Le FMI limite le recours au plafonnement des salaires



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Transcription:

Bulletin du FMI LE FMI ET LES PAYS À FAIBLE REVENU Le FMI limite le recours au plafonnement des salaires Marijn Verhoeven et Alonso Segura Département des finances publiques du FMI 5 septembre 2007 École à Maputo, Mozambique, où les plafonds de salaires ont permis des recrutements supplémentaires dans des secteurs prioritaires comme l éducation (photo : Jérôme Delay/AFP) Les OMD prévoient de dépenser beaucoup plus d argent public pour les ressources humaines Le FMI réexamine l utilisation des plafonds de salaires dans le secteur public De nouveaux principes directeurs préconisent davantage de souplesse pour faire place à l augmentation de l aide L utilisation du plafonnement des salaires dans les programmes de politique économique appuyés par la facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (FRPC) du FMI suscite de vigoureuses controverses depuis quelques années. On reproche fréquemment aux plafonds de salaires du secteur public d empêcher les pays à faible revenu d affecter l aide au développement de l emploi dans des secteurs essentiels à la réduction de la pauvreté, comme la santé et l éducation. Selon leurs détracteurs, les plafonds compromettent la qualité et freinent l expansion des services, que ce soit dans la lutte contre le VIH/sida ou dans l accroissement des effectifs de l enseignement primaire. La réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) s en trouve gênée. Sous la surveillance de ces critiques et de sa propre instance officielle de contrôle (le Bureau indépendant d évaluation), le FMI a récemment reconsidéré l usage du plafonnement des salaires, dans le cadre d un réexamen plus large de ses conseils aux pays membres à faible revenu face à une aide élevée et instable. Les nouvelles orientations recommandent que les plafonds soient transparents et suffisamment souples pour permettre de dépenser le surcroît d aide, en particulier au profit d emplois durables financés par les bailleurs de fonds dans le secteur social.

2 Justification du plafonnement de la masse salariale Pour que les pays atteignent les OMD, les États devront effectivement dépenser davantage pour remédier à leurs contraintes de ressources humaines. Dans certains cas, toutefois, la charge déjà lourde des rémunérations risque d empêcher les gouvernements d y parvenir, sauf à compliquer la gestion macroéconomique. C est pourquoi de nombreux pays ont réagi en plafonnant la masse salariale dans le cadre d un programme appuyé par la FRPC en complément d autres mesures budgétaires pour maîtriser les coûts salariaux, tout en tentant de préserver les dépenses des secteurs prioritaires, notamment au titre de recrutements supplémentaires. En général, le plafonnement des salaires constitue seulement un expédient qui doit finalement laisser place à une réforme de la fonction publique. Son utilisation prolongée risque de geler des structures administratives inadéquates, sauf si elle s accompagne de réformes structurelles visant à corriger les aspects inefficaces de l emploi public et des grilles de salaires. Il est souvent nécessaire de réformer la fonction publique pour résoudre des problèmes comme la compression excessive de l échelle des rémunérations, les sureffectifs (surtout aux échelons inférieurs de l État) et l inefficacité des procédures de promotion, de mobilité, de recrutement et de licenciement. En outre, le plafonnement des salaires risque d inciter à majorer les rémunérations non salariales, telles que les allocations de logement et autres prestations en nature. La fragmentation de la rémunération des fonctionnaires qui en résulte peut favoriser des iniquités, réduire la transparence globale des dépenses de personnel et donc priver d effet le plafonnement des salaires. Le plafonnement en pratique Quelle est la place des plafonds de salaires dans les programmes appuyés par la FRPC? Leur application s est limitée aux cas où les meilleurs moyens de maîtriser les coûts salariaux comme l instauration de systèmes efficaces de gestion des effectifs ou de contrôles budgétaires stricts n étaient pas disponibles; le pourcentage de programmes soutenus par la FRPC assortis d un plafonnement des salaires est passé de 40 % de la période 2003 05 à quelque 32 % à la fin de juin 2007 (voir graphique).

3 Sur un total de 28 accords FRPC, trois seulement ceux concernant la République Centrafricaine, le Tchad et le Malawi faisaient du plafonnement des salaires un critère de réalisation quantitatif (mesure si importante en soi que sa non-application justifierait de considérer que le programme n est pas respecté); six autres programmes les incluent en tant qu objectifs indicatifs (une forme de conditionnalité plus souple).

4 Application du plafond On a eu généralement recours aux plafonds de salaires parce que l on s inquiétait de la dynamique de la masse salariale et pour appuyer des réformes structurelles de l emploi et des rémunérations publics. Au Ghana, où les rémunérations entraînaient des dépassements budgétaires significatifs, le programme gouvernemental de 2005 appuyé par la FRPC a prévu un critère de réalisation pour la masse salariale. Cette limitation a été adoptée pour soutenir les efforts officiels de maîtrise des salaires, tandis que l on mettait en place un système de gestion informatisée de la masse salariale du secteur public. Le programme FRPC avec le Ghana a été conclu en octobre 2006. Au Mozambique, on craignait également que le gonflement de la masse salariale entraîne une dérive budgétaire; c est pourquoi le gouvernement a intégré un repère quantitatif portant sur les salaires dans son programme FRPC de 2004. Le repère visait à attirer l attention sur les facteurs sous-jacents des hausses salariales; il montrait aussi la nécessité de lier les décisions de recrutement de fonctionnaires aux objectifs globaux du développement et à une vaste réforme de la fonction publique. Enfin, il a permis de mettre l accent sur les difficultés macroéconomiques susceptibles de résulter de la contraction d engagements de dépenses à long terme en l absence d engagements de même durée des donateurs pour les financer. Le Mozambique est sorti avec succès de la situation d après-conflit durant laquelle les plafonds avaient été initialement établis et la conditionnalité relative aux salaires a été abandonnée en juin 2006. Le Nicaragua a accepté d introduire un critère de réalisation pour la masse salariale à un moment où les rémunérations publiques dépassaient largement les émoluments comparables du secteur privé. Au terme d une croissance rapide, elles atteignaient quelque 8,5 % du PIB à la fin de 2005, le haut de la fourchette en Amérique latine. Le critère de réalisation traduisait l existence d un risque de course salaires-prix, qui pouvait compromettre la compétitivité externe du pays. Le programme FRPC avec le Nicaragua a été agréé en décembre 2006. Quelle a été leur incidence? Selon un examen récent des services du FMI, les plafonds de salaires, malgré leur vocation à court terme, ont tendance à perdurer dans les programmes soutenus par la FRPC, sont difficiles à surveiller et détournent les gouvernements du renforcement des institutions permettant de mieux maîtriser les dépenses salariales. Mais il a aussi conclu que ces plafonds ne s appliquaient jamais à un secteur spécifique et même que, dans certains cas, les secteurs prioritaires tels que l éducation en étaient dispensés (au Bénin par exemple). Les plafonds ont donné une certaine souplesse pour créer des emplois dans les secteurs prioritaires quand des financements externes étaient disponibles (au Sénégal, au Malawi et en Zambie, par exemple). De plus, les révisions périodiques des programmes ont fourni

5 l occasion de les ajuster en fonction de l évolution des ressources disponibles et des priorités. Une récente étude du Center for Global Development (CGD) porte aussi sur l emploi du plafonnement des salaires dans les programmes appuyés par la FRPC. En ce qui concerne la Zambie, il s avère que leur application initiale était justifiée en tant qu instrument à court terme pour freiner la dérive des effectifs qui menaçait la stabilité macroéconomique. S agissant du Mozambique, les programmes ont prévu un plafonnement en raison de fortes hausses de la masse salariale, dont une partie seulement visait apparemment les secteurs prioritaires. En pratique, toutefois, les limites fixées ont été assez souples et n ont donc pas imposé de contraintes salariales majeures. Dans les deux cas, on a autorisé des recrutements supplémentaires dans les secteurs prioritaires (surtout la santé et l éducation), même si on s est aperçu que plafonner la masse salariale ne permettait pas de protéger les dépenses prioritaires; on n avait en effet aucun moyen de faire respecter ou de surveiller systématiquement l application de ces utilisations prioritaires dans le cadre des plafonds. L avenir Au fur et à mesure que les pays renforceront leur système budgétaire et la gestion des effectifs, tout en formulant la politique budgétaire dans un cadre à moyen terme, le recours aux plafonds pour maîtriser les charges de personnel diminuera. Mais cela prendra du temps. D ici là, on pourrait en avoir parfois besoin et, après beaucoup de dialogues et de débats, le FMI a récemment précisé la politique d emploi de ces plafonds dans les programmes appuyés par la FRPC; il a souligné qu ils seraient utilisés dans des circonstances exceptionnelles et devraient respecter les critères suivants : Justification claire. Les plafonds de salaires doivent répondre à des considérations macroéconomiques. Il faut que l énoncé des programmes justifie de façon transparente leur utilisation et leur compatibilité avec les OMD. Durée limitée. Il s agit d un instrument temporaire. Les gouvernements doivent s attaquer aux causes profondes des problèmes budgétaires liés aux rémunérations, par exemple la nécessité d une réforme de la fonction publique et d une gestion plus rigoureuse des effectifs. Souplesse suffisante. Les plafonds doivent être assez souples pour permettre de dépenser l augmentation de l aide, notamment en faveur d emplois stables financés par les donateurs dans les secteurs prioritaires comme l éducation et la santé. Réévaluations périodiques. On devra réexaminer, lors des revues de programmes, la nécessité et la justification des plafonds de salaires. Cet article est le dernier d une série consacrée au rôle du FMI dans les pays à faible revenu; le précédent était intitulé Le FMI clarifie son rôle en matière d aide. Traduction d un article du Bulletin du FMI en ligne (www.imf.org/imfsurvey).