Discours de Vincent CHRIQUI Maire de Bourgoin- Jallieu 70 ème anniversaire de la libération de Bourgoin et Jallieu 23 août 2014

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Transcription:

Discours de Vincent CHRIQUI Maire de Bourgoin- Jallieu 70 ème anniversaire de la libération de Bourgoin et Jallieu 23 août 2014 Il y a 70 ans, Bourgoin et Jallieu étaient libérées. Il y a 70 ans, cette vague de joie et de renouveau qui a traversé la France en quelques semaines, soulevait notre ville. Si la vague était nationale, le destin de Bourgoin et de Jallieu a été singulier. Comme d autres villes, elles ont eu le privilège d être libérée par les forces de la résistance et donc par leurs propres forces. Ainsi trouvait son aboutissement une histoire qui avait commencé à s écrire quelques années plus tôt, celle d une résistance résolue, courageuse, lucide : celle du secteur 7. Le secteur 7 trouve ses origines dans la constitution de premiers groupes dès la défaite de juin 1940, notamment à l initiative de trois hommes : Marcel PETIT, à Crémieu, et à Bourgoin Georges IVANOFF dit «Raoul» (c est d ailleurs aussi le nom de résistance de Marcel PETIT), et Joseph FRACASSETY dit «Rémy». Les premiers actes de résistance concernent notamment des sabotages de voie ferrée autour de Bourgoin, La Tour du Pin, Saint- André- le- Gaz. Le secteur 7 se structure progressivement et, début 1942, est unifié sous le commandement de Rémy. Puis Bourgoin est occupée en novembre 1942, lors de l invasion de la zone sud, décidée par le haut commandement allemand en réponse aux débarquements en Afrique du Nord. Dès cette époque, la Feldgendarmerie allemande s installe à Bourgoin avec 150 hommes. Leur mission principale est d assurer la sécurité des «silos», où se trouvent les réserves de la kriegsmarine, la marine allemande basée à Toulon.

De 1942 à 1944 la résistance réalise des «coups de main» pour saisir des réserves d essence ou d autres denrées. Enfin, en 1944, l heure de la libération approche. Le 22 août, sur les renseignements recueillis par «Raoul» concernant la présence d unité américaine venant de Grenoble et en route pour Lyon et au vu des tournures des combats, le bataillon «Rémy» se réunit. 600 hommes se réunissent dans les bois de Flosailles à 6h30, afin de faire mouvement en vue de la libération de Bourgoin et de Jallieu. Il faut imaginer le courage et la détermination de ces hommes qui choisissent de ne pas attendre l arrivée des troupes alliées, pourtant une question d heures et de jours. Pour eux, en ce 23 août 1944, l occupation a trop duré. Ils ne peuvent la supporter un jour ni une heure de plus. Ils savent aussi de quelles exactions sont parfois capables les troupes allemandes en déroute. Ils ne veulent pas non plus que les américains soient contraints de bombarder la ville pour en déloger les Allemands. Alors, pour sauver leur patrimoine et surtout pour sauver leurs compatriotes, ils se lèvent une nouvelle fois pour répondre à l appel du devoir. D âpres combats de rues se déroulent toute la journée face à des Allemands supérieurement armés : à 11 heures près de l église de Jallieu, à midi à la clinique de Jallieu, à 14h sur la place d armes (l actuelle place du 23 août 1944). A 16 heures, les combats commencent près des silos, là où se trouve le gros des troupes allemandes. Pour obtenir leur reddition, les résistants ont recours à un stratagème. Ils entament la négociation en faisant croire aux troupes adverses qu elles sont face à un détachement d armée régulière. Le 23 août 1944 à 23h30, les Allemands se rendent. Il ne restait à la plupart des résistants que quelques balles dans leurs chargeurs

Ainsi s est écrite cette page d histoire de notre ville, libérée par des Français, comme Paris où le Général de Gaulle annonçait le 25 août (deux jours plus tard) : «Paris, Paris outragé, Paris brisé, Paris martyrisé mais Paris libéré! Libéré par lui- même, libéré par son peuple avec le concours des armées de la France, avec l'appui et le concours de la France tout entière : c'est- à- dire de la France qui se bat. C'est- à- dire de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle.» J ai toujours admiré comme tous les Français cette déclaration qui efface (l espace d une phrase seulement) les armées alliées lorsqu il s agit d évoquer une ville libérée «par son peuple». Eh bien Bourgoin et Jallieu ont aussi été libérées par ses enfants. Bien sûr, cela n aurait pas été possible sans la percée des troupes alliées, et la ruse à laquelle les résistants ont recours en prétendant appartenir à l armée régulière le montre. Notre hommage d aujourd hui à ces Berjalliens est indissociable de l hommage que nous rendons à nos libérateurs venus de tous les pays alliés. Je pense aux soldats britanniques et à la persévérance indestructible de la Grande Bretagne qui a d abord poursuivi la guerre seule, alors que rien d autre ne semblait devoir récompenser les efforts de son peuple que la sueur, le sang et les larmes. Je pense aux jeunes GI américains qui ont quitté leurs terres de Californie, de New York ou du Texas où pourtant aucun danger ne les menaçait, pour venir mourir sur notre sol afin de nous rendre notre liberté perdue.

Mais aujourd hui je pense surtout au courage incroyable de ceux qui ont dit «non» alors que la France courbait la tête face au malheur. A Remy et Raoul et à leur détermination, jusqu au dernier jour de combat. A Marcel Petit, héros de la résistance, arrêté et déporté dans le camp de Neuengamme, un camp de concentration dont la devise ignoble était «épuisement par le travail». Marcel Petit a été brisé par ses conditions de détention inhumaine : libéré en mai 1945, il meurt en septembre, à 37 ans, le drapeau français entre les mains. Son martyre incarne le dévouement de ceux qui étaient prêts à tous les sacrifices pour leur patrie. C est à tous ces hommes que nous rendons hommage aujourd hui. A tous ces hommes, et aussi aux femmes de la résistance, comme Marie- Jeanne, détenue au Lycée Gambetta dont elle s est échappée, décorée de la Légion d honneur par le Général de Gaulle. 70 ans après, quel message nous ont- ils laissé? Un message d honneur, de patriotisme, de courage, que nous célébrons tous les ans devant nos monuments aux morts. Il y a une iconographie des monuments aux morts. Souvent on y trouve des poilus, des obus, des symboles de la guerre, de ses gloires ou au contraire de ses martyrs. Celui de la Tour du Pin en est un exemple. Pour ma part, j aime beaucoup celui de Bourgoin- Jallieu qui est d abord un monument à la paix. Car la paix, c est aussi l héritage de cette époque. Ce combat était bien un combat pour la paix. Le Général de Gaulle a d abord incarné l appel aux armes. C est lui qui a donné le signal de la résistance dans son appel du 18 juin. C est lui aussi qui affirmé face à un pouvoir collaborationniste, dans une allocution radiodiffusée le 23 octobre 1941 suite aux représailles après les premiers attentats visant des officiers allemands : «Il est absolument normal et il est absolument justifié que les Allemands soient tués par les Français. Si les Allemands ne voulaient pas recevoir la mort de nos mains, ils n'avaient qu'à rester chez eux et ne pas nous faire la guerre.»

Mais l homme du 18 juin, celui qui a compris que la guerre n était pas terminée, qu elle devait se poursuivre, est aussi celui qui a su bâtir la paix alors que cela paraissait encore impossible, presque inconcevable à certains. C est ce guerrier infatigable et implacable qui est devenu l artisan d une paix durable, là où la Première Guerre Mondiale n avait débouché que sur un calme précaire. En particulier, dès le lendemain de la guerre, et davantage encore lorsqu il est revenu au pouvoir après 1958, c est lui qui a posé les jalons de l amitié retrouvée entre le peuple français et le peuple allemand. Cette colombe qui déploie ses ailes devant nous représente une promesse de paix. Cette promesse a été tenue, grâce à tous ceux qui se sont battus pour elle. Elle a été fortifiée sur le socle de la réconciliation franco- allemande. Elle est aujourd hui une réalité en Europe, qui n a jamais connu une aussi longue période de paix. Ce que chacun doit comprendre, ce que nous devons enseigner à notre jeunesse, c est que n avons pas fait la guerre au peuple allemand. La France n est l ennemie d aucun peuple. Nous avons fait la guerre à une organisation militaire inspirée par un délire génocidaire et raciste. Aujourd hui, malheureusement, de telles idéologies existent encore sur notre planète et parfois même gagnent du terrain. Elles requièrent notre vigilance permanente et demain, peut- être, notre action. Tel est le message que nous ont laissé les héros de la résistance. Malgré la peur, malgré la difficulté, prendre les armes est un devoir lorsque c est la dignité de l homme qui est en cause. C est le message de Raoul. C est le message de Rémy. Et c est le message des innombrables soldats inconnus, de l armée régulière et de l armée des ombres, tombés sur les champs d honneur de la France.