1. Conjuguer stratégies globales et intérêt national Laurent Faibis, Président de Xerfi Découvrez la vidéo : «Conjuguer stratégies globales et intérêt national» Comment conjuguer la logique de nos firmes multinationales avec la croissance et l emploi en France? C est la question centrale de ce livre. Nous avons voulu mener cette réflexion en toute indépendance, sans tabou, au plus près des réalités du tissu économique, au risque d aller à l encontre des idées politiquement correctes. Nous avons ainsi analysé le rôle stratégique de nos multinationales pour notre avenir. Nous avons cherché à mieux comprendre comment leur développement à l extérieur des frontières pourrait créer davantage de richesse chez nous. Cette démarche nous a amené à aborder de front la question de l intérêt national. Comment, en effet, concilier la stratégie de conquête de marchés extérieurs, qui se traduit par la localisation de moyens de production et d emplois à l étranger, avec la création d emplois à forte valeur ajoutée sur notre territoire? La France est un pays où l on attribue vite des étiquettes aux idées et à ceux qui les expriment. Nous sommes pourtant convaincus qu il n y a pas nécessairement antagonisme entre stratégies globales et intérêt national. Cela nous a amené à poser un autre débat interdit : celui du retour de l Etat. Un Etat qui contribue à la réflexion stratégique et à la coordination des efforts. Un Etat qui vient aussi épauler solidement les entreprises pour renforcer leur compétitivité et conquérir des marchés. Un Etat qui s engage à mobiliser l épargne nationale en faveur des entreprises. Un Etat déterminé à prendre les mesures indispensables pour que les grandes entreprises restent liées à l intérêt national. Pour que le territoire ne perde plus les centres de décisions des entreprises qui sont indispensables au rebond du pays. La France et ses multinationales janvier 2011 1
Les grandes entreprises sont notre principale force de frappe Ce livre part en effet d un constat. Les grandes entreprises françaises sont la principale force de frappe dont dispose notre pays pour faire face aux défis économiques de l après-crise. Elles seules sont capables d aller chercher en dehors de nos frontières la croissance dont nous avons besoin pour retrouver la prospérité. Seuls les grands groupes internationalisés ont en France les moyens financiers et logistiques, les compétences technologiques et organisationnelles indispensables. Il faut renforcer notre capacité à remporter des marchés dans les autres pays développés. Il faut aussi tirer parti de la croissance des pays émergents. Il est impératif d investir massivement pour redevenir compétitif face aux autres grands pays industriels. Il est également indispensable d investir massivement pour conserver de l avance sur les nations émergentes. Une véritable course poursuite est lancée. Nous avons à Xerfi une équipe spécialisée dans l analyse des grands secteurs internationalisés. Ce département Xerfi Global étudie chaque année les stratégies des grandes firmes multinationales qui dominent le marché mondial. Les conclusions de nos économistes sont sans appel : nous sommes aujourd hui face à un défi majeur. Parmi les pays avancés, des entreprises allemandes, japonaises et coréennes sont déterminées à récolter les meilleurs fruits de la globalisation. Leurs gouvernements respectifs les épaulent pour renforcer leur compétitivité internationale. Quant aux Etats-Unis, ils montrent leur volonté de ne pas se laisser faire, quitte à utiliser l arme monétaire. L irruption sur le marché mondial de firmes brésiliennes, russes, indiennes, chinoises, mais aussi la montée en puissance dans les secteurs «technologiques» d opérateurs du Canada, de Taïwan, de Singapour, voire d Israël soulignent l urgence d une contre-offensive. La réduction des coûts de production, une solution de facilité Cependant, le dynamisme d un pays et l attractivité de son territoire ne sont pas qu une question de coût du travail. Du côté des entreprises, c est une grave erreur de ne rechercher les avantages concurrentiels qu en réduisant les coûts de production grâce à des coûts salariaux plus bas. Depuis 20 ans, les entreprises occidentales ont beaucoup misé sur l immense réservoir de main d œuvre à bon marché des pays émergents, en particulier en Chine et en Extrême-Orient. C est parfois une solution de facilité. Certains groupes occidentaux ont préféré l effet d aubaine de la baisse du coût du travail à l effort financier et d innovation La France et ses multinationales janvier 2011 2
indispensable pour relever le défi dans le sens de l histoire. Ils font un contre-sens, car la plupart de leurs concurrents sont tout autant capables d aller dans les pays émergents pour produire moins cher. Impossible donc de trouver dans cette stratégie un véritable avantage compétitif. C est d autant plus vrai, que s il s agit de substituer du travail au capital pour économiser des dépenses d investissements et de développement, nos entreprises se retrouvent systématiquement en concurrence avec la puissance montante des multinationales des pays émergents. Cette stratégie est une impasse. Il faut insister sur ce point. Seuls l effort de créativité et l avance technologique permettent de gagner et de défendre un avantage concurrentiel sur la durée. Nous devons gérer notre avance, et pour cela, investir en permanence. Il faut également poser la question du rôle des pouvoirs publics. Nous avons la conviction que nous avons eu tort de nous laisser aller dans un désengagement trop massif de l Etat. Sous le poids des traités européens, nous avons accepté de nous dépouiller de notre politique industrielle. La France a commis là une grave erreur. Aucun grand pays et certainement ni la Chine ni les Etats-Unis n a la naïveté de penser que l Etat doit renoncer à stimuler ses industries clés. De fait, nombre des grands groupes français qui occupent aujourd hui encore des positions majeures dans le monde ont pris leur essor grâce au soutien de la puissance publique. Partout dans les zones du monde en effervescence, les Etats interviennent ouvertement et parfois outrageusement pour soutenir leurs champions nationaux. Nous avons à l inverse, et à rebours, décidé de vouer aux gémonies les politiques volontaristes. L impasse d une politique centrée sur les services Bien sûr, nous avons des grands groupes de services et de la finance qui ont su conquérir des positions de premier plan. Il faut s en réjouir, car la base arrière nationale est indispensable à leur essor. Les services sont par définition une activité locale. Leur stratégie d internationalisation les amène donc à développer inexorablement le nombre de postes sur place. Pourtant, chaque fois que ces entreprises augmentent leurs effectifs à l étranger, cela renforce en même temps le centre de commandement en France. Mais la France s est montrée bien insouciante en misant essentiellement sur une société post-industrielle fondée sur l immatériel, les services et la finance. Une insouciance qui l a laissée subir le déclin de son outil de production. L erreur a été d autant plus grave que le dynamisme de notre démographie et de notre consommation nous a poussés à importer toujours davantage. Et nous avons ainsi La France et ses multinationales janvier 2011 3
déséquilibré notre commerce extérieur. Un déficit du solde commercial qui n a cessé de se dégrader depuis dix ans. Nous avons perdus la plupart de nos positions face aux pays émergents dans les biens de consommation. Dans beaucoup de secteurs, la bataille est perdue. La plupart des produits de consommation traditionnels comme ceux issus de la révolution des technologies de l information ne sont ni fabriqués, ni mêmes conçus chez nous. Nous avons perdu beaucoup des positions dans les produits intermédiaires ces dix dernières années. La perte de contrôle de grandes entreprises comme Pechiney ou Arcelor a des effets en chaîne désastreux sur des filières entières. Pour une le retour d une politique industrielle volontariste La crise qu affronte la zone euro aujourd hui doit accélérer notre prise de conscience sur la nécessité de renforcer notre capacité d exportation. Sous cet angle, notre déséquilibre commercial permanent envers l Allemagne n est plus tenable. Il faut trouver des solutions coûte que coûte. Il ne suffit pas de dire «il faut faire comme l Allemagne» pour retrouver notre compétitivité face à un voisin qui a pris un leadership incontestable, et qui continue de nous prendre des parts de marché. C est en conséquence notre intérêt de défendre avec détermination notre base industrielle et technologique, qui reste très importante. Il faut sélectionner soigneusement les marchés sur lesquels nous devons conquérir ou conserver une position de leadership dans le monde, et donc aussi en Europe. Ce sont en effet les biens industriels qui s exportent. C est dans l industrie que se font l essentiel des dépenses de recherche et développement, c est dans l industrie que l on fait les gains de productivité les plus élevés, c est l industrie qui stimule les services. La France doit retrouver le chemin d une politique industrielle volontariste. Une politique industrielle au sens large, qui comprend les services et la finance qui sont tout autant des industries. Cette stratégie offensive passe nécessairement par la mise en œuvre d une action concertée avec les grandes entreprises de nationalité française. L Etat doit les épauler dans leur conquête des parts de marché à l étranger. Nos multinationales doivent entraîner dans leur sillage les entreprises de taille moyenne. Vers une nouvelle alliance entre le pays et ses multinationales Ce renouveau du lien entre le pays et ses multinationales doit se faire sous le sceau de la réciprocité : la croissance des entreprises à l étranger, et notamment dans les pays émergents, doit avoir des retombées positives pour l économie et l emploi dans l hexagone. L internationalisation des groupes est en effet positive quand elle se La France et ses multinationales janvier 2011 4
traduit par le renforcement de la base arrière sur le territoire national. Elle est favorable lorsque qu elle renforce leur niche écologique : une niche écologique composée de sous-traitants spécifiques, de sociétés de services (télécommunications, services informatiques, consultants, services logistiques et autres), d infrastructures locales. Les banques ont elles aussi un rôle majeur à jouer dans le renforcement des liens des grandes entreprises avec le tissu économique du territoire. Depuis vingt ans, l écart s est creusé entre les grandes entreprises et la nation. Les convictions des dirigeants des grands groupes sont sur ce point très partagées. Certains, focalisés sur le développement du vaisseau qu ils commandent, se vivent dans un monde global, déterritorialisé, dominé par les enjeux financiers. Mais bien d autres conservent la conscience des liens indispensables avec l Etat et le territoire. Ils ressentent combien le réflexe identitaire retrouve de la vigueur dans le monde. Aux Etats-Unis, en Chine, en Allemagne, au Japon, en Corée, la défense de l intérêt national, en liaison étroite avec l Etat, n est ni un vain ni un vilain mot. En plongeant ses racines dans le territoire et en le vivifiant de son dynamisme, une multinationale peut assurer sa pérennité et sa croissance, et offrir le meilleur à ses collaborateurs, ses actionnaires et son pays. Pour stimuler ce débat, Xerfi a mobilisé ses propres moyens d analyse et demandé à des dirigeants de grands groupes, des experts, des économistes de contribuer à cette réflexion. Les dirigeants de grandes entreprises françaises nous ont transmis les convictions qu ils tirent de leur expérience opérationnelle. Notre département Xerfi Global a apporté sa connaissance de la stratégie des grands groupes en France, en Europe et dans le monde. Des consultants et économistes se sont associés à cet ouvrage par des analyses stimulantes orientées vers l action. Cette initiative a été prise sous le sceau du réalisme et du pragmatisme, sans a priori idéologique ou théorique. C est dans ce sens qu il faut interpréter la diversité des contributions qui partagent une interrogation commune : comment concilier la stratégie de nos multinationales et l intérêt national? La France et ses multinationales janvier 2011 5