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TRIBUNAL ADMINISTRATIF Jugement No 686 Affaire No 644 : REBIZOV Contre : Le Secrétaire général de l'organisation des Nations Unies LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DES NATIONS UNIES, Composé comme suit : M. Jerome Ackerman, vice-président, assurant la présidence; M. Hubert Thierry; M. Francis Spain; Attendu que, le 10 janvier 1992, Alexei Nikolayevitch Rebizov, ancien fonctionnaire de l'organisation des Nations Unies, a introduit une requête dans laquelle il priait notamment le Tribunal de bien vouloir : "... Annuler et mettre à néant la décision du 13 juin 1990 rendue par le chef du Service du personnel,...; Annuler et mettre à néant la décision du 14 octobre 1991; Annuler et mettre à néant une éventuelle décision sur mes performances professionnelles prise après le mois de novembre 1989;... Ordonner ma réintégration au sein du personnel de l'onu, avec tous les effets découlant des Statuts du personnel, à compter du 15 juin 1990;... Ordonner ma réintégration immédiate au sein du personnel de l'onu;

- 2 -... Ordonner la prolongation de mon contrat auprès de l'onu jusqu'au 14 janvier 1991, avec tous les effets, notamment pécuniaires découlant des statuts du personnel et de mon contrat." Attendu que le défendeur a produit sa réplique le 8 mars 1994; Attendu que le requérant a déposé des observations écrites le 7 octobre 1994; Attendu que, le 14 octobre 1994, le Tribunal a posé des questions au défendeur auxquelles celui-ci a répondu en soumettant des pièces à l'appui les 25 et 26 octobre 1994; Attendu que, les 2 et 3 novembre 1994, le requérant a demandé la production de documents supplémentaires et a fait des commentaires sur les pièces soumises par le défendeur; Attendu que les faits de la cause sont les suivants : Le requérant est entré au service de l'organisation des Nations Unies le 15 janvier 1989 comme traducteur adjoint à la Section russe de traduction (Département des services de conférence) de l'office des Nations Unies à Genève, avec un engagement d'une durée déterminée d'un an. Sa lettre de nomination précisait, sous la rubrique "Conditions spéciales", qu'il était "détaché par le Gouvernement de l'union des Républiques socialistes soviétiques". Le 17 novembre 1989, le chef de la Section russe de traduction a établi un rapport d'appréciation du comportement professionnel du requérant pour la période allant du 15 janvier au 18 novembre 1989 dans lequel il donnait au requérant quatre notes "C" (bien), six notes "B" (très bien) et une note "A" (excellent) et signalait qu'il était "loyal envers l'organisation". Le chef du Service linguistique a signé le rapport le 21 novembre 1989, attribuant au requérant la note d'ensemble "Bon comportement professionnel". Le requérant a signé le rapport le 22 janvier 1990.

- 3 - Le 5 décembre 1989, le chef de la Section russe de traduction a recommandé à l'administrateur chargé du Service linguistique une prolongation de six mois de l'engagement du requérant, qui devait venir à expiration le 14 janvier 1990. Le 22 décembre 1989, le chef du Service linguistique a recommandé au chef du Service du personnel que l'engagement du requérant soit prolongé d'un an. Le 26 février 1990, le requérant et deux autres ressortissants de l'urss ont adressé au Représentant permanent de l'urss auprès de l'office des Nations Unies à Genève une lettre dans laquelle ils alléguaient que certaines pratiques étaient encore suivies, ce qui les forçaient à violer les dispositions de la Charte ainsi que leur serment de fonctionnaires de l'onu. Ils en énuméraient quelques unes. Ils concluaient en soulignant qu'ils "[refusaient] d'exécuter les directives départementales incompatibles avec les normes et principes de la fonction publique internationale et de la Charte des Nations Unies." Par télégramme du 4 avril 1990, un fonctionnaire du Bureau de la gestion des ressources humaines au Siège a informé l'office des Nations Unies à Genève que le Bureau approuvait "sous réserve de l'accord du Gouvernement" la recommandation tendant à prolonger d'un an l'engagement du requérant. Le 18 avril 1990, le chef de la Section russe de traduction a écrit au chef du Service linguistique de l'office des Nations Unies à Genève pour lui rappeler que la Section avait recommandé une prolongation de six mois du contrat du requérant, qui avait néanmoins été prolongé d'un an, et lui faire observer que les services du requérant "n'avaient donné depuis aucun signe d'une amélioration". Étant donné "la qualité constamment insuffisante du travail" du requérant, il demandait que la question de "mettre fin au contrat [du requérant] après la période de six mois initialement proposée" soit réexaminée. Dans une réponse du 24 avril 1990, le chef du Service linguistique a regretté que les services du requérant ne se soient pas améliorés et a noté que le Siège avait approuvé une prolongation d'un an "sous réserve de l'accord du Gouvernement", accord qui

- 4 - n'avait pas encore été reçu. Elle disait que le requérant recevrait un contrat de courte durée "en attendant qu'une réponse soit reçue des autorités soviétiques." Elle affirmait à nouveau que la recommandation tendant à prolonger d'un an le contrat du requérant visait à faire bénéficier celui-ci "de la période normale de formation de deux ans" et elle concluait que "la décision relative à la prolongation de son contrat [dépendait] maintenant des autorités soviétiques". Le 30 avril 1990, le Bureau de la gestion des ressources humaines au Siège a envoyé à l'office des Nations Unies à Genève un télégramme qui se lit, en partie, comme suit : "... LE BUREAU DE LA GESTION DES RESSOURCES HUMAINES A REÇU L'ACCORD DU GOUVERNEMENT POUR PROLONGER L'ENGAGEMENT DE DURÉE DÉTERMINÉE [DU REQUÉRANT] JUSQU'AU 14 JUIN 1990 SEULEMENT PARCE QUE SES SERVICES FONT L'OBJET DE SÉRIEUSES CRITIQUES...." Le requérant a successivement reçu trois engagements de durée déterminée, jusqu'au 14 juin 1990. La formule de notification administrative donnant effet à la première prolongation, jusqu'au 15 mars 1990, l'indiquait comme étant la "prolongation de l'engagement de durée déterminée pour une période d'un an jusqu'au 14 janvier 1991." La rubrique "Remarques" note que c'était une "prolongation intérimaire en attendant la réception de l'accord du Gouvernement". Chacune des trois lettres de nomination indiquait, comme condition spéciale, que le requérant était "détaché du Gouvernement de l'urss". Le 14 mai 1990, le requérant a écrit une lettre au Représentant permanent de l'urss auprès de l'office des Nations Unies à Genève. Se référant à sa précédente lettre du 26 février 1990, il notait que lui-même et les deux autres fonctionnaires qui avaient écrit cette lettre avaient, depuis, "été soumis à des pressions constantes et été l'objet de diverses menaces de la part des fonctionnaires de la Mission soviétique" et que lui personnellement, à cause de la prolongation envisagée de son

- 5 - engagement, était devenu "la cible principale de ces mesures de rétorsion." Il déclarait qu'en mars 1990, au cours d'une conversation privée, l'adjoint de l'ambassadeur de l'urss avait proposé une prolongation de quatre ans de son contrat en échange du retrait de la lettre. A la suite de son refus, le chef de la Section russe de traduction s'efforçait de discréditer ses services "pour donner une justification fallacieuse au non-renouvellement de [son] contrat". Le même jour, le requérant a adressé copie de sa lettre au Sous-Secrétaire général à la gestion des ressources humaines et demandé à être protégé "eu égard à la gravité des menaces". Il se disait aussi préoccupé de ce que le chef de la Section russe de traduction "[s'efforçait] délibérément de discréditer mes services et mon comportement afin de donner après coup une justification fallacieuse à ses efforts visant à entraver le renouvellement normal de mon contrat". Le 29 mai 1990, le requérant a écrit au chef du Service du personnel de l'office des Nations Unies à Genève pour demander une prolongation de son engagement. Dans une réponse datée du 1er juin 1990, un administrateur du personnel l'a informé de ce qui suit : "l'approbation de la prolongation de votre contrat a été donnée jusqu'au 14 juin 1990 et nous n'avons donc pas le pouvoir de prolonger votre engagement". A la mi-mai 1990, le requérant a prié le Jury en matière de discrimination et autres plaintes (le "Jury en matière de discrimination") d'enquêter sur son cas. Le 1er juin 1990, le Jury en matière de discrimination a adressé au chef du Service du personnel de l'office des Nations Unies à Genève un mémorandum demandant que le contrat du requérant soit prolongé de deux mois de manière que le Jury puisse achever son enquête. Le 5 juin 1990, le chef de la Section russe de traduction a écrit au Jury en matière de discrimination, notant que l'obligation dont le Jury était tenu de faire diligence était incompatible avec une demande de prolongation. Il rappelait ses observations

- 6 - antérieures selon lesquelles sa demande tendant à mettre fin au contrat du requérant était "uniquement motivée par le fait que les services [du requérant] en tant que traducteur de l'onu ne donnaient jamais satisfaction". Il rappelait aussi que "dans le cas [du requérant], l'accord du Gouvernement n'[allait] que jusqu'au 14 juin 1990". Le 13 juin 1990, le chef du Service du personnel de l'office des Nations Unies à Genève a répondu notamment comme suit à la demande du Jury en matière de discrimination datée du 1er juin 1990 : "Veuillez noter que, le Gouvernement n'étant pas d'accord pour une prolongation de la période de détachement, le Bureau de la gestion des ressources humaines n'est pas en mesure de prolonger l'engagement [du requérant] au-delà du 14 juin 1990." Le 13 juin 1990, le Jury en matière de discrimination a informé le Sous-Secrétaire général à la gestion des ressources humaines que, sa demande de prolongation de l'engagement du requérant ayant été rejetée, il ne pouvait examiner l'affaire. Le 13 juin 1990 également, le chef du Service du personnel a écrit au requérant que, "le Gouvernement n'étant pas d'accord pour une prolongation de la période de détachement, le Bureau de la gestion des ressources humaines [n'était] pas en mesure de prolonger votre engagement au-delà du 14 juin 1990". Le 14 juin 1990, le requérant a quitté le service de l'organisation. Le 29 juin 1990, il a demandé l'asile politique au Gouvernement suisse, qui le lui a accordé le 14 mai 1991. Le 13 août 1990, le requérant a écrit au Secrétaire général pour lui demander de réexaminer la décision administrative de ne pas prolonger son engagement. Le 21 novembre 1990, il a demandé au Secrétaire général l'autorisation de saisir directement le Tribunal administratif. Le 16 janvier 1991, le Sous-Secrétaire général à la gestion des ressources humaines a fait savoir au requérant que le Secrétaire général avait donné son accord. Le 22 mai 1991, le

- 7 - Groupe mixte d'examen de l'office des Nations Unies à Genève, créé à la suite du jugement No 482 rendu par le Tribunal pour examiner le cas des fonctionnaires "en détachement" dont les engagements n'ont pas été renouvelés et qui ont soumis leur recours dans les délais, a saisi le cas du requérant. Le 14 octobre 1991, le requérant a été avisé des résultats de l'examen de son cas par le Groupe mixte d'examen de l'office des Nations Unies à Genève et de la conclusion du Groupe selon laquelle son engagement n'aurait pas été prolongé même si le requérant n'avait pas été en détachement. Le 10 janvier 1992, le requérant a introduit devant le Tribunal la requête mentionnée plus haut. Attendu que les principaux arguments du requérant sont les suivants : 1. C'est parce que le requérant critiquait la pratique du détachement ainsi que la manière dont le Gouvernement de l'urss traitait les fonctionnaires de l'onu ressortissants de l'urss que le défendeur a été amené à décider de ne pas prolonger son engagement. 2. La décision de ne pas prolonger l'engagement de durée déterminée du requérant au-delà du 14 juin 1990, était fondée uniquement sur le refus du Gouvernement de l'urss de donner son accord à une prolongation et viole l'article 100 de la Charte et les dispositions de l'instruction concernant le personnel PD/9/59, qui prévoit que les traducteurs doivent être recrutés pour un minimum de deux ans. 3. Les fonctionnaires appelés à évaluer les services du requérant ont fait preuve de discrimination contre lui et tout rapport d'appréciation de ses services postérieur à novembre 1989 est nul. En effet, le requérant n'a pas été consulté aux fins d'un tel rapport, et il n'a signé aucun rapport. Attendu que les principaux arguments du défendeur sont les suivants :

- 8-1. Le Groupe mixte d'examen a été établi pour que le cas des fonctionnaires soit pris en considération de manière indépendante et objective sur la seule base de leur travail et de l'intérêt de l'organisation, quelles que soient les vues de leurs gouvernements. 2. Le Groupe mixte d'examen de l'office des Nations Unies à Genève a dûment examiné le cas du requérant. La décision de ne pas nommer à nouveau le requérant était équitable et objective et elle a pleinement respecté ses droits découlant du Statut et du Règlement du personnel. 3. Le requérant n'avait aucun droit ni aucune expectative juridique à être maintenu en fonctions lorsque son contrat de durée déterminée est venu à expiration. Le Tribunal, ayant délibéré du 12 octobre au 11 novembre 1994, rend le jugement suivant : I. La demande du requérant a trait à la période de service qu'il a accomplie auprès de l'organisation des Nations Unies du 15 janvier 1989 au 14 juin 1990. Le requérant a été engagé le 15 janvier 1989 pour un an en qualité de traducteur à l'office des Nations Unies à Genève. En janvier 1990, le chef de la Section de l'administration du personnel de l'office des Nations Unies à Genève a demandé au Bureau de la gestion des ressources humaines d'approuver une prolongation d'un an de l'engagement du requérant. Le Bureau a donné cette approbation au début d'avril 1990 "sous réserve de l'accord du Gouvernement". Bien que le chef du Service linguistique ait, en avril 1990, réaffirmé sa recommandation de prolonger le contrat du requérant d'un an, le requérant n'a obtenu que des prolongations d'une durée totale de cinq mois allant jusqu'au 14 juin 1990. Pendant toute cette période, le requérant a été de façon erronée considéré comme détaché par l'urss. La base sur laquelle il

- 9 - a été employé par l'organisation n'était pas conforme aux normes d'un détachement valable formulées par le Tribunal dans son jugement No 482, Qiu, Zhou et Yao. (1990). De tous les éléments de preuve, y compris les lettres qu'un administrateur du personnel et le chef du personnel ont adressées au requérant les 1er et 13 juin 1990, il

- 10 - ressort clairement que le contrat du requérant n'a pas été prolongé après le 14 juin 1990, parce que les autorités du Gouvernement de l'urss n'y ont pas consenti. De fortes présomptions semblent indiquer que des lettres de protestation - comme celle de février 1990 - alléguant un certain comportement des autorités du Gouvernement de l'urss à l'égard de fonctionnaires qu'elles croyaient être détachés, y compris une ingérence dans leur travail, étaient la cause du refus de ces autorités de consentir à ce que le contrat du requérant fût prolongé au-delà du 14 juin 1990. II. C'est donc à tort qu'il a été mis fin le 14 juin 1990 aux services du requérant. Après que le Tribunal eut rendu son jugement No 482, l'administration a examiné la situation du requérant en vertu de dispositions adoptées par le Secrétaire général en vue de l'exécution de ce jugement. (Cf. jugement No 559, Vitkovski et Rylkov (1992)). En conséquence, le cas du requérant a été ultérieurement soumis à un Groupe mixte d'examen de l'office des Nations Unies à Genève pour qu'il examine s'il convenait d'accorder au requérant un autre engagement. Le rapport du Groupe mixte d'examen en date du 22 mai 1991, déclarait notamment: "... 2. Au cours de la séance que le Groupe a tenue le 22 mai 1991, le chef de la Section russe de traduction a formulé de nettes réserves au sujet des services [du requérant]. Il l'a qualifié de traducteur débutant le moins capable et n'a recommandé aucune prolongation. 3. Le chef du Service linguistique a ajouté qu'elle était convaincue que les services [du requérant] laissaient beaucoup à désirer et que par conséquent elle ne le recommanderait pour aucune prolongation. Compte tenu des services [du requérant], les membres du Groupe partagent ces vues."

- 11 - Le défendeur fait valoir, sur la base de ce rapport, que, même si le requérant n'avait pas été détaché, son engagement n'aurait pas été renouvelé. III. En raison de l'importance de cet argument du défendeur, le Tribunal a posé des questions à l'administration et aux membres du Groupe mixte d'examen au sujet du rapport du 22 mai 1991. Les réponses à ces questions font apparaître que l'observation du chef du Service linguistique figurant dans le rapport se fondait dans une large mesure, sinon totalement, sur les réserves formulées par le chef de la Section russe de traduction plutôt que sur sa propre évaluation. Ces réserves n'étaient pas corroborées par les éléments du dossier, compte tenu en particulier du rapport d'appréciation du comportement du requérant pour 1989. De plus, avant la cessation de service du requérant, le chef du Service linguistique avait recommandé que le contrat du requérant fût prolongé d'un an pour lui permettre de terminer sa période normale de formation et elle n'a pas retiré cette recommandation même après que le chef de la Section russe de traduction lui eut demandé de la réexaminer. L'avis de ce dernier, selon lequel le requérant était le traducteur débutant le moins capable, n'est pas corroboré par une comparaison de son rapport d'appréciation pour 1989 avec les rapports d'appréciation des autres traducteurs débutants. Le Tribunal constate aussi qu'il ressort des réponses aux questions qu'il a posées à d'autres membres du Groupe mixte d'examen que l'examen auquel ceux-ci ont procédé était inadéquat parce qu'il était, lui aussi, fondé sur les vues exprimées par le chef de la Section russe de traduction et non sur une évaluation attentive et indépendante de toutes les preuves pertinentes, y compris le rapport d'appréciation du comportement professionnel du requérant pour 1989, qui était satisfaisant. Enfin, il apparaît que le chef de la Section russe de traduction faisait l'objet d'une plainte que le requérant a adressée en mai 1990 au Sous-Secrétaire général à la gestion des ressources humaines

- 12 - et au Jury en matière de discrimination au sujet de la manière hostile et partiale dont le chef de la Section était intervenu le mois précédent au sujet de la proposition normale de la prolongation du contrat du requérant. De tous les éléments de preuve, le Tribunal ne peut que conclure que, dans les circonstances de l'affaire, le rôle prédominant joué par le chef de la Section russe de traduction dans les travaux du Groupe mixte d'examen était hautement contestable et que les mesures prises par lui l'étaient à titre de représailles. IV. Le défendeur a informé le Tribunal d'une offre faite au requérant, après qu'il eut quitté le service de l'organisation, pour tenter de régler la situation procédant de sa réclamation; le Tribunal a notamment été informé des conditions précises de l'offre ainsi que de la réponse du requérant. Comme l'offre et la réponse n'ont pas d'incidence sur le fond de l'affaire dont le Tribunal est saisi, des renseignements à ce sujet n'auraient pas dû être révélés. Le Tribunal n'en tiendra pas compte. Le Tribunal compte qu'à l'avenir aucune partie ne jugera bon de lui soumettre la teneur de négociations entreprises sans succès pour régler un différend, car cela n'est pas conforme à l'usage. La conséquence inévitable de telles communications serait de décourager ces négociations, et cela n'est pas souhaitable. V. Cela étant, le Tribunal constate que la cessation de service du requérant, fondée sur la croyance qu'il était détaché, était irrégulière. Le requérant avait manifestement droit, sans que l'approbation des autorités du Gouvernement de l'urss ait été nécessaire, à ce que son engagement soit prolongé jusqu'au 14 janvier 1991, selon la ligne de conduite que le Bureau de la gestion des ressources humaines et le chef du Service linguistique avaient approuvée sur la base des services satisfaisants du requérant. En outre, son droit à l'évaluation de ses services sur

- 13 - la seule base de facteurs objectifs en vue d'une prolongation de son contrat a été violé du fait de considérations non pertinentes. VI. Le Tribunal conclut que le requérant a droit à être dédommagé et il ordonne au défendeur de payer au requérant une indemnité équivalant à 19 mois de son traitement de base net à la date de sa cessation de service. (Signatures) Jerome ACKERMAN Vice-président, assurant la présidence Hubert THIERRY Membre Francis SPAIN Membre New York, le 11 novembre 1994 R. Maria VICIEN-MILBURN Secrétaire