Les vertus de l information légale



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Transcription:

Les vertus de l information légale Arnaud REYGROBELLET Chercheur au CREDA, Maître de conférences à l Université Paris X-Nanterre. Intervenant après les pénétrantes analyses développées par Messieurs Etchegoyen et Pogorel, je mesure combien la tâche qui m est impartie s avère particulièrement délicate. En effet, il m incombe d aborder des questions juridiques infiniment plus techniques et, diront peutêtre certains, plus opaques. La transparence telle que nous l entendrons ici est celle qui résulte d une obligation de diffusion, imposée par la loi ou par un texte réglementaire. Obligation généralement désignée sous le terme générique de publicité légale. Précisons que nous n envisagerons la publicité légale qu en tant qu elle est imposée aux entreprises, et non pas lorsqu elle concerne une administration, une juridiction, voire mais ce serait alors un tout autre débat le législateur luimême. Enfin, l entreprise dont nous parlerons désigne un professionnel, quelle que soit la structure adoptée, personne physique ou morale, et quelle que soit la nature de son activité. De quelles vertus la transparence se trouve-t-elle donc parée, lorsque, saisie par le droit, elle s impose aux entreprises? Mon propos ne visera pas tant à répondre à la question de savoir si cette transparence est légitime en soi. J entendrai ici la notion de vertu dépourvue de tout sous-entendu moral comme la qualité ou les qualités qui rendent propres à produire certains effets. La question des vertus de l information légale revient alors à se demander si l institution telle qu elle est organisée en droit positif est apte à répondre aux objectifs qui lui sont assignés. Quels sont ces objectifs? Comment notre droit positif est-il organisé pour y satisfaire? Et, enfin, quels sont les défis auxquels le dispositif d information légale devra faire face dans les années à venir? Telles sont les trois questions auxquelles je vais essayer de répondre, en insistant sur le dernier point, évidemment le plus riche en interrogations. I Les objectifs Tout système d information légale repose sur la constatation que les acteurs de l économie ont besoin de sécurité juridique et que l information est un élément qui contribue à assurer cette sécurité, en tant qu elle est un nécessaire préalable à toute transaction. Certes, on pourrait considérer qu il incombe à chaque cocontractant de s informer par lui-même sur la situation de son partenaire potentiel. Mais cette démarche serait difficile, aléatoire, onéreuse donc. Ainsi, la mise en place du dispositif légal découle du postulat qu il est plus efficient d imposer aux opérateurs, par une règle générale uniforme, de rendre publiques certaines informations. Ce faisant, le législateur cherche à garantir au marché un degré acceptable de sécurité, dans des conditions d égalité et de coût raisonnables tant pour l émetteur de l information que pour les tiers intéressés par celle-ci. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que, derrière la plupart des publicités légales, existe une règle de fond, dont la formalité contribue puissamment à assurer le respect. 1

Sur ces prémices, comment l architecture du dispositif français d information légale a-t-elle été construite? II L architecture du dispositif français d information légale L originalité de l institution procède de trois éléments combinés. D abord, il y a publicité légale lorsqu un texte impose à la personne assujettie tout à la fois la nature du message à délivrer et le vecteur que cette diffusion doit emprunter. Ces deux exigences sont interdépendantes l une de l autre dans la mesure où la nature de l information à transmettre commande nécessairement le choix du support de diffusion, lequel, à son tour, interfère avec ladite information. Il faut noter également que le dispositif repose sur l interposition d organismes officiels, chargés de contrôler l existence et parfois la véracité de l information ; ce, avant même que cette information soit mise à la disposition du public. Une seconde caractéristique de la publicité légale découle de ce que, au-delà de sa vertu informative, la formalité induit, le plus souvent, des effets de droit majeurs. Un des plus connus étant l acquisition de la personnalité morale lors de l immatriculation au RCS. Certaines publicités légales dites publicités notices échappent, il est vrai, à cette règle. Car, à leur accomplissement, n est attaché aucun effet juridique spécifique : il s agit essentiellement des informations financières. Mais alors la sanction est tout aussi lourde quoique d une autre nature dans la mesure où la qualité de l information diffusée va conditionner la possibilité pour un émetteur de réaliser une opération, par exemple de faire appel public à l épargne. Enfin, le dernier trait caractéristique de la transparence lorsqu elle se trouve assurée par une obligation de publicité légale est que, même en matière financière, elle s adresse à un public indéterminé et anonyme. Dès que les destinataires d une information sont connus, nous avons affaire à une notification et non à une publicité. Et c est alors un tout autre régime juridique qui s impose. III Les défis à surmonter Ceci étant, il s avère que le système d information légale se trouve soumis aujourd hui à une double contrainte, susceptible de perturber, voire de subvertir l efficacité de la construction. En effet, il lui incombe à la fois d intégrer de façon cohérente les progrès de la technologie ; et de cantonner, dans des limites raisonnables, le flux d informations exigées des entreprises. Autrement dit, la transparence telle qu elle se trouve prise en charge par la publicité légale doit se garder d une tentation qui, pour reprendre une expression empruntée à un économiste éminent, Christian de Boissieu, consisterait à obliger les entreprises à tout dire, tout le temps ( 1 ). Deux écueils doivent donc être évités : le mythe de l information permanente ; le mythe de l information exhaustive. C est autour de cette double problématique que je propose de développer un certain nombre de réflexions. (1) C. de Boissieu, Faut-il tout dire, tout le temps? in Entreprises : la transparence financière à l'épreuve : Sociétal n 37, 3 e trim. 2002, p. 76. 2

A) Pourquoi tout d abord peut-on parler d un mythe de la transparence permanente? C est que le législateur lui-même en a posé le principe. L exigence d une transparence permanente est ainsi expressément affirmée par plusieurs dispositions : qu il s agisse des mentions portées au RCS (C. com., art. L. 123-9, al. 1 er ; D. n 84-406 du 30 mai 1984, art. 11) ; et plus encore, des obligations incombant aux opérateurs sur les marchés financiers (Règl. gén. AMF, art. 222-3). Mais cette exigence, au demeurant fort légitime, risque de devenir diabolique dès lors qu elle s inscrit dans un univers, qui sera sans doute le nôtre assez rapidement : celui de la dématérialisation totale ( 2 ). La possibilité, mais aussi l obligation de communiquer au public la moindre modification intervenue à l instant même où cette modification s est produite, quitte d ailleurs à devoir quelque temps après faire état dans les mêmes conditions d un retour à la situation originelle, n imposera-t-elle pas des contraintes démesurées aux entreprises? Il faut en réalité relativiser le risque. D abord parce que le basculement vers la dématérialisation totale, à le supposer souhaitable, s avère plus délicat que prévu. Ensuite et surtout, le désir d une transparence permanente doit être concilié avec l exigence, non moins légitime mais à certains égards contraire, d une information aussi fiable que possible. Au difficile basculement vers la dématérialisation totale s ajoute l impossible convergence entre production et diffusion du message. 1- Difficile basculement vers la dématérialisation totale, Je ne développerai pas plus avant cette question qui sera sans doute abordée au cours de la première table ronde. Rappelons simplement que, aujourd hui encore, le support télématique n est toujours pas considéré comme un substitut parfait aux modes classiques empruntant la forme du papier. Même dans cette matière éminemment évolutive qu est le droit boursier, l intégration de l outil électronique n est pas encore pleinement achevée. Projetons nous dans un avenir relativement proche. Il n est pas douteux que l Internet deviendra l un des canaux privilégiés de l information légale. A la fois pour produire cette information et pour la diffuser. Cette convergence attendue entre production et diffusion de l information légale est certainement de nature à peser sur l architecture du dispositif existant. 2- L impossible convergence entre production et diffusion de l information légale D où la question : Sera-t-il bien nécessaire d obliger les entreprises à transmettre les informations à des organismes officiels greffes, CFE, INPI, AMF, conservations des hypothèques, qui eux-mêmes vont ensuite les mettre à la disposition du public? Ne peut-on admettre que chaque entreprise puisse présenter directement l information légale la concernant sur son site web? (2) Une étape vient à nouveau d être franchie avec la parution du décret n 2005-77 du 1 er févr. 2005, qui est venu notamment préciser les modalités d immatriculation en ligne selon les principes fixés par le législateur à l occasion de la loi «Initiative économique» n 2003-721 du 1 er août 2003 (L. n 94-126, 11 févr. 1994. art. 4, III). 3

Cette solution, intellectuellement et techniquement envisageable, doit être résolument rejetée. D abord parce qu elle contreviendrait à l une des exigences cardinales du dispositif légal, qui est d assurer une information aussi fiable que possible. Il est clair que la fiabilité des publicités légales ne peut être garantie qu au prix des contrôles réalisés par les instances habilitées, intervenant a priori. Mais le débat va alors rebondir : combien faut-il de rediffuseurs? Un seul ne suffirait-il pas à la tâche? Distinguons. La publicité portable diffusée par voie de presse (à travers le BODACC ou les journaux d annonces légales) conserve évidemment ses atouts traditionnels de rapidité et de simplicité, même si, le flux continu d informations qui transitent par ce média ne peut, en fait, être parfaitement maîtrisé que par des professionnels du renseignement commercial ; du moins, tant que les données seront délivrées sous forme papier. En droit, le principe de la multiplicité des supports, y compris papier, est conforme à la liberté du commerce et de l industrie. D autres solutions seraient toutefois envisageables : soit remplacer ces publications par des systèmes de veille télématique, directement gérés par les greffes des tribunaux de commerce ou par les CFE, lesquels seraient alors chargés de faire parvenir au demandeur les seules informations qui l intéressent. Soit prévoir la diffusion d'annonces légales en ligne. Sauf à préciser que, dans ce dernier cas, le jeu de l offre et de la demande imposera sans doute des regroupements rationnels. Quant à la publicité quérable, c est-à-dire celle inscrite sur des registres (le RCS, par exemple), elle reposait, jusqu ici, sur l idée de spécialisation. Spécialisation par matière, mais aussi spécialisation géographique en fonction du siège de l entreprise. Dans quelle mesure l informatisation en marche pourrait-elle remédier à la dispersion actuelle des registres? Il est à l évidence irréaliste de songer à regrouper l ensemble des instances chargées de faire transiter les informations évoquées plus haut et à les remplacer par un unique organisme. Pareille solution rendrait pratiquement impossibles les contrôles pratiqués sur l existence et, plus encore, sur la qualité de l information légale. Il semble donc préférable de maintenir quatre grands pôles de spécialisation : les greffes des tribunaux de commerce, associés aux CFE et chargés des informations générales sur la structure de l entreprise ; l INPI, s agissant des informations sur les droits de propriété industrielle ; l autorité des marchés financiers, en ce qui concerne les informations liées aux opérations d appel public à l épargne ; enfin, les conservations des hypothèques qui continueraient à centraliser localement les informations relatives au patrimoine immobilier. L architecture générale du dispositif étant maintenue, donc la fiabilité de l information préservée, encore faudra-t-il veiller à maîtriser le flux des informations exigées des entreprises. Une périodicité trop importante de diffusion pourrait se révéler nocive pour l entreprise assujettie en induisant des comportements anti-économiques. En bref, il ne faudrait pas que l information, singulièrement l information financière, devienne une fin en soi. Ce qui explique qu il faut se garder d un autre risque de dérive, qui consisterait à imposer aux entreprises une information illimitée ; c est l écueil de la transparence totale. 4

B) Le mythe de la transparence totale Là encore, le droit positif doit concilier deux impératifs en partie contradictoires. Il s agit d assurer une information qui soit à la fois exhaustive, aussi exhaustive que possible, tout en garantissant l intelligibilité, donc la concision du message. 1- Les contraintes de l exhaustivité En soi, l augmentation du nombre des informations à publier n est pas choquante. Pareil accroissement s avère même, souvent, pleinement justifié. Notamment, il est peu discutable que le législateur mette en place une nouvelle formalité de publicité légale lorsque celle-ci répond à une institution nouvelle ou à un mécanisme nouveau. Que l on songe par exemple à la construction prétorienne du fonds libéral : la notion ne sera pleinement opératoire qu au jour où le législateur sera intervenu pour réglementer les publicités destinées à accompagner les opérations sur ce nouvel objet de droit. Mais, pour le reste, plusieurs critiques peuvent être adressées à l encontre de cette exigence mal maîtrisée d exhaustivité. En effet, l accumulation du nombre d informations à diffuser met l accent sur deux limites à l exigence d exhaustivité : la surabondance d information crée un sentiment illusoire de sécurité ; illusoire donc dangereux. Les dangers d un excès de transparence sont bien connus. Pour l essentiel, ils procèdent de la difficile articulation de la transparence légitime exigée sur l activité de l entreprise avec le nécessaire respect dû à la vie privée de l entrepreneur. Mais le souci d exhaustivité s avère aussi, à certains égards, illusoire. Pourquoi? D abord, parce qu il repose sur le pari implicite suivant lequel la transparence va nécessairement générer des comportements vertueux. Pari pour le moins aléatoire, comme en témoigne la question très débattue de la rémunération des dirigeants. Plusieurs études ont démontré que l obligation de transparence n a guère eu l effet modérateur espéré. En somme, il convient de ne pas prêter à l information légale des vertus prophylactiques dont elle est largement dépourvue. Illusoire la volonté d exhaustivité l est également en ce qu elle offre à l observateur une vision nécessairement fragmentée de l entreprise. Ce qui rend nécessaire la mise au point de synthèses. Synthèses qui soulèvent, pour le juriste, de nouvelles interrogations. 2- Les difficultés de la synthèse Comment réaliser cette synthèse, et à qui incombera-t-il d y procéder? La mise en place d un casier commercial électronique pourrait apporter une réponse intéressante. Mais à qui confier la responsabilité d un tel casier commercial? Pour éviter que seules soient disponibles les informations concernant quelques entreprises les entreprises pour lesquelles il existe un véritable marché, le casier commercial doit impérativement relever du périmètre de l information légale. Autre façon de dire qu il ne doit pas être laissé à la seule 5

initiative privée. Le cas échéant, en organisant un service universel dont les modalités restent à définir. Ceci étant, un casier commercial n aura évidemment de sens que si sa mise en place est, au minimum, envisagée à l échelle de l Union européenne. Curieusement, même pour les créations juridiques européennes, il n existe pas, à proprement parler, de formalités de publicités spécifiquement communautaires. C est vrai pour le groupement européen d intérêt économique et, plus encore, pour la société européenne. Fort heureusement, cette étonnante lacune se trouve en partie comblée grâce au réseau mis en place, sur une base purement volontaire, par les instances responsables des registres des sociétés dans seize pays de l Union ( 3 ). Sans vouloir contester la qualité du travail réalisé dans le cadre de ce réseau informel, il conviendrait sans doute de lui donner une assise institutionnelle. Ne serait-ce que parce que l élargissement du champ de diffusion de l information imposera d adapter en conséquence la nature des informations diffusées. En conclusion, la transparence, telle qu elle est prise en charge par le dispositif d information légale, remplit parfaitement son office, sauf les ajustements à la marge qui s imposent comme partout ailleurs. La plupart des critiques qui lui sont actuellement adressées laissent perplexe, soit parce qu elles assignent au principe de transparence un rôle qui n est pas le sien, soit parce qu elles pointent des dysfonctionnements qui relèvent en réalité du droit substantiel dont les publicités ne sont que le reflet. En définitive, j ai essayé de démontrer que ce n est pas tant la transparence en soi qui est un mythe, mais bien certaines des vertus qui lui sont abusivement prêtées. (3) Ce réseau dit EBR, European Business Register, dispose d un site internet, qui constitue un portail d'accès à divers sites officiels diffusant l'information légale en provenance des registres des sociétés européennes. 6