Visite au Tribunal administratif de Nîmes ****** Intervention de M. Jean-Marc Sauvé 1, vice-président du Conseil d Etat ****** 24 février 2014 Monsieur le préfet du Gard, Monsieur le préfet de Vaucluse, Monsieur le sénateur-maire de Nîmes, Madame et Messieurs les députés, Monsieur le représentant au Parlement européen, Monsieur le président du conseil général du Gard, Monsieur le premier président de la cour d appel de Nîmes, Monsieur le procureur général près cette cour, Monsieur le président du Tribunal administratif de Marseille, Madame, Monsieur les présidents des tribunaux de grande instance de Nîmes et Avignon, Madame, Monsieur les procureurs de la République près ces tribunaux, Mesdames et Messieurs les directeurs et chefs de service, Monsieur le colonel, commandant du groupement départemental de gendarmerie, Mesdames et Messieurs les bâtonniers, les professeurs et les avocats, 1 Texte écrit en collaboration avec M. Olivier Fuchs, conseiller de tribunal administratif et de cour administrative d appel, chargé de mission auprès du vice-président du Conseil d Etat. 1
Messieurs les présidents des compagnies de commissaires-enquêteurs et d experts, Mesdames et Messieurs les représentants des autorités civiles et militaires, Je suis heureux de rendre visite aujourd hui aux magistrats et aux agents du tribunal administratif de Nîmes dans le cadre de mes visites mensuelles de juridiction. Ces visites me permettent de rencontrer les magistrats et les agents de greffe, de mieux connaître leurs préoccupations, de répondre à leurs questions et d exposer nos projets. Elles sont aussi l occasion de rencontrer les partenaires et interlocuteurs de ces juridictions, comme c est le cas notamment avec cette réunion. Ces visites permettent aussi de rappeler publiquement notre mission, nos objectifs et nos résultats. * * * Notre mission. La justice administrative est garante de l intérêt général et gardienne des libertés et des droits fondamentaux des personnes dans leurs relations avec les administrations. Sa fonction, 2
qui est de juger les pouvoirs publics et les services publics, la place au cœur de l Etat de droit. A ce titre, elle a su, je crois, gagner et conserver la confiance et la considération de tous les justiciables. Votre présence ici aujourd hui en témoigne et je vous en remercie très sincèrement. * * * Nos objectifs. Il n'y a pas d'etat de droit sans justice de qualité. Cette qualité repose, en ce qui nous concerne, sur trois piliers, qui sont autant d objectifs que, par ses réformes récentes, la juridiction administrative tend à atteindre. La qualité se traduit d abord par une exigence de sécurité juridique, c est-à-dire par une capacité à rendre des décisions prévisibles, à faire évoluer la jurisprudence, sans déstabiliser les justiciables, et aussi à rendre des décisions solides. Les décisions du juge administratif sont à cet égard juridiquement sûres : ainsi, 96 % des litiges sont définitivement réglés conformément à la solution adoptée en premier ressort. La sécurité juridique repose, dans notre organisation juridictionnelle, sur deux éléments essentiels : la collégialité et le rôle du rapporteur public. De nombreuses réformes ont été menées pour maintenir et renforcer cette sécurité. Elles concernent en particulier le rapporteur public, dont le sens des 3
conclusions est désormais porté à la connaissance des parties avant l audience et auquel celles-ci peuvent répondre oralement et par écrit. Les parties ont désormais le dernier mot à l audience. En outre, le rapporteur public peut décider de ne plus conclure sur les dossiers ne présentant pas de difficultés, ce qui contribue à recentrer son travail sur les dossiers présentant à juger des questions de fait ou de droit complexes qu il peut approfondir. La Cour européenne des droits de l Homme a d ailleurs, au vu de ce rôle et de l insertion du rapporteur public dans le procès administratif, confirmé en juin dernier que cette institution est pleinement compatible avec les exigences du procès équitable garanties par l article 6 de la convention européenne des droits de l homme. La justice administrative se doit ensuite d être accessible au justiciable. Elle l est par tradition avec la large ouverture de son prétoire, mais elle doit encore progresser. Elle l est par l aménagement des bâtiments où elle est installée : l hôtel Silhol, dans lequel est établi le tribunal depuis sa création en 2006, illustre la capacité de la juridiction administrative à habiter des monuments chargés d histoire en les adaptant à ses besoins propres. Mais notre politique d accessibilité, c est encore l ouverture résolue aux nouvelles technologies et aux échanges dématérialisés ; c est encore la réflexion et les réformes entreprises ces dernières années sur la manière dont se déroule l audience, avec plus d'oralité pour les parties, ou dont sont rédigées nos décisions de justice j y reviendrai. 4
Le troisième pilier de la qualité est la maîtrise des délais. Une bonne justice est une justice qui se prononce en temps utile. Des progrès considérables ont été accomplis à cet égard avec l instauration de procédures d urgence efficaces à partir du 1 er janvier 2001 : il y a eu l an passé 15 000 référés urgents, dont 3 500 référés-liberté, soit près de 15 par jour, même s il a fallu attendre le début de 2014 pour que le grand public se rende compte de sa capacité à intervenir en urgence sur les décisions les plus variées. Nos délais de jugement des recours au fond se sont aussi spectaculairement raccourcis. Ainsi, pour la première fois dans notre histoire, devant toutes les juridictions administratives, en première instance, en appel comme devant le Conseil d Etat, le délai prévisible moyen de jugement est au 31 décembre 2011 descendu à moins d un an. Il a encore, dans les tribunaux administratifs, diminué au cours des années 2012 et 2013 pour s établir à 9 mois et 25 jours. Ce seul indicateur démontre que la juridiction administrative a beaucoup évolué ces dernières années et que les nombreuses réformes entreprises ont porté leurs fruits partout en France, et aussi ici même à Nîmes. * * * L engagement résolu des magistrats et des agents de greffe du tribunal administratif de Nîmes a en effet permis que soient ici remplis 5
nos objectifs de qualité et que soient aussi conciliées des exigences qui sont parfois contradictoires. Depuis que le tribunal administratif de Nîmes a débuté son activité, le 1 er novembre 2006, permettant d alléger la charge des tribunaux administratif de Marseille et de Montpellier, sa situation est très saine. Le délai prévisible moyen de jugement est ainsi aujourd hui de 8 mois et 15 jours, ce qui est - pour un peu plus d un mois - en deçà de la moyenne nationale. Le tribunal administratif ne s est en outre jamais laissé «déborder» : ainsi, depuis 2007, le stock des dossiers vieux de plus de deux ans, ceux qui pèsent le plus sur le justiciable, n a jamais été supérieur à 100 en valeur absolue, et seuls 26 dossiers entrent dans cette catégorie fin 2013, soit moins de 1 % de la totalité des dossiers en instance. On ne peut donc que rendre hommage au remarquable travail accompli par les magistrats et les agents du tribunal administratif de Nîmes. Le dynamisme dont ils font preuve honore la juridiction administrative. J en veux encore pour preuve le succès des 2 èmes rencontres fiscales du tribunal administratif de Nîmes, qui se sont tenues le 31 janvier dernier, sur le thème de la lutte contre la fraude fiscale et de la sécurité juridique des actes des entreprises. * 6
* * Si ses réussites sont incontestables, la juridiction administrative doit néanmoins relever encore de nombreux défis. Le premier de ses défis réside dans la croissance constante du contentieux. Il faut mesurer que, sur l ensemble du territoire, le contentieux augmente en moyenne de 6 % par an depuis 40 ans. En outre, de récentes législations sollicitent massivement le juge administratif, comme le droit au logement opposable (DALO), le revenu de solidarité active (RSA) ou la législation sur les étrangers, en dernier lieu avec la loi du 16 juin 2011. Si en 2013, le nombre des dossiers enregistrés devant les juridictions de première instance au niveau national a légèrement diminué, cela n a pas été le cas à Nîmes, où le contentieux a crû de plus de 6%, et, en tout état de cause, l accalmie nationale de 2013 qui est exceptionnelle ne devrait pas perdurer. Dans le contexte budgétaire que nous connaissons, il ne peut y avoir de réponse à la progression continue des contentieux que dans une réflexion d ensemble sur les facteurs et les causes qui expliquent cette augmentation ainsi que dans la limitation de celle-ci. Il faut à cette fin favoriser la prévention des litiges portés devant le juge et, pour cela, imaginer des réponses plus appropriées que le seul contentieux : tous les litiges ne sauraient se régler devant un juge. Les 7
modes alternatifs de règlement des litiges, notamment par la médiation ou la conciliation, et les conditions d accès au juge doivent, selon le cas, être développés ou repensés. Il faut aussi adapter en permanence notre organisation, notre procédure et nos méthodes de travail. La redéfinition des offices respectifs du juge unique et de la collégialité ainsi que la liste des contentieux pouvant faire l objet d un appel a ainsi été adaptée, de même que le traitement des contentieux sociaux. La juridiction administrative doit ensuite poursuivre son ouverture résolue aux technologies de l information. Au quotidien, dans nos juridictions, le papier laisse de plus en plus souvent la place au travail dématérialisé. En outre, les téléprocédures, qui permettent aux parties d échanger par voie électronique avec les juridictions, ont été généralisées en 2013 en trois vagues à l ensemble des juridictions administratives de métropole. Elles ont été mises en place le 2 décembre au tribunal administratif de Nîmes. J ai signé, le 5 juin 2013, une convention-cadre avec le Conseil national des barreaux sur l utilisation de la communication électronique entre les avocats et les juridictions administratives, convention qui témoigne de l intérêt des avocats pour ce nouveau mode de communication et le président du Tribunal administratif de Nîmes a signé en novembre dernier, avec les cinq bâtonniers du ressort de ce tribunal, une convention qui traduit dans ce ressort l accord-cadre du 5 juin. Les premiers résultats de la mise en œuvre de l application Télérecours devant le Conseil d Etat et les juridictions pilotes sont très positifs et ils démontrent une 8
appropriation satisfaisante par les parties de la communication dématérialisée. Le mouvement est donc lancé. Le troisième défi qu il convient de relever est celui de la place du juge et de la juridiction administrative dans la Cité. Inscrire le juge dans la Cité suppose tout d abord de renforcer la garantie de son impartialité et de son indépendance. Une Charte de déontologie, commune à l ensemble de la juridiction administrative, a ainsi été publiée en décembre 2011. Elle constitue, sur les exigences d indépendance et d impartialité ou de prévention des conflits d intérêts, une référence précieuse, pour les magistrats comme pour les justiciables. Elle doit apporter aux uns comme aux autres des garanties et de la sécurité. Un collège de déontologie est par ailleurs chargé d éclairer les membres de la juridiction administrative sur l application des principes et des bonnes pratiques définis par la Charte et sur tout problème déontologique qui se poserait à eux. Ce collège peut être saisi aussi bien par les magistrats que par les chefs de juridiction et ses avis et recommandations sont rendus publics et accessibles sur notre site internet. 19 avis et recommandations ont ainsi été rendus depuis l installation de ce collège en mars 2012. Inscrire le juge administratif dans la Cité, c est aussi consacrer sa qualité de magistrat : c est ce que le législateur a fait par la loi du 12 mars 2012 relative à l accès à l emploi titulaire, qui permet, par 9
ailleurs, à un nombre accru de magistrats des tribunaux et des cours administratives d'appel d'être nommés au Conseil d Etat. Inscrire la justice administrative dans la Cité, c est enfin, je le crois, réfléchir aux voies ouvertes pour rendre nos décisions plus simples, plus lisibles, plus intelligibles, sans rien sacrifier de la rigueur du raisonnement juridique. Un rapport m a été remis en avril 2012 sur cette question et il a débouché sur de premières mesures d application immédiate. Il a donné lieu, en 2013, au Conseil d Etat, à l expérimentation de nouveaux protocoles de rédaction dans quatre des 10 sous-sections de la section du contentieux. J espère que ces protocoles pourront, après évaluation par un comité ad hoc, être adaptés et étendus dans le courant de cette année dans les chambres volontaires de certaines cours administratives d appel et de certains tribunaux administratifs. * * * Les défis à relever, vous le voyez, sont nombreux. Ils demandent de poursuivre dans la voie de l'effort et des réformes qui ont été engagées ces dernières années. 10
Je ne méconnais pas les implications des différentes évolutions, passées ou à venir, sur le travail des magistrats comme des agents de greffe. Que notre justice soit de qualité, cela n est en effet possible que grâce à la mobilisation résolue des femmes et des hommes qui la composent. C est grâce à eux qu elle le restera. Je tiens donc à remercier les magistrats et les agents de ces juridictions et, en particulier, du tribunal administratif de Nîmes et à leur rendre ici un hommage chaleureux et mérité. 11