HAUT-COMMISSARIAT AUX DROITS DE L HOMME OFFICE OF THE HIGH COMMISSIONER FOR HUMAN RIGHTS PALAIS DES NATIONS 1211 GENEVA 10, SWITZERLAND

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Transcription:

HAUT-COMMISSARIAT AUX DROITS DE L HOMME OFFICE OF THE HIGH COMMISSIONER FOR HUMAN RIGHTS PALAIS DES NATIONS 1211 GENEVA 10, SWITZERLAND Mandats du Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d opinion et d expression ; du Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d'association ; et du Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l'homme REFERENCE: AL MAR 2/2015: Excellence, 4 mai 2015 Nous avons l honneur de nous adresser à vous en nos qualités de Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d opinion et d expression ; de Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d'association ; et de Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l'homme conformément aux résolutions 25/2, 24/5, et 25/18 du Conseil des droits de l homme. Dans ce contexte, nous souhaiterions attirer l attention du Gouvernement de votre Excellence sur des informations que nous avons reçues concernant diverses mesures restreignant les activités de l association marocaine des droits de l homme (AMDH). L AMDH est une organisation de défense des droits de l homme, créée en 1979, composée de 91 bureaux locaux et 9 bureaux régionaux. Selon les informations reçues: Depuis le mois de juillet 2014, plus de soixante réunions de l AMDH et d autres groupes de défense des droits humains n ont pu être organisées. Dans la plupart des cas, les lieux prévus pour les réunions ont été rendus indisponibles le jour prévu de l événement, soit que les responsables des lieux acceptant de louer leur salle aient ensuite annulé leur engagement sans justification écrite, soit encore que l accès à la salle ait été bloqué par le verrouillage des portes au moyen de cadenas ou par la présence de la police. Dans les rares occasions où elles ont justifié leurs mesures par écrit, les autorités ont argué que l association avait manqué à son obligation de notifier l administration, tel que prévu par la loi. Cependant, il est rapporté que l AMDH serait dispensée de cette obligation au regard de l article 3 de la loi de 1958 sur les rassemblements publics, telle qu amendée en 2002, selon lequel «les réunions des

associations et groupements légalement constitués ayant un objet spécifiquement culturel, artistique ou sportif, ainsi que les réunions des associations et des œuvres d'assistance ou de bienfaisance, sont dispensées de la déclaration préalable». Cette interprétation de la législation a été confirmée par une décision du tribunal administratif de Rabat du 21 novembre 2014 qui a statué que l interdiction d une réunion organisée par l AMDH dans un lieu public le 27 septembre 2014 contrevenait à la législation nationale. Le 16 janvier 2015, le même tribunal s est prononcé dans une autre affaire et est parvenu à une conclusion similaire. Des mesures de restrictions ont été prises à l encontre de diverses associations, telle que la Ligue marocaine pour la défense des droits de l homme, Freedom Now, Adala («Justice») ou la Fondation allemande Friedrich Naumann, mais auraient essentiellement visé l AMDH. Il est porté à notre attention que jusqu au mois de juillet 2014, les événements organisés par l AMDH n ont presque jamais fait l objet de restrictions. En outre, sur la même période, il est également rapporté que les autorités locales ont empêché 16 sections locales de l AMDH de se conformer à la loi qui enjoint aux associations de notifier les autorités en cas de changement de leur comité directeur ou de leurs statuts, en contrepartie d un récépissé. Dix municipalités auraient refusé de recevoir les documents remis par les sections locales de l AMDH, tandis que dans six autres cas, les autorités auraient accepté les documents mais auraient refusé de remettre un récépissé aux membres de l association. A défaut de récépissé, les associations sont exposées à des restrictions, telles que l exclusion de leur participation à des événements et des programmes de subvention de la municipalité. Par ailleurs, dans une lettre datée du 17 décembre 2014, le gouverneur de Rabat- Salé, également représentant du ministère de l Intérieur, a averti l AMDH qu il pourrait lui retirer son statut d association d utilité publique au motif que l organisation agissait d une manière qui dérogeait aux principes directeurs énoncés dans sa charte. L association a été accusée de «répandre des allégations infondées» et de porter atteinte aux «intérêts des institutions de l État» et à «l intégrité territoriale» du Maroc. Il est également rapporté que le 15 février 2015, les forces de l ordre marocaines, accompagnées d une quarantaine de personnes en civil et armées d instruments en fer, ont fait irruption dans les locaux de l AMDH. Alors qu elle tentait d empêcher ces personnes de lui prendre les clés des locaux de l association, une représentante de l AMDH aurait été physiquement agressée. Cette membre de l association aurait dû être emmenée à l hôpital dans un état sérieux. L intrusion dans les locaux de l AMDH visait à arrêter deux journalistes français, venus interviewer des membres de l association au sujet du «mouvement du 20 février», dans le cadre d un tournage sur l économie marocaine, au motif que les journalistes ne disposaient pas de l'autorisation nécessaire pour filmer. Il ressort 2

des informations transmises que les journalistes auraient formulé une demande plusieurs semaines avant de se rendre au Maroc mais n auraient pas reçu de réponse des autorités marocaines. Des sérieuses préoccupations sont exprimées quant aux mesures restrictives prises à l encontre de l AMDH et de ses membres depuis le mois de juillet 2014, et sur le fait que ces mesures pourraient être liées aux activités de défense des droits de l homme de l AMDH. En relation avec les faits allégués ci-dessus, je vous demanderais de bien vouloir vous référer à l annexe ci-jointe qui énonce les textes relatifs aux instruments juridiques et autres standards établis en matière de droits de l'homme. Comme il est de notre responsabilité, en vertu des mandats qui nous ont été confiés par le Conseil des droits de l homme, de solliciter votre coopération pour tirer au clair les cas qui ont été portés à notre attention, nous serions reconnaissants au Gouvernement de votre Excellence de ses observations sur les points suivants: 1. Les faits tels que relatés dans le résumé du cas sont-ils exacts? 2. Veuillez détailler la base légale des restrictions à la liberté de réunion pacifique de l AMDH et expliquer comment ces mesures sont compatibles avec les normes internationales relatives aux droits de l homme. Veuillez également préciser les mesures prises pour mettre en œuvre les décisions judiciaires rendues en novembre 2014 et janvier 2015. 3. Veuillez détailler la base légale du refus de réceptionner les documents, ou de remettre un récépissé pour les sections de l AMDH qui ont souhaité notifié les autorités d un changement dans la composition de leur bureau directeur ou de leurs statuts et expliquer comment ces mesures sont compatibles avec les normes internationales relatives aux droits de l homme. Nous serions reconnaissants de recevoir de votre part une réponse à ces questions dans un délai de 60 jours. Nous nous engageons à ce que la réponse du Gouvernement de votre Excellence soit reflétée dans le rapport que nous soumettrons au Conseil des droits de l homme. Dans l attente d une réponse de votre part, nous prions le Gouvernement de votre Excellence de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la protection des droits et des libertés des membres de l organisation mentionnée ci-dessus, de diligenter des enquêtes sur les violations qui auraient été perpétrées et de traduire les responsables en justice. Nous prions aussi votre Gouvernement d adopter, le cas échéant, toutes les mesures nécessaires pour prévenir la répétition des faits mentionnés. 3

Veuillez agréer, Excellence, l'assurance de notre haute considération. David Kaye Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d opinion et d expression Maina Kiai Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d'association Michel Forst Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l'homme Annexe Références aux instruments juridiques et autres standards établis en matière de droits de l'homme Dans ce contexte, nous souhaiterions rappeler les normes et principes fondamentaux pertinents énoncés aux articles 19, 21 et 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) ratifié par le Maroc le 3 mai 1979. Nous rappelons également les dispositions de la résolution 24/5 du Conseil des droits de l homme qui «rappelle aux États leur obligation de respecter et de protéger pleinement le droit de réunion pacifique et la liberté d association de tous les individus, à la fois en ligne et hors ligne, notamment à l occasion d élections, y compris les personnes 4

qui professent des opinions ou des croyances minoritaires ou dissidentes, les défenseurs des droits de l homme.» Nous souhaiterions également attirer l attention du Gouvernement de votre Excellence sur les principes fondamentaux énoncés dans la Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et de protéger les droits de l homme et les libertés fondamentales universellement reconnus, et en particulier l article 1 et 2 qui stipulent que «chacun a le droit, individuellement ou en association avec d autres, de promouvoir la protection et la réalisation des droits de l homme et des libertés fondamentales aux niveaux national et international» et que «chaque État a, au premier chef, la responsabilité et le devoir de protéger, promouvoir et rendre effectifs tous les droits de l'homme et toutes les libertés fondamentales, notamment en adoptant les mesures nécessaires pour instaurer les conditions sociales, économiques, politiques et autres ainsi que les garanties juridiques voulues pour que toutes les personnes relevant de sa juridiction puissent, individuellement ou en association avec d'autres, jouir en pratique de tous ces droits et de toutes ces libertés». 5