Belgium Belgique Belgien. Question Q192. au nom du Group belge par Annick MOTTET HAUGAARD, Emmanuel CORNU, Daniel DESSARD et Maroussia VERHULST



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Transcription:

Belgium Belgique Belgien Question Q192 au nom du Group belge par Annick MOTTET HAUGAARD, Emmanuel CORNU, Daniel DESSARD et Maroussia VERHULST Acquiescence (tolerance) to infringement of Intellectual Property Rights Remarque préliminaire quant aux droits intellectuels analysés Nous avons décidé de nous concentrer uniquement sur les principaux droits intellectuels que sont les droits de marque, de brevet, de base de données et d auteur. D autre part, conformément aux Directives relatives à ce rapport, nous avons exclu de notre analyse les problèmes de délais de prescription, de dilution des droits et d évaluation des dommages et intérêts. Questions I) Etude du droit positif 1) Les Groupes sont invités à indiquer si, dans leur système de droit national, sont prévues des règles conférant un effet à la tolérance manifestée par le titulaire d un droit de propriété intellectuelle à l égard d un tiers qui porte atteinte à son droit. Cet effet de la tolérance s applique t il à tous les droits de propriété intellectuelle (brevets, modèles, marques et autres signes distinctifs) ou uniquement à certains d entre eux? Les Groupes sont également invités à donner les justifications avancées dans leur pays pour introduire cette règle de l acquisition de droits par l effet de la tolérance et à en définir la portée. Enfin, peut se poser la question de savoir si les règles relatives à l acquisition des droits par l effet de la tolérance doivent être les mêmes en ce qui concerne les différents droits de propriété intellectuelle. Les lois nationales font elles une distinction notamment entre les droits faisant l objet d un enregistrement et les droits qui résultent uniquement d un usage et qui ne font pas l objet de l enregistrement. Le droit belge ne prévoit de règles relatives à la tolérance qu en matière de droit des marques. En effet, la règle de la forclusion par tolérance contenue dans la première directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques 1 a été transposée dans la Loi Uniforme Benelux sur les Marques (ci après, LUBM ) à l article 14 bis. Cet article dispose que le titulaire de la marque qui aura toléré pendant cinq ans l usage d une marque postérieure en connaissance de cet usage ne pourra plus invoquer la nullité du dépôt postérieur ni s opposer à l usage de cette marque postérieure, sauf mauvaise foi de cet usager postérieur. 1 J.O.C.E., n L 040 du 11 février 1989, p. 0001 007. 1

Cette règle s applique donc uniquement si la marque seconde est utilisée et enregistrée. La tolérance de l usage d une marque utilisée mais non enregistrée n emporte pas la forclusion au sens de cette disposition. Par ailleurs, il est important de remarquer que cette règle se limite aux seules actions en nullité fondées sur un motif de nullité relative visé à l article 14, B, 1 de la LUBM (enregistrement d une marque qui prend rang après celui d une marque ressemblante). De même, seuls les usages par le titulaire de la marque postérieure visés à l article 13, A, 1, a), b), c) de la LUBM sont permis (usage d un signe identique pour des produits identiques, usage d un signe identique ou ressemblant pour des produits identiques ou similaires et usage d un signe identique ou ressemblant pour des produits différents). Ainsi, l usage d un signe à des fins autres que celle de distinguer les produits (article 13, A, 1, d de la LUBM)) n est pas visé par cette règle. En conséquence, cette règle de forclusion par tolérance ne s étend pas aux actions par lesquelles le titulaire d une marque voudrait s opposer à l usage abusif par un tiers d un nom de domaine, d une dénomination sociale ou d un nom commercial ressemblant à la marque. Notons néanmoins qu il existe, en matière de brevet, l exception de possession personnelle antérieure. Toutefois, cette règle ne résulte pas d un acte de tolérance du titulaire de droits de l atteinte à ses droits de propriété intellectuelle. Il s agit d une tolérance que la loi lui impose, ce qui ne constitue pas véritablement, selon nous, une acceptation ou une tolérance. Nous avons dès lors décidé de ne pas nous étendre sur ce sujet. Par ailleurs, il est à noter que la théorie doctrinale et jurisprudentielle de la rechtsverwerking, en tant que mode d extinction des droits subjectifs lorsque le titulaire d un droit adopte un comportement inconciliable avec le droit en question, est abandonnée en droit belge depuis les arrêts de la Cour de cassation du 17 mai et 16 novembre 1990 2. Ces arrêts ont établi qu il ne pouvait être déduit de la circonstance que le titulaire d un nom commercial avait attendu plusieurs années avant de réagir, qu il avait admis comme telle la situation contestée ou qu il avait tacitement renoncé au droit de s opposer à l usage de la dénomination 3 ou que le droit à la protection serait déchu. Cette jurisprudence est transposable à tous les conflits entre marques 4, noms commerciaux, dénominations sociales et noms de domaine ainsi qu aux litiges relatifs à d autres droits de propriété intellectuelle tels les droits d auteur, droits de brevet et droits des dessins et modèles. Un récent jugement du tribunal de commerce de Bruxelles du 23 septembre 2002 5 a d ailleurs rappelé à ce propos le fait que la tolérance vis à vis des usurpations par des tiers ne peut être constitutive d abandon tacite, l inaction du titulaire pouvant s expliquer par diverses raisons, telle l impossibilité d agir, le caractère clandestin de l atteinte, son peu d importance ou l insolvabilité des contrefacteurs. 2 Cass., 17 mai 1990, R.W., 1990 1991, p. 1085; note S. STIJNS, La rechtsverwerking, fin d une atteinte (dé)raisonnable?, J.T., 1990, p. 442; J.L.M.B., 1990, p. 881 avec note P. HENRY; Cass., 16 novembre 1990, J.T., 1991, p. 685. 3 Prés. Comm. Bruxelles, 1 er septembre 1999, inédit cité par P. MAYAERT, Conflits entre marques, dénominations sociales, noms commerciaux et noms de domaine, R.I.C., 197, 1.2002, p. 7. 4 Voy. notamment Prés. Comm. Malines, 21 octobre 1993, B.I.E., 1997, p. 186; Ing. Cons., 1994, p. 110; Bruxelles, 12 mai 1999, R.W., 1999, p. 781; Bruxelles, 9 janvier 2003, Ing. Cons., 2004, p. 39. 5 Ing. Cons., n 6 7, 2002, p. 251, dans le même sens: Comm. Bruxelles, 5 février 1985, Ing. Cons., 1985, p. 102; Bruxelles, 19 février 1985, Ing. Cons., 1985, p. 162; A. BRAUN et E. CORNU, Précis des Marques, Bruxelles, Larcier, 2004, p. 536, n 505; T. BRAUN, F. BISSOT et J. FAVART, Précis des marques de fabrique et de commerce, Bruxelles, Larcier, 1936, n 137. 2

Il n existe en principe aucun délai particulier pour l introduction d une action en contrefaçon sous réserve des règles de prescription du droit commun 6. Cependant, l absence prolongée de réaction ne peut qu affaiblir le pouvoir distinctif du signe premier, ce qui aura incontestablement une certaine influence sur le champ de protection dudit droit. Il est d ailleurs possible que cette tolérance engendre ou favorise un phénomène de dégénérescence du signe 7. 2) L acquisition des droits par la tolérance reste soumise à des conditions relatives notamment à la durée de cette tolérance et à l attitude manifestée par le tiers qui exploite sans autorisation un droit de propriété intellectuelle antérieur. Les Groupes sont donc invités à indiquer quelle est la durée requise pour que la tolérance puisse conférer un droit à un tiers et priver le titulaire du droit de propriété intellectuelle de la possibilité d agir contre ce tiers. Et la question qui se pose est également de savoir quel est le point de départ de ce délai et quel est l acte que doit accomplir le titulaire du droit pour l interrompre. Faut il un acte positif de la part du titulaire du droit antérieur pour commencer à calculer le délai de la tolérance ou cette date peut elle être aussi présumée? Compte tenu de la réponse sous 1, cette question n appelle une réponse qu en matière de droit des marques. La tolérance doit avoir duré cinq années consécutives à partir de la connaissance de l usage d une marque seconde enregistrée. Bien que la rédaction de l article 14 bis de la LUBM soit ambigüe à cet égard, ce délai court donc à partir du moment où les deux conditions sont réalisées: l enregistrement de la marque postérieure et la connaissance de l usage de cette marque postérieure par le titulaire de la marque antérieure 8. Dès lors, bien que les cours et tribunaux belges ne se soient pas prononcés sur la question, nous pouvons présumer, à l instar des cours et tribunaux néerlandais 9, qu il y a lieu de considérer que la connaissance éventuelle par le titulaire de la marque antérieure de la marque postérieure préalable à son enregistrement n est en principe pas pertinente dans l appréciation de la période de la tolérance. De même les Groupes sont invités à répondre à la question de savoir quelles sont les exigences pour que la tolérance soit considérée comme interrompue: est il nécessaire d engager une procédure judiciaire ou suffit il de protester, par exemple par une lettre, contre la contrefaçon? L article 2244 du Code civil dispose que seules forment l interruption d une prescription civile une citation en justice, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu on veut empêcher de prescrire. En conséquence, même si la question ne semble pas à ce jour avoir été tranchée judiciairement, il apparaît que seule une citation en justice sera efficace et une simple mise en demeure ne suffirait pas pour que la tolérance soit considérée comme interrompue. 6 L article 2262 bis du Code civil dispose, en effet, en ses alinéas 2 et 3 que: toute action en réparation d un dommage fondée sur une responsabilité extracontractuelle se prescrit par cinq ans à partir du jour qui suit celui où la personne lésée a eu connaissance du dommage ou de son aggravation et de l identité de la personne responsable. Les actions visées à l alinéa 2 se prescrivent en tout cas par vingt ans à partir du jour qui suit celui où s est produit le fait qui a provoqué le dommage. 7 T. VAN INNIS, Les signes distinctifs, Bruxelles, Larcier, 1997, n 51, p. 39 40. 8 Voy. en ce sens Rb. Breda (Pays Bas), 29 février 2000, B.I.E. (Pays Bas), 2002, p. 217: il fut jugé dans cette affaire que le délai de cinq ans ne commence pas à partir du moment où la marque la plus récente est déposée, mais à partir du moment où le titulaire de la marque la plus ancienne sait ou doit savoir que la marque la plus récente est utilisée. 9 Rb. Amsterdam (Pays Bas), 13 septembre 2000, B.I.E., 2002, liv. 11, p. 431. 3

3) La tolérance suppose que le titulaire du droit antérieur connaisse l existence de l atteinte à son droit mais d une manière consciente, accepte qu un tiers y porte atteinte. Se pose alors la question de savoir quel est le degré de connaissance des actes de contrefaçon que doit manifester le titulaire du droit antérieur pour présumer avoir accepté l exploitation litigieuse. Cette connaissance peut elle être présumée ou doit elle être prouvée d une manière positive? Le seul élément moral exigé est la connaissance par le titulaire de la marque antérieure de l existence de l exploitation de la marque postérieure par son titulaire. Il n existe pas de degré de connaissance à atteindre. De plus, cette connaissance de la part du titulaire du droit antérieur ne peut se présumer du simple enregistrement de la marque. En effet, la publication de la marque postérieure au recueil des marques Benelux n est pas suffisante en elle même pour établir une telle connaissance 10. Elle doit être établie de manière positive et certaine par le titulaire de la marque postérieure par toutes voies de droit. En effet, tel que précisé dans la réponse sous 1, il n existe pas de perte par abandon tacite en droit belge. Par contre, rien n empêche de prouver cette connaissance par un faisceau de présomptions précises et concordantes. Il pourrait notamment être invoqué que le titulaire du droit antérieur était directement concurrent du titulaire du droit second dans le même secteur d activités ou que ces parties entretenaient des relations directes. 4) De même, les Groupes sont invités à indiquer quelles sont les exigences auxquelles doit répondre le tiers exploitant le droit de propriété intellectuelle sans l autorisation de son titulaire. Cette exploitation doit elle être réalisée de bonne foi? Et selon quels critères la jurisprudence et le droit national définissent cette bonne foi? Les Groupes sont aussi invités à indiquer si le tiers qui exploite sans autorisation le droit de propriété intellectuelle antérieur doit être dans l ignorance de l existence de ce droit pour être considère comme ayant agi de bonne foi ou si la connaissance du droit antérieur n exclut pas la bonne foi? L article 14 bis de la LUBM est muet quant aux exigences auxquelles doit répondre l exploitation de la marque postérieure par son titulaire. Il ne précise notamment pas si cette exploitation doit être réalisée de bonne foi. En revanche, en vertu de l article 14 bis de la LUBM, le titulaire du droit postérieur doit impérativement avoir déposé et fait enregistrer sa marque postérieure de bonne foi pour pouvoir prétendre bénéficier de l effet acquisitif de la tolérance. La bonne foi du titulaire de la marque seconde peut résulter de raisons légitimes d ignorer l usage de la marque première ou de motifs raisonnables lui laissant penser que son dépôt ne porte pas atteinte à la marque première. Si au contraire, le dépôt de la marque postérieure a été effectué de mauvaise foi, il n y a pas forclusion par tolérance. Dès lors, le titulaire de la marque antérieure pourrait demander la nullité de cette marque postérieure, en vertu de l article 14, B, 2 de la LUBM. A cet égard, l article 4.6 de la LUBM énonce, à titre exemplatif, deux hypothèses dans lesquelles le dépôt doit être considéré comme ayant été effectué de mauvaise foi et n est dès lors pas attributif du droit à la marque: 10 A. BRAUN et E. CORNU, op. cit., p. 298, n 282 bis. 4

a) le dépôt, effectué en connaissance ou dans l ignorance inexcusable de l usage normal fait de bonne foi dans les trois dernières années sur le territoire Benelux, d une marque ressemblante pour des produits similaires, par un tiers qui n est pas consentant; b) le dépôt, effectué en connaissance, résultant de relations directes, de l usage normal fait de bonne foi par un tiers dans les trois dernières années en dehors du territoire Benelux, d une marque ressemblante pour des produits similaires, à moins qu il n y ait consentement de ce tiers ou que ladite connaissance n ait été acquise que postérieurement au début de l usage que le titulaire du dépôt aurait fait de la marque sur le territoire Benelux. Dès lors, la simple connaissance par le second déposant du dépôt antérieur d une marque ne suffit pas nécessairement à rendre ce second dépôt de mauvaise foi 11. 5) Les Groupes doivent également indiquer si leur système juridique prévoit d autres conditions (comme par exemple la valeur où l étendue géographique) auxquelles doit répondre l exploitation du droit second par le tiers pour pouvoir invoquer le bénéfice de la tolérance de ce droit par le titulaire du droit antérieur. Une autre question concerne les conditions auxquelles doit répondre l usage des droits de propriété intellectuelle faisant l objet de la tolérance. Les règles nationales imposent elles des conditions de l usage en ce qui concerne son importance, sa durée ou le caractère continu? La réponse à cette question est négative, il n existe aucune autre condition pour pouvoir invoquer le bénéfice de la tolérance de ce droit par le titulaire du droit antérieur si ce n est que, par hypothèse, l usage qui a été fait de la marque postérieure par son titulaire doit avoir eu lieu dans le Benelux 12. 6) Si le système du droit national prévoit l effet acquisitif de la tolérance, se pose la question de savoir quelles en sont les conséquences du point de vue des droits du tiers qui bénéficie de cette tolérance. Tout d abord, se pose la question de savoir si ce tiers ne peut que continuer la même exploitation que celle qui a bénéficié de la tolérance de la part du titulaire du droit antérieur ou, si au contraire, il peut modifier tant la nature que l étendue de l exploitation qu il a entreprise. Les Groupes sont donc invités à indiquer si, dans leur pays, la jurisprudence et les règles de droit limitent l exploitation du droit antérieur par le tiers à la possibilité de la continuer dans les conditions précises de l exploitation bénéficiant de la tolérance (tant du point de vue de la forme, du signe, du modèle ou du produit faisant l objet d un brevet que de l étendue territoriale et économique de cette exploitation). L article 14 bis de la LUBM précise que les effets de cette tolérance que sont l interdiction de demander la nullité de cette marque postérieure ou d interdire l usage de celle ci se limitent aux seuls produits pour lesquels cette marque a été utilisée par le titulaire du droit postérieur. Nous déduisons de ce libellé, bien que la question n ait jamais été tranchée par les tribunaux, que le titulaire de la marque antérieure conserve donc en principe son droit de s opposer à l usage qui serait fait de la marque seconde par son titulaire pour des produits différents de ceux qui avaient fait l objet de la tolérance. Nous supposons dès lors que le 11 Voy. en ce sens Rb. Breda (Pays Bas) 4 mai 2005, I.E.R., 2005, liv. 5, 327. 12 J. J. EVRARD et P. PETERS, La défense de la marque dans le Benelux Marque Benelux et marque communautaire, Bruxelles, Larcier, 2000, p. 164. 5

titulaire de la marque postérieure ne pourra que continuer la même exploitation. En effet, conformément aux principes généraux du droit, s agissant d une exception aux droits exclusifs dont dispose le titulaire de marque, cette disposition doit être interprétée restrictivement. D autre part, se pose la question de savoir si l objet bénéficiant de la tolérance (marque ou autre signe distinctif, modèle ou invention) peut être transféré à un tiers et si ce tiers bénéficie également de la tolérance dont a pu tirer avantage son prédécesseur. Ainsi, la question qui se pose est de savoir si la tolérance a un effet limité à la personne même de celui qui en a bénéficié de la part du titulaire du droit antérieur ou si elle est attachée au signe, modèle ou invention qui a été exploité indépendant de la personne qui réalise cette exploitation. Les Groupes doivent exposer les solutions adoptées à ce sujet par leurs droits nationaux. Bien que cette question n ait pas été expressément abordée dans la LUBM et n ait jamais été tranchée à notre connaissance par les cours et tribunaux belges, nous sommes d avis que, selon les principes généraux du droit, rien ne s oppose à la cession de ce droit à un tiers. La tolérance est, selon nous, attachée au signe postérieur qui a été exploité indépendamment de la personne qui a réalisé cette exploitation. Cette vision semble d ailleurs confirmée par l exposé des motifs du Protocole portant modification de la LUBM du 11 décembre 2001 13 qui justifie les modifications apportées à l ancien article 14bis par la volonté de faire de l enregistrement de la marque le fait générateur du droit. En conséquence, conformément à l article 11 de la LUBM, la marque postérieure pourrait être transmise à un tiers et continuer à être exploitée de la même façon que celle dont son prédécesseur a bénéficié de la tolérance. Notons toutefois que notre position pourrait ne pas être partagée par tous les auteurs, certains estimant que l effet de la tolérance se limiterait à la personne même de celui qui en a bénéficié de la part du titulaire du droit antérieur 14. 7) Dans le même contexte intervient la question de l épuisement du droit. En effet, si les produits revêtus des signes bénéficiant de la tolérance sont mis sur le marché, se pose la question de la liberté de circulation de ces marchandises puisqu elles ne peuvent pas être considérées a priori comme mises sur le marché avec l autorisation du titulaire du droit antérieur. Il faut donc savoir si la tolérance se limite aux actes de l exploitation accomplis par la personne qui en bénéficie initialement ou si elle étend ses effets également aux tiers qui ont acheté des produits, notamment en vue de leur exportation à l étranger. En vertu de l article 13, A, 9 de la LUBM, la règle de l épuisement du droit de marque suppose que le produit revêtu de la marque authentique ait été mis dans le commerce dans la Communauté européenne par le titulaire de la marque ou avec son consentement. Selon la jurisprudence récente de la Cour de Justice en la matière, si le consentement doit porter sur chaque exemplaire du produit pour lequel l épuisement est invoqué 15, celui ci peut néanmoins être déduit de manière implicite 16. Cependant, notons que la Cour a précisé à l occasion de ce dernier arrêt Davidoff & Levi Strauss, que un consentement implicite ne saurait résulter 13 www.bmb bbm.org/merken/fr/pdf/regulations/7exposedesmotifsprotocole2001.pdf, VII 11, S.: Les autres modi fications par rapport à l ancien article 14 bis proviennent à nouveau du fait que le présent protocole fait de l enregistrement de la marque le fait générateur du droit. 14 Voy. notamment T. VAN INNIS, op. cit., p. 277 278, n 352: qui estimait, au moment de la publication de son ouvrage en 1997, que la consolidation du dépôt postérieur ne serait que toute relative, un autre intéressé, comme peut l être la personne du licencié du titulaire forclos, pouvant toujours invoquer la nullité du dépôt postérieur en vertu de l article 14, B de la LUBM, pour peu que le titulaire du dépôt antérieur prenne part à l action. 15 C.J.CE., 11 juillet 1999, Sebago, aff. C 73 98, Ing. Cons., 1999, p. 568. 16 C.J.C.E., 20 novembre 2001, Levi Strauss & Davidoff, aff. C 414/99 à C 416/99, Ing. Cons., 2001, p. 545. 6

d une absence de communication, par le titulaire de la marque, de son opposition à une commercialisation dans l EEE 17. Nous déduisons de cette jurisprudence applicable en l espèce 18 que la tolérance par le titulaire d une marque de produits portant atteinte à cette dernière ne pourrait en aucun cas être interprétée comme impliquant son consentement à la commercialisation de tels produits dans la Communauté européenne. En outre, conformément au principe de territorialité du droit des marques, il nous semble que la tolérance doit être appréciée individuellement sur chaque territoire couvert. L usage d une marque postérieure pourrait être tolérée dans un pays et pas automatiquement dans un autre de sorte que la forclusion ne s appliquerait que dans l un de ces pays. En conséquence, nous sommes d avis que des produits bénéficiant de la forclusion dans un pays ne pourraient nullement circuler librement dans l ensemble de la Communauté européenne 19. 8) L acquisition de droits par l effet de la tolérance pose aussi la question du caractère définitif et irrévocable du droit acquis. On peut en effet s interroger sur la question de savoir s il n est pas possible de remettre en cause les effets de la tolérance par exemple par une réglementation qui organiserait la coexistence des deux droits. Les Groupes sont donc invités à indiquer si une telle réglementation est possible dans leurs systèmes nationaux et comment peut elle être organisée. L article 14 bis, alinéa 2 de la LUBM impose, en cas de forclusion, la coexistence sur le marché des marques antérieure et postérieure en disposant que le second usager ne pourra s opposer à l usage de la marque antérieure. En d autres termes, les parties n ont pas d autre choix que de se tolérer mutuellement. Nous sommes cependant d avis qu il s agit d une situation déplorable quant au principe même des droits exclusifs qu impliquent les marques individuelles. 9) Enfin, les Groupes sont invités à donner leur appréciation sur le fonctionnement du mécanisme de l acquisition des droits par l effet de la tolérance dans leur pays. Et les Groupes sont également invités à indiquer si les règles telles qu elles existent dans leur pays, peuvent servir de base à une éventuelle harmonisation internationale. En Belgique, il n existe à notre connaissance aucune jurisprudence à ce jour sur la question. Il n y a donc pas de problème quant à l application de cette règle de la LUBM, du moins en Belgique. Cependant, nous déplorons cette règle et ne pouvons qu espérer qu elle restera lettre morte. En effet, cette règle s oppose à la fonction même de la marque individuelle qui permet l identification d une entreprise par rapport à ses concurrentes. La coexistence sur un même territoire de deux marques individuelles ressemblantes voire similaires pour des produits ou services similaires voire identiques est nécessairement malsaine et conflictuelle. Elle est néfaste tant pour le consommateur incapable de dissocier les origines différentes d un même signe que pour les entreprises concernées dont la marque ne joue plus son rôle distinctif. A terme, chacune de ces marques pourrait perdre sa raison d être, la confusion devenant totale. 17 Point 56. 18 La Cour ayant rappelé, à l occasion de ce même arrêt, aux points 42 et 43, que la notion de consentement ne relevait pas du droit national des Etats membres et devait recevoir une interprétation uniforme. 19 Notons qu en matière d épuisement des droits, il en va de même en matière de droit des brevets: voy. notamment M. BUYDENS, Droit des brevets d invention et protection du savoir-faire, Bruxelles, Larcier, 1999, p. 257 et s.. 7

Enfin, concernant le droit d auteur, il y a lieu de relever qu une telle règle serait encore plus difficile à mettre en œuvre en l absence d enregistrement. Des problèmes d indivision et de sécurité juridique en découleraient nécessairement. En droit des dessins et modèles, ce ne serait pas sain non plus. En droit des brevets, nous estimons que le droit de possession personnelle suffit. Propositions en vue de l harmonisation Les Groupes sont invités à formuler les suggestions au sujet de l éventuelle harmonisation internationale des droits de propriété intellectuelle dans le domaine de l effet de la tolérance des actes de la contrefaçon. Ces suggestions doivent être fondées sur l évaluation que les Groupes font du système juridique de leur pays de manière à fonder la future harmonisation sur les solutions juridiques qui apparaissent le plus efficaces et faciles à mettre en œuvre. 10) Tout d abord les Groupes doivent formuler une opinion quant aux droits de la propriété intellectuelle qui pourraient être frappés par l effet de la tolérance de la contrefaçon. Cette tolérance doit elle produire ses effets à l égard de tous les droits de propriété intellectuelle ou seulement pour certains d entre eux (par exemple pour les signes distinctifs)? Nous ne sommes pas convaincus par l opportunité de prévoir de tels effets à l égard de tous les droits de propriété intellectuelle. Nous renvoyons pour le surplus à la réponse sous 9. 11) Les Groupes sont également invités à donner leur opinion quant à la nature de la tolérance si elle devait faire l objet d une harmonisation internationale: se limite t elle à un moyen de défense en cas d action en contrefaçon ou confère t elle un droit appartenant à l exploitant second en date? Selon nous, il serait préférable qu elle constitue seulement un moyen de défense en cas d action en contrefaçon plutôt qu un droit subjectif appartenant à l exploitant second en date. En effet, cette solution permettrait d éviter des situations malsaines et conflictuelles de coexistence entre droits. 12) Les Groupes sont également invités à formuler des suggestions quant aux conditions (telles que: la durée, l étendue et la valeur de l exploitation seconde en date, la connaissance de la contrefaçon par le titulaire du droit antérieur etc.) que devrait remplir la tolérance pour produire des effets juridiques en cas d une éventuelle harmonisation internationale des droits de propriété intellectuelle. Nous sommes d avis que les conditions posées à l article 9 de la Première directive de 1988 à savoir, l enregistrement de la marque postérieure, son usage, la bonne foi du déposant de la marque postérieure et la connaissance de l usage de cette marque déposée par le titulaire de la marque antérieure sont pleinement satisfaisantes. 13) Enfin les Groupes peuvent formuler toute opinion supplémentaire quant à l éventuelle harmonisation internationale des règles du droit de la propriété intellectuelle au sujet des conditions et effets de l acquisition des droits par l effet de la tolérance. N/A 8

Summary Belgian law provides rules on the basis of limitation in consequence of acquiescence only in the field of trademarks law. Article 14 bis of the Uniform Benelux Trademark Act provides that the holder of an earlier trademark, who has acquiesced for a period of five years the use of a later trademark while being aware of such use, shall no longer be entitled either to apply for a declaration that the later trademark is invalid or to oppose the use of the later trademark, unless registration of the later trademark was applied for in bad faith. The starting point of this period of five years is the date when the following two conditions are met: the registration of the later trademark and the knowledge of the use of this trademark by its holder. There is no level of knowledge of the acts of infringement to achieve. However, this knowledge must be proven in a positive and certain way by the holder of the former trademark by any means of proof. Résumé Le droit belge ne prévoit de règles relatives à la forclusion par tolérance qu en matière de droit des marques. L article 14 bis de la Loi Uniforme Benelux sur les Marques dispose à cet égard que le titulaire de la marque qui aura toléré pendant cinq ans l usage d une marque postérieure en connaissance de cet usage ne pourra plus invoquer la nullité du dépôt postérieur ni s opposer à l usage de cette marque postérieure, sauf en cas de dépôt de mauvaise foi de la marque postérieure. Ce délai de cinq ans court donc à partir du moment où les deux conditions sont réalisées: l enregistrement de la marque postérieure et la connaissance de l usage de cette marque postérieure par le titulaire de la marque antérieure. Il n existe pas de degré de connaissance à atteindre. Celle ci doit néanmoins être établie de manière positive et certaine par le titulaire de la marque postérieure par toutes voies de droit. 9