Situé à 80 km à l est de Lyon, le lac du Bourget



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Récupération de bois d œuvre et réemploi sur une station littorale de la fin du Bronze final : Conjux / Le Port 3, lac du Bourget, Savoie Yves BILLAUD Résumé : De récentes opérations subaquatiques sur le site érodé de Conjux / Le Port 3 ont permis de lever le plan des pieux visibles, au nombre de 223 avec presque exclusivement des chênes. Une interprétation est proposée avec huit bâtiments principaux et onze petites constructions (greniers?). La structure de ce petit village est compacte avec des alignements de pieux réguliers et orthogonaux comme sur les grandes stations du Bronze final. Mais, les petites dimensions (1800 m²), l absence de palissade et la présence de structures annexes évoquent plutôt les sites terrestres. À partir de l analyse dendrochronologique d un tiers des pieux, un schéma d évolution est proposé avec, juste avant, la construction de deux bâtiments à l aide de bois de réemploi abattus de à, très probablement récupérés sur une station proche. La phase principale de construction est datée de. En, seuls de petits greniers sont bâtis. Mots-clés : Savoie, lac, littoral, âge du Bronze, habitat, dendrochronologie, architecture Abstract: Recent archeological investigations on the eroded site of Conjux / Le Port 3 allowed the plotting of the visible posts, in all 223, almost all oaks. An interpretation is proposed with eight main buildings and eleven small buildings (granaries?). The structure of this little village is compact, with regular and orthogonal lines of posts as with the large settlements of the Late Bronze Age. Howewer the small size (1800 m²), the lack of a palisade and the presence of outbuildings is more reminiscent of terrestrial settlements. On the basis of the dendrochronological analysis of a third of the posts, a scheme of evolution is proposed with the building of two houses just before, with reused posts (trees felled from to ) very probably salvaged from a near lakeshore dwelling. The major phase of occupation is dated to. During only small granaries were erected. Keywords: Savoie, lake, shore, Bronze Age, settlement, dendrochronology, architecture Situé à 80 km à l est de Lyon, le lac du Bourget développe ses 18 km de longueur au contact entre les chaînons calcaires subalpins et la terminaison méridionale du Jura. Il recèle plusieurs grandes stations du Bronze final dont la connaissance était encore récemment limitée à l abondant matériel dragué sans aucun souci du contexte stratigraphique durant la deuxième moitié du XIX e siècle. Ce n est qu à partir des années 1950 que les premières observations directes sont réalisées en plongée par des précurseurs de l archéologie subaquatique comme le Lyonnais Raymond Laurent, tra- 475

Y. Billaud Récupération de bois d œuvre et réemploi sur une station littorale de la fin du Bronze final : Conjux / Le Port 3, lac du Bourget, Savoie Près Nuaz Les Côtes Le Port 3 N la Savière Conjux I Conjux 2 5 km Aménagement Station érodée Station avec niveaux organiques conservés Châtillon Port Lac du Bourget la Leysse Chindrieux Grésine Est Grésine Ouest Meimart 2 le Sierroz Le Saut Les Fiollets Lac du Bourget Figure 1 - Situation de la station de Conjux / Le Port 3 et des sites Bronze final du lac du Bourget. Situation historique La recherche d éléments de compréhension des formes de l habitat sur les rives du lac du Bourget nous a amené à nous intéresser à une petite station découverte au cours des prospections systématiques destinées à compléter la carte archéologique du lac (Marguet, 2002a) et sur laquelle une première campagne de topographie avait mis en évidence des alignements nets, mais non interprétés (Marguet, 2002b). Située au nord du lac (fig. 1), dans la vaste baie de Conjux, à près de 600 m de la rive actuelle, la station du Port 3 est actuellement recouverte par quatre mètres d eau. Au sud, deux autres stations du Bronze final sont référencées : Conjux I, du Bronze final 3b, connue depuis le XIX e siècle et Conjux 2, du Bronze final 2b, repérée dans les années 1970. En 2005, une courte intervention d une semaine permettait de largement étendre la topographie des pieux visibles et de proposer une première interprétation des structures (Billaud, 2006). L année suivante, à l issue de deux semaines de plongée, la totalité du site a pu être couverte avec en parallèle des décapages visant à préciser la nature des niveaux archéologiques et à prélever des échantillons de pieux. Ces décapages ont été poursuivis en 2007 pendant deux nouvelles semaines de terrain. vaux dont il ne reste malheureusement que peu de données exploitables. En 1980, avec la création par le Ministère de la Culture du CNRAS (Centre National des Recherches Archéologiques Subaquatiques, actuellement intégré au DRASSM), les opérations de terrain deviennent plus systématiques et visent à une révision de l inventaire des rives (Billaud et Marguet, 2007). Depuis la fin des années 1990, les grandes stations du Bronze final font pour leur part, l objet de campagnes d évaluation par carottages et sondages stratigraphiques sous notre direction (Billaud, 2008). Ces campagnes ont permis de caractériser les emprises des stations (pieux visibles, niveaux organiques...) et ont montré sur plusieurs d entre elles une excellente conservation des couches archéologiques, sans perturbations par les dragages du XIX e siècle. Mais, si de nombreuses données ont été obtenues tant pour la chronologie absolue que pour la typologie, il n en est pas de même en ce qui concerne les formes de l habitat. En effet, les surfaces ouvertes en sondage restent très réduites même comparativement à l emprise supposée d un bâtiment. D autre part, les topographies de pieux visibles sont difficilement interprétables (en l absence de datations systématiques) car étant des palimpsestes de phases d occupation. Stratigraphie et vestiges matériels Quelques carottages ont été effectués lors des premières opérations de terrain, mais n ont pas recoupé de niveaux organiques. Cette absence a été confirmée par nos décapages qui ont couvert une surface totale de 171 m² répartis en plusieurs secteurs. Ils montrent que le niveau archéologique se résume à un horizon relictuel avec, épars, des cailloux et du matériel érodé reposant directement sur le substratum de craie et recouvert par une dizaine de centimètres de craie volatile. En raison de l érosion avancée de la couche et de la dispersion du matériel, il a été choisi de procéder à un ramassage systématique. Le maillage retenu est calqué sur celui des triangles équilatéraux de 5 m de côté utilisé pour la topographie de pieux, en subdivisant ces grands triangles en petits triangles de 2,5 m de côté (soit une surface unitaire de 2,7 m²). Les éléments particuliers (grands tessons, lithique, bronze) ont été positionnés en plan. Sur l ensemble des décapages réalisés à ce jour, le matériel archéologique comprend essentiellement des tessons de céramiques, d un nombre total de 386 pour un poids de 20 kg. Les formes 476

8 e RMPR (Marseille 2008) Actualité de la recherche 0 2 10 cm Figure 2 - Sélection de formes céramiques (dessin et DAO Y. Billaud / DRASSM). sont typiques des productions de la fin du Bronze final 3b : coupes profondes, jatte à profil sinueux, jattes globuleuses, pots à cols faiblement éversés avec pour certains un décor de cordon modelé à la base du col (fig. 2). La faible représentation des céramiques fines et des formes fragiles (gobelets en bulbe d oignon...) est sans aucun doute liée aux conditions taphonomiques. Les autres vestiges sont peu nombreux avec, pour le bronze, une épingle à tête vasiforme longue de 151 mm et un petit anneau ouvert. Le lithique n est représenté que par un brunissoir utilisant un talon de grande hache polie et par un percuteur discoïde. Le matériel osseux est quasiment absent avec seulement sept dents (cheval, suidé et gros ruminant) dont la patine permet d envisager qu elles se rapportent à l occupation. Enfin, il est à mentionner 70 fragments de sole en terre cuite, dont certains de taille décimétrique. Pieux Si certains des pieux dépassent d une vingtaine de centimètres du fond (fig. 3), d autres sont à peine affleurants. À la différence des autres stations Bronze final du lac, il n a pas été observé de palissade de piquets. À l aide d un maillage triangulaire de 5 m de côté, 223 pieux, répartis en deux groupes d importance inégale, ont été topographiés sur une surface couvrant 60 m du nord au sud pour 30 m perpendiculairement. Il s agit essentiellement de pieux en chêne, accompagnés de quelques «bois blancs» (frêne, aulne) et aussi de quelques piquets. Les chênes sont tous refendus, mais possèdent encore leur aubier et fréquemment l écorce (fig. 4). Il n a pas été vu de traverse. Mais, une dépression dans le cône d érosion d un pieu pourrait être interprétée comme les restes d une encoche en queue d aronde dans laquelle aurait été engagée une traverse. 477

Y. Billaud Récupération de bois d œuvre et réemploi sur une station littorale de la fin du Bronze final : Conjux / Le Port 3, lac du Bourget, Savoie une répartition ne permettant pas de reconstituer une classique évolution par phase ; les autres bâtiments analysés sont très homogènes avec des bois abattus en, hormis un bois abattu en (bât. H) ; l abattage le plus récent, en, ne concerne que des petites structures annexes (M et P). Figure 3 - Aspect du site avec des pieux dépassant d un fond de craie volatile recouverte de végétation (cliché E. Champelovier / DRASSM). Compte-tenu de l existence d alignements nets et bien rythmés, une première interprétation a été proposée avec quatre couples parallèles de bâtiments (fig. 5, bât. A à H) associés à onze structures annexes (notées I à S) présentant de quatre à douze poteaux. L interprétation des bâtiments principaux avec une terminaison en patte d oie s appuie sur certains des quelques bâtiments connus sur le lac : les deux «maisons isolées» de Chindrieux / Châtillon, avec des abattages de -844 à -814, et le groupe de pieux de chêne d Aixles-Bains / La Culaz non datés en dendrochronologie, mais constituant un groupe homogène que le radiocarbone place dans l intervalle de 925-590 cal BC (Billaud et Marguet, 2009). Les deux bâtiments nord, bien que constitués de pieux aux abattages hétérogènes, paraissent bâtis en une seule fois, les décapages n ayant pas mis en évidence de traces de reprise ni de trous de poteaux résultant d arrachage. D autre part, il s avère qu un certain nombre des bois abattus de à présente des traces de xylophages. Le stockage en plein air n étant pas envisageable sur la longue durée, il est proposé un schéma d évolution du village avec : dans un premier temps, en ou juste avant, la construction des deux bâtiments les plus au nord en réutilisant des bois d œuvre (probablement récupérés sur le site proche de Conjux I) ; en, mise en place des autres bâtiments principaux et d au moins un bâtiment annexe (bât. S) avec un lot homogène de bois nouvellement abattus ; enfin, en, plusieurs petits greniers sont construits (avec au moins M et P). Dans certaines des structures les plus récentes (bâtiment G et grenier M), la présence de quelques pieux se distinguant des autres par des abattages anté- p019 () p020 () 0 5 25 cm p147 () Les pieux ont été systématiquement échantillonnés dans les surfaces décapées. Au total, 83 chênes ont été prélevés et transmis au laboratoire Archéolabs pour une étude dendrochronologique. Tous sont datés avec des abattages couvrant 20 années, de à (fig. 6). Avec les réserves liées à la représentativité des surfaces traitées et du nombre d échantillons analysés (à peine un peu plus d un tiers des pieux du site), il apparaît que : les bois abattus de à ne sont présents que dans les deux bâtiments nord (A et B), avec p148 () p163 () p216 () p217 () Figure 4 - Exemples de section de pieux. p169 () p187 (Fagus) 478

8 e RMPR (Marseille 2008) Actualité de la recherche Q J K E N G R A C L F O H S M I D berge large B P 0 5 10 15 20 25 m pieu en chêne pieu en bois tendre piquet décapage Figure 5 - Plan d ensemble des pieux, extension des surfaces décapées, proposition de reconstitution (synthèse Y. Billaud / DRASSM). rieurs de une à trois années, montre que dans la gestion du bois de construction existe également un stockage à court terme portant sur de petites quantités. D autre part, la relative abondance sur les bois, de blessures cicatrisées pourraient avoir des origines anthropiques et indiquer une gestion raisonnée de la forêt avec, par exemple, pour un secteur donné, l échelonnement sur plusieurs années de l abattage des arbres. Cette pratique permet, en dégageant de l espace par les premiers abattages, de favoriser le développement des arbres restants, mais aux risques que certains soient blessés par les chutes. Enfin, il est à noter que la totalité des chênes sont refendus à la différence des autres sites où le débitage longitudinal est quasiment absent, comme à Brison-Saint-Innocent / Meimart 2 datée autour de -950, ou tout du moins non exclusif comme sur les grandes stations de Chindrieux / Châtillon ou de Tresserve / Le Saut. En Suisse, sur le site d Hauterives-Champréveyres, la fréquence des bois refendus est inférieure à 6 % (Pillonel, 2007, p. 82). À titre d hypothèse, il est proposé que le choix architectural de troncs systématiquement refendus soit conditionné par la pénurie de bois d œuvre au moins facilement accessible. Bilan et perspectives À l issue de (seulement) cinq semaines cumulées de levés et de décapages en plongée, il a été possible, en conjonction avec les résultats des analyses den- 30 nombre d'échantillons datés (total 83) 25 20 15 10 5 1 Abattages 3 2 1 Xylophages (éch. 2007) 2 1 Problèmes de croissance (éch. 2007) Figure 6 - Diagramme de répartition des dates d abattages, de la présence de xylophages et de cicatrices de croissance. 479

Y. Billaud Récupération de bois d œuvre et réemploi sur une station littorale de la fin du Bronze final : Conjux / Le Port 3, lac du Bourget, Savoie drochronologiques, de proposer une interprétation du plan de pieux et un schéma d évolution du petit village littoral lacustre de Conjux / Le Port 3. Bien que seule une partie des pieux ait été analysée, des hypothèses sont proposées pour la gestion du bois d œuvre : abattages raisonnés, stockage sur le court terme pour de petites quantités de bois, refente systématique, réutilisation de bois d œuvre (probablement des madriers en provenance d un site proche). La réutilisation de bois d œuvre est envisagée sur certains sites littoraux suisses comme Hauterives-Champréveyres (Pillonel, 2007, p. 70). Elle est pour la première fois mise en évidence sur les lacs alpins français. Par son plan particulièrement lisible, la station de Conjux / Le Port 3 contribue à documenter les formes de l habitat du Bronze final. Mais, il amène plusieurs interrogations. En tout premier lieu, peutil être qualifié de village, notion sujette à débat pour le Bronze final (Vital, 2008)? D autre part, comment s inscrit-il parmi les grandes stations littorales du lac? Compte tenu de la datation extrêmement récente dans le Bronze final, il est tentant d envisager un déplacement de l habitat depuis la grande station de Conjux I, en réponse aux fluctuations lacustres liées à l amorce de la péjoration climatique du Subatlantique ; les deux bâtiments nord pourraient alors correspondre à une sorte d installation pionnière faite avec des matériaux de récupération. Mais, si cette occupation présente certaines des caractéristiques habituelles des grandes stations littorales comme l organisation générale orthonormée et la compacité, elle s en distingue par son emprise réduite, l absence de palissade et surtout par la présence de nombreuses constructions annexes, greniers à quatre, six ou neuf poteaux et par un petit bâtiment à deux nefs, éléments qui sont par contre courants dans les sites terrestres. L originalité des résultats obtenus incite à poursuivre les investigations sur cet habitat particulier, d autant qu il est menacé, au moins à moyen terme, par l érosion. Le premier objectif serait d obtenir des datations pour chacune des structures puis, si possible, de couvrir l ensemble du site. Au-delà de la simple datation, d autres pistes seront envisagées pour essayer de répondre aux interrogations sur la gestion du domaine forestier et sur l évolution du village, par exemple la recherche de groupes écologiques et l étude de leur répartition dans les différents bâtiments. Bibliographie Billaud Y. 2006 : L organisation architecturale des stations Bronze final du lac du Bourget (Savoie) : résultats récents à Conjux / Le Port 3. Bulletin de la Société Préhistorique Française, t. 103, n 1, p. 167-171. 2008 : Les stations littorales du Bronze final : perception et évaluation d un patrimoine subaquatique. In : Jacquet et al. (dir.), Autour du lac du Bourget, actes colloque, mai 2006. Le Bourget du Lac, p. 49-54. Billaud Y., Marguet A. 2007 : Préhistoire récente et Protohistoire des grands lacs alpins français : 150 ans de recherche, de la pêche aux antiquités à l étude des vestiges littoraux. In : Evin J. (dir.), Un siècle de construction du discours scientifique en Préhistoire. Volume 2 : «Des idées d hier...». Actes du 26 e Congrès préhistorique de France, Congrès du centenaire de la Société préhistorique française, sept. 2004, Avignon, p. 265-277. 2009 : Structures et vestiges de la fin de l âge du Bronze et de l âge du Fer sur les rives des lacs savoyards : récentes données de terrain. In : Roulière-Lambert M.-J. (dir.), De l âge du Bronze à l âge du Fer en France et en Europe occidentale (X e - VII e siècle av. J.-C.). La moyenne vallée du Rhône aux âges du Fer. Actes du 30 e colloque international de l A.F.E.A.F., co-organisé avec l A.P.R.A.B., Saint-Romain-en-Gal, mai 2006. R.A.E. (27 e suppl.), p. 361-371. Marguet A. 2002a : Savoie, lac du Bourget. Élaboration de la carte archéologique des gisements du lac du Bourget. In : Département des Recherches Archéologiques Subaquatiques et Sous-Marines. Bilan scientifique 2000. Ministère de la Culture, Paris, p. 117-137. 2002b : Lac du Bourget : Les Côtes, Conjux-Port 3. In : Département des Recherches Archéologiques Subaquatiques et Sous-Marines. Bilan scientifique 2001. Ministère de la Culture, Paris, p. 114-115. Pillonel D. 2007 : Hauterives-Champréveyres, 14. Technologie et usage du bois au Bronze final. Archéologie neuchâteloise 37, Office et musée cantonal d archéologie, Neuchâtel, 376 p. Vital J. 2008 : Architectures, sociétés, espaces durant l âge du Bronze. Quelques exemples dans le bassin rhodanien. In : Guilaine J. (dir.), Villes, villages, campagnes de l âge du Bronze. Éd. Errance, Paris, p. 179-201. 480