Mathémathiques et Physique Par François LURÇAT in Le Chaos
2 Compléter chaque paragraphe en utilisant les mots proposés à la suite de chacun d entre eux : Mathématiques et Physique TEST : 1. L idée centrale de Maxwell et Poincaré pourrait se résumer : ils ont distingué le déterminisme physique du déterminisme mathématique ; c est grâce à eux que nous comprenons aujourd hui la différence un déterminisme mathématique presque parfait et un déterminisme physique conditionnel et limité. ce type de distinction n est apparu que tardivement dans l histoire de la physique moderne. Cela peut se comprendre, l idée fondamentale a rendu la physique possible n avait pas été de distinguer mathématiques et physique, mais de les unir ou même de les confondre. Utiliser chacun des mots suivants : ainsi car entre pourtant qui 2. Dans l Antiquité grecque, les rapports entre mathématiques et physique sont dominés le dualisme. L astronomie de Platon et d Eudoxe géométrise les mouvements des astres ; elle affirme «l opposition entre l intelligibilité presque parfaite des choses célestes et les changements des choses sublunaires» (É. Bréhier). L exploit de la physique moderne est d avoir unifié l astronomie et la physique, à cette dernière d appliquer les méthodes mathématiques, réservées aux phénomènes célestes, à l étude des phénomènes du monde sublunaire (A. Koyré). Une barrière qui semblait infranchissable est franchie, puis semble disparaître : comment cela a-t-il été possible? Les pères fondateurs de la physique moderne sont tous des chrétiens : leur héritage intellectuel est traversé par la contradiction inhérente au christianisme entre le monisme juif et le dualisme grec. La démarche de Kepler, Galilée, Newton procède d une «intuition moniste» (L. Askénazi), le noyau est l idée de création du monde par Dieu. La nouveauté décisive est d avoir interprété cette idée en termes mathématiques. Tandis que le Sefer Yetsira («livre de la Création») d un auteur juif inconnu des premiers siècles de notre ère affirmait que Dieu «a tracé et créé son monde» par 32 voies : les 10 nombres primordiaux et les 22 lettres de l alphabet hébraïque, Galilée pour sa part remplace lettres et chiffres par la géométrie des Grecs : le livre de l univers est écrit en caractères géométriques. aucune limite de principe ne s opposera à la mathématisation du monde physique. Avec Newton elle ira la découverte absolument inouïe du calcul différentiel, qui permet aux mathématiques de saisir le mouvement. (Au chapitre I* le principe de cette découverte a été exposé sous sa forme géométrique moderne, l espace de phase, et dans le langage des grandeurs infinitésimales que l analyse non standard a récemment restitué aux mathématiques.) Aujourd hui encore nous récoltons les fruits de la découverte newtonienne. Utiliser chacun des mots suivants : dès lors - dont - incessants jusqu à - jusqu alors - par permettant plus utilisant -
3 3. Cet héritage a pourtant aussi son côté négatif, que le chaos a mis en lumière. Eblouis par deux siècles à oublier que la physique et les mathématiques ne sont pas identiques. Le raisonnement de Laplace, par exemple, identifie implicitement l univers physique à sa description mathématique. Si Maxwell, puis Poincaré ont été longtemps peu écoutés quand ils posaient la question de la stabilité, c est pour une bonne part personne n était préparé à penser que la connaissance imparfaite ou le manque de définition des conditions initiales puissent jouer un rôle dans la dynamique elle-même. Ces déficiences et ces imprécisions n étaient pas niées, mais on leur refusait implicitement toute dignité théorique. Utiliser chacun des mots suivants : parce que presque si 4. En somme il y avait, dans la conception implicite du physicien deux mondes. les processus physiques, objet de la théorie physique, identifiées à leur description mathématique et comme elle la vertu d exactitude. les phénomènes, c est-à-dire la manifestation des processus physiques dans l expérience ou l observation. Manifestation entachée d imprécisions, classiquement désignées par le terme «erreurs de mesure» qui laissait entendre qu elles être liées de quelque façon à la faiblesse humaine. Le rôle de la théorie était de découvrir des descriptions mathématiques des processus physiques, que l expérience ou l observation de mettre à l épreuve avec l imperfection qui leur est propre. Celle-ci apparaissait ainsi comme contingente au regard de la théorie, qui était évidemment dispensée de la faire entrer dans son monde d exactitude. Le dualisme antique resurgissait comme contraste entre l exactitude du monde physique théorique mathématisé et l inexactitude des expériences et des observations. Utiliser chacun des mots suivants : se chargeaient d autre part d une part possédant pouvaient 5. On peut sans doute comprendre ainsi que les remarques très simples qui sont au fondement du chaos n aient joué près d un siècle un rôle marginal. Quand on analyse l histoire du chaos on souligne souvent, à juste titre, le rôle des ordinateurs qui permettent de résoudre numériquement des équations compliquées et de visualiser leurs solutions. Il est juste aussi de rappeler que Poincaré ne disposait pas des concepts et théories mathématiques qui ont permis l essor récent de la théorie des systèmes dynamiques, dont les mathématiques du chaos sont un chapitre particulièrement remarquable. Tout cela dit, cependant, il reste un retard donne à penser : la question de la sensibilité aux conditions initiales pouvait être posée il y a un siècle, cela est prouvé par le simple fait qu elle a été effectivement posée par quelques-uns. L autocritique de Lighthill est justifiée par le fait que le chaos n est venu à son heure, mais son heure. Utiliser chacun des mots suivants : après qu - pas pendant - qui
4 in : Le Chaos, François LURÇAT (Presses Universitaires de France, 1999) pp. 119-120 * Chapitre I : pp. 5-10 François LURÇAT Professeur émérite à l Université de Paris XI Niels Bohr, avant/après, Criterion, 1990. Cours de Physique, DEUG, 1 ère année, Ellipses, 1993. L autorité de la science, Ed. du Cerf, 1995. Le suicide de la science, Ed. F.-X. de Guibert
5 Corrigé Mathématiques et Physique 1. L idée centrale de Maxwell et Poincaré pourrait se résumer ainsi : ils ont distingué le déterminisme physique du déterminisme mathématique ; c est grâce à eux que nous comprenons aujourd hui la différence entre un déterminisme mathématique presque parfait et un déterminisme physique conditionnel et limité. Pourtant ce type de distinction n est apparu que tardivement dans l histoire de la physique moderne. Cela peut se comprendre, car l idée fondamentale qui a rendu la physique possible n avait pas été de distinguer mathématiques et physique, mais de les unir ou même de les confondre. 2. Dans l Antiquité grecque, les rapports entre mathématiques et physique sont dominés par le dualisme. L astronomie de Platon et d Eudoxe géométrise les mouvements des astres ; elle affirme «l opposition entre l intelligibilité presque parfaite des choses célestes et les changements incessants des choses sublunaires» (É. Bréhier). L exploit de la physique moderne est d avoir unifié l astronomie et la physique, permettant à cette dernière d appliquer les méthodes mathématiques, jusqu alors réservées aux phénomènes célestes, à l étude des phénomènes du monde sublunaire (A. Koyré). Une barrière qui semblait infranchissable est franchie, puis semble disparaître : comment cela a-t-il été possible? Les pères fondateurs de la physique moderne sont tous des chrétiens : leur héritage intellectuel est traversé par la contradiction inhérente au christianisme entre le monisme juif et le dualisme grec. La démarche de Kepler, Galilée, Newton procède d une «intuition moniste» (L. Askénazi), dont le noyau est l idée de création du monde par Dieu. La nouveauté décisive est d avoir interprété cette idée en termes mathématiques. Tandis que le Sefer Yetsira («livre de la Création») d un auteur juif inconnu des premiers siècles de notre ère affirmait que Dieu «a tracé et créé son monde» par 32 voies : les 10 nombres primordiaux et les 22 lettres de l alphabet hébraïque, Galilée pour sa part remplace lettres et chiffres par la géométrie des Grecs : le livre de l univers est écrit en caractères géométriques. Dès lors aucune limite de principe ne s opposera plus à la mathématisation du monde physique. Avec Newton elle ira jusqu à la découverte absolument inouïe du calcul différentiel, qui permet aux mathématiques de saisir le mouvement. (Au chapitre I * le principe de cette découverte a été exposé sous sa forme géométrique moderne, utilisant l espace de phase, et dans le langage des grandeurs infinitésimales que l analyse non standard a récemment restitué aux mathématiques.) Aujourd hui encore nous récoltons les fruits de la découverte newtonienne. 3. Cet héritage a pourtant aussi son côté négatif, que la chaos a mis en lumière. Eblouis par la puissance merveilleuse de la physique mathématisée, les savants ont eu tendance pendant presque deux siècles à oublier que la physique et les mathématiques ne sont pas identiques. Le raisonnement de Laplace, par exemple, identifie implicitement l univers physique à sa description
6 mathématique. Si Maxwell, puis Poincaré ont été longtemps si peu écoutés quand ils posaient la question de la stabilité, c est pour une bonne part parce que personne n était préparé à penser que la connaissance imparfaite ou le manque de définition des conditions initiales puissent jouer un rôle dans la dynamique elle-même. Ces déficiences et ces imprécisions n étaient pas niées, mais on leur refusait implicitement toute dignité théorique. 4. En somme il y avait, dans la conception implicite du physicien deux mondes. D une part les processus physiques, objet de la théorie physique, identifiées à leur description mathématique et possédant comme elle la vertu d exactitude. D autre part les phénomènes, c est-à-dire la manifestation des processus physiques dans l expérience ou l observation. Manifestation entachée d imprécisions, classiquement désignées par le terme «erreurs de mesure» qui laissait entendre qu elles pouvaient être liées de quelque façon à la faiblesse humaine. Le rôle de la théorie était de découvrir des descriptions mathématiques des processus physiques, que l expérience ou l observation se chargeaient de mettre à l épreuve avec l imperfection qui leur est propre. Celle-ci apparaissait ainsi comme contingente au regard de la théorie, qui était évidemment dispensée de la faire entrer dans son monde d exactitude. Le dualisme antique resurgissait comme contraste entre l exactitude du monde physique théorique mathématisé et l inexactitude des expériences et des observations. 5. On peut sans doute comprendre ainsi que les remarques très simples qui sont au fondement du chaos n aient joué pendant près d un siècle qu un rôle marginal. Quand on analyse l histoire du chaos on souligne souvent, à juste titre, le rôle des ordinateurs qui permettent de résoudre numériquement des équations compliquées et de visualiser leurs solutions. Il est juste aussi de rappeler que Poincaré ne disposait pas des concepts et théories mathématiques qui ont permis l essor récent de la théorie des systèmes dynamiques, dont les mathématiques du chaos sont un chapitre particulièrement remarquable. Tout cela dit, cependant, il reste un retard qui donne à penser : la question de la sensibilité aux conditions initiales pouvait être posée il y a un siècle, cela est prouvé par le simple fait qu elle a été effectivement posée par quelques-uns. L autocritique de Lighthill est justifiée par le fait que le chaos n est pas venu à son heure, mais après son heure. in : Le Chaos, François LURÇAT (Presses Universitaires de France, 1999) pp. 119-121 * Chapitre I : pp. 5-10 François LURÇAT Professeur émérite à l Université de Paris XI Niels Bohr, avant/après, Criterion, 1990. Cours de Physique, DEUG, 1 ère année, Ellipses, 1993. L autorité de la science, Ed. du Cerf, 1995. Le suicide de la science, Ed. F.-X. de Guibert