L A LETTRE DROIT CONSTITUTIONNEL Bilan d une année de jurisprudence du Conseil Constitutionnel statuant sur questions prioritaires de constitutionnalité (2 e Partie) EDITION SPECIALE DROIT DES AFFAIRES (2 E PARTIE) PAR Depuis son introduction par la loi organique n 2009-1523 du 10 décembre 2009, la question prioritaire de constitutionnalité («QPC») a substantiellement modifié le paysage juridique français (pour plus de détails sur cette procédure, voir La Lettre, février 2010, La Question Prioritaire de Constitutionnalité). CHRISTOFER CLAUDE HELENE ROBIC HELENE THIERRY ANNE-SOPHIE LELIEVRE CLARISSE CARNIEL & JULIA BILLARD Plusieurs centaines de dispositions ont déjà été soumises aux filtres de la Cour de cassation, pour l ordre judiciaire, et du Conseil d Etat, pour l ordre administratif, et au 31 décembre 2011, près de 175 articles issus de différents Codes ont été transmises et examinées par le Conseil Constitutionnel. Certaines de ces dispositions intéressent plus particulièrement le droit commercial et économique, et si plusieurs dispositions ont été validées, d autres sont censurées après avoir pourtant été appliquées pendant des années, voire des décennies. ARNAUD CLAUDE & ASSOCIES Société d Avocats 52, boulevard Malesherbes 75008 - Paris Tél. : (+33) 1 43 87 73 07 Fax : (+33) 1 45 22 62 34 contact@claude-associes.com www.claude-associes.com Vestiaire Palais R.175 Nous en examinerons ici quelques-unes, qui nous sont apparues particulièrement intéressantes, tant d un point de vue théorique que pratique. SELAS au Capital de 1.100.000 RCS Paris D 342 285 665 SIRET 342 285 665 00010 APE 6910 Z TVA intracommunautaire : FR 69 342 285 665
Numéro 46 Février 2012 LA LETTRE 4. Cons. Constit., 1er avril 2011, n 2011-112, JO du 2 avril 2011, p. 5892 : Non-conformité totale avec effet différé Les articles 618-1 et 800-2 du Code de Procédure Pénale méconnaissant le principe d égalité devant la loi. Jusqu en 1981, aucune disposition du Code de Procédure Pénale ne prévoyait la faculté, ni la pour la partie civile, ni pour la personne poursuivie, d obtenir le remboursement des ANNE-SOPHIE LELIEVRE frais irrépétibles. Avocat au Barreau de Paris Ce n est qu au terme de la loi n 2000-516 du 15 juin 2000, introduisant l article 618-1 du Code de Procédure Pénale, que le Législateur a permis à la partie civile de solliciter, dans le cadre d un pourvoi en Cassation, la condamnation de l auteur de l infraction au paiement des frais irrépétibles, en prévoyant que «La cour condamne l'auteur de l'infraction à payer à la partie civile la somme qu'elle détermine, au titre des frais non payés par l'état et exposés par celle-ci. La cour tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Elle peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation». Le Conseil Constitutionnel a été saisi le 18 janvier 2011 par la Cour de cassation (Cass. Crim, 12 janvier 2011, arrêt n 334), d'une QPC, relative à la conformité de cette disposition aux droits et libertés que la Constitution garantit. Selon le requérant, cette disposition contrevenait aux principes d égalité devant la loi, fondée sur l article 6 de la DDHC, et de la garantie des droits de la défense, qui repose sur son article 16. En effet, les dispositions de l article critiqué ne prévoyaient en aucun cas la possibilité pour le prévenu d obtenir également, dans l hypothèse d un rejet du pourvoi de la partie civile ou du Ministère Public, le remboursement des frais irrépétibles qu il aurait engagés. Ainsi ce n était pas tant le principe de l indemnisation au titre des frais irrépétibles qui était critiquée en l espèce, mais plus spécifiquement son manque de réciprocité. C est au regard de ce défaut de réciprocité que le Conseil Constitutionnel a considéré que «les dispositions de l'article 618-1 du code de procédure pénale portent atteinte à l'équilibre entre les parties au procès pénal dans l'accès de la voie du recours en cassation ; que, par suite, elles sont contraires à la Constitution». Toutefois, afin de ne pas porter atteinte aux droits reconnus à la partie civile par cet article, le Conseil constitutionnel a reporté au 1er janvier 2012 la date de l'abrogation de cet article «afin de permettre au législateur d'apprécier les suites qu'il convient de donner à cette déclaration d'inconstitutionnalité». 2
La loi n 2011-1862 du 13 décembre 2011 est ainsi venue introduire un nouvel article 618-1 du Code de Procédure Pénale qui prévoit désormais que «Lorsqu'une demande en cassation formée par la personne poursuivie ou par la partie civile a été rejetée, la cour peut condamner le demandeur à payer à l'autre partie la somme qu'elle détermine, au titre des frais non payés par l'etat et exposés par celle-ci. La cour tient compte de l'équité ou de la situation économique du demandeur pour décider du prononcé de cette condamnation et en fixer le montant». L égalité, dont l absence était critiquée, semble donc rétablie. Pourtant, le Code de Procédure Pénale a, à nouveau, été critiqué, sur des fondements similaires, pour la rédaction de son article 800-2, également introduit par la loi du 15 juin 2000 précitée. Cet article prévoit que «À la demande de l'intéressé, toute juridiction prononçant un non-lieu, une relaxe ou un acquittement peut accorder à la personne poursuivie une indemnité qu'elle détermine au titre des frais non payés par l'état et exposés par celle-ci. Cette indemnité est à la charge de l'état. La juridiction peut toutefois ordonner qu'elle soit mise à la charge de la partie civile lorsque l'action publique a été mise en mouvement par cette dernière. Un décret en Conseil d'état fixe les conditions d'application du présent article.». L article 475-1 du même code prévoyait déjà, depuis 1981, la possibilité pour la partie civile de solliciter la condamnation de l'auteur de l'infraction à lui rembourser les frais non payés par l'état et exposés par elle. Le Conseil Constitutionnel a été saisi le 26 juillet 2011 par la Cour de cassation (Cass. Crim, 20 juillet 2011, arrêt n 4306), d'une QPC relative à la conformité des articles 475-1 et 800-2 du Code de Procédure Pénale. Selon le requérant, les dispositions de l article 800-2 contrevenaient également aux principes d égalité devant la loi, pour les mêmes motifs d absence de réciprocité. En effet, si l article 800-2 prévoit la faculté pour la personne poursuivie d obtenir le remboursement de ses frais irrépétibles, il introduit également un certain nombre de restrictions. D une part, le décret d application visé prévoit notamment que l'indemnité comporte l'indemnisation des frais d'avocat exposés par la personne poursuivie, dont le montant ne peut excéder la contribution de l'etat à la rétribution de l'avocat qui aurait prêté son concours à l'intéressé au titre de l'aide juridictionnelle pour l'ensemble de la procédure ayant abouti à la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement, ou encore, qu en cas de comparution devant la cour d'assises, les indemnités journalières ne peuvent excéder celles calculées dans les conditions fixées à l'article R.140, ou que les indemnités de transport ne peuvent excéder celles calculées dans les conditions fixées aux articles R.133 et R.138. 3
D autre part, l article 800-2 dispose que cette allocation ne peut être mise à la charge de la partie civile que «sur réquisitions du procureur de la République», et uniquement «si la constitution de partie civile a été abusive ou dilatoire». Enfin, en réservant le droit de la personne poursuivie de demander une telle indemnité au cas où cette personne bénéficie d un non-lieu, d une relaxe ou d un acquittement, il était soutenu que l article 800-2 privait toutes les autres parties appelées au procès pénal, qui, pour un autre motif, n'auraient fait l'objet d'aucune condamnation, de la faculté d'obtenir le remboursement de ces frais. Or, à l inverse, l indemnité qui peut être sollicitée par la partie civile au titre de l article 475-1 du Code de Procédure Pénale, ne comporte aucune limite similaire ou comparable. C est pour cette raison que le Conseil Constitutionnel a considéré que la différence entre l exercice du droit d obtenir le remboursement des frais irrépétibles par la partie civile et par la personne poursuivie viole le principe de l équilibre des droits des parties dans la procédure. Le Conseil a par conséquent jugé que «les dispositions de l'article 800-2 du code de procédure pénale [ ] sont contraires à la Constitution». Toutefois, afin de ne pas faire disparaître les droits reconnus à la personne poursuivie qui a fait l'objet d'un non-lieu, d'une relaxe ou d'un acquittement, le Conseil Constitutionnel a reporté au 1 er janvier 2013 l abrogation de cet article. 5. Cons. Constit., 26 novembre 2010, n 2010-66, Recueil, p. 334, JO du 27 novembre 2010, p. 21117 : Conformité L article 131-21 du Code pénal, qui établit le principe de la peine complémentaire de confiscation, est conforme à la Constitution. La question posée au Conseil Constitutionnel dans le cadre de ses pouvoirs prévus à l article 61-1 de la Constitution soulevait une difficulté quant à sa nature dans la mesure où la QPC contestait d une part, un texte réglementaire et d autre part, la loi. HELENE THIERRY Avocat au Barreau de Paris L article 131-21 du Code Pénal prévoit une peine complémentaire de confiscation encourue dans les cas prévus par la loi ou le règlement. Ainsi, les Sages étaient amenés à apprécier la conformité «des peines de la confiscation, en application d un texte réglementaire, du véhicule appartenant à une personne poursuivie pour une contravention de la 5 ème classe, punie 4
par la loi, à titre principal, d une amende n excédant pas 1.500 euros» au principe de nécessité et de proportionnalité des peines protégé par l article 8 de la DDHC. Dans sa volonté de respecter les prérogatives qui lui sont imparties par la Constitution, le Conseil Constitutionnel a été amené à dissocier la QPC qui lui était soumise. Dans un premier temps, s agissant de la peine de confiscation des véhicules en cas de contravention d excès de vitesse de plus de 50 km/h, après avoir mentionné le principe de délimitation du domaine de la loi et du règlement, il a été rappelé que «le Conseil constitutionnel n est pas compétent pour apprécier la conformité de l article R.413-14-1 du Code de la Route à ces exigences». En effet, en matière de contraventions, il appartient aux seules juridictions compétentes d apprécier la proportionnalité de la confiscation prévue par les textes réglementaires. C est ainsi, que dans un second temps, le Conseil Constitutionnel a été conduit à examiner le caractère de proportionnalité de la peine complémentaire de confiscation telle que définit à l article 131-21 du Code Pénal. Cet article ne prévoit pas seulement l existence des peines complémentaires de confiscations. En effet, il mentionne également les cas dans lesquelles cette peine est applicable de plein droit, en cas de crime ou de délit puni d une peine supérieure à un an lorsque les biens ont servi à commettre l infraction ou qui en sont le produit, ainsi que lorsque les biens sont qualifiés de dangereux, de nuisible ou dont la détention est illicite. Ainsi, compte tenu des différents cas institués par la loi, il a été jugé «qu eu égard aux conditions de gravité des infractions pour lesquelles elles sont applicables et aux biens qui peuvent en faire l objet, les peines de confiscation ainsi instituées ne sont manifestement pas disproportionnée». Il apparait donc que lorsque la confiscation constitue une peine, sa proportionnalité ne peut être déterminée qu au regard de l incrimination pour laquelle elle est prévue. Toutefois, il convient de souligner que la confiscation du bien instrument de l infraction, objet de la question soumise au Conseil Constitutionnel, peut dans certain cas présenter une disproportion manifeste dans la mesure où celui-ci peut être confisqué indépendamment de sa valeur. Enfin, de manière incidente, le Conseil Constitutionnel a précisé que l article 131-21 du Code Pénal, «qui préserve le droit de propriété des tiers de bonne foi, n est contraire à aucun droit ou liberté que la Constitution garantit». 5
Numéro 46 Février 2012 LA LETTRE 6. Cons. Constit., 21 octobre 2011, n 2011-186, 187, 188 et 189 QPC, JO du 22 octobre 2011, p. 17968 : Conformité L article 20 II. 6 de l ordonnance n 2005-759 du 4 juillet 2005, relatif aux effets sur la nationalité de la réforme de la filiation, est conforme à la Constitution. L article 91 de la loi n 2006-911 du 24 juillet 2006, a introduit dans l article 20 II. de l ordonnance n 2005-759 du 4 juillet 2005, portant réforme de la filiation, un 6 relatif CLARISSE CARNIEL Avocat au Barreau de Paris aux effets sur la nationalité de cette réforme. Jusqu à cette réforme, il existait une différence de traitement entre les enfants légitimes, pour lesquels la seule mention du nom de la mère sur l acte de naissance suffisait à établir la filiation, et les enfants naturels, nés hors mariage, pour qui l établissement de la filiation maternelle nécessitait en outre un acte de reconnaissance volontaire de la mère. Cette inégalité, très critiquée, fut sanctionnée par la Cour Européenne des Droits de l Homme (voir notamment : CEDH, 13 juin 1979, Marckx / Belgique, Hudoc 119, requête n 6833/74). C est pourquoi l article 311-25 du Code Civil, dans sa rédaction issue de l ordonnance du 4 juillet 2005, dispose désormais que «la filiation est établie, à l égard de la mère, par la désignation de celle-ci dans l acte de naissance de l enfant», sans distinguer entre enfants légitimes et enfants naturels. Le Conseil Constitutionnel, saisi par quatre arrêts de la Cour de cassation (Cass, Civ. 1re, 26 juillet 2001, pourvois n 11-11436, 11-11437, 11-11438, et 11-11439), devait se prononcer sur la conformité à la Constitution de l article 20 de l ordonnance du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation, et plus précisément du 6 du paragraphe II dudit article. La disposition contestée limitait en effet l application de la réforme, s agissant de ses effets sur la nationalité, en disposant que, par exception au principe d application de la nouvelle règle aux enfants nés avant comme après son entrée en vigueur, soit le 1er juillet 2006 (paragraphe I de l article 20), «les dispositions de la présente ordonnance n'ont pas d'effet sur la nationalité des personnes majeures à la date de son entrée en vigueur». Dès lors, si la différence de traitement qui existait quant à l établissement de la filiation des enfants légitimes, d une part, et des enfants naturels, d autre part, était abrogée, la nouvelle disposition maintenait une différence de traitement en matière de nationalité entre les enfants naturels mineurs à sa date d entrée en vigueur (soit le 1er juillet 2006) d une part, et ceux qui avaient déjà atteint la majorité à la même date, d autre part. 6
Les Sages devaient donc se prononcer sur la question du caractère justifié ou non de cette différence de traitement. En premier lieu, ils ont considéré que l objectif du législateur était «d éviter un changement de nationalité des personnes majeures à la date d entrée en vigueur de la nouvelle règle de filiation [ ] en cohérence avec celles des articles 17-1 et 20-1 du code civil qui disposent respectivement que «les lois nouvelles relatives à l attribution de la nationalité d origine s appliquent aux personnes encore mineurs à la date de leur entrée en vigueur» et que «la filiation de l enfant n a d effet sur la nationalité que si elle est établie durant sa minorité», et «d assurer la stabilité de la nationalité des personnes à la date de leur majorité». En second lieu, ils ont retenu que la différence de traitement en question n était pas «en elle-même, contraire au principe d égalité», présentait un «caractère résiduel» en ce qu elle ne porte que sur les effets de la filiation sur la nationalité et qu elle était «en lien direct avec l objectif d intérêt général de stabilité» poursuivit par le Législateur. Le Conseil a en conséquence estimé que le 6 du paragraphe II de l article 20 de l ordonnance du 1 er juillet 2005 était conforme à la Constitution. Dès lors, toute personne de nationalité étrangère, majeure au 1 er juillet 2006, née hors mariage d une mère de nationalité française, et souhaitant obtenir la nationalité française, doit, outre justifier de sa filiation maternelle par son acte de naissance, produire un acte de reconnaissance volontaire émanant de sa mère. En pratique, une telle disposition prive de nombreux ressortissants étrangers, notamment Algériens, Tunisiens et Marocains (du fait des anciens statuts de département français pour l Algérie et de Protectorats pour la Tunisie et le Maroc) de la possibilité de prétendre à la nationalité française. * * * 7
Retrouvez la première partie de cette étude dans la Lettre du Cabinet, n 45, de janvier 2012. A lire le mois prochain dans la Lettre du Cabinet : Bilan d une année de jurisprudence du Conseil Constitutionnel statuant sur questions prioritaires de constitutionnalité Edition Spéciale de Droit Immobilier (1 re Partie) 8