Transcription Carroll Légaré - retraité d Ottawa - 69 ans Nancy Lepage, travailleuse sociale Bonjour M. Légaré. Je suis Nancy Lepage, la travailleuse sociale du Centre de réadaptation. Comment ça va aujourd hui? Ah, ça va pas bien. Je n ai pas encore récupéré mon bras et pis ça a l air que j ai plein de problèmes, alors ça m énerve. Hum, j comprends. J ai eu la chance de regarder un petit peu à travers votre dossier. J ai pu lire que vous avez vécu pas mal de choses dans les derniers mois. Est-ce que je me trompe? J suis tombé dans ma cuisine. Je parlais plus bien, ma jambe et mon bras bougeaient pas et ils m ont amené aux urgences. Là, le médecin m a fait un plan pour surveiller mon sucre. Tout ça, ça s est passé il y a deux semaines. Donc, avant cet accident-là, vous étiez fonctionnel à la maison? Ouais, mais je sortais plus beaucoup. J ai mal à mon genou. Ils devaient le changer, mais ils l ont pas fait et pis je ne sens pas mes pieds à cause du diabète, alors ça va pas bien. Pis j ai ma fille et ma voisine qui viennent m aider. Ok. Donc vous avez votre fille et votre voisine qui sont présentes. Hum, j lisais aussi, malheureusement vous avez perdu votre conjointe. Elle est décédée il y a de cela six ans. Ça dû être un moment difficile ça aussi pour vous? On était marié durant 40 ans. Quarante ans, c est beaucoup de temps avec quelqu un. Si on revient à votre fille, de quelle façon votre fille vous aide dans la vie de tous les jours? Elle fait l épicerie. Elle fait mon lavage. Donc elle vous aide avec de l aide plus ponctuelle. Oui. Ok. C est la seule fille que vous avez? Oui. 1
Vous avez pas d autres enfants?. Ben, j ai un gars, mais il est parti de la maison quand il avait 20 ans on l a pas vu. On n a pas eu de nouvelles depuis ce temps-là. Il ne doit même pas savoir que sa mère est morte. Donc, vous avez jamais eu de nouvelles de votre fils depuis tout ce temps-là? Non, jamais. Ma fille a peut-être des nouvelles, mais on n en parle pas à la maison. Ben, il a voulu partir, il est parti. C est à lui de revenir. Moi, je suis toujours à la maison, j bouge pas! Ça semble difficile pour vous de parler de votre fils? Moins on en parle, mieux c est. Est-ce que vous avez déjà été chercher de l aide pour ça? En avez-vous déjà parlé avec quelqu un? Non, vous êtes la première. Ben, depuis que j suis en réadaptation, tout le monde me pose des questions, je m en viens tanné. Moi, je veux rentrer chez nous. J comprends. Vous savez, les services sont ici pour vous aider le plus possible dans tout ce que vous vivez. Moi, j veux juste rentrer chez nous! JE VEUX RENTRER CHEZ MOI. Ok. Alors, dites-moi ce que vous allez faire en rentrant chez vous? Eh ben, j vais continuer de vivre comme avant. J ai toujours vécu à Vanier, depuis que j suis petit. Ok, donc vivre comme avant, ça veut dire vivre comme avant votre accident. Donc, racontez-moi comment vous allez prendre soin de vous, de vos besoins personnels. Je sais que votre fille est impliquée, elle en fait déjà beaucoup. Elle peut pas venir m habiller tous les jours, c est vrai. Donc, on reconnaît qu on a besoin d aide. On reconnaît que l aide peut pas être disponible à tous les jours. Vous êtes seul à la maison. Est-ce qu il y a d autres personnes qui viennent vous visiter? 2
Y a une voisine. C est elle qui m avait amené mon épicerie et qui m a trouvé par terre. Ok. Pis ça signifie quoi cette relation-là pour vous? C est juste une voisine. Je lui demande des services quand je la vois dehors. Pis si elle voit, si elle ne me voit pas pendant 24 heures, si elle voit du courrier dans la boîte aux lettres, elle va venir voir ce qu il se passe. Disons qu on prend le scénario (où) vous demeurez chez vous, ça serait quoi vos besoins pour demeurer chez vous? J ai besoin de me lever, de m habiller. Est-ce que ça, c est des tâches que vous êtes capable de faire tout seul? Avec mon bras et pis ma jambe qui est molle, c est moins facile. Et puis, j ai mon genou Ah oui! C est vrai. Et puis les repas eux? Pas ben ben cuisinier. Quand ma femme elle est morte, ben là j ai commencé à me faire des patates, du bacon, des œufs, des pâtes. Pis ça, est-ce que ça c est un régime qui va avec quelqu un qui a du diabète? Ça l air que pas beaucoup. Votre lavage, c est votre fille qui le fait? Oui. Ok. Mis à part les tâches quotidiennes, les tâches ménagères, qu est-ce que vous faites à tous les jours pour vous désennuyer? Je regarde la TV. Ok. Ça se peut-tu M. Légaré, que parfois les journées sont longues pour vous? La vie ça vient long surtout à la fin Qu est-ce que vous voulez dire par la fin? Ben la fin d la vie. 3
Pis quand vous me parlez de la fin de la vie, M. Légaré, est-ce que vous me parlez de la fin de votre vie de façon naturelle ou est-ce que vous parlez d idées suicidaires? Ah non, non! Qu est-ce que vous voulez dire, que je me suiciderais? Ouais. Ah non, je pense pas à ça. Moi, j suis tough (résistant). J ai toujours toughé (persévéré). Les journées sont longues Les journées sont longues, mais c est pas suffisant pour vouloir vous enlever la vie? Ben non quand ma femme elle est morte, je me suis dit que ça servait à rien de vivre, mais ça, c est du passé. Ok. Vous savez, M. Légaré, il y a une différence entre avoir des idées suicidaires et être suicidaire. Avoir des idées suicidaires, tout le monde peut avoir des idées suicidaires. On a tellement mal qu on veut que ce mal-là arrête. On veut cesser de souffrir. Mais être suicidaire et vouloir se suicider, c est avoir un plan, commettre un geste, c est de s enlever la vie. Vous comprenez la différence? Hum, moi j ai jamais pensé à ça. Ok, donc, quand vous avez fait votre AVC, depuis votre AVC ou dans les derniers mois, est-ce que vous avez eu des idées suicidaires? Non. J suis fatigué et pis j suis fâché de plus être comme avant. Ouais, ça j peux comprendre. C est plutôt comme un état dépressif. C est pas facile d être vieux et malade. DEUILS ET DÉPRESSION Vous avez fait une dépression, je crois, suite au décès de votre conjointe. Est-ce que vous avez été chercher de l aide pour ça? On était tout le temps ensemble. Quand je m suis retrouvé tout seul, j ai trouvé ça bizarre. J sortais plus. Mais je me suis dit que c était normal et que j allais m en sortir. J ai toujours fini par m en sortir tout seul. Quand je vous écoute parler, M. Légaré, j ai l impression de voir un homme toujours fort. Faut toujours qu il démontre qu il est capable de réussir les choses. Aucune faiblesse, aucun défi, un peu comme un superhéros. 4
J ai toujours été comme ça. C est pas facile pour vous de demander de l aide? Non. Avec ce qui vient de se passer, est-ce que vous seriez un peu ouvert à ce qu on vous apporte du soutien, à ce qu on vous appuie dans ce que vous vivez maintenant? Mais comment ça? Ben, on peut commencer par aller voir c est quoi les ressources qui sont disponibles tout près de chez vous. Vous m avez dit que vous vivez à Vanier. Y a des organismes qui existent, c est des centres de jour. Vous pouvez vous rendre dans ces milieux-là, question de rencontrer d autres personnes qui ont vécu les mêmes défis que vous, briser l isolement, faire des activités récréatives, sociales. Si vous êtes moins confortable dans un contexte de groupe, il y a aussi des ressources qui existent avec des gens de la communauté. C est souvent des bénévoles qui peuvent se rendre à domicile, chez vous, pour jaser avec vous, prendre le temps de vous écouter, prendre le temps de vous laisser parler de tout ce que vous avez vécu, question d alléger le fardeau que vous supportez depuis longtemps. Moi, je n ai pas de mal à ce qu ils m aident, mais je veux qu ils m aident chez nous. J veux pas partir de chez nous. Ça, je l entends M. Légaré, je l entends. C est quelque chose qu on peut travailler ensemble. On peut tranquillement aller voir c est quoi les options au niveau des résidences, aller voir c est qui les gens qui travaillent là, les gens qui demeurent là, essayer d aller voir quelles autres expériences, quelles belles expériences vous pourriez vivre. Mais ils doivent avoir de l argent, c monde là. Ben, faut voir. Quand vous allez être prêt, vous allez me faire signe. De là, on va partir de vos besoins, on va aller explorer c est quoi les ressources qui existent, c est quoi les options qui sont mises à votre disposition. Savez, je comprends vos réticences à quitter votre maison, c est un lieu où vous avez vécu des belles choses, des beaux souvenirs. Oui, j suis ici depuis que je suis p tit gars. J ai de la difficulté à m imaginer d aller vivre ailleurs. Chez nous, là, c est icitte, même si la maison est toute vieille. Vous savez, il y a tout un élément de sécurité qu il faut prendre en ligne de compte dans votre situation. Votre bras, votre jambe, votre genou, les risques de chute sont 5
beaucoup plus grands. Faut vraiment considérer tout ça. Vous savez, M. Légaré, vous avez des grands deuils à gérer. Ouais, ça serait facile si j étais en bonne santé, mais c est pas l cas! TRANSITIONS DE VIE Vous savez, toute l équipe travaille le maximum qu ils peuvent faire pour vous permettre de récupérer votre jambe et votre bras. Vous avez beaucoup de deuils à gérer : le deuil de votre conjointe, le départ de votre fils Oui, mais ça c est des choses du passé. C est vrai que c est des choses du passé, mais en même temps, ça vous lie émotionnellement à cette maison-là. Ouais, mais qu est-ce que j vais en faire de cette maison-là? Faire le deuil de ces personnes-là va vous aider tranquillement à vous détacher de la maison. Mais on m a pas appris ça à l école! Oui, c est vrai, on n apprend pas ça à l école non plus. Faudrait peut-être trouver une personne en qui vous auriez confiance, avec qui vous pourriez discuter des deuils que vous vivez. Mais, c est qui qui peut faire ça? Moi je peux le faire. Une partie de mon travail, c est de trouver les ressources qui sont adéquates pour vous, qui répondent à vos besoins. Donc de trouver une personne avec qui vous seriez suffisamment confortable pour partager sur les deuils du passé. Moi, je peux faire ça avec vous. Alors, moi je viens ici pour mon bras et ma jambe qui ne fonctionnent pas et pis là vous, vous me parlez d mon gars. Ç a pas d allure! C est vrai, c est toute une histoire, mais c est votre histoire M. Légaré. Oui. J sais pas si j ai envie de parler de ça. J comprends, mais en même temps, c est vous qui m en avez parlé. Moi, je ne veux pas vous pousser à faire des choses que vous êtes pas d accord à faire. Quand vous allez être prêt, on va regarder les ressources disponibles. Y a une chose qui est claire 6
pour moi : j aimerais que vous partiez aujourd hui avec une ressource qui va être à votre disposition quand vous en aurez besoin, c est-à-dire que n importe quand, vous avez besoin de parler avec quelqu un, vous avez le goût de contacter quelqu un, que ce soit le soir, la nuit, la fin de semaine, vous auriez au moins cette ressource-là à contacter. Là, vous voulez dire que j vas rentrer chez nous? Non, c est pas une décision qu on peut prendre tout de suite. Après notre rencontre aujourd hui, je vais aller rencontrer mes collègues et à la lumière de ma rencontre, de ce que vous m avez raconté, de ce que vous avez raconté à mes collègues, des évaluations qui ont été faites, des recommandations, on va tout prendre ça en considération pour arriver à la meilleure décision pour vous. Il y a juste une chose à laquelle je peux vous assurer, c est de mon accompagnement. Peu importe si la décision est que vous restiez à la maison, je vais vous accompagner là-dedans, ou si c est que vous quittez la maison pour aller en résidence, là aussi je vais vous appuyer dans votre démarche. Pis j pense qu à ce point-ci, ça serait peut être intéressant d introduire votre fille dans nos rencontres. Qu est-ce que vous en pensez? Ma fille va être contente de vous rencontrer. C est elle qui fait tout. C est vrai, pis tu vois, juste à ce niveau-là, y a aussi des ressources pour les proches aidants, que ce soit au niveau du lavage, du ménage, dépendamment de votre budget, même l épicerie. On peut trouver des ressources pour alléger les tâches de votre fille. Et puis advenant la décision que vous partez pour la résidence, peut-être on pourrait explorer avec elle : elle a peut-être des idées par rapport à la maison. J penserais qu elle veut vendre la maison. C est une vieille maison et elle en a une autre ben plus belle. Ok, d accord. Ben faudrait voir. Ben, je vous remercie, M. Légaré, d avoir accepté de me rencontrer. Ça prend beaucoup de courage. Alors, je vais retourner voir mes collègues et suite à notre rencontre, on vous fait part de nos discussions. Ben, bonne journée et merci Mlle Nancy. Merci à vous! 7