Le présent commentaire porte sur une traduction du manuscrit d Abbon de Saint Germain Le siège de Paris par les Normands. On peut, à partir de ce texte, voir les premiers pas qui ont mené à la création de ce qui est aujourd hui appelé la Normandie ainsi que l opinion que les Francs pouvaient en avoir. Pour bien illustrer ce phénomène, il sera question de décrire l auteur et les destinataires de ce document, le genre du texte et sa portée, le contexte historique dans lequel il est apparu puis finalement de son analyse suivie d une courte conclusion. D abord, il faut savoir que l auteur du texte est un moine de Saint Germain des Prés en Neustrie (Normandie actuelle) 1 nommé Abbon et qui serait également contemporain des événements qu il décrit. Puisqu il est moine, il faut faire attention au fait que son texte n est probablement pas très objectif et donc que les personnages mis en scène sont caractérisés par leur adhésion ou non à la doctrine chrétienne. Abbon aurait vraisemblablement écrit son texte autour de 897 puisque Eudes est identifié comme étant roi (couronnée en 888) et il ne parle pas de la mort de ce dernier en 898 tandis que les événements décrits se situent de 885 à 888. Le texte aurait donc été complété dix ans après les événements relatés. Pour ce qui est des destinataires, on ne peut que poser des hypothèses puisque, comme il en sera question plus tard, le manuscrit sera publié plusieurs siècles plus tard. On peut toutefois penser que les moines de Saint Germain des Prés on du le lire au cours des années et peut être quelques aristocrates avant l arrivée de la lutte contre la simonie durant le mouvement des réformes grégoriennes enclenché par Léon IX. 1 Avant l arrivé de Pépin Le Bref en 747, la Neustrie englobait la Loire, la Bretagne, la Manche et le Mense et était donc un centre culturelle et religieux prestigieux. Sous Pépin, il s agit du Duché de Mans et de la marche de Bretagne. Le Duché Normandie est crée sous Charles Le Simple en 911. 1
Le texte d Abbon de Saint Germain des Prés est en fait une chronique des deux attaques de Paris par les Normands (885 886). Une chronique est un récit historique pas nécessairement chronologique où l auteur donne son opinion ou offre sa vision des événements qu il nous fait vivre par ses vers car, de plus, les chroniques sont écrites sous forme de poème rimé (en latin). Pour ce qui a trait à la portée de la chronique d Abbon, il faut savoir que très peu de personnes étaient aptes à lire et encore moins à écrire le latin. De plus, toute la production littéraire faite par les moines du Moyen Âge n a évidemment pas été retenue par l Histoire et puis, comme il a été annoncé plus tôt, la chronique D Abbon n a été publiée qu au XIVe siècle par Pierre Pithou un collectionneur de manuscrits qui les légua tous à la bibliothèque royale qui est aujourd hui la Bibliothèque National de France. On peut donc avancer que la diffusion de ce texte n a pas eu beaucoup d impact sur les contemporains de l auteur mais a du être utilisé par les érudits de l histoire du XIVe siècle comme source pour comprendre les événements qui ont menés à la création de la Normandie et à la sauvegarde de Paris. Maintenant, observons le contexte dans lequel cette chronique a été écrite. Il est bon de noté que puisque le texte est écrit environ dix ans après les événements, Abbon vit le début de la création de la Normandie et la fin de la lignée carolingienne au profit des Capétiens. En 885, Paris n étant pas une ville particulièrement importante, elle est laissée un peu à elle même au grand plaisir des Normands qui, depuis 845, y voyait l accès vers les riches régions de la Marnes et de la Bourgogne (Pays de Sens dans le texte). La ville ne tombera finalement pas grâce aux 700 livres que Charles (il est ici question de Charles Le Gros) donne aux Normands contre leur retour dans leur pays (il est probablement question ici du Danemark). Les Vikings 2
voyants cela comme un signe de faiblesse décide de laisser Paris mais sans toutefois quitter le territoire des Francs. La raison pour laquelle Charles achète la paix est qu Arnulf (fils illégitime de Carloman) 2 s est rebellé et à pris l Allemagne dont il devient l Empereur. Toutefois, les Normands ne sont pas les seuls à voir l achat de la paix comme un acte de faiblesse car les aristocrates parisiens en profitent pour élire Eudes roi des Francs de l Ouest à la mort de Charles, en 888, afin de lutter contre les Normands qui ravagent les abords de la Seine. Nous voici maintenant rendu à l analyse de la chronique d Abbon de Saint Germaindes Prés. Elle sera séparée en quatre thèmes qui sont tous lié les uns aux autres mais qui gardent toutefois leur spécificité. Avant d aller plus loin, il faut mentionner le fait que l auteur (étant moine) prend clairement position par rapport au camp dans lequel il se situe, soit celui des Francs. Cela sa traduit par l utilisation d un vocabulaire et d images plutôt durs envers les Normands «Ils renversent, ils dépouillent, ils tuent, ils pillent, ils brûlent, ils ravagent, cohorte sinistre, phalange funeste, redoutable multitude» 3 et par extension par une glorification des Francs qu il met en scène comme des martyrs chrétiens qui tombent devant des païens «Enfants de tous âges, jeunes gens, vieillards chenus, pères, fils et mères, ils tuent tout le monde» 4 ou, dans le cas de Charles et Eudes, comme des sauveurs «Le prince qui fait le sujet de ce chant apparaît alors, entouré d armes de tout genre, comme le ciel d astres resplendissant [ ] Eudes, très digne de lui : à Montfaucon accompagné de mille hommes en armes, il vainquit dix mille cavaliers et neuf mille 2 Carloman a donné son royaume à son jeune frère Charles le Gros car il n avait pas de descendance légitime. 3 Le siège de Paris par les Normands selon Abbon de Saint Germain (885 888), Dossier de Documents, texte 41. 4 Ibid. 3
gens de pieds de ces païens» 5. Ainsi, le ton de l auteur est directement lié aux thèmes qu il a développés dans sa chronique. D abord, le saccage de la terre natale de l auteur est important pour l histoire qu il décrit puisque d entrée de jeu il annonce clairement que les Normands sont des «sauvages» qui parcourent la Seine en répandant le sang (métaphore du «ciel couleur de cuivre») et, comble de l horreur, en libérant les Serfs et mettant en servitude les hommes libres. Pour Abbon, la disparition des maîtres ne peut être que catastrophique car sans eux il n y a pas d Ordre possible car les dominés ne peuvent pas servir autre chose que les intérêts d un seigneur catholique s ils veulent aboutir au Royaume de Dieu. Suite au saccage de la Neustrie, l empereur Charles apparaît en compagnie de ses troupes pour finalement signer un traité afin que les «Barbares» quittent Paris et retournent dans leur pays contre 700 livres et le droit de passé l hiver dans «le Pays de Sens». Mais puisque les Danois ne sont que des Barbares, l auteur annonce déjà la fin du traité, qui aura effectivement lieu, mais non sans oublier qu ils se mélangent à la population franque pour leur faire croire que sa n arrivera pas. Ce qui nous mène au prochain thème. Dès la trahison des Normands, Eudes est élu par le peuple (les aristocrates) Franc afin de devenir le roi car la Neustrie «ne pouvait trouver parmi ses enfants personne qui le valût» 6. Pour Abbon, Eudes est réellement un homme saint parce qu il le caractérise par le fait qu il est «véritablement l oint du Seigneur» et ce même si le trône ne lui revenait pas de droit mais aurait normalement du appartenir au fils de Charles qui aurait véritablement été oint. Cette perception d Eudes vient probablement du fait qu il a réussi à repousser les Normands de Paris et même à obtenir des victoires importantes contre les Normands telle la bataille à Montfaucon 5 Op.cit. Dossier de Documents, texte 41. 6 Ibid. 4
qui est décrite comme une bataille où les Normands étaient vingt fois plus nombreux mais où le roi Eudes triompha de ses ennemis. Le dernier thème abordé, qui englobe les trois autres, est une des caractéristiques de la chronique, soit de montrer un affrontement entre le Bien et le Mal. Évidemment le Mal est personnifié par les Normands qui tuent et trahissent mais qui ne peuvent finalement pas triompher car le Bien est toujours vainqueur. Cependant il est intéressant de voir que pour Abbon, Charles qui est pourtant le roi, n est pas considéré comme supérieur ou égale à Eudes qui n est qu un Comte, mais comme inférieur. Cela provient sans doute du fait qu il a négocié avec le Diable se qui s est soldé par l échec du traité tandis que Eudes lui, a pris les armes et a combattu des hordes de Barbares et a libéré Paris. Par cette victoire des Francs, les catholiques restent donc maîtres de leurs terres et dans les bonnes grâces du Seigneur puisqu il leur a offert Eudes. En conclusion, on peut affirmer qu Abbon à su relativement bien décrire les faits historiques qui ont entouré l acceptation des Normands sur le territoire actuel de la Normandie ainsi que l opinion des Francs qui ont vécu ces événements, au travers de sa propre vision de moine de la Neustrie. Toutefois, il reste une interrogation dont il m est impossible de répondre avec le texte soumis au commentaire. Il s agit du fait que parmi les défenseurs de Paris, il y avait un évêque du nom de Goslin. La question est donc : pourquoi un ecclésiastique glorifie un laïc (le roi Eudes) plutôt qu un membre de la communauté ecclésiastique et évêque de surcroit? Texte incomplet ou omission volontaire? 5
Bibliographie Livres utilisées pour le contexte et les informations sur l auteur : DASS, Nirmal. Dallas medieval texts and translations, Viking attacks on Paris, the Bella parisiacae urbis of Abbo of Saint Germain des Prés, Peeters, 2001, 130 p. Livres et documents utilisées pour l analyse et la conclusion : DASS, Nirmal. Dallas medieval texts and translations, Viking attacks on Paris, the Bella parisiacae urbis of Abbo of Saint Germain des Prés, Peeters, Dallas, 2001, 130 p. DE LIBERA Alain, GAUVARD Claude et ZINK Michel. Dictionnaire du Moyen Âge, Presse universitaire de France, QUADRIGE/PUF, Paris, 2006, 1548 p. MÉHU, Didier. Note du cours Naissance du monde occidental Ve IXe siècles (HST 10636), Université Laval, automne 2008. 6