COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L HOMME EUROPEAN COURT OF HUMAN RIGHTS

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AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS. b) a annulé ce jugement rendu le 7 avril 2006 par le tribunal administratif de Nice (article 1er) ;

Transcription:

CONSEIL DE L EUROPE COUNCIL OF EUROPE COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L HOMME EUROPEAN COURT OF HUMAN RIGHTS PREMIÈRE SECTION DÉCISION SUR LA RECEVABILITÉ de la requête n 55990/00 présentée par D. C. contre l Italie La Cour européenne des Droits de l Homme (Première section), siégeant le 28 février 2002 en une chambre composée de : MM. C.L. ROZAKIS, président, G. BONELLO, M mes N. VAJIC, S. BOTOUCHAROVA, MM. E. LEVITS, M me V. ZAGREBELSKY, E. STEINER, juges, et de M. S. NIELSEN, greffier adjoint de section, Vu la requête susmentionnée introduite le 24 janvier 2000 et enregistrée le 27 mars 2000, Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

2 DÉCISION D.C. c. ITALIE EN FAIT Le requérant, D. C., est un ressortissant italien, né en 1929 et résidant à Milan. Il est représenté devant la Cour par M e Mittone, avocat à Turin. A. Les circonstances de l espèce Les faits de la cause, tels qu ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit. En 1990, un différend judiciaire surgit entre deux importantes sociétés italiennes, ENI et Montedison. A l époque et jusqu à 1993, le requérant était le président d une section du tribunal civil de Milan, et fut chargé de l affaire. 1. La procédure de première instance Par la suite, des poursuites furent entamées à l encontre du requérant pour corruption et connivence personnelle. Par une ordonnance du 3 septembre 1993, le juge des investigations préliminaires de Brescia plaça le requérant en détention provisoire. Par une ordonnance du 29 juin 1995, le juge des investigations préliminaires de Brescia renvoya le requérant et quatre autres personnes en jugement. Le premier chef d accusation à la charge du requérant était décrit comme suit : «Infraction prévue et punie par les articles 110 et 319ter du code pénal (corruzione in atti giudiziari) pour avoir, dans sa qualité de Président (...) du tribunal de Milan, (...) reçu (...) la somme de 480.000 francs suisses pour accomplir des actes contraires à ses devoirs publics, dans le but d obtenir pour ENI un profit patrimonial injustifié : a) en assurant à ENI que son recours visant à obtenir la saisie d actions Enimont aurait été accueilli, se faisant également donner au préalable, par M. P., une copie du recours qui aurait été présenté selon l intérêt manifesté dans ce sens par ENI par les biais des intermédiaires ; b) en accueillant la demande d arrêt provisoire (fermo provvisorio) et en donnant au gardien judiciaire M. P. le «droit de vote», malgré le fait que ce dernier ne faisait pas partie du petitum initial de ENI ; c) en favorisant des rencontres informelles entre les parties dans son bureau dans le but d achever un règlement amiable du différend et en influençant directement les comportements du gardien judiciaire». Par un jugement du 23 février 1996, le tribunal de Brescia condamna le requérant, entre autres, pour l infraction indiquée au premier chef d accusation, qu elle qualifia de corruption (article 319 du code pénal, corruzione per un atto contrario ai doveri d ufficio), et non de corruption

DÉCISION D.C. c. ITALIE 3 dans des actes judiciaires (article 319ter du code pénal, corruzione in atti giudiziari). Le tribunal estima notamment que cette dernière infraction, punie plus sévèrement, pouvait être retenue seulement s il était établi qu un magistrat avait agi dans le but spécifique de favoriser ou de nuire à l une des parties du procès, ce qui n était pas le cas en l espèce. Il précisa en outre que les faits d avoir donné un droit de vote au gardien judiciaire, de lui avoir imparti des directives et d avoir essayer d achever un règlement amiable du différend n étaient pas contraires aux devoirs qui incombaient au requérant. Le tribunal releva cependant que le requérant avait commis d autres actes illicites, et notamment : - il avait indûment exprimé son avis quant à l issue - favorable à ENI - qui aurait dû avoir le différend ENI/Montedison ; - il avait nommé gardien judiciaire M. P., personne avec laquelle il avait eu des précédents contacts, qui était à connaissance de l avis du requérant quant à l issue de la procédure et qui, étant vice-président d une banque, se trouvait dans une position extrêmement délicate ; - il avait eu des contacts avec ENI pour s assurer que les demandes judiciaires que cette société aurait ensuite présentées fussent formellement correctes ; - il avait fixé à un milliard et 800 millions lires italiennes (environ 929 622 Euros) la rémunération due au gardien judiciaire (dont le mandat avait duré un peu plus de vingt jours), somme jugée disproportionnée et obtenue en appliquant de manière illégitime les paramètres indiqués par la loi ; - il avait ordonné l arrêt provisoire des actions (fermo provvisorio delle azioni) dans le cadre d une procédure dans la quelle il aurait dû s abstenir. Observant qu il n était pas contesté que M. P. avait ensuite versé, sur un compte au nom de la femme du requérant tiré sur une banque suisse, la somme de 480 000 francs suisses, le tribunal conclut que M. P. avait corrompu le requérant. Le tribunal observa enfin que les avocats du requérant avaient soutenu que leur client ne pouvait pas être jugé responsable de la nomination de M. P. comme gardien judiciaire et de la rémunération octroyée à ce dernier, s agissant de circonstances qui, bien qu indiquées dans l ordonnance de placement en détention provisoire du 3 septembre 1993, n avaient pas été répétées dans le premier chef d accusation de l ordonnance de renvoi en jugement. Cependant, cette exception n aurait su être retenue car le requérant avait été invité à se défendre aussi par rapport aux circonstances incriminées et avait, en effet, présenté des défenses sur ces points. Le requérant fut condamné à une peine globale de quatre ans et un mois d emprisonnement.

4 DÉCISION D.C. c. ITALIE 2. La procédure d appel Le requérant interjeta appel contre le jugement du tribunal de Brescia. Il excipa, notamment, d une violation du principe de la correspondance entre le chef d accusation et le jugement (principio di correlazione tra accusa e sentenza). Selon le requérant, le tribunal avait considéré que les actes contraires à ses devoirs publics étaient la nomination de M. P. comme gardien judiciaire et l octroi à ce dernier d une rémunération disproportionnée. Or, l ordonnance de renvoi en jugement ne mentionnait pas ces deux circonstances, qui n avaient pas non plus fait l objet d une contestation formelle de la part du parquet au cours les débats. Par un arrêt du 11 mai 1998, la cour d appel de Brescia réduisit la peine infligée au requérant à trois ans, six mois et quinze jours d emprisonnement. Pour ce qui est de l exception du requérant, la cour d appel observa que celle-ci se fondait sur une interprétation formelle et rigide du principe de la correspondance entre le chef d accusation et le jugement, qui ne pouvait pas être partagée. En effet, il ne fallait pas se borner à analyser le chef d accusation, tel que résultant de l ordonnance de renvoi en jugement, étant au contraire nécessaire de vérifier si au cours de la procédure judiciaire les circonstances retenues contre l accusé avaient été portées à sa connaissance et si celui-ci avait eu l opportunité de présenter ses défenses sur tous les points qui avaient fait l objet de sa condamnation. En l espèce, l octroi d une rémunération disproportionnée à M. P., qui constituait un fait illicite commis par le requérant, était mentionné dans l ordonnance de placement en détention provisoire. De plus, lors d un interrogatoire qui avait eu lieu le 6 septembre 1993, le juge des investigations préliminaires avait demandé des explications sur ce point au requérant, qui, en réponse, avait indiqué les raisons pour lesquelles il considérait que la rémunération incriminée était «absolument justifiée et équitable». Par ailleurs, la Cour de cassation avait précisé que l article 521 du code de procédure pénale (ci-après, le «CPP»), qui garantissait le principe de la correspondance entre le chef d accusation et le jugement, était enfreint seulement si une condamnation se fondait sur des éléments qui, bien qu ayant été indiqués dans des phases précédentes, avaient été exclus dans l ordonnance de renvoi en jugement et étaient incompatibles avec les éléments mentionnés dans cette dernière. De ce fait, la cour d appel estima que des circonstances ne figurant pas dans le chef d accusation pouvaient être utilisées pour la condamnation si elles étaient complémentaires par rapport aux autres faits reprochés à l accusé. Tel était le cas l espèce, puisque le «fait» indiqué dans le chef d accusation était, en substance, identique à celui retenu dans le jugement de première instance, étant basé sur : - le versement d une somme d argent à M. P. ; - la connexion existante entre ce versement et le comportement du requérant.

DÉCISION D.C. c. ITALIE 5 Quant au fond de l affaire, la cour d appel estima que le fait d avoir ordonné l arrêt provisoire des actions et d avoir nommé M. P. comme gardien judiciaire n étaient pas contraires aux devoirs qui incombaient au requérant. 3. Le pourvoi en cassation du requérant Le requérant se pourvut en cassation. Dans son premier moyen de pourvoi, il réitéra son exception fondée sur la violation du principe de la correspondance entre le chef d accusation et le jugement. Il observa que selon l arrêt de la cour d appel de Brescia, sa condamnation pour corruption se fondait uniquement sur l octroi d une rémunération disproportionnée à M. P., circonstance qui n était pas mentionnée dans le chef d accusation. Toujours dans le cadre de son premier moyen de pourvoi, le requérant releva en outre que le parquet n avait jamais formellement entamé des poursuites par rapport au la rémunération reconnue à M. P., et que partant sa condamnation avait violé le principe ne procedeat judex ex officio. Par un arrêt du 13 avril 1999, dont le texte fut déposé au greffe le 27 juillet 1999, la Cour de cassation, estimant que la cour d appel avait motivé de façon logique et correcte tous les points controversés, débouta le requérant de son pourvoi. Elle releva notamment que, dès le début, les faits reprochés au requérant avaient pour objet, dans leur ensemble, les vicissitudes de la procédure judiciaire portant sur la saisie des actions Enimont. Le procès s était ensuite concentré sur le versement que M. P. avait effectué en faveur du requérant - circonstance sur laquelle ce dernier avait été interrogé - et sur la rémunération que le requérant avait octroyé à M. P. La Cour de cassation conclut comme suit : «On ne saurait déceler aucune violation du principe de la correspondance entre le chef d accusation et le jugement, prévu à l article 521 du CPP. En effet, étant donné qu on permet au juge de «donner aux faits une qualification juridique différente par rapport à celle qui a été retenue» (premier paragraphe de l article 521), dans la mesure où celle-ci ne s éloigne pas du contenu concret du fait considéré dans sa substance (deuxième paragraphe), cela veut dire que modifier la qualification juridique (c est-à-dire la mettre à jour sur la base des éléments acquis aux débats contradictoires) ne signifie pas modifier les faits. Et il ne signifie pas non plus modifier le chef d accusation (Cassation, chambre plénière, 19 juin 1998, Di Francesco). Cela signifie seulement appliquer exactement la loi : un devoir prioritaire dans l exercice de la juridiction».

6 DÉCISION D.C. c. ITALIE B. Le droit interne pertinent L article 521 1 et 2 du CPP se lit comme suit : «1. Dans le jugement le juge peut donner aux faits une qualification juridique différente par rapport à celle qui a été retenue dans le chef d accusation à condition que l infraction ne dépasse pas sa compétence. 2. Le juge ordonne (...) la transmission du dossier au parquet s il s aperçoit que le fait est différent par rapport à celui qui a été décrit dans l ordonnance de renvoi en jugement (...)». L article 522 du CPP dispose notamment que : «1. Le non-respect des dispositions prévues dans la présente section est un motif de nullité». GRIEF Invoquant l article 6 1 et 3 b) de la Convention, le requérant se plaint de l iniquité de la procédure pénale contre lui et allègue ne pas avoir disposé du temps et des facilités nécessaires pour la préparation de sa défense. EN DROIT Le requérant considère que les juridictions nationales n ont pas respecté le principe de la correspondance entre le chef d accusation et le jugement, ce qui s analyserait en une violation de l article 6 1 et 3 b) de la Convention. La Cour examinera ce grief sous l angle des dispositions de l article 6 1 et 3 a) et b), qui, dans leurs parties pertinentes, sont ainsi libellés : «1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) 3. Tout accusé a droit notamment à : a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu il comprend et d une manière détaillée, de la nature et de la cause de l accusation portée contre lui ; b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense.» Le requérant allègue avoir été condamné pour un fait (la rémunération octroyée à M. P.) qui n avait pas été indiqué dans le chef d accusation et par rapport auquel le parquet n a jamais formellement entamé des poursuites. Il

DÉCISION D.C. c. ITALIE 7 considère que cela a méconnu les droits de la défense et la règle selon laquelle les chefs d accusation doivent été correctement formulés. Le requérant souligne également que la Cour de cassation n a pas répondu à son moyen de pourvoi fondé sur la violation du principe ne procedeat judex ex officio. La Cour rappelle que les dispositions de l article 6 3 a) de la Convention traduisent la nécessité de mettre un soin extrême à notifier l «accusation» à l intéressé. L acte d accusation joue un rôle déterminant dans les poursuites pénales : à compter de sa signification, la personne mise en cause est officiellement avisée par écrit de la base juridique et factuelle des reproches formulés contre elle (arrêt Kamasinski c. Autriche du 19 décembre 1989, série A n 168, pp. 36-37, 79). Par ailleurs, l article 6 3 a) reconnaît à l accusé le droit d être informé non seulement de la cause de l accusation, c est-à-dire des faits matériels qui sont mis à sa charge et sur lesquels se fonde l accusation, mais aussi, d une manière détaillée, de la qualification juridique donnée à ces faits (arrêt Pélissier et Sassi c. France [GC], n 25444/94, CEDH 1999-II, 51). La portée de cette disposition doit notamment s apprécier à la lumière du droit plus général à un procès équitable que garantit le paragraphe 1 de l article 6 de la Convention (voir l arrêt Sadak et autres c. Turquie, n os 29900/96, 29901/96, 29902/96 et 29903/96, 49, non publié). La Cour considère qu en matière pénale une notification précise et complète à l accusé des charges pesant contre lui et donc la qualification juridique que la juridiction pourrait retenir à son encontre est une condition essentielle de l équité de la procédure (arrêt Pélissier et Sassi précité, 52). Enfin, quant au grief tiré de l article 6 3 b) de la Convention, la Cour estime qu il existe un lien entre les alinéas a) et b) de l article 6 3 et que le droit à être informé de la nature et de la cause de l accusation doit être envisagé à la lumière du droit pour l accusé de préparer sa défense (arrêt Pélissier et Sassi précité, 54). En l espèce, la Cour relève que les doléances du requérant tiennent du fait que selon l arrêt de la cour d appel de Brescia, le seul acte illicite qu il aurait commis en contrepartie du versement de la somme de 480 000 francs suisses était l octroi d une rémunération disproportionnée à M. P. Or, il ressort d une lecture de l ordonnance de renvoi en jugement du 29 juin 1995 que cette circonstance n était pas mentionnée dans le premier chef d accusation. Cependant, la Cour observe que l accusation de corruption diligentée contre le requérant portait, pour l essentiel, sur l accomplissement d actes contraires à ses devoirs de magistrat commis au cours de la procédure judiciaire ENI/Montedison. Or, la fixation du montant de la rémunération du gardien judiciaire était étroitement liée aux fonctions exercées par le requérant dans le cadre du différend en question. Comme la cour d appel de Brescia l a à juste titre souligné dans son arrêt du 11 mai 1998, il s agissait

8 DÉCISION D.C. c. ITALIE d un fait complémentaire par rapport aux autres faits reprochés à l accusé (voir, mutatis mutandis, l arrêt De Salvador Torres c. Espagne du 24 octobre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, 33, où la Cour a estimé que le caractère public des fonctions exercées par le requérant était un «élément intrinsèque» de l accusation initiale). Par ailleurs, il n appartient pas à la Cour de se prononcer sur le point de savoir si les autorités italiennes ont enfreint la disposition de l article 521 du CPP et si ce manquement éventuel aurait dû entraîner, aux termes de l article 522 du CPP, la nullité de la sentence. En effet, la mission confiée à la Cour ne consiste pas à se substituer aux juridictions nationales, auxquelles il incombe d interpréter la législation interne (arrêt Tejedor García c. Espagne du 16 décembre 1997, Recueil 1997-VII, p. 2796, 31), mais à rechercher si la procédure considérée dans son ensemble a revêtu un caractère équitable (arrêt Van Mechelen et autres c. Pays-Bas du 23 avril 1997, Recueil 1997-III, 50). Or, il convient de noter que dans le cas d espèce dès le début de la procédure pénale, le requérant a eu connaissance du fait que les autorités italiennes considéraient que l octroi d une rémunération de un milliard et 800 millions lires italiennes au gardien judiciaire constituait un acte illicite. En effet, cette circonstance était mentionnée dans l ordonnance de placement en détention provisoire du 3 septembre 1993. De plus, lors de l interrogatoire du 6 septembre 1993, le juge des investigations préliminaires a demandé des explications sur ce point au requérant, qui a eu la possibilité, dont il s est en effet prévalu, d indiquer les raisons pour lesquelles il considérait que le montant de la rémunération litigieuse était raisonnable. En tout état de cause, après le dépôt au greffe du jugement de première instance, le requérant a su que sa condamnation se fondait aussi sur l octroi de la somme en question. De ce fait, au cours des procédures d appel et cassation qu il a entamé par la suite, il a présenté des arguments juridiques et factuels pour soutenir, d un côté, que sa condamnation était illégale ayant enfreint le principe de la correspondance entre l accusation et le jugement et, de l autre, que la rémunération du gardien n était ni disproportionnée ni illicite. A cet égard, il convient de rappeler que la cour d appel de Brescia était compétente à connaître de toute question de fait et de droit. Peu importe que les juridictions nationales, faisant usage de leur droit incontesté d interpréter la législation interne et d apprécier les faits, aient rejeté ses moyens de recours. En résumé, la Cour relève que par rapport au chef d accusation de corruption, les circonstances concernant la rémunération du gardien judiciaire et sa nature prétendument illicite ont été portées à la connaissance du requérant bien avant la fin du procès. L intéressé a donc eu l occasion d organiser sa défense en fonction du fait qui lui était reproché et de

DÉCISION D.C. c. ITALIE 9 consulter ses avocats sur ce point (voir, mutatis mutandis, l arrêt Dallos c. Hongrie, n 29082/95, 49-53, non publié). Pour ce qui est, enfin, de l allégation du requérant selon laquelle la Cour de cassation n aurait fourni aucune réponse à son moyen de pourvoi tiré de la violation du principe ne procedeat judex ex officio, la Cour relève que dans son arrêt du 13 avril 1999 la haute juridiction italienne a estimé que les juges de première et deuxième instance n avaient pas modifié les faits pour lesquels le parquet avait commencé les poursuites contre le requérant. Aux yeux de la Cour, cette conclusion doit s interpréter comme un rejet implicite de l argument du requérant selon lequel aucune poursuite n aurait été formellement entamée par rapport à la rémunération reconnue à M. P. A la lumière de ce qui précède, la Cour estime que, considérée dans son ensemble, la procédure pénale contre le requérant n a pas été inéquitable. Il s ensuit que la requête doit être rejetée comme manifestement mal fondée, en application de l article 35 3 et 4 de la Convention. Par ces motifs, la Cour, à l unanimité, Déclare la requête irrecevable. Søren NIELSEN Greffier adjoint Christos ROZAKIS Président