titre : lettre d'adieu - notes sur la vie durée : 13' image et son : prises de vue de mon quotidien, un voyage dans les alpes italiennes, des lieux de l'université revisités, un texto sur mon portable, moi en train de filmer et de me filmer à travers les reflets, etc. note d'intention : lettre d'adieu - notes sur la vie se veut un film sur l'absence et le deuil, c'est un film qui fait l'expérience de l'absence à partir de l'expérimentation du medium vidéographique. C'est à partir d'un travail sur la durée et le temps que le film évoque ce manque. La transformation de l'image et du son avec l'utilisation du ralenti crée un sentiment d'inquietante étrangeté. Le film se joue dans le passage entre ces différentes temporalités, créée par les différentes vitesses. C'est en évoquant une présence, celle de la caméra, que le film essaie de faire sentir une absence. Le film montre un vecu mais aussi sa transformation par rapport à la façon dont nous appréhendons notre propre présence, symptôme de notre altérité. En citant la phrase énigmatique de Jacques Lacan "tu ne me regardes jamais, de là où je te vois", c'est l'énigme du rapport à l'autre que le film entend mettre en jeu. C'est ce regard qui le film cherche désespérément : en multipliant les axes des points de vue, en jouant subtilement avec une mise au point impossible, en déformant l'image et le son. Dans le film, il n'y a pas de paroles. Il y a des mots écrits, cités, mais pas dits. La parole dite est absente, le texte prend sa place, pour parler d'une altérité qui est à jamais perdue et qui malgré elle détermine notre présence. Le film cherche ce regard de l'autre qu'en nous regardant nous constitue et qui nous est à jamais impossible. Le seul personnage du film est mon reflet à exception de la femme de la première séquence, une passante qui regarde la caméra sans s'arrêter. Et ce reflet n'est pas n'importe lequel, j'apparais toujours la caméra à la main en train de filmer, de me filmer. Cette image de moi c'est la seule à laquelle je puisse
avoir accès, puisque reflet de mon moi, et qui me constitue en tant image d'un autre, vient se superposer ou se refléter dans l'image qui constitue le film et qui est mon regard. C'est dans le déplacement du regard que se base l'enjeu du film. description et analyse du film séquence par séquence : Le film commence avec un plan fixe serré sur un champs de fleurs, nous pourrions nous croire dans une prairie, mais nous sommes au bord d'une route. Ce premier plan nous positionne entre la nature et la ville, il y a un premier dépaysement : nous nous croyons ailleurs mais nous sommes bien là, au milieu d'un paysage urbain, banal et quotidien. Puis avec un zoom arrière accompagné d un ralentissement de la vitesse, l image s'ouvre sur la rue, une passante marche vers nous. Une mère avec son fils dans une poussette. L'image revient à sa vitesse normal. La femme nous regarde. Elle continue à marcher. La caméra la suit. Il y a, à nouveau, un ralentissement de l image, quand la femme rentre dans un tunnel, comme si le temps avait été momentanément suspendu. Le son est coupé (au montage) et c'est le silence qui se livre à nous dans l'image. La caméra (qui a suivi la femme) tourne sur son axe jusqu'à montrer une partie de mon visage, je suis passée de l autre côté de la caméra, de regardeur à regardé. Cette image fragmentaire de moi disparaît dans un fondu noir, et ensuite à l écran nous avons un texte, une phrase qui va se dévoiler en trois temps, d abord nous lisons blanc sur noir : tu ne me regardes jamais, dans un deuxième temps presque sans intervalle, en rouge, nous lirons, à la ligne, la suite : de la où je te vois. Et ensuite, au bas de page, comme dans un texte, la référence de la citation. Il est question de lieux, et du rapport entre regarder et voir, entre je et tu. Il est question de cet autre je étranger à nous. Le film est une quête de ce regard (partagé) impossible. La séquence suivante est une suite de longs plans fixes. Ces plans fixes sont des différents axes de prises de vue du même lieu. Des bancs dans un coin vert de
l université, c est un lieu revisité, mais cela n apparaît pas dans l image, cela n est pas dit dans le film, rien est dit dans le film. Cette image évoque la solitude, l absence. Il s agit d un travail sur la durée, une manière de faire sentir le temps. La lenteur du temps qui passe et qui nous met mal à l aise. Dans ces plans fixes, il y a «un presque rien» qui se passe, évocation d un lieu, d une présence (la mienne derrière la caméra qui est là pour pointer une absence, ce «tu» qui ne me regarde plus). Nous sommes ici aussi dans un entre-deux : bruits de voitures (que l on peut apercevoir loin) et des oiseaux, un dépaysement, un lieu familier qui devient étrange. Et la durée qui se fait difficile à tenir, nous voulons passer à une autre image, nous attendons que quelque chose arrive et c est dans les petits détails qu on pourrait retrouver un peu de repos. Un gros plan, une image confuse, floue, nous sentons un effort de mise au point. L image se définie, elle devient nette. Lentement nous comprenons l image : le reflet de quelqu un, en l occurrence moi plus précisément ma blouse, sur l écran d un portable, la mise au point nous révèle un texto : «quelque part tu me manques. Bizz. LW». Il se produit un double dédoublement de l absence et du je. Le tu qui était moi devient elle. Mais cela n est pas lisible, c est une trace qui permet de lire l absence, mais qui ne nous l explique pas. Pour le spectateur du film, tout cela reste un énigme. L énigme d une absence. La séquence suivante, c est un travelling dans un tunnel. Une image très blanche où les lumières du tunnel viennent s inscrire. Une sorte de défilement d images où les reflets de la vitre (de la voiture d où je filme) viennent se superposer. La vitesse de ce plan est réduit à 30% de la vitesse normale de l image. Le son aussi. Cela produit un sentiment d étrangeté. Il y a ici mon reflet dans le rétroviseur de la voiture, il est à peine visible, mais on sent la caméra. Elle bouge. Elle cherche un axe nouveau. Il y a un changement de point de vue, un double mouvement, celui de la caméra et celui de la voiture. Multiplicité d axes qui ressemble d une certaine façon à celle de la séquence de bancs. Malgré mes plans fixes, rien n est permanent, rien n est appréhendable en entier. Un
fondu enchaîné vient insérer dans ce tunnel mon reflet avec la caméra à la main qui fait le pont avec une nouvelle séquence. Dans cette nouvelle séquence, je filme, la caméra à la main, tremblant (tremblement accentué par le ralentissement de l image) une carte postale d une reproduction de René Magritte. Le son ambiant, une chanson qui vient pointer l image, et après le silence. L image reproduite de Magritte c est celle d un robe de chambre d une femme avec les seins et le sexe dessinés devant un armoire ouvert, une robe sans femme et une porte ouverte à un énigme. Encore des images «signes» énigmatiques qui restent indéchiffrables pour le spectateur mais qui dénotant à la fois quelque chose qui est là latent mais inaccessible. Avec l image de Magritte et le texto du portable, nous glissons dans le terrain du symbolique, mais nous n avons pas les clés pour le comprendre. Puis une série de plans fixes, arrêts sur l image, images presque topographiques d un chemin de terre. Le son de pas, les miens, l eau qui coule, des oiseaux ; sons qui sont des notes de vie et qui viennent pointer, à travers une (ma) présence, une absence. Cette suite des images se finit par la présentation d un scénario : un chalet à la montagne et plus précisément la fenêtre d un chalet, il s agit ici de vécu non-dit mais évoqué. Mon reflet dans la fenêtre, encore avec la caméra, l image est ralentie, un zoom avant qui se confond avec la mise au point, la caméra (moi) cherche à voir, à fixer le regard. À l intérieur du chalet, un lit vide et défait qui se confonde avec l image de mon reflet à l extérieur. Extérieur et intérieur, présence et absence sont brouillés, mêlés, confondus. Et après cela, il faut partir sur un autre lieu, ce que Emmanuel Kant pouvait nommer le sublime (puisque à une autre échelle que l humaine) : l immensité du Mont Blanc, de la nature qui devient immense dans la présence d une absence.
t e x t e s u r l e f i l m : lettre d adieu - notes sur la vie t r a v a i l s u r l e j o u r n a l i n t i m e pour le cours de Mme. Sabine Bouackaert année 2006 2007 kareen wilchen n étudiante : 195802