BULLETIN DROIT & BANQUE



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Conseil d administration de l ALJB André Hoffmann, Avocat à la Cour, Elvinger Hoss & Prussen, Président Philippe Bourin, Responsable Juridique Crédit Agricole Luxembourg, Vice-Président Christiane Faltz, Regional Managing Counsel, State Street Bank Luxembourg S.A., Vice-Présidente Cosita Delvaux, Notaire Pierre Albouze, Chef de Division, Direction Juridique, Banque Européenne d Investissement Catherine Bourin, Coordinateur Affaires juridiques, Association des Banques et Banquiers, Luxembourg Sandrine Conin, Conseiller Juridique, KBL European Private Bankers S.A. Haiko Heymer, Responsable Département Juridique, ING Luxembourg S.A. Nicki Kayser, Avocat à la Cour, Linklaters LLP, Luxembourg Morton Mey, Adjoint au Responsable juridique, Société Générale Bank & Trust Daniel Postal, Responsable des Affaires Juridiques, Pôle IS, BGL BNP Paribas Nicolas Thieltgen, Avocat à la Cour, Brucher Thieltgen & Partners, Luxembourg Henri Wagner, Avocat à la Cour, Allen & Overy, Luxembourg La reproduction d articles parus dans cette revue n est permise que moyennant autorisation de l ALJB et indication de la source ( Bulletin Droit & Banque 48, ALJB, 2011 ). Les articles sont publiés sous la seule responsabilité de leurs auteurs.

BULLETIN DROIT & BANQUE N 48 Octobre 2011 Editeur: Association Luxembourgeoise des Juristes de Droit Bancaire a.s.b.l. www.aljb.lu Comité de rédaction: Christiane Faltz State Street Bank Luxembourg S.A. Tel. 46 40 10-910 e-mail : cfaltz@statestreet.com Sandrine Conin KBL European Private Bankers S.A. Tel. 47 97-3114 e-mail : sandrine.conin@kbl-bank.com Nicki Kayser Linklaters LLP, Luxembourg Tel. 26 08 8235 e-mail : nicki.kayser@linklaters.com Henri Wagner Allen & Overy Luxembourg Tel. 44 44 5 5312 e-mail : henri.wagner@allenovery.com Secrétariat, Inscriptions: e-mail: secretariat@aljb.lu House of Finance B.P. 13 L-2010 Luxembourg

Chronique de jurisprudence de droit bancaire luxembourgeois (mars 2010 mars 2011) Me Nicolas Thieltgen Avocat à la Cour Brucher Thieltgen & Partners Comme cela fut le cas précédemment, la présente chronique aura pour objectif de rendre compte des décisions des juridictions luxembourgeoises intervenues en ce qui concerne les activités des établissements de crédit, sans néanmoins déborder sur la matière du droit financier au sens général du terme 1, ou, à tout le moins, en ne tenant compte que des décisions relevant directement des activités bancaires en cette matière. Elle distinguera les décisions relatives au statut des banques des décisions relatives à leurs opérations. A toutes fins utiles, il est rappelé qu en l absence d un système de suivi officiel des décisions, il ne peut être garanti que les jugements et arrêts commentés et/ou cités ont été coulés en force de chose jugée. Certaines décisions peuvent donc avoir été frappées d un appel ou d un pourvoi en cassation, voire réformées ou cassées, sans qu il ait été possible de pouvoir systématiquement le vérifier pour chaque décision. Quand l existence d un appel ou d un pourvoi en cassation nous a été communiquée, nous l avons mentionné. 2 La période commentée La période commentée fut riche en jurisprudence dans le domaine du droit bancaire, tant en ce qui concerne le nombre des décisions que les sujets abordés 3. Comme pourra le constater le lecteur, nombreuses sont les décisions rendues par le Tribunal d arrondissement au sujet de litiges nés à l occasion de la crise bancaire et financière de ces trois dernières années. Elles démontrent le nombre croissant de litiges dans le domaine du droit bancaire et financier et les risques liés à ces litiges pour les professionnels du secteur financier. Dans ce cadre, l attention du juriste de droit bancaire sera particulièrement attirée par les décisions rendues en matière de garanties financières (au nombre de trois dans la présente chronique), dont les enseignements apportent des précisions sur une législation capitale pour la place financière luxembourgeoise. La lecture de deux autres décisions commentées ci-après et précisant le statut de la Commission de Surveillance du Secteur Financier en matière de responsabilité et de secret professionnel sera également d un grand intérêt pour ce même juriste. 1 Sur la distinction à faire entre le droit bancaire et le droit financier, voyez A. Elvinger, «Historique du droit bancaire et financier luxembourgeois», Droit bancaire et financier au Grand-Duché de Luxembourg, Bruxelles, Bruylant, 1994, volume I, p. 3 et svtes. 2 Dans ce cadre, il faut noter que l arrêt du 5 novembre 2009 commenté dans notre précédente chronique (voyez Cour d appel, 5 novembre 2009, n 32.874 du rôle in N. Thieltgen, «Chronique de jurisprudence de droit bancaire luxembourgeois (avril 2009-mars 2010), Bulletin Droit et Banque, 46, pps 28 et svtes) a fait l objet d un pourvoi en cassation en date du 3 mars 2010, qui a été rejeté par un arrêt de la Cour de Cassation en date du 6 janvier 2011 (voyez Cour de Cassation, 6 janvier 2011, n 2807 du registre). Il faut également noter que les enseignements de cet arrêt du 5 novembre 2009 ont été suivis par d autres arrêts subséquents de la Cour d appel voyez notamment Cour d appel, 16 mars 2011, Bulletin d Information sur la Jurisprudence, 1/2011, p. 14, qui fait l'objet d'une publication dans le présent bulletin aux pages 25 et svtes. 3 L auteur tient par la présente à remercier le Service de Documentation Juridique du Parquet Général pour son aide dans la recherche des décisions pertinentes ainsi que Monsieur Patrick Cugniet pour son assistance dans les recherches juridiques nécessaires à la rédaction de cette chronique. ALJB - Bulletin Droit et Banque N 48 Octobre 2011 45

Table des matières 1. Opérations Tribunal d arrondissement de Luxembourg siégeant en matère commerciale, 12 mars 2010, n 125.626 du rôle p. 47 Opérations Instruments de paiement et de crédit Virements Nature Mandat - Obligations du banquier qui exécute un ordre de son client Contrôles à effectuer Principe de non-ingérence du banquier dans les affaires de son client Champ d application. Tribunal d arrondissement de Luxembourg siégeant en matière civile, 11 mai 2010, n 115.620 du rôle p. 49 Crédits Opérations de crédit Crédit à court terme Crédit lombard Caractéristiques Compte courant Solde provisoire Caractère certain, liquide et exigible Tribunal d arrondissement de Luxembourg (référé), 18 mai 2010, n 128.095 du rôle p. 52 Opérations Crédit Garanties des crédits Garanties et sûretés personnelles Article 1326 du Code civil (formalité du bon pour) Règle probatoire Absence de contestation quant à la matérialité ou au montant d un engagement Contestation quant à la régularité formelle d un acte Aveu implicite de la réalité et de la sincérité de l engagement Lettre de garantie Difficultés d interprétation Incompétence du juge des référés. Tribunal d arrondissement de Luxembourg siégeant en matière commerciale, 20 mai 2010, n 127.843 du rôle p. 54 Crédit Garanties des crédits Sûretés réelles Gage Loi du 5 août 2005 relative aux contrats de garantie financière Réalisation du gage Vente de gré à gré Conditions commerciales normales Notion Charge de la preuve Contenu de la preuve Article 2078 du Code civil Application à un contrat de garantie financière (non). Tribunal d arrondissement de Luxembourg siégeant en matière civile, 13 juillet 2010, n 70.842 du rôle p. 59 Opérations Instruments de paiement et de crédit Virements Ordre de paiement falsifié Responsabilité du banquier - Cas d exonération (limitation au cas de force majeure) Obligation de vérification du banquier Nature et étendue - Charge de la preuve de la falsification. Tribunal d arrondissement de Luxembourg (chambre du conseil) 14 octobre 2010, ordonnance n 2131/10. p. 64 Opérations Crédit Garanties des crédits Sûretés réelles Gage Saisie pénale Loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière Loi de police Effet de la saisie pénale sur le gage Primauté du gage Effet de la saisie pénale à l échéance du contrat de garantie financière. Tribunal d arrondissement de Luxembourg siégeant en matière commerciale 21 octobre 2010, n 119.567 du rôle. p. 65 Opérations Crédits Opérations de crédit Crédit à moyen terme et à long terme Crédit-bail Eléments nécessaires Nature Application des règles du contrat de bail Obligations de garantie du bailleur Exonération possible Champ d application de l obligation du bailleur de garantir la jouissance paisible. Tribunal d arrondissement de Luxembourg siégeant en matière civile, 28 octobre 2010, n 128.041 du rôle p. 68 Opérations Services d investissement Opérations sur instruments financiers Ordre en bourse Preuve Article 1341 du Code civil Dérogation Preuve d un ordre isolé par tous moyens en raison d un usage entre parties (oui) Devoirs d information et de conseil, de loyauté et de non-ingérence du banquier Principes. Cour d Appel du Grand-Duché de Luxembourg, 3 novembre 2010, n 35.824 du rôle p. 71 Opérations Crédit Garanties des crédits Garanties et sûretés réelles Gage Loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière Directive 2002/47/CE du 6 juin 2002 sur les garanties financières - Recevabilité d une demande visant à bloquer une procédure d exécution d un gage sur instruments financiers par voie de référé Hypothèse d opérations déjà enregistrées. Tribunal d Arrondissement de Luxembourg siégeant en matière commerciale, 17 février 2011, n 131.845 du rôle p. 76 Opérations Crédits Prêt Défaut de remboursement - Crise économique Cas de force majeure exonératoire de responsabilité (non) Absence (en principe) de caractère irrésistible. 2. Surveillance prudentielle Cour d Appel, 20 octobre 2010, n 34.376 du rôle p. 78 Surveillance prudentielle Commission de Surveillance du Secteur Financier Régime de responsabilité spéciale Limitation à la faute lourde Compatibilité avec l article 6 de la Convention européenne des droits de l homme (oui) Constitutionalité - Article 10 bis, paragraphe 1 er de la Constitution. Tribunal d arrondissement de Luxembourg siégeant en matière commerciale, 4 mars 2011, n 127.298, 130.643 et 132.174 du rôle p. 79 Surveillance prudentielle Commission de Surveillance du Secteur Financier Procédure de liquidation d un organisme de placement collectif Secret professionnel de la CSSF - Base légale Exceptions au secret professionnel de la CSSF Champ d application - Notion d informations couvertes par ces exceptions Communication du dossier de la CSSF aux liquidateurs d un organisme de placement collectif. 46 ALJB - Bulletin Droit et Banque N 48 Octobre 2011

1. Opérations Tribunal d arrondissement siégeant en matière commerciale, 12 mars 2010, n 125.626 du rôle Opérations Instruments de paiement et de crédit Virements Nature Mandat - Obligations du banquier qui exécute un ordre de son client Contrôles à effectuer Principe de non-ingérence du banquier dans les affaires de son client Champ d application. «Dès qu il est prévu que le client peut effectuer des opérations sur le compte, notamment en donnant des ordres de virement, il y a en plus du contrat de dépôt un contrat de mandat et le banquier agit, en ce qui concerne ces opérations, comme mandataire du donneur d ordre ( ). Il incombe dès lors au donneur d ordre, qui invoque l exécution non conforme d un ordre de virement, d établir une faute dans le chef de la banque. Dans le cadre de l exécution des ordres de virement, il appartient au banquier de s assurer de l origine de l ordre de virement qu il reçoit ainsi que de vérifier avec suffisamment d attention la régularité et la sincérité du titre. On entend par là non seulement le contrôle de la forme et de l apparence du titre, mais aussi celui des circonstances générales qui entourent l opération ( ). ( ) dans l usage qu en fait la jurisprudence, le principe de non-ingérence ne paraît pas jouer comme une cause de responsabilité du banquier, mais au contraire comme une cause de nonculpabilité du banquier qui ne s est pas aperçu, dans l exercice d une de ses missions, qu il prêtait la main aux agissements coupables de son client ou d un tiers ( ).» Commentaires 1. Les faits de l affaire En l espèce, le client résident à l étranger d une banque établie au Luxembourg avait fait parvenir à sa banque au printemps 2005 un ordre de transfert d une valeur de USD 450.000.-, ces fonds devant être transférés sur le compte bancaire (précisément identifié) d une société établie à Hong-Kong. Quelques jours après voir reçu cet ordre de transfert, le gestionnaire du compte de ce client contacta ce dernier pour l informer du fait que les fonds transférés avaient été retournés en raison d une erreur dans les coordonnées bancaires transmises, le numéro du compte ne correspondant pas avec le nom du bénéficiaire du virement. Selon les affirmations du client, ce dernier suggéra alors au gestionnaire de compte de s adresser directement à une personne physique portant un nom à consonance asiatique et qui aurait été le correspondant de la société destinataire des fonds, pour vérifier les coordonnées bancaires de cette société. Après avoir pris contact avec la personne indiquée par le client, la banque communiqua au client une confirmation de transfert de USD 450.000.-, ce «swift» indiquant que ladite somme avait été versée à une société inconnue, détenant un compte auprès d une autre banque que la banque auprès de laquelle le bénéficiaire originel du transfert (la société établie à Hong-Kong) détenait un compte. Il apparut assez rapidement que le client de la banque avait été victime d une escroquerie, les fonds litigieux ayant été crédités sur le compte d une société n ayant aucun lien avec le bénéficiaire attendu de ces fonds, à savoir la société établie à Hong-Kong. Le client prit donc contact avec sa banque, estimant que cette dernière avait commis une faute lourde dans l exécution de son mandat, en modifiant toutes les coordonnées d identification du bénéficiaire, y compris le nom de celui-ci, qui était pourtant clairement indiqué dans l ordre initial et qu en agissant ainsi, en flagrant dépassement des pouvoirs qui lui avaient été conférés, la banque avait gravement contribué à la perte des fonds litigieux. Il en conclut que la responsabilité contractuelle de la banque était engagée, la perte des fonds n ayant été causée, selon lui, que par le défaut de la banque de suivre scrupuleusement les ordres stricts qui lui avaient été donnés. En l absence de réaction positive de la part de la banque, le client fit donner assignation à cette dernière à comparaître devant le Tribunal d arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière commerciale, pour, notamment, la voir condamner à lui payer le montant correspondant en euros à la somme de USD 450.000.-. Cette assignation donna lieu au présent jugement. 2. Discussions entre parties et jugement en date du 12 mars 2010 Pour ce qui est du fond de l affaire, le Tribunal rappela que les parties en cause étaient liées par un contrat de dépôt et que, conformément à la doctrine applicable en la matière 4, dès lors qu il était prévu que le client puisse effectuer des opérations sur le compte, notamment en donnant des ordres de virement, il y avait en plus du contrat de dépôt, un contrat de mandat et le banquier agissait, en ce qui concerne ces opérations, comme mandataire du donneur d ordre. 4 Sur ce point, le Tribunal citait G. Ravarani G. Ravarani, La responsabilité civile des personnes privées et publiques, Luxembourg, 2 ème édition, Pasicrisie luxembourgeoise, 2006, p. 433, n 526 ; ALJB - Bulletin Droit et Banque N 48 Octobre 2011 47

Conformément à ce rappel, le Tribunal releva en conséquence qu il incombait au donneur d ordre, qui invoquait l exécution non conforme d un ordre de virement, d établir une faute dans le chef de la banque. En effet, comme le nota le Tribunal, en citant à ce sujet un arrêt de la Cour d Appel 5, «Dans le cadre de l exécution des ordres de virement, il appartient au banquier de s assurer de l origine de l ordre de virement qu il reçoit ainsi que de vérifier avec suffisamment d attention la régularité et la sincérité du titre. On entend par là non seulement le contrôle de la forme et de l apparence du titre, mais aussi celui des circonstances générales qui entourent l opération». En l espèce, le Tribunal constata que la banque avait procédé aux vérifications qui s imposaient, compte tenu du fait que le client avait admis qu il avait été informé que l exécution du virement s était avérée impossible au motif qu il y avait discordance entre le nom du bénéficiaire et le numéro du compte. Le Tribunal considéra donc que la banque avait, dans une première étape, satisfait à son obligation de vérification de l ordre de virement et releva qu elle avait sursis à l exécution de l ordre en question en attendant les instructions du client. Le Tribunal releva également qu il n était pas contesté en cause que, dans une seconde étape, la banque s était conformée aux instructions du client et avait contacté la personne qui lui avait été renseignée par ce dernier afin d obtenir les coordonnées bancaires exactes du destinataire des fonds. Elle nota aussi qu il n était pas mis en doute que la banque avait exécuté le virement conformément aux instructions qui lui avaient été fournies par la personne par laquelle le client s était fait substituer. Enfin, le Tribunal rappela que le client ne pouvait invoquer le principe de non-ingérence de la banque, alors qu en effet, dans l usage qu en fait la jurisprudence, le principe de non-ingérence ne paraissait pas jouer comme une cause de responsabilité du banquier, mais au contraire comme une cause de non-culpabilité du banquier qui ne s est pas aperçu, dans l exercice d une de ses missions, qu il prêtait la main aux agissements coupables de son client ou d un tiers 6. En conséquence, au vu de ces développements, le Tribunal décida que la banque n avait pas commis de faute dans l exécution de l ordre de virement litigieux et débouta le client de sa demande à l encontre de cette dernière. 5 Cour d appel, 27 janvier 2005, n 25 363 du rôle, DAOR, 2006 n 79, p.271. 6 Sur ce point, le Tribunal se référait à Jurisclasseur Banque- Crédit-Bourse, Fasc. 150, Banquier, n 121. 3. Les enseignements du jugement du 12 mars 2011 La responsabilité du banquier qui exécute des ordres de virement a d ores et déjà été traitée de manière assez complète par la doctrine et la jurisprudence luxembourgeoises 7. Dans ce cadre, les principes applicables à l obligation de vérification qui repose sur les épaules du banquier sont bien établis. Ainsi, il n est pas contesté qu en cas d exécution défectueuse du mandat d exécuter l ordre de virement transmis par le client à son banquier «( ) le donneur d ordre doit prouver que le comportement de la banque n a pas été celui qu aurait adopté tout banquier normalement prudent et diligent, tenu d effectuer les contrôlés habituels afférents aux ordres émis. Les irrégularités apparentes ne doivent pas échapper à l attention du banquier. Cette apparence s apprécie en fonction de ce que le banquier peut percevoir de l opération ou des opérations dans l exercice de son activité de banquier» 8 Le jugement commenté ci-dessus est conforme à ces principes et présente principalement un intérêt en ce qu il permet de se rendre compte du degré de vérification qui est attendu du banquier et surtout de la réaction qu un banquier normalement prudent et diligent doit avoir en cas de discordance entre le nom du bénéficiaire d un virement et son numéro de compte tel qu indiqué sur l ordre de transfert transmis par son client 9. On notera dans ce cadre que l issue du présent litige était sans doute plus évidente que dans d autres cas, alors que les faits de la présente affaire faisaient l objet d assez peu de contestations, notamment en 7 Pour un bon aperçu de ces questions, voyez Banque Centrale de Luxembourg, «Le virement en droit luxembourgeois», Bulletin de la BCL, 2000/2, pps 77 et svtes; G. Ravarani, La responsabilité civile des personnes privées et publiques, 2 ème édition, Luxembourg, Pasicrisie luxembourgeoise, 2006, p. 433, n 526 ; A. Schmitt et E. Omes, La responsabilité du banquier en droit bancaire privé luxembourgeois, Bruxelles, Larcier, 2006, pps 93 et svtes. 8 Tribunal d arrondissement de Luxembourg, 11 octobre 1996, n 866/96 cité par G. Ravarani, La responsabilité civile des personnes privées et publiques, 2 ème édition, Luxembourg, Pasicrisie luxembourgeoise, 2006, p. 433, n 526. 9 Sur ce même point, il faut également noter un arrêt de la Cour d Appel intervenu durant la période faisant l objet de la présente chronique et qui a retenu que «II est vrai que celui qui est mandaté pour exécuter le virement doit s assurer de la consistance de l ordre lorsque les instructions reçues manquent de précision ou qu il a des raisons de craindre une erreur. ( ). En tant que mandataire substitué, les mêmes obligations de prudence et de diligence s imposent à lui. En cas de manquement à l une de ces instructions, le mandataire substitué est directement responsable à l égard du donneur d ordre ( ).» (in Cour d Appel, 9 juin 2010, n 34634 du rôle, non publié) 48 ALJB - Bulletin Droit et Banque N 48 Octobre 2011

ce qui concerne le contenu des instructions données par le client. De même, au vu du montant du virement litigieux, la réaction de la banque après l échec du premier virement pouvait se comprendre. En cas de virement de moindre importance, il semble moins aisé pour le banquier d apporter le même soin à ce type d opérations 10. A toutes fins utiles, il faut enfin noter que la solution apportée par le présent jugement à la question de savoir dans quel cas devait trouver à s appliquer le principe de non-ingérence du banquier dans les affaires de son client est conforme non seulement à la doctrine française, mais également à la jurisprudence luxembourgeoise 11 Tribunal d arrondissement de Luxembourg siégeant en matière civile, 11 mai 2010, n 115.620 du rôle Crédits Opérations de crédit Crédit à court terme Crédit lombard Caractéristiques Compte courant Solde provisoire Caractère certain, liquide et exigible «( ) la particularité de ce genre de crédit lombard est que la valeur du prêt accordé par le banquier est susceptible de changer au quotidien, en fonction de l évaluation des valeurs mobilières ou des fonds donnés en gage pour garantir le crédit. ( ) Ces documents établissent clairement que le client disposait d une ligne de crédit en comptecourant dont le montant maximal était calculé en fonction de la valeur des actifs qu il possédait en dépôt auprès de la banque. Or, cette ligne de crédit fonctionne comme un compte courant dans le sens que si le débiteur utilise sa ligne de crédit, les sommes prélevées viennent au débit du compte et tout remboursement, qu il soit partiel ou intégral, vient au crédit du compte. 10 La jurisprudence luxembourgeoise le relève d ailleurs et en tient compte dans son appréciation du comportement du banquier normalement prudent et diligent. Voyez notamment à ce sujet Cour d Appel (référé), 7 décembre 1999, n 23.390 du rôle : «L obligation de la banque mandataire ou de la banque mandataire substituée d effectuer de façon correcte et diligente un ordre de virement et d en rendre compte au donneur d ordre ne saurait faire de doute. L appréciation d une éventuelle faute de la banque doit tenir compte de plusieurs facteurs tels que le fait qu une opération de virement n est pas rémunérée en tant que telle, du caractère massif et standardisé de ces opérations et de la rapidité d exécution exigée par les clients. La pratique suivie par les banques dans la vérification des ordres de virement n est pas uniforme ( )». 11 Voyez à ce sujet Tribunal d arrondissement de Luxembourg, 30 janvier 2009, n 104560, 108.866 et 115.137 du rôle in N. Thieltgen, «Chronique de jurisprudence de droit bancaire luxembourgeois (avril 2008 mars 2009), Bulletin Droit et Banque, 44, pps 66 et svtes. Dans le cadre des relations en compte courant, le client peut débiter le compte-courant jusqu au montant maximal garanti par les actifs gagés et une fois cette limite atteinte, il ne peut plus utiliser la ligne de crédit, sauf remboursement préalable. ( ) L indivisibilité du compte-courant, qui explique la fusion des articles de compte en un ensemble soumis à un régime juridique particulier, n implique cependant pas une indivisibilité dans le temps du compte en ce qu il serait impossible de le scinder depuis l ouverture jusqu à sa clôture définitive. II est, au contraire, toujours permis d arrêter provisoirement le compte pour en connaître la position à un moment donné et pour déterminer qui se trouve créancier ou débiteur à ce moment ( ). Ainsi, le solde provisoire d un compte-courant est constitutif d une créance certaine, liquide et exigible et ouvre à la banque la possibilité d effectuer des poursuites de saisie ( ). Il est en effet admis par la doctrine, que le solde provisoire, comme le solde définitif d un compte courant constitue une créance certaine, liquide et exigible. Le but du compte courant n est en aucun cas de suspendre l exigibilité des créances jusqu à la clôture ( ). En réalité, ce n est pas la clôture qui entraîne l exigibilité du solde provisoire, mais bien le fait d exiger le solde qui entraîne la clôture ( ).» Commentaires 1. Les faits de l affaire En l espèce, un ressortissant anglais avait ouvert un compte auprès d une banque établie au Luxembourg au début de l année 2007. Au moment de l ouverture de ce compte, une convention intitulée «Secured Investment Line Agreement» avait également été conclue entre parties. Cette convention permettait au client de la banque de souscrire des produits financiers pour un montant déterminé en fonction de la valeur pondérée des actifs détenus sur son compte. Durant le printemps 2007, le client anglais versa sur son compte un montant de GBP 1.000.000.- en espèces, gagé au profit de la banque et, en contrepartie, celle-ci lui accorda une ligne de crédit de EUR 20.000.000.- en vue d investir sur les marchés de changes étrangers aux conditions plus amplement reprises dans le document dénommé «Secured Investment Line Agreement» évoqué cidessus. Au mois de septembre 2007, la valeur pondérée des actifs s étant révélée insuffisante pour couvrir l avance faite au titre du crédit, la banque procéda au calcul de la position débitrice nette du compte de son client en effectuant une compensation fictive ALJB - Bulletin Droit et Banque N 48 Octobre 2011 49

entre le solde débiteur total et les montants placés en garantie. Le montant net débiteur du client s élevait, à ce moment-là, à un montant avoisinant les GBP 450.000.-. La banque mit dès lors en demeure son client, conformément aux stipulations contractuelles entre parties, de verser des avoirs supplémentaires de GBP 450.000.-, afin de reconstituer la garantie requise par la convention et ce, au plus tard pour la fin du mois de septembre 2007. Le client ne donna pas suite à cette mise en demeure. La banque décida dès lors de mettre en œuvre la clause d exigibilité anticipée prévue dans le «Secured Investment Line Agreement» et procéda, afin de limiter la dette de son client, à la compensation de cette dernière avec les montants placés en garantie sur le compte du client, conformément aux dispositions contractuelles convenues entre parties. Suite à cette compensation, le solde redû par le client s élevait, à la fin du mois de septembre 2007, à un montant de presque GBP 465.000.-. En l absence de toute réaction de son client, la banque assigna son client devant le Tribunal d arrondissement de Luxembourg siégeant en matière civile, afin de voir condamner ce dernier sur la base des dispositions du «Secured Investment Line Agreement» conclu au début de l année 2007 à payer à la banque le montant de GBP 465.000-, avec les intérêts conventionnels prévus, sinon avec les intérêts légaux. Elle demanda, en outre, la capitalisation des intérêts, l exécution provisoire du jugement à intervenir ainsi qu une indemnité de 5.000 EUR sur base de l article 240 du Nouveau code de procédure civile. Cette assignation donna lieu au présent jugement. 2. Discussions entre parties et jugement en date du 28 mai 2010 Le Tribunal se pencha principalement sur la question de l exigibilité de la créance de la banque vis-à-vis de son client, alors que le client contestait la demande de la banque en arguant que la créance invoquée par la banque à la base de sa demande ne serait pas exigible. Sur ce point, le Tribunal releva que les parties s opposaient quant à la qualification à donner aux relations contractuelles les liant. Pour la banque, elles étaient liées par un contrat en bonne et due forme, à savoir le «Secured Investment Line Agreement» (sur lequel elle entendait baser sa demande en justice). Pour le client, les parties en cause n étaient liées que par une simple convention de compte courant conclue selon un contrat à durée indéterminée, et une convention de crédit, la «Secured Investment Line Agreement», la convention de compte courant et la convention de crédit n ayant pas été résiliées par la banque, de sorte qu à défaut de dénonciation de ces conventions, le solde du compte ne revêtait pas les caractéristiques nécessaires pour pouvoir constituer une créance liquide, certaine et exigible. Le Tribunal procéda donc à une analyse de la situation contractuelle existant entre parties, et, plus particulièrement, du «Secured Investment Line Agreement» 12. Il releva, dans ce cadre, qu au vu des dispositions contractuelles existant entre parties, la banque était en droit de faire appel à des garanties additionnelles, du moment que la valeur du montant nanti en faveur de la banque ne couvraient plus entièrement la ligne de crédit accordée dans les limites fixées conventionnellement. Il releva également que, conformément aux mêmes dispositions contractuelles, il était prévu que, si l emprunteur restait en défaut de payer un quelconque montant dû en vertu du contrat endéans les trois jours de la date à laquelle il était dû, la banque pouvait, par lettre recommandée, dénoncer le crédit et demander le paiement immédiat de tous les montants dus. Le Tribunal nota néanmoins que le courrier de mise en demeure adressé par la banque au client ne mettait toutefois pas explicitement fin à la facilité de crédit accordée par la banque au client et ne dénonçait pas le contrat, de sorte que la situation de compte entre parties n apparaissait pas comme clôturée. Le Tribunal analysa dès lors l impact de cette situation sur la demande de la banque. A ce sujet, il rappela que le crédit conclu entre la banque et son client était un crédit lombard et que la particularité de ce genre de crédit était que «la valeur du prêt accordé par le banquier est susceptible de changer au quotidien, en fonction de l évaluation des valeurs mobilières ou des fonds donnés en gage pour garantir le crédit». 12 Le Tribunal releva à ce sujet que le contrat signé entre parties mentionnait que, durant toute la durée du contrat, le ratio de couverture devait être supérieur à 100 % et que ce ratio serait contrôlé quotidiennement par la banque selon les conditions dites «lombard». Ce contrat mentionnait également que le risque de perte concernant les opérations et les instruments financiers financés par emprunt pouvait être important et qu il appartenait à l emprunteur d examiner si ses placements étaient adaptés à sa situation financière. Le contrat prévoyait enfin qu il pouvait être demandé à l emprunteur de déposer à court terme d autres actifs nantis substantiels pour couvrir sa ligne de crédit et que s il ne les fournissait pas dans les délais requis, sa ligne de crédit pouvait être liquidée, avec une perte pour lui éventuellement. 50 ALJB - Bulletin Droit et Banque N 48 Octobre 2011

Il nota également que le mécanisme précis de fonctionnement de ce genre de prêt résultait à suffisance des documents contractuels signés entre parties et que ces documents établissaient clairement que le client disposait d une ligne de crédit en compte-courant dont le montant maximal était calculé en fonction de la valeur des actifs qu il possédait en dépôt auprès de la banque. Or, comme le releva le Tribunal, «cette ligne de crédit fonctionne comme un compte courant, dans le sens que si le débiteur utilise sa ligne de crédit, les sommes prélevées viennent au débit du compte et tout remboursement, qu il soit partiel ou intégral, vient au crédit du compte. Dans le cadre des relations en compte courant, le client peut débiter le compte-courant jusqu au montant maximal garanti par les actifs gagés et une fois cette limite atteinte, il ne peut plus utiliser la ligne de crédit, sauf remboursement préalable.». Le Tribunal considéra en conséquence que ce mécanisme avait pour conséquence que le fait que la convention de crédit ait été dénoncée ou non était sans incidence sur cette affaire et que c était partant à tort que le client de la banque faisait valoir que le crédit aurait dû être dénoncé par la banque, avant toute action en recouvrement. En ce qui concerne la convention de compte courant, non résilié également en l espèce, le Tribunal rappela que, conformément à la jurisprudence luxembourgeoise et à la doctrine française, «L indivisibilité du compte-courant, qui explique la fusion des articles de compte en un ensemble soumis à un régime juridique particulier, n implique cependant pas une indivisibilité dans le temps du compte en ce qu il serait impossible de le scinder depuis l ouverture jusqu à sa clôture définitive. II est, au contraire, toujours permis d arrêter provisoirement le compte pour en connaître la position à un moment donné et pour déterminer qui se trouve créancier ou débiteur à ce moment 13. Ainsi, le solde provisoire d un compte-courant est constitutif d une créance certaine, liquide et exigible et ouvre à la banque la possibilité d effectuer des poursuites de saisie 14. Il est en effet admis par la doctrine, que le solde provisoire, comme le solde définitif d un compte courant constitue une créance certaine, liquide et exigible. 15». 13 Le Tribunal se référait en l espèce à la jurisprudence suivante : Cour, 12 mai 1999, Pasicrisie luxembourgeoise, XXXI, p.148). 14 Sur ce point, le Tribunal se référait à Cour d Appel Paris, 19 avril 1982, Juris Data, 1982-021605). 15 Sur ce point, le Tribunal cita: «Le but du compte courant n est en aucun cas de suspendre l exigibilité des créances jusqu à la clôture (in Jurisclasseur, Banque-Crédit- Bourse, Vol. I, Fasc. 210, n 128). «En réalité, ce n est pas la clôture qui entraîne l exigibilité du solde provisoire, mais bien le fait d exiger le solde qui entraîne la clôture» (in M.-T. Rives-Lange, Le compte courant en droit français, Paris, Sirey, 1968, n 293). Le Tribunal releva, dès lors, qu à défaut de toute preuve d une convention entre parties exigeant une clôture préalablement à toute action en recouvrement du solde, le solde réclamé par la banque constituait bien une créance certaine et exigible. Après avoir écarté d autres arguments soulevés par le client quant à la certitude de la créance au principal (par l application du principe de l acceptation tacite des opérations en cas de noncontestation dans un délai raisonnable des écritures contenues sur les extraits de compte) et au mode de calcul des intérêts, le Tribunal dit la demande de la banque à l encontre de son client fondée. 3. Les enseignements du jugement du 11 mai 2010 La jurisprudence luxembourgeoise n est guère fournie en matière de «crédit lombard».cette dénomination 16, qui est notamment utilisée en Suisse et en Allemagne, mais aussi au Luxembourg, pour désigner l avance sur titres 17, recouvre pourtant un type de crédits fréquemment utilisés par les banquiers privés. La présente décision revêt donc un intérêt particulier, en ce qu elle distingue certaines des particularités de cette institution contractuelle. Les caractéristiques mises en avant par le Tribunal, à savoir les fluctuations possibles de la valeur du prêt en fonction de l évaluation des valeurs mobilières ou des fonds donnés en gage pour garantir le crédit ainsi que le financement octroyé sous forme d une ouverture de crédit en compte courant sont, sur ce point, conformes à celles retenues notamment par la doctrine française 18. 16 Voyez J. Antoine, M.-C. Capiau-Huart, Dictionnaire des marchés financiers, Bruxelles, De Boeck, 2006, p. 164, n 579. 17 «Avance sur titres : Prêt ou ouverture de crédit en compte courant dont le remboursement est garanti par le nantissement, au profit du créancier, de valeurs mobilières dont l emprunteur n est pas nécessairement propriétaire. L avance est limitée à un certain pourcentage de la valeur vénale des titres affectés en garantie ; ce plafond est appelé valeur de nantissement» in J. Antoine, M.-C. Capiau- Huart, Dictionnaire des marchés financiers, Bruxelles, De Boeck, 2006,, p. 69, n 211. Voyez également C. Gavalda, J. Stoufflet, Droit bancaire, Paris, Litec, 1992, p. 316, n 666 et D. Frasquelle, «Le nantissement de valeurs mobilières», RTD Com., 1995, p.1. 18 «Au-delà de son utilisation dans les groupes de sociétés, qui ont trouvé là un moyen de mobiliser leur participation interne, la pratique bancaire a développé l institution à travers «l avance sur titres». Il s agit d un prêt sur gage, le plus souvent sous la forme de crédits à court terme (1 à 3 mois) renouvelables. L avance sur titres est pratiquée aussi bien au profit de commerçants que de non-commerçants. Concernant les premiers, l opération se réalise sous forme d avances en compte courant, dont le solde est garanti par le gage. La mise en nantissement s accompagne en général d un contrat de gestion de titres : le banquier veille alors à la conservation des valeurs mobilières en tant que créancier gagiste et gestionnaire» in D. Frasquelle, «Le nantissement de valeurs mobilières», RTD Com., 1995, p.1. ALJB - Bulletin Droit et Banque N 48 Octobre 2011 51

Par ailleurs, la décision du 11 mai 2010 retient l attention par le rappel du principe selon lequel le solde provisoire, comme le solde définitif, d un compte courant constitue une créance certaine, liquide et exigible et qu il n est donc pas nécessaire à cet égard de résilier la convention de compte courant pour pouvoir réclamer le solde positif ou négatif dudit compte. Cette solution est conforme à la jurisprudence et à la doctrine applicable sur ce point 19. Tribunal d arrondissement de Luxembourg (référé), 18 mai 2010, n 128.095 du rôle Opérations Crédit Garanties des crédits Garanties et sûretés personnelles Article 1326 du Code civil (formalité du bon pour) Règle probatoire Absence de contestation quant à la matérialité ou au montant d un engagement Contestation quant à la régularité formelle d un acte Aveu implicite de la réalité et de la sincérité de l engagement Lettre de garantie Difficultés d interprétation Incompétence du juge des référés. «Si le rédacteur d une reconnaissance de dette ne conteste ni la matérialité de cette reconnaissance, ni le montant de la somme due, mais se borne à invoquer simplement l irrégularité formelle de l acte au regard de l article 1326 du code civil, cette attitude constitue un aveu implicite de la réalité et de la sincérité de l engagement pris (...). Dans la pratique les lettres de garantie sont parfois rédigées de manière ambiguë ; les difficultés d interprétation de l acte tiennent à l imprécision de la terminologie employée, en particulier à l utilisation courante de notions de règles propres au cautionnement. Il appartiendra au juge appelé à interpréter l engagement de rétablir la qualification de l acte, conformément aux principes généraux du droit des contrats, s il est convaincu que la véritable intention des parties était de convenir une garantie autonome (...).» Commentaires 1. Les faits de l affaire En l espèce, une banque luxembourgeoise avait, à l automne 2007, accordé à une société de droit des Îles Cayman un prêt à hauteur de plus de 14 19 Voyez J. Biver, «Conventions d unicité de comptes conventions de compensation», Droit bancaire et financier au Grand-Duché de Luxembourg, Bruxelles, Larcier, 1994, volume 2, p. 810 ; O. Poelmans, «La responsabilité du banquier luxembourgeois teneur de comptes chronique de la jurisprudence récente applicable (1997-2002), Bulletin Droit et Banque, n 33, p. 35, n s 80 et svts ; A. Schmitt, E. Omes, La responsabilité du banquier en droit bancaire privé luxembourgeois, Bruxelles, Larcier, 2006, p. 81, n 127 ; Tribunal d arrondissement de Luxembourg, 8 novembre 1930, Pasicrisie luxembourgeoise, XIII, p. 269 ; millions d euros, ayant pour objet le refinancement d un crédit-pont pour l acquisition d un nouveau yacht. Suivant les termes du contrat, le prêt devait venir à échéance à son cinquième anniversaire et son échéance finale pouvait être reconduite jusqu à son dixième anniversaire. Une clause, contradictoire quant au montant exact à rembourser à chaque anniversaire du prêt, prévoyait un remboursement annuel en chiffres de EUR 1.440.000.- et en lettres de «( EUR one million twenty five thousand 00/100 )». Ce prêt avait été accordé par la banque avec les garanties suivantes, à savoir une hypothèque de premier rang sur le nouveau yacht constitué au printemps 2008, une hypothèque de second rang sur un ancien yacht détenu par les bénéficiaires économiques de la société de droit des Îles Cayman ainsi que des sûretés consenties à l automne 2007 par ces mêmes bénéficiaires économiques. Parmi ces sûretés, un acte qualifié de «guarantee», soumis à la loi luxembourgeoise et à la compétence des tribunaux luxembourgeois 20, avait notamment été conclu entre parties. En l absence d un paiement annuel au début de l année 2009, la banque demanda par un courrier recommandé adressé à la société de droit des Îles Cayman au mois de mars 2009, le règlement endéans le mois des montants dus en vertu du contrat de prêt à titre d intérêts et de remboursement annuel, avec copie aux bénéficiaires économiques de la société de droit des Îles Cayman. La société de droit des Îles Cayman n ayant pas donné suite à ce courrier, la banque dénonca le contrat et notifia aux bénéficiaires économiques évoqués ci-dessus que la société de droit des Îles Cayman était redevable à son égard d un montant de plus de 15 millions d euros et les mit en demeure en leurs qualités de garants des engagements de cette société de payer les montants couverts par les garanties qu ils avaient consenties, dont notamment la «guarantee». En l absence de réaction des bénéficiaires économiques, la banque prit l initiative de faire Cour d appel, 12 mai 1999, Pasicrisie luxembourgeoise, XXXI, p. 148 ; Tribunal d arrondissement de Luxembourg, 23 octobre 2007, n 102885 du rôle, non publié. 20 Selon les termes de cette «guarantee», les actionnaires de la société de droit des Îles Cayman garantissaient à la demande écrite de la banque un montant maximum de EUR 14.400.000.-, montant devant couvrir le principal, les intérêts, les intérêts de retard ainsi que les coûts ou frais qui seraient dus par la société de droit des Îles Cayman suivant le contrat de prêt conclu à l automne 2007. Ils acceptaient en outre de ne pas invoquer le bénéfice de discussion et de division, respectivement d obliger la banque d agir en premier lieu à l encontre de la société de droit des Îles Cayman. 52 ALJB - Bulletin Droit et Banque N 48 Octobre 2011

réaliser les sûretés qui lui avaient été consenties en garantie du prêt. Elle assigna ainsi les bénéficiaires économiques de la société de droit des Îles Cayman devant le Juge des référés du Tribunal d arrondissement de Luxembourg, afin de les voir condamner sur base de l article 933, alinéa 2 du Nouveau code de procédure civile 21 au paiement d une somme de EUR 14.400.000.- euros au titre de garantie à première demande (en fait, l acte intitulé «guarantee»), précisant que sa créance n était pas sérieusement contestable du fait même de la nature juridique de la garantie à première demande qui, de par son caractère autonome, personnel et indépendant par rapport au contrat de base, entraînerait l inopposabilité des exceptions tirées du contrat de base. 2. Discussions entre parties et ordonnance du 18 mai 2010 Les parties assignées se défendaient principalement en expliquant que la «guarantee» invoquée par la banque ne pouvait constituer un cautionnement, ni une garantie à première demande. De surcroît, selon elles, les conditions de l article 1326 du Code civil 22, c est-à-dire la formalité du «bon pour», n auraient notamment pas été remplies par la «guarantee». Le Juge des référés se pencha, en premier lieu, sur la question du respect des formalités prévues par l article 1326 du Code civil. Sur ce point, il constata qu il résultait de l acte litigieux qu il ne portait pas la mention manuscrite de la somme en toutes lettres, comme le requiert l article 1326 du Code civil pour les actes de cautionnement, par exemple. Il rappela néanmoins que «Si le rédacteur d une reconnaissance de dette ne conteste ni la matérialité de cette reconnaissance, ni le montant de la 21 Il s agit de l article relatif au référé dit «provision» - article 933 du Nouveau code de procédure civile: «Le président, ou le juge qui le remplace, peut toujours prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Pour empêcher le dépérissement des preuves, il peut ordonner toute mesure d instruction utile, y compris l audition de témoins. Dans les cas où l existence de l obligation n est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier.» 22 Article 1326 du Code civil: «L acte juridique par lequel une seule partie s engage envers une autre à lui payer une somme d argent ou à lui livrer un bien fongible doit être constaté dans un titre qui comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention de la somme ou de la quantité en toutes lettres. Cette mention doit être écrite de sa main ou être revêtue spécifiquement d une signature électronique; si elle est indiquée également en chiffres, en cas de différence, l acte sous seing privé vaut pour la somme écrite en toutes lettres, à moins qu il ne soit prouvé de quel côté est l erreur.». somme due, mais se borne à invoquer simplement l irrégularité formelle de l acte au regard de l article 1326 du Code civil, cette attitude constitue un aveu implicite de la réalité et de la sincérité de l engagement pris» 23. Le Tribunal releva dès lors qu il devait en être de même pour les parties assignées qui ne contestaient pas avoir signé la «guarantee» en leur qualité de garant du prêt consenti par la banque à la société de droit des Îles Cayman. Ainsi, à défaut de contestations tirées soit de la matérialité des faits tels que relatés dans les écrits litigieux, soit d un remboursement de la somme prêtée, le Tribunal considéra que les parties défenderesses n avançaient pas de contestations sérieuses de nature à faire échec à la demande en référé provision pour ces motifs, la nature commerciale ou civile des contrats signés par eux étant pour le surplus irrelevant à cet égard. Le Tribunal décida en conséquence que le moyen soulevé par les parties assignées n était pas fondé à ce stade de la procédure. Quant à la qualification des engagements pris par les bénéficiaires économiques dans la «guarantee», le Juge des référés releva que les parties en cause étaient en désaccord quant à la nature juridique de cet acte et que sa qualification soulevait une série de contestations sérieuses résultant de la nécessité d interpréter cet acte. Le Tribunal rappela, à ce sujet, que, si la banque entendait qualifier la «guarantee» de garantie à première demande, il ne fallait pas oublier que «Dans la pratique les lettres de garantie sont parfois rédigées de manière ambiguë ; les difficultés d interprétation de l acte tiennent à l imprécision de la terminologie employée, en particulier à l utilisation courante de notions de règles propres au cautionnement. Il appartiendra au juge appelé à interpréter l engagement de rétablir la qualification de l acte, conformément aux principes généraux du droit des contrats, s il est convaincu que la véritable intention des parties étaient de convenir une garantie autonome» 24 Au regard des principes applicables aux procédures de référé selon lesquels le juge des référés est le juge de l incontestable et de l évident et qu une contestation sérieuse fait obstacle aux pouvoirs de ce dernier, le Juge décida que le désaccord sur la nature juridique de la «guarantee» rendait le demande de la banque en provision irrecevable. 23 Sur ce point le Tribunal citait notamment Tribunal d arrondissement de Luxembourg, 2 mai 1996, Pasicrisie luxembourgeoise, XXX, p. 219). 24 Sur ce point, le Tribunal citait A. Prum, Les garanties à première demande, Paris, Litec, 1994. ALJB - Bulletin Droit et Banque N 48 Octobre 2011 53

3. Les enseignements de l ordonnance du 18 mai 2011 L ordonnance commentée ci-dessous présente principalement un intérêt sur deux points. Elle met tout d abord en lumière la nature de l exigence du «bon pour» telle que formulée par l article 1326 du Code civil et qui trouve à s appliquer aux actes sous seing privé contenant une promesse unilatérale ayant pour objet une somme ou une quantité : il ne s agit en fait que d «une règle de preuve et non d une règle de forme et de fond et son inobservation n est pas sanctionnée par la nullité de l engagement» 25. En conséquence, l absence des mentions requises par l article 1326 peut être palliée par divers moyens, notamment en retenant, pour l écrit litigieux, la qualité de commencement de preuve par écrit ou en considérant, comme l a fait le Juge des référés dans la présente affaire, qu en l absence de toute contestation de la matérialité ou du montant de l engagement auquel aurait dû s appliquer les formalités requises par l article 1326 du Code civil, que le simple fait d invoquer l irrégularité formelle au regard de l article 1326 du Code civil peut ne pas être suffisant, alors que cette attitude peut constituer un aveu implicite de la réalité et de la sincérité de l engagement pris 26. Cette position est 25 In O. Poelmans, «Le cautionnement au Grand-Duché de Luxembourg chronique de jurisprudence (1999-2006), Annales de droit luxembourgeois, XVI, 2006, pps 103 et svtes. Voyez également G. Ravarani, «Le cautionnement à la lumière de la jurisprudence luxembourgeoise récente, Droit bancaire et financier au Grand-Duché de Luxembourg, volume 2, Bruxelles Larcier, 1994, pps 910 et svtes. 26 Il est renvoyé sur ce point à Tribunal d arrondissement de Luxembourg, 2 mai 1996, Pasicrisie luxembourgeoise, XXX, p. 219 qui retient notamment que : «Pour qu un écrit soit soumis aux formalités prescrites par l article 1326 du Code civil, il faut qu il s agisse d un acte sous seing privé, que cet acte contienne une promesse unilatérale et que cette promesse ait pour objet une somme ou une quantité. Si l acte sous seing privé dressé en violation de l article 1326 du Code civil perd la force probante normalement attachée au document en cause, il n est cependant pas forcément totalement dépourvu de valeur probatoire. Sa valeur probatoire peut être soit incomplète, soit même complète. Il peut ainsi être retenu en qualité de commencement de preuve par écrit dès lors qu il répond aux impératifs d origine (l acte doit émaner de la personne à laquelle on l oppose) et de contenu (il doit rendre vraisemblable l obligation) formulés par l article 1347 du Code civil. L écrit irrégulier peut, par dérogation au principe, servir de preuve complète entre les parties lorsqu il s agit de prouver, non point l existence ou le contenu de l acte juridique contesté, mais un fait relaté par celui-ci. En outre, l écrit litigieux peut faire la preuve complète lorsque le débiteur ne conteste pas l engagement pris par lui dans les termes allégués par le débiteur ou si le débiteur a volontairement exécuté ses obligations dès lors que l exécution rend incontestable la somme ou la quantité due. Cette dernière exigence exclut, en principe, que puisse être retenue une simple exécution partielle: celle-ci laisse encore planer un doute sur le montant de l engagement conforme à celle de la jurisprudence française sur cette question 27. Elle met également en évidence la difficulté pour le bénéficiaire d une garantie à première demande 28 ou de tout autre type de garantie autonome à prospérer dans le cadre d une procédure en référéprovision, alors que les pouvoirs du juge des référés sont limités (il ne peut en tout état de cause pas interpréter un acte, au risque d empiéter sur les pouvoirs du juge du fond) et que la rédaction de tels documents est rarement suffisamment précise pour éviter toute contestation un tant soit peu sérieuse 29. Tribunal d arrondissement de Luxembourg siégeant en matière commerciale, 20 mai 2010, n 127.843 du rôle 30 Crédit Garanties des crédits Sûretés réelles Gage Loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière Réalisation du gage Vente de gré à gré Conditions commerciales normales Notion Charge de la preuve Contenu de la preuve Article 2078 du Code civil Application à un contrat de garantie financière (non). du débiteur; bien plus, le caractère partiel de l exécution peut être valablement interprété comme la manifestation d un désaccord entre les parties sur l ampleur exacte de la dette. L acte irrégulier fait la preuve complète lorsque celui qui l a signé invoque la nullité de son engagement, par exemple pour vice du consentement sans en discuter la matérialité. Si le rédacteur d une reconnaissance de dette ne conteste ni la matérialité de cette reconnaissance, ni le montant de la somme due, mais se borne à invoquer simplement l irrégularité formelle de l acte au regard de l article 1326, le juge peut admettre que cette attitude constitue un aveu implicite de la réalité et de la sincérité de l engagement pris.». 27 Voyez R. Libchaber, «L omission des formalités de l article 1326 du Code civil est sans influence sur la validité de l obligation», Recueil Dalloz, 1995, p.227 ; Cour d Appel de Paris, 26 janvier 2007, n 04/07957. 28 Sur les garanties à première demande, voyez notamment Tribunal d arrondissement de Luxembourg, 17 juin 1982, Bulletin Droit et Banque, 1, pp.s 35 et svtes ; Cour d Appel, 16 mars 1983, Bulletin Droit et Banque, 2, pps 34 et svtes ; P. Peguet, H. François Marsal, «Une banque peut-elle recueillir une garantie à première demande plutôt qu un cautionnement», Bulletin Droit et Banque, 18, pps 50 et svtes ; Y. Poullet, «La garantie bancaire à première demande : un acte unilatéral abstrait?», Bulletin Droit et Banque, n 24, pps 5 et svtes. 29 Pour un cas semblable en matière de lettre de patronage, voyez Tribunal d arrondissement de Luxembourg (référé), 3 février 2009, n du rôle 119.334, non publié. 30 Il y a lieu de noter que deux ordonnances de référé, aux enseignements identiques à la présente décision, ont également été rendues entre les mêmes protagonistes dans le cadre du même contentieux. Voyez Cour d appel (référé), 21 avril 2010, n 35.723 du rôle («L article 11 de la loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière dispose en effet qu en cas de survenance d un fait entraînant l exécution de la garantie, le créancier gagiste peut, sauf convention contraire, céder ou faire céder les avoirs nantis de gré à gré à des conditions commerciales normales. (...) Il s agit là d une dérogation aux règles établies par le code civil (art. 2078).») et Cour d appel (référé), 21 avril 2010, 54 ALJB - Bulletin Droit et Banque N 48 Octobre 2011

«L article 11 de la loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière transpose l article 4 de la directive 2002/47/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juin 2002 concernant les contrats de garantie financière et introduit en droit luxembourgeois la possibilité pour le créancier gagiste de vendre de gré à gré les avoirs nantis sans devoir passer par une procédure ou une mise en demeure préalable. Conformément à la faculté laissée en ce sens par l article 6 de la prédite directive, le législateur luxembourgeois a soumis la faculté de vendre ainsi les instruments financiers donnés en garantie à l obligation de réaliser cette cession dans «des conditions commerciales normales». Et, (...) la présente directive [directive 2002/47/ CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juin 2002] prévoit des procédures d exécution rapide et non formelles afin de préserver la stabilité financière et de limiter les effets de contagion en cas de défaillance d une partie à un contrat de garantie financière. Elle concilie cependant ces objectifs avec la protection du constituant de la garantie et des tiers en confirmant expressément la possibilité pour les États membres de conserver ou d introduire dans leur législation nationale un contrôle a posteriori que les tribunaux peuvent exercer en ce qui concerne la réalisation ou l évaluation de la garantie financière et le calcul des obligations financières couvertes. Ce contrôle devrait permettre aux autorités judiciaires de vérifier que la réalisation ou l évaluation a été effectuée dans des conditions commerciales normales (...). Dans la mesure où (...) [le constituant du gage] soutient que la cession (...) des actions gagées], suite à la réalisation du gage par [la banque], viole les (...) [clauses] du «share pledge agreement» (...) et [l article] 11 de la loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière, il lui appartient d établir en quoi cette cession (...) ne correspond pas à des «conditions commerciales normales». Les «conditions commerciales normales» visées correspondent à des conditions résultant du libre jeu de l offre et de la demande, au moment de la réalisation du gage et en tenant compte des informations disponibles à cette époque, de la nature et des particularités concrètes des actifs concernés et des conditions du marché applicable. Si, tel que c est le cas en l espèce, il n existe aucun marché réglementé ou organisé pour l échange des instruments financiers en question, il convient de ne pas s arrêter à la valeur réelle intrinsèque des titres (difficile, voire impossible à déterminer de manière définitive), mais de considérer la meilleure n 35.720 du rôle. offre qu il est possible d obtenir dans les conditions données pour les actifs en question. Sauf abus de droit, on ne peut en effet exiger du créancier-gagiste, face à une défaillance caractérisée de son débiteur, d attendre l issue de développements spéculatifs affectant le cas échéant la valeur des actifs nantis, avant de procéder à la réalisation de son gage. (...) [Le constituant du gage] se borne par ailleurs à affirmer que(...) [le rapport du réviseur d entreprises évaluant la valeur des actions réalisées avant leur cession] serait hâtif, incomplet et contestable dans ses conclusions, sans toutefois détailler de manière précise et circonstanciée ses griefs quant aux chiffres avancés, ni produire un quelconque élément concret proposant une évaluation différente ou permettant de mettre en doute l évaluation effectuée par (...) [le réviseur d entreprises]. (...) [Il] ne montre pas en quoi le rapport (...) [du réviseur d entreprises] aurait dû proposer une évaluation différente en tenant compte des informations disponibles à cette époque, de la nature et des particularités concrètes des actifs concernés et des conditions du marché applicable. (...) [Il] n établit, ni ne précise quels actifs auraient été omis ou sous-évalués, respectivement quels passifs exagérés à tort. (...) Ainsi, il ne suffit pas de critiquer le rapport (...) [du réviseur d entreprises], mais il faut montrer concrètement en quoi les modalités de la cession ne correspondent pas à des conditions commerciales normales. (...) il ressort du «commentaire des articles» lors du dépôt du projet de loi relatif à la loi du 5 août 2005 sur les ontrats de garantie financière (doc. parl. n 5251) que «pour éviter des abus, le texte reprend une faculté laissée par le paragraphe 6. de l article 4 de la Directive en exigeant qu en cas de vente de gré à gré celle-ci soit faite à des conditions commerciales normales, faute pour le créancier gagiste d engager sa responsabilité». La sanction du non-respect de cette obligation de vendre «à des conditions commerciales normales» n est donc pas l annulation de la cession, mais des dommages et intérêts. ( ) Le contrat de gage litigieux étant régi par la loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière, la mise en oeuvre du gage litigieux s opère conformément aux dispositions de ce texte de loi spécial, à l exclusion du texte général de l article 2078 du Code civil.». Commentaires 1. Les faits de l affaire En l espèce, une banque américaine avait accordé plusieurs prêts durant l année 2008 pour la ALJB - Bulletin Droit et Banque N 48 Octobre 2011 55

somme totale de 25 millions d euros à une société anonyme de droit luxembourgeois. Afin de garantir le remboursement de ce prêt, un des actionnaires de cette société anonyme de droit luxembourgeois avait notamment mis en gage sa participation dans ladite société suivant un «share pledge agreement» soumis à la loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière. Il apparut au début de l année 2009 que la société emprunteuse ne pouvait plus honorer ses engagements. La banque américaine exerça donc durant le printemps 2009 son droit à se voir attribuer les droits de vote attachés audites actions, conformément aux dispositions du prédit «share pledge agreement» et de l article 9 de la loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière 31. Le défaut de la société emprunteuse persistant, la banque américaine résilia les contrats de prêt durant l automne 2009 et réalisa le gage consenti par l actionnaire de la société emprunteuse. Elle revendit en application du «share pledge agreement» 32 et de l article 11 (1) b) de la loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière 33, les actions litigieuses à une autre société moyennant un prix de 1 million d euros. L actionnaire de la société emprunteuse contesta cette appropriation, non sur le principe (il ne remettait pas en cause que la société emprunteuse fut en défaut par rapport à ses engagements envers la banque américaine, ni que cette dernière ait eu le droit de mettre en œuvre le gage consenti par l actionnaire de la société emprunteuse et donc 31 Article 9 de la loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière : «L attribution de l exercice du droit de vote attaché aux instruments financiers nantis est régie par la convention des parties. A défaut de convention contraire le droit de vote demeure acquis au constituant du gage, sauf si un droit d utilisation a été conféré au créancier gagiste auquel cas le droit de vote est acquis à ce dernier.» 32 La clause en question était rédigée comme suit : «Upon the occurrence of an Enforcement Event, which is continuing, the Pledgee, without any demand, advertisement or notice of any kind, may realise the Pledged Assets or any part thereof, in accordance with the applicable provisions of Luxembourg law, with the right for the Pledgee, without any preliminary court order or execution proceeding (save to the extent expressly provided therein): ( ) c) to sell or cause the sale of any Pledged Assets that constitute financial instruments (including transferable securities) other than those referred to in paragraph (b) above (i) by private agreement at normal commercial conditions, (ii) at a stock exchange or (iii) by public auction held by a public officer designated by the Pledgee». 33 Article 11bis (1) b) de la loi du 5 août 2005 relative aux contrats de garantie financière : «(1) En cas de survenance d un fait entraînant l exécution de la garantie, le créancier gagiste peut, sauf convention contraire, sans mise en demeure préalable, soit (...) b) céder ou faire céder les avoirs nantis par vente de gré à gré à des conditions commerciales normales, par une vente en bourse ou par vente publique;(...)» de procéder à l appropriation et/ou à la vente des actions litigieuses), mais quant aux modalités de cette appropriation. Il reprocha en effet à la banque américaine de ne pas avoir cédé les actions litigieuses nanties «à des conditions commerciales normales» («at normal commercial conditions»), estimant le prix de 1 million d euros largement inférieur à la valeur des actions gagées, puis cédées. En conséquence, durant le mois de décembre 2009, il fit donner assignation à la banque américaine à comparaître devant le Tribunal d arrondissement de Luxembourg pour voir constater et prononcer la nullité de l acte de cession d actions de la société emprunteuse en raison du non-respect des des dispositions de la loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière, et/ou de l article 2078 du Code civil et de l article 1658 du Code civil, sinon pour voir prononcer la résolution de la cession d actions et condamner les défenderesses à payer la somme des dommages-intérêts. Cette assignation donna lieu au présent jugement. 2. Discussions entre parties et jugement du 20 mai 2010 Ainsi que cela a été mentionné plus haut, l actionnaire de la société emprunteuse invoquait plusieurs bases légales pour demander la nullité, sinon la résolution de la cession d actions subséquente à la réalisation du gage par la banque américaine. Nous nous concentrerons dans le cadre de la présente chronique au moyen relatif à la violation des dispositions de la loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière, alors qu un examen des autres moyens soulevés par la partie demanderesse excéderait l objet de la présente chronique 34. L actionnaire de la société emprunteuse et constituant du gage arguait en premier lieu que la violation de l exigence légale de vendre les actifs gagés à des «conditions commerciales normales» devait entraîner l annulation de l acte litigieux à la demande de toute partie intéressée. Sur ce point, le Tribunal rappela que l article 11 de la loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière transposait en droit luxembourgeois l article 4 de la directive 2002/47/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juin 2002 concernant les contrats de garantie financière 35 et introduisait 34 On relèvera par ailleurs que ces moyens ont été rapidement écartés par le Tribunal, sur base de considérations relevant du droit civil au sens strict du terme. 35 Article 4 de la directive 2002/47/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juin 2002 concernant les contrats de garantie financière: «1. Les États membres veillent à ce que, dans les cas entraînant l exécution de la garantie, le preneur de la garantie puisse réaliser d une des manières décrites ci-après toute garantie financière fournie en vertu d un contrat de garantie financière avec constitution de 56 ALJB - Bulletin Droit et Banque N 48 Octobre 2011

la possibilité pour le créancier gagiste de vendre de gré à gré les avoirs nantis sans devoir passer par une procédure ou une mise en demeure préalable. Conformément à la faculté laissée en ce sens par l article 6 de la prédite directive 36, le Tribunal releva que le législateur luxembourgeois avait soumis la faculté de vendre ainsi les instruments financiers donnés en garantie à l obligation de réaliser cette cession dans «des conditions commerciales normales». Il ajouta à cela que cette directive prévoyait des procédures d exécution rapide et non formelles afin de préserver la stabilité financière et de limiter les effets de contagion en cas de défaillance d une partie à un contrat de garantie financière, mais qu elle conciliait cependant ces objectifs avec la protection du constituant de la garantie et des tiers en confirmant expressément la possibilité pour les États membres de conserver ou d introduire dans leur législation nationale un contrôle a posteriori que les tribunaux pouvaient exercer en ce qui sûreté et conformément aux stipulations de celui-ci: a) tout instrument financier par voie de vente ou d appropriation et soit en compensation, soit pour acquit des obligations financières couvertes; b) toutes espèces, soit en compensation du montant, soit pour acquit, des obligations financières couvertes. 2. L appropriation n est possible que si: a) cela a été convenu par les parties dans le contrat de garantie financière avec constitution de sûreté, et si b) les parties sont convenues dans le contrat de garantie financière avec constitution de sûreté de l évaluation des instruments financiers. 3. Les États membres qui n autorisent pas l appropriation au 27 juin 2002 ne seront pas obligés de la reconnaître. S ils recourent à cette possibilité, les États membres en informent la Commission, qui informe à son tour les autres États membres. 4. Les moyens de réaliser la garantie financière visés au paragraphe 1 ne sont pas, sous réserve des conditions convenues dans le contrat de garantie financière avec constitution de sûreté, soumis à l obligation: a) que l intention de réaliser la garantie ait été notifiée préalablement; b) que les conditions de la réalisation de la garantie soient approuvées par un tribunal, un officier public ou ministériel ou une autre personne; c) que la réalisation de la garantie s effectue par enchères publiques ou selon toute autre forme prescrite, ou d) qu un délai supplémentaire se soit écoulé. 5. Les États membres font en sorte qu un contrat de garantie financière puisse prendre effet selon les modalités qu il prévoit indépendamment de l engagement ou de la poursuite d une procédure de liquidation ou de mesures d assainissement à l égard du constituant ou du preneur de la garantie. 6. Le présent article et les articles 5, 6 et 7 ne préjugent pas d une obligation imposée par le droit national de procéder à la réalisation ou à l évaluation des instruments financiers donnés en garantie et au calcul des obligations financières couvertes dans des conditions commerciales normales.» 36 Article 6 de la la directive 2002/47/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juin 2002 concernant les contrats de garantie financière: «1. Les États membres veillent à ce qu un contrat de garantie financière avec transfert de propriété puisse produire ses effets selon les modalités qu il prévoit. 2. Si un fait entraînant l exécution de la garantie se produit alors qu une obligation du preneur de la garantie de transférer une garantie équivalente en vertu d un contrat de garantie financière avec transfert de propriété est encore inexécutée, ladite obligation peut faire l objet d une compensation avec déchéance du terme.». concerne la réalisation ou l évaluation de la garantie financière et le calcul des obligations financières couvertes, ce contrôle devant permettre aux autorités judiciaires de vérifier que la réalisation ou l évaluation avait été effectuée dans des conditions commerciales normales 37. En l espèce, le Tribunal considéra que, dans la mesure où le constituant du gage soutenait que la cession des actions de la société emprunteuse défaillante violait les dispositions du «share pledge agreement» et de l article 11 de la loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière, il lui appartenait d établir en quoi cette cession au prix de 1 million d euros ne correspondait pas à des «conditions commerciales normales». A ce sujet, le Tribunal définit la concept de «conditions commerciales normales» comme les conditions résultant du libre jeu de l offre et de la demande, au moment de la réalisation du gage et en tenant compte des informations disponibles à cette époque, de la nature et des particularités concrètes des actifs concernés et des conditions du marché applicable. Il précisa que s il n existait pas de marché réglementé ou organisé pour l échange des instruments financiers en question, il convenait de ne pas s arrêter à la valeur réelle intrinsèque des titres (difficile, voire impossible à déterminer de manière définitive), mais de considérer la meilleure offre qu il était possible d obtenir dans les conditions données pour les actifs en question, alors que, sauf abus de droit, on ne peut en effet exiger du créancier-gagiste, face à une défaillance caractérisée de son débiteur, d attendre l issue de développements spéculatifs affectant le cas échéant la valeur des actifs nantis, avant de procéder à la réalisation de son gage. En l espèce, le Tribunal releva qu il ressortait des déclarations du constituant du gage que l évaluation par la banque américaine des actions gagées avait varié dans le temps, mais qu elle avait toujours été nettement supérieure au montant d un million d euros. Le Tribunal retint néanmoins que les évaluations avancées par le constituant du gage (par ailleurs contestées par la banque américaine) avaient été proposées 13, 19, voire 24 mois avant la date de cession de ces actions à l automne 2009 et que, pendant ce laps de temps la valeur des titres nantis avait pu changer de manière radicale (tel que le 37 Le Tribunal citait sur ce point «Position commune (CE) n 32/2002 du 5 mars 2002 arrêtée par le Conseil, statuant conformément à la procédure visée à l article 251 du traité instituant la Communauté européenne, en vue de l adoption d une directive du Parlement européen et du Conseil concernant les contrats de garantie financière», Journal officiel de l UE, n C 119 E du 22/05/2002, p. 0012 0026, n 17. ALJB - Bulletin Droit et Banque N 48 Octobre 2011 57

montraient les variations bousrières de ces derniers temps). Il en conclut que le constituant du gage ne démontrait pas que les activités et les actifs de la société dont les actions avaient été gagées n avaient connu aucun «changement fondamental» tel que le constituant du gage l affirmait, mais qu au contraire, il ressortait des pièces versées en cause et des explications données que cette société avait connu de nombreuses difficultés au cours des mois précédant la cession d actions litigieuse. Le Tribunal releva également que, sans y être obligée par les dispositions légales ou contractuelles, la banque américaine avait fait établir, avant la cession d actions, une «pricing analysis» par un réviseur d entreprises réputé afin de pouvoir documenter et justifier la mise à prix des actifs nantis. En ce qui concerne ce rapport, le Tribunal constata que, même si le le rapport du réviseur d entreprises faisait l objet de certaines réserves et annonçait que la véracité de certaines données n avait pas pu être contrôlée, le rapport ne consistant pas en une procédure de «due diligence» et certaines participations n ayant pas pu été prises en compte, il ressortait de son contenu que ces réserves étaient dues au fait que la société dont les actions étaient gagées n avait pas collaboré avec le réviseur d entreprises, que les derniers bilans disponibles de cette société étaient ceux de l année 2006 et que les participations non prises en compte n étaient pas significatives quant à la valeur de l ensemble. Il rappela, par ailleurs, que le constituant du gage se bornait à affirmer que ledit rapport serait hâtif, incomplet et contestable dans ses conclusions, sans toutefois détailler de manière précise et circonstanciée ses griefs quant aux chiffres avancés, ni produire un quelconque élément concret proposant une évaluation différente ou permettant de mettre en doute l évaluation effectuée par le réviseur d entreprises. Partant, il retint que le constituant du gage ne montrait pas concrètement en quoi le rapport du réviseur d entreprises aurait dû proposer une évaluation différente en tenant compte des informations disponibles à cette époque, de la nature et des particularités concrètes des actifs concernés et des conditions du marché applicable, alors qu il n établissait, ni ne précisait quels actifs auraient été omis ou sous-évalués, respectivement quels passifs exagérés à tort. Le Tribunal releva enfin que le prix de la cession litigieuse dépassait l évaluation faite par le réviseur d entreprises. En conséquence, le Tribunal estima que le constituant du gage ne démontrait pas qu il aurait été possible de céder les actions litigieuses de la société pour un prix plus élevé qu elles n avaient été cédées, ni que les conditions de vente négociées par la banque américaine ne résultaient pas du libre jeu de l offre et de la demande, au moment de la réalisation du gage et en tenant compte des informations disponibles à cette époque, de la nature et des particularités concrètes des actifs concernés et des conditions du marché applicable. A toutes fins utiles, le Tribunal nota que, de surcroît, il ressortait des travaux parlementaires que la sanction du non-respect de l obligation de vendre «à des conditions commerciales normales» n était pas l annulation de la cession, mais l octroi de dommages et intérêts 38. Au vu de ces développements, le Tribunal rejeta la demande en annulation de la cession litigieuse du 10 novembre 2009 pour violation de la loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière. Quant aux autres bases juridiques soulevées par le constituant du gage, à savoir la violation des articles 1658 39 et 2078 40 du Code civil, le Tribunal retint qu elles n étaient pas pertinentes en l espèce. En effet, en ce qui concerne l article 1658 du Code civil, le Tribunal rappela qu il était admis que cet article rappellait les principes généraux auxquels la vente est soumise quant à son annulation et sa résolution et annonçait les deux causes de «résolution» spéciales prévues dans ce cas, à savoir : la faculté de rachat et la vileté du prix ou rescision pour cause de lésion - et que l action en rescision pour cause de lésion était réservée au vendeur d immeubles, condition non remplie en l espèce. En ce qui concerne l article 2078 du Code civil, le Tribunal releva que le contrat de gage litigieux était régi par la loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière et que sa mise en œuvre devait dès lors s opérer conformément aux dispositions de ce texte de loi spécial, à l exclusion du texte général de l article 2078 du Code civil. Le Tribunal rejeta enfin les demandes en dommages-intérêts du constituant du gage pour des raisons relatives au non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle ainsi que pour l absence 38 Sur ce point, le Tribunal se référait à Documents parlementaires, n 5251/0, p.19. 39 Article 1658 du Code civil : «Indépendamment des causes de nullité ou de résolution déjà expliquées dans ce titre, et celles qui sont communes à toutes les conventions, le contrat de vente peut être résolu par l exercice de la faculté de rachat et par la vileté du prix.». 40 Article 2078 du Code civil : «Le créancier ne peut, à défaut de paiement, disposer du gage; sauf à lui à faire ordonner en justice que ce gage lui demeurera en paiement et jusqu à due concurrence, d après une estimation faite par experts, ou qu il sera vendu aux enchères. Toute clause qui autoriserait le créancier à s approprier le gage ou à en disposer sans les formalités ci-dessus, est nulle.». 58 ALJB - Bulletin Droit et Banque N 48 Octobre 2011

de violation des dispositions de la loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière. 3. Les enseignements du jugement du 20 mai 2010 La loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière est un texte législatif important, auquel les praticiens du droit bancaire luxembourgeois sont confrontés de manière très régulière. Il va sans dire, dès lors, que toute jurisprudence clarifiant le sens à donner aux concepts utilisés par cette loi se doit d être accueillie de manière positive. La présente décision est donc importante, d autant plus qu elle clarifie une notion utilisée par la loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière dans l hypothèse de la réalisation d un gage par la voie d une vente de gré et à gré qui pouvait donner lieu à discussion, à savoir celle de «conditions commerciales normales». La doctrine n avait d ailleurs pas manqué de le relever 41 : cette notion insérée dans la loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière pouvait, sous certains aspects, être considérée comme floue et susciter en conséquence une certaine insécurité juridique, d autant plus que les travaux parlementaires étaient restés assez succincts à son égard et que la transposition en droit luxembourgeois du texte de la Directive européenne 2002/47/CE du 6 juin 2002 concernant les contrats de garantie financière pouvait prêter à discussion sur ce point. Le jugement du Tribunal d arrondissement de Luxembourg du 20 mai 2010 présente donc un double intérêt, d une part, en ce qu il précise l identité de la partie sur laquelle repose la charge de la preuve de l existence des conditions commerciales normales ou plutôt de l inexistence de telles conditions, à savoir la personne qui invoque la violation des dispositions de l article 11 de la loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière et, d autre part, en définissant de manière précise ce qu il convient d entendre par cette notion de conditions commerciales normales, à savoir les conditions résultant du libre jeu de l offre et de la demande, au moment de la réalisation du gage et en tenant compte des informations disponibles à cette époque, de la nature et des particularités concrètes des actifs concernés et des conditions du marché applicable. L appréciation de l existence ou de 41 Voyez P. Schleimer, «Réalisation des garanties financières et de pratique des prêteurs bancaires», Journal des Tribunaux Luxembourg, 2010, p. 8 ; D. Boone, D. Maria, «Renforcer la sécurité juridique de la réalisation de garanties financières, ACE, n 9, novembre 2010, p.5 ; D. Boone, «Une interprétation judiciaire du concept de «conditions commerciales normales» au sens de la loi sur les garanties financières», Jurisnews, n 2/2011, p. 135. l inexistence de telles conditions doit donc se faire in concreto. Il retient également l attention, alors qu il permet a contrario de déterminer quelles formalités le créancier gagiste devra raisonnablement effectuer, afin d établir quelles sont les conditions commerciales normales à respecter s il veut réaliser son gage dans le cadre d une vente de gré à gré, à savoir, en l espèce, l évaluation d actions par un réviseur d entreprises. Il faut noter que cette définition est conforme aux solutions qui étaient préconisées par la doctrine 42. Il est enfin important, car il rappelle un point capital quant à l efficacité des modes de réalisation d un gage tels prévus par la loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière, à savoir que la sanction du non-respect de l obligation de vendre «à des conditions commerciales normales» n est pas l annulation de la vente, mais l octroi de dommages et intérêts. La présente décision n a, selon les informations à notre disposition, pas fait l objet d un appel et est donc à considérer comme définitive. Tribunal d Arrondissement de Luxembourg siégeant en matière civile, 13 juillet 2010, n 70.842 du rôle Opérations Instruments de paiement et de crédit Virements Ordre de paiement falsifié Responsabilité du banquier - Cas d exonération (limitation au cas de force majeure) Obligation de vérification du banquier Nature et étendue - Charge de la preuve de la falsification. 42 43 42 «Quoi qu il en soit, le but déclaré du législateur luxembourgeois est d éviter les abus et le contraire d abus est mesure et raisons. In fine, il nous semble que le créancier gagiste doive s assurer que la vente se fasse dans des conditions raisonnables, au vu de toutes les circonstances de l espèce, et qu elles soient, le cas échéant, vérifiables en cas de contrôle judiciaire a posteriori (même si le texte luxembourgeois ne prévoit pas expressément un tel contrôle, nous y reviendrons). Mais, si le créancier gagiste ne doit évidemment pas volontairement léser le constituant, le texte ne semble pas non plus imposer une obligation à charge du créancier gagiste d obtenir le prix plus favorable possible, alors que les conditions «normales» ne sont pas nécessairement des condition «optimales» in P. Schleimer, «Réalisation des garanties financières et de pratique des prêteurs bancaires», Journal des Tribunaux Luxembourg, 2010, p. 8. 43 Sur les questions soulevées par ce jugement en matière de responsabilité du banquier dans l hypothèse d un ordre de paiement falsifié, voyez également Tribunal d arrondissement de Luxembourg siégeant en matière commerciale, 19 novembre 2010, n 123.079, non publié, qui apporte les mêmes solutions à ces questions que le jugement du 13 juillet 2010. ALJB - Bulletin Droit et Banque N 48 Octobre 2011 59

«...(...)En tant que dépositaire de titres ou de sommes d argent, le banquier contracte une obligation de restitution de résultat. Les ordres de paiement ne sont opposables au titulaire du compte que s ils ont été exécutés sur son ordre. Si l ordre de paiement a été exécuté sur ordre d un faussaire, le banquier ne peut être libéré qu en apportant la preuve d une faute imputable au client lui-même ou qu en établissant un cas de force majeure. Le banquier, en sa qualité de dépositaire, doit vérifier que les ordres de paiement émanent bien du client. Si le compte est débité alors que l ordre de paiement n émane pas du client, le banquier n est pas libéré de restituer les fonds déposés ; il doit créditer le compte de la somme dont il a été débité à tort, sans pouvoir invoquer la difficulté, voire l impossibilité d éviter le débit erroné ( ) L obligation de restitution du banquier dépositaire étant de résultat, il ne peut y échapper qu en établissant que le paiement est le résultat d une faute imputable au client ou d une cause étrangère qui ne lui est pas imputable. ( ) Contrairement à ce qu on pourrait penser en s appuyant sur l article 1315 du code civil, ce n est pas celui qui conteste l écriture ou la signature de l acte qui doit faire la preuve qu elles ont été falsifiées. Si l objection vient de celui-là même qui est présenté comme ayant écrit ou signé l acte, il lui suffit de dénier, par simple affirmation, son écriture ou sa signature. II incombe alors à celui qui se prévaut de l acte de faire la preuve de l exactitude de son origine ( ). La règle n est pas liée à la nature de l acte. II s ensuit que si aucune preuve ne peut être faite, ni dans un sens, ni dans l autre, l acte est considéré comme étant sans valeur probante ( ) Un ordre de virement s analyse comme constituant une demande de restitution par remise des fonds au tiers indiqué sur l ordre ( ). Les virements exécutés par le banquier ne sont opposables au titulaire du compte que s ils ont été exécutés sur son ordre ( ). Le banquier dépositaire des fonds ne peut être dégagé de cette obligation de restitution qu en effectuant des paiements entre les mains du véritable créancier ou de celui qui a reçu pouvoir de ce dernier ( ) II est de principe que le banquier dépositaire n est pas libéré de son obligation de restitution en prouvant qu il n a pas commis de faute ( ) Une libération, totale ou partielle, de la banque n est possible qu en prouvant que le paiement a été le résultat d une faute imputable au client, (...). La faute de la victime a donc pour effet de décharger, totalement ou partiellement, la banque de son obligation de recréditer le compte de son client ( )». Commentaires 1. Les faits de l affaire En l espèce, deux entrepreneurs argentins avaient, au début des années 90, ouvert un compte auprès d une banque établie à Luxembourg. L administration et la gestion de ce compte n avaient pas posé de problèmes spécifiques jusqu au mois d octobre 1999, mois durant lequel la banque reçut deux télécopies à cinq jours d intervalles par lesquelles l un des titulaires du compte donnait l ordre de transférer un montant de USD 270.000.-, puis un montant de USD 223.000.-, sur un compte ouvert à son nom auprès d une banque sise aux Etats-Unis. Dès réception de ces télécopies, la banque transféra à chaque fois les fonds endéans un bref délai, alors que ces deux instructions apparaissaient formellement valables (notamment au regard des signatures apposées sur chacune d elles) et qu elles avaient été précédées chacune d un appel téléphonique d une personne se présentant comme le titulaire du compte en question et avertissant la banque de l imminence de tels ordres de virement. La banque fut cependant contactée à la mi-novembre 1999 par un des titulaires du compte (celui qui avait prétendument apposé sa signature sur les deux instructions de transfert), ce dernier protestant oralement et par écrit contre les transferts de fonds en question en affirmant ne pas être l auteur des ordres de virement en question. Suite à ces protestations, la banque tenta d obtenir l annulation des deux ordres de virement litigieux, mais sa banque correspondante aux Etats-Unis lui indiqua que le bénéficiaire de ces virements ne l autorisait pas à restituer les fonds. S ensuivirent des discussions entre la banque luxembourgeoise et ses clients, discussions qui ne permirent pas d aboutir à un accord quant à une éventuelle indemnisation par la banque de ses clients. Ceux-ci adressèrent dès lors, conformément à l article 58 de la loi du 5 avril 1993 relative au secteur financier, telle que modifiée, une réclamation à la Commission de Surveillance du Secteur Financier, qui, suite à cette réclamation, envoya un avis motivé à la banque durant l automne 2000. En l absence de réaction de la banque, les clients assignèrent la banque devant le Tribunal d arrondissement de Luxembourg afin de voir cette dernière condamner à leur payer la somme de USD 493.000.- correspondant au montant total des virements litigieux, la somme de LUF 2.000.000.- à 60 ALJB - Bulletin Droit et Banque N 48 Octobre 2011

titre de préjudice matériel et moral et une indemnité de procédure de LUF 300.000.-. Cette assignation donna lieu à un premier jugement du Tribunal d arrondissement de Luxembourg, par lequel le Tribunal reçut notamment la demande en la forme, transmit le dossier au Procureur d Etat pour le mettre en mesure d apprécier la suite pénale à donner à ce dossier et sursit à statuer pour le surplus. Suite à cette communication du dossier au Procureur d Etat, une instruction pénale pour faux et usage de faux ainsi que pour tentative d escroquerie fur ouverte. Durant cette instruction, une expertise graphologique portant sur les deux télécopies litigieuses fut notamment accomplie. L instruction pénale fut clôturée par une ordonnance de non-lieu prononcée par la chambre du conseil au printemps 2009. Le volet pénal de ce dossier refermé, l instruction de l affaire pendante devant le Tribunal d arrondissement de Luxembourg siégeant en matière civile put donc reprendre, ce qui donna lieu au présent jugement. 2. Discussions devant le Tribunal et jugement en date du 13 juillet 2010 En l espèce, la demande des clients de la banque était basée, principalement, sur la violation par la banque de son obligation de restitution dans le cadre d un dépôt irrégulier, les clients estimant que la banque n avait pas reçu d ordres de virement émanant des titulaires du compte et que sa responsabilité se trouvait engagée pour avoir débité à deux reprises le compte sur base de deux ordres falsifiés. A titre subsidiaire, les clients de la banque soutenaient que, même si la banque parvenait à rapporter la preuve que les ordres de virement litigieux émanaient des demandeurs, elle aurait néanmoins engagé sa responsabilité pour avoir exécuté des ordres qui violaient les accords contractuels liant les parties. Le Tribunal prit position comme suit quant aux divers moyens soulevés par les parties en cause. A titre préliminaire, il rappela les principes applicables à la responsabilité du banquier dépositaire confronté à un ordre falsifié, à savoir qu «En tant que dépositaire de titres ou de sommes d argent, le banquier contracte une obligation de restitution de résultat. Les ordres de paiement ne sont opposables au titulaire du compte que s ils ont été exécutés sur son ordre. Si l ordre de paiement a été exécuté sur ordre d un faussaire, le banquier ne peut être libéré qu en apportant la preuve d une faute imputable au client lui-même ou qu en établissant un cas de force majeure.». Quant aux obligations de vérification reposant sur le banquier ayant reçu un ordre de paiement, le Tribunal renvoya à la doctrine et à la jurisprudence applicable en la matière, qui retiennent de manière constante que «Le banquier, en sa qualité de dépositaire, doit vérifier que les ordres de paiement émanent bien du client. Si le compte est débité alors que l ordre de paiement n émane pas du client, le banquier n est pas libéré de restituer les fonds déposés ; il doit créditer le compte de la somme dont il a été débité à tort, sans pouvoir invoquer la difficulté, voire l impossibilité d éviter le débit erroné» 44. Le Tribunal se pencha ensuite sur les moyens soulevés par la banque pour se libérer de sa responsabilité. i. A ce sujet, la banque se prévalait, dans un premier temps, d une clause de ses conditions générales, suivant laquelle sa responsabilité en raison de l inefficacité de la vérification des signatures figurant sur les pièces de toute nature qui lui sont remises était limitée à sa faute lourde. Le Tribunal releva à ce sujet que cette clause des conditions générales n avait pas fait l objet d une acceptation spéciale conformément à l article 1135-1 du Code civil et était, en conséquence, inopérante 45. 44 Le Tribunal citait à ce sujet J.-L. Rives-Lange, M. Contamine-Raynaud, Droit bancaire, 5 e éd., Paris, Dalloz, p. 367, n 267 45 L alinéa 2 de l article 1135-1 du Code civil (inséré dans le Code civil par une loi du 15 mai 1987 modifiant et complétant certains articles du Code civil et complétant la loi du 25 août 1983 relative à la protection juridique du consommateur, Mémorial A, 1987, n 36, p. 570) prévoyait que «Sauf acceptation spéciale par écrit, sont toujours inopposables les clauses qui prévoient en faveur de celui qui a établi les conditions générales des limitations de responsabilité, la possibilité de se retirer du contrat ou d en différer l exécution, le recours obligatoire à l arbitrage, ainsi que celles attribuant compétence à d autres juridictions que celles normalement compétentes». Cet alinéa a été abrogé par une loi du 5 juillet 2004 portant 1. modification de la loi modifiée du 14 août 2000 relative au commerce électronique 2. modification de la loi modifiée du 30 juillet 2002 réglementant certaines pratiques commerciales, sanctionnant la concurrence déloyale et transposant la directive 97/55/CE du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 84/450/CEE sur la publicité comparative afin d y inclure la publicité comparative 3. abrogation de l article 1135-1, alinéa 2, du Code civil (Mémorial A, 2004, n 125, p. 1848). Dans l affaire commentée ci-dessus, l alinéa 2 de l article 1135-1 du Code civil trouvait encore à s appliquer, alors que les conditions générales de la banque, telles qu acceptées par les clients, dataient de l ouverture du compte en 1993. Sur l application dans le temps de l alinéa 2 de l article 1135-1 du Code civil, voyez notamment Tribunal d arrondissement de Luxembourg, 29 mai 2008, n 99.282 du rôle in N. Thieltgen, «Chronique de jurisprudence de droit bancaire luxembourgeois (avril 2008-mars 2009), Bulletin Droit et Banque, 44, p.61 et Cour d Appel, 25 juin 2009, n 33.124 du rôle in N. Thieltgen, «Chronique de jurisprudence de droit bancaire luxembourgeois (avril 2009-mars 2010), Bulletin Droit et Banque, p.44) ALJB - Bulletin Droit et Banque N 48 Octobre 2011 61