Analyse de séquence L aventurier Tom Jeffords et la jeune indienne Sonseeahray font plus ample connaissance dans une séquence très soignée du film La flèche brisée (1949) qui dure environ 2 min 20. Cette séquence montre toute la maîtrise de la mise en scène du réalisateur Delmer Daves. La séquence s ouvre sur un plan général qui permet au spectateur de découvrir un décor très naturel : la lisière d une forêt qui borde un plan d eau. L intérêt se porte alors sur le personnage principal, Tom Jeffords, qui est devenu pour un temps l hôte de la tribu apache dirigée par le chef Cochise. Un plan rapproché nous le montre en train de se raser devant un petit miroir. Soudain, son attention est perturbée. Son visage change d expression. Le regard de Jeffords nous indique qu un autre personnage est présent. Pourtant, on ne le voit pas encore à l écran. On dit alors qu il occupe le hors-champ.
C est un insert qui nous montre soudain l image de Sonseeahray dans le miroir. Nous la voyons exactement comme la voit alors Jeffords. Ce très beau plan est un subtil surcadrage car le visage de la belle indienne est à la fois cerclé par le bord du miroir et inséré dans les limites rectangulaires du plan. Curieusement, son regard n est pas dans l axe du miroir. Retour sur le plan rapproché de Jeffords. Maintenant, il dirige son regard en arrière, à nouveau vers le hors champ du cadre. Jefford a compris que Sonseeahray l observe mais l indienne ignore encore que Jeffords a repéré sa présence. Par une phrase prononcée à la cantonade, Jeffords cherche à déstabiliser celle qui l observe ainsi qu il cherche à lui faire comprendre qu il a remarqué sa présence : «On appelle ça se raser.»
Plan rapproché sur l indienne. Surprise et confuse, Sonseeahray marque un bref mouvement de recul en même temps qu elle ne sait plus où diriger son regard. Le plan maintenant s élargit. Jeffords est filmé à hauteur des hanches en plan américain. Derrière lui, on aperçoit Sonseeahray, en partie cachée par un arbre. C est le premier plan qui nous montre l indienne et le cow-boy réunis dans le même cadre. Dès lors, la conversation peut s engager : (Durant le dialogue, Delmer aurait pu filmer «à l économie» en figeant sa caméra. Bien au contraire, il multiplie et diversifie les angles de vue ce qui procure du rythme et un certain raffinement à l ensemble de la scène.) Veux-tu approcher, me regarder faire? N aie pas peur Sonseeahray Tu vois? - Je n ai pas peur mais je croyais que tu t écorchais vif! Ça fait mal? - Oh, non - Comment savais-tu que j étais là? - Je t ai vue là dedans. Regarde
Plan rapproché sur les deux personnages. La scène est montrée du point de vue de Sonseeahray que l on voit de dos, au premier plan. S en suit une superbe composition où les regards des deux personnages convergent en direction du miroir en formant une diagonale dans le plan. On remarque le visage particulièrement adouci de Jeffords qui se montre bienveillant vis-à-vis de Sonseeahray. Contre-champ sur l indienne. Réjouie, elle semble découvrir les vertus d un miroir comme le prouve ce qu elle dit : Oh, c est beaucoup mieux que de regarder son image dans une flaque d eau! Et maintenant je te vois! Oh, mais c est merveilleux!
La réplique de Jeffords se fait dans le plan initial (champ), tandis qu il lui tend le miroir : Garde-le, je te l offre Tu pourras te regarder dedans tous les jours s il est à toi et voir combien tu es jolie! Nouveau contre-champ sur l indienne en plan rapproché. L épaule de Jeffords, en flou, reste en amorce sur la droite ce qui donne de la profondeur au plan. Les paroles séduisantes de Jeffords provoquent un trouble chez Sonseeahray qui marque un moment de silence. Pour mieux souligner l ascendant du séducteur dans cette situation, la scène est filmée en légère plongée soutenue par le regard montant de l indienne. Changement de plan pour montrer que Sonseeahray choisit la fuite. L élan de la jeune fille est stoppé par la réplique de Jeffords : Oh, pourquoi pars-tu, reste donc?
Nouveau contre-champ. Ce plan élargi répond au précédent dans un axe diamétralement opposé. La scène est maintenant montrée du point de vue de Sonseeahray qui va expliquer la raison de son trouble. Ce n est pas convenable. Il y a longtemps que j aurais dû m enfuir. - Pourquoi? - Je ne suis pas mariée. - Il ne t est donc pas permis de parler aux hommes apaches? - Aux vieux. - Et jamais aux jeunes? - Seulement aux cérémonies ou pendant les danses. Plan américain sur Jeffords alterné avec un retour au plan initial (champ). Il questionne Sonseeahray sur le code des rencontres amoureuses chez les Apaches. Mais, on m a dit que chez les Apaches, filles et garçons choisissent eux-mêmes ceux qu ils veulent épouser alors comment s y prennent-ils s ils ne peuvent pas faire connaissance? - Oh ils font connaissance, il y a des moyens - Quels moyens? - Ils se rencontrent par hasard, quand nul ne peut les voir, pas comme maintenant où ma mère pourrait nous voir. - Hum, je comprends
Mouvement horizontal de caméra pour suivre le départ précipité de Sonseeahray. - Maintenant, je je dois partir, je j ai à travailler, il faut que j aille cueillir des baies. - Où ça? - Là-bas. Contre-champ élargi sur Jeffords. Ce plan moyen est le dernier de la séquence et va servir de fondu enchaîné sur la séquence suivante du film. - Je voulais aller me promener là-bas justement, par heu par hasard! (Notons que cette expression malicieuse, Jeffords la donne en réponse à celle employée en toute innocence par Sonseeahray dans ses explications.) On trouve deux échos significatifs de cette séquence en aval dans le film. Comme pour rappeler que les amants aiment à revenir sur les lieux de leur première rencontre. Cette analyse de séquence a été menée par les élèves de CM1/CM2 de l école l Orée du Bois de Mouans-Sartoux avec l aide de leur professeur Philippe Bovyn.