LES DROITS DES PATIENTS PSYCHIATRIQUES AU QUÉBEC : DES DISCOURS À LA RÉALITÉ Emmanuelle Bernheim Département des sciences juridiques, UQAM Colloque Psychiatrie et violence, Lausanne, avril 2017
PLAN 1. 1960 (la Révolution tranquille): le point de départ de la réforme asilaire au Québec 2. Les droits des patients psychiatriques Des usagers comme les autres La distinction entre internement et soins 3. La remise en question du modèle québécois 4. Conclusion. À la croisée des chemins
LA RÉVOLUTION TRANQUILLE 1960: publication de Les fous crient au secours Les psychiatres se joignent à leurs patients pour exiger des changements majeurs dans le système asilaire Les communautés religieuses sont propriétaires des asiles francophones Peu de soins sont offerts aux patients, retard scientifique important Sur-institutionalisation sans avis médical 1962: dépôt du rapport de la Commission d enquête sur les hôpitaux psychiatriques Début de la désinstitutionalisation Les patients psychiatriques, des citoyens «comme les autres» La Loi de protection du malade mental (1972): première loi prévoyant des droits spécifiquement aux patients internés
LES DROITS DES PATIENTS PSYCHIATRIQUES: DES USAGERS COMME LES AUTRES Les patients psychiatriques bénéficient des mêmes droits que tous les usagers du système de santé, notamment: Droit de consentir aux soins et de refuser des soins peu importe les conséquences Droit d accès aux services Droit de choisir son établissement de santé et son professionnel Droit à l information sur son état de santé Droit de participer à l élaboration de son plan de soin Droit d être accompagné de la personne de son choix Droit d accès à son dossier
LES DROITS DES PATIENTS PSYCHIATRIQUES: L INTERNEMENT La dangerosité pour soi ou autrui est le critère cardinal L internement (la «garde en établissement») est ordonné par un juge à la suite d un procès: Si deux examens psychiatriques concluant à la nécessité de la garde Si le tribunal a lui-même des motifs sérieux de croire que la personne est dangereuse et que sa garde est nécessaire Quelque soit la preuve présentée En l absence de toute contre-expertise Après avoir interrogé la personne concernée
LES DROITS DES PATIENTS PSYCHIATRIQUES: L INTERNEMENT Toute décision de garde en établissement peut faire l objet d un appel de plein droit devant la Cour d appel du Québec Droit spécifiques durant la garde : droit a la communication confidentielle avec la personne de son choix (a moins que le médecin traitant ne décide de restreindre certaines communications); les communications avec le représentant légal, un avocat, le Curateur public et le Tribunal administratif du Québec ne peuvent cependant pas être restreintes droit au transfert d établissement, droit de révision, a tout moment, devant le Tribunal administratif du Québec droit a la révision périodique obligatoire de la nécessité de la garde en établissement, au moyen d'un examen clinique psychiatrique, 21 jours après l'ordonnance de garde en établissement les établissements de santé doivent systématiquement transmettre les conclusions des examens psychiatriques ainsi que les informations relatives a la fin des gardes en établissement au Tribunal administratif du Québec
LES DROITS DES PATIENTS PSYCHIATRIQUES: L INTERNEMENT Vise uniquement l arrêt d agir Ne permet pas le traitement contre le gré a l exception de l examen psychiatrique le cas échéant Pendant l internement, les patients continuent d exercer l ensemble de leurs droits Constitue en soi un «préjudice grave» (A c Centre hospitalier de St. Mary, para 31) La limitation aux droits a la liberté et a l'autodétermination est justifiée par la préservation de la vie et de la sécurité de la personne (A c Centre hospitalier de St. Mary; NB c Centre hospitalier affilie universitaire de Québec)
LES DROITS DES PATIENTS PSYCHIATRIQUES: LES SOINS Le critère cardinal est l inaptitude a consentir a ses soins Aucun diagnostic ou situation juridique (garde en établissement, inaptitude légale, etc) n emporte d inaptitude a consentir aux soins Il ne s agit pas de dispositions visant les personnes souffrant de troubles mentaux Critères de la Nouvelle-Écosse (non cumulatifs) 1. Le patient sait-il qu il est malade? 2. Le patient comprend-il la nature et le but du traitement proposé? 3. Le patient comprend-t-il les risques encourus à entreprendre le traitement? 4. Le patient saisit-il les risques encourus à ne pas entreprendre le traitement? 5. L état du patient interfère-t-il avec son aptitude à consentir? Lorsqu un patient est inapte a consentir a ses soins, il faut recourir au consentement substitué
LES DROITS DES PATIENTS PSYCHIATRIQUES: LES SOINS Si la personne inapte à consentir à ses soins les refuse catégoriquement, le médecin devra aller chercher l autorisation du tribunal pour procéder au traitement Le tribunal doit procéder à un examen en cinq temps: 1. Que la personne est inapte à consentir à ses soins et refuse catégoriquement les soins 2. Que les soins sont requis par l état de santé, en tenant compte de la volonté de la personne concernée 3. La balance des risques et bénéfices attendus 4. Durée: elle droit être minimale pour obtenir les effets bénéfiques 5. Toute demande accessoire
LES DROITS DES PATIENTS PSYCHIATRIQUES: LES SOINS Toute décision d autorisation de soins peut faire l objet d un appel de plein droit devant la Cour d appel du Québec Aucun mécanisme de révision n est prévu ni aucun droit particulier L autorisation de soins est pourtant plus privative de droits que la garde en établissement: Elle comporte souvent des dispositifs prévoyant l usage de la force et / ou le recours aux services policiers Elle implique régulièrement des mesures d hébergement Les durées s allongent (la moyenne étant de trois ans)
LA REMISE EN QUESTION DU MODÈLE QUÉBÉCOIS Le problème posé par le critère de danger Pas de définition claire Une pluralité des professionnels se prononcent tout au long du processus: policiers, ambulanciers, médecins généralistes, urgentologues, psychiatres, juges L étude de la jurisprudence révèle une pluralité de conceptions de la dangerosité: altération du jugement, absence de ressources (notamment d'hébergement), victimisation potentielle, refus de se reconnaître malade ou dangereux, refus de se soigner
LA REMISE EN QUESTION DU MODÈLE QUÉBÉCOIS Le problème posé par le critère d inaptitude a consentir aux soins: Le test retenu met l emphase sur le diagnostic ou le déni Ne tient compte que des compétences cognitives au détriment des facteurs affectifs, des croyances ou des valeurs susceptibles d influencer les décisions de soins Un test qui accentuerait les différences entre l évaluateur et l évalué Des critères déterminants pour le profil des personnes concernées, et qui expliqueraient au moins en partie la surreprésentation des personnes souffrant de troubles mentaux parmi les personnes sous autorisation de soins
LA REMISE EN QUESTION DU MODÈLE QUÉBÉCOIS Des lacunes en milieu hospitalier: Les patients ne reçoivent pas systématiquement l information sur leur situation de garde, sur leurs droits et recours Le consentement des patients n est pas systématiquement obtenu Certains milieux ne facilitent pas le transport des patients vers le Palais de justice Des patients vivent des pressions pour ne pas contester les demandes de garde et de soins Des psychiatres refusent systématiquement de faire des demandes, laissant leurs patients sans soins adéquats
LA REMISE EN QUESTION DU MODÈLE QUÉBÉCOIS Des lacunes en milieu judiciaire: Une proportion importante de patients absents à leur audience Une preuve souvent courte ou lacunaire Des délais peu respectés L urgence des requêtes et le temps restreint pour préparer une défense Le nombre important (et sans cesse augmentant) de dossier et le manque de juges disponibles Les avocats sollicitant dans les couloirs du Palais de justice Des requêtes systématiquement accueillies (95%)
CONCLUSION. À LA CROISÉE DES CHEMINS Le nombre de requête de garde et de soins est en constante augmentation (district de Montréal) Des faits divers ramènent régulièrement dans le débat public la question des traitements dans le cadre de l internement La distinction entre danger et inaptitude a consentir aux soins n aurait pas de sens sur le plan clinique Une étude menée par des psychiatres a démontré que les patients dont les requêtes de garde en établissement ont été rejetées par le tribunal sont réhospitalisées plus rapidement et plus longtemps Les psychiatres demandent de plus en plus clairement des changements législatifs pour permettre de soigner durant une garde
CONCLUSION. À LA CROISÉE DES CHEMINS Les études démontrent que les personnes sous garde ou soins sont le plus souvent démunies, vivent dans la précarité Les ressources en santé, notamment communautaires, sont déficientes et l accès a certains services sociaux est compliqué Des faits divers ramènent régulièrement dans le débat public comment le manque de ressources met en danger les patients psychiatriques (notamment au contact des policiers) Les patients psychiatriques dénoncent les atteintes à leurs droits et réclament l application stricte de la loi