TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE LILLE N 1700091 M. Vincent LEROY Mme Vrignon Juge des référés RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS Le juge des référés, Ordonnance du 4 mai 2017 54-03-01-03 C+ Vu la procédure suivante : Par une ordonnance en date du 30 janvier 2017, le juge des référés, avant de statuer sur les conclusions de la requête de M. Vincent Leroy tendant à ce que soit ordonnées la suspension de l exécution de la décision du 12 décembre 2016 par laquelle le directeur interrégional l a placé à l isolement et son affectation en détention ordinaire au sein de l établissement, dans un délai de 48 heures suivant la notification de l ordonnance à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, a ordonné une expertise en vue de décrire l état clinique actuel de M. Leroy et son évolution depuis son placement initial à l isolement le 28 novembre 2014, de déterminer la dangerosité de M. Leroy, pour lui-même et pour les autres et d indiquer si, compte tenu de ces éléments, l état de santé de M. Leroy est compatible avec un placement à l isolement d une part, et une détention en milieu ordinaire d autre part, le cas échéant sous réserve d une modification du traitement médical qu il poursuit jusqu à présent et / ou d un aménagement des conditions de détention. L expert a déposé son rapport le 13 avril 2017. Par un mémoire enregistré le 28 avril 2017, M. Vincent Leroy, représenté par Me Ciaudo et Me Montrichard, avocats, demande au juge des référés, confirmant ainsi ses écritures initiales : 1 ) de l admettre provisoirement au bénéfice de l aide juridictionnelle ; 2 ) de suspendre l exécution de la décision du 12 décembre 2016 par laquelle le directeur interrégional l a placé à l isolement et d ordonner son affectation en détention ordinaire au sein de l établissement, dans un délai de 48 heures suivant la notification de l ordonnance à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
N 1700091 2 3 ) de mettre à la charge de l Etat la somme de 1 500 euros à verser à son avocat, Me Montrichard, sur le fondement des dispositions de l article L. 761-1 du code de justice administrative et de l article 37 d la loi du 10 juillet 1991. Vu : - l ordonnance, en date du 2 mai 2017, par laquelle le président du tribunal a liquidé et taxé les frais et honoraires de l expert à la somme de 1 600,72 euros ; - les autres pièces du dossier. Vu : - la convention européenne de sauvegarde des droits de l homme et des libertés fondamentales ; - le code de la santé publique, modifié notamment par la loi n 2005-370 du 22 avril 2005 et par la loi n 2016-87 du 2 février 2016 ; - le code de justice administrative. La présidente du tribunal a désigné Mme Vrignon, vice-président, pour statuer sur les demandes de référé. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l audience, le 2 mai 2017 à 10h30. Le rapport de Mme Vrignon a été entendu au cours de l audience publique. Après avoir prononcé, à l issue de l audience, la clôture de l instruction. Considérant ce qui suit : 1. Par une ordonnance du 31 janvier 2017, le juge des référés, avant de statuer sur les conclusions de la requête de M. Vincent Leroy tendant à ce que soit ordonnées la suspension de l exécution de la décision du 12 décembre 2016 par laquelle le directeur interrégional l a placé à l isolement et son affectation en détention ordinaire au sein de l établissement, dans un délai de 48 heures suivant la notification de l ordonnance à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, a ordonné une expertise en vue de décrire l état clinique actuel de M. Leroy et son évolution depuis son placement initial à l isolement le 28 novembre 2014, de déterminer la dangerosité de M. Leroy, pour lui-même et pour les autres et d indiquer si, compte tenu de ces éléments, l état de santé de M. Leroy est compatible avec un placement à l isolement d une part, et une détention en milieu ordinaire d autre part, le cas échéant sous réserve d une modification du traitement médical qu il poursuit jusqu à présent et / ou d un aménagement des conditions de détention. L expert a rendu son rapport le 13 avril 2017. Sur l aide juridictionnelle à titre provisoire : 2. Aux termes de l article 20 de la loi du 10 juillet 1991 susvisée : «Dans les cas d urgence, ( ) l admission provisoire à l aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président». Aux termes de l article 62 du décret n 91-1266 du 19 décembre 1991 : «L admission provisoire peut être prononcée d'office si l'intéressé a formé une demande d'aide juridictionnelle sur laquelle il n'a pas encore été définitivement statué». 3. Il y a lieu, dans les circonstances de l espèce, d accorder à M. Leroy, à titre provisoire, le bénéfice de l aide juridictionnelle.
N 1700091 3 Sur les conclusions tendant à ce que le juge des référés fasse usage des pouvoirs qu il tient de l article L. 521-1 du code de justice administrative : 4. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : «Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision (...)» et aux termes de l'article L. 522-1 dudit code : «Le juge des référés statue au terme d'une procédure contradictoire écrite ou orale. Lorsqu'il lui est demandé de prononcer les mesures visées aux articles L. 521-1 et L. 521-2, de les modifier ou d'y mettre fin, il informe sans délai les parties de la date et de l'heure de l'audience publique (...)». Par ailleurs, l'article L. 522-3 du même code dispose : «Lorsque la demande ne présente pas un caractère d'urgence ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée, le juge des référés peut la rejeter par une ordonnance motivée sans qu'il y ait lieu d'appliquer les deux premiers alinéas de l'article L. 522-1» Enfin aux termes du premier alinéa de l article R. 522-1 dudit code : «La requête visant au prononcé de mesures d urgence doit (...) justifier de l urgence de l affaire». 5. L urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier objectivement et concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant et de l'ensemble des circonstances de chaque espèce, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. 6. Comme indiqué dans l ordonnance avant-dire droit du 31 janvier 2017, il résulte de l instruction, et notamment des différentes pièces versées au dossier par le ministre de la justice, que M. Leroy souffre de troubles psychiatriques importants qui l ont conduit, à plusieurs reprises, à agresser des surveillants. En janvier 2016, alors qu il était admis, en raison de ces troubles, à l UHSA rattachée au centre pénitentiaire de Lille-Loos-Sequedin, il a agressé un infirmier avec une lame de rasoir. Suite à cet indicent, il a été hospitalisé à l unité pour malades difficiles de Villejuif, pendant une durée de huit mois. A sa sortie d hospitalisation, il a réintégré le centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil au sein duquel il a été immédiatement placé à l isolement, l administration considérant que, compte tenu de son «instabilité psychologique», ce placement constitue «l unique moyen pour garantir la sécurité des personnes et le bon ordre au sein de l établissement». C est pour ce motif que, par la décision litigieuse du 23 décembre 2016, le placement à l isolement de M. Leroy a été prolongé. 7. Toujours dans son ordonnance avant-dire droit, le juge des référés a constaté que le ministre de la justice, qui n indique pas si les garanties prévues à l article R. 57-7-63 du code de procédure pénale ont été respectées, et ne produit pas les avis émis par les médecins qui ont dû voir M. Leroy, ou à tout le moins le sens de ces avis, ne conteste pas la dégradation de l état de santé de M. Leroy. Il fait au contraire valoir que c est précisément cette dégradation progressive, depuis 2014, qui conduit l administration à prolonger le placement à l isolement de M. Leroy, un retour en détention ordinaire n étant pas envisageable compte tenu de la dangerosité de l intéressé. A défaut de plus de précisions sur l état de santé de M. Leroy, il a été jugé nécessaire d ordonner une expertise.
N 1700091 4 8. Dans son rapport remis le 13 avril 2017, l expert mandaté par le tribunal indique que «( ) le placement à l isolement de manière systématique ( ), continue et ininterrompue comme cela est le cas, est incompatible avec la situation psychologique difficile [de M. Leroy] en-dehors de la nécessité absolue en matière de surveillance et de moyens en personnels». Il conclut que M. Leroy devrait bénéficier, en alternance, sous réserve d un encadrement et d une surveillance suffisante, de moments de détention ordinaire et, en cas de risque de décompensation psychique ou comportementale, ou lorsqu il le réclame lui-même, de placements à l isolement pour une courte durée. Il considère enfin qu il serait opportun d orienter M. Leroy vers un centre pénitentiaire spécialisé comme celui de Château Thierry, dans lequel la prise en charge serait plus adaptée. 9. Le ministre de la justice, à qui le rapport d expertise a été notifié, n a pas jugé bon de présenter des observations, écrites ou orales. Il ne conteste donc pas les conclusions de l expert, qui confirment en cela l avis du médecin qui a examiné M. Leroy avant la décision du 12 décembre 2016, selon lesquelles l état de santé de M. Leroy est incompatible avec son maintien à l isolement de façon continue. Le ministre ne donne par ailleurs aucune indication sur la façon dont, à défaut de placement à l isolement, l administration pénitentiaire pourrait prendre en charge M. Leroy. A ce titre, il n indique pas qu il serait impossible, compte tenu notamment du nombre de places existantes, d orienter l intéressé vers un établissement adapté à son état de santé, comme celui de Château Thierry. Il ne donne pas non plus d indications sur les délais dans lesquels une telle orientation serait, le cas échéant, réalisable. 10. Dans ces conditions, alors que l urgence est caractérisée, comme en atteste notamment la dernière tentative de suicide de M. Leroy début avril 2017, par ingestion de lames de rasoirs, et que le moyen tiré de l erreur d appréciation est de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision du 12 décembre 2016, il y a lieu d ordonner la suspension de l exécution de cette décision, jusqu à ce qu il soit statué sur sa légalité, à compter du 23 mai 2017. Pendant le délai de trois semaines qui lui est ainsi laissé, il appartiendra au ministre de la justice de décider, au regard de l état de santé de M. Leroy d une part, et des moyens matériels et humains dont dispose l administration pénitentiaire d autre part, de l affectation de l intéressé en milieu ordinaire, le cas échéant en proposant certaines adaptations pour éviter toute situation dans laquelle celui-ci pourrait mettre en danger les gardiens, ses codétenus ou se mettre en danger lui-même, à Vendin-le-Vieil ou dans tout autre établissement dans lequel cette affectation pourrait se faire, ou dans un établissement spécialisé pour la prise en charge des troubles psychiatriques comme celui de Château Thierry. Sur les frais de l expertise : 11. Dans les circonstances de l espèce, il y a lieu de mettre les frais de l expertise ordonnée par le tribunal administratif à la charge de l Etat (ministère de la justice). Sur les conclusions présentées sur le fondement de l article L. 761-1 du code de justice administrative : 12. Ainsi qu il a été dit au point 3, il y a lieu d admettre provisoirement le requérant à l aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l espèce, sous réserve que Me Montrichard renoncent à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l Etat et sous réserve de l admission définitive de leur client à l aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l Etat le versement à Me Montrichard de la somme de mille euros. Dans le cas où l aide juridictionnelle ne serait pas accordée à M. Leroy par le bureau d aide juridictionnelle, la somme de mille euros sera versée à M. Leroy.
N 1700091 5 ORDONNE : Article 1 er : L exécution de la décision du 12 décembre 2016 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires de Lille a placé M. Leroy à l isolement est suspendue à compter du 23 mai 2017. Article 2 : Il est enjoint au ministre de la justice de décider, avant le 23 mai 2017, de l affectation de M. Leroy en milieu ordinaire, le cas échéant après adaptation de ses conditions de détention à son état de santé ou, à défaut, dans un établissement spécialisé dans la prise en charge des détenus atteints de troubles psychiatriques graves. Article 3 : L Etat versera à Me Montrichard la somme de mille (1 000) euros au titre de l article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans le cas où l aide juridictionnelle ne serait pas accordée à M. Leroy par le bureau d aide juridictionnelle, la somme de mille (1 000) euros sera versée à M. Leroy. Article 4 : Les frais d expertise sont mis à la charge de l Etat (ministère de la justice). Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. Leroy est rejeté. Article 6 : La présente ordonnance sera notifiée à M. Vincent Leroy, au garde des sceaux, ministre de la justice, à Me Ciaudo et à Me Montrichard. Copie en sera adressée, pour information, au directeur du centre pénitentiaire de Vendin le Vieil, au contrôleur général des lieux de privation de liberté et au docteur Aït-Menguellet. Lille, le 4 mai 2017. Le juge des référés signé C. VRIGNON La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance. Pour expédition conforme, Le greffier,