L'inhibition de la voie VEGFA/VEGF R restaure l'homéostasie hématopoïétique dans la moelle osseuse et diminue la croissance tumorale

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Transcription:

Lu pour vous L'inhibition de la voie VEGFA/VEGF R restaure l'homéostasie hématopoïétique dans la moelle osseuse et diminue la croissance tumorale Jacques Robert Université de Bordeaux, Institut Bergonié, France J.Robert@bordeaux.unicancer.fr Mots clés : angiogenèse, moelle osseuse, niches pro métastatiques, VEGF R3, cellules souches, progéniteurs hématopoïétiques O'Donnell RK, Falcon B, Hanson J, Goldstein WE, Perruzzi C, Rafii S, Aird WC, Benjamin LE. VEGF A/VEGFR inhibition restores hematopoietic homeostasis in the bone marrow and attenuates tumor growth. Cancer Res 2016; 76: 517 24. http://cancerres.aacrjournals.org/content/76/3/517.long : intérêt réel, apports de données inédites Il est admis, depuis les origines des approches anti angiogéniques en cancérologie, que les effets bénéfiques des molécules utilisées, dirigées principalement contre le VEGF et ses récepteurs, s expliquent par leur action sur la vascularisation tumorale. Leurs effets néfastes bien connus s expliquent, eux, par leur action sur la vascularisation normale de divers organes non tumoraux. Les auteurs de cet article ont étudié l effet des anti angiogéniques sur la vascularisation très particulière d un organe particulièrement important pour les oncologues et pourtant trop peu étudié, la moelle osseuse. La vascularisation sinusoïdale de la moelle osseuse a une caractéristique unique : elle assure un trafic bidirectionnel, servant de lieu de passage à tous les éléments cellulaires ou solubles qui entrent ou qui sortent de la moelle osseuse. Contrairement à la plupart des lits vasculaires, elle n est pas protégée par une membrane basale épaisse et continue et n a pas de couverture murale péricytaire. De plus, la monocouche de cellules endothéliale constitue une paroi discontinue, limitée par des cellules endothéliales non jointives. Ces caractéristiques histologiques sont caractéristiques des parois capillaires traversées par des grosses molécules protéiques et des cellules (diapédèse : migration d éléments sanguins entre la moelle et le sang). Cette vascularisation sert de niche aux cellules souches et aux progéniteurs hématopoïétiques (HSPC) et par la même occasion à des populations de cellules souches cancéreuses en devenir métastatique. Les cellules endothéliales des capillaires sinusoïdes expriment les trois récepteurs de VEGF : VEGF R1 (FLT1), VEGF R2 (KDR) et VEGF R3 (FLT4), de même d ailleurs que les cellules souches hématopoïétiques elles mêmes. Les auteurs se sont demandé quels pouvaient être les effets des thérapeutiques ciblant le système VEGF/VEGF R sur la vascularisation sinusoïdale de la moelle osseuse. Le modèle d étude qu ils ont choisi est celui des tumeurs mammaires de souris transgéniques MMTV PyMT, tellement classique qu ils ne le décrivent même pas (!). Rappelons pour nos lecteurs qu il s agit de tumeurs résultant de l activation du middle T antigen du polyoma virus oncogénique murin PyV [1]. Cet antigène middle T a un pouvoir transformant important lié à sa fonction activatrice des tyrosine kinases de la famille SRC, avec comme résultat l activation de multiples voies de signalisation oncogéniques en aval.

Les souris transgéniques exprimant l antigène middle T développent des tumeurs du sein de façon très reproductible, facilement palpables, présentant les caractéristiques des tumeurs triple négatives, capables de métastaser, surtout au niveau pulmonaire ; elles constituent un modèle idéal de cancérogenèse mammaire [2]. Les auteurs ont tout d abord étudié les effets d anticorps thérapeutiques anti VEGF anti VEGFR sur la croissance tumorale et la survie des souris. Les anticorps anti VEGFA et anti VEGFR2 ont un effet inhibiteur de la croissance tumorale (figure 1) alors que l anticorps anti VEGFR1 n a pas d effet, comme on pouvait s y attendre du fait que le VEGF R1 n intervient pas directement dans l angiogenèse tumorale. De façon moins attendue, l anticorps anti VEGFR3 a également un effet significatif sur la survie des souris. Les anticorps anti VEGFR2 et anti VEGFR3 induisent en outre un rétrécissement (shrinkage) des vaisseaux intra tumoraux sans altérer la densité vasculaire (figure 2) ; cela suggère que les deux anticorps, anti VEGFR2 et anti VEGFR3, inhibent la croissance tumorale en atténuant la signalisation de prolifération des cellules endothéliales des vaisseaux intratumoraux. Les auteurs ont ensuite étudié la vascularisation sinusoïde de la moelle osseuse pendant le développement tumoral et sous l effet des traitements anti angiogéniques. Par rapport à ceux des animaux sains, les sinusoïdes médullaires des animaux porteurs de tumeur sont plus petits, et la surface endothéliale par vaisseau est réduite. Sous l effet de l anticorps anti VEGF3, on observe une diminution du nombre de vaisseaux (figure 3), démontrant une dépendance importante de la signalisation des cellules endothéliales en aval de ce récepteur. Toutefois, ces deux anticorps induisent également une restauration de l aire endothéliale par vaisseau, qui devient comparable à celle observée chez les souris saines (figure 3). Ces résultats suggèrent que la signalisation pathologique du système VEGF/VEGF R observée chez les souris porteuses de tumeur altère la vascularisation médullaire sans stimuler l angiogenèse locale et que les traitements dirigés contre les VEGF R2 et R3 restaurent l homéostasie hématopoïétique. Quant aux cellules souches et aux progéniteurs hématopoïétiques HSPC, localisés majoritairement dans les sinusoïdes médullaires qui régulent leur activité, leur nombre total et leur pourcentage parmi les cellules médullaires augmentent chez les souris qui développent les tumeurs par rapport aux témoins. Cette augmentation est indépendante de la cellularité totale de la moelle osseuse quel que soit le volume tumoral. Cette population est à la fois hyper proliférative et plus différenciée que celle des souris non tumorales. Cet effet de la tumeur sur les HSPC n a pas pour origine la présence de cellules tumorales dans la moelle osseuse où on ne les détecte pas alors qu on trouve des cellules métastatiques dans les poumons, même à partir de tumeurs très petites, de 0,2 à 0,4 cm 3. Il faut en conclure que des facteurs solubles et non cellulaires servent de médiateurs ; les meilleurs candidats étant le VEGF A, le G CSF (CSF3) et le SDF 1 (CXCL12), dont on connaît le rôle dans la mobilisation des progéniteurs hématopoïétiques. Les auteurs ont bien observé une augmentation des concentrations en VEGF A et en G CSF dans le plasma des souris, mais pas de celle du SDF 1 (figure 4), pas plus que de celles du SCF (KITLG), du GM CSF (CSF2), de l IL 6 ou du TNFα. Afin de tester la capacité des inhibiteurs de la signalisation VEGF/VEGF R à réverser les phénotypes hyper prolifératifs et différenciés des HSPC de la moelle osseuse, les souris ont été traitées par les anticorps anti VEGF A, anti VEGF R1, anti VEGF R2 et anti VEGF R3. Le traitement était initié quand la tumeur atteignait un volume de 0,4 à 0,6 cm 3 et continuait jusqu à ce que le volume tumoral ait atteint 1 cm 3. L anticorps anti VEGF A et les anticorps anti VEGF R2 et anti VEGF R3 rétablissent une prolifération et une différenciation normales des HSPC, alors que l anticorps anti VEGF R1 n a pas d effet. Il faut noter que le VEGF R1 est exprimé par les HSPC et non par les cellules endothéliales, alors que les VEGF R2 et VEGF R3 sont exprimés par les cellules endothéliales sinusoïdales mais pas par les HSPC. Tout cela suggère que c est bien la vascularisation sinusoïdale qui contrôle les communications entre la tumeur (qui sécrète le VEGF A) et les HSPC. Il existe donc des communications à longue distance entre la tumeur et la moelle osseuse, plus particulièrement avec les sinusoïdes : ce sont les récepteurs des VEGF des cellules

endothéliales qui sont en cause dans l altération de l entrée des HPSC dans les phases de prolifération et de différenciation induites par la tumeur. Sans que l on puisse exclure l intervention d autres facteurs, le VEGF A est certainement l un des principaux facteurs circulants qui assurent ces communications. L intervention du VEGF R3 des cellules endothéliales dans ces échanges d information est une découverte originale ; il semble que l on ait tendance à cantonner à tort ce troisième récepteur à la lymphangiogenèse (il n y a d ailleurs pas de lymphatiques dans la moelle osseuse) Comme ce sont les sinusoïdes de la moelle osseuse qui servent usuellement de niches pro métastatiques aux cellules tumorales, le rôle de la voie du VEGF, en particulier du VEGF R3, dans l installation des métastases n est pas à exclure et le traitement par des inhibiteurs des VEGF R2 et R3 restaure l homéostasie hématopoïétique de la moelle osseuse. Ces résultats montrent tout l intérêt du développement thérapeutique d anticorps anti VEGF R3 comme l IMC 3c5 (LY 3022856), actuellement en phase précoce d essais cliniques. Les résultats de ces essais dépendront étroitement de leur design : leur objectif doit bien être de cibler effectivement le processus métastatique en soi et non le volume tumoral comme on le fait habituellement Liens d intérêts : L auteur déclare ne pas avoir de lien d intérêt en rapport avec cet article. Références [1] Fluck MM, Schaffhausen BS. Lessons in signaling and tumorigenesis from polyomavirus middle T antigen. Microbiol Mol Biol Rev. 2009;73:542 63. [2] Lin EY, Jones JG, Li P, et al. Progression to malignancy in the polyoma middle T oncoprotein mouse breast cancer model provides a reliable model for human diseases. Am J Pathol. 2003;163:2113 26. Illustrations Figure 1. Effets sur la croissance tumorale des traitements anti VEGF A et anti VEGF R. Les souris sont traitées lorsque la tumeur a atteint 0,4 à 0,6 cm 3 et sont sacrifiées lorsqu elle atteint 1 cm 3.

Figure 2. Effets des anticorps anti VEGF R2 et anti VEGF R3 (par rapport à ceux d une immuno globuline non spécifique) sur la densité vasculaire et la surface endothéliale par vaisseau au niveau de la vascularisation de la tumeur. Figure 3. Effets des anticorps anti VEGF R2 et anti VEGF R3 (par rapport à ceux d une immuno globuline non spécifique) sur la densité vasculaire et la surface endothéliale par vaisseau au niveau des sinusoïdes de la moelle osseuse. L anticorps anti VEGF R3 diminue la densité vasculaire et les anticorps anti VEGF R2 et anti VEGF R3 restaurent la surface endothéliale par vaisseau. Figure 4. Concentrations plasmatiques de trois cytokines (VEGF A, G CSF et SDF 1) chez des souris porteuses de tumeurs mammaires MMTV par rapport aux souris témoins.