23. Les mutations de l investissement



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Transcription:

23. Les mutations de l investissement Le Cercle des économistes présente sa Déclaration finale. Il s agira de discuter ses propositions afin de dégager les grandes transformations nécessaires pour inventer demain. Introduction du Cercle des économistes Jean-Hervé Lorenzi Témoignages 681

Les mutations de l investissement Jean-Hervé Lorenzi, Cercle des économistes Mes amis, vous savez que la tradition du Cercle des économistes est de proposer une «Déclaration» avec un certain nombre de propositions qui correspondent à ce que nous avons pu apprendre tout au long de ces deux jours et demi de réflexion. C est une tradition que vous devez prendre pour ce qu elle est, modestement destinée à lancer les débats qui nous paraissent importants. Nous tentons d être rigoureux. Nous faisons des propositions. Nous lançons des débats. Rien de moins, rien de plus. J aimerais revenir sur deux ou trois points qui me paraissent importants parmi ceux que nous avons consignés de manière consensuelle, et je vous assure que parvenir un consensus avec les trente membres du Cercle des économistes n est pas chose facile! J ai demandé à deux amis du Cercle qui ont l un et l autre des responsabilités éminentes, dans le secteur privé pour Pierre- André de Chalendar et dans le secteur quasi public pour Pierre-René Lemas à la Caisse des dépôts, de dire ce qu ils pensent de deux ou trois des propositions que nous avons faites, en donnant leur vision de cet investissement qui a été au cœur de ces journées. Ma première remarque concerne le diagnostic. L intervention très éclairante de Christine Lagarde a confirmé que le choix du thème de ces Rencontres était plus que judicieux. Elle a employé les termes de «conjoncture», de «redémarrage hésitant de la conjoncture mondiale», dans le cadre d un investissement certes plus important en termes de croissance aux États-Unis qu en Europe, mais qui reste peu significatif et qui est le symptôme d une reprise d activité relativement faible. Mais, la concentration sur la manière dont l investissement peut redémarrer dans le monde sous toutes ses formes, avec des taux de croissance qui ne seront pas les mêmes, mais plus proches peut-être de ce qu ils étaient avant la crise, demeure un sujet majeur. Comme vous le savez, il y a de nombreux débats entre les économistes sur les raisons de ces obstacles à un vrai redémarrage. Certains économistes dont je fais partie mais je crois que nous sommes minoritaires ont un regard réservé sur l évolution du progrès technique, et pensent qu un ralentissement est prévu. Cela ne veut pas dire disparition, mais simplement ralentissement. D autres évoquent des problèmes de vieillissement, d absence de contrôle de la financiarisation, des inégalités, etc. Ce sont des débats en cours, à propos 682

Les mutations de l investissement desquels nous savons que nous ne savons pas. Ce que nous savons c est que l investissement n est pas au rendez-vous et que c est le point essentiel. Pour l Europe et la France, le diagnostic est sévère : les investissements sont atones. Deux points nous paraissent particulièrement importants. Il faut premièrement que cette épargne abondante en Europe soit canalisée vers l investissement, c est-à-dire vers le risque. Cela règle la question de savoir si l épargne est supérieure à l investissement ou l inverse. Dans la réalité, le problème est l épargne utile qui doit aller vers l investissement risqué. Ceci est très compliqué dans les sociétés vieillissantes, car les seniors n ont guère envie de placer leur «matelas» dans des projets risqués. Nous devons pour cela avoir une sécurité et un partage de risque nouveau sur la fiscalité. C est la plus symbolique de nos propositions. Nous avons suggéré de mettre à plat la fiscalité des revenus de l épargne, des plus-values et du capital, enfin du patrimoine. Nous avons suggéré une fiscalité des revenus de l épargne, pour celle qui est dédiée à l investissement risqué, qui soit désormais un peu à la suédoise nettement inférieure au niveau de la fiscalité des revenus du travail, à savoir forfaitaire entre 30 % et 35 %. Nous avons poussé la provocation jusqu à évoquer la suppression ou la transformation de l ISF en un impôt sur le patrimoine immobilier. Nous suggérons évidemment que la dette Pierre Jacquet disait que nous étions le seul continent, le seul pays où on parle de la dette du matin au soir soit remboursée, mais il faut trouver des modalités qui permettent d allonger ce qu on appelle la maturité de la dette, c est-à-dire espérer que ce sujet ne soit pas un problème permanent de réémission de la dette. Tout cela est anxiogène et ne favorise pas l investissement. 683

23. Les mutations de l investissement Pierre-André de Chalendar, Saint-Gobain Pour un industriel, le thème de l investissement est majeur et je trouve qu il y a eu beaucoup d idées dans ces deux jours. Elles sont très bien résumées dans la Déclaration finale. Je vais me limiter à quelques commentaires de l extrait ci-dessous. En ce qui concerne l investissement, je voudrais redire que de mon point de vue, le sujet n est pas la panne de l investissement au niveau mondial. Il n y a pas de manque global d investissement. Il y a eu et il y a encore un déplacement très important de l investissement au niveau mondial. Il progresse dans les pays émergents, et singulièrement en Asie, alors qu il régresse en Occident. Compétition entre l Orient et l Occident, compétition dans l Occident entre les États-Unis et l Europe, et compétition en Europe entre les pays et entre les régions. Cette situation est très liée aux progrès considérables de la logistique permettant aux entreprises, dans de plus en plus de métiers, de prendre leurs décisions de façon globale. Cela permet également aux territoires d être en compétition pour attirer les investisseurs. Je pense que c est un point très important. Je ferai aussi une remarque en forme de bémol sur la baisse des investissements à l Ouest. C est un point de vue micro dont j ignore s il est vérifié d un point de vue macro : j ai l impression que l intensité en capital des investissements dans les pays développés diminue, ce qui n est pas forcément une mauvaise nouvelle. Nous voyons bien que la Chine est aujourd hui l atelier du monde, surtout pour les biens intensifs en capital. Les entreprises à l Ouest sont plus concentrées sur la différenciation, sur l aval, sur les services, avec des facteurs locaux qui jouent un rôle très important dans la localisation des investissements. Je voudrais aussi revenir sur la première proposition qui résume tout ce qui a été dit sur la culture du risque et sur la nécessité de rassurer les investisseurs par un cadre réglementaire fiscal clair. 684

Les mutations de l investissement Il faut des investisseurs et ils ont besoin de confiance ainsi que de visibilité dans le temps. Cela rejoint d ailleurs le thème de l année dernière sur le temps 1. Je voudrais illustrer ce point en prenant l exemple du secteur de la construction. Quand nous regardons aujourd hui le différentiel de croissance qui s accroît entre la France d un côté, et un certain nombre de ses voisins dont l Allemagne, l Angleterre et un peu plus loin les États-Unis, je crois que l investissement dans le secteur de la construction explique à lui seul plusieurs dixièmes de points de PIB de différence ; ceci n est pas négligeable et me semble être un bon symbole de l état de la France. C est un secteur dans lequel il y a un gisement d emplois non délocalisables où les questions de commerce extérieur ne jouent pas. Pourquoi la France fait-elle si mal depuis quelques années dans ce domaine, alors que nous avons une belle démographie, et que le Président de la République a lancé un objectif de 500 000 logements neufs? Les chiffres actuels sont préoccupants. Si rien n est fait, ils deviendront dramatiques. Tous mes clients du secteur du bâtiment tirent la sonnette d alarme. À partir d un diagnostic qui est largement exact, à savoir qu il faut baisser le coût du logement, tout se passe comme si nous voulions absolument décourager l investissement dans le logement. Je pense que nous ne pouvons pas à la fois relancer le bâtiment en volume et éviter les effets d éviction et la spéculation immobilière en libérant le foncier. Je vois une réforme de base à faire, pas facile sur le plan politique qui consisterait à retirer aux maires l attribution des permis de construire et à la donner à un niveau de décision supérieur. Je suis peut-être très jacobin, mais ma recommandation serait de la donner à l autorité préfectorale. Je pense que beaucoup de problèmes du foncier seraient ainsi réglés. 1. Voir Les Actes des Rencontres Économiques d Aix-en-Provence 2013, Le choc des temps, l économie mondiale entre urgence et long terme. http://www.lecercledeseconomistes.fr. 685

23. Les mutations de l investissement Je conclurai en disant que, comme les entreprises sont passées d une logique de production à une logique de clients et de marchés, je crois que les autorités, qu elles soient nationales, régionales ou européennes, devront passer d une logique de compétitivité à une logique d attractivité pour les investisseurs. Il y en a qui l ont déjà fait ou qui sont en train de le faire. En France, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Pierre-René Lemas, Groupe Caisse des dépôts Les observations qui viennent d être faites me rendent quasiment nostalgique, car je suis un de ceux qui a fabriqué la décentralisation de l urbanisme. L époque où les permis de construire étaient accordés par les méchants préfets et où les maires, au nom de la liberté locale, devaient absolument prendre le pouvoir date maintenant de 1983, et je ne suis pas loin d être d accord avec l intérêt qu il y aurait à envisager peut-être pas une recentralisation des permis de construire puisque l histoire est passée par là, et je pense que nous n y reviendrons pas, mais une réflexion sur un niveau adéquat de délivrance des autorisations d utilisation du sol. Peut-être que l intercommunalité sur laquelle tout le monde travaille depuis tant d années sera le bon niveau, le jour où elle sera stabilisée. J ai lu très attentivement les conclusions et je me suis rendu compte que j étais plutôt d accord avec l ensemble des propositions. J aurais peut-être une nuance sur l ISF. L accroissement de la fiscalité sur les mutations et sur les successions me paraît une piste prometteuse. Nous pouvons nous demander s il était raisonnable de l avoir abandonné à une certaine époque. Le problème est que nous sommes dans un vieux pays où la symbolique du consensus social passe par des mesures qui ne sont pas forcément les plus économiquement pertinentes. En ce qui concerne le thème de la stabilisation de la règle, tout le monde est d accord et je partage l analyse que vous en faites. Tout le monde est d accord en même temps sur l urgente nécessité de changer le plus vite possible une règle inadéquate : la France c est la nature de notre pays, est caractérisée par deux tentations contradictoires : surtout ne pas changer la règle pour être clair sur la longue durée et la changer le plus possible, puisqu elle ne correspond pas aux intérêts du moment. La réalité est en fait que la France ne s en tire pas si mal. J ai entendu des choses un peu mélancoliques tout à l heure, mais nous ne nous en sortons pas si mal. La règle de droit et la règle fiscale en réalité sur le temps long sont quelque chose d assez continu et souvent partagé. Je vais citer deux exemples. Le premier concerne la décentralisation. C est un exercice qui démarre au détour des années 80, qui suscite des débats extraordinaires. Il y a les pour, les contre, les jacobins, les anti-jacobins. La France va être coupée en morceaux Nous allons revenir à la féodalité de l ancien régime 30 ans plus tard, quelles que soient les majorités de gauche ou de droite, à l issue de débats de toutes 686

Les mutations de l investissement sortes au Parlement où l un est plus girondin que l autre et l autre plus jacobin que le premier, nous sommes arrivés à une logique continue de réforme où aucune étape précédente n a été remise en cause par les gouvernements qui se succèdent. Je pense que c est une caractéristique sous-jacente forte du système français qui au fond montre que nous sommes capables sur la longue période de conduire des réformes de même nature. Je fais par exemple le pari que le débat qui s ouvre sur la réforme des régions qui sera plein d accords et de désaccords, de tumultes et de modifications sera un élément qui un jour ou l autre, dans un découpage ou l autre, fera consensus. Regardons quand même l addition et la contradiction des temps qui ont fait l objet de vos débats l année passée. Regardons sur le temps long la capacité qu a la France de faire évoluer les choses. J aurais d ailleurs pu citer une réforme plus récente qui est celle de la SNCF sur laquelle je souris beaucoup, puisqu à travers les désaccords des uns et des autres, de Jean-Claude Gayssot à aujourd hui, en passant par des gouvernements qui n avaient pas tous la même couleur politique, nous assistons à une continuité des analyses qui mérite une réflexion pour le coup souriante et pas du tout mélancolique. Le deuxième point que je voulais évoquer et qui ressort de votre Déclaration, est qu il y a au fond une espèce de consensus sur la puissance publique qui doit retrouver un rôle. Elle doit l inventer et le retrouver. Pour me moquer un peu, je dirais que la Déclaration n est pas exempte de cette contradiction : dans l un de vos paragraphes vous recommandez de rassurer les investisseurs qui fait suite à un autre où vous notez que les investisseurs doivent prendre des risques. Dans le premier vous dites «Allez-y!», et dans l autre: «Allez-y à condition d être bien rassurés!». Les deux propositions sont naturellement vraies et je crois que ce retour de la puissance publique est un sujet important. L État et la puissance publique ont un rôle à jouer dans tous les secteurs dont nous parlons d abondance et toujours avec les mêmes mots depuis des années. Il y a aujourd hui un secteur particulièrement important, c est celui de l ingénierie financière. Je pense que nous avons besoin d être des inventeurs collectifs d ingénierie financière. Nous devons évidemment mettre autour de la table les financiers, les industriels et la puissance publique. Il faut comprendre que moins l État est acteur de la vie économique, plus il devient réglementaire. Moins il est acteur, plus il fait de règlements. Mettons-le avec les industriels et les financiers autour de la table et avançons! Un exemple qui rejoint la thématique de la construction : il y a 30 ou 40 ans, nous nous posions la question de la reconstruction en France. Nous arrivions au détour des années 60 avec l expansion démographique et des sujets que vous connaissez bien. Nous y avons répondu par le petit miracle bien connu de la transformation de l épargne courte en prêts à taux très longs et à l échelle industrielle, de l invention par les industriels des tours de grue qui permettaient 687

23. Les mutations de l investissement de construire les grands ensembles. Je ne vous dis pas que c est le bout du monde et que les résultats ne doivent pas être revus aujourd hui. C est néanmoins de cette manière que nous y avons répondu : par une ingénierie financière multipliée par une ingénierie technique. Je pense que c est une des voies à prendre sur les sujets d avenir, dont la transition écologique et énergétique. Jean-Hervé Lorenzi Chers amis, vos applaudissements me permettent de dire que la déclaration a été adoptée! Nous sommes donc tous d accord sur le diagnostic. Arrêtons d en parler! Un dernier mot, j ai entendu Michel Barnier nous annoncer un programme d investissement de 1 000 milliards d euros en Europe pour les infrastructures. J ai envie de lui dire : «chiche!» En conclusion, si nous voulons faire redémarrer notre continent et notre pays, ce sera obligatoirement en utilisant des solutions et des approches novatrices. C est ce que nous nous sommes efforcés de mettre en lumière dans notre Déclaration. 688