Mercredi 13 novembre, Atelier 4 : Travaux de recherche sur les transformations de la culture philanthropique Résumés des conférences De la charité au philanthrocapitalisme? Cinq clefs de lecture socio-politique de la de philanthropie philanthropie financière financière contemporaine. contemporaine. Sylvain Lefèvre, ESG-UQAM Mobiliser des ressources privées pour résoudre des problèmes publics n'est pas un phénomène nouveau. Néanmoins, au Québec comme sur le reste de la planète, le paysage philanthropique est en pleine mutation, que ce soit par le poids croissant des fondations dans le financement des initiatives associatives ou des politiques publiques, ou par le renouvellement des dispositifs de sollicitation de la générosité des particuliers. Certains diagnostiquent même l avènement d un nouvel âge de la philanthropie, où les savoir-faire et ressources de l entreprise privée seraient mis au service de la bienfaisance. La génération des entrepreneurs ayant fait fortune dans les années 1980 dans le secteur de la finance ou des technologies de l information et de la communication, et qui ont ensuite créé de vastes fondations, est associée à ce «philanthrocapitalisme». Tranchant avec le vocable traditionnel de la charité, lié au désintéressement et au don, on y parle d approches scientifiques, mais aussi de «retour sur investissement social» et de «capital-risque philanthropique». Créée en 2000 par
le PDG de Microsoft, la Fondation Bill et Melinda Gates est la figure de proue de cette alliance entre initiatives entrepreneuriales et philanthropie. Particulièrement présente dans le secteur de la santé et notamment autour des questions de vaccination, elle a distribué en 2011 3,4 milliards de dollars, soit davantage que l Organisation Mondiale de la Santé. Différence notable : elle n est dirigée que par quatre personnes, dont trois de la famille Gates. La focalisation sur l importance des ressources et la transformation du vocable conduit à surévaluer la nouveauté du phénomène et à entériner l hypothèse d une rupture entre le passé (la charité) et le présent (le philanthrocapitalisme). Notre communication vise au contraire à récuser cette opposition, notamment en suggérant des rapprochements entre la philanthropie financière actuelle et celle qui s est développée au début du siècle, dans le sillage de la révolution industrielle et des «barons voleurs» (Rockefeller, Ford, Carnegie, Sage). Plus exactement, il s agit de présenter cinq clefs de lecture sociopolitique, autour de problématiques structurant le paysage philanthropique, hier comme aujourd hui. La première clef est l alliance entre des entrepreneurs à succès et des experts qui promeuvent la science pour aller à la racine des problèmes sociaux. La seconde clef est le rapport entre richesse et inégalités sociales, avec le paradoxe structurel d une philanthropie de grandes fortunes qui souhaite changer une situation sociale dont elle est à la fois le symptôme, le produit et le moteur. La troisième clef est le débat sur la contribution au bien commun, entre délégitimation de l impôt et légitimation de la philanthropie. La quatrième clef est le lien complexe entre philanthropie de grandes fortunes et philanthropie de masse, faite de petits dons, d action collective et de bénévolat. Enfin la cinquième clef de lecture porte sur la relation de l État à la philanthropie, entre stimulation, encadrement et instrumentalisation. Substituer ces cinq clefs de lecture à l hypothèse de la rupture (charité/philanthrocapitalisme) permet de cerner les éléments de continuité, mais aussi les défis inédits de la philanthropie financière dans la configuration socio-politique actuelle.
Le bénévolat aujourd hui Andrée Fortin, département de sociologie, Université Laval Éric Gagnon, Centre de santé et de services sociaux de la Vieille-Capitale Ce qui caractérise aujourd hui le bénévolat, c est la dynamique institution/subjectivation et la place importante qu y prend l identité des bénévoles. 1- La dynamique institution/identités Un secteur bénévole s est mis en place au fil des ans et s est institutionnalisé en tant que tel dans le dernier tiers du 20 e siècle. Des organisations et des discours encadrent et légitiment les pratiques des bénévoles, et façonnent leur expérience. Plutôt que de s opposer, subjectivité et institution vont de pair, la seconde favorisant l approfondissement et l expression de la première. Par exemple, l expérience d accompagnement forme de bénévolat où la part de la subjectivité est la plus grande se construit à l intérieur d une organisation, d un cadre, de relations et d échanges normés ; l organisation fournit un discours et des mots, des objectifs et des moyens, des règles et des limites qui en favorisent le développement et l expression. L idée que le bénévolat procure une forme d expérience particulière, qu il est l occasion d un apprentissage, mais aussi d une croissance personnelle ou de relations authentiques, est étroitement liée à son institutionnalisation. 2- L identité des bénévoles Plus généralement, le récit de leur engagement révèle non seulement la place que cet engagement occupe dans la vie des bénévoles et la signification qu ils lui donnent, mais leur identité : ce que la personne a été, entend demeurer ou aspire à devenir, ce qu elle est à travers ses intentions, ce à quoi elle tient, ce par quoi elle se reconnaît. Les récits que les bénévoles font de leur histoire personnelle et la place que le bénévolat occupe ou a occupé dans leur parcours s articulent ainsi autour de deux grands axes, celui de la rupture et de la continuité, et celui de leur singularité (différence/altérité) et de ce qu ils ont en commun avec les autres (ressemblance/similarité). Ces deux grands axes sont ceux autour desquels se construit l identité d un individu : le premier est la permanence dans le temps, ce qui change et ce qui demeure malgré les changements ; le second est
ce qui le rend semblable à d autres (ses groupes d appartenance) et ce qui le singularise. Le croisement de ces axes permet de dégager quatre types de rapport à l engagement bénévole ou quatre manières dont le bénévolat s inscrit dans l identité des personnes. Loin de s opposer, intérêts personnels et intérêts pour les autres, souci de soi et souci de l autre, sont étroitement liés et solidaires. C est par sa participation au groupe que l individu reconnaît son identité et obtient la confirmation de la valeur de ce qu il fait ; c est sur un horizon de sens commun que son individualité est reconnue ; c est par l attention à l autre, proche ou lointain, qu il a le sentiment d être à la hauteur de ses responsabilités et de s accomplir. Pas de singularité sans un groupe, pas de différence sans identité. Le bénévolat semble favoriser la réalisation de cette dialectique. Tendances et dynamiques récentes des pratiques philanthropiques Yvan Comeau, professeur titulaire, Université Laval Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique Au cours des dernières années, l équipe de la Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique a mené des enquêtes statistiques sur les fondations caritatives canadiennes, les réseaux d échange de proximité et l engagement citoyen des élus municipaux. Elle a également réalisé des études de cas sur certaines fondations et sur des initiatives de logement social. De même, elle a procédé à des recensions d écrits sur le capital social et sur l engagement social des jeunes. Ces divers travaux ont permis de constituer un fonds documentaire. Cette présentation donne l occasion au titulaire de la Chaire de faire le point sur ces travaux. À partir des informations recueillies, des analyses réalisées et des conclusions propres à chacune de ces études, il est possible de dégager un certain nombre de constats sur les tendances qui ont marqué le bénévolat, l engagement citoyen et la philanthropie financière, au Québec, depuis une quinzaine d années. Notre hypothèse générale suggère que malgré leur singularité, les différentes pratiques connaissent des influences similaires et empruntent des trajectoires communes.
Il y aurait sans doute différentes façons de nommer ces évolutions, mais nous en retenons cinq. Chacune de ces tendances est documentée et appuyée par des faits et des observations issus de nos recherches. De cette manière, on verra, premièrement, que les données originales recueillies par la Chaire confirment les constats faits dans d autres recherches à savoir que les personnes favorisées par différents types de capitaux social, culturel et financier sont les plus engagées en faveur de leurs semblables. En revanche, la participation sociale des personnes défavorisées représente un défi et doit être explorée plus à fond. Deuxièmement, tout indique que des pratiques d entraide jadis spontanées et informelles deviennent formalisées dans des organisations qui prennent en quelque sorte le relais de certaines institutions telles que la famille et le voisinage. Plusieurs exemples viendront illustrer cette analyse. Troisièmement, on observe plusieurs innovations dans les formes que prend le don, tout comme la continuité, voire l intensification de certaines pratiques, dont la philanthropie financière. Considérant les changements qui affectent non seulement la famille, mais aussi l État, nous verrons que les traditions et les trouvailles philanthropiques participent elles aussi aux objectifs de protection et de maintien du tissu social ainsi qu aux aspirations de reconnaissance et de changement social. Quatrièmement, le développement des connaissances scientifiques et techniques exerce une influence considérable sur toute la société. La présentation d exemples permettra de constater que l information au sens large agit de différentes manières sur la culture philanthropique. Enfin, l exposé mettra en lien des faits observés et les processus connus et documentés qui suscitent l engagement social des personnes. Ce sera alors l occasion de rappeler quelques principes bien établis pour intervenir en faveur d un tel engagement.
Don de soi ou don pour soi? Jacques T. Godbout, professeur émérite, INRS Il n y a pas si longtemps, il était courant de considérer le don comme dépassé. Le marché et l État ont été deux formes dominantes de circulation des choses au XX e siècle. Souvent arrogantes, ces deux institutions ont voulu remplacer le don, chacune à leur époque. Aujourd hui, le don est de nouveau valorisé. Et les excès du modèle marchand, l appât du gain, la cupidité (greed) sont de plus en plus condamnés de toutes parts même si cela ne semble pas beaucoup affecter ceux qui en profitent le plus. «Le don a la cote», titrait récemment la revue Commerce. De quoi s agit-il? Est-ce le même don? Prend-il des formes différentes? Traditionnellement, le don est défini comme nécessairement gratuit au sens de sans retour. Est-ce bien vrai? Pourquoi donne-t-on? Et si c était, au fond, pour recevoir ; si, finalement, le «vrai» don n existait pas? Une première évidence saute aux yeux : le don n est plus pensé comme un sacrifice. Le don peut faire plaisir, et ce, sans gêner personne. En outre, est-ce suffisant de parler de ceux qui donnent seulement? A-t-on fait le tour du phénomène du don? Qu en est-il de ceux qui reçoivent les dons? Osons poser la question : le don est-il toujours positif? Que répondre par exemple aux Africains qui viennent nous dire : Trade not aid! Quel manque de reconnaissance! Quelle ingratitude! Nous aborderons ces questions d abord en se penchant sur le phénomène du don comme une des façons de faire circuler les choses. Qu est-ce qui la distingue? Le don est une façon de faire circuler les choses entre nous qui se caractérise par la liberté par rapport au contrat. Le don laisse une trace là où il passe. C est pourquoi il est essentiel dans toute société. Nous soumettrons que le don est un système de dettes qui affecte l identité des partenaires. Après avoir explicité cette idée, nous l appliquerons à la philanthropie.
Finalement, on se posera la question : outre l appât du gain, se pourrait-il qu il existe aussi ce qu on pourrait appeler un appât du don chez les humains? Le self interest constitue de toute évidence un moteur important de l action humaine. Mais il n est pas le seul. L homo donator constitue une force sociale élémentaire et un moteur important de l action humaine. Sur quoi se fonderait-il? Le don est une relation fondée sur la confiance. L homo donator ne se voit pas comme origine, comme source, mais comme un être en dette, comme un receveur qui donne à son tour. Donner, c est faire l expérience d être dépassé par ce qui passe par nous. Notons que cette expérience n est pas centrée sur le fait de donner, mais sur le fait que nous recevons et nous faisons passer. C est une expérience anti-individualiste. Elle exprime le fait que fondamentalement, notre identité d être humain se construit dans la mesure où nous rendons actifs ce que nous avons reçu en donnant à notre tour.