en outre souligné la nécessité d appuyer le renforcement des capacités, de travailler avec les organisations locales existantes et de faciliter la création de liens entre ces organisations et les organisations paysannes nationales. Une approche «genre» doit être présente dans toutes ces activités. M. Ramirez, AsiaDHRRA et M. Poznanski, CSA Approuvons-nous les OMD? Ils ne promettent de réduire de moitié la faim et la pauvreté que d ici à 2015. Or, on dit que chaque jour, 800 millions de personnes se couchent en ayant faim. D ici à 2015, la plupart d entre elles seront mortes. Dans ce cas, les OMD conviennent-ils à ces personnes? Cela pose la question essentielle de savoir qui fixe l ordre du jour. Si l on donnait aux pauvres le droit de fixer leur ordre du jour, on pourrait être certains qu ils réduiraient la faim et la pauvreté bien avant cette date. Sarath Fernando, Secrétaire adjoint du MONLAR, Sri Lanka. 23