La colonie d Abeille: un super-organisme

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La colonie d Abeille: un super-organisme Gérard ARNOLD CNRS Abeille, abeilles - Abeille: l abeille domestique Apis mellifera (colonies sauvages et colonies élevées par les apiculteurs). - abeilles: des centaines d espèces sauvages, généralement solitaires Laboratoire Evolution, Génomes, Spéciation (LEGS) Gif-sur-Yvette (Responsable de l équipe EVOLBEE) Institut des Sciences de la Communication du CNRS (ISCC) Paris (Directeur adjoint scientifique) (arnold@legs.cnrs-gif.fr) Académie vétérinaire de France,1 er mars 2012 En raison de son activité pollinisatrice, l abeille est au 3 ème rang des animaux domestiques (in Tautz, 2009, Phänomen Honigbiene) Generalités (1) L abeille n est pas un animal comme les autres en raison de son organisation sociale hautement développée. Les ouvrières sont capables de réaliser des comportements très complexes. La structure et le fonctionnement de leur petit cerveau sont à la base de grandes capacités cognitives. Généralité (2) La colonie d abeille doit être considérée comme un individu (un superorganisme), où: - les abeilles individuelles en sont les éléments de base, comme les cellules dans un organisme, - les groupes d abeilles qui réalisent la même activité constituent des systèmes fonctionnels : nutrition, respiration, circulation, excrétion,. La reine et les mâles exerçant la fonction de reproduction. En conséquence, la colonie doit toujours être analysée à deux niveaux: - les insectes individuels (ouvrière, reine, mâle) - la colonie comme un tout. 1

Analogies avec les mammifères Il est possible de comparer la colonie à un vertébré, et en particulier à un mammifère, avec lesquels elle présente de nombreuses analogies ou «convergences évolutives». La division temporelle du travail La division du travail dans la colonie est, globalement, fonction de l âge des ouvrières, mais il existe une variabilité considérable. Par exemple (parmi d autres): - Homéothermie: mammifère (37 C); colonie (34 C, pour le couvain), mais chaque abeille individuelle est un poïkilotherme. - Grandes capacités cognitive et d apprentissage. Les critères utilisés par les apiculteurs pour définir leurs colonies sont les mêmes que ceux utilisés par les éleveurs de bétail: - la force, - le caractère (douce, agressive), - la capacité de production, - la résistance (aux pathogènes, aux prédateurs, ). Au début et à la fin de leur vie, les ouvrières sont davantage spécialisées Exemples de comportements complexes Parmi d autres, ces comportements sont cruciaux pour le développement et la survie des colonies. ----- Nutrition des larves Thermorégulation Production du chaleur: (activité musculaire) - couvain: La température du couvain doit être maintenue à 34 C. - colonie en hiver: La température du nid doit être maintenue à 15-20 C au centre et à 5-8 C à la périphérie. Refroidissement: (récolte d eau, évaporation et ventilation) Les nourrices sont capables de reconnaître le sexe et l âge des larves (ouvrière, reine, mâle) afin d adapter le type et la quantité de nourriture qu elles leurs fournissent. 2

08/03/2012 Construction des rayons: comportements Construction des rayons: bases neurosensorielles - Les récepteurs à la gravité permettent à l ouvrière de déterminer la ligne de gravité afin de construire des rayons verticaux et parallèles. - Les récepteurs sensoriels de l extrémité de l antenne permettent à l abeille de contrôler l épaisseur et la régularité des parois des cellules des rayons. - Les pattes antérieures sont utilisées pour évaluer la largeur des cellules. - Le champ magnétique terrestre est utilisé pour l orientation des rayons dans les nids naturels. Comportement de défense Comportement de butinage (1) - nombreux stimuli déclencheurs: vibrations, contacts, CO2, mouvements, couleurs contrastées, odeurs, - réponses adaptées et progressives : inspection, posture agressive, sons, morsures, combats, piqure unique, émission de phéromone d alarme, piqures multiples. - comportements spécialisés: Exemple: la réponse de la race d abeille de Chypre contre le frelon Vespa orientalis. Deux stratégies différentes chez les colonies: Extrémité de l antenne a - ou toutes les abeilles rentrent dans leur ruche, derrière un «mur» de propolis (a) - ou de nombreuses abeilles attaquent le frelon et forment une boule autour de lui afin de l asphyxier (b). Une partie du succès écologique de l abeille est due à la capacité de la colonie à recruter un grand nombre de butineuses pour exploiter une grande variété de fleurs. L efficacité du butinage est basée sur 4 points principaux: i) La division du travail entre: - les exploratrices qui découvrent les sources de nourriture (nectar et pollen) ET communiquent leurs positions par des danses - à des butineuses (recrues) qui suivent leurs indications et apportent le nectar - à des receveuses qui le stockent dans les rayons, ce qui permet aux butineuses de retourner immédiatement en rechercher. b 3

Comportement de butinage (2) Comportement de butinage (3) ii) Leurs capacités - d apprentissage : pour associer l odeur de la fleur à la récompense (concentration du nectar en sucres), - de mémorisation: pour se souvenir de la position des sources de nourriture, - d orientation : qui leur permet de retourner à leur ruche, quelque part dans une région qui peut atteindre jusqu à 300 km² (en utilisant la position du soleil, la lumière polarisée, les repères dans le paysage, le champ magnétique) - de vol: pour réaliser des vols (aller et retour) sur une distance pouvant aller jusqu à 10 km (voire 13). iii) Leurs nombreuses capacités de régulation conduisant à une optimisation permanente du butinage: Les butineuses et les receveuses évaluent en permanence le rapport coût / bénéfice, c est-à-dire les dépenses énergétiques pour le vol / concentration en sucres du nectar ou du miellat. iv) Leurs capacités de communication, en particulier au moyen de plusieurs sortes de danses: frétillantes, en rond, tremblantes, dorsoventrale, Comportement de butinage (4) L exploratrice réalise une danse frétillante pour communiquer la position de la source de nourriture (ou d eau) aux futures recrues. Recherche de l efficacité maximum de butinage (1) Décision de danser Direction direction de la source : angle distance de la source : rythme type de nourriture : odeur, trophallaxie qualité de la nourriture : vivacité et durée des sons Distance La probabilité pour qu une butineuse danse est liée au temps pendant lequel elle attend d être délestée de sa récolte Un temps de décharge : - de 60 s stimule la récolte - supérieur à 60 s freine la récolte - de 180 s l arrête. 4

08/03/2012 Recherche de l efficacité maximum de butinage (2) Recherche de l efficacité maximum de butinage (3) Concentration en sucres Abeilles danseuses % % d abeilles qui dansent 1 0,9 60 0,8 50 0,7 40 0,6 30 0,5 20 0,4 0,3 10 0,2 0 100 mètres 0,1 525 mètres 0 1 Pour une même concentration du nectar, les abeilles dansent davantage quand la source est proche 2 3 4 Km Influence de la distance et de la concentration du nectar sur la décision de danser Plus la source est éloignée, plus le nectar doit être concentré pour déclencher des danses Gould, 1993 Gould, 1993 Bases neurobiologiques des comportements complexes (1) Bases neurobiologiques des comportements complexes (2) Le cerveau (950 000 neurones) de l abeille est à la base de ses importantes capacités d apprentissage, de mémorisation, d orientation et de communication. Les neuromédiateurs du cerveau appartiennent aux mêmes familles que ceux des vertébrés. La figure représente les corps pédonculés, siège de l intégration des messages et de la mémorisation. Ocelle Corps pédonculés Lobe visuel a, b : serotonine c, d, e : dopamine f, g, h : GABA Lobes antennaires Coupe frontale d un cerveau d abeille (Schürmann et Elekes, 1987) 5

Bases neurobiologiques des comportements complexes (3) Le neuromédiateur le plus abondant est l acétylcholine Integration Mémoire Considérant : - les comportements très complexes réalisés par les ouvrières d abeilles, - les nombreuses régulations qu elles effectuent pour optimiser l ensemble de leurs tâches, - l organisation fonctionnelle de leur cerveau, et le très grand nombre de synapses, en particulier cholinergiques, - la très forte toxicité des insecticides neurotoxiques utilisés actuellement, en particulier les néonicotinoides agissant sur les récepteurs à l acétylcholine. Olfaction Vision Il en résulte que ces insecticides pourront provoquer des effets sublétaux à basses concentrations. Les principales conséquences de ces effets sublétaux pourront être: - de provoquer des perturbations comportementales chez les ouvrières individuelles et au niveau de la colonie, en tant que super-organisme, et ainsi - de réduire l efficacité du butinage, du comportement de défense, etc. Tous les comportements pourront être potentiellement affectés Cartographie des récepteurs ACh (en noir) (Bicker, 1999, Microscopy Research and Technique, 45:174-183) 6