À propos des complexes familiaux La fonction de l autre, et l intrusion de jouissance

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Transcription:

Les Leçons d Introduction à la Psychanalyse 2014-2015 : Malaise dans la famille Lecture : «Les complexes familiaux» (1938), de Jacques Lacan, in Autres Écrits. Éric Zuliani Troisième leçon, pages 36 à 45. À propos des complexes familiaux La fonction de l autre, et l intrusion de jouissance La dernière fois, Françoise Pilet-Frank finissait sa leçon sur le dernier paragraphe du complexe du sevrage 1, qui portait sur des considérations de Lacan sur la civilisation. Elle soulignait que le complexe de sevrage est moteur des progrès mentaux, pas sans laisser un note de nostalgie pour la totalité, pour une sorte d harmonie universelle, de fusion mystique, cette veine pouvant aller jusqu à une demande de totalitarisme. Terminant son propos, F. Pilet-Frank montrait que ce que propose Lacan dans ces complexes familiaux ne porte pas sur l'enfant son progrès, son développement mais sur le complexe, concept unique dont il se sert pour appréhender le réel qu il souhaite mettre en évidence. Les temps du complexe Il faut ici faire une remarque pour ceux qui sont habitués à la notion de stades freudiens, que l on essaie de faire entrer dans la psychologie, spécialement la psychologie du développement de l enfant. Dans ce texte, Lacan n'évoque pas les stades oral, anal et génital, mais parle de complexes : complexe du sevrage, complexe d intrusion et complexe d Œdipe. Seconde remarque : la dernière fois, nous avons fait grand cas de la question du refus, du non. Nous avons aussi souligné la question de la perte. Il me semble qu'il y a une double clé, que donne J.-A. Miller 2, pour lire cette série de 1

complexes : il y a ce qui se passe du côté du sujet et ce qui se passe du côté de l'objet, toujours en tant que perdu. Je me servirai de cette double clé au cours de mon commentaire. À la lecture de ce complexe d'intrusion, il apparaît qu il peut se décomposer en trois temps : le complexe d'intrusion en lui-même, le moment du miroir, et la conclusion, disons, fraternelle. Le complexe d'intrusion, dit Lacan, représente une expérience qu il est nécessaire d examiner selon trois registres. Le complexe d intrusion se réalise lorsqu'un sujet se connaît des frères, ce qui relève du savoir, registre symbolique ; il dépend de la place donnée par le sort au sujet, registre réel ; il sécrète un objet, le frère, qui prend une signification d intrus, de nanti, d usurpateur, registre de l imaginaire. De la rivalité à la constitution de l instance de l autre Lacan qualifie alors très simplement cette expérience de jalousie (p. 37), en référence aux travaux de la psychologue Charlotte Bülher. Ce phénomène très commun de jalousie a aussi été repéré par Saint Augustin, note Lacan. L'observation expérimentale de ce qui s appelait la psychologie génétique, aujourd hui psychologie de l'enfant, a mis en évidence que ce phénomène n'était pas tant une rivalité ayant des visées vitales qu une une identification mentale, racine de la sociabilité. L expérience commune, parfaitement reproductible, consiste à mettre en présence des enfants entre six mois et deux ans, par couple, sans tiers, avec un écart d âge réduit. On les laisse jouer ensemble, et une communication semble s'établir. Dans cette communication, des phénomènes peuvent s'isoler et indiquent des postures et des gestes complémentaires et réciproques de provocations et de ripostes qui témoignent d une rivalité. Il y a là reconnaissance d'un rival, c'est-à-dire d'un autre comme objet, avec des phénomènes de transitivisme (dans le transitivisme, il n y a pas de distinction entre ce qui relève du sujet ou ce qui relève de l autre), présents donc normalement chez le jeune enfant, que l on rencontre aussi dans certains cas de psychose. Mais si maintenant on met en présence des enfants avec un écart d'âge plus important que deux mois et demi, on observe des comportements tout autres : parade, séduction et despotisme. Qu'est-ce que cela signifie? Cela désigne un moment de passage entre des phénomènes de transitivisme, où moi et autre se confondent, vers la constitution de l'autre en moi. Les seconds comportements témoignent en effet que dans l individu s'établit l instance de l autre, intériorisé pourrait-on dire (p. 38). Car parade, séduction et despotisme sont autant de postures qui révèlent que dans la vie intérieure du sujet s est constitué un autre. Le sujet ne pourrait en effet parader si ne s était constitué en lui l autre qui le regarde ; il ne pourrait séduire s il ne savait pas ce qu est «être séduit» ; il ne se montrerait pas despotique s il ne connaissait pas la posture de celui qui se soumet. Il y a donc, dans le sujet ainsi divisé, une tension entre deux attitudes opposées et complémentaires : «Chaque partenaire confond la partie de l'autre avec la sienne propre et s'identifie à lui» (p. 38). Naît ainsi un «sentiment de 2

l'autre» très imaginaire sans aucun doute, mais reposant sur la structure symbolique du complexe. On peut dire alors que le sujet, à partir de là, s avance dans le monde vers autrui, avec son autre ainsi constitué. Lacan précise (p. 40) qu'un dédoublement s'effectue dans le sujet, qui signifie à la fois une division irrémédiable de l être humain, une division entre l instance du moi d un côté et celle du sujet de l autre sujet de l inconscient, comme le précisera Lacan plus tard. Lacan évoque aussi, dans ce complexe d intrusion, une perte nous sommes là côté objet, la «perte de l'objet maternel». Alors qu'au moment du complexe de sevrage Lacan parlait de suicide primordial, ici il s'agit plutôt du meurtre imaginaire du frère, celui qui ne jouit pas comme vous. Les équivoques du stade du miroir Lacan, alors (de la p.40 à p.43), se propose d'introduire son stade du miroir (il l avait déjà présenté en 1936 au Congrès de Marienbad) afin de résoudre une difficulté concernant le mécanisme d identification. Si celui-ci avait été clairement mis en évidence par Freud dans la clinique des symptômes névrotiques et dans l Œdipe, Freud était beaucoup moins clair concernant l avènement du moi, malgré son texte «Pour introduire le narcissisme» 3. Ce texte soulève en effet, bon nombre de problèmes dus aux solutions qu apporte Freud : articulation en impasse entre autoérotisme, narcissisme primaire et narcissisme secondaire, où on peut deviner la fonction décisive de l autre. Lacan se propose de les résoudre avec son analyse du stade du miroir en faisant de l'identification, au passage, un principe de causalité. Il s appuie là encore sur des travaux en psychologie comparée et en psychologie de l enfant de psychologues dignes de ce nom comme Wallon, Bülher, Kölher et Baldwin, qui s'intéressent aux interactions des enfants entre eux et aux relations particulières que ceux-ci entretiennent au miroir par rapport aux primates. Dans ce stade du miroir, quatre points peuvent être soulignés. Tout d'abord, le stade du miroir est une théorie du narcissisme et de l'identification constitutive du moi. De plus, on peut dire que l'image spéculaire est le véritable opérateur de ce stade du miroir, permettant de saisir comment se constitue la réalité humaine, réalité qualifiée par Lacan d illusoire, et référée à la forme humaine. Troisièmement, la perception du semblable, c est-à-dire la construction du moi par le truchement de l'autre, est intimement lié à l'intelligence et à la sociabilité : sans cette construction, pas d intelligence et plus généralement de constitution des facultés psychologiques, pas de constitution de l image du corps, et pas de sociabilité. Enfin, à la différence du chimpanzé, chez le petit homme de six mois se produisent deux phénomènes : une intuition illuminative, une sorte arrêt sur image, et une jubilation témoignant d un triomphe. Arrêtons-nous un instant sur ces deux phénomènes qui pour Lacan ouvrent en même temps qu ils voilent une double béance. Premièrement, si l'image capture 3

le sujet, c est à défaut d'une quelconque conaturalité avec le milieu. Alors que chez l animal cette conaturalité existe entre l instinct et le milieu, chez l être humain la pulsion est captée par l image. Deuxièmement, l'image offre une perception totalisante de soi alors que la vie pulsionnelle qui agite le sujet témoigne au contraire d un morcellement et d un vécu erratique sans rapport avec cette image. On voit donc que la fonction de l image répond à deux béances chez l homme : pas de savoir dans le réel, aucun savoir sur le réel, et pas d unité du corps. Aussi peut-on dire que l image a une fonction équivoque. Elle est, certes, formatrice : l'image (Gestalt) a une effet de formation sur l'organisme, ce qui permet d avoir un corps ; mais elle implique aussi une perte d objet ce n est que l image d un corps, toujours précaire et une division du sujet entre cette image apparemment totale et les pulsions qui morcèlent. Ainsi s opère une tension dans le moi ainsi constitué (p. 42) entre des éléments imaginaires où se côtoient des représentations de morcellement et des représentations de récolement permanent du corps propre ; des affirmations du moi et des phénomènes de double ou de dédoublement. Lacan qualifie ce monde du moi comme un monde narcissique, au plein sens du mythe de Narcisse, qui inclut certes le double mais pas autrui, et qui implique, selon le mythe, la mort. En somme, le stade du miroir forme mais aliène. «Le moi se constitue en même temps que l'autrui dans le drame de la jalousie». Et c'est un moment de choix du sujet (p. 43) : ou bien il refuse cet autre et retrouve, alors, l'objet maternel se vouant à la destruction de l'autre ; ou bien l'objet renvoie à un objet qui lui-même renvoie à un autre objet, ce qui permet que l objet circule et fonde une vie sociale entre accord et concurrence. Il y a, dans ce second cas, une dialectique entre le sujet, l'objet et l'autre. Conclusion : réflexions sur le racisme Lacan fait donc apercevoir que la constitution du moi dépend de l autre. On peut dire qu une quinzaine d années plus tard, il reprendra cette donnée, cette fois-ci dans le registre symbolique, en affirmant que le désir de l homme est le désir de l Autre. Le stade du miroir, s il est formateur du moi, fait surtout apparaître un décentrement : le moi ne se confond pas avec ce que Lacan nommera plus tard «sujet» (de l inconscient). Il met aussi en évidence la puissance mauvaise de l image de capture de l être humain. Ce constat va loin si nous examinons dans nos sociétés la domination et le pouvoir des images. Cependant il maintient dans ses développements la part de choix du sujet un choix forcé, où il perd toujours quelque chose. Il y a certes l intrusion de l autre, la puissance de l image, mais il y a surtout la façon dont le sujet va y répondre. Notons aussi que Lacan nomme ce complexe du nom de «fraternel» à la fin de son propos (p. 45). Ajoutons enfin que ce stade du miroir a été présenté en 1936 au Congrès de psychanalyse de Marienbad, en Tchécoslovaquie, dans un climat où régnait en Allemagne le nazisme Lacan se rend aux Jeux Olympiques de Berlin après le dit Congrès. On ne peut séparer ce que Lacan met en évidence en élaborant la fonction de l autre comme à la fois formatrice du Je déterminante pour la socialité et aliénation ; et le climat totalitaire dans cette Europe des années 30. Freud lui 4

même, dans un texte sur la «Psychologie des foules et l analyse du moi» 4 s est intéressé à la question des rapports de l individu au collectif, examinant déjà les foules que sont l armée et l église. Et ailleurs, il a traité du problème du racisme. Or, il me semble que ce complexe d intrusion permet de saisir ce que peuvent être les racines du racisme 5. On s aperçoit en effet que dans le complexe d intrusion il n y a pas que l intrusion de l autre : il y a aussi la vie pulsionnelle du sujet, méconnue car non captée par l image qui fait intrusion pour le sujet. Toute la question question certes psychopathologique, si l on se réfère à la paranoïa par exemple, mais question de société aussi, si l on se réfère à la structure paranoïaque du moi chez tout être humain est de savoir comment le sujet, sans savoir ce qu elle est, peut prendre à son compte l intrusion de sa vie pulsionnelle, en d autres termes sa jouissance, plutôt que de dénoncer et de rejeter la jouissance de l autre qui, elle, se sait (d où l expression lacanienne de «connaissance paranoïaque»). La psychanalyse offre cette voie de permettre à un sujet de se faire responsable de sa propre jouissance plutôt que de rejeter celle de l autre. Éric Zuliani 1 Lacan J. «Les complexes familiaux dans la formation de l individu», Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, pp. 30-36 : «Le sevrage, un lien qui sépare». 2 Miller J.-A., «Lectures critique des «complexes familiaux» de Jacques Lacan», La Cause freudienne, n 60, juin 2005, Navarin, p. 33-51. 3 Freud S., «Pour introduire le narcissisme» [1914], La vie sexuelle, Paris, PUF, p. 81-105. 4 Freud S., «Psychopathologie des foules et analyse du moi» [1921], Essais de psychanalyse, petite bibliothèque Payot, Paris, p. 119-217. 5 Cf. Le texte d Éric Laurent, «Racisme 2.0», Lacan Quotidien n 371, 26 janvier 2014, http://www.lacanquotidien.fr/blog/wp-content/uploads/2014/01/lq-371.pdf 5