Lourdes menaces sur le droit d asile en Europe



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HORS-DOSSIER L Union européenne a adopté à Bruxelles un nouveau programme quinquennal visant à renforcer d ici à 2010 l espace européen de liberté, de justice et de sécurité dont les fondations avaient été jetées il y a cinq ans à Tampere. Baptisé programme de La Haye (1), ce nouveau cadre entend préciser la réponse commune à apporter aux problèmes transfrontaliers. Le renforcement de la coopération policière et judiciaire et la lutte contre l immigration clandestine ne doivent pas faire oublier les principes relatifs à la protection des réfugiés. par Patrick Delouvin, Amnesty International, Pierre Monforte, Groupe d information et de soutien des immigrés (Gisti) et Catherine Teule, Ligue des droits de l homme* 1)- Le programme de La Haye, adopté au Conseil européen des 4 et 5 novembre 2004 par les chefs d État et de gouvernement des vingt-cinq, définit les orientations de l Union européenne pour les cinq années à venir dans les domaines de la liberté, sécurité et justice qui couvrent les politiques d asile, et d immigration. 2)- Constat dressé à l issue de la première rencontre nationale pour le droit d asile le 23 mars 2002. * Membres de la Coordination française pour le droit d asile (CFDA), les auteurs livrent ici une version réduite et actualisée d un bilan du rapprochement des politiques menées au sein de l Union européenne dans ce domaine depuis 1999, initialement publié en février 2004 par la CFDA (voir encadré). Lourdes menaces sur le droit d asile en Europe En mars 2002, la Coordination française pour le droit d asile (CFDA) constatait : Les travaux que mènent les États membres de l Union européenne pour rapprocher leurs politiques d asile dont les organisations non gouvernementales comme les parlements nationaux sont souvent tenus largement à l écart sont déterminés par le contrôle des flux migratoires. Destinés à définir des normes communes, ils ont prioritairement porté sur des mesures propres à entraver l accès des demandeurs aux procédures d asile, à éviter d avoir à examiner leur demande et à mettre en place des formules de protection au rabais. (2) Alors que s ouvre, avec le programme de La Haye de novembre 2004, la deuxième phase de la politique européenne d asile, le constat reste pertinent : un bilan du travail mené par les États membres dans ce domaine depuis 1999 montre à quel point les principes relatifs à la protection des réfugiés ont été progressivement écartés au nom de la recherche d efficacité des dispositifs de contrôle. Pourtant, selon le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), le nombre de demandeurs d asile n a jamais été aussi bas dans les vingt-cinq États membres de l Union européenne : trois cent cinquante mille en 2003 contre six cent quatre-vingt mille en 1992. Un tournant s est opéré au sommet de Séville de juin 2002, au cours duquel il a été décidé d accorder une priorité absolue aux mesures contenues dans le plan global de lutte contre l immigration clandestine adopté un peu plus tôt et de donner aux questions de migration une place privilégiée dans le calendrier des travaux. C est dans ce contexte, nourri de l obsession sécuritaire qui s est imposé après le 11 Septembre 2001 au nom de la lutte contre le terrorisme, que se sont poursuivis les travaux de rapprochement des politiques d asile. En application du plan d action établi lors du sommet de Tampere d octobre 1999, plusieurs textes ont été préparés par la Commission européenne et les États membres en vue d aboutir à des normes communes à l échéance du 1 er mai 2004. Un examen des textes 98 N 1253 - Janvier-février 2005

adoptés au cours de cette période (3) fait clairement apparaître que le souci des États de maintenir leurs prérogatives a prévalu sur la logique collective. En effet, si les pays membres sont plutôt prêts à transférer une part de leur souveraineté pour renforcer les contrôles aux frontières de l Union européenne, ils font en général preuve des plus grandes réticences à laisser restreindre leurs prérogatives en matière de définition du droit d asile. La directive relative à des normes minimales pour l accueil des demandeurs d asile n a ainsi été adoptée en janvier 2003 qu au prix du maintien de nombreuses clauses facultatives, là où la version initiale de la Commission européenne prévoyait des normes contraignantes. Le droit d asile en danger La CFDA Les normes minimales sur lesquelles les États membres se sont entendus créent, de fait, un système fondé sur un certain nombre de notions propres à mettre le droit d asile en danger. C est le cas du règlement dit Dublin II, adopté en février 2003. Si ce règlement, qui définit les critères permettant de déterminer quel État de l Union européenne est responsable du traitement d une demande d asile, a sur quelques points amélioré le régime précédemment en vigueur, par exemple en prenant en compte la nécessité de rapprocher les familles, les principes qu il pose ont deux conséquences néfastes : interdire au demandeur d asile le choix de son pays d accueil et dissuader les pays de tolérer sur leur sol des demandeurs d asile potentiels. Un État sera en effet responsable de l examen d une demande d asile si le demandeur y a séjourné au moins cinq mois avant de la déposer. Facilitée par la mise en place du système Eurodac, qui centralise au niveau européen les empreintes digitales des demandeurs d asile et des étrangers en situation irrégulière, la mise en œuvre de ce principe établissant une responsabilisation d un État membre pourrait bien se traduire par une déresponsabilisation des autres États membres. Avec en outre le risque, depuis l élargissement de l Union européenne le 1 er mai 2004, que l essentiel du traitement de la demande d asile ne repose désormais sur les nouveaux adhérents, situés pour la plupart le long de la frontière orientale de l Union européenne, en application d une autre règle de Dublin II selon laquelle le pays qui a laissé entrer le requérant dans l espace européen est responsable de sa demande d asile. À première vue, la directive établissant une définition commune du statut de réfugié (4) représente un progrès dans la mesure où elle retient une définition large de la notion d agent de persécution : il peut s agir d un État, d un parti La Coordination française pour le droit d asile rassemble les principales organisations françaises engagées pour la défense du droit d asile : l Action des chrétiens pour l abolition de la torture (Acat), Act-Up Paris, Amnesty International section française, l Association d accueil aux médecins et personnels de santé réfugiés en France, le Comité d aide exceptionnelle aux intellectuels réfugiés, le Centre d action sociale protestant, la Cimade (service œcuménique d entraide), le Comede (Comité médical pour les exilés), la Croix-Rouge française, la Fédération des associations de solidarité avec les immigrés, Forum réfugiés, France terre d asile, le Groupe accueil solidarité (Gas), le Groupe d information et de soutien des immigrés (Gisti), la Ligue des droits de l homme, le Mouvement contre le racisme et pour l amitié entre les peuples (Mrap), l association Primo Levi, le Secours catholique (Caritas France), le Service national de la pastorale des migrants, le Service social d aide aux émigrants (SSAE). La délégation française du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés est associée aux travaux de la CFDA. 3)- Parmi tous ces textes, quatre en particulier doivent retenir l attention : la directive relative aux normes minimales pour l accueil des demandeurs d asile, le règlement Dublin II, la directive relative à la qualification du réfugié et celle relative aux procédures d examen des demandes d asile. 4)- Directive établissant des normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou de personne qui, pour d autres raisons, a besoin d une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts (adoptée le 29 avril 2004). Hors-dossier 99

La notion de pays d origine sûr interdit en pratique l accès à la procédure d asile pour les ressortissants de ces pays. 5)- Srebrenica et Goradze étaient parmi les zones sûres de Bosnie placées sous contrôle des Nations unies. ou d une organisation, ainsi que d acteurs non étatiques. Toutefois, ce progrès se trouve relativisé par l introduction de deux nouveaux concepts. Il s agit d une part de la protection dite subsidiaire, plus précaire que celle qui dérive de l application de la Convention de Genève et qui, pour l heure, ne garantit même pas un égal accès aux droits sociaux (le travail par exemple), les pays membres ne parvenant pas à s entendre sur ce point. D autre part est introduite la notion d asile interne, selon laquelle une demande de protection présentée dans un pays de l Union européenne pourrait être rejetée si la personne menacée pouvait trouver asile dans une région de son pays d origine éventuellement placée sous la protection d un agent non étatique, parti ou organisation contrôlant une partie substantielle du territoire. Pourtant, les exemples ne manquent pas pour prouver que les solutions de cette nature n offrent pas une forme de protection suffisante et durable (5). En outre, il faut rappeler que seuls les États internationalement reconnus sont à même d offrir une protection effective à leurs ressortissants ; ce qui n est pas le cas d un parti politique, de puissances occupantes, ou de groupes armés. L inquiétante notion de pays d origine sûr 6)- Proposition de directive relative aux normes minimales concernant la procédure d octroi et du statut de réfugié dans les États membres. Le texte, en discussion depuis septembre 2000, a fait l objet d un accord politique en novembre 2004. 7)- Au mois de mars 2004, neuf réseaux européens d ONG ont lancé un appel collectif au retrait de la directive procédures, du fait des violations de certains principes du droit international qu elle contient. Mais ce sont les discussions relatives à la directive sur les procédures d asile (6) qui ont produit les concepts les plus dangereux au regard de la Convention de Genève de 1951 sur les réfugiés, malgré les nombreuses mises en garde des principales ONG européennes et du HCR (7). Ainsi le texte, qui a fait l objet d un accord politique au mois de novembre 2004, valide la notion de pays d origine sûr, qui, par le biais d un examen dit accéléré, interdit pratiquement l accès à la procédure d asile pour les ressortissants de ces pays. Si les États membres n étaient pas, fin 2004, parvenus à arrêter une liste commune de pays sûrs, nombre d entre eux ont d ores et déjà leur propre liste. La directive introduit également le concept de pays tiers sûr dans lequel un demandeur d asile pourra être renvoyé sans examen individuel de sa requête, et sur lequel est reportée la responsabilité de l examen de la demande d asile, sans aucune garantie que ce pays réponde aux exigences de la protection internationale. On peut encore signaler la possibilité ouverte par le texte de renvoyer les demandeurs d asile avant l issue définitive de leur procédure : les conséquences en sont potentiellement très lourdes, car, dans un grand nombre de cas, les décisions de rejet prises en première instance sont infirmées en appel. Parallèlement à l ensemble de ces orientations, qui affaiblissent considérablement les garanties des demandeurs d asile dont les demandes sont traitées sur le territoire de l Union européenne, les États membres cherchent les moyens de s affranchir de la responsabilité qui leur incombe, en vertu de la Convention de Genève, de leur garantir un accès aux procédures d asile, en 100 N 1253 - Janvier-février 2005

externalisant l examen de certaines demandes hors de leur territoire national. En juin 2003, un projet britannique de gestion régionale des procédures d asile et de centres de traitement des demandes installés au-delà des frontières de l Union avait été reporté (8) par le Conseil européen de Thessalonique. Au cours de l été 2004, l idée a été pourtant relancée avec une proposition italo-allemande d installer des centres d accueil, dénommés portails, dans les pays d Afrique du Nord par lesquels transitent de nombreux demandeurs d asile et migrants. Affichée, à la suite de plusieurs naufrages en Méditerranée, comme la solution aux problèmes complexes et dramatiques de l immigration clandestine et du trafic des êtres humains, cette proposition s inscrit dans la continuité des restrictions mises en place pour empêcher l accès au territoire européen, elles-mêmes premières causes de ces drames et appliquées sans nuance aux demandeurs d asile en recherche de protection. Ayant suscité de vives réactions de la part des ONG (9) et dans certains États membres, elle n a pas été retenue, même s il est probable que ce type de camps de transit verra le jour dans le cadre de relations bilatérales passés entre des pays de l Union européenne et des pays tiers comme la Libye. Mais l Union européenne n a pas renoncé à explorer les pistes de l externalisation des procédures : dans le programme de La Haye, le Conseil demande à la Commission européenne de mener une étude qui doit évaluer le bienfondé, le caractère opportun et la faisabilité d un traitement commun des demandes d asile en dehors du territoire de l Union européenne. 8)- Voir Patrick Delouvin, Europe : vers une externalisation des procédures d asile?, Hommes & Migrations, n 1243, mai-juin 2003. 9)- Voir notamment le communiqué de la CFDA, L externalisation des demandes d asile par la création de camps aux frontières de l Europe est inacceptable, 24 août 2004. Partage du fardeau Dans la même ligne, la coopération avec les États tiers en matière de gestion des flux migratoires est considérée comme un axe fondamental de la politique européenne. Dans les faits, la notion de coopération est souvent conçue comme un moyen de pression pour obliger les États tiers à jouer le rôle de gardes-frontières de l Union, ce qui n est pas sans conséquences sur la politique d asile. C est ainsi que la communication de la Commission européenne sur la politique commune d asile du 26 mars 2003, invoquant la masse critique atteinte par la Communauté en matière de protection invite, en vue d un partage plus équitable du fardeau et des responsabilités, à développer une véritable politique partenariale avec les pays tiers et les organisations internationales compétentes. Il s agit de rechercher des modalités de répartition des res- Joël Volson - IM média. Manifestation en soutien aux sans-papiers et aux demandeurs d asile, à Paris en 1996. Hors-dossier 101

10)- Commission européenne, Vers une gestion intégrée des frontières extérieures de l Union européenne, mai 2002. ponsabilités afin de soulager la charge supportée par les premiers pays d asile et une coopération plus effective pour renforcer les capacités de protection des pays qui reçoivent les réfugiés. L idée étant que des pays tiers pourraient, moyennant l aide de l Europe, assurer une partie de la protection due aux personnes qui aujourd hui viennent jusque dans les pays membres demander l asile. Dans cette optique, les possibilités offertes par le traitement des demandes d asile hors de l Union européenne et la réinstallation des réfugiés dans des pays d accueil, y compris les États membres, sont considérés comme des instruments complémentaires à un système d asile territorial efficace et équitable. Dans le programme de La Haye de novembre 2004, le thème du partenariat avec les pays d origine et de transit est l un des axes du chapitre consacré à la dimension extérieure de l asile et de l immigration. Y est soulignée la nécessité d intensifier la coopération et le renforcement des capacités aux frontières méridionales et orientales de l Union européenne, afin de permettre aux dits pays de mieux gérer les migrations et d offrir une protection adéquate aux réfugiés. Au regard de ce qui a été réalisé au cours des dernières années, on peut craindre que le partenariat avec les pays tiers ne porte principalement sur l amélioration de leurs méthodes de contrôles frontaliers. En mai 2002, la Commission européenne définissait quatre enjeux liés à la sécurité des frontières intérieures (10) : assurer la confiance mutuelle entre États membres, lutter contre le terrorisme, garantir un niveau élevé de sécurité à l intérieur de l Union européenne, et accroître l efficacité de la lutte contre l immigration clandestine dans le respect des principes du droit d asile. Cette dernière précision semble bien formelle, car le reste de la communication ne fait à aucun moment référence aux moyens envisagés pour le respect de ces principes, et il n est rappelé nulle part que, selon la Convention de Genève, l illégalité du franchissement d une frontière ne peut être opposée à un demandeur d asile. Ce silence lourd de sens est malheureusement caractéristique de tous les travaux européens relatifs au contrôle des frontières. Politique de rapatriement et de retour On constate en effet que l accent est mis sur une coopération opérationnelle ne nécessitant pas dans un premier temps de base juridique formelle, excluant donc un quelconque contrôle du Parlement européen : échanges d officiers de liaison, accords bilatéraux de coopération policière, création à moyen terme d un corps de garde-frontières européen. Dans cette logique, qui ne perçoit les flux de migrants que sous l angle de la menace qu ils représentent pour les États, sans tenir aucun compte des dangers qu ils peuvent fuir, a été décidée la création d une Agence européenne de gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures de l Union, dont la mise en place est prévue pour mai 2005. Cette agence a pour objectif de faire le lien entre la politique de contrôle des frontières et la politique de rapatriement, sans qu il soit 102 N 1253 - Janvier-février 2005

fait référence au droit d asile. Adopté en novembre 2003, le programme de mesures pour combattre l immigration illégale aux frontières maritimes de l Union européenne va dans le même sens : l objectif est de permettre l interception de navires en haute mer et le retour des immigrants illégaux qui seraient à bord. Là encore, aucun dispositif propre à garantir la protection d éventuels réfugiés parmi les étrangers interpellés ne semble prévu (le programme ne mentionne pas le cas de personnes souhaitant rejoindre le territoire de l Union européenne pour y déposer une demande d asile). Il est pourtant plausible d imaginer que des demandeurs d asile démunis de documents de voyage tentent de franchir les frontières maritimes (ou terrestres) de l Union. On a ainsi pu constater à plusieurs reprises au cours de l été 2004 que ce n est que sur l insistance d ONG et du HCR que l Italie, qui avait dans un premier temps estimé qu il s agissait de clandestins, a autorisé, à titre humanitaire l accostage d embarcations chargées de demandeurs d asile potentiels qui dérivaient en Méditerranée depuis plusieurs semaines (11). La crédibilité et l intégrité des politiques en matière d immigration clandestine et d asile risquent d être mise à mal si elles ne s accompagnent pas d une politique communautaire en matière de retour des personnes en séjour irrégulier. (12) Ce leitmotiv des États membres et de la Commission a placé la question du retour au cœur des préoccupations des vingt-cinq, en tant qu élément de la lutte contre l immigration clandestine et contrepartie indispensable d une politique d asile commune. Fondée sur des mesures de coopération opérationnelle et ne faisant que rarement référence aux instruments de protection internationale des droits de l homme et à la Convention de Genève de 1951, cette politique s articule autour de plusieurs axes : échanges de bonne pratiques en matière de retour, obtention des documents de voyage nécessaires au retour, assistance des officiers de liaison chargés de l immigration Elle se traduit par des opérations communes de renvoi ou charters européens. Plusieurs vols charters associant au moins deux États membres ont déjà été organisés et une décision portant sur l organisation conjointe de vols communs pour l éloignement collectif des ressortissants de pays tiers séjournant illégalement sur le territoire de deux États membres ou plus a été adoptée en mars 2004, qui organise dans les détails les possibilités de retours groupés communs. Mais, s agissant des garanties entourant les modalités de renvoi, on attendait toujours fin 2004 une directive sur les normes minimales applicables aux procédures de retour, annoncée en 2002 (il est prévu qu elle soit discutée en 2005). Afin d éviter le signal fort que représente l échec d une politique en matière de retour des personnes en situation irrégulière (13), le troisième axe de cette politique est l identification des personnes sans papiers, notamment grâce à l utilisation d éléments biométriques. On peut craindre que le partenariat avec les pays tiers porte principalement sur l amélioration de leurs méthodes de contrôles frontaliers. 11)- Ceux-ci ont d ailleurs été tous expulsés, vers le Ghana ou vers la Libye. 12)- Commission européenne, Développement d une politique commune en matière d immigration clandestine, de trafic illicite et de traite des êtres humains, de frontières extérieures et de retour des personnes en séjour irrégulier, 3 juin 2003. 13)- Ibidem. Hors-dossier 103

Un nécessaire sursaut 14)- Allocution de Kofi Annan, secrétaire général de l Onu, devant le Parlement européen, le 29 janvier 2004. 15)- CFDA, lettre ouverte adressée à Jacques Chirac, président de la République française, février 2004. La politique de retour repose enfin sur la conclusion d accords de réadmission, qui permettent le renvoi des étrangers en situation irrégulière dans les pays d origine ou dans les pays de transit. Quatre accords de ce type ont été signés par l Union européenne : avec le Sri Lanka, Hong-Kong, Macao et l Albanie, et une dizaine d autres sont en chantier. Avec l accord de Cotonou signé en 2000 avec les soixante-dix pays ACP (Afrique Caraïbes Pacifique), l Union européenne impose aux États signataires la réadmission de leurs nationaux et prévoit, par une clause générale, la négociation de futurs accords pour la réadmission des étrangers qui auraient transité sur leur sol avant d être interpellés en Europe. Une clause identique figure désormais à l agenda de toutes les négociations relatives aux accords d association ou de coopération de l Union européenne. Dans ces accords, les principes protégés par la Convention de Genève ou la Convention européenne des droits de l homme n apparaissent que comme une énumération formelle. Lorsque des réfugiés sont empêchés de demander l asile parce qu il ne leur est pas permis de se présenter aux frontières, ou sont détenus durant une période excessive et dans des conditions peu satisfaisantes, ou se voient refuser l entrée sur le territoire en raison d interprétations restrictives de la Convention [de Genève], le régime de l asile est annihilé, de même qu est rompue la promesse contenue dans la Convention. Votre système d asile doit disposer des ressources nécessaires pour instruire les demandes avec équité, rapidité et transparence, de sorte que les réfugiés soient protégés et que des solutions soient trouvées pour eux [ ]. (14) Cette adresse du secrétaire général des Nations unies aux parlementaires européens, au moment de la conclusion de la première phase des travaux de rapprochement des politiques d asile, fait écho aux inquiétudes exprimées par la CFDA dans son bilan. D une part les mesures de contrôle aux frontières menacent dangereusement les possibilités d accès aux procédures pour les personnes en quête de protection. D autre part les normes communes adoptées sont bien souvent en deçà des besoins et des garanties nécessaires. C est pourquoi la CFDA, dénonçant cette inquiétante évolution, réaffirme que la priorité est la défense des instruments internationaux de protection, [et] demande instamment aux États membres de l Union européenne, et parmi eux la France, d inverser les orientations actuelles (15). A P U B L I É Patrick Delouvin, Droit d asile : un calendrier européen chaotique Hors-dossier, n 1242, mars-avril 2003 Claire Rodier, La construction d une politique européenne de l asile, entre discours et pratiques Monique Chemillier-Gendreau, L introuvable statut de réfugié, révélateur de la crise de l État moderne Chronique Débat, n 1240, novembre-décembre 2002 Dossier Vers une politique migratoire européenne, n 1216, novembre-décembre 1998 Jean Daujac, La coopération européenne en matière d asile et d immigration Dossier Le racisme à l œuvre, n 1211, janvier-février 1998 104 N 1253 - Janvier-février 2005