Déclin alarmant des reptiles

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Transcription:

dossier Vipère péliade mâle découverte dans la commune du Gâvre (44). Déclin alarmant des reptiles dans les bocages de l Ouest de la France Alexandre Boissinot*, Gaëtan Guiller**, Jérôme Legentilhomme***, Pierre Grillet 4 * & Olivier Lourdais* *Centre d études biologiques de Chizé (CNRS & Université de la Rochelle UMR 7372), 79360 Villiers-en-Bois. E-mail : boiss_a@yahoo.fr et lourdais@cebc.cnrs.fr **n 1 Le Grand Momesson, 44 130 Bouvron. E-mail : gaetan.guiller@free.fr ***Le Planté, 44350 Saint-Gildas-des-Bois. E-mail : jerome.legentilhomme@neuf.fr 4 *10, rue de la Sayette, 79340 Vasles. E-mail : p.grillet@wanadoo.fr Les bocages font partie des paysages agricoles créés par l homme très favorables à la flore et la faune du fait qu ils offrent à la fois des milieux fermés (boisements), des milieux ouverts (prairies) et des milieux de transition que sont les haies et les lisières. De nombreuses espèces de reptiles utilisent ces milieux bordiers aussi bien comme abris que comme places d ensoleillement. Les paysages bocagers ont été profondément affectés par les modifications des pratiques agricoles et leur dégradation se poursuit encore activement. Des études récentes réalisées sur les reptiles des espaces bocagers en Loire-Atlantique et en Deux-Sèvres montrent que la plupart de ces espèces encore qualifiées de communes sont aujourd hui en nette régression. Plus globalement, le devenir des reptiles dans les paysages bocagers semble étroitement lié au devenir des pratiques agricoles sur ces espaces. le courrier de la nature n 0 289 - mai-juin 2015 35

Disparition des bocages et d»e leurs reptiles L orvet fragile, une espèce de plus en plus rare dans les bocages de l Ouest de la France. Alexandre Boissinot Natricidae Colubridae Viperidae Lacertidae Anguidae Le développement de la mécanisation et l intensification des pratiques agricoles observés en Europe de l Ouest ont conduit à la destruction et à la détérioration de nombreux habitats naturels et semi-naturels comme les bocages (depuis les années 1960, 40 à 80 % des bocages ont, selon les endroits, soit disparu soit subi de sérieuses dégradations). Près de 70 % des 2 millions de kilomètres de haies qui étaient vraisemblablement présents en France à l apogée du bocage (1850-1910) ont été détruits : 1,4 million de kilomètres de haies Nom commun Couleuvre vipérine Couleuvre à collier Coronelle lisse Couleuvre verte et jaune Couleuvre d Esculape Vipère aspic Vipère péliade Lézard des souches Lézard vert occidental Lézard des murailles Lézard vivipare Orvet fragile Nom scientifique Natrix maura Natrix natrix Coronella austriaca Hierophis viridiflavus Zamenis longissimus Vipera aspis Vipera berus Lacerta agilis Lacerta bilineata Podaris muralis Zootoca vivipara Anguis fragilis Les espèces de squamates (lézards et serpents) présentes dans les bocages de l Ouest de la France. pour être précis 1. La dégradation du bocage est liée non seulement à la conversion de prairies permanentes en cultures, à l augmentation de la taille du parcellaire agricole, mais aussi au comblement des zones humides (mares, prairies humides temporaires), avec pour conséquences une perte d hétérogénéité paysagère et le développement de pollutions. Ces modifications induisent un déclin général de la biodiversité de ces paysages. Il se trouve qu au moins 12 espèces de reptiles squamates (lézards et serpents) vivent dans les régions bocagères de l Ouest de la France (cf. tableau). Les squamates sont très dépendants de la présence de micro-habitats variés combinant des zones ensoleillées (pour réguler leur température), des zones de végétation dense et de petits abris (pierriers, souches, talus). Les paysages bocagers, par la diversité des milieux qui les composent (haies, bosquets, mares ) leur sont donc particulièrement favorables. Les squamates ont des capacités de déplacement et de dispersion généralement très limitées (sur une distance de moins d un kilomètre) et sont donc particulièrement exposés à la dégradation du milieu à une échelle locale. En France, nous ne disposons pas de donnée quantitative sur les populations de reptiles pour la période située au milieu du xx e siècle et il est donc très difficile d évaluer précisément les impacts des remembrements passés. Des études conduites en Loire-Atlantique et en Deux-Sèvres viennent cependant d apporter des éléments sur l évolution des populations et sur le statut actuel de plusieurs espèces considérées récemment encore comme «communes». 36 le courrier de la nature n 0 289 - mai-juin 2015

???? Evolution des populations dans l Ouest de la France Un bilan chiffré Depuis 1994, 36 suivis de populations de reptiles (sur différentes espèces incluant la vipère péliade, la vipère aspic, la couleuvre à collier, la couleuvre d Esculape, la coronelle lisse et l orvet fragile) ont été mis en place en Loire-Atlantique par Gaëtan Guiller et Jérôme Legentilhomme 2. En vingt ans (entre 1994 et 2014), 27 des sites suivis (75 %) ont subi un déclin ou une Jérôme Legentilhomme Evolution d un paysage bocager en Gâtine poitevine entre 1969 (à gauche) et 2008 (à droite). Sur cette période, 39 % des haies ont été supprimées, ce qui a causé une simplification du paysage et une augmentation de la taille des parcelles cultivées. disparition de leur population. Seuls six sites sont restés stables et trois ont connu une évolution positive des effectifs. Ce constat préoccupant est directement lié aux modifications du paysage telles que notamment la dégradation des haies, la fermeture du milieu et l urbanisation (par exemple la construction de routes, d habitations et de zones d activités en milieu rural et en périphérie des bourgs). Les évolutions positives sont quant à elles associées à la création de nouveaux milieux (haies spontanées et friches agricoles). Les deux principales causes de régression, parmi les modifications du paysage, sont l agriculture intensive et la fermeture du milieu naturel. Intensification et déprise agricoles mises en cause Si les gros épisodes de remembrement sont révolus, l intensification des pratiques agricoles se poursuit. Le développement de la céréaliculture notamment est souvent associé à la suppression de haies mais également à une altération des haies existantes. Une étude par capture-marquage-recapture (CMR) a été conduite sur la vipère péliade entre 1998 et 2003 dans un périmètre bocager de 100 ha de la commune de Bouvron (Loire-Atlantique). Le site, composé uniquement de parcelles de prairies en 1998 et 1999, a été cultivé en maïs et en blé à partir de l année 2000 sur 30 à 40 % de la surface, ce qui a été accompagné d une modification structurale des haies. Ainsi, dès l hiver 1999-2000, des haies de 6 m de largeur ont été réduites à 1 m, ou même complètement rasées. Ces perturbations ont causé sur le site une baisse significative du nombre de captures de vipères péliades, qui est passé de 106 individus en 1999 à seulement 9 individus en 2003 (cf. figure 1 p. 38). Ces résultats montrent que la dégradation qualitative En haut, arrachage estival de plusieurs centaines de mètres de haies (commune de Saint-Gildas-des-Bois, 44). En bas, dégradation d une haie suite à un entretien mécanique. On observe ici l emplacement d anciens ronciers qui abritaient auparavant des vipères péliade et aspic. le courrier de la nature n 0 289 - mai-juin 2015 37

Disparition des bocages et d»e leurs reptiles Département de la Loire-Atlantique Evolution spatiale des observations de vipères péliades en 2002 (gauche), 2004 (centre) et 2009 (droite). 1 carré rouge = 1 mâle ; 1 carré jaune = 1 femelle. Figure 1 : Evolution par sexe du nombre d individus de vipères péliades observés entre 1999 et 2003, en fonction de l évolution spatiale en hectares des cultures céréalières (les classes d âges sont confondues). Nombre d individus 70 30 20 10 50 45 40 35 30 25 20 15 10 60 50 40 5 0 0 1999 2000 2001 2002 2003 Mâles Femelles Céréales en ha 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 mâles et femelles de V. berus Années fermeture en % de la surface totale de la parcelle Figure 2 : Evolution du nombre de vipères péliades et de la fermeture de la parcelle par la végétation entre 2002 et 2011. La fermeture du milieu est calculée en pourcentage de la surface totale de parcelle. 100 90 80 70 60 50 % des milieux bordiers a des effets très négatifs sur les populations de reptiles dans un laps de temps très court. Fermeture du paysage A l opposé de l intensification, la déprise agricole, qui se traduit par une fermeture du milieu, peut également avoir des conséquences négatives. En effets, les reptiles ont des besoins forts en placettes d insolation et en milieux semi-ouverts. Si les friches et broussailles sont généralement favorables, la progression des ronces, pruneliers, aubépines, saules et chênes provoque une fermeture de l habitat et une dégradation des conditions thermiques environnementales. Un autre suivi de vipère péliade a été réalisé au sein d une parcelle agricole en déprise entre 2002 et 2011. Les périodes passées sur le terrain ont mis en évidence un effondrement de la population directement associé à la fermeture du milieu (figure 2). La vipère péliade est typiquement une «espèce bordière» en milieu bocager. Au sein d une friche agricole, elle exploite surtout le pourtour des clairières à proximité du couvert végétal (comme les ronces), mais elle abandonne les clairières devenues trop petites (celles-ci ayant un ensoleillement journalier tardif et court). L impact négatif de la fermeture du milieu a également été démontré chez la vipère aspic, une espèce proche et représentative du bocage 3. Des espèces «communes» devenues rares... Une étude a été menée en 2011 et 2012 dans le département des Deux-Sèvres au sein de bocages plutôt conservés. Un total de 142 haies a été suivi avec huit passages consécutifs pour chacune au printemps (soit 300 heures de prospections). Les résultats sont alarmants : parmi les huit espèces étudiées, on note 38 le courrier de la nature n 0 289 - mai-juin 2015

Alexandre Boissinot Lézard vert occidental régulant sa température sur une souche de bois dans une haie. seulement 64 observations de vipères aspics, six de couleuvres vipérines et une de mue d orvet. Pour la vipère aspic, les observations se répartissent sur seulement 15 des 142 haies étudiées. La couleuvre vipérine n a été contactée quant à elle que sur une seule haie. Ces données sont du même ordre que les observations compilées dans la base de données départementale «Nature79» a. La comparaison avec les observations historiques (datant du début du xx e siècle) permet de prendre conscience de l évolution des populations. Ainsi Henri Gelin, naturaliste deux-sévrien, mentionne en 1911 l orvet fragile sur toute la partie schisteuse ou granitique du département des Deux-Sèvres 4. Il mentionne par ailleurs la couleuvre vipérine comme «abondante le long de toutes nos rivières». Quant à la vipère aspic, les données de chasse montrent qu elle était nettement plus abondante à cette époque (cf. encadré ci-dessous) : un constat de déclin est partagé par de nombreux agriculteurs et naturalistes depuis les vingt dernières années. de plusieurs espèces de reptiles (vipère aspic, couleuvre verte et jaune, couleuvre à collier, lézard des murailles) est étroitement associée à la largeur de l ourlet herbacé au pied des haies. De fait, un lien significatif existe entre la largeur de l ourlet herbacé et la richesse spécifique. Au cours de cette même étude, nous avons fait ressortir l influence positive d un talus exposé au soleil sur la richesse spécifique et sur la présence du lézard vert occidental, ainsi que celle de l existence d abris (pierriers, bois morts ) sur la présence du lézard des murailles. Notes a- Vous pouvez la consulter sur le site internet http://www.nature79.org. Les éléments bordiers, support de vie des reptiles Les haies, les lisières forestières ainsi que les bordures de friches constituent les principaux éléments bordiers que l on peut rencontrer dans les paysages bocagers de l Ouest de la France. L importance des haies structurées et du paysage Les données recueillies dans le département des Deux-Sèvres ont révélé que la présence Un long passé de destructions Dans l Ouest de la France, les serpents, et notamment les vipères, ont fait l objet de destructions massives. L analyse d anciennes séances de délibération du Conseil général des Deux-Sèvres et des documents historiques permet de dresser un bilan de la chasse aux vipères et d évaluer l abondance de la vipère aspic à cette période. Ainsi, le 26 août 1863, lors de sa séance, le Conseil général des Deux-Sèvres décide d octroyer une prime de 25 centimes de francs par vipère tuée sur présentation de la tête de l animal en mairie. Pendant les six mois suivants, 7 000 vipères sont tuées et déclarées. A elle seule, Madame Moreau, habitante de Faye-l Abbesse, va déclarer 2 062 têtes de vipères pour l année 1863. Puis, entre 1883 et 1900, Henri Gelin (1911) évalue un total d environ 60 000 vipères aspics tuées dans le département des Deux-Sèvres! En 1905 encore, 6 874 vipères sont tuées pour un montant de prime de 1 374,80 francs. Des observations comparables existent pour d autres départements de l Ouest de la France. le courrier de la nature n 0 289 - mai-juin 2015 39

Disparition des bocages et d»e leurs reptiles Biblio 1- Pointereau P. 2001. Development of the space occupied by hedgerows in France over the past 40 years: the contribution and limits of statistical data. In: Hedgerows of the World: Their Ecological Functions in Different Landscapes. Proceedings of the Tenth Annual IALE (UK) Conference, held at Birmingham University, 5th-8th September 2001, Barr C. & Petit S. (ed.), p. 117 122. 2- Guiller G. & Legentilhomme J. 2006. Impact des pratiques agricoles sur une population de Vipera berus (Linnaeus, 1758) (Ophidia, Viperidae) en Loire-Atlantique. Bulletin de la Société des sciences naturelles de l Ouest de la France, 28: 73-82. 3- Naulleau G. 2002. Bocage et dynamique des populations de Reptiles. In: Actes du colloque «Journées d études européennes sur les bocages Ruralité, faune sauvage et développement durable. Le bocage, enjeux de territoire pour demain». Cerizay (79) - 16 et 17 octobre 2002, p. 32-39. 4- Gélin H. 1911. Reptiles et batraciens des Deux-Sèvres et région voisine. Mémoires de la Société de vulgarisation des sciences naturelles des Deux-Sèvres, 2: 65-86. 5- Thuiller W. 2003. BIOMOD optimizing predictions of species distributions and projecting potential future shifts under global change. Global Change Biology, 9: 1353-1362. 6- Boissinot A., Grillet P., Morin S., Besnard A. & Lourdais O. 2013. Influence de la structure du bocage sur les amphibiens et les reptiles : une approche multi-échelles. Faune Sauvage, 301: 41-48. 7- Dupoué A. 2014. Compromis liés à l eau chez la vipère aspic : le cas de la reproduction. Thèse de doctorat, Université de Poitiers et Centre d études biologiques de Chizé (CNRS et Université de la Rochelle UMR 7372). 224pp. 8- UICN France, MNHN & SHF. 2009. La liste rouge des espèces menacées en France, Reptiles et amphibiens de France métropolitaine. 8pp. «En contradiction avec la liste rouge nationale, les listes rouges régionales, plus récentes, soulignent le statut précaire de bon nombre des espèces de reptiles.» D après Thuiller W./BIOMOD 5 Figure 3 : Trame bocagère et distribution potentielle de la vipère aspic dans les Deux-Sèvres. La densité de haies dans le paysage est la variable qui explique le mieux la distribution potentielle de la vipère aspic à l échelle du département. Trame bocagère Vipère aspic femelle enroulée en lisière de haie dans la commune de Blain (44). Avec un maillage dense Par ailleurs, l approche paysagère à l échelle du département met en évidence l impact bénéfique de la densité des haies sur la richesse en reptiles. Ainsi, une forte densité en haies (c est-à-dire supérieure à 250 ml/ha b ) est associée à une richesse spécifique moyenne de trois espèces, avec seulement une espèce en moyenne pour des densités de haies de l ordre de 60 ml/ha. Pour la vipère aspic, l espèce semble étroitement liée aux bocages composés d un linéaire de haies denses, supérieur à 200 ml/ha 6. Ce paramètre permet de modéliser précisément la présence de l espèce à l échelle du département (cf. figure 3). Probabilité de présence forte Probabilité de présence faible Des besoins microclimatiques spécifiques En complément de ces observations, des études récentes conduites sur l écophysiologie de la vipère aspic révèlent une sensibilité aux pertes hydriques, notamment pendant la période de gestation 7. En parallèle, il a pu être montré qu en milieu naturel les vipères vont choisir telle ou telle condition microclimatique (température et humidité) selon leur statut reproducteur. Ainsi les femelles gestantes sélectionnent des micro-habitats à la fois plus chauds et plus humides que les femelles non reproductrices. La structure de la haie doit donc répondre à des besoins multiples : thermiques, hydriques, trophiques, et doit servir 40 le courrier de la nature n 0 289 - mai-juin 2015

Evaluation du statut des espèces : une nécessaire révision Même si les espèces de reptiles sont presque toutes protégées par la loi française (arrêté du 19/11/2007), force est de constater qu aucune de celles présentes en paysage bocager ne font l objet d une classification particulière selon les critères de rareté utilisés dans la réalisation de la liste rouge nationale UICN 8. Elles sont toutes considérées comme «en préoccupation mineure, LC», alors qu elles dépendent d habitats aujourd hui fortement menacés. Mais, en contradiction avec la liste rouge nationale, les listes rouges régionales, pour la plupart très récentes et pour certaines encore en cours d homologation, soulignent le statut précaire de bon nombre de ces espèces. Parmi celles-ci, les vipères aspic et péliade sont concernées, en particulier la vipère péliade qui est dans une catégorie menacée dans l ensemble des 11 listes régionales où elle a été évaluée. On note également des constats de régression des populations de vipère aspic dans les régions encore bocagères de France, comme en témoignent de nombreux atlas régionaux qui suggèrent une importante diminution au cours de ces quinze à vingt dernières années. Certaines espèces qualifiées de «communes» entre 1995 et 2000 sont aujourd hui très probablement menacées et pas seulement chez les vipères, mais également parmi les couleuvres (notamment la couleuvre vipérine) et les lézards. de refuge face aux prédateurs. La présence d un ourlet herbacé au pied des haies et de pierriers est donc nécessaire pour offrir des conditions microclimatiques variées. Réponse rapide à la restauration du milieu Si la création de haies nouvelles par plantations d arbres et d arbustes est importante, d autres techniques, moins coûteuses et plus rapides peuvent aussi être utilisées. Une expérience portant sur la création d un réseau de haies spontanées a été mise en place en 2006 dans la commune de Bouvron en Loire- Atlantique. Elle a consisté à décaler ou à créer une deuxième clôture à l intérieur de la prairie et à laisser la végétation se développer librement entre les deux clôtures. Ainsi, 420 m de linéaire autour d une prairie permanente de 1,54 hectare ont été laissés en évolution libre avec une progression rapide des broussailles (ronciers, prunelier, frêne). Six espèces de reptile ont été dénombrées depuis (couleuvre d Esculape, couleuvre à collier, vipère péliade, orvet fragile, lézard vert et lézard des murailles). Ces espèces, qui étaient pour la plupart observées de manière occasionnelle avant les aménagements, ont colonisé rapidement les haies spontanées et augmenté leurs effectifs. Ce phénomène est particulièrement net chez la couleuvre à collier avec une sédentarisation des individus sur le site confirmant le succès du projet. Cette approche peu onéreuse qui optimise la qualité de l ourlet herbacé peut être une solution simple pour la conservation de ces espèces. L importance des haies et du bocage pour l homme a été largement démontrée au cours de ces dernières décennies : régulation hydraulique, fonction de production et de maintien du sol, gain en confort pour les animaux domestiques, amélioration du cadre de vie, maintien d équilibres interspécifiques. Il semble crucial de favoriser ces bienfaits qui contribuent au maintien durable à la fois de productions agricoles de qualité et des espèces associées à ce type de paysage. n A. B., G. G., J. L., P. G. & O. L. Notes b- Le symbole ml/ha correspond à l unité de mesure du mètre linéaire par hectare. Création d une haie spontanée dans la commune de Bouvron (44) En haut, état de la haie en 2009. En bas, son état en 2013. le courrier de la nature n 0 289 - mai-juin 2015 41