Arrêt du Conseil d Etat du 5 Décembre 2016 (N 394178) Nature de la juridiction, date, question juridique traitée Dans un arrêt du 5 Décembre 2016, le Conseil d Etat (la plus haute juridiction de l ordre administratif) a débattu du bien fondé de l intégration, au sein d un règlement intérieur, de tests salivaires de dépistages des drogues et alcools pour les postes dits hypersensibles. Les faits La société Sud Travaux SOGEA SUD exerce une activité de construction dans le domaine du bâtiment. A l occasion d un projet de refonte de son règlement intérieur, la société remettait à l inspecteur du travail un projet de réécriture dont l un des articles portait sur les boissons alcoolisées et drogues. Outre un l alinéa interdisant formellement aux employés de se rendre sur leur lieu de travail sous l emprise de drogue ou d alcool, le projet d article se focalisait sur l encadrement spécifique aux postes dits hypersensibles, dont la définition a été conjointement établie par la médecine du travail et les délégués du personnel de l entreprise. Ainsi, il était question pour les salariés occupants ces postes d être soumis aléatoirement à ces tests dont l efficacité repose sur la détection potentielle de six substances prohibées. Néanmoins, le test prévu n identifiait pas l identité du produit ni la fréquence de la prise de drogue, mais permettait seulement de repérer si le salarié en consomme ou non. Les tests devaient être effectués par des supérieurs hiérarchiques formés à leur utilisation. Le salarié devait donner son accord pour effectuer le test : son refus pouvant entraîner des sanctions disciplinaires. Un test positif donnait droit à une contre-expertise médicale aux frais de l entreprise. Mais il exposait quoi qu il en soit le salarié à des représailles pouvant aller jusqu au licenciement. Par une décision du 30 Mars 2012, l inspecteur du travail (unité territoriale du Gard) exigeait que soit retiré spécifiquement de la proposition de règlement le fait que le contrôle soit pratiqué par un supérieur hiérarchique (quand bien même celui ci aurait été
formé à l administration du test) et le fait qu un résultat positif entraîne nécessairement une procédure disciplinaire pouvant aller jusqu au licenciement. La procédure, les prétentions de chaque parties, décisions antérieures, opposition des raisonnements Dans un premier temps, l inspecteur du travail rejetait le projet de règlement de l entreprise par une décision du 30 Mars 2012. La société Sud Travaux, estimant que cette décision était un excès de pouvoir, demandait au tribunal administratif de Nîmes l'annulation de cette décision. Par jugement du 27 mars 2014, le tribunal annulait la décision de l inspectrice. En effet, le TA exprimait le fait qu une erreur de droit avait été commise en ce qu un test salivaire ne supposait pas la présence de la médecine du travail, qu il ne justifiait pas le secret médical, et que des sanctions disciplinaires sur la base d un test positif ne portait pas atteinte aux libertés individuelles. L inspecteur du travail souhaitait lui la modification du projet de règlement intérieur pour déplacer le contrôle des tests des mains du supérieur hiérarchique à celles de la médecine du travail (sur la base des articles L. 6211-1 et 2 du code de la santé publique qui disposent qu un examen de biologie médicale est un acte médical) + le comité consultatif national d éthique n a autorisé les tests en milieu pro. que sous la responsabilité des services de santé au travail. L un des arguments reposait aussi sur le nombre important de faux positifs. Le but de sécurité est louable mais la technique du dépistage salivaire est sujette à controverse. Conclusion le TA rappelle que l arrêté du 11 Juin 2013 identifie les tests salivaires comme n étant pas des examens de biologie médicale (d autant plus qu il ne se déroule pas en trois phase comme le prévoit l article L. 6111-2 du code de la santé publique). + Le mode opératoire inclut l aléa, l information au salarié, son consentement, la présence d un témoin et intègre une forte dimension sécuritaire avant tout pour les salariés eux mêmes. Il a donc validé le règlement intérieur. Cependant, à la suite de l'appel formé par la Ministre du travail, de l emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social (le 4 Juin 2014), la Cour administrative d Appel de Marseille avait annulé le jugement du tribunal administratif et rejeté la demande de la société. Conclusion La Cour retenait notamment qu'il s agit tout de même d obtenir un prélèvement biologique au vue d analyser un résultat clinique (ce qui exclu de facto le fait qu un supérieur pratique ce test). Par ailleurs, la détection de substance psychoactive ne présuppose pas la prise de drogue, cet indice pouvant en effet être la simple présence d un autre psychotrope légal (ex : somnifère, pathologies diverses) dont les effets sont éteints mais dont on perçoit encore les traces...
Enfin, la société SOGEA SUD formait un pourvoi demandant au Conseil d'etat d annuler l arrêt de la Cour administrative d Appel et de régler l affaire au fond. Le Conseil d Etat, après examen, se prononçait en faveur de la société, en annulant la décision de la Cour d Appel et en rejetant la position du ministre. Quelle question de droit? Ces dispositions du règlement intérieur de l entreprise portent elles atteintes, de manière disproportionnée par rapport au but recherché, aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives? Exposé de la solution Selon le Conseil d Etat, le test salivaire prévu par la société a pour objet la révélation par lecture instantanée de l existence d une consommation récente de drogue ou d alcool. Il ne peut pas être assimilé à un examen de biologie médicale au sens de l article L. 6211-1 du code de Santé Publique, et n a donc pas a être réalisé par un biologiste médical (comme le prévoit l article L. 6211-7). Par ailleurs, comme il ne s agit pas de révéler l aptitude ou non d un salarié à exercer son travail, la présence du médecin de travail n est pas requise. Comme aucune règle ou principe autres que ceux énoncés ne prévoient l intervention d un personnel médical, la Cour d Appel de Marseille a commis une erreur de droit en rejetant la possibilité de l administration du test par les supérieurs hiérarchiques. Ainsi, le raisonnement du Conseil d Etat s effectue en plusieurs étapes : Tout d abord, il rappelle que : 1. Le code du travail prévoit qu en tout état de cause, nul ne peut atteindre aux droits individuels et collectifs par des restrictions non proportionnées et injustifiées au regard du but recherché (1121-1 du code du travail) 2. Par ailleurs, le règlement intérieur permet à l entreprise de formuler une réglementation relative à la santé et à la sécurité, mais aussi à la discipline et à l'échelle des sanctions (1321-1) 3. L employeur doit protéger la sécurité et la santé physique et mentale de ses employés (L. 4121-1).
Ensuite il estime que dans ce cas précis : 1. Aucune règle ni principe ne prévoit l intervention d un professionnel de santé dans le cas d un recueil de test salivaire. Enfin, il pose des limites strictes au contrôle : 1. L employeur et le supérieur hiérarchique administrant le test sont tenues au secret professionnel. 2. Les tests reposent sur des techniques intégrant une marge d erreur. Les employés testés positifs peuvent ainsi exiger une contre-expertise à la charge de l employeur. 3. Comme les tests ne font qu intégrer l existence d une prise drogue ou son absence par l employé, sans donner de détails sur le type de produit et sur la régularité de la prise, ces tests ne sont réservés qu aux postes hypersensibles où le danger est particulièrement présent pour le salarié et les tiers. Si les tests se bornent à montrer l existence d une prise, qu ils ont pour objectif de protéger le salarié et les tiers, que l employeur est tenue au secret professionnel et que ces tests ne vise pas à démontrer l aptitude ou non du salarié à exercer sa tâche, les dispositions du règlement intérieur sont proportionnées au but recherché sans porter atteintes aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives. Références articles Article L. 821-2 (Code de Justice Administrative) : S'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, le Conseil d'etat peut soit renvoyer l'affaire devant la même juridiction statuant, sauf impossibilité tenant à la nature de la juridiction, dans une autre formation, soit renvoyer l'affaire devant une autre juridiction de même nature, soit régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie. Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'etat statue définitivement sur cette affaire.» Article L. 1121-1 (Code du travail) : " Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché "
Article L. 1321-1 (Code du travail): " Le règlement intérieur est un document écrit par lequel l'employeur fixe exclusivement : / 1 Les mesures d'application de la réglementation en matière de santé et de sécurité dans l'entreprise ou l'établissement, notamment les instructions prévues à l'article L. 4122-1 ; / (...) 3 Les règles générales et permanentes relatives à la discipline, notamment la nature et l'échelle des sanctions que peut prendre l'employeur " ; Article L. 1321-3 (Code du travail) : " Le règlement intérieur ne peut contenir : (...) 2 Des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché " Article L. 4121-1(Code du travail): " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs " Jugement du TA de Nîmes : http://istnf.fr/_docs/fichier/2014/4-140915073144.pdf Jugement du CA de Marseille : https://www.cfdt.fr/upload/docs/application/pdf/2015-09/caa_marseille_210815.pdf