Marc Nauciel Histoires courtes 2 2
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Songeries matinales Dédé travaille dans le bâtiment. La journée durant, il monte et démonte des échafaudages afin que des ouvriers d une autre entreprise puissent procéder à des ravalements d immeubles. Il est six heures, Dédé vient prendre un café au bistrot des deux ânes, dans le 19 e. Nous sommes en juillet et déjà, le jour pointe le bout de son nez, la nuit touche à sa fin. Minute après minute, la lumière s intensifie, ce qui a pour effet de réjouir Dédé qui, venu tôt ce matin, observe ce spectacle son café à la main. Dédé rêvasse. Il pense à Sarah, cette jeune femme qu il a rencontrée la veille au soir dans un bar de la rue Oberkampf. Ils se sont échangés leurs numéros et Dédé a bien envie de lui faire signe dans le courant de la journée. Mais quelque chose le gêne. Hier, il n a pas osé dire à Sarah, architecte, qu il était ouvrier dans le bâtiment. La honte sans doute. Et cela risquerait de poser problème si cette histoire venait à commencer, voire durer. Dédé replonge ses yeux au fond de sa tasse vide. Oui, il a eu honte de lui avouer sa profession et il en a conscience. Ce constat le rend perplexe et amer. Un ouvrier du BTP avec une 2 3
architecte, ça se voit à cent lieues qu il y a un problème, qu ils ne vont pas ensemble. Dédé repense à la robe à pois rouge que portait Sarah, hier au soir. Comme cette robe moulante lui allait bien, comme son corps était bien proportionné, élégant, que les formes qu il avait entrevues étaient troublantes. Et que dire de ses yeux clairs Ses collègues allaient bientôt débarquer, des polonais pour la plupart. Il s imagina présenter Sarah à Pietro, Momo ou encore Dimitri. Non, décidemment quelque chose clochait. Il regarda alors de nouveau à travers la vitre du café, le soleil s était levé. Il prit son portable et alla dans contacts, tapa la lettre S comme Sarah, descendit jusqu à son prénom, le numéro s afficha. Dédé prit une longue respiration, hésita une fraction de seconde puis, d un geste dont il connaissait la nature irréversible, enfonça du pouce le bouton «suppression». 24
Daddy Cool Allongé au bord du fleuve, mes sens sont en éveil. J entends le bruit de l eau qui dévale le long des rochers. Le soleil me tape en pleine figure. Il est probable que si je reste ainsi allongé dans l herbe, je vais finir par attraper un coup de soleil. Qu importe, je m en moque. Je sens soudain un bruit qui se rapproche, un bruit étouffé qui s amplifie. J entends aussi distinctement maintenant un souffle, un souffle animal sûrement. L animal s approche de moi, les bruits de ses pattes dans l herbe s accélèrent. Je pense qu il se précipite vers moi. Est-ce un chevreuil, un chamois, une biche, un ours, un tigre? Sa tête me cache à présent le soleil. Je n ouvre pas les yeux, j attends. Mon cœur s accélère. Quelque chose de chaud et humide se colle soudain à mon visage. Arrête Banjo, viens là immédiatement! crie alors une voix de femme. J ouvre mes yeux. Excusez-moi monsieur, Banjo est très joueur. Je m essuie la bouche puis me lève difficilement en me soulevant à l aide de mes coudes. Ce n est rien madame, lui dis-je. Et pourquoi ce nom, Banjo? Il joue d un instrument? 2 5
La femme se tait et sourit, je m approche d elle. Son visage m apparaît aussi fort que ce soleil qui me tapait sur la tête. Je lui emboîte le pas. Nous quittons le chemin et le fleuve l un auprès de l autre. Banjo nous suit en remuant la queue. Il aboie de contentement. 26
Carambar Passe-moi ton bonbec et tu pourras copier sur moi à la prochaine interro. Mais je crève de faim! Réfléchis, t as 4 de moyenne en dictée. Je te dis que je crève de faim! Moi, j ai 19,5. Si tu me passes ton carambar, je te laisse copier sur moi. D accord ou pas? Si tu veux, je te lis la blague. Non, j veux le bonbec. Mais ça nique les dents! Pourquoi tu en manges, alors? Mon dentiste ne me fait pas payer. Ah bon? C est un ami de la famille, il connait bien ma mère. Et qu est-ce qu elle fait, ta mère? Institutrice. Où ça? Dans notre école. Ça alors! Et notre instit, ta mère, elle la connait? Un peu c est elle. 2 7