L'ANCIENNE ABBAYE SAINT-LÉGER DE CHAMPEAUX (Saint-Léger-Triey, Côte-d'or)

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L'ANCIENNE ABBAYE SAINT-LÉGER DE CHAMPEAUX (Saint-Léger-Triey, Côte-d'or) CONTRIBUTION A L'ÉTUDE ARCHÉOLOGIQUE DES ÉLÉMENTS SUBSISTANTS ET DES FOUILLES RÉCENTES (1969-1977) par M. Christian SAPIN Ce sont les huit ans de travaux entrepris par le propriétaire actuel, et sa famille, qui nous offrent la possibilité de reprendre, à la lumière de nouvelles données archéologiques, les principales étapes de l'histoire architecturale de l'abbaye. Ceci essentiellement pour les périodes les plus reculées où nous avons pu déceler certaines caractéristiques de l'architecture religieuse du Haut Moyen Age en Bourgogne. Dans l'état actuel des recherches, cette étude ne se veut pas exhaustive. Nous espérons que d'autres découvertes ou recherches 1 permettront de la reprendre. Le domaine de Saint-Léger se trouve sur la petite commune de Saint-Léger-Triey, à l'extrémité du département de la Côted'Or, à cinq kilomètres de Pontailler-sur-Saône. Jadis entouré d'une grande forêt dont il reste une partie importante, l'ancienne abbaye, se trouve aujourd'hui parfaitement visible de la route, reliée à elle depuis le xvni e siècle par une grande allée d'arbres 2. Origine. Nous n'avons pas de charte ou de date précise de fondation mais seulement une tradition et une mention. La mention est soulignée par les auteurs anciens comme Mabillon ou la Gallia Chrisliana 3 1. Nous devons remercier ici Monsieur et Madame De B. sans qui nous n'aurions pu mener à bien cette étude, ainsi que Monsieur le Chanoine Marilier à qui nous devons de connaître Saint-Léger et Monsieur Camp qui effectua, au début des fouilles, les premières recherches historiques. Qu'ils trouvent ici le témoignage de notre reconnaissance pour l'aide et l'accueil qu'il nous ont accordés. 2. Il est regrettable que l'administration des Monuments Historiques n'ait pas cru devoir classer ou inscrire ce site quand il était temps : son approche gest achée depuis peu par une résidence moderne. 3. Gallia Clirisliana, t. IV, p. 653.

238 CHRISTIAN SAPIN et reprise par les auteurs récents et notamment l'abbé Bresson qui a publié en 1902 une série d'articles constituant la seule monographie connue sur Saint-Léger 4. C'est la chronique de l'abbaye de Bèze 5 qui fait mention en 826 pour la première fois du nom de Saint-Léger à propos d'un échange de terrains entre les deux abbayes ; celui de Saint-Léger est alors désigné comme Saint- Léger de Champeaux 6 : «... Abbatem Theutonem Monasterii sancti Leodegarii, quod Campellense nominatur...» La tradition considère que ce monastère aurait été fondé quelques temps auparavant par Theoderad, une des filles de Charlemagne. En fait Mabillon qui rapporte le nom de Theoderad parle surtout d'une restauration 7. Les auteurs modernes 8 ont cherché à voir là la véritable fondation. Nos recherches et les indications fournies par M. le Professeur Folz ne nous ont pas permis de préciser d'avantage la véracité et la date de ceci. Theoderad est la fille de Charlemagne et de sa troisième femme Fastrade. Elle fut abbesse d'argenteuil qu'elle reçut en don avant 814, le restituant plus tard, en 828, à l'abbaye de Saint-Denis tout en se réservant l'usufruit. Elle vécut plus longtemps, semble-t-il, puisqu'elle intervient en 844 dans un diplôme de Louis le Germanique, possédant alors l'usufruit du monastère de moniales de Schwarzach. Elle est citée comme morte dans le Diplôme n 79 de Louis le Germanique, le 27 mars 857 9. On peut seulement constater dans ces faits que rien ne s'oppose à ce que Theoderad se soit intéressé à, un monastère du diocèse de Langres, qui de plus se trouvait à proximité d'un palais carolingien 10. La vie de Theoderad et la mention de 826 nous permettent donc de croire à une fondation autour de 800-820. Il reste la question du vocable de 4. BRESSON (J.), L'ancien prieuré de Saint-Léger au duché de Bourgogne, dans Bulletin d'histoire religieuse et littéraire du diocèse de Dijon, t. XX, 1902, p. 205-258. 5. Chronique de Saint-Pierre de Bèze, publié par J. Garnier, Dijon, Analecta Divionensia, 1875, p. 261. 6. Ou «appelé champeaux», cf. en 994, D. Bouquet, X, 564. 7. MABILLON, Annales Ordines Sancti Benedicti, t. Il, 1704, p. 347. 8. COURTÉPÉE (Cl.), Description générale du duché de Bourgogne, 3 e échelon, 1968, t. IV, p. 242 ; ROUSSEL (L.), Histoire du Diocèse de Langres, t. III, p. 151 et BRESSON, op. cit. 9. Réf. biblio. dans BRANDENBURG (E.), Die Nachkommen Karls des Grosse, Leipzig, 1935, red. Francfurt, 1964 et WERNEH (K. F.), Die Nachkommen Karls des Grosse dans Karl der Grosse, t. IV, Dusseldorf, 1967. 10. A Pontailler-sur-Saône. Bien que signalé plus tard, ce palais pouvait exister déjà à l'époque de Theoderad. Pontaliacus, palalium régis, en 869, COURTOIS (J.), Chartes de l'abbaye de Saint-Êlienne de Dijon, vm c -xi c siècles, Paris-Dijon, 1908, n 4, p. 11-12! Il est cité en 872 d'après LOT (F.) (Mélanges carolingiens, 1904-1905, p. 131) qui y voit un palais important en relation avec la voie Langres-Dole et donc la Belgique et l'italie.

SAINT-LÉGER DE GHAMPEAUX 239 Saint-Léger qui n'est pas spécifiquement carolingien et pour cause et où l'on pourrait discerner le souvenir d'une première fondation mérovingienne u. De même que pour la plupart des monastères bourguignons le x e siècle semble avoir été une époque de déclin pour l'abbaye puisque l'on éprouva le besoin de la relever, au même moment où Guillaume restaurait Saint-Bénigne et Heldri Flavigny, c'est-àdire dans les dix dernières années du x e siècle. Cet intérêt pour la rénovation nous est confirmé à, Saint-Léger par la Charte précisant qu'en 994, Henri I, Duc de Bourgogne, donna aux religieux de Saint-Germain d'auxerre cette abbaye (qui fut par la suite réduite au rang de prieuré), à, condition qu'on y entretienne toujours huit moines 12. C'est sans doute peu de temps après que se situent le passage et la formation de l'illustre Raoul Glaber qui y résida quelques temps avant de se rendre dans les monastères de Saint-Bénigne, Moutiers Saint-Jean, Auxerre et Cluny 13. C'est là qu'il décrit sa première rencontre avec le diable : «A l'époque, où je vivais au monastère du bienheureux martyr Léger, qu'on appelle Champeaux, une nuit, avant l'office de matines, se dresse devant moi au pied de mon lit une espèce de nain horrible à voir 14.» Nous limiterons là les quelques données historiques concernant les débuts de l'abbaye, et nous renvoyons à l'étude de J. Bresson pour son histoire jusqu'au xix e siècle, afin d'examiner plus longuement les éléments archéologiques qui subsistent 15. Description. Les constructions encore existantes forment un ensemble de bâtiments d'habitation pour la plupart reconstruits au début et à la fin du xix e siècle. Enserrée dans cet ensemble s'élève une tour massive dont nous reparlerons longuement mais dont on reconnaît très bien le clocher sur l'unique représentation 16 ancienne 11. Origine que Baudot envisageait également dans ses notes sur Saint-Léger Triey (Arch. dép. Côte-d'Or, 1 F 75). 12. QUANTIN, Cartulaire général de l'yonne, t. I, p. 157-158 : «... Quadam suis abbatiola constructa patrimoniis in honore sancti Leodegarii martyris, nomine Campellis, ipsum eum locum ampliavit... 13. Pour la biographie de Glaber, cf. PETIT (E.), Revue historique, t. 48, 1892. 14. Livre V, chapitre I. 15. L'examen n'a pu être ici définitif, aussi bien pour les parties de l'avantnef que les enduits modernes ont en grande partie recouvert que pour les subslructions orientales qui ne sont pas encore complètement dégagées. 16. ïl s'agit là d'une photographie d'un tableau original disparu. Nous n'avons retrouvé par ailleurs aucun dessin ni plans anciens des bâtiments subsistants ou disparus.

FIG. 1. L'ABBAYE DE SAINT-LÉGER. DESSIN ANONYME (xvm e SIÈCLE). VUE DU SUD-EST. (Cliché J. Marilier.)

SAINT-LÉGER DE CHAMPEAUX 241 (sans doute avant 1800) du prieuré. En arrière plan sur ce dessin on distingue un second clocher, celui de l'église paroissiale et sur la droite un troisième, celui du chœur de l'ancienne église. Tous les bâtiments en U avec combles à toits brisés 16 bis q U i figurent devant, ont disparu ainsi que la tour carrée qui en flanque l'extrémité droite. Celle de gauche est encore debout ainsi que le bâtiment qui la prolonge 17, vers le Nord. Ce qui demeure surprenant quand on examine cette représentation peinte, c'est le vide entre le premier et le second clocher. Sur place on ne trouve aucune explication puisque ce vide se retrouve dans l'absence de toute construction à l'est du premier clocher. En fait ce sont les textes qui nous permettent le mieux de comprendre ce vide. En effet toutes les visites du prieuré au xvm e siècle notent que la nef est ruinée et un texte de 1674 précise même qu'après «la chute de la nef on a fermé le chœur avec un mur qui a paru fait depuis environ 15 ans 18.» Cette destruction doit être imputée aux troupes de Gallas qui pillèrent la région en 1636. On ne relèvera jamais cette nef alors que l'on réparera et reconstruira les bâtiments monastiques, ceci surtout à partir de 1738, après avoir détruit le cloître qui avait été pourtant jugé en assez bon état en 1721 19. Grâce aux mêmes procès-verbaux de visites effectuées régulièrement par l'abbaye Saint-Germain d'auxerre, nous avons des indications assez précises sur les mesures des principales parties de l'abbatiale avant destruction ou transformation : ainsi la visite du 11 avril 1674 précise que : «l'enclos du prieuré a 156 toises de pourtour, la toise comptée pour six pieds, cet enclos a paru aussi ancien que le prieuré à la réserve de vingt toises du côté du midi qui ont été depuis douze ou quinze ans. L'enclos est entouré de 16 bis. Ce sont certainement les bâtiments reconstruits par l'abbé Lefèvre de Caumartin dont les plans et devis ont été faits en 1742 par Saimac, et auxquels on travaillait encore en 1758 (Arch. dép. de la Côte-d'Or, H 38/744 et C 4282 où, dans un relevé général de 1762, on reconnaît le plan de masse des bâtiments). 17. C'est sous cette tour carrée qu'a été découvert réutilisé comme marche d'escalier un fragment de pierre tombale où l'on reconnaît le dessin d'un ange thuriféraire dont le style rappelle les dalles funéraires sculptées du xiv é siècle. Au-dessus de celui-ci débute l'inscription qui devait encadrer la pierre : «Hic iacet frater Guillermus de Vau...». Pour M. Camp, il s'agirait de Guillaume de Vaucemain, prieur attesté entre 1315 et 1323. Le bâtiment qui s'appuie au nord sur cette tour ne se situe pas tout à fait dans le même axe ; sa construction peut être datée par le style de ses ouvertures du début xix. Une plaque de cheminée porte la date de 1827 et les initiales J. P. qui sont certainement celles du colonel et baron Jules Antoine Paulin, propriétaire de l'ancien prieuré jusqu'en 1875. 18. Archives du Château de Saint-Léger, procès-veibal de visite du 11 avril 1674. 19. Arch. dép. Yonne, H 1067, procès-verbal de visite du 10 avril 1721.

242 CHRISTIAN SAPIN fossés et double fossés à sec du côté du village. La plus grande partie de ces fossés est comblée» «La grande porte est en mauvais état. La voûte depuis la porte d'entrée du prieuré jusqu'à la porte de l'église a 36 pieds de long et 15 de large 20.» Ces mesures correspondent au rez-de-chaussée de la tour ancienne conservée entre les bâtiments modernes.... «La longueur de la nef est de soixante-six pieds. Elle a vingtquatre de large par le dedans. Le passage des religieux a même longueur que la nef et a neuf pieds de largeur en dedans...» Dans le procès-verbal du 17 avril 1684 les dimensions de la nef seront légèrement différentes «soixante-cinq pieds de longueur et vingtsix de largeur. Elle est séparée du clocher par une grande arcade murée en partie. Le chœur est en assez bon état ainsi que sa voûte alors que la nef n'a plus ni voûte, ni couvert. Le chœur a quarantecinq pieds et demi de longueur et dix pieds et demi de largeur». Ces dernières mesures qui concernent ce qu'il est convenu d'appeler le chœur des moines font apparaître un espace particulièrement étroit comparativement à la largeur de la nef d'autant plus que l'on sait par un autre procès-verbal de visite 21 que ce chœur était orné, du moins en 1548, de «sièges et de cathèdres très beaux». On peut penser que la dimension prise correspond ici à, la largeur de l'abside. Ce sont toutes ces mesures qui ont été utilisées par le propriétaire actuel pour tenter de retrouver dans le sol ce qui avait disparu au-delà de la porte d'entrée de l'église. Elles étaient assez exactes puisque les constructions détruites en élévation réapparurent en plan mais dans une disposition plus complexe qu'on ne l'imaginait. Le chevet. Nous ne décrirons pas ici les différentes phases des travaux qui ont permis de dégager le chevet de toutes les hypothèses complexes échafaudées alors, pour ne retenir que l'état des fouilles lors de la dernière campagne de 1977. L'ensemble oriental découvert consiste essentiellement en une abside flanquée au Sud d'une absidiole. C'est contre cet ensemble (cf. plan) que viennent s'appuyer à l'est deux murs parallèles qui se dirigent vers l'est pour s'arrêter à 14,15 m, rejoignant un 20. Archives du Château, procès-veibal de 1674. 21. Arch. dép. Yonne, H 1044, procès-veibal de visite de novembre 1548.

Plan étage, haut Elévation sud de l'avant nef N * Plan au rei-de-cnausse'e I FIG. 2. CHEVET.

244 CHRISTIAN SAPIN mur nord sud encore mal dégagé. Ces deux murs sont irréguliers par leurs dimensions (1,50 m d'épaisseur au Nord et 0,85 au Sud), par leur mode de construction, par leur niveau (le mur nord descend nettement plus bas que le mur sud). On peut cependant penser qu'ils ont fait partie à un moment donné d'un même ensemble. C'est dans le dégagement partiel de la zone comprise entre les deux murs et près du mur d'abside qu'on été trouvés, réutilisés à, plat, un certain nombre de carreaux vernissés de neuf types différents pouvant dater du xm e siècle 22. Et à un mètre cinquante de profondeur, huit jetons qui pour certains peuvent se rapporter à René II d'anjou, Duc de Lorraine (1473 à. 1508). En conclusion de ces premières données on peut déjà, remarquer que la disposition de ces murs suggère un chevet plat qui aurait été entrepris mais jamais terminé. Il n'en est toutefois jamais fait mention dans toutes les visites ; on sait seulement par celle de 1548 qu'il y avait «une cour derrière la coupe de l'église 23». On pourrait émettre l'hypothèse suivante : face au mur nord, qui devait déjà exister car il prolonge sans rupture le mur gouttereau de chœur, on a construit en parallèle un mur sud avec l'idée d'agrandir à l'est par un chevet plat un chœur trop restreint. Ceci aurait pu se produire au xv e siècle, à un moment où l'on entreprit des réparations. Il existe en effet un texte de 1451, d'après lequel le prieur Jean de Saulx promet d'employer pendant trois ans, deux cents livres par an pour la réparation de l'église et des bâtiments du prieuré 24. On peut penser que l'on profitera de ces travaux de 1451-1454 pour reconstruire un chœur que l'on ne termina jamais, mais il peut également s'agir là de travaux d'assainissement de l'ancien chœur menacé par les terres environnantes et l'humidité. De petits caniveaux (et d'autres indices semblables que nous verrons dans l'abside) pratiqués dans le mur sud prouveraient cette intention. On se contenta par la suite de paver cette cour grâce à des carreaux remployés. Nous allons retrouver un problème semblable avec l'abside centrale mais à un niveau nettement plus bas. C'est en effet à plus de 3 m que le propriétaire actuel retrouva les bases de cette abside qui était conservée par endroit sur plus de 1,50 m d'élévation. Construite en petits moellons par lits d'assise réguliers mais dans 22. Carreaux vernissés de 13,5-14 cm sur 14 cm, épais de 0,020-0,02 cm représentant fleurs de lys, oiseaux de profil et affrontés, feuilles de chêne. 23. Arch. dép. Yonne, H 1044. 24. Arch. dép. Yonne, H 1067.

SAINT-LEGEK DE CHAMPEAUX 245 lesquels on découvre des réfections importantes qui font passer du plan semi-circulaire au plan polygonal 25. Fermant à 2 m à l'ouest cette abside nous trouvons un mur de 0,70 cm d'épaisseur soutenu par un important arc de décharge. Dans cette partie ainsi close, une sorte de sarcophage trapézoïdal recouvert partiellement de dalles s'ouvre à l'ouest vers une large cavité polygonale construite qui semble rejoindre les deux retombées de l'arc de décharge. A l'est le sarcophage traverse le mur de l'abside et ouvre à l'extérieur sur un conduit. FIG. 3. VUE GÉNÉRALE DE LA CRYPTE DEPUIS LE NORD AVEC, AU CENTRE, LES ASSISES DU PILIER MAÇONNÉ OCTOGONAL. On a vu d'abord dans cette curieuse disposition les restes d'une fonction liturgique (baptismale?). Maintenant que l'ensemble est mieux dégagé et que l'on découvre l'impossibilité d'accès dans cette partie du chœur, on doit reconnaître qu'il s'agit plutôt là d'une disposition nécessitée par le désir de rejeter à l'extérieur les eaux de pluies infiltrées et dont on peut encore constater la présence en certaines saisons. Ceci à, une époque certainement récente si l'on en juge par la construction du mur de refend 26, bien que celui- 25. Si on reconnaît parfaitement la forme demi-circulaire d'origine à l'intérieur fie l'abside, à l'extérieur, dans l'état actuel des fouilles, il n'est pas aisé de préciser comment s'est fait l'interaction des deux formes. 26. Ici également apparaît la nécessité de retrouver les niveaux de fondation des murs pour les comparer avec ceux de l'abside. D'autre part, c'est contre ce mur de refend, côté ouest, que s'appuie au niveau le plus bas le départ d'une pile (?) formée de plusieurs petits tambours peu épais.

246 CHRISTIAN SAPIN ci puisse appartenir à une autre nécessité indépendante : celle d'épauler les parties supérieures du chœur. Un des mérites de cette fouille a été en efïet de mettre en évidence l'existence de deux niveaux de construction : un étage bas, qui est celui des cryptes, correspondant au plan et aux élévations découvertes et un niveau haut qui a disparu. Ceci expliquait de nombreuses singularités et différences de niveaux avec le porche d'entrée. Deux textes anciens fournissaient déjà, des indications pour ces cryptes mais ne précisaient nullement avant les travaux l'ampleur de celles-ci sous tout le chevet : 1718 : «II faut réparer la couverture sur cette tour sur le chœur et sur le cul de four où est l'autel. Sous la chapelle plusieurs piliers qui portent plusieurs petites voûtes d'arêtes 27.» v. 1800 : «J'ai vu à Saint-Léger après la vente de ce prieur une chapelle ou église souterraine soutenue par plusieurs piliers, les voûtes paraissent mal faites, sans goût.» (note de Baudot) 28. La poursuite des travaux à, l'ouest du mur de refend a permis effectivement de dégager un espace important devant l'abside, mais également devant l'absidiole. Celle-ci n'est pas encore entièrement dégagée à l'extérieur, mais on peut voir malgré tout un ressaut et un pilastre qui peuvent être de précieuses indications de construction. A l'intérieur de la crypte cette absidiole est comblée sur toute la hauteur de l'hémicyle et à peu près dans l'alignement du mur de refend de l'abside principale. On voit cependant assez bien le départ de la courbe de son mur intérieur qui devait être enduit comme l'est encore le mur intérieur de l'abside centrale. Les travaux n'ont pas trouvé d'abside similaire au Nord et on peut penser qu'il en était de même pour le chœur supérieur car les textes ne font mention que d'une chapelle correspondant bien à la position de l'absidiole inférieure découverte : le 17 août 1643 «les enquêteurs reconnaissent une ruine arrivée à la couverture du chœur et de la chapelle appelée Notre- Dame La Rousse, proche de la tour du clocher de l'église tirant 27. Archives du Château, procès-verbal de 1718. 28. Arth. dép. Côte-d'Or, ms. Baudot, 1 F 75.

SAINT-LEGER DE CHAMPEAUX 247 contre le vent du midi jusque sur le lieu appelé la bibliothèque qui est sur le cloître 29». ou FIG. 4. ANGLE SUD-EST DE L'ABSIDIOLE SUD L'ON DISTINGUE LE DÉPART DE LA BANDE LOMBARDE ET LE MUR EST PLUS RÉCENT QUI VIENT S'Al'POYER ASSEZ HAUT SUR CETTE ABSIDE. En retour contre cette chapelle, les travaux ont mis au jour un mur gouttereau large de 1,20 m et conservé dans son élévation sur plus d'un mètre. C'est contre ce mur et à proximité de ladite chapelle que furent dégagées les marches d'un escalier. Celui-ci n'est certainement pas d'origine, compte tenu de sa position près du cul de four et de sa construction qui réemploie des éléments comme un fragment de colonne octogonale. Tous ces éléments annoncent plusieurs destructions et remaniements et c'est ici que l'étude des différentes couches stratigraphiques que nous avons pu relever avant le dégagement complet peut nous aider. 29. Arch. du Château, procès-verbal de visite du 17 août 1643. Ce nom de Notre-Dame la Rousse a pu être donné à la suite d'un incendie.

248 CHRISTIAN SAPIN Leur épaisseur est plus ou moins constante mais leur présence est pratiquement la même sur toute la zone Sud. Leur succession depuis le haut est la suivante : couche de terre brune récente de 45 à 70 cm d'épaisseur (^ 1); couche de mortiers et matériaux de démolitions de 50 cm d'épaisseur (n 2) ; couche de 2 cm environ de terre brune brûlée (n 3 A) correspondant au Sud à une couche sableuse et non brûlée (n 3 B) ; une couche blanche de 2-3 cm avec par endroit des zones plus épaisses où elle se mélange à la terre (n 4) ; une couche de terre brune d'une quarantaine de cm où se mêlent essentiellement des fragments de tuiles (n 5) ; une nouvelle couche blanche de chaux de 3 cm (n 6) ; une couche d'argile grise de 7 cm (n 7) ; une couche de deux cm de terre noire brûlée riche en tessons (n<> 8) ; une couche d'argile jaune compacte et humide (n 9). Les six premières couches suivent la pente de l'escalier et descendent en pente douce vers le centre de la crypte. C'est dans la seconde que furent trouvées la plupart des fragments de sculpture dont nous reparlerons. Les couches sept et huit renfermaient la plupart du matériel ancien conservé. Il s'agit de fragments de verre noir, très fins, et notamment des pieds de verre ; des tessons de céramique à glaçure jaune ou verte et à pâte gris-orangée ; des plaques de terre cuite vernissée de couleur verte qui devaient appartenir à un poêle 30. Ce matériel se retrouve d'une façon assez cohérente sur l'étendue fouillée de la crypte et ne semble pas postérieur au dix-septième siècle. L'étude de la couche 8 d'incendie tendrait à prouver que l'escalier qui repose dessus est récent ainsi que le complément de l'hémicycle de l'absidiole. D'autre part c'est sous cette couche et dans la couche de glaise n 9 que l'on a pu mettre au jour une partie de caniveau 30. Un carreau entier a été retrouvé lors des premiers travaux ; il mesure 16 cm sur 23 cm ; le motif est en relief sur un fond formant cuvette et représente un homme monté sur une bête (petit cheval?) et tenant un arc. Les divers fragments retrouvés appartiennent à d'autres motifs qui pourraient être mythologiques. On distingue également des fleurs de lys. La forme de ces carreaux et facture de ses motifs peuvent faire placer leur exécution au xvi siècle. On peut les rapprocher de certains carreaux de poêle découverts en Suisse ou en Alsace du Sud.

SAINT-LÉGER DE CHAMPEAUX 249 formant conduit de 15 cm sur 15 cm ou égout bien construit qui passe sous l'escalier et se dirige vers le centre de l'hémicycle. Cette disposition serait à mettre en relation avec une volonté d'assainissement des cryptes, à une époque non déterminée mais sans doute antérieure au xvn e siècle. Les travaux n'ont pas permis de fouiller systématiquement cette couche humide, mais nous avons pu lors d'un sondage y reconnaître des fragments de mortier et surtout la présence de plusieurs pierres en place qui semblent annoncer le départ d'un mur en arc de cercle vers le Sud. Ceci à un niveau inférieur au niveau n 9 du conduit. Nous ne pouvons pas encore tirer de conclusions de ce sondage mais seulement admettre qu'il doit exister des éléments d'une construction antérieure à l'absidiole découverte. Au-delà d'une berme témoin qui a été conservée entre cette zone et le centre de la crypte, toute la partie Sud a été dégagée des couches supérieures de comblement. Seule apparaît aujourd'hui d'une façon uniforme la couche 3 B, sableuse, qui doit recouvrir la couche 5 formée de terre brune, de tuiles et de tessons de bouteilles. Cette couche 3 B se trouve pratiquement ici au même niveau que la couche 6 devant l'absidiole, ce qui démontre la très nette inclinaison des couches à l'approche de l'escalier découvert au Sud, que nous trouvons exprimée dans la coupe SN du terrain fouillé. L'étude de cette coupe nous incline à formuler l'hypothèse suivante : la destruction de la nef en 1636 a dû entraîner la suppression des anciennes entrées (les traces d'incendie en couche 8 peuvent correspondre à cette date) 31. On a dû alors improviser l'escalier sud sur lequel s'est accumulé au cours du xvin e siècle, dans une crypte certainement plus utilisée, quantité de matériaux. La même pente et le même tassement de cette couche se retrouvent en direction d'une ancienne baie dans le mur du cul de four. On peut également penser qu'à partir de 1790 cette crypte a pu servir de cave et de dépotoir avant la destruction complète, le tassement et la différence de couches montrant bien un écart de date entre la couche 5 et la destruction et le comblement final. Ce sont là des hypothèses qui n'apportent pas encore beaucoup d'éléments sur les niveaux d'origine de la crypte. Ce niveau d'occupation doit correspondre sensiblement à la couche 8 et on peut tenter de le préciser en étudiant la base du pilier maçonné octogonal 31. Une monnaie avec l'inscription... RNSETRETH et la date de 1614 a été trouvée en 1977, devant le mur de refend, avec des fragments de carreaux de poêle, dans un niveau correspondant au niveau n 8.

250 CHRISTIAN SAPIN dont la taille est nettement moins soignée à plus de vingt centimètres en-dessous du sol sableux (3 B), laissé en place autour de celui-ci. On peut d'ailleurs se demander si ce pilier central, découvert lors de la dernière campagne de 1977 est bien d'origine. Il ne comporte pas d'éléments sculptés, de pierres moulurées ou de tailles caractéristiques. Sa position est à peu près centrale dans l'espace compris devant le mur de refend qui ferme l'abside (cf. plan). On peut dès lors se demander s'il n'a pas été construit à ce momentlà. Il est par ailleurs curieux de ne pas avoir trouvé trace des autres piliers dont parlent les textes. On peut espérer des explications dans la poursuite des travaux. D'autres éléments permettant de préciser le plan de la crypte ont été découverts en 1977. Il s'agit d'un morceau du mur occidental de la crypte (large de 1,05 m) qui doit correspondre au retour du mur sud. Il est assez bien appareillé et encore partiellement enduit. Côté nord nous n'avons pas trouvé de retour identique mais les gros blocs d'assise du mur gouttereau nord s'arrêtent à ce niveau. On peut d'ailleurs remarquer que c'est toute l'élévation du mur nord qui a disparu jusqu'au départ de l'abside 32. La poursuite des travaux déterminera peut-être d'autres éléments mais on peut déjà reconnaître ici le plan d'une crypte assez spacieuse pour le monument (7,50 x 8 m), dont la partie rectangulaire devant l'abside devait servir d'assise au chœur supérieur et à la tour du clocher. Ce plan indique une crypte plus romane que préromane que l'on pourrait comparer à celle de Saint-Michel de Dijon (moins l'abside nord) étudiée par M. le Chanoine Marilier 33, située avant 1050. L'absence du mur séparant nef de la crypte et bas côté, l'appareil assez régulier de gros moellons (assez différent de celui des cryptes de Saint-Étienne de Dijon par exemple) nous inciteraient à avancer une date plus tardive pour cette partie de Saint-Léger, peut-être vers 1080. Le dégagement complet du chevet nous permettra sans doute de nuancer cette proposition et de mieux distinguer certaines parties de l'abside et de l'absidiole qui avec leurs pilastres pourraient 32. En l'absence de cette élévation (et en attendant des fouilles plus profondes) il est difficile de savoir comment et quand s'est effectuée toute la reprise du prolongement de ce mur nord vers l'est, dans lequel vient pénétrer le mur de la grande abside. De même que l'on ne peut déterminer le départ de l'absidiole nord qui a dû exister. 33. MARILIER (Abbé J.), L'église romane de Saint-Michel de Dijon, dans Mémoires de la Commission des Antiquités de la Côle-d'Or, t. 26, 1963-1969, p. 289-295.

SAINT-LÉGER DE GHAMPEAUX 251 appartenir à une campagne plus proche de l'an mille. On retiendra toutefois une certaine différence entre la partie centrale que nous venons d'étudier et la construction du porche d'entrée. L'avanl-nef. Nous utiliserons ici le terme d'avant-nef afin de ne pas influencer par un terme trop précis l'étude de la fonction de cet ensemble. Le rez-de-chaussée est composé de deux parties : l'ancienne entrée à l'ouest, salle rectangulaire de 4,50 m sur six mètres, séparée de la seconde à l'est par un grand arc doubleau. Cette première pièce est ouverte au Nord et au Sud par deux grandes baies en arc brisé dont la forme évoque des percées plus modernes que gothiques. Elles donnent sur des pièces aménagées au xix e siècle et que nous ne décrirons pas ici. Le mur occidental est enduit et ne livre pas d'indice pour situer l'ancien portail. La seconde partie de ce rez-de-chaussée 34 ouvre à l'est sur l'extérieur et primitivement sur la nef par un grand arc doubleau à double rouleau donnant une hauteur de voûte de près de cinq mètres. On trouve au Nord et au Sud deux autres ouvertures en plein cintre, de même appareil, mais plus basses et sur lesquelles nous reviendrons. Dans celle du mur nord a été pratiquée sans doute à la fin du xix e siècle, une cheminée. On accède au premier étage par un escalier récent qui perce le mur occidental à l'angle du mur sud. Cet étage a été complètement cloisonné et il est difficile de déterminer les parties anciennes derrière les boiseries et les enduits, cependant deux niches en plein cintre hautes de 1,75 m, larges de 1 m et profondes de 50 cm semblent appartenir à, la structure d'origine. Elles ont une position symétrique dans le mur nord et le mur sud et une percée fortuite dans celle du nord prouverait qu'elles donnaient sur l'extérieur. Au second étage, face à une salle bibliothèque récemment aménagée, nous pénétrons dans le grenier et nous sommes directement en contact avec la charpente 35. Dans le mur ouest on peut voir l'extrémité supérieure de deux baies en plein cintre, à l'intérieur desquelles on devine la partie bouchée qui donnait directement sur l'extérieur (cf. relevés). Le mur nord a été en partie refait ; 34. D'après le propriétaire, le sol actuel est le sol d'origine rétabli au début de ce siècle, lors des premières restaurations de cette partie occidentale. 35. Il semble, d'après l'ancienne représentation du prieuré, que cette tour et son clocher étaient plus hauts. Les photographies des environs de 1900 ne nous indiquent pas de différence pour cette partie si ce n'est de hautes lucarnes et d'autres adjonctions du xix siècle qui rendaient méconnaissable cette tour.

252 CHRISTIAN SAPIN le mur sud laisse apparaître d'autres traces ou départ de baies en plein cintre mais sans le retrait à l'intérieur du mur constaté à l'ouest. La hauteur de ces baies nous montre bien que le plancher d'origine était nettement plus bas. Par l'intermédiaire d'une ouverture étroite (ancienne baie ou passage) nous accédons à la terrasse qui surmonte au sud une portion de bâtiment du xix e siècle. De là on peut voir nettement l'extérieur du mur sud ; on y retrouve une baie en plein cintre bouchée, sans ébrasement, qui correspond par sa position et ses dimensions à celle visible vers l'ouest à l'intérieur. A côté se trouve la partie supérieure d'une baie plus petite très ébrasée vers l'intérieur mais qui ne correspond pas du tout à celle dont le départ est visible à l'intérieur. Tout ceci démontre plusieurs remaniements et plusieurs époques ; on peut d'ailleurs dire pour l'ensemble de cette avant-nef que son étude pose autant de problèmes que le chevet par la présence de nombreuses constructions advantives. Nous tenterons cependant un certain nombre de remarques sur la forme probable de son ancienne disposition, sur sa fonction et sur sa datation. FIG. 5. VUE PRISE EN 1977 DEPUIS LE SUD-EST OU L'ON RECONNAIT LES PARTIES SUPÉRIEURES DE L'AVANT-NEF DERRIÈRE LES BATIMENTS DU XIX^ SIÈCLE. En reprenant le plan au rez-de-chaussée on peut déjà remarquer que la partie est, qui ne semble pas être destinée à supporter le

SAINT-LÉGER DE CHAMPEAUX 253 clocher, est construite avec une structure tout aussi importante que la partie ouest et qu'elle ne correspond pas non plus à une première travée de nef. D'autre part les deux ouvertures plein cintre latérales ne peuvent être de simples niches décoratives mais devaient s'ouvrir sur des constructions. Enfin la disposition très curieuse des différents murs des bâtiments du xix e siècle pourrait être l'indice de constructions antérieures sur les fondations desquelles elles reposeraient. De cette disposition étonnante nous prendrons pour exemple le mur qui forme angle droit et qui vient s'appuyer à l'angle Nord-Est du mur oriental de cette avant-nef. Quand on le suit on s'aperçoit que dans son retour sud il est doublé à quarante centimètres de distance par un mur sud moderne formant ainsi un espace inutilisable. Enfin si l'on mesure la largeur déterminée par le retour sud du premier mur et l'extrémité sud du mur de l'avant-nef on obtient 2,90 m qui était la largeur des collatéraux de la nef détruite. Cette largeur nous est donnée par un texte de 1674 qui nous indique que le passage des religieux qui menait au chœur avait neuf pieds de large en dedans 36. Nous pourrions donc avoir ici un des vestiges de l'ancien bas côté nord détruit. Et on peut se demander si les deux collatéraux nord et sud n'avaient pas des prolongements vers l'ouest car on retrouve dans les constructions latérales du xix e siècle cette même largeur de 2,90-3 m. Les étages supérieurs par le système de double baie du premier étage ou par l'ouverture encore existante donnant sur la terrasse apportent également des preuves d'une construction à étage plus complexe qu'une simple tour de clocher. Nous serions tenté de voir autour de la construction ancienne les traces de deux augmenta 37 qui devaient contenir les accès à l'étage haut à, moins que ceux-ci se soient trouvés dans des tourelles encadrant la partie la plus occidentale. On peut en effet penser que l'étage supérieur qui surplombait un rez-de-chaussée fortement voûté avait une destination importante que nous assimilerons à la destination liturgique des lieux hauts des westwerk carolingiens 38. C'est cette 36. Si l'hypothèse que nous formulons pour ce mur nord est exacte, cela nous confirmerait l'existence à l'origine d'une absidiole nord en prolongement de ce collatéral nord. 37. L'examen de la structure de cette partie occidentale nous confirme une hypo'.hèse formulée lors de la visite de cet ensemble par M. le professeur Carol Heitz. Mais il faudrait sonder les substructions de tous les murs et pièces du xix c siècle pour en avoir une certitude. 38. REINHAUDT (H.) et FELS (E.), Étude sur les églises-porches carolingiennes et leur survivance dans l'art roman, dans Bulletin monumental, t. 92, 1933, p. 331-365. HEITZ (C), Recherches sur les rapports entre architecture et liturgie à l'époque carolingienne, Paris, 1963.

254 CHRISTIAN SAPIN même tradition de construction occidentale que nous retrouvons à Saint-Vorles de Châtillon vers 990-1000 39. Nous pouvons rapprocher d'autant plus ces deux ensembles que nous trouvons également des similitudes dans le mode de construction. Ce sont les mêmes grandes arcades à larges doubleaux, le même type de claveaux allongés et étroits. L'appareil des doubleaux et les murs sont faits de moellons plus épais qu'à Châtillon et on y trouve aussi des gros blocs de pierre certainement réemployés. Les proportions des voûtes entre 4,30 et 5 m sont à peu près les mêmes dans les deux édifices ainsi que les passages latéraux de neuf pieds. On peut également comparer le type de pilastre de Châtillon, et celui de l'absidiole sud qui emploie également des blocs plus importants que l'appareil du mur continu. Cette comparaison est moins évidente pour les pilastres de l'abside de l'église de Saint-Apollinaire, géographiquement plus proche de Saint-Léger que Châtillon. Le rapport avec Saint-Vorles-de-Châtillon, construit sous Brun de Roucy (981-1015), évêque du diocèse de Langres dont faisait partie Saint-Léger, reste complexe car nous devons reconnaître qu'ici l'utilisation du mode lombard est limitée en l'état actuel des recherches au seul mur extérieur de l'absidiole. Ceci nous conduit à y distinguer une influence des pratiques de constructions carolingiennes encore existantes, ou plus directement une influence des constructions de la France du Nord comme l'ont suggéré pour certains édifices De Truchis, et plus récemment J. Armi 40. Nous ne pouvons pousser plus avant les comparaisons car il faudrait disposer de plus de murs dégagés à, Saint-Léger. Malgré tout, ces remarques contribuent à mieux situer ce type de construction qui par sa structure et sa fonction s'inscrit entre la fin du ix e siècle et le milieu du xi e siècle. On peut penser que comme à Tournus ou à. Châtillon l'étage haut de l'avant nef était largement ouvert sur la nef 41. Les éléments historiques que nous possédons peuvent permettre de situer encore plus précisément la construction de ce que nous appelerons Saint-Léger II. En effet, le texte de la donation de 994 laisse supposer que le duc Henri I restaura cet ancien monastère 39. Cette structure et sa construction a été bien étudiée par C. COURTOIS avant sa restauration : Restitution des dispositions primitives de l'église Saint- Vorles de Châtillon alors qu'elle était sous le vocable de Saint-Martin», 1935 (B. M. Dijon, ms. n 2132-2133, photos et plans). 40. ARMI (Clément Adson), St. Philiber at Tournus and Wall Systems of First romanesque architecture, Columbia University, 1973. 41. On ne peut distinguer les traces des anciennes ouvertures sous l'enduit épais, mais la grande baie du premier étage pourrait reprendre en partie cette ouverture sur la nef.

SAINT-LÉGER DE CHAMPEAUX 255 avant cette date ; il ne sera d'ailleurs pas le seul à être reconstruit aux frais du Duc qui par ailleurs n'aurait pas offert aux moines d'auxerre une simple ruine. Avec prudence nous serons donc amené à proposer pour cette partie les dates de 990-994 en supposant que les parties hautes ont été terminées un peu plus tard ou reprises. C'est également à ces dernières années du x e siècle que doivent appartenir certains éléments des absides des cryptes, mais nous attendrons la fin du dégagement complet pour nous prononcer. Matériel. Si aucun élément architectural ne nous semble appartenir avec certitude à. Saint-Léger I, c'est-à-dire à la construction d'origine carolingienne, nous pouvons y placer un des plus beaux fragments de sculpture, le seul chapiteau complet. Haut de 19 cm, celui-ci est en marbre blanc 42, décoré de rangs de feuillage profondément incisé et offrant un effet de «coup de vent». Bien qu'il interprète des motifs des v e et vi e siècles nous pouvons le situer par sa structure et sa facture au début du ix e siècle. On peut dès lors se demander si sa présence n'est pas due aux bienfaits de Théoderade et s'il a fait partie d'un ensemble dont les autres pièces auraient disparu (arcature, réba, cloître?). C'est dans la couche 2, composée de matériaux de démolition, que fut retrouvée la majeure partie des fragments lapidaires depuis inventoriée. En dehors des quelques fragments appartenant à des chapiteaux gothiques ou romans (n 10-06 et 77-01), et des fragments de bases, nous avons repéré plusieurs petits fragments intéressants de décor taillé en cuvette (10-01) ou appartenant à des décors d'entrelacs (10-02, 75-51, 76-12, 76-13 et 77-04). Ces deux derniers sont à rapprocher d'une imposte avec décor d'entrelacs également à trois brins, réemployé dans la restauration du début de ce siècle dans le mur intérieur nord de l'avant-nef. Bien que ce type d'entrelacs se retrouve dans des décors à Flavigny, Saint-Geosmes, Sainte Bénigne dans la seconde partie du ix e siècle, nous ne les situerons pas avec certitude à cette époque. Ils ont été faits jusqu'au xi e siècle et peuvent très bien appartenir à la campagne de Saint-Léger II, d'autant plus que ce type d'imposte décoré est plus fréquent à l'époque de l'an mille qu'au ix e siècle. Quant au matériel de céra- 42. Cf. SAPIN (C.)» Découverte d'un chapiteau carolingien en Bourgogne, dans Archeologia, février 1975, p. 69 et Notes à propos de quelques chapiteaux en marbre inédits en Bourgogne, dans Bulletin Monumental, 1978, t. 1. Ce chapiteau a été trouvé à 4 mètres à l'est devant la porte orientale de l'avantnef et à moins de 1,30 m de profondeur.

256 CHRISTIAN SAPIN mique nous n'avons pas trouvé dans l'ensemble conservé depuis le début des fouilles de fragments ou tessons pouvant appartenir au Haut Moyen âge. On peut espérer qu'un jour la poursuite des travaux fournira avec précision ces éléments manquants et que l'on pourra encore mieux définir la place de ce précieux témoignage de l'architecture pré-romane et romane en Bourgogne à côté de Flavigny, Châtillon, Saint-Bénigne et Saint-Aubin.