BACCALAURÉAT PROFESSIONNEL Série : PROFESSIONNEL Épreuve : FRANÇAIS Session 2015 Durée de l épreuve : Cliquez ici pour taper du texte. Coefficient : Cliquez ici pour taper du texte. PROPOSITION DE CORRIGÉ 1
Évaluation des compétences de lecture (10 points) Présentation du corpus Question n 1 : Présentez le corpus en trois à six lignes en montrant ce qui fonde son unité. (3 points) Le corpus se compose de deux textes et d un document photographique. Le premier texte est extrait de Bien juger d Antoine Garapon, le second de L Etranger d Albert Camus. La photo représente la Cour d Appel de Paris. Ce qui fonde l unité de ce corpus est le sujet commun du jugement, le fait de rendre la justice. Analyse et interprétation Question n 2 : Texte 2. Comment l extrait montre-t-il que Meursault observe son propre procès comme un spectacle? (3 points) Meursault observe son propre procès comme un spectacle car il utilise le champ lexical du théâtre : «concert», «salle», «fêtes» Il y insère des dialogues, parfois au style direct : «Oui, a dit le second gendarme» Le rituel du spectacle est lui aussi respecté : la «sonnerie» qui marque le début du procès est aussi celle d une représentation, il s installe face à une «salle», qui le regarde comme des spectateurs un acteur : «Tous me regardaient.» De même qu un spectateur ébloui par les feux de la rampe ne voit de la salle qu une étendue d obscurité indistincte, il ne reconnaît personne : «une rangée de visages devant moi», «je ne peux pas dire ce qui les distinguait les uns des autres». Mais ce point de vue d observateur, initié par le titre «L Etranger», montre aussi qu il a le recul d un spectateur de lui-même et de ce qui arrive. On le voit à son détachement : «Il m a fallu un effort pour comprendre que j étais la cause de toute cette agitation». De même, ses notations sont toutes descriptives, sans aucune notation de sentiment : «j ai vu», «j ai entendu» 2
Question n 3 : Texte 1 et document 3. En quoi le document 3 illustre-t-il l analyse d Antoine Garapon? (4 points) La photographie illustre l analyse d Antoine Garapon, car il insiste sur la mise en espace du jugement : à la fois «architectural et symbolique». Il sépare «l événement de juger» et «le droit» en estimant que le deuxième est davantage mis en valeur à tort : il ne peut en effet se passer d une «mise en scène», qui elle-même suppose un suite rituélique d actions : «parler, témoigner, argumenter, prouver, écouter et décider». Or ce rituel a besoin d un cadre délimité pour s exercer, ce que la photo représente : on y voit en effet les costumes assignés à chacun suivant son rôle, avocat ou juge, et la paradoxale mise en valeur du prévenu par son absence de costume défini ; on y remarque aussi le placement des différentes parties de la Cour : la salle d audience est en effet un lieu très hiérarchisé où une frontière est physiquement marquée entre le prétoire et les spectateurs, où les deux parties qui s opposent sont séparées et l accusé apparaît isolé. Évaluation des compétences d écriture (10 points) Selon vous, la mise en scène de la parole dans les espaces de prise de parole publique (réunion politique, pièce de théâtre, procès, émission télévisée, etc.) contribue-t-elle à son efficacité? Vous répondrez à cette question, dans un développement organisé d une quarantaine de lignes, en vous appuyant sur les textes du corpus, sur vos lectures de l année et sur vos connaissances personnelles. Introduction : S exprimer, c est avoir une action sur l auditeur. Un discours est toujours entre parole et spectacle, qu il soit politique ou théâtral, qu il s agisse d une émission télévisée ou d un cours. Son but est de convaincre et de persuader. Pour cela, la mise en scène de la parole contribue-t-elle à son efficacité? Une mise en scène physique : position du locuteur et mise en scène de l espace Un locuteur qui emporte d emblée le respect peut davantage espérer obtenir l adhésion du public. Ainsi au théâtre le comédien qui a déjà du succès est applaudi dès son apparition sur scène, dans une réunion politique le leader du parti profite déjà par sa position d une 3
audience assurée, l autorité du juge confère au procès son instance d autorité, et le savoir du professeur légitime l écoute de ses étudiants. Pour imposer le respect, tout auteur d un discours aussi improvisé soit-il le sait : la position physique a son importance. Le fait de se placer en hauteur est logique pour se faire entendre, c est aussi un moyen d apparaître en évidence, isolé face à la foule des auditeurs : le discours improvisé de Lantier face aux mineurs dans Germinal de Zola montre ainsi l importance de cette position, mais n importe quel tréteau de théâtre de rue en est aussi une démonstration. L orateur qui se veut efficace adopte une position surélevée, et isolée du public, ou au moins démarquée. On peut prendre pour exemple la configuration du théâtre dès l Antiquité : en forme d hémicycle dont le centre est l orateur ou l acteur. Ce choix met aussi en valeur le fait que quelque chose va se jouer, les spectateurs étant ainsi en position d attente, qui n est cependant qu une passivité mesurée. On retrouve cette idée d espace délimitant scène et salle dans une classe par exemple, où la position du professeur est avant tout définie physiquement : s asseoir sur sa chaise pour un élève est presque sacrilège. Pour peu qu il y ait une estrade, la mise en scène est encore plus efficace car le regard doit se lever vers le savoir, qui est plus haut et reste à atteindre, par définition. Dans une Cour d Appel, l espace est clairement hiérarchisé : le juge a une position à la fois centrale et en hauteur, le greffier et le procureur délimitent la scène, les parties sont opposées, et l accusé est seul. L autorité n est pas dévolue à l accusé, mais à ceux qui sont là pour prendre sa défense ou le mettre en accusation, et qui sont ainsi mis en valeur physiquement. Une mise en scène du langage : l art de la rhétorique La rhétorique est l art de la parole que les Romains envièrent tant aux Grecs. Théorisée par Aristote, son but n a pas changé : emporter l adhésion de l auditoire. C est cet art qui est en action dans la réponse du Général de Gaulle à la Libération de Paris : «Paris outragé! Paris brisé! Paris martyrisé! Mais Paris libéré!» où au rythme ternaire succède une exclamation paradoxale qui enthousiasme les auditeurs. Une parole posée met en avant la capacité de réflexion de l orateur, et aussi son sang-froid, sa maîtrise du sujet comme de soi. On doit pouvoir attendre de lui les capacités d un chef. C est le ton qu emploient les présidentiables à la République en période pré-électorale, lorsqu ils sont d un parti qui est proche du centre, et d autant plus lorsqu ils s expriment à la télévision, où la parole se doit d être plus mesurée qu à une tribune. Un discours posé cherche à convaincre : il fait appel avant tout à la raison de l auditeur. Il considère les gens qui l écoutent comme responsables et dignes de réflexion, et présente les faits comme des évidences. C est ainsi que s achève le film Le Dictateur de et avec Charlie Chaplin : le discours final montre le dictateur Hynkel repenti, qui n a nul besoin d insister sur les effets 4
de langage auxquels il a pu souscrire auparavant puisqu il fait appel à la raison et à l évidence. Mais la fougue peut être aussi une qualité : c est le symbole de l emportement du locuteur, de sa sincérité aussi : il ne craint pas de montrer ses sentiments, ses émotions. On peut attendre de lui des qualités humaines, qu il soit proche des gens que son discours défend. Et qu il ait l énergie de défendre sa cause. Ainsi en est-il de Martin Luther King lors de son fameux discours «I have a dream» en 1963. Une sorte de catharsis inévitable s opère : l auditeur est ému à la mesure de l émotion qui semble s emparer de l orateur. On peut encore citer le discours d André Malraux lors du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon en 1964 : sa parole vibrante d émotion sollicite les souvenirs horribles de la 2ème Guerre Mondiale chez ses auditeurs. La mise en scène : un danger Une mise en scène trop maîtrisée peut cependant avoir des risques : que le message, essentiel, soit noyé sous la forme. Ainsi un candidat politique sera préféré à un autre parce qu il sait mieux manier l art de la rhétorique, au détriment du message qu il véhicule. Ainsi une émission de télévision sera-t-elle préférée à une autre parce qu elle est distrayante et vive par exemple «Touche pas à mon poste» animé par C. Hanouna, a plus d audience que «28 minutes» sur Arte animé par Elisabeth Quin alors que la seconde traite de vrais problèmes de fond. Et un avocat pourra défendre des accusés indéfendables et gagner leur liberté par son talent rhétorique ; c est le sujet du film de Taylor Hackford «L associé du diable». Car le danger d une mise en scène de la parole, qu elle agisse sur l espace ou le langage, c est la manipulation : depuis la publicité, postée à une heure où un public ciblé est présent pour la subir, contenant des signaux pour attirer l attention et susciter le désir d achat (jingles, slogans, codes couleurs, logo des marques ) jusqu à l art de certains orateurs qui électrisent les foules ; il n est que de regarder la montée en puissance dont Hitler usait dans ses discours, associée à la présence des uniformes définis, du signe de ralliement du bras levé ou du signe pseudo-cabalistique de la croix gammée. Les caractéristiques d une dictature sont d ailleurs mis en jeu lors d une expérience tragique dans le film «La vague» de Dennis Gansel. Conclusion En conclusion, la mise en scène de la parole peut contribuer à l efficacité d un discours de plusieurs manières, mais le risque en demeure la manipulation de l auditoire. Et cette manipulation a parfois des conséquences terribles. 5