DÉCOUVRIR LE FONCTIONNEMENT SYNTAXIQUE DU FRANÇAIS LES MANIPULATIONS SYNTAXIQUES pour comprendre ou vérifier la construction des phrases [Ces notes peuvent être utilisées librement, en mentionnant le nom de l auteur] L élève doit être amené progressivement à pouvoir analyser la structure des phrases de ses propres écrits et de ceux des autres. Cela suppose un travail préalable de prise de conscience de cette structure et des éléments qui la constituent, qui sont en fait en nombre très limité ; ce sont les groupes du nom, du verbe, de l adjectif, de l adverbe et le groupe prépositionnel, ainsi évidemment que la phrase syntaxique 1. Cela suppose également que l élève puisse repérer les déterminants, les pronoms, les prépositions, les coordonnants et les subordonnants les plus fréquents. Pour analyser une phrase en faisant ressortir convenablement la hiérarchie des constituants, il faut procéder avec méthode. Repérer la phrase graphique (en la distinguant de la phrase syntaxique) : - ses limites : majuscule et point ou point virgule (englobe une phrase syntaxique P, ou plusieurs) - repérer les verbes conjugués (pour un infinitif : vérifier si le sujet (sous-entendu) est bien celui du verbe conjugué associé ou son c.d. 2 ) Si un seul verbe : P simple Si plusieurs verbes : - repérer les jonctions de phrases :! si juxtaposition (par la ponctuation) ou coordination (et, mais, car, ) : on analyse chaque P séparément comme des P simples [en rétablissant les phrases complètes s il y a des effacements] 3! si c est une phrase complexe (donc avec une ou des subordonnées) : repérer chaque subordonnant (la subordonnée est-elle relative, complétive, circonstancielle? se reporter à la procédure prévue pour chacun de ces cas). 1 Les GN, GV, GAdj, GAdv, GP et la phrase syntaxique P. 2 Complément direct (Dino aime le cinéma.), parfois appelé c.o.d. (complément d objet direct). 3 Attention! pour les coordonnants : vérifier ce qu ils coordonnent : des subordonnées, des GV, des GN, des groupes adjectivaux, etc. Ils ne relient que des groupes ou des P de même classe (mais peuvent relier un GAdj. et une relative (Une fille sérieuse mais qui sait rire), un GAdv. et un GP (Il réagit vite et avec enthousiasme). Marie-Christine Paret Notes de cours 1
LA CONSTRUCTION DE LA PHRASE SYNTAXIQUE POURQUOI SE SERVIR DE MANIPULATIONS? Pour vérifier si une phrase est correctement construite, c est-à-dire selon les normes en vigueur, on utilise des «manipulations syntaxiques». Il ne s agit pas de définitions ou de règles qu on apprend sans les comprendre, mais d outils pratiques; ce sont des tests ou procédures de découverte méthodiques que l'on fait subir aux unités de la langue, que ce soit les mots, les groupes dans la phrase ou les phrases enchâssées (ou subordonnées) dans le but d en dégager des propriétés syntaxiques (et même morphologiques 4 ). On observe l effet produit : la phrase obtenue est-elle encore possible dans la langue, c'est-à-dire grammaticale? Si oui, change-t-elle ou non de sens? Les manipulations sont utiles de plusieurs façons pour observer le fonctionnement de la langue, essentiellement pour : 1) déterminer la classe à laquelle appartient une unité syntaxique (mot, groupe, phrase subordonnée), 2) délimiter les frontières d un groupe syntaxique ou d une P subordonnée, 3) décider du caractère obligatoire ou facultatif d un constituant, 4) déterminer la fonction syntaxique d une unité (complément de verbe, de phrase, etc.). Parfois une seule manipulation suffit, parfois il en faut plusieurs. Certaines sont nécessaires et suffisantes, d autres nécessaires mais non suffisantes. Certaines sont donc plus déterminantes que d autres, on les utilisera en premier. On peut donc établir un ordre dans lequel les appliquer. On y reviendra. Le choix dépend de ce que l on veut vérifier : classe d une unité (mot, groupe ou phrase subordonnée), fonction, forme (morphologie), etc. Par exemple, on peut tenter d'enlever un élément de la phrase et observer l'effet produit. Si on enlève l'adjectif dans la phrase : Un vent froid s'est levé, on obtient Un vent s'est levé, qui est une phrase possible en français, c'est-à-dire grammaticale. Si on enlève le verbe, ce qui reste : Un vent froid, n'est pas une phrase. L'opération d'effacement permet de conclure que l'adjectif et le verbe n'ont pas la même importance : l'un est obligatoire, l'autre non. 4 Voir aussi Chartrand, S-G. (2012) Les manipulations syntaxiques : de précieux outils pour comprendre le fonctionnement de la langue et corriger un texte. Montréal : CCDMD, 62 p. Morphologie : la variation de la forme des mots, de morpho (forme) et logia (théorie), par exemple par accord ou dans la conjugaison. Marie-Christine Paret Notes de cours 2
LES PRINCIPALES MANIPULATIONS Elles sont au nombre de six, ce sont le déplacement, le remplacement (ou substitution), l'effacement, l'addition (ou ajout), le dédoublement et l encadrement (ou mise en emphase) qui combine une addition (celle du marqueur c est qui / que) et souvent un déplacement (Nous irons au cirque la semaine prochaine, devient : C est la semaine prochaine que nous irons au cirque). On peut y ajouter des opérations plus complexes comme la pronominalisation, qui combine un remplacement et parfois un déplacement (on déplace le pronom le avant le verbe, ex. : Nous préférons le chocolat. Nous le préférons). 1) Déplacement d une unité syntaxique (sans changement de sens notable) [un déplacement en tête de phrase suffit] Pierre a téléphoné à Mina ce matin. Ce matin, Pierre a téléphoné à Mina. Pierre a téléphoné ce matin à Mina. 2) Remplacement appelé aussi substitution de tout un groupe, d un mot La cavalière traverse la piste. Elle traverse la piste. Le vieux gardien traverse la piste. 3) Ajout, appelé aussi addition ou expansion, d un élément facultatif (groupe de la phrase, élément d un groupe) La cavalière, vêtue de satin brillant, traverse la piste. 4) Dédoublement (insérer cela ou de et il le fait [en adaptant le temps verbal de faire] Marc participe à la compétition au mois de février. Marc participe à la compétition, et cela (et il le fait) au mois de mai. 5) Encadrement (placer une unité entre c est qui, c est que ou ne pas (mise emphase ou négation) Frank a emporté un sac à dos. C est un sac à dos que Frank a emporté. C est Frank qui a emporté un sac à dos. Frank n a pas emporté un sac à dos. 6) Effacement d un groupe facultatif ou de plusieurs ou effacement d éléments à l intérieur d un groupe (test rarement suffisant) ; Le clown traverse la piste en faisant des grimaces. Le clown traverse la piste. Le vieux gardien du musée rêvait. Le gardien rêvait. Marie-Christine Paret Notes de cours 3
Dans la classe de français elles peuvent donc servir à plusieurs fins : 1) comme procédures de découverte du fonctionnement de la langue ; 2) comme outil pour vérifier l'application des connaissances grammaticales dans un texte écrit, lors de la révision du texte. 1- IDENTIFIER DES CLASSES (ou CATEGORIES) de mots ou de groupes syntaxiques Le remplacement (ou substitution) : on remplace certaines unités par d'autres dans le contexte où elles sont placées, à condition que la phrase reste grammaticale (le sens va souvent changer). Cette opération permet de prendre conscience que des unités diverses sont équivalentes du point de vue syntaxique (c est-à-dire dans la structure) : quelques souvenirs. Elle a rapporté un sac multicolore. un masque en nacre. Mais attention, pour déterminer une classe stable, les remplacements doivent pouvoir être effectués dans plusieurs contextes différents en conservant la grammaticalité, ici en les plaçant en tête de P : Quelques souvenirs Un sac multicolore est (sont) présenté(s) dans la vitrine. Un masque en nacre Donc ces groupes appartiennent à une classe stable, ce sont tous des GN. Autres exemples : Des oiseaux Beaucoup d oiseaux migrent en automne. migrent en automne. Ils ont filmé des oiseaux. Ils ont filmé beaucoup d oiseaux. Comme des et beaucoup de sont substituables l un à l autre dans ces contextes, les deux unités appartiennent à une même classe (ici celle des déterminants). Mais dans le cas suivant : Elle est l'amie de ma sœur. Elle est drôle. Dans ce contexte, l'amie de ma sœur et drôle sont équivalents (ils ont la même fonction : attribut du sujet). Mais en changeant le contexte on constate qu ils n appartiennent pas à la même classe syntaxique : L amie de ma sœur est venue. *Drôle est venue. Marie-Christine Paret Notes de cours 4
Autres exemples : Mila est partie il y a trois jours. il y a peut-être remplacé par depuis, pour, après qui sont des prépositions. Dans ce contexte, il y a est donc une préposition. Mais dans un autre contexte, il y a est tout autre chose sur le plan syntaxique : Il y a un pont sur la rivière. Ici, il y a peut être analysé comme un présentatif, suivi d un complément du présentatif. Elle est passée par je ne sais quel chemin je ne sais quel peut être remplacé ici par ce ou le qui sont des déterminants. Dans ce contexte, je ne sais quel est un déterminant (le déterminant du nom chemin Je ne sais quel chemin elle prendra. Dans cet autre contexte, je est un pronom, ne sais un verbe (négatif) et quel un déterminant du nom qui le suit. 2- DELIMITER UN GROUPE dans la phrase : - le remplacement par un pronom, en gardant la grammaticalité et le sens, montre l unité d un groupe (ou d une P) : Les anciens élèves de l école se retrouvent chaque année. Ils se retrouvent chaque année. [Ils remplace un GN] Karen prétend qu elle va connaît la réponse. Karen le prétend. [le remplace une P subordonnée] - des déplacements, lorsqu ils rendent la phrase non grammaticale, prouvent l inséparabilité de certains éléments (permettent donc de tester le degré de cohésion d un groupe) : Les anciens élèves de l école se retrouvent chaque année. *Les anciens élèves se retrouvent chaque année de l école. *De l école, les anciens élèves se retrouvent chaque année. *Ce sont les anciens élèves qui se retrouvent chaque année de l école. La suite les anciens élèves de l école ne forme donc qu un GN au niveau supérieur de la phrase. Marie-Christine Paret Notes de cours 5
3- RECONNAITRE LE CARACTERE OBLIGATOIRE OU FACULTATIF d un constituant : - à l intérieur d'un groupe, l effacement permet de distinguer le noyau de ses expansions facultatives : Les anciens élèves de l école se retrouvent chaque année. - l effacement d un groupe de niveau supérieur de la phrase montre son caractère facultatif (et sa fonction de complément de phrase). Mais l'effacement est souvent un critère insuffisant pour l élève. Pour le complément de phrase, on y associera d'autres tests. 4- IDENTIFIER UNE FONCTION SYNTAXIQUE - le remplacement par un pronom de forme spécifique, par exemple le, la, les, permet d identifier le complément direct du verbe : Il raconte une histoire. Il la raconte. Il raconte qu'il a eu peur. Il le raconte. elle, il, elles, ce, etc. permettent d identifier la fonction sujet de la phrase. Ainsi dans : Une alimentation saine est nécessaire à un bon équilibre. C est nécessaire à un bon équilibre. Faire de l exercice est nécessaire à un bon équilibre. C est nécessaire à un bon équilibre. Les groupes une alimentation saine (GN) et faire de l exercice (GV inf) sont équivalents dans ce contexte et ils occupent la fonction sujet de la phrase. - le remplacement par me, te, en, permet d identifier la fonction de complément du verbe, sans pouvoir spécifier s il est direct ou indirect : Yann me regarde. (direct) Yann me parle. (indirect) Il achète du pain -> Il en achète. (direct) Elle a besoin de sel. -> Elle en a besoin. (indirect) - le remplacement par les pronoms lui, leur, y, permet d identifier le complément indirect du verbe : Il lui écrit. Elles leur sourient. On y repensera [= à cela] - le non effacement d un groupe après le verbe contribue à montrer sa fonction de complément direct. NOTER : En morphologie, les manipulations de remplacement, d effacement et d addition permettent de passer d une unité lexicale à l'autre : animer, animé, in-animé, ré-animé, anim-ation, ré-anim-ation, etc. Marie-Christine Paret Notes de cours 6