ANALYSE DE LA CONJONCTURE PASTORALE AU QUÉBEC



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Transcription:

ANALYSE DE LA CONJONCTURE PASTORALE AU QUÉBEC Préambule : notre regard porte sur la situation de l Église catholique du Québec comprise à la fois dans sa réalité institutionnelle et non institutionnelle sans oublier, à partir de là, la réalité du christianisme au Québec (autres confessions chrétiennes). Par ailleurs, en lien avec la mission de Béati, nous choisissons de relever seulement des points qui nous semblent rejoindre ou devoir rejoindre directement les préoccupations de la fondation dans son travail de priorisation pour les futures années. Ce texte et notre discussion collective s inspirent aussi de notre connaissance des milieux à travers les divers projets reçus, analysés et refusés ou financés au fil des ans. Un constat général, à cet égard, s impose : le milieu pastoral se transforme rapidement et les projets qui en proviennent s avèrent moins nombreux et moins appuyés sur un milieu fort et structuré, que les milieux sociaux. La question : Comment favoriser et soutenir le maintien d une Église impliquée dans les enjeux de son milieu, engagée pour la justice? L analyse qui suit devrait nous permettre de saisir les enjeux actuels afin de nous permettre, par la suite, de dégager les stratégies et priorités de financement à prioriser pour les prochaines années. I- L Église demeure plurielle au Québec : elle s appuie sur des groupes non institutionnels plus ou moins stables, elle concerne toujours un bon nombre de communautés religieuses qui y travaillent selon leur charisme et leurs priorités. Les chrétienes engagées socialement constatent cependant ceci : il s agit d «une Église occupée à la réfection de sa maison plus qu aux luttes humaines de la rue 1» : L Église du Québec paraît absorbée dans une mission de base, i.e. la catéchèse aux enfants, les rites de passage, répondre aux demandes ponctuelles, rationaliser ses ressources (fusions de paroisses, fermetures d églises, etc.). Par ailleurs, un large pan de la quête de sens et de spiritualité lui échappe, comme à toutes les grandes institutions religieuses. À plusieurs égards, l Église institutionnelle ne semble pas répondre aux quêtes de repères éthiques, de sens et de spiritualités inédites pas plus qu elle ne se préoccupe réellement des transformations actuelles : mondialisation, retour des fondamentalismes religieux, inégalités grandissantes. La dimension sociale de la foi est surtout portée par des individus dans l institution. On constate que les communautés paroissiale ont de la difficulté à créer des ponts avec les personnes exclues et les organismes qui oeuvrent auprès de ces personnes. Plus encore, pour L. Baroni, l Église catholique est largement ignorée au Québec, «Repliée sur ellemême, elle croit que changer les meubles de place pourra rendre la maison plus invitante 2» (!) ( ) «elle évolue à l envers du christianisme» engendrant par là un sérieux mouvement, que plusieurs qualifient, de repli à droite (durcissement des positions doctrinales en suivant à la lettre les orientations romaines (la dernière en date : suppression des célébrations communautaires du pardon). Un écart s est creusé entre les pratiques ecclésiales et la culture moderne. Alors qu aujourd hui, encore près de 80% des québécois s identifient à la culture catholique, seulement une minorité s implique et s engage dans sa communauté paroissiale. Cet espace de rassemblement fait de moins en moins sens pour plusieurs de nos contemporains. On évalue que dans dix ans, la moitié des églises paroissiales auront fermé leurs portes. 1 Baroni, p. 1. 2 Idq., p. 3.

Les expériences autres que paroissiales ou diocésaines, qui se développent en marge des réseaux ecclésiaux officiels, ne sont pas reconnues et soutenues par l Église du Québec. Plusieurs intervenantes des milieux pastoraux évaluent la dynamique ecclésiale actuelle comme difficile, lourde, bureaucratique, ne favorisant pas les projets qui se développent en marge. Plusieurs agentes qui travaillent dans les milieux ecclésiaux témoignent que le contrôle ecclésial (voir diocésain - romain) est de plus en plus important. Ils/elles se sentent essoufflées, peu soutenues. Dans un tel contexte on constate que les animateur/rices de pastorale sociale, qui pouvaient être à l origine de projets novateurs soutenus par Béati, sont particulièrement touchées ces dernières années avec notamment la suppression progressive de leurs postes. II- Fragilisation des groupes : Dans ce même contexte, plusieurs groupes, plusieurs expériences originales font face à de sérieuses difficultés (autant au niveau de leurs ressources humaines à forte mobilité, qu au niveau financier). L absence de culture de développement de projet et souvent de faibles habiletés en gestion (ce qui a des effets sur la capacité de concevoir et de développer un projet) ont aussi des effets sur la capacité des groupes d assurer leur développement. III- Contre-courants : en parallèle et parfois souvent de façon souterraine, diverses expériences visent à élaborer des «laboratoires de sens 3». On commence même à parler dans le réseau des chrétiens engagés socialement, pour reprendre la terminologie du mouvement altermondialiste, de pratiques chrétiennes alternatives. Nous les retrouvons dans ce que l on appelle encore la pastorale sociale mais aussi dans d autres secteurs comme celui des femmes en Église, du partenariat femmes et hommes, l accompagnement de sens de nos contemporains (offre de lieux d expériences de ressourcement, d ouverture aux arts, d élaboration de liturgies faisant sens, etc), du dialogue oecuménique et interreligieux (encore balbutiant au Québec). Ces «initiatives sont parfois à la marge des normes institutionnelles et paraissent ambiguës aux yeux des croyants. 4» Pour Lemieux, elles «sont les faits d une Église missionnaire d un nouveau modèle, qui cherche moins à convertir qu à accompagner l humain dans sa quête, voire dans sa misère, là où la souffrance se fait lancinante.». Ces contre-courants prennent aussi publiquement la parole, notamment ces derniers temps, en réaction à certaines positions épiscopales (Litanie du peuple de Dieu-réseau femmes et ministères (mars 05) Québec; lettre ouverte à Mgr Ouellet-Collectif de croyants (février 05); lettre à nos évêques et à tout le peuple croyant-culture et foi (avril 05)). Les termes employés sont cinglants et les analyses fort bien articulées : il s agit de croyantes qui n hésitent pas à affirmer leurs positions de distance face à une institution dans laquelle ils ne se reconnaissent plus comme en témoigne cette citation «à titre de catholiques québécois, nous disons non à une Église qui s abaisse au niveau d un vulgaire lobby de droite en s associant publiquement aux positions les plus réactionnaires et les plus conservatrices de notre société. ( ) Ce catholicisme de la citadelle assiégée est une trahison de Vatican II, de la commission Dumont et des synodes tenus dans de nombreux diocèses du Québec 5». Enfin, nous notons que dans le contexte sociologique actuel, nos contemporaines, s ils restent pour certaines préoccupées d engagement social chrétien (cela concerne plus particulièrement et majoritairement une certaine génération), ne se situent pas d abord vis-à-vis de ce lien. Leurs préoccupations sont d abord de l ordre d une recherche individuelle de spiritualité qui fasse sens et soit cohérente. Dans ce sens, les options et les orientations de la Fondation Béati sont en partie à contre-courant du courant religieux dominant au Québec. 3 Idq., p. 4. 4 Lemieux. 5 Collectif, p. 3 2

IV- Réseaux fragiles et peu nombreux : Il existe peu de réseaux et de «mouvements chrétiens» formels au Québec. Le plus important est le Réseau oecuménique justice et paix (ROJEP) issu de la coalition québécoise du Jubilé. Ce réseau rassemble aujourd hui une quarantaine d organismes, essentiellement nationaux. Il y a aussi les Journées sociales du Québec qui cherchent à rassembler, à tous les deux ans, des chrétienes engagées socialement ainsi que des personnes et des groupes qui partagent les mêmes préoccupations. De plus, il y eut l expérience du Roches qui visait à favoriser également la mise en réseau de groupes chrétiens et d inspirations chrétiennes autour de l enjeu du financement. Cependant l expérience a dû cesser faute de participants. Comment comprendre la difficulté de faire réseau (de faire Église). Nous osons à ce propos une hypothèse : la culture ecclésiale a davantage fonctionné, dans son modèle le plus commun, la paroisse, par secteurs, n encourageant ainsi pas vraiment l établissement de ponts, de réseau. Il ne faut donc pas vraiment s étonner de cette déficience. Par ailleurs, la société actuelle n est pas porteuse d un modèle communautaire stable mais au contraire fortement marquée par les regroupements affinitaires, les appartenances flexibles et plurielles. La vision de mouvements, de réseaux qui s est davantage développée dans le milieu communautaire québécois a de la difficulté à se transposer dans le monde et l univers religieux. Il faut mentionner qu au niveau universitaire, et ce, malgré la fermeture de plusieurs départements de théologie, plusieurs professeurs de l'udm se sont unis pour fonder un Centre de théologie et d éthique contextuelles québécoises (CETECQ) qui «cherche à créer un espace de liberté et de créativité où des partenaires de divers milieux puissent joindre leurs efforts, localement et au plan international, dans des projets communs de justice et de solidarité à portée politique 6» V- Difficulté à se dire : à la fois en paroles et en gestes. On observe effectivement une crise du «C» des organismes chrétiens (C) qui, voulant se démarquer d un jargon théologique dans lequel ils ne se reconnaissent plus, éprouvent une réelle difficulté à dire leur lien avec le patrimoine chrétien dont ils sont issus. Plus encore, même au niveau de leurs pratiques, il existe une sorte d handicap, de pudeur à identifier le lien avec l ouverture qu elles portent vers un au-delà. Pour L. Baroni, le citoyen québécois lui-même «se reconnaît fort difficilement dans l idée qu une interprétation théologique puisse nourrir le sens de sa réflexion et de son engagement.». Dans cette logique, «ne vaudrait-il pas mieux nous éloigner de notre tradition religieuse et de ses interprétations anciennes et travailler à la naissance d un christianisme nouveau qui s arrime aux valeurs éthiques promues par les militantes et militants sociaux? 7». La fondation, n a-t-elle pas un rôle à jouer dans cet exercice de «nomination» pour collectivement trouver des mots, des gestes pour se dire, comme elle l a fait en 2004-2005 avec l organisme La maison le chez-nous. Dans cette même veine, nous notons également une difficulté à se nommer collectivement. Ces dernières années diverses expressions ont jailli pour tenter de désigner les groupes intervenant à la frontière du religieux et du séculier : groupes d inspiration chrétienne, chrétiens autonomes, chrétiens alternatifs, etc. Aucun de ces termes n est arrivé à bien nommer la réalité vécue par ces organismes issus de la tradition chrétienne. VI- Difficulté à transmettre (à se transmettre): cette difficulté a certes davantage surgi avec le rapatriement de l éducation de la foi dans les paroisses mais en même temps plusieurs organismes chrétiens (comme d ailleurs des organismes communautaires) connaissent de sérieux problèmes de relève comme s ils n avaient pas su transmettre leur héritage et donner le goût aux plus jeunes de poursuivre la mission. Au niveau chrétien, plusieurs groupes développent des projets de «faire 6 Beaudin, p. 3. 7 Idq., p. 5. 3

mémoire» sous la forme de publications relatant leurs histoires. Mais est-ce suffisant? Cela donne davantage l impression d une malhabileté devant l urgence qui frappe aux portes. «S ils désirent s assurer d une relève, les organismes et les regroupements chrétiens doivent devenir, encore plus qu ils ne le sont déjà des lieux de transmission 8.» Mais que transmettre et comment, c est là tout un défi à relever, avec urgence, pour les prochaines années. Les groupes chrétiens engagés socialement vivent particulièrement cette difficulté. Plusieurs hypothèses peuvent être mises de l avant pour expliquer un tel état de fait. Ce qui semble assez clair, c est qu il y a un déplacement actuellement chez plusieurs par rapport au fait religieux. Pour mieux circonscrire cet enjeu, nous pouvons relever comme deux typologies de croyantes, de deux époques différentes (!). Le croyant engagé : «C est de l intérieur du catholicisme qu il a découvert l engagement social comme réponse à ses aspirations spirituelles et religieuses ( ) 9» et l engagé croyant pour lequel sa militance est d abord séculière «la tradition religieuse arrive en second, non pas dans le sens d accessoire, mais bien dans la perspective d un second regard, à distance de l action. 10» La majorité des jeunes et un nombre important de militantes dit chrétiens s apparentent davantage à des engagés croyants qu à des croyants engagés. Cela a pour conséquence que les valeurs de «faire communauté» et de nommer explicitement leurs engagements en lien avec leur foi, ne sont de loin pas leurs préoccupations majeures. Leurs expressions de foi s expriment largement en dehors de ces catégories. Comment en tenir compte sans risquer de vouloir continuer à plaquer un modèle ne correspondant plus à leur réalité? Par ailleurs, en contrepartie, d après l enquête réalisée par le CPMO, les militantes expriment des besoins forts concrets qui dénotent donc des manques : besoins de lieux pour se raconter, de temps de gratuité pour fêter, pour célébrer, d espaces permettant de «retourner à la source» pour établir le lien entre leur engagement et leur foi. À ce titre, il y a un défi pour les milieux chrétiens engagés socialement «de l intérieur même de leurs luttes pour la justice et la solidarité, à redécouvrir le sens de la célébration et de la liturgie 11». VII- En recherche de jeunes et des jeunes en recherche: En 2002, le service d animation pastorale est remplacé dans notre système scolaire par un service non confessionnel d animation spirituelle et d engagement communautaire. Ce changement a eu des effets importants sur les réseaux pastoraux au Québec. En fait, pour plusieurs observateurs et chercheurs nous assistons à «un moment de grande désorganisation alors que ces Églises se voient soudainement privées du réseau sur lequel elles se reposaient pour assurer une présence pastorale auprès de la jeunesse. 12» Cela dit, on observe une mobilisation de nouveaux acteurs-trices autour de la mission catéchétique. Parents, catéchètes et enfants se regroupent davantage autour de l éducation de la foi. Les adolescents et jeunes adultes montrent un attrait pour divers types de regroupements et de spiritualités, apparemment moins centrés sur la justice et la transformation du monde. L élaboration d une foi, l initiation à une vie spirituelle et la découverte de Dieu paraissent occuper tout l espace : est-ce une étape obligée avant l engagement? Faut-il voir dans ces expériences d évangélisation de base un lieu que Béati pourrait investir d une certaine manière, pour assurer le développement d une dimension plus sociale et innovatrice de la foi? Par ailleurs, on observe aussi une décroissance dans les mouvements d action catholique (avec également une décroissance de leurs ressources financières due à des choix d orientation (JMJ)) 8 Perreault, p. 4. 9 Idq. p.6. 10 Idq. 11 Idq. p. 9. 12 Routhier, p. 3. 4

comme dans les instituts religieux qui auparavant offraient de multiples lieux et expériences de vie aux jeunes (camps, sessions, etc.). Aujourd hui, plusieurs communautés «nouvelles» rejoignent des jeunes dans une perspective de Nouvelle évangélisation, telle que fortement suggérée par Rome. Dans ces groupes l engagement pour la justice n est pas premier. C est l individu qui doit se construire à l image du projet de Dieu et non la société à investir afin qu elle soit le reflet du projet de justice et de paix proposé par le Christ des évangiles. VIII- Modernité religieuse (spirituel) et émergence d une spiritualité interreligieuse. La majeure partie des contemporaines ont une quête assez individuelle de sens et de spiritualité, caractérisée par son flou et sa composition libre. Un petit nombre de personnes plus impliquées dans l un ou l autre sillon explorent par ailleurs les voies du dialogue et du pluralisme religieux, «qui se trouvent coincées à l intérieur d un système dogmatique qui handicape son plein épanouissement 13» de même que sa pleine expérience. Il y a urgence dans le domaine tant au niveau des expériences à initier ou à poursuivre que du discours à élaborer. «Le chrétien éprouve un urgent besoin d une théologie des religions pour mieux nommer son identité chrétienne face aux autres traditions religieuses et pour marcher avec assurance et d une manière dialogale sur le terrain mal exploré du pluralisme religieux 14.». Dans ce registre, peu d expériences nous sont connues, mentionnons celle déjà soutenue par Béati, Groupe féminisme et interspiritualité. lx- Une Église aux multiples visages En terminant, cette analyse nous semblerait incomplète sans un regard sur l influence des communautés culturelles sur la réalité pastorale au Québec. Quoiqu une réalité avant tout urbaine, l Église catholique du Québec, comme la société est aujourd hui composée de gens de différentes origines et de différentes traditions religieuses. Cette pluralité colore la vie des communautés chrétiennes. Les membres des communautés culturelles issus des dernières grandes vagues d immigration (cf. : sud-américaine, européenne de l est, africaine, haïtienne) restent fortement attachés à l espace paroissial. La paroisse joue pour beaucoup de nouveaux arrivants le même rôle que cette institution jouait au Québec par le passé. Elle est un lieu d ancrage communautaire important, quoique pas exclusif. Martine Floret, 2005. (avec la collaboration de Solange Lefebvre, Michel Campbell et Jacques Bordeleau) 13 Bergeron, p. 149. 14 Idq. p. 165. 5

Bibliographie Articles, conférences : -BARONI Lise, «Quelques défis éthiques mondiaux. Perspectives chrétienne. Point de vue québécois», conférence donnée au premier séminaire international de théologie de la libération, Porto Alegre, février 2005. -BEAUDIN Michel, «Théologie et libération dans le contexte du Québec», conférence donnée au premier séminaire international de théologie de la libération, Porto Alegre, février 2005. - COLLECTIF, Lettre ouverte à Mgr Marc Ouellet, Le Devoir, février 2005. -LEFEBVRE Solange, «Puissante et faible. Jean-Paul II décédé, qu adviendra-t-il de cette Eglise dans les pays d Occident?», La presse, 4 avril 2005. -LEMIEUX Raymond, «La vitalité paradoxale du christianisme au Québec», Journal de l association des diplômé-es en théologie et sciences religieuses de l Université Laval. -PERREAULT Jean-Philippe, «L avenir de ce qu il y a de chrétien dans l engagement social», Relations, avril 2005. -RÉSEAU FEMMES ET MINISTÈRES QUÉBEC, Litanie du peuple de Dieu, 2005. -ROUTHIER Gilles, Notes personnelles, 2005. Livres : -AUDET Jean-Paul, Dimensions religieuses de la culture occidentale, Des sources, 2004. -BERGERON Richard, Hors de l Église plein de salut, Médiaspaul, 2004. -DUMAS Marc, NAULT François, Pluralisme religieux et quêtes spirituelles, Fides, 2004. -PROVENCHER Normand, Trop tard? L avenir de l Eglise ici, Novalis, 2002. 6