La spectroscopie : l œil du chimiste"... La chimie est dans tout ce qui est matière et dans les transformations que subit celle ci. Discipline centrale, elle connaît des développements considérables dans les sciences de la vie et dans les sciences de l univers. La chimie est un des tous premiers champs d application et de découverte de la physique. Sous ses aspects macroscopiques, la matière est visible et, par opposition à la notion de virtuelle, on emploie couramment la notion de matériel. Ainsi dans ces aspects molaires ou macroscopiques la chimie est visible, colorée, odorante : des moles de NaCl, cristal blanc dans une salière, d H 2 O dans une carafe d eau. Il en est tout autrement à l échelle microscopique, c est à dire atomique et moléculaire. On ne peut voir directement les molécules. Les progrès constants des techniques d analyses permettent de voir l image de gros atomes àla surface de solide (MEB) mais l observation directe de la molécule, notamment de la chimie organique, n est pas réalisable (à ce jour) voire réaliste (principe d Heisenberg). La dimension des objets moléculaires en chimie organique, interdit une observation directe. Les molécules de la chimie organique classique sont constituées d atomes parmi les plus légers, en particulier l hydrogène (le plus petit) mais aussi d atomes de la seconde période C, O, N de tailles très faibles. Les longueurs de liaisons sont de l ordre de l Angstrom 10 10 m ou 10 1 nanomètre. C 2 H 6 O devient CH 3 CH 2 OH 1
De plus les organiciens sont très concernés par la stéréochimie des molécules, c est à dire, qu'au delà de la connectivité des atomes, ils souhaitent connaître leur position dans l espace, avec la mesure des angles de liaisons, la possibilité de rotation autour de ces liaisons etc. De façon plus académique, on peut dire que les représentations qui précédent sont des sortes d'"idéogrammes" à la disposition des chimistes combinant lettres de l alphabet pour les noyaux des atomes et des traits pour les liaisons. Cette représentation est un codage, mais pas une vision de la molécule. 2
Les sauts d'énergie Les éléments constitutifs de la molécule sont les atomes, dont les électrons et les noyaux sont caractérisés par des nombres quantiques spécifiques. La spectroscopie trouve des informations dans l étude de transitions entre les niveaux d énergies moléculaires ou atomiques résultant des quanta spécifiques àces différents nombres quantiques. La théorie quantique montre que l énergie E d une molécule ne peut prendre que certaines valeurs discrètes. Il en résulte que la molécule en passant d un état énergétique àune autre, peut émettre ou absorber un photon d énergie selon la relation : E 1 E 2 = h 3
Les spectroscopies s intéressent àl ensemble des sauts d énergie possibles que permettent de prévoir nos connaissances sur la quantification des énergies atomiques et moléculaires. Ces sauts d énergie couvrent une très grande gamme d énergie donc de fréquence (E=hν), couvrant plus de 14 puissances de 10, avec des fréquences de l ordre de 10 18 hertz et des énergies de l ordre 10 5 kj par mole (rayons X) ou des fréquences de l ordre de 10 4 hertz et des énergies de l ordre 10 9 kj par mole (fréquence radio). 4
Ainsi, sans prétendre être exhaustif, on peut tenter un inventaire par énergie décroissante : les spectroscopies photoélectriques : PES, ESCA, Auger, les spectroscopies électroniques : UV et visible,... les spectroscopies vibrationnelles : IR et Raman,.. les spectroscopies rotationnelles : micro ondes, les spectroscopies magnétiques ou de spin : RMN et RPE Les spectroscopies résultent d une interaction onde matière, avec un échange d énergie entre la molécule ou l atome (niveaux quantifiés) et une onde électromagnétique de fréquence et d énergie hégale àcelle de la transition moléculaire observée 5
Avant de revenir en détail sur le classement des différentes spectroscopies, il est utile de donner un bref rappel sur les ondes électromagnétiques. La spectroscopie repose sur la propriété qu a un atome ou une molécule, lors du passage d un état énergétique vers un autre, d émettre ou d absorber un photon tel que ΔE=E 1 E 2 =hν 6
Spectroscopies électroniques Les spectroscopies électroniques sont de loin les plus anciennes. Elles peuvent être sommairement décrites, pour une grande partie d entre elles, comme des spectroscopies d absorption conduisant àun état excité de l électron sans émission de ce dernier. Elles s intéressent donc à des transitions qui concernent des électrons éloignés du noyau, parfois de valence, et elles opèrent dans le domaine de l ultraviolet et du visible Dans ces domaines d énergie, s agissant des molécules, on retient le nom de spectroscopie moléculaire dans l UV et le visible. Dans un atome, une variation de l énergie électronique donne naissance à une seule raie spectrale. Dans une molécule une telle variation est aussi associée àune modification des énergies de vibration et de rotation, ce qui conduit à des spectres de bandes, on a : hν = h ( ν e + ν vib + ν rot ) Les fréquences associées étant pour ν e : de 310 12 à3 10 13 Hz (niveau électronique) ν vib : de 15 10 10 à310 12 Hz (niveau vibratoire) ν rot : de 310 10 à610 10 Hz (niveau rotatoire) 7
Spectroscopies vibrationnelles Comme nous l avons précédemment décrit, lors du passage de l étude des atomes à celle des molécules apparaît un élément nouveau : le positionnement relatif des atomes de la molécule les uns par rapport aux autres. Bien que définis par la structure, ces positions subissent des variations infimes (distances, angles) que l on regroupe sous le nom de vibrations. Ces vibrations, nous l avons vu, perturbent les états d énergie électronique dans la mesure où, par exemple, l éloignement entre deux atomes à une influence sur l énergie nécessaire à leur liaison. Les perturbations de l énergie de liaison résultant de ces vibrations autour de la longueur (ou l angle) de liaison idéal, sont quantifiées. La spectroscopie vibrationnelle s intéresse aux transitions entre ces niveaux fins. Elle est particulièrement féconde, dans la recherche des structures puisqu elle permet d identifier des regroupements d atomes (au minimum les deux associés par la liaison étudiée). Deux grandes familles de spectroscopies vibrationnelles sont développées pour l élucidation structurale : 8
la spectroscopie infrarouge qui fera l objet d un chapitre particulier, c est la technique incontournable dans l étude des fonctions (groupement d atomes spécifiques) la spectroscopie Raman, qui conduit àdes informations voisines et complémentaires, moins développée mais parfois incontournable (fonction symétrique qui conduit à une absence de moment dipolaire donc inobservable en infrarouge). Le domaine d énergie de ces spectroscopies est souvent décrit en nombre d onde et couvre 200 cm 1 à 4000 cm 1. Ce domaine porte le nom de moyen infrarouge. Les nombres quantiques concernés par cette spectroscopie sont ceux qui sont liés aux états vibrationnels (et rotationnels). 9
Spectrométrie de masse Pour terminer, la spectrométrie de masse n est pas une spectroscopie telle que définie dans cette introduction. Cependant on peut considérer que les masses des atomes sont quantifiées et qu accéder à la mesure de ces masses est «quelque part» une étude de nombres quantifiés. Afin d éviter toute querelle d expert nous retiendrons pour cette technique, qui connaît de très fort développement, l appellation spectrométrie de masse et lui réserverons un chapitre. Notons, juste pour relativiser cette polémique sur la dénomination de?la masse? Qu avec l ICR (Résonance Cyclotronique des Ions), une des approches possibles de la spectrométrie de masse, on fait résonner des ions piégés dans une orbite cyclotronique et l on observe des échanges d énergie lors de résonance.. comme en RMN. Les nombres «quantifiés» concernés par la spectrométrie sont les nombres de masse des atomes. 10
Spectroscopies magnétiques ou de spin Avec ces spectroscopies, nous atteignons les transitions les plus courtes, les sauts d énergie ΔE les plus faibles que l on sache déceler. Jusqu à ce jour, l état de nos connaissances (hors la connaissance fine du noyau) n a pas identifié de niveau plus fin que les niveaux magnétiques décrits par la notion de spin électronique ou nucléaire. Initialement cette notion est quasiment une création mathématique, servant à résoudre d ultimes dédoublements de niveaux énergétiques. En moins de 60 ans, elle est devenue un outil structural de haute performance (RMN) et plus récemment un outil de diagnostic médical inégalable (IRM) et insuffisamment exploité. Les dédoublements des états quantiques de spin traduisent des possibilités diverses d orientation des électrons ou des noyaux par rapport àun champ magnétique, et sont d autant plus marqués que ces champs sont intenses. Il est donc classique de classer aussi ces spectroscopies comme étant des spectroscopies magnétiques. La présence d un aimant àchamp important (électroaimant ou cryoaimant) est une particularité des appareillages relevant de ces études. 11
Il existe deux types d appareils : ceux qui permettent l'étude du spin électronique (RPE : résonance paramagnétique des électrons) ceux qui permettent l'étude du spin nucléaire (RMN : résonance magnétique nucléaire). La RMN est certainement la spectroscopie la plus performante dans l élucidation structurale. S agissant de la chimie organique, nous consacrerons deux chapitres à la RMN : la RMN du proton (noyau d hydrogène, peau des composés organiques) la RMN du 13C (isotope observable du carbone, squelette des composés organiques). 12