Philosophie 2010 Filière L Métropole Sujet 1 : La recherche de la vérité peut-elle être désintéressée? Sujet 2 : Faut-il oublier le passé pour se donner un avenir? Sujet 3 : Commentaire du texte d'aquin
Sujet 1 : La recherche de la vérité peut-elle être désintéressée? Sujet apparemment difficile en raison principalement du sens à donner au mot «désintéressée». Spontanément, nous pensons à l intérêt au sens courant du terme, c est-à-dire au profit. Le monde tel qu il est fait que nous pensons (quand nous ne pensons pas vraiment) que pour s investir dans une entreprise quelle qu elle soit fut-ce la recherche de la vérité il faudrait que cela nous rapporte directement ou indirectement. En effet (triste époque) : à quoi bon faire quelque chose, chercher quelque chose, si l on n en tire pas un substantiel bénéfice? Cette logique comptable semble être devenue la loi de nos comportements, alors pourquoi la recherche de la vérité y échapperait-elle? Si l on s en tient à cette compréhension immédiate et sommaire de l intérêt et du désintérêt (absence d intérêt), la réflexion risque de rapidement tourner court. Il faudra donc se poser sérieusement la question : qu est-ce qu une recherche désintéressée? Souligner l apparent paradoxe : en général, si je cherche quelque chose c est que cela m intéresse. Quand le professeur veut convaincre les élèves de chercher avec lui et par eux-mêmes, il leur promet que «c est intéressant!». L autre difficulté du sujet vient du verbe : «peut-elle être». L entraînement pendant l année à l analyse de sujets, doit avoir rendue familière aux candidats l équivoque de ce connecteur «Peut-on», «Peut-il», «pouvons-nous» etc.. Il signifie à la fois : «est-il possible?» et «est-il souhaitable (légitime)?». En l occurrence, on se demandera s il est possible que la recherche de la vérité soit désintéressée, mais sans oublier de se demander également s il est souhaitable qu elle le soit. «La recherche de la vérité», c est presque littéralement le sens du mot «philosophie». Même si la recherche de la vérité ne se limite pas à la philosophie, il pouvait être intéressant de suivre cette piste parce que la philosophie s est dès son origine (Socrate et Platon) confrontée à cette question de l intérêt. Opposé au sophiste qui cherche avant tout l intérêt en vendant son savoir, le personnage du philosophe tel que le présentent Socrate ou Platon est en effet celui qui cherche la vérité pour elle-même. Proposition de Plan : I. Est-il possible que la recherche de la vérité soit désintéressée? Au sens strict d absence totale d intérêt, cette question paraît absurde. L homme peut-il agir sans motivation, sans raison. Peut-être alors faut-il restreindre le sens de ce terme : «désintéressée» et comprendre la question au sens : La recherche de la vérité peut-elle ne pas avoir d autre intérêt que la vérité elle-même? Autrement dit, il s agit ici de savoir si la vérité possède par elle-même suffisamment d attrait. Platon comme plus tard Aristote ont fait de l étonnement l origine de la philosophie. Pour eux, c est la curiosité, l inquiétude de l homme face aux réalités qui l entourent qui ont poussé les hommes à philosopher.
Transition : Pourtant, dans les faits, nous voyons bien qu aujourd hui, la recherche de la vérité semble avoir succombé aux lois du profit. Si l on cherche à savoir, à connaitre, c est pour l utilité, le profit, la gloire...que cette connaissance peut nous procurer. II. Peut-elle être intéressée? Si un intérêt étranger s introduit dans la recherche de la vérité, celle-ci n est-elle pas alors vouée à l échec? En effet, si l intérêt domine alors on peut craindre que la recherche se désintéresse de la vérité. Dans les faits, on voit que la recherche scientifique par exemple est davantage tournée vers des domaines où une application technique est possible que vers la recherche fondamentale. En philosophie également, Epicure s intéresse moins à la vérité pour elle-même qu à ce qui est susceptible de libérer l homme de ses craintes. Si l on cherche la vérité par intérêt, alors la vérité n est plus qu un moyen d obtenir ce qui nous intéresse. On aboutit alors à une définition de la vérité où celle-ci semble vider de sa substance. W. James : «est vrai ce qui permet de prévoir d agir efficacement». On peut également penser ici à la critique nietzschéenne qui affirme que la recherche de la vérité est intéressée : c est la recherche de sécurité. Or, pour satisfaire cet intérêt qui la domine, c est une vérité rassurante que les philosophes cherchent. La vérité devient alors ce qui rassure, fut-elle une illusion. Et Nietzsche pose alors la question redoutable : de quelle dose de vérité sommes-nous capables? Pourrionsnous supporter que la vérité soit qu il n y a pas de vérité? Transition : L intérêt semble donc être une menace qui réduit la vérité à un simple moyen et la vide de sa substance. Dans le même temps, l absence d intérêt paraît impossible parce que l homme ne semble pouvoir agir que si son intérêt l y pousse... Nous sommes donc dans une impasse : la recherche de la vérité ne peut pas être désintéressée mais elle ne peut pas plus être intéressée. Soit elle perd sa motivation, soit elle perd son sens. La question initiale prend alors tout son sens et nous oblige à reconsidérer notre compréhension première de la notion d intérêt et de désintéressement. III. La recherche de la vérité est nécessairement désintéressée. Nous avons jusqu ici présupposé que le désintérêt était l absence d intérêt, ce qui laissait alors sans réponse la question des motivations possibles pour se lancer dans la recherche. Mais on oublie alors que si l on cherche la vérité c est d abord pour se libérer d une illusion, pour faire cesser le mensonge, ou en prenant conscience de notre ignorance. Pensons à Descartes et à sa remise en cause systématique de toutes les connaissances acquises. Ce qui motive Descartes, ce n est pas l utilité de la vérité qu il cherche sans savoir s il la trouvera, sans même savoir si la vérité existe (Descartes envisage un moment la possibilité que rien ne soit certain, que tout soit douteux). Ce qui motive Descartes c est avant tout de fuir l incertitude dans laquelle il se trouve.
Or, pour fuir le mensonge, il faut du courage, se lancer dans le vide. C est un pari qui accepte l hypothèse de son échec. Le désintéressement prend alors un autre sens. Il n est plus absence d intérêt, mais sacrifice, renoncement, humilité. L erreur dans laquelle nous sommes d abord tombés était de croire en l existence d une bonne volonté tournée vers la vérité, une volonté désintéressée. Or, Deleuze montre dans Proust et les signes que cette bonne volonté n est jamais l origine d aucune recherche (la recherche du temps perdu chez Proust est une manière de rechercher la vérité). Qui cherche la vérité? se demande Deleuze. Et il répond, c est le jaloux, c est-à-dire celui qui ne supporte pas de ne pas savoir. Or, la recherche de la vérité n est peut-être pas comme on a voulu le croire une volonté de savoir. Peut-être est-elle plutôt une volonté de sortir de l ignorance. Ce n est pas le savoir qui nous attire, mais l ignorance qui nous pousse.
Sujet 2 : Faut-il oublier le passé pour se donner un avenir? Difficultés : «Faut-il» comporte toujours une ambigüité. Cela signifie soit «Est-il nécessaire...?», soit «Est-il souhaitable...?». Ici, c est le second sens qui semble s imposer. Ce que le sujet demande c est : comment devons-nous vivre face au temps? Comment orienter notre existence? Vers le passé ou vers l avenir? Or, la caractéristique de ces deux formes du temps : passé/avenir, est qu ils n existent pas. Le passé n est plus et le futur n est pas encore. Seul le présent existe véritablement. La question est donc que faire de notre présent? Autre difficulté : que signifie «oublier le passé»? On pense ici aux paroles de L Internationale : «Du passé faisons table rase...». C'est-à-dire à la révolution. Oublier le passé pour se donner un avenir, c est donc faire la révolution. L idée implicite consiste ici à penser que le passé pèse sur notre avenir. Que tant que le passé existe, l avenir ne peut pas véritablement existé, qu il ne sera que la suite, la reproduction des mêmes choses. «Se donner un avenir», est également une expression intéressante. L avenir n est jamais donné. Tout peut s arrêter maintenant. L avenir n est donc jamais autre chose qu une possibilité. C est une ouverture. C est ce qui fait qu il est souvent associé à l espoir, au changement, au surgissement d une nouveauté. «Aujourd hui est un fauve/ Demain verra son bond» écrit René Char. L avenir est une promesse qui, comme toute promesse peut aussi bien ne pas se réaliser... Dans ce contexte, il peut paraitre dangereux d oublier le passé pour se livrer entièrement à l incertitude de l avenir. Le problème est donc complexe. Il présuppose on l a vu que le passé est un poids qui empêche à l avenir d exister autrement que comme la continuation des choses : le train-train, «metro-boulot-dodo». Le sujet suggère donc que pour que l avenir soit possible et il ne pourra jamais être que possible, probable, hasardeux.. il faut que le passé trépasse, sombre dans l oubli. Plan proposé : Lorsqu un sujet repose sur un présupposé il faut toujours commencer par l analyser et voir s il est fondé. Donc : I. Le passé est-il un poids? On peut penser à Nietzsche : De l utilité et de l inconvénient de la connaissance historique. Nietzsche montre que vivre avec le passé empêche de se tourner vers l avenir en tant que tel car, nous voulons toujours lire ce qui arrive (l événement) à la lumière de ce qui est déjà arrivé (le fait historique). On peut penser ici à l esprit de vengeance qui empêche de voir le présent. Accaparé par le souci de se venger d un affront subi, celui qui est animé par l esprit de vengeance ne pense qu à réparer l affront. Par conséquent il ne progresse pas, il ne veut que régresser, rejouer aujourd hui ou demain la scène humiliante d hier. Ceci est très bien vu dans la nouvelle de Joseph Conrad, Les Duellistes.
Mais est-ce le passé qui pèse ainsi? Le passé par définition n est plus. Ce qui pèse c est donc le souvenir, la mémoire, autrement dit la re-présentation du passé. D où la tentation d oublier pour se libérer. II. Faut-il oublier le passé? Il semble en effet impossible de vivre sans oublier. Une nouvelle de J-L Borgès, Funès ou la mémoire, imagine un personnage (Funès) qui n oublierait rien, qui conserverait absolument tout ce qu il a vécu. Très rapidement, le présent n est plus envisageable car les souvenirs l oblitèrent. Mais, pire encore, le passé lui-même dans son intégralité perd tout intérêt. Car se souvenir, c est garder en mémoire les moments importants, les moments heureux. Autrement dit, pour se souvenir il faut oublier. Il faut faire des choix. La mémoire est sélective. L oubli, contrairement à ce que l on pense généralement n est donc pas le contraire de la mémoire, il est sa condition sine qua non. Freud développe une conception voisine de celle-ci en affirmant que le névrosé souffre de souvenirs indisponibles. La souffrance du névrosé est dû à un passé qui ne passe pas, qui reste en travers de la gorge. Or, ce passé fait d autant plus souffrir que le malade n en garde pas le souvenir dans sa conscience. C est inconsciemment que le passé est conservé. Ainsi, si Freud cherche à libérer le patient de son passé, il faut d abord qu il lui donne les moyens de se souvenir de ce traumatisme enfoui. Le souvenir est donc lui aussi nécessaire à l oubli. Transition : La situation est complexe car nous avons jusqu ici vu qu il fallait oublier le passé pour ne pas s y enfoncer. Mais l oubli nécessaire est apparu comme une fonction de la mémoire. A l inverse, à travers la référence à la psychanalyse, il est apparu qu il fallait se souvenir du passé pour pouvoir l oublier. Il faut donc oublier pour pouvoir se souvenir et se souvenir pour permettre à l oubli de s installer. III. Oubli et souvenir sont des rapports au passé, non à l avenir. Oublier le passé est-il nécessaire pour se donner un avenir? Etrange question qui nous demande quel rapport nous devons avoir au passé pour avoir un avenir. Finalement, la question oppose passé et avenir, mais c est pour souligner le lien étroit qui les relie. En effet, je n ai d avenir que si j ai un passé. Si j oublie d où je viens, si je m oublie moi-même, alors ce n est pas moi qui aurait un avenir. Prenons le cas des amnésiques. Celui qui se réveille sans souvenir n a certes plus à porter le poids du passé, mais l avenir qu il a n est pas le sien puisqu il ne sait plus qui il est. Pour lui, c est une nouvelle vie qui commence, mais une vie amputée. On voit donc que l on ne règle pas les questions de l avenir par la négation du passé. Le temps est un. On peut bien sûr distinguer différentes formes : passsé Présent Avenir, mais fondamentalement ces trois manières d être du temps sont liées et n existent véritablement l une et l autre qu à travers les liens qui les rassemblent. On peut penser à Bergson pour finir. La conscience dit Bergson est un pont jeté entre le passé qui n est plus et le futur qui n est pas encore. La conscience n existe donc que comme lien, passage incessant de l un à l autre. Et ce passage c est le présent. C est là qu il faut vivre entre le plus et le pas encore.
Sujet 3 : Commentaire de texte Le texte se confronte à une distinction fondamentale et subtile entre la légalité (la loi) et la légitimité (la justice). La nécessité de cette distinction est ici mise en évidence à travers la contradiction interne à toute loi. En effet, en tant que telle, la loi ne peut exister autrement que comme une règle générale, c'est-à-dire invariable. Or, cette invariabilité est abstraite. Concrètement, la réalité des actes humains est faite de situations, de cas qui sont toujours des cas singuliers. Donc il existe des variations infinies dans les phénomènes que la loi doit régler, mais la loi elle-même doit être invariable. Cette contradiction amène donc des injustices qui ne sont pas dues à la non-application de la loi, mais qui, au contraire, viennent d une stricte application de la loi générale à un cas particulier qui prend en défaut l esprit de la loi. Face à ce problème d une application injuste de la légalité, Saint Thomas propose donc d introduire un concept nouveau : l équité. La thèse du texte est donc qu il ne suffit pas à loi d être juste ( de viser le bien), il faut encore qu elle soit appliquée de façon équitable. Alors qu est-ce que l équité? C est la question que pose finalement le texte : comment appliquée équitablement la loi? Plan proposé : Suivre les parties du texte (ici elles correspondent aux paragraphes 1), 2) et 3)) Dans chaque partie, l explication doit se concentrer sur les distinctions proposées et qui donnent au texte sa dynamique : général/particulier ; variations/invariabilité ; règle/cas, Justice/ légalité... Ces distinctions servent dans la première partie à montrer l absurdité d une application stricte de la loi (à la lettre) et aboutissent à la formule paradoxale : «le mal serait de suivre la loi établie». 2) Introduction de la notion d équité pour régler le problème précédent. L équité concerne l application de la loi, c est-à-dire le passage du droit (ce qui doit être) au fait (ce qui est). L équité doit régler les problèmes liés à une application de la loi qui ne tiendrait pas compte de la réalité des cas. Toutefois, l équité pose à son tour des difficultés car elle repose sur une appréciation, une interprétation des cas. Des formules comme «quand il le faut» et «quand il ne le faut pas» (appliquer la loi) sont certes généreuses, mais comment peut-on savoir quand il faut et quand il ne faut pas? Va-t-il falloir établir de nouvelles règles concernant l application de la loi? On retomberait alors dans les difficultés du début : les règles sont générales et les cas particuliers. 3) Conclusion : Il ne s agit pas de remettre en cause la loi elle-même. Autrement dit le problème n est pas la légalité. C est la justice qui est problématique, c est-à dire l application de la loi à la réalité infiniment variable des actions humaines. Autrement dit, ce n est pas le rôle du législateur qui est mis en cause, mais celui du juge qui doit mettre en œuvre les lois et celui du citoyen qui doit lui-même se déterminer. Or, le texte montre que «dans certains cas», être juste suppose de transgresser la légalité. Autrement dit : il faut parfois savoir désobéir aux lois pour rester juste.