MATERIEL DU MODULE DE FORMATION INTERACTIF : «Trading our health away»

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MATERIEL DU MODULE DE FORMATION INTERACTIF : «Trading our health away»

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La diminution des recettes gouvernementales Beaucoup de pays en développement sont fortement dépendants des taxes à l'importation et à l'exportation afin d'augmenter leurs recettes gouvernementales étant donné leurs faibles sources de revenus domestiques. Par exemple, la Banque Mondiale estime que les recettes douanières en Afrique subsaharienne représentent en moyenne entre 7 et 10 % des recettes gouvernementales. Les produits européens représentent 40 % des importations de l'afrique subsaharienne. Éliminer ces barrières douanières sur les importations européennes diminuerait considérablement les recettes du gouvernement. 1 Pour la plupart des pays en développement, récolter des fonds à travers une autre source que le revenu des taxes douanières est difficile. Les gouvernements peuvent, par exemple, augmenter les impôts sur le revenu mais vont alors davantage appauvrir leur population. Selon une étude du FMI, les États ne sont pas égaux dans leur faculté de compenser l'érosion des recettes douanières par d'autres sources de financement. Les pays les moins avancés parviennent généralement à compenser seulement 30% de leurs recettes. 2 Face à cette situation, le gouvernement a trois possibilités : Les dépenses publiques, à commencer par le secteur des soins de santé et de l'éducation, vont être revues à la baisse. Si le gouvernement investit moins dans le secteur de la santé, cela risque d'entrainer une dégradation des conditions de travail des travailleurs du secteur de la santé car ils seraient confrontés à des salaires inférieurs alors que leurs charges de travail augmenteraient. Cette situation pourrait impliquer la migration de professionnels du secteur de la santé (à l'extérieur du pays ou vers le secteur privé) et réduirait alors la disponibilité de talents humains en matière de santé à l'intérieur du pays. Il peut trouver d'autres formes de revenus à travers la taxe, incluant des taxes moins équitables. C'est par exemple le cas de la taxe sur la valeur ajoutée pour les consommateurs qui a un impact beaucoup plus lourd pour les ménages pauvres. En effet, les taxes à la consommation ont un taux plus ou moins uniforme. Une personne ayant un revenu faible va payer la même taxe lors de l'achat d'un produit que celui ayant un revenu élevé. Si on augmente la TVA, l'impact financier sera donc plus lourd pour les ménages pauvres. Il peut privatiser certains services publics afin de ne plus devoir supporter ce coût. En revanche une telle privatisation fera augmenter les prix des soins de santé pour la population. Une élite se verra donc recevoir de bons soins de santé alors que la majorité de la population, plus pauvre, fera face à un service de soins de santé public médiocre. 1 WORLD BANK, Beyond Cotonou : Partnership Agreement in Africa [En ligne], http://siteresources.worldbank.org/intranettrade/resources/239054-1126812419270/22.beyondcotonou.pdf (Consulté le 23 avril 2013) 2 CRISP «Courrier hebdomadaire : la politique commerciale européenne et les pays en développement», numéro 2164-2165, 2012.

La libéralisation du secteur de la santé Le gouvernement a toujours été le plus grand prestataire de soins de santé. L'accès aux soins de santé étant un droit, l'objectif était que le gouvernement l'offre à toute la population. Cependant, depuis quelques années, on voit apparaitre de plus en plus de prestataires privés de soins de santé qui ont des objectifs différents. Pour eux, il ne s'agit plus en premier lieu de garantir l'accès aux soins, mais bien de faire des bénéfices. Avec les ALE, les pays en développement ouvrent leur marché à la concurrence d'entreprises privées. Le gouvernement est pourtant le seul à pouvoir garantir un accès universel aux soins de santé de base qui satisfait les besoins de toute la population et qui est gratuit ou fortement subsidié pour les populations pauvres. Plusieurs critiques apparaissent concernant la privatisation du secteur de la santé. Les principales sont les suivantes 3 : Au contraire de l'état qui agit, normalement, dans les intérêts de la population, le but du secteur privé est de faire du profit. Les soins de santé vont donc être plus chers et l'accès à ceux-ci va alors être limité à une élite qui peut se permettre de payer les traitements. De plus, les prestataires privés se focalisent souvent sur des traitements médicaux rentables plutôt que sur ceux dédiés aux besoins médicaux de base. Les inégalités dans l'accès aux soins de santé vont donc se creuser. Les données de 44 pays à faibles et moyens revenus montrent que plus le niveau de la participation du secteur privé dans les soins de santé augmente, plus grand sera le niveau d'exclusion des personnes pauvres aux traitements et soins étant donné l'augmentation des prix des services offerts. 4 Ces personnes pauvres devront se faire soigner auprès de services publics médiocres qui n'ont plus assez de revenus (étant donné la perte de revenu due à l'élimination des barrières douanières) pour garantir un service de qualité. Le secteur privé peut faciliter l'accès à de hauts niveaux de services, mais il peut aussi détourner des ressources humaines des services publics vers des services privés plus rentables, pour l'élite ou les marchés étrangers. Cela réduirait ainsi le nombre d'effectifs et la qualité du personnel et / ou augmenterait les coûts salariaux pour le secteur public. Sans accord de libre-échange, le pays est libre d'ouvrir ou non son secteur de soins de santé et de le réguler en fonction des besoins de développement du pays. Si les choses vont mal, le gouvernement peut ainsi toujours changer d'avis. Avec l'accord de libreéchange, si le pays refuse l'entrée d'investisseurs étrangers sur son marché domestique, ces derniers peuvent invoquer des processus de règlements des différends commerciaux. Il en va de même si un investisseur juge que ses droits sont bafoués. Le gouvernement n'a alors pas la possibilité de choisir ce qui est réellement bon pour son pays ou non et doit se plier à ce qui a été établi dans l'accord. 3 OXFAM, Blind Optimism [ En ligne], http://www.oxfam.org/en/policy/bp125-blind-optimism (Consulté le 23 avril 2013) 4 PLATEFORME D'ACTION SANTE & SOLIDARITE, The EU's Bilateral FTA Negotiations are a threath to the right to health [ En ligne], http://www.sante-solidarite.be/pub/dossier-eus-bilateral-fta-negotiationsare-threat-right-health (Consulté le 23 avril 2013)

Intensification des droits de propriété intellectuelle Dans les pays en développement, la population n'a pas beaucoup de revenu. C'est pourquoi, les prix des médicaments et les procédures de diagnostique sont des facteurs critiques qui vont déterminer l'accessibilité des soins de santé dans le pays. Normalement, il appartient à l'état de garantir ce droit mais souvent le marché s'ouvre à la libre concurrence d'entreprises privées. La logique veut que plus il y a des concurrents qui rentrent sur le marché d'un pays, plus les prix des médicaments auront tendance à diminuer. La concurrence entre les médicaments génériques peut faire baisser les prix de 40 à 80% du prix proposé par le premier entrant sur le marché. 5 Cependant, les entreprises privées cherchent à faire des profits et vont donc souvent se regrouper sous formes de cartels 6 et augmenter ainsi leurs prix. Lors d'un ALE, le pays développé veut souvent renforcer les droits de propriété intellectuelle (DPI) afin de garantir l'implémentation effective de ces droits au profit de tous les détenteurs de brevet. 7 Les droits de propriété intellectuelle permettent aux multinationales pharmaceutiques de garantir leur monopole de production et de commercialisation de leurs médicaments. C'est-à-dire que personne ne peut produire le même type de médicament. Le brevet est donc un outil vital pour les entreprises pharmaceutiques car grâce à celui-ci, elles pourront protéger leur production de la concurrence en interdisant l'entrée de compétiteurs bon marché. Le brevet induit des prix des médicaments bien plus élevés que la normale et empêche le pays de développer sa propre industrie pharmaceutique. Par exemple, un traitement pour le SIDA avec des médicaments antiretroviraux qui ont un brevet coûtent 12 000$ par an alors que des médicaments génériques sans brevet coutent 420$ par an. 8 Ces DPI peuvent dès lors entrainer une diminution de l'accès aux médicaments génériques présents sur le territoire ou alors retarder l'entrée de nouveaux médicaments génériques sur le marché. Ainsi, seuls les riches pourront avoir accès aux soins de santé alors qu'il s'agit d'un droit essentiel pour tous. Ces principes sont renforcés avec les ADPIC (Accord sur les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce). Ces accords ont été signés au sein de l'omc en 1995 et mandate l'introduction de droits de propriété intellectuelle aux règles du commerce mondial. Ces brevets ont de graves conséquences dans les domaines médicaux et du vivant. Les membres de l'omc sont obligés de protéger les brevets pendant minimum 20 ans à partir de la date de dépôt du brevet d'un produit ou processus pharmaceutique. Avec les accords de libre-échange, l'union européenne en profite pour y inclure des dispositions ADPIC-plus qui augmentent fortement le prix des médicaments et diminuent ou éliminent toute concurrence de produits génériques. Elle le fait à travers différents moyens dont, entre autres, des brevets de plus de 20 ans, 5 PLATEFORME D'ACTION SANTE & SOLIDARITE, The EU's Bilateral FTA Negotiations are a threath to the right to health [ En ligne], http://www.sante-solidarite.be/pub/dossier-eus-bilateral-fta-negotiationsare-threat-right-health (Consulté le 23 avril 2013) 6 Il s'agit d'un ensemble d'entreprises qui agissent ensemble comme s'ils étaient un seul producteur qui influencent les prix de certains biens et services afin de réguler l'offre. 7 EUROPEAN COMMISSION, Highlights of the trade agreement between Colombia, Peru and the European Union [ En ligne], http://europa.eu/rapid/pressreleasesaction.do? reference=memo/12/487&format=html&aged=0&language=en&guilanguage=en (Consulté le 25 avril 2013) 8 TORRES M., Industria farmacéutica multinacional en contra del derecho a la salud [ En ligne], http://viva.org.co/cajavirtual/svc0294/articulo07.html (Consulté le 25 avril 2013)

des brevets de second usage 9, l'exclusivité des données 10 et l'interdiction d'importations parallèles. Pour ces raisons, Anand Grover, rapporteur spécial de l'onu pour le droit à la santé mettait en garde: «Les pays en développement et les pays moins développés feraient mieux de ne pas reprendre de normes ADPIC-plus dans leurs législations. Les pays développés ne doivent pas encourager les pays en développement et les pays moins développés à adopter des éléments ADPIC-plus dans les accords de libre-échange et doivent prendre garde aux actions qui peuvent entrainer une violation du droit à la santé». 11 9 Quand on découvre une seconde propriété pharmacologique à un médicament, on peut établir une autre période de brevet 10 Elle empêche un producteur de médicaments génériques pendant un certain nombre d'années d'utiliser les données des tests cliniques originaux, ce qui oblige cette entreprise à produire des données de test propres si elle veut mettre un médicament sur le marché et donc à effectuer de nouvelles études, coûteuses en temps et en argent. 11 ORGANISATION DES Nations unies, Promotion and protection of all human rights, civil, political, economic, social and cultural rights, including the right to development [ En ligne], Http://www2.ohchr.org/english/bodies/hrcouncil/docs/11session/A.HRC.11.12_en.pdf (Consulté le 10 avril 2013)

3. Tribunal des peuples : construire son argumentation

Les privatisations nuisent à la santé Alexia Fouarge Lorsque l'état privatise les soins de santé, ce sont les groupes vulnérables qui en pâtissent le plus. De la Colombie à la Chine, en passant par l'ex URSS, lorsque l'état privatise les soins de santé, la force motrice de ce système est la compétition et le profit qui agissent au détriment des pauvres. Les assurances sociales, les soins de santé et la couverture universelle de santé sont compromis. Les fonds pour les services d'hôpitaux diminuent et les couts administratifs augmentent. Ce sont les groupes vulnérables qui en pâtissent le plus et qui voient leur accès aux soins de santé diminuer. Colombie : les retombées négatives de la Loi 100 sur la santé Le nouveau système de santé colombien n'est pas capable de résoudre les problèmes d'accessibilité, d'équité et d'efficacité. En 2000, le PNUD a confirmé que 46% de la population n'avait pas de couverture de soins de santé ce qui équivaut à une augmentation de 4,6% depuis 1997. Avant 1993, le système de santé était divisé en trois secteurs : un secteur privé pour les patients qui pouvaient se le payer, un système de sécurité social obligatoire pour les travailleurs et employés et des services publics de soins de santé pour les pauvres. A la fin des années 80, 25% de la population n'avait aucune couverture de santé. En 1993, avec la réforme de la «loi 100», le rôle de l'état comme prestataire de soin de santé a été fortement diminué. Le nouveau système peut être scindé en deux. D'un côté, les «services individuels» (soins curatifs) qui sont largement privatisés. De l'autre, les «services collectifs» ( soins préventifs) qui sont entre les mains de l'état. Les assureurs et les prestataires publics et privés se font concurrence dans le même «marché de santé» régulé et luttent pour fournir des soins optimaux aux patients. Certains ont vanté les bienfaits de ce système et il est vrai qu'à court terme, ce système à porter ses fruits. Les dépenses totales pour les soins de santé ont certes augmenté de 7% du GDP en 1990 à 10,5% en 1999, mais il semblerait que l'augmentation de ces couts aient augmenté les inégalités dans les soins de santé. Une importante part de cette somme va directement au profit de secteur privé et n'est pas réinvestie et une partie de l'argent public est dévié de ses objectifs sociaux. Chine : l'état admet les effets néfastes de la privatisation Entre 1952 et 1982, le gouvernement finançait et exploitait le système chinois des soins de santé. Les améliorations dans le secteur de la santé furent d'une grande avancée. La mortalité infantile avait diminué de 20 à 3,4 pour cent et l'espérance de vie avait presque doublé. Dans les années 80, l'état a drastiquement privatisé le secteur de la santé ce qui a eu des conséquences désastreuses pour l'équité dans les soins de santé. En passant de la production collective à l économie privée, l'état s est désengagé de la sphère sociale et les inégalités se sont creusées entre régions côtières et provinces enclavées, villes et campagnes. Des services qui étaient avant gratuits sont maintenant facturés par des

hôpitaux privés. Des assurances pour couvrir ces couts médicaux ont été mises en place. Cependant, 80% des pauvres qui habitent en zones rurales ne sont pas couverts. Dans ces endroits, la qualité et la quantité des soignants et des infrastructures de soins de santé sont insuffisants. La mortalité infantile y est trois fois plus élevée que dans les zones urbaines. La principale cause de paupérisation de ces régions est la maladie. Ce système de santé, basé sur le profit, est inéquitable et ne profite donc pas à l'ensemble de la nation. Avec la crise du SRAS ( syndrome respiratoire aigu sévère)de 2003, le gouvernement s'est rendu compte de l'inefficacité du système de la santé. Il a annoncé vouloir jouer un rôle plus important dans le domaine de la santé en reprenant en main ses devoirs d'antan. Depuis 2006, la réforme du système de santé est en marche pour établir un système de soins médicaux de base et d assurance médicale accessibles à tous. URSS: la privatisation s'en prend à l'espérance de vie La transition du socialisme au capitalisme en Europe au milieu des années 90 a mené à une privatisation de milliers d'entreprises «inefficaces» de la région soviétique. Cette privatisation a impliqué le licenciement d'énormément de personnes avant que des nouvelles entreprises aient pu être créées. Le chômage a principalement touché les travailleurs des entreprises intensives en capital. L'augmentation du chômage a eu des conséquences désastreuses pour la santé. UNICEF parle de 3 millions de morts prématurées du fait de cette transition! Plus de quinze ans après celle-ci, seulement un peu plus de la moitié des pays ex-communistes ont retrouvé leur niveau d'espérance de vie. Un phénomène amplifié dans les pays qui ont subi une transition capitaliste de choc non graduelle. Le taux de chômage y a augmenté de 60% comparé aux pays subissant une privatisation plus «graduelle». Ce choc s'est caractérisé par : la libéralisation des prix et du commerce pour permettre aux marchés de réallouer leur ressources, la stabilisation des programmes pour supprimer l'inflation et la privatisation de masse des entreprises appartenant à l'état.

TLC UE-Colombie/Pérou: Accord à sens unique au service d'une minorité Alexia Fouarge Au mois d'octobre, le Parlement Européen va devoir se prononcer sur l'accord de libre échange entre l'ue et la Colombie et le Pérou. Au mois d'octobre, le Parlement Européen va devoir se prononcer sur l'accord de libre échange entre l'ue et la Colombie et le Pérou. On craint, hélas, qu'il vote pour, étant donné que l'ue ne cesse depuis des mois de vanter les bienfaits de cet accord pour les pays concernés. Un mémo de la Commission européenne(1) souligne, en effet, que l'accord de libre échange entre l'ue, la Colombie et le Pérou augmentera la stabilité de leurs relations commerciales qui valait 16 milliards d'euros en 2010. Elle avance également que l'accord inclut des mesures sur la protection des droits humains ainsi que des engagements pour implanter des conventions internationales sur le droit du travail et la protection de l'environnement. Mais est-ce vraiment le cas? Intal et M3M lisent entre les lignes. Bénefices pour l'ue de l'élimination des taxes douanières L'UE affirme que grâce à l'accord de libre échange, les barrières douanières tombent. De ce fait, les industries exportatrices de produits issus de l'ue ne devront pas payer de taxes douanières à l'entrée de la Colombie et du Pérou. C'est donc des gains concrets pour les secteurs qui exportent déjà vers ces régions mais également de nouvelles opportunités pour ceux qui sont toujours en dehors de ces marchés. Par exemple, grâce à l'abolition des barrières douanières, les produits pharmaceutiques vont être soulagés par an de 16 millions de taxes douanières. Cet accord va, en effet, être positif pour les multinationales pharmaceutiques, mais va également avoir un impact négatif sur le secteur de la santé en Colombie et au Pérou. Avec la disparition des taxes douanières, les recettes fiscales de ces gouvernements vont chuter. De ce fait, les dépenses sociales, à commencer par le secteur des soins de santé, risquent d'être revues à la baisse. Dans le cas du Pérou, une baisse de revenu des taxes de 27,8% est à prévoir.(2) Pourtant, l'ue ne voit pas cela comme un danger et, face à cet argument, elle répond que tout ce processus ne va pas se faire en une fois et qu'ils auront donc le temps de trouver des alternatives de revenus. Force est de constater que leurs arguments sont peu convaincants. Entrée sur le marché péruvien et colombien des grandes entreprises européennes et des multinationales De plus, le mémo avance que les entreprises européennes vont faire face à un environnement compétitif, ouvert et juste étant donné qu'avec l'accord, les Parties sont tenues par leur législation nationale et régionale de ne pas avoir de pratiques anticoncurrentielle comme les cartels, l'abus de dominance ou encore les accords restrictifs. Les entreprises péruviennes et colombiennes ne font déjà pas le poids face aux géants européens. Est-ce donc un environnement juste pour les trois Parties? Ou sommes-nous dans une situation où l'ue émet des règles qui ne peuvent intervenir qu'au regard de ses propres intérêts? Les multinationales pharmaceutiques, par exemple, auront tout le

luxe de s'implanter en Colombie ou au Pérou, rendant petit à petit les soins de santé privés. La privatisation des soins de santé a pourtant des conséquences dramatiques pour les populations qui ne peuvent pas se payer des soins de santé à prix plus élevés. Droits de propriété intellectuelle et maintien de l'innovation et de la concurrence pour les entreprises européennes Selon l'ue, l'accord de libre échange permettra de maintenir un niveau effectif des droits de propriété intellectuelle et des droits de propriété industrielle et commerciale. Elle voit donc cela d'un bon œil car cela permettrait de maintenir l'innovation et la concurrence tant d'un point de vue domestique qu'à l'extérieur de l'ue. Pourtant, de cette manière, les multinationales pharmaceutiques auront toute la main mise sur le secteur des soins de santé. Or, on sait que le monopole de ces dernières sur le marché induit des prix bien plus élevés que la normale. Par exemple, un traitement pour le SIDA avec des médicaments antiretroviraux qui ont un brevet coutent 12 000$ par an alors que des médicaments génériques sans brevet coutent 420$ par an.(3) Il est pourtant prévu qu'en 2025, au Pérou, le secteur publique connaisse une augmentation de 11% du volume de médicaments ayant des droits de propriété privée. Cela induirait alors une augmentation de 25% des prix et une augmentation des dépenses de 48 millions de dollars.(4) Cela créera donc un fossé encore plus grand entre les riches et les pauvres car seuls les riches pourront avoir accès aux soins de santé. Les données de 44 pays à faibles et moyens revenus montrent, en effet, que plus le niveau de la participation du secteur privé dans les soins de santé augmente, plus grand sera le niveau d'exclusion des personnes pauvres aux traitements et soins.(5) De plus, cette situation risque d'entrainer une dégradation des conditions de travail des travailleurs du secteur de la santé car ils seraient confrontés à des salaires inférieurs alors que leurs charges de travail augmenteraient. Ces conséquences pourraient impliquer la migration de professionnels du secteur de la santé ce qui réduirait la disponibilité de talents humains en matière de santé à l'intérieur du pays. Augmentation du niveau de richesse de la Colombie et du Pérou Selon le mémo, cet accord peut augmenter de 1,3% le PIB de la Colombie et de 0,7% celui des Péruviens sur le long terme. Ce sont des chiffres globaux qui ne montrent en aucun cas les réalités internes de ces pays. Il y aura sans doute moins de gagnants que de perdants. La plupart du temps ce sont les riches qui vont devenir encore plus riches tandis que les pauvres ne feront que s'appauvrir. En effet, la réduction des taxes et l'ouverture du marché sont associés à une augmentation de la disparité des salaires, où les travailleurs qualifiés seront mieux récompensés alors que les travailleurs non qualifiés resteront dans des activités informelles. Les plus pauvres auront moins facilement accès aux soins de santé ce qui va davantage renforcer leur situation déjà précaire. D'ailleurs, dans un rapport, l'onu se dit inquiète concernant les conséquences de tels accords pour les populations les plus défavorisées «Le Comité s inquiète de ce que les accords commerciaux bilatéraux et multilatéraux signés par l État partie puissent affecter la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels, en particulier des groupes marginalisés et défavorisés, tels que les peuples autochtones et afro-colombiens et les personnes vivant dans les zones rurales»(6). Pourtant, l'ue insiste sur le fait que cet accord prévoit de garantir un haut niveau de standards de protection du travail et une clause solide sur les droits de l'homme.

Toutefois, la version du texte négocié montre que ce qui est inclus dans l article 16 est une déclaration générale de principes qui est dépourvue de mécanismes d application et de règles contraignantes. La Commission européenne a également reconnu que : «Dans la mesure où les droits de l Homme et les valeurs démocratiques sont concernés... l accord commercial ne réglementera pas ces questions en détail»(7). 1http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do? reference=memo/12/487&format=html&aged=0&language=en&guilanguage=en 2http://www.france.attac.org/sites/default/files/rapport_accords_ue-colombie.pdf 3http://viva.org.co/cajavirtual/svc0294/articulo07.html 4http://www.haiweb.org/11112009/ReportIFARMAImpactStudyPeru%28EN%29.pdf 5http://www.sante-solidarite.be/pub/dossier-eus-bilateral-fta-negotiations-are-threatright-health 6 UN United Nations Committee on Economic, Social and Cultural Rights (2010) Concluding Observations of the Committee on Economic, Social and Cultural Rights. Colombia. E/C.12/COL/CO/5. http:// www2.ohchr.org/english/bodies/cescr/ docs/co/e.c.12.col.co.5_auv.doc 7 European Commission (2010) Reaction to the Trade Sustainability Impact Assessment (SIA) of the Multi-party Trade Agreement with Andean Countries, November. Disponible en ligne : http://trade. ec.europa.eu/doclib/docs/2010/november/ tradoc_146987.pdf

Le libre-échange nuit-il à la santé des pauvres? Olivier le Bussy L UE et l Inde négocient un vaste accord commercial. Selon MSF, les dispositions relatives à la propriété intellectuelle vont réduire l accès aux médicaments. Ce mercredi, l Union européenne et l Inde entreront dans la phase finale de négociations lancées en 2007 sur un vaste accord de libre-échange qui devrait être conclu à l automne. Or, selon l ONG Médecins sans frontières, le volet de cet accord relatif à la propriété intellectuelle pourrait avoir des effets pervers sur l accès aux médicaments pour les malades des pays en voie de développement, les porteurs du virus HIV essentiellement, mais aussi les tuberculeux. "Si cet accord est adopté tel quel, le prix des médicaments sera inaccessible pour les patients des pays les plus pauvres", avertit Alexandra Heumber, conseillère politique de MSF pour les affaires européennes. Les grandes entreprises pharmaceutiques de l Union ont en effet fait pression sur la Commission - mandatée par les Etats membres pour conclure cet accord - afin que certaines dispositions soient incluses dans le marché indo-européen. "Elles cherchent à créer un monopole pour les innovateurs au détriment des producteurs de médicaments génériques". Le boom de l industrie du générique en Inde prend sa source dans le fait que jusqu en 2005, celle-ci ne délivrait pas de brevet pour les médicaments. Le géant asiatique est devenu la pharmacie des pays en voie de développement. Grâce aux génériques, le prix des traitements pour le sida est passé de 1 0000 dollars par patient et par an en l an 2000 à 80 dollars. Il y a cinq ans, toutefois, l Inde a adhéré à l Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce de l OMC. New Delhi a donc revu sa législation en conséquence et mis en place un régime de brevet. Toutefois, l Inde a pris soin de prendre des mesures de sauvegarde afin d atténuer le monopole des entreprises pharmaceutiques européennes, américaines et japonaises. Néanmoins, le prix des médicaments a augmenté, ce qui ne va pas sans poser problème, explique Alexandra Humber, puisque "beaucoup de patients résistent au traitement et ont donc besoin de nouveaux médicaments". Selon MSF, trois dispositions dans la version actuelle de l accord risquent de rendre ces nouveaux médicaments impayables pour les malades. "L Europe exige l exclusivité des données", explique Alexandra Humber. Concrètement, cela signifie que les entreprises indiennes devraient effectuer des tests cliniques sur les médicaments qu elles produisent. Tests inutiles, précise MSF, puisque déjà réalisés par les "innovateurs". "Cela va prendre du temps, coûter beaucoup d argent, et c est contraire à l éthique, puisqu il va à nouveau falloir effectuer à nouveau des tests sur des patients ou des animaux par exemple", déplore Alexandra Humber. Ensuite, l UE souhaite allonger la durée de vie des brevets, actuellement de 20 ans à dater de leur dépôt. "Cela retardera d autant l entrée d un médicament générique sur le marché", souligne Mme Humber. D où, là encore, renforcement du monopole des innovateurs. Enfin, MSF s insurge contre les mesures frontalières prévues par l accord. "Un règlement permet aux douanes d arrêter - parfois à la demande des industries européennes - les médicaments génériques indiens couverts par un brevet dans l UE alors qu ils transitent par l Europe", vers l Amérique latine ou l Afrique explique Alexandra Humber. "Ils sont renvoyés en Inde ou détruits. C est complètement en contradiction avec le libre-

échange." L Inde entend préserver son industrie pharmaceutique, mais pas à n importe quel prix. Et puisque l accord embrasse un pan très large de domaines, elle pourrait être tentée de faire des concessions à l Europe - les échanges commerciaux entre l UE et l Inde pèsent 78 milliards d euros par an. Le commissaire européen en charge du Commerce, le Belge Karel De Gucht, assure que l UE a accepté des changements au projet d accord et que la Commission ferait en sorte qu il n y ait "aucun obstacle à l accès aux traitements essentiels des populations de pays en développement". Chez MSF, on salue la volonté politique de la Commission, mais on paie pour voir.

Le libre-échange et développement : des gains partagés Nina Pavcnik Les pays en voie de développement n ont pas tardé à être touchés par la crise actuelle. Face aux perspectives de faible croissance des revenus, les décideurs politiques des pays pauvres ont sans doute subi beaucoup de pressions en faveur du protectionnisme, afin de limiter la concurrence sur le marché des biens, de protéger les emplois domestiques et de lutter contre la diminution du produit national. Les pays en voie de développement ont jusqu ici résisté pour la plupart à la tentation d augmenter leurs barrières commerciales. Alors que l on assiste à une résurgence du protectionnisme, une récente étude de la Banque mondiale et du Center of Economic Policy Research montre que l augmentation des barrières commerciales n a lieu que de manière assez limitée, et à travers des formes plus transparentes autorisées par l Organisation mondiale du commerce (OMC) [1]. Mais ce rapport met aussi en garde contre un possible renforcement du protectionnisme. Les pays en voie de développement pourraient par exemple augmenter leurs droits de douane sur les importations jusqu à la limite autorisée par les accords de l OMC, sans pour autant enfreindre ces accords. La limite autorisée pour les pays en voie de développement est plus élevée que pour les autres, ce qui ce qui pourrait accroître sensiblement le coût de leurs importations. Prenons le cas de l Inde : si le taux de taxation de ses importations est en moyenne de 15 %, elle peut l augmenter à près de 50 % [2]. Si les décideurs politiques succombaient aux sirènes du protectionnisme, le commerce international verrait son niveau fortement baisser, ce qui s ajouterait à la baisse de 10 % prévue en 2009 à la suite de l effondrement de la demande mondiale. Face à la récession actuelle, il nous faut donc examiner pourquoi les pays en voie de développement ne devraient pas céder aux pressions protectionnistes et devraient continuer à favoriser la libéralisation des échanges. Les effets attendus du protectionnisme Il ne fait nul doute que le protectionnisme porte préjudice aux consommateurs des pays pauvres : d un côté, il augmente le prix des produits importés, d un autre il permet aux producteurs nationaux d augmenter leurs prix. Le pouvoir d achat des consommateurs s en trouve réduit. De plus, et cela peut paraître moins évident, protéger les travailleurs et les entreprises nationales par de plus fortes taxes à l importation ne poussera ni le chômage à baisser, ni le revenu des entreprises nationales à augmenter. Certes, cela limite les pertes d emploi dans les secteurs en concurrence avec les produits importés. Mais on peut s attendre à une réponse des autres pays qui vont à leur tour augmenter leurs taxes d importation, ce qui mènera à une hausse du chômage et une baisse des revenus dans les secteurs d exportation. Ainsi, en protégeant les emplois dans les secteurs d importation, on en sacrifie d autres dans les secteurs d exportation. De plus, une hausse des taxes sur les produits importés pèsera sur les coûts des entreprises qui se servent de ces produits dans leurs chaînes de production. Les revenus de ces dernières s en trouveraient diminués, ce qui pourrait les pousser à diminuer les salaires et à détruire des emplois. Par exemple, si l Inde augmentait ses droits de douane sur l acier importé, les producteurs d acier indiens s en trouveraient favorisés puisqu ils pourraient pratiquer des prix plus élevés, mais cela nuirait aux producteurs et aux salariés indiens du secteur automobile, qui utilise l acier dans la chaîne de

production. Le principal argument contre le retour au protectionnisme reste l examen de la situation des pays en voie de développement après le mouvement de libéralisation des échanges des trente dernières années. Jusque dans les années 1980, les pays en voie de développement ont suivi des politiques protectionnistes en mettant en place des quotas ou des taxes sur les importations. À la suite d importantes réformes de leurs systèmes commerciaux, certains de ces pays ont assoupli ces politiques dans les années 1980 et 1990. Ainsi, après la réforme de 1991, les taxes à l importation en Inde sont passées de plus de 80 % à environ 30 % à la fin des années 1990. Ce pays a aussi fortement limité les systèmes de quotas tels que les licences d importation. Des chercheurs ont utilisé des données représentatives au niveau national sur les travailleurs, les ménages et les entreprises sur une période comprenant ces réformes afin d étudier l impact de la libéralisation des échanges sur la croissance, le bien-être et la pauvreté dans les pays en voie de développement. Quelles sont les conclusions de ces analyses? Le commerce peut en premier lieu améliorer les conditions de vie par la croissance économique. Une étude récente prouve, en comparant la croissance du revenu dans soixante-dix pays au cours des trente dernières années, que les pays ayant ouvert leurs économies à la concurrence internationale ont eu un revenu plus élevé et une plus forte croissance de ce dernier [3]. C est en effet durant cette période que certains pays ont rejoint l OMC et baissé leurs droits de douane ; les autres ont persisté dans leurs politiques protectionnistes. L étude montre que les pays ayant participé aux réformes multilatérales des échanges internationaux ont connu une plus forte croissance de leurs revenus que les autres. Il est par ailleurs intéressant de noter qu une part significative de ces différentiels de croissance est due à une baisse des taxes d importation sur des biens intermédiaires et des facteurs de production. L analyse des réactions des entreprises face à la libéralisation peut nous éclairer sur la façon dont le commerce influence la croissance. Le débat public sur la mondialisation se concentre souvent sur les pertes pour les entreprises exposées à la concurrence internationale : elles se voient amputées de parts de marché et de revenus. Les entreprises ont de fait subi ces coûts durant les périodes de libéralisation analysées dans l étude. Certaines, souvent les moins efficaces, ont dû limiter leur production puis mettre la clé sous la porte. Celles qui ont survécu à la compétition internationale ont dû baisser leurs prix et subir une baisse de revenu. Cependant, une concurrence accrue a aussi poussé les entreprises à se restructurer et à augmenter leur productivité, augmentant de fait la productivité agrégée. En effet, il a été observé dans nombre de pays, parmi lesquels l Inde, l Indonésie, le Chili, le Mexique et le Brésil, que les entreprises nationales n étant plus protégées par les taxes à l importation sont incitées à augmenter leur productivité. Certaines, souvent les plus efficaces, ont même étendu leur production aux marchés d exportation. Ainsi, la libéralisation, en réallouant les parts de marché aux entreprises les plus efficaces, augmente la productivité agrégée. Selon certaines études, cette réallocation des ressources par le commerce est responsable de près des deux tiers de l augmentation de la productivité globale attribuée à la libéralisation au Chili, au Mexique et en Colombie. Le débat public sur la libéralisation omet aussi les bénéfices que les entreprises tirent de l accès à des facteurs de production moins coûteux, plus sophistiqués et plus récents venant de l étranger. Par exemple, l Inde a mis en place une importante réforme de son commerce en 1991. La baisse des droits de douane a engendré un quasi-doublement des importations de biens pouvant être utilisés comme facteurs de production [4]. Il est d ailleurs intéressant de noter que les deux tiers de l augmentation de ces importations sont dus à des produits que l Inde n importait pas auparavant, y compris dans des

secteurs comme l équipement ou l informatique. Ainsi, la baisse des barrières commerciales a non seulement permis à l Inde de bénéficier d importations moins coûteuses, mais aussi d accéder à de nouveaux facteurs de production. D après les travaux de recherche, ces deux canaux ont amélioré la productivité en Inde. Ils ont aussi permis aux industries indiennes de mettre plus de produits sur le marché, ce qui explique un quart de l augmentation de la production industrielle dans les années 1990. Ainsi, ces résultats fournissent un nouvel argument en faveur de la libéralisation du commerce : favoriser le protectionnisme pourrait limiter l accès aux facteurs de production étrangers. Libre-échange et pauvreté Le point étant fait sur le lien entre commerce et croissance, vient la question des fruits de cette croissance pour les ménages : quel impact a-t-elle sur la pauvreté dans les pays en voie de développement? La plupart des économistes font le raisonnement suivant : les échanges favorisent la croissance qui favorise la lutte contre la pauvreté. Pourtant, les études empiriques sur le lien entre commerce international et pauvreté sont rares. Bien sûr, la croissance générée par la libéralisation peut faire baisser la pauvreté en créant des emplois et des possibilités de revenu, mais les plus pauvres peuvent rester sur le bord du chemin. Le débat académique sur le lien entre commerce et pauvreté s est focalisé sur les individus moins éduqués, ceux que l on trouve plutôt en bas de la distribution des revenus. La forte proportion de travailleurs peu qualifiés dans les pays en voie de développement place ces derniers en bonne position pour produire et exporter des biens requérant une telle main-d œuvre, tels que les vêtements ou les jouets. On pourrait supposer qu une intensification des échanges internationaux augmente donc la demande de travailleurs peu qualifiés, et par là-même leurs revenus ; ceci pourrait les faire sortir de la pauvreté. Cela s est en parti vérifié. Prenons le cas du Vietnam et du Mexique, pays qui ont connu une ouverture de leurs marchés d exportation vers les États-Unis et d autres pays riches. Dans ces pays, la répartition géographique des secteurs est très hétérogène : dans certaines régions, l emploi se concentre sur les secteurs ayant bénéficié de ce nouveau marché d exportation, mais ce n est pas le cas de toutes. Ainsi, l impact de l ouverture à la concurrence internationale a été très différent selon les régions. Les résultats de recherches montrent que cette ouverture a favorisé les habitants de régions où se concentraient les secteurs d exportation. De plus grandes opportunités d exportation ont augmenté les salaires des travailleurs peu qualifiés et ont sorti leurs familles de la pauvreté. Mais tout le monde ne profite pas automatiquement des bienfaits du commerce international, surtout si la mobilité professionnelle et géographique des individus est difficile. Son impact sur la pauvreté dépend de la situation particulière du pays, de la nature de la réforme commerciale et de la facilité pour les individus de passer d une entreprise à l autre, d un secteur à l autre, d une région à l autre. Reprenons le cas de l Inde. La baisse de la pauvreté dans ce pays durant les années 1990 peut être en partie imputée à la libéralisation des échanges qui a favorisé la croissance, fait baisser les prix à la consommation et rendu accessible une gamme plus large de produits. Toutefois, les gains n ont pas été les mêmes dans tous le pays. Une étude montre que la baisse de la pauvreté a été plus faible dans les zones rurales dont les activités se concentraient sur des secteurs pour lesquels le niveau de protection a fortement baissé [5]. Les travailleurs des secteurs qui avaient été protégés ont vu leurs salaires diminuer par rapport à ceux dont les secteurs profitaient de la libéralisation commerciale. Ceci est dû à une faible mobilité, liée entre autres à une législation rigide

du travail empêchant les travailleurs de se diriger vers les entreprises, les secteurs et les régions qui ont profité des réformes commerciales. Les facteurs limitant la mobilité des travailleurs des pays pauvres vers les entreprises, secteurs et régions qui offrent le plus de possibilités sont nombreux. Les comprendre est encore sujet à débat dans le monde académique. Certains soulignent que la législation du travail joue un rôle important à travers les coûts de licenciement : un employeur hésitera à embaucher s il sait qu il doit payer ces coûts en cas de licenciement lié à une baisse de demande. D autres soulignent que tout le monde n est pas à même de profiter des gains de la mondialisation. S il perd son emploi dans une entreprise touchée par la concurrence internationale, un travailleur ne s adaptera pas forcément aux secteurs favorisés par l ouverture commerciale, c est-à-dire ceux qui embauchent : cela dépend de son niveau d éducation, de son expérience, de sa formation et de son âge. Il est aussi possible qu il doive déménager dans une autre région pour être embauché dans ces secteurs. Or cela lui est coûteux, non seulement en termes financiers, du fait des frais associés au déplacement, mais aussi en termes de lien social, car il se sépare de sa famille et de ses amis. Ces derniers coûts sont particulièrement lourds dans les sociétés où la famille et les réseaux sociaux jouent pour les individus le rôle d assurance contre les risques de la vie. Les coûts d ajustement mentionnés ici sont douloureux et loin d être négligeables. L État se doit donc d assurer la protection des individus face aux risques de la vie pour limiter ces coûts. Ainsi, l observation des pays en voie de développement ayant abandonné les politiques protectionnistes au cours des trente dernières années montre que la libéralisation des échanges garde un grand nombre d avantages. Certes, ces avantages ne sont pas répartis de façon égale dans la population, et les coûts d ajustement restent importants. Cependant, les pays dont les marchés sont les plus ouverts ont un meilleur niveau de vie et une plus forte croissance. Ceci montre bien que le protectionnisme n est pas la meilleure manière d aider les individus touchés par la crise. Il risque même d en empirer les effets.

Vandana Shiva : «Le libre-échange, c est la dictature des entreprises» Agnès Rousseaux, Nadia Djabali Écrivain, physicienne, prix Nobel alternatif, la militante écologiste indienne Vandana Shiva est une résistante infatigable contre les entreprises qui pillent son pays, comme Monsanto. Elle pose un regard lucide sur les enjeux de la période : crise écologique, financière, protectionnisme, risque nucléaire, OGM... Quelle civilisation sommes-nous en train de construire? Comment redonner du pouvoir aux citoyens face aux multinationales? Comment construire de réelles alternatives globales? Entretien Basta! : Les combats que vous menez sont liés à la souveraineté alimentaire, sur les terres, l eau, les semences. Qu est-ce que la souveraineté? En quoi est-ce un enjeu majeur du 21e siècle? Vandana Shiva : La redéfinition de la notion de «souveraineté» sera le grand défi de l ère post-globalisation. La mondialisation était fondée sur l ancienne notion de souveraineté, celle des États-nations héritée de la souveraineté des monarques et des rois. La nouvelle notion de souveraineté est le fondement de la résistance à la mondialisation. Cette résistance se traduit par le slogan : «Le monde n est pas une marchandise.» Actuellement, les Grecs disent : «Notre terre n est pas à vendre, nos biens ne sont pas à vendre, nos vies ne sont pas à vendre.» Qui parle? Les peuples. Revendiquer la souveraineté des peuples est la première étape de la souveraineté alimentaire, de l eau ou des semences. Mais il y a une seconde partie : les peuples revendiquent le droit de protéger la Terre, et non celui d abuser d elle comme d autres la maltraitent. Ainsi la souveraineté des terres, des semences, des rivières rejoint la souveraineté des peuples. Avec la responsabilité de protéger ce cadeau de la Terre et de le partager équitablement. Pour garantir cette souveraineté, faut-il fermer davantage les frontières? Aucune frontière n est jamais totalement fermée. C est comme la frontière de notre peau, qui nous protège de l invasion de toute infection : des ouvertures permettent à la transpiration de sortir, pour maintenir notre équilibre, préserver notre santé. Toutes les frontières sont poreuses. Un corps souverain sait comment réguler ces entrées et sorties. Il sait quand trop de chaleur entre dans le corps. Il sait comment s opposer aux virus. Quand un corps perd cette autonomie, cette souveraineté, il devient malade. C est la même chose pour un pays, gouverné par un peuple souverain et autonome. Ce peuple peut dire : «Notre lait est vendu 14 roupies/litre, votre lait européen qui débarque à 8 roupies/litre va détruire l économie laitière en Inde, donc j ai le droit de réguler ce qui entre.» La régulation est vitale pour tout système vivant. La dérégulation, c est l appel de la mort. Un corps dérégulé meurt. De même, une nation, une économie dérégulée meurt. Nous ne disons pas «non au commerce», mais «non au commerce dérégulé». Non à un marché dérégulé où les conditions des échanges sont déterminées par l avidité des entreprises, qui s approprient nos impôts, créent des prix artificiels, entraînant dumping social et destruction de la souveraineté alimentaire. Ce système nuit aux paysans d Inde. Et il nuit aux paysans d Europe qui ne peuvent pas gagner leur vie, car les coûts de production sont supérieurs aux prix de vente du lait. L agrobusiness et ses profits sont au centre de cette équation. Elle a pour conséquence le dumping, l accaparement, le meurtre de nos paysans, le massacre de nos terres, et tous ces gens qu on tue avec une

alimentation empoisonnée. Le protectionnisme peut-il être une solution face à cette exploitation du vivant, en empêchant les multinationales d avoir accès à ces ressources qu elles exploitent? Tout comme nous devons redéfinir la notion de souveraineté, nous devons repenser la notion de protectionnisme. Un protectionnisme lié à la protection des écosystèmes, à l écologie, est un impératif. Nous devons dire stop à la dévastation de nos rivières, stop aux déchets toxiques, stop au dumping des OGM par la manipulation des politiques mondiales par une multinationale. Cette protection est un devoir. Le cycle de Doha [1] n a entraîné aucun progrès depuis une décennie à cause d un seul facteur : le problème de la subsistance des paysans. En 1993, nous avons organisé un rassemblement d un demi-million de personnes pour faire pression sur le gouvernement indien : «Si vous signez les accords du GATT, nos paysans vont mourir.» Résultat : les accords du GATT ont été signés, et 250.000 paysans indiens se sont suicidés, notamment à cause de leurs dettes! Cet endettement des paysans est lié à une décision politique particulière : la dérégulation du marché des semences, qui a permis à Monsanto de devenir par exemple l unique vendeur de semences sur le marché du coton. La multinationale contrôle 95% de ce marché et dicte les prix. Une équipe de scientifiques indiens vient de montrer que les OGM ne ne fonctionnent pas. Dans les champs, c est manifeste : les paysans doivent utiliser 13 fois plus de pesticides avec les OGM. Ce qui est formidable pour Monsanto qui les commercialise. Mais une cause d endettement pour les paysans, et donc une cause de suicides. La protection de nos paysans est un «protectionnisme vital». Le protectionnisme est vu comme un «péché», car la dérégulation a été érigée en norme. Interférer dans la corruption, les manipulations et l avidité des multinationales, c est du protectionnisme. Et donc, pour certains, c est mauvais. Non! C est un devoir social, c est un devoir écologique. Et la cupidité des multinationales n est pas un droit! Elles écrivent à l OMC, rédigent des accords et disent : «Maintenant nous avons des droits et personne ne peut les changer.» Nous les changerons. Vous écrivez que «le libre-échange est un protectionnisme pour les puissants». Doit-on construire un protectionnisme pour les plus «faibles»? Le libre-échange, dans la manière dont il a été façonné, n est pas du tout libre. Il n est pas démocratique. Cinq entreprises se rencontrent, écrivent un accord sur les droits de la propriété intellectuelle et cela donne à Monsanto le droit de considérer des semences comme sa «propriété intellectuelle»! Cela permet à des entreprises comme Novartis de voler les médicaments aux plus pauvres et de les faire payer 10 fois plus cher. Un mois de traitement contre le cancer, avec les médicaments génériques disponibles en Inde, coûte 10.000 roupies. Et Novartis veut faire payer 175.000 roupies par mois. Quand le tribunal juge qu il n est pas possible de déposer un brevet, car ces médicaments existent déjà et que ce n est pas une «invention», Novartis défie les lois indiennes. La plupart des Indiens ne pourront pas payer le prix demandé par la multinationale. Novartis répond : «Seuls 15% de Indiens nous importent.» Cinq entreprises ont écrit une loi sur la propriété intellectuelle, et affirment ensuite que 85% des gens peuvent mourir du manque de médicaments! C est un système criminel. Quand cinq géants commerciaux, comme Cargill (multinationale états-unienne de l agroalimentaire), rédigent l accord sur l agriculture, ils définissent l alimentation non comme le droit de chaque humain à se nourrir, mais comme une marchandise qu ils veulent contrôler. Ce n est pas la liberté, ce n est pas le libre-échange. C est du commerce monopolistique, c est du commerce coercitif. Cela revient à tuer des gens,