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Recueil Dalloz 2011 p. 351 De quelques conséquences du divorce sur la dissolution de la communauté Vincent Bonnet, Maître de conférences à l'université de Bourgogne, Faculté de droit/credimi, Directeur du Master 2 de droit notarial 1 - Bien qu'elle ait été rendue sous l'empire du droit antérieur à la réforme du divorce par la loi du 26 mai 2004, cette décision de la Cour de cassation (1), certainement transposable au droit actuel, est importante à un double titre. D'abord, pour la première fois, à propos d'une demande de report des effets du divorce, la première chambre civile donne une définition de la collaboration entre époux postérieure à la cessation de la cohabitation. Ensuite, pour la première fois également, elle présente une analyse de la fameuse clause alsacienne en décidant qu'elle ne constitue pas un avantage matrimonial. 2 - Deux époux s'étaient mariés sous le régime de la communauté universelle. Le contrat de mariage contenait une clause de reprise des apports, dite clause alsacienne. Le divorce fut prononcé le 12 mars 2002 aux torts exclusifs de l'épouse. On apprend que, après leur séparation de fait, le mari avait fait l'acquisition d'un appartement. Afin de financer des travaux d'amélioration et d'aménagement, il avait souscrit un emprunt pour lequel l'épouse s'était portée co-emprunteur. Lors des opérations de liquidation, il avait demandé, sur le fondement de l'article 262-1 du code civil, un report des effets du divorce à la date de la séparation de fait. Quant à l'épouse, pendant le mariage, elle avait reçu par donation la moitié indivise de la nue-propriété d'un immeuble. Lors de la liquidation, elle avait invoqué l'application de la clause alsacienne. La cour d'appel d'amiens, dans un arrêt du 4 mars 2009, d'une part, avait rejeté la demande de report du divorce à la date de la séparation de fait, en évoquant la collaboration de l'épouse au financement de l'immeuble par le mari, d'autre part, avait décidé qu'en application de la clause de reprise des apports l'immeuble donné à l'épouse n'était pas commun. Le mari a formé un pourvoi en cassation. Sur le premier point, il avançait que la cessation de la cohabitation fait présumer la cessation de la collaboration et que le fait que l'épouse se fût portée co-emprunteur de son emprunt ne suffisait pas à démontrer la collaboration. Sur le second point, il prétendait que la clause de reprise des apports est un avantage matrimonial et que, le divorce ayant été prononcé aux torts exclusifs de son épouse, celle-ci ne pouvait pas en bénéficier. La Cour de cassation rejette les deux moyens du pourvoi. Elle décide, en premier lieu, que «l'existence de relations patrimoniales entre les époux, résultant d'une volonté commune, allant au-delà des obligations découlant du mariage ou du régime matrimonial, caractérise le maintien de la collaboration des époux». Elle approuve la cour d'appel d'avoir considéré que la participation de l'épouse au financement de l'aménagement de l'appartement du mari démontrait une telle collaboration. En second lieu, elle estime que la clause de reprise des apports ne confère aucun avantage matrimonial aux époux. Par conséquent, l'épouse n'en était pas privée quand bien même le divorce avait été prononcé à ses torts exclusifs. 3 - Cet arrêt apporte des éclaircissements sur deux aspects distincts des effets du divorce. En ce qui concerne la date des effets du divorce, il donne enfin des précisions, qui ne manqueront pas d'être utiles pour l'avenir, sur ce qu'il faut entendre par collaboration au sens de l'article 1 262-1 du code civil (I). Quant à l'analyse de la clause alsacienne, l'apport de l'arrêt est avant

tout théorique puisque son analyse remet en cause ce qu'une partie de la doctrine avait suggéré (II). I - La collaboration au sens de l'article 262-1 du code civil 4 - Lorsque les époux sont séparés depuis déjà longtemps au moment où le divorce est prononcé et devient définitif, l'un ou l'autre peut avoir intérêt à ce que ses effets soient reportés à une date antérieure à celle qui est normalement prévue par l'article 262-1 du code civil (2). En effet, l'un des époux peut avoir fait l'acquisition d'un bien, notamment d'un immeuble qui lui sert de logement. Sans report des effets du divorce, l'immeuble acquis juste après la séparation tombe dans la communauté et devra donc être pris en compte dans le partage. En l'espèce, le mari avait acheté un immeuble entre le moment de la séparation et l'assignation. Il fallait donc que la date de la dissolution fût antérieure à cette acquisition pour que l'immeuble lui restât personnel. 5 - La difficulté réside alors dans la preuve de la double condition, qui incombe normalement au demandeur, de la cessation de la cohabitation et de la collaboration. Celle de la cessation de la cohabitation ne pose guère de difficulté, elle peut être apportée par témoignage ou présomption. Le mari pouvait facilement montrer qu'il habitait dans un autre logement en fournissant diverses factures ou abonnements, avant d'acquérir son propre appartement. La preuve de la fin de la collaboration est beaucoup plus délicate à établir. La raison n'en tient pas tant au moyen de preuve utilisable qu'à l'objet même de la preuve. Il est, en effet, bien difficile de dire ce qu'est la collaboration au sens de l'article 262-1. Le code civil n'en donne aucune définition et la jurisprudence, jusqu'à présent, n'a fait que statuer au cas par cas, en rejetant la plupart du temps la qualification de collaboration. C'est pour cette raison que la Cour de cassation a depuis longtemps établi une présomption : la cessation de la cohabitation fait présumer la cessation de la collaboration (3). Il est vrai que lorsque les époux sont séparés, il y a de fortes chances qu'ils ne participent plus à des projets communs. 6 - L'arrêt commenté s'inscrit parfaitement dans cette jurisprudence. La Cour de cassation ne rappelle pas le principe, mais celui-ci était invoqué par le pourvoi. Or, la Cour de cassation le rejette non pas à cause du principe lui-même, mais en raison de ce que, selon elle, un fait de collaboration avait été caractérisé par les juges du fond. Il résulte de l'économie d'ensemble de la décision que c'est bien ce fait qu'il fallait démontrer, ce qui montre que la cessation de la collaboration était présumée. La nouvelle rédaction de l'article 262-1 ne change en rien l'exigence relative à ces conditions (4). Il n'y a donc pas de raison pour que la jurisprudence soit modifiée sur ce point. D'ailleurs, la Cour de cassation a déjà eu l'occasion de le préciser dans un arrêt du 31 mars 2010 (5). Reste à savoir dans quels cas on peut admettre que la présomption est renversée. C'est justement sur cette question que l'arrêt innove. 7 - Selon la jurisprudence, c'est donc à l'époux qui s'oppose au report de la date des effets du divorce de démontrer le maintien de la collaboration postérieurement à la cessation de la cohabitation. La preuve de la collaboration postérieure ne conduit d'ailleurs pas à l'absence de tout report, mais la date retenue ne sera pas celle de la cessation de la cohabitation. En l'espèce, la collaboration invoquée consistait dans le fait que l'épouse s'était portée co-emprunteur du prêt souscrit pour l'amélioration et l'aménagement de l'appartement que l'époux venait d'acquérir. Par conséquent, dans la mesure où elle était postérieure à l'acquisition du bien, les effets du divorce ne pouvaient remonter jusqu'à la date de la cessation de la cohabitation et l'immeuble était commun. 8 - Toute la difficulté consiste à savoir en quoi consiste un fait de collaboration. La notion renvoie sans doute aux aspects patrimoniaux de la vie des époux, la cessation de la cohabitation laissant peu de place à la poursuite d'une collaboration personnelle. On pourrait être tenté de considérer que, dès lors que les époux entretiennent une relation d'ordre patrimonial ou pécuniaire, il y a collaboration. En réalité, la première chambre civile, qui exerce un contrôle rigoureux sur l'appréciation des juges du fond, rejette généralement tous les éléments de cet ordre comme ne constituant pas des actes de collaboration. Ainsi de la 2

déclaration conjointe de revenus (6), du fait de se consentir une donation mutuelle au dernier vivant, de continuer à faire fonctionner un compte joint et de verser à l'épouse une somme mensuelle pour son entretien (7), ou encore du paiement de dettes communes (8). On peut comprendre ces décisions. Dans tous ces cas, les prétendus faits de collaboration ne sont souvent rien d'autre que les manifestations des obligations que le régime primaire ou le régime matrimonial imposent aux époux. Les époux, même séparés, doivent continuer à payer leurs dettes, celui qui a le plus de revenus doit verser une pension alimentaire à l'autre, le compte joint peut servir à payer les dépenses de la vie courante. Quant à la déclaration de revenus, le code général des impôts n'impose de déclaration séparée aux époux que dans certaines circonstances (art. 6). 9 - Dans l'arrêt commenté, la Cour de cassation indique justement, pour la première fois semble-t-il (9), une ligne directrice qui va dans le sens des propos qui précèdent. Selon elle, ce qui caractérise le maintien de la collaboration après la séparation, ce sont des «relations patrimoniales [...] résultant d'une volonté commune, allant au-delà des obligations découlant du mariage ou du régime matrimonial». Il en résulte donc bien que l'application normale du régime matrimonial ou la mise en oeuvre du régime primaire ne permettent pas de caractériser la collaboration. Celle-ci doit, au contraire, consister en un projet patrimonial voulu par les époux ensemble, ou par l'un d'eux mais avec la participation de l'autre, que les effets normaux du mariage ne leur imposent pas. C'est exactement le cas du financement d'un immeuble par un époux avec le concours de l'autre. On peut se demander, toutefois, si l'état d'esprit du conjoint peut avoir une influence sur la qualification : en l'espèce, le fait que l'épouse ait cru participer au financement d'un bien commun ou, au contraire, d'un bien personnel de l'époux peut-il avoir de l'importance? Ou bien faut-il s'arrêter uniquement au constat d'une opération exceptionnelle? Quoi qu'il en soit, il est vrai que, dans cette approche de la collaboration, on comprend mal pourquoi la donation mutuelle au dernier vivant n'est pas qualifiée d'acte de collaboration : elle est bien voulue par les époux et va bien au-delà des obligations découlant du mariage ou du régime matrimonial (10). 10 - Ce dernier exemple montre que la définition de la collaboration choisie par la Cour de cassation suscitera des difficultés de mise en oeuvre. Il n'en faut pas moins se féliciter de cette solution. D'une part, en effet, il était important que l'on sache s'il existait des cas de collaboration, ce dont on pouvait douter au regard de la jurisprudence antérieure de la première chambre civile (11). D'autre part, il n'était guère possible d'adopter une définition plus large, car il aurait alors été difficile d'envisager des cas où il n'y a pas collaboration postérieurement à la séparation, tant il est vrai que la séparation de fait laisse forcément des intérêts communs à liquider entre les époux. II - L'analyse de la clause alsacienne 11 - La clause de reprise des apports, appelée communément clause alsacienne en raison de la fréquence de son utilisation en Alsace, permet à chacun des époux, dans le cadre d'une communauté augmentée, de reprendre ses apports, c'est-à-dire les biens qui seraient normalement propres dans le régime de la communauté légale, en cas de divorce (12). L'analyse de cette clause a longtemps été discutée. La Cour de cassation a enfin tranché : il ne s'agit pas d'un avantage matrimonial. 12 - L'enjeu est important. Sous l'empire du droit antérieur à la loi de 2004, les conséquences du divorce à l'égard des avantages matrimoniaux dépendaient de la répartition des torts entre les époux. Selon l'ancien article 267 du code civil, lorsque le divorce était prononcé aux torts exclusifs de l'un d'eux, celui-ci perdait de plein droit toutes les donations et tous les avantages matrimoniaux que son conjoint lui avait consentis, tandis que l'époux innocent les conservait. C'est pour cette raison que le mari cherchait à qualifier la clause alsacienne d'avantage matrimonial, puisque le divorce avait été prononcé aux torts exclusifs de l'épouse. Que la clause ne soit pas un avantage matrimonial permettait d'écarter cette sanction sévère. 13 - Un avantage matrimonial est un avantage qui profite à l'un ou à l'autre des époux par le 3

jeu d'une modification du régime de la communauté légale (13). Il est vrai qu'on peut rencontrer des avantages matrimoniaux dans d'autres régimes, comme la participation aux acquêts, mais ils sont plus rares. L'article 1527 du code civil précise qu'ils ne sont pas regardés comme des donations (14). 14 - La clause de reprise des apports accompagne très souvent une communauté universelle. En effet, par application de celle-ci, les biens qui normalement seraient propres dans le régime légal font partie de la communauté. Or, s'il est vrai que chaque époux peut avoir voulu consentir cet avantage à l'autre pour le cas où ce dernier lui survivrait, il n'en va pas de même si le mariage se solde par un divorce. La clause permet de liquider le régime comme une communauté légale et non comme une communauté universelle. Elle a parfois été présentée comme portant atteinte au principe d'immutabilité des régimes matrimoniaux. Toutefois, on pouvait facilement rétorquer que la clause prend effet à un moment, la dissolution, où la communauté n'existe plus et donc où le principe n'a plus lieu de s'appliquer, étant précisé qu'elle ne doit produire évidemment aucun effet rétroactif (15). La jurisprudence en a d'ailleurs reconnu la validité (16). 15 - En l'espèce, la question qui se posait portait non pas sur la validité de la clause, mais sur son sort en cas de divorce. En effet, l'épouse avait reçu par donation un bien en indivision qui, en vertu du régime conventionnel choisi par les époux, était tombé dans la communauté. Toutefois, si le régime applicable avait été la communauté légale, le bien serait resté propre. Il s'agissait donc d'un apport qui, en application de la clause alsacienne, pouvait faire l'objet d'une reprise en cas de divorce. Pour s'y opposer, le mari faisait valoir que la clause s'analysait en un avantage matrimonial ; l'épouse devait donc en être privée puisque le divorce avait été prononcé à ses torts exclusifs. Le raisonnement consistait sans doute à considérer que la clause permet à l'époux bénéficiaire de prélever, avant partage, un bien qui devait normalement être compris dans ce partage, ce qui lui conférait donc un avantage. 16 - La Cour de cassation rejette ce raisonnement en décidant que la clause ne confère aux époux aucun avantage. Pour comprendre cette solution, il faut se reporter à la définition de l'avantage matrimonial déjà vue : celui-ci s'identifie par rapport au fonctionnement normal de la communauté légale, et non par rapport au fonctionnement de l'aménagement apporté par les époux à celle-ci. La communauté universelle est, en effet, en soi un avantage matrimonial. La mise en oeuvre de la clause alsacienne conduit à faire en sorte que certains biens communs, les apports, soient traités comme des propres au moment de la liquidation. Il s'agit donc de paralyser l'avantage matrimonial que ces apports constituent. La clause alsacienne apparaît ainsi comme étant tout le contraire d'un avantage matrimonial! Il convient, cependant, de préciser que l'anéantissement de cet avantage matrimonial n'est pas total : le régime de communauté universelle est un avantage qui produit ses effets en deux temps, d'abord pendant la communauté puisqu'il fait entrer, dès cette période, les apports dans la communauté, puis au moment de la liquidation et du partage, ces apports faisant partie de la masse partageable, ce qui profite normalement au conjoint. Avec la mise en oeuvre de la clause, seul cet aspect de l'avantage est remis en cause puisqu'elle ne produit pas d'effet rétroactif. 17 - Il resterait à analyser positivement la clause alsacienne : si ce n'est pas un avantage matrimonial, qu'est-ce que c'est? La réponse n'a guère d'importance, car elle n'aurait que peu d'incidence. On peut cependant préciser qu'il ne s'agit certainement pas non plus d'une libéralité, sinon le divorce aurait eu pour conséquence de l'anéantir. On la qualifie parfois de clause de liquidation alternative, mais cette qualification est seulement descriptive. Il faut, sans doute, la prendre seulement pour ce qu'elle est : un instrument empêchant la mise en oeuvre d'un avantage matrimonial. 18 - Avec la loi du 26 mai 2004, les conséquences du divorce sur les donations et les avantages matrimoniaux ont été profondément modifiées (17). Selon le nouvel article 265 du code civil, le divorce est sans incidence sur les donations de biens présents et les avantages matrimoniaux qui prennent effet au cours du mariage. A l'inverse, il emporte révocation de plein droit des dispositions à cause de mort et des avantages matrimoniaux qui 4

ne prennent effet qu'à la dissolution du régime matrimonial ou au décès de l'un des époux. La communauté universelle est certainement un avantage matrimonial qui prend effet au cours du mariage. Elle n'est donc pas révoquée par le divorce. En revanche, il a parfois été relevé que la clause alsacienne, constituant un avantage matrimonial, devrait être révoquée de plein droit comme prenant effet à la dissolution du régime matrimonial (18). L'arrêt commenté donne tort à cette analyse. Puisque la clause alsacienne ne constitue pas un avantage matrimonial, l'article 265 ne lui est pas applicable. D'ailleurs, sans attendre que la Cour de cassation se prononce sur cette question, le législateur a déjà eu l'occasion de trancher en faveur du maintien de la clause. En effet, la loi du 23 juin 2006 a ajouté un alinéa à l'article 265 : «Toutefois, si le contrat de mariage le prévoit, les époux pourront toujours reprendre les biens qu'ils auront apportés à la communauté» (19). C'est bien la clause alsacienne qui est ainsi visée : ce texte en consacre tout à la fois la validité et l'efficacité. L'arrêt n'apporte donc pas grand-chose sur le plan pratique. Il reste que la solution retenue évitera la tentation de soumettre la clause alsacienne à l'autre texte important applicable aux avantages matrimoniaux, l'article 1527 du code civil : elle ne saurait être soumise à l'action en retranchement dont bénéficient les enfants non communs de l'un des époux. La liberté contractuelle l'emporte ainsi une fois encore sur un ordre public familial toujours plus en retrait. Mots clés : DIVORCE * Effet * Cohabitation * Cessation * Collaboration * Preuve COMMUNAUTE ENTRE EPOUX * Communauté universelle * Clause de reprise des apports * Divorce * Qualification * Avantage matrimonial (1) D. 2010. 2836 ; AJ fam. 2011. 55, obs. P. Hilt. (2) La date de l'assignation avant la loi de 2004, celle de l'ordonnance de non-conciliation depuis. (3) V., p. ex., Civ. 2 e, 5 juill. 2001, n 99-19.183, Dr. fam. 2001, n 109, note H. Lécuyer ; Defrénois 2002. 185, obs. J. Massip ; Civ. 1 re, 28 févr. 2006, n 04-13.603, AJ fam. 2007. 35, obs. S. David ; 14 mars 2006, n 05-14.476, D. 2006. 1249 ; AJ fam. 2007. 35, obs. S. David ; RTD civ. 2006. 546, obs. J. Hauser ; Dr. fam. 2006, n 145, note V. Larribau-Terneyre. (4) En revanche, la loi de 2004 a supprimé la condition liée à l'absence de torts dans la séparation. (5) N 08-20.729, D. 2010. 962 ; AJ fam. 2010. 276, obs. S. David ; RTD civ. 2010. 313, obs. J. Hauser ; Dr. fam. 2010, n 74, note V. Larribau-Terneyre. (6) Civ. 1 re, 28 févr. 2006, préc. ; 17 mars 2010, n 09-11.884. (7) Civ. 1 re, 14 mars 2006, préc. (8) Civ. 1 re, 14 mars 2006, n 05-15.613. (9) Comp., toutefois, Civ. 1 re, 28 févr. 1978, n 76-13.935, Bull. civ. I, n 79. (10) V., de même, le rejet de la collaboration pour un époux qui s'était porté caution solidaire des dettes de loyers de son épouse : Civ. 1 re, 14 nov. 2006, n 05-21.013, Bull. civ. I, n 475 ; D. 2007. 2126, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel ; AJ fam. 2007. 35, obs. S. David ; RTD civ. 2007. 96, obs. J. Hauser. (11) V. quelques rares décisions non publiées qui ont retenu la collaboration : Civ. 1 re, 3 nov. 5

2004, n 03-16.918 ; 30 sept. 2009, n 08-17.569. (12) P. Simler, La validité de la clause de liquidation alternative de la communauté universelle menacée par le nouvel art. 265 du code civil, JCP N 2005, n 1264. (13) A. Tisserand-Martin, Réflexions autour de la notion d'avantage matrimonial, in Mélanges Béguin, Litec, 2005, p. 753. (14) J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, 2 e éd., Armand Colin, 2001, n 718 s. (15) P. Simler, art. préc. (16) Colmar, 16 mai 1990, RTD civ. 1992. 171, obs. F. Lucet et B. Vareille ; Defrénois 1990. 1361, obs. G. Champenois ; JCP N 1991. II. 17, note P. Simler ; Civ. 1 re, 16 juin 1992, Bull. civ. I, n 181 ; D. 1993. 220, obs. M. Grimaldi, et 1994. 34, chron. M.-F. Salle ; RTD civ. 1993. 187, obs. F. Lucet et B. Vareille ; JCP 1993. II. 22108, note P. Simler ; Defrénois 1993. 34, note M.-C. Forgeard. (17) F. Sauvage, Des conséquences du divorce sur les libéralités entre époux et les avantages matrimoniaux, Defrénois 2004. 1425. (18) J. Vassaux, Les incidences de la réforme du divorce sur le rôle du notaire, Dr. et patr. févr. 2005. 26. Plus nuancé, V. F. Sauvage, art. préc., n 22. V., égal., Civ. 1 re, 17 janv. 2006, n 02-18.794, appliquant le droit antérieur. (19) S. Valory, Les mesures postérieures à la réforme de 2004 sur les donations entre époux et les avantages matrimoniaux, Dr. et patr. nov. 2007. 62. Recueil Dalloz Editions Dalloz 2012 6