ACTES DES COMMUNICATIONS ORALES ET AFFICHÉES



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Transcription:

Colloque International de Didactique Cognitive Toulouse les 26, 27 et 28 janvier 2005 ACTES DES COMMUNICATIONS ORALES ET AFFICHÉES Université de Toulouse II - Le Mirail organisé par le Laboratoire Jacques Lordat Centre Interdisciplinaire des Sciences du Langage et de la Cognition Université de Toulouse II - Le Mirail, Maison de la Recherche 5, allées Antonio-Machado F-31058 Toulouse Cedex 1 France Téléphone : +33 5 61 50 46 72, Télécopie : +33 5 61 50 49 18 http://acoustic31.univ-tlse2.fr/lordat/ Actes édités par Michel Billières, Pascal Gaillard et Nathalie Spanghero-Gaillard

Ce volume présente la compilation des actes des communications orales et affichées du colloque de didactique cognitive organisé à Toulouse, les 26, 27 et 28 janvier 2005, à la Maison de la Recherche de lʼuniversité de Tolouse II - Le Mirail. Colloque International de Didactique Cognitive, Toulouse - France 26, 27 et 28 janvier 2005 Comité scientifique Luc Colles (Louvain, Belgique) Claudine Garcia-Debanc (Toulouse, France) Michel Grandaty (Toulouse, France) Karin Kleppin (Leipzig, Allemagne) Julio Murillo Puyal (Barcelone, Espagne) Jean-Luc Nespoulous (Toulouse, France) Rémy Porquier (Paris, France) Henri Portine (Bordeaux, France) Horst Raabe (Bochum, Allemagne) André Tricot (Toulouse, France) Bertrand Troadec (Toulouse, France) Comité dʼorganisation Michel Billières Nathalie Spanghero-Gaillard André Borrell Michèle Bourdeau Angelika Rieussec Actes édités par Michel Billières, Pascal Gaillard et Nathalie Spanghero-Gaillard SYMPOSIUM La lecture au primaire en langue première et seconde: études canadiennes relatives à la prédiction, à lʼintervention et au développement organisé par Monique Bournot-Trites, Ph.D, Professeure Département of Language and Literacy Education Université de Colombie Britannique, Faculty of Education - Vancouver, Canada Fait à Toulouse, décembre 2004

1 Actes de didcog 2005 - Toulouse Difficultés et stratégies palliatives dans l enseignement-apprentissage aux Enfants Nouvellement Arrivés Nathalie Auger Maître de conférences en sciences du langage Montpellier III, Université Paul-Valéy Route de Mende, 34090 Montpellier Cédex 5 Nathalie.Auger@univ-montp3.fr Les Enfants nouvellement arrivés (ENA) sont de fait aux prises avec une double difficulté : l apprentissage d une langue nouvelle tout d abord, avec l ensemble des processus cognitifs qu un tel apprentissage implique : phase de mémorisation, de compréhension et de production de discours oraux ou scripturaux mais également aux prises avec l apprentissage de cette langue en tant qu outil d apprentissage, permettant alors la réflexion. On peut donc se demander comment ces élèves peuvent parvenir à ce double objectif, quels sont les processus déterminants à l œuvre et enfin quelles sont les dimensions cognitives et les éléments qui pourraient donc être développés à titre de stratégies. De l autre côté de l acte pédagogique, il est intéressant, avant même d observer des pratiques de classe, de comprendre quels sont les processus représentationnels des enseignants pour éclairer la raison d être de leurs stratégies d enseignement. 1. Spécificités des processus et stratégies d apprentissage des ENA Le cadre européen commun de référence pour les langues (2004 : 108), document pionnier en matière d enseignement-apprentissage des langues, exprime bien le fait qu à l heure actuelle, il n y a pas de consensus fondé sur une recherche assez solide en ce qui concerne la question comment les apprenants apprennent-ils? pour que le cadre de référence lui-même se fonde sur une quelconque théorie de l apprentissage. Cependant, des types de processus cognitifs ont été mis au jour comme les processus de mémorisation (visuel, auditif, kinésique), des processus de saisi ou de réemploi. Dans le cas des ENA, ces processus et les activités de classes qui permettent de les activer sont tout à fait compatibles. Plus pertinent pour notre public est la classification des stratégies proposée par O Malley et Charmot (1990) qui distinguent les processus métacognitifs, cognitifs et socio-affectives. Les processus métacognitifs impliquent une réflexion sur le processus d apprentissage, un savoir-apprendre. Bien évidemment, un enfant déjà scolarisé sera plus avantagé car il peut réactiver certaines de ses stratégies d apprentissage (anticiper, planifier, identifier etc.). De même pour les processus cognitifs qui renvoient aux interactions avec la matière d étude, visibles dans la manipulation mentale de cette matière aux différents stades que nous avons déjà décrits (saisie, mémorisation, réemploi) qui peuvent être actualisés dans différents type de tâche (prises de notes, traduction, comparaison etc.). Le dernier type de stratégies, déjà identifié dans les années 70 par Rubin ou Stein, est la dimension socio-affective. Bien que catégorisée comme faisant partie des processus émotionnels, ceux-ci sont bien d ordre cognitifs puisque ce sont les représentations que nous avons des événements, des situations, qui induisent une réaction (coopération, vérification, clarification etc.). Le tout dépendant de la relation à l altérité, à la nouveauté, à la tâche. 1.1. De l importance de la prise en compte de la dimension socio-affective Dans le cas des ENA, ce processus socio-affectif semble prépondérant. Ces enfants arrivent le plus souvent dans une situation de grande détresse, sans l avoir choisi (voir N. Auger 2004). On pressent donc combien cette dimension socio-affective aidera ou non l activation des autres processus. On ne saurait trop rappeler le fait que la subjectivité, la motivation sont des

2 Actes de didcog 2005 - Toulouse moteurs nécessaires aux processus cognitifs et métacognitifs. Ainsi, pour G. Vigner (2001 : 15) les facteurs proprement didactiques ne sauraient suffire à expliquer la réussite d un apprentissage. Ceux liés à la motivation de l élève, à son attitude, interviennent de façon tout aussi déterminante. Au départ, l enfant entre dans une langue qui lui est imposée par l institution, la société, la famille. L ensemble des études sur la question de la motivation (P. Boggards, A. Coïaniz) montre que cette posture permet à l apprenant d être actif, condition nécessaire pour l apprentissage. Parmi ces facteurs affectifs dont rend compte le cadre européen commun de référence pour les langues (2004 : 123-124) la confiance en soi : une image positive de soi est essentiel. Par ailleurs, il faut tenir compte du fait que le degré d inhibition peut dépendre de la situation donnée ou de la tâche. Ainsi, la situation générale des ENA engendre la plupart du temps des facteurs d inhibition. Il conviendra dans les tâches qu ils auront à accomplir de favoriser, au contraire, l extraversion. Un autre facteur corollaire est celui de l âge de l apprenant. G. Vigner (2001 : 16) souligne qu à l école primaire, l apprentissage est placé sous la dépendance de facteurs à la fois cognitifs et devéloppementaux. Adolescent, l élève émergence à la conscience, à la personne sociale. Ainsi, au collège, les facteurs d ordre socio-culturel semblent l emporter, c est-à-dire ceux liés à l image de la langue que se font les élèves (valorisées dans certains milieux, dénigrées dans d autres), ainsi qu à la signification que peut revêtir son apprentissage. La question de la représentation identitaire est cruciale pour les collégiens, et l est donc doublement pour les ENA adolescents. Maintenant, il convient de faire quelques rappels quant à l apprentissage d une langue seconde qui donne la capacité à dire le monde par une autre catégorie de signes, par une autre syntaxe, ceux de la langue seconde, G. Vigner (2001 : 15). 1.2. Particularités liées à l apprentissage d une langue seconde Mettons que la dimension socio-affective soit suffisamment solide pour permettre l apprentissage d une nouvelle langue. Du point de vue cognitif, l apprentissage, s il s agit de la constitution d un futur bilinguisme composé, activera deux aires du cerveau bien distinctes à l inverse du bilinguisme coordonné qui s actualise en relation de proximité dans le cerveau. L interlangue, cet état de compétences transitoires non aléatoires, se constitue en référence à la fois à la / aux langues maternelles ou connues et à la langue cible. Au plan des structures, comme aux plans lexical, phonologique et même non-verbaux. Les phénomènes de surgénéralisation, de transfert, de néologismes etc. sont la règle, puisque l apprenant s appuie sur des formes connues pour aller vers la nouvelle langue-culture à atteindre. Ce système est instable, dépendante de la ou des langues connues, du temps passé à l apprentissage et de la scolarisation préalable dans la langue maternelle. En effet, quand l apprenant a conscience que la langue est un système (Rubin, Stein), il manipule plus aisément et surtout consciemment la nouvelle langue. Cependant, les aptitudes cognitives sont également variables d un apprenant à l autre. Il n existe aucun déterminisme. L absence de scolarisation n est pas forcément facteur d échec. Il s agit davantage de comprendre, d un point de vue cognitif, les aptitudes de chacun à induire ou à déduire qui permettent la compréhension des phénomènes langagiers. Ainsi, un apprenant non scolarisé a une plus grande acuité à l induction (du corpus d exemples à la règle, comme dans le cas de l acquisition de la langue maternelle) alors que l apprenant scolarisé à plus d habitudes en matière de déduction (des règles à la production d exemples). A l enseignant de prendre conscience de cela pour amener la découverte et la systématisation des éléments langagiers de manière plus ou moins déductive ou inductive. Outre ces stratégies, certaines opérations cognitives et langagières sont nécessaire pour la structuration mentale de certaines activités où la langue est outil d apprentissage, ce qui est une des caractéristiques de la langue seconde au regard de l apprentissage de la langue

3 Actes de didcog 2005 - Toulouse étrangère. Ainsi, Jean-Louis Chiss (2001 : 65) donne l exemple de l expression d éléments comme la chronologie, la causalité, la spatialisation, l expression de la comparaison qui sont des opérations cognitives et langagières [qui] seront systématiquement mises en oeuvre à un dégré ou un autre de l ensemble des disciplines scolaires. 2. Processus et stratégies d enseignement des enseignants Qu en est-il maintenant des enseignants? Quels sont les représentations qu ils ont de leurs tâches auprès des ENA? Quelles stratégies mettent-ils alors en place? Est-ce concomitant avec les observations que nous venons d effectuer? 2.1. Représentations de l enseignement-apprentissage aux ENA Martine Dreyfus (2004 : 54) explique très bien que de nombreuses études ont mis en évidence des phénomènes inconscients d expectation [qui] se transforment en effet d étiquetage ou de stéréotypes avec des conséquences sur les résultats scolaires, quel que soit le degré de diversité ou d hétérogénéité de la classe. Ainsi, les enseignants prodiguent, selon l appartenance ethnique des élèves, plus ou moins de conseils, de rétroactions. Ainsi, ce type de processus cognitif est primordial car la conception de la langue qu il a à enseigner, comme celle des langues d origine des élèves va avoir une influence de premier ordre sur les stratégies mises en place. Or il s avère que Gabrièle Varro (2003), travaillant dans le détail sur cette problématique, montre que l institution scolaire a encore aujourd hui une représentation négative du bilinguisme. Ce dernier étant reconnu en tant qu attribut de l élite. C est à dire que le bilinguisme est associé 1 aux enfants de milieux socioéconomiques favorisés mais dissocié de ceux de milieux défavorisés. G. Varro rappelle aussi que non seulement en France mais dans la plupart des États nations fondés sur des monolinguismes et monoculturalismes se voulant unificateurs, l idée du bilinguisme est souvent liée à celle du mélange des langues encore largement stigmatisée alors que nous venons de montrer que la constitution de l interlangue est inhérente à l apprentissage d une nouvelle langue. Malheureusement, la formation de ces enseignants est telle que l enseignement du français langue seconde s effectue comme celui de la langue maternelle, ce qui aboutit souvent à des stratégies inadéquates. 2.2. Dans la pratique : des stratégies inadéquates Un enfant nouvellement arrivé ne connaît pas forcément les rituels de la classe (j entends par rituel pratiques langagières et culturelles ), de la cour de récréation, de la cantine etc. Il a un fort besoin de socialisation et, dans les premiers temps, un maximum d outils dans ce domaine devrait lui être présenté (savoir-être) corrélés à des savoir-faire. Viendront ensuite les savoir-apprendre et les savoirs. Dans le cadre du français langue maternelle, l enfant est supposé avoir largement intégré les savoir-être du fait de la fréquentation de l école maternelle, s il va en primaire et du primaire, s il va au collège. L accent sera mis en priorité sur les savoirs et les savoir-faire. Tout se passe comme si, en français langue de scolarisation et en français langue maternelle, l ordre des besoins se trouvait inversé. Sans compter la question des savoir-apprendre qui posent énormément de question tant aux chercheurs qu aux praticiens, en témoigne le présent colloque. Les stratégies du français langue maternelle, sans compter les processus cognitifs représentationnels largement négatifs, ne vont donc pas rentrer en adéquation avec les besoins des apprenants. 3. Des stratégies possibles 3.1. Quelques exemples 1 En gras dans le texte original.

4 Actes de didcog 2005 - Toulouse La présente réflexion permet donc de dégager un certain nombre d aspects au coeur des enjeux de l enseignement-apprentissage aux ENA : rôle de la dimension socio-affective, des processus de constitution de l interlangue, des représentations. Sachant, comme l explicite le Cadre européen commun de référence (2004 : 123) que : la charge cognitive est réduite et le succès de l exécution d une tâche facilité par la plus ou moins grande familiarité de l apprenant avec -le type de tâche et les opérations à effectuer-le sujet ou le thème -le type de texte, le genre -le schéma interactionnel -la connaissance nécessaire du contexte et de l arrière plan -le savoir socio-culturel pertinent. On se rend bien compte que si l apprenant n a jamais été scolarisé auparavant, le schéma interactionnel va être primordial. Pour se faire, des activités appelées comparons nos langues (N. Auger : à paraître sous la forme d un DVD) ont été mises en œuvres dans des classes d ENA. L objectif est de travailler sur cette interlangue en construction en comparant des phénomènes langagiers variés (sons, gestes, actes de parole etc.) d une langue à l autre dans la classe. L enseignement comprend alors comment se constitue le français que l élève apprend et l apprenant se déculpabilise quant aux erreurs d interférence qu il peut commettre. On peut ainsi jouer sur les représentations cognitives de l apprentissage des uns et des autres. L enfant, lui, se trouve valorisé par la prise en compte de sa langue sans que celle-ci devienne pour autant un objectif d apprentissage. Par ailleurs, ce type d activité mène l enfant à une réflexion cognitive de type méta puisqu il s agit de réfléchir sur la langue en tant que système qui s actualise de différentes manières selon les langues mais aussi selon les situations sociales. Nous avons vu que les pratiques en français langue maternelle travaillent explicitement sur ce niveau méta. Les activités de comparaison rejoignent donc les exercices canoniques du FLM. Les élèves plus proprement déductifs pourront partir des règles qu ils connaissent dans la langue maternelle et/ou étrangère et les élèves inductifs de leurs expériences de locuteur, se remémorant les pratiques, en situation. Pour les élèves les plus en difficultés, prononcer un énoncé dans la langue maternelle, reconnue, même si non connue de l enseignant les encourage du point de vue socio-affectif. Ils ne partent pas de rien, ne sont pas vierges de tout savoir : ce qui joue aussi sur les représentations parfois négatives qu ont les enseignants de leur public. Ces activités suivent les propositions de Jean-Louis Chiss, en proposant le travail sur des opérations à la fois cognitives et langagières ( expression de l espace, du temps etc. ). Ces activités se font dans la co-construction, entre enseignants et élèves, et entre élèves entre eux. Au cours du tournage de cette expérience, on remarque les efforts cognitifs des élèves, mais aussi de l enseignant, pour élaborer ensemble une compréhension des différents systèmes en classe. G. Vigner (2001 : 99) remarque que, lors de l acquisition d une langue seconde, on passe petit à petit de la notion au concept. Ce type d activité semble favoriser ce passage même si les résultats ne sont pour le moment que qualitatif et non quantitatif. Il faudrait pour cela suivre une cohorte d élèves, ce qui n a pas été possible pour le moment. G. Vigner souligne aussi le manque de proaction chez les élèves, ce qui signifie qu ils ont des difficultés à planifier, structurer et anticiper leur apprentissage. C est évidemment le cas si les enfants n ont pas ou peu été scolarisé mais c est le cas aussi pour la simple raison que dans leur vie actuelle, ces notions sont souvent flous : le projet migratoire des parents n est pas toujours stable pour diverses raisons. Ce type d activités peut jouer à ces différents niveaux : planification et anticipation de la compréhension, non pas de chaque erreur, mais des erreurs en général, générer par des intérférences ou des surgénéralisations de règle connue dans la langue à atteindre. La phase de structuration s effectue, quant à elle, au cours de l élaboration des comparaisons : prises de conscience du système cible mais aussi du ou des système(s) de

5 Actes de didcog 2005 - Toulouse référence. La proaction évite la réaction non seulement des élèves mais aussi de l enseignant. Réaction à l incompréhension d erreurs récurrentes, à une non anticipation des difficultés de l élève. Ainsi, un enseignant, sans pour autant être linguiste, va vite entendre que si les phonèmes [e] est toujours, ou presque toujours, remplacé par un [i] dans les productions orales de l élève, c est bien que ce phonème, comme en arabe par exemple, n existe pas dans le système de l élève et que des activités pour développer ce phonème sont nécessaire. Par contre, il convient de s appuyer également sur les points communs pour rassurer l élève (mais aussi l enseignant) ce qui a des effets positifs sur la dimension psycho-affective. 3.2. La représentation : un processus cognitif qui engendre des pratiques spécifiques d enseignement-apprentissage En général, dans l étude des processus cognitifs, je trouve que nous n insistons pas assez sur un type particulier de processus : celui des représentations. En sociolinguistique, nous étudions la tension qui existe entre les représentations, qui jouent sur les usages, donc sur les pratiques même, et les usages sur les représentations. Le processus de représentation, qui nous permet, rappelons-le, d appréhender la réalité au travers d un prisme subjectif conditionne les apprentissages et joue sur les autres processus cognitifs : saisie, mémorisation et réemploi. Il me semble donc être au cœur des enjeux pour une étude des phénomènes cognitifs. Bibliographie : Auger N., 2003, Interactions verbales : langage et métalangage d'une socialisation culturelle in actes du Colloque La didactique des langues face aux cultures linguistiques et éducatives (Université Paris III, du 12 au 14 décembre 2002), 15 pages, en ligne sur www.margeslinguistiques.fr. Auger N., 2004, La discussion comme moyen de construire et se construire pour des Enfants Nouvellement Arrivés in La discussion, colloque du CERFEE, université Montpellier III, IUFM Montpellier, juin 2003, 12 pages CD-ROM. Auger N., (à paraître), Des malentendus constructifs en didactique des langues-cultures in Colloque International de la Faculté des Lettres de Sousse (Tunisie), Le malentendu, du 15 au 17 avril 2004. Auger N., (à paraître) L accueil et la scolarisation des enfants nouvellement arrivés en France in Francophonie, minorités et pédagogie, Dalley, P. et S. Roy (dir), Ottawa, Les Presses de l'université d'ottawa. Boogards, Paul, 1988, Aptitude et affectivité dans l apprentissage des langue, Hatier, coll. LAL. Chiss, Jean-Louis, Bertrand, Denis, Marcus, Catherine, Vigner, Gérard, 2001, Le français langue seconde présentation du document d accompagnement pour l enseignement du français en classe d accueil in VEI enjeux, migrants-formation, n La scolarisation des élèves nouvellement arrivés en France, hors série n 3. Coïaniz, Alain, 2001, Apprentissage des langues et subjectivité, L Harmattan. Conseil de l Europe, 2004, Cadre européen commun de référence pour les langues, Paris, Didier. Cyr, Paul, 1996, Stratégies d apprentissage, Paris, Clé International. Dreyfus, Martine, 2004, Représentations et pratiques des enseignants in Cahiers pédagogiques, n 423 : 75 langues en France, et à l école?, Paris, CRAP. Gaonac h, Daniel, 1993, Acquisition et utilisation d une langue étrangère, Hachette, Le français dans le monde, recherches et applications. Matthey, Marinette, 1996, Apprentissage d une langue et interaction verbale, Peter Lang. O'Malley, J.M.and Chamot, A.U. (1990), Learning Strategies in Second Language Acquisition. Cambridge: Cambridge University Press

6 Actes de didcog 2005 - Toulouse Rubin, J., 1981, The study of cognitive processes in second language learning in Applied Linguistics, 1, 117-131. Varro, Gabrièle, 2003, Les représentations autour du bilinguisme des primo-arrivants, revue électronique SCÉRÉN CNDP. Vigner G., 2001, Enseigner le français comme langue seconde, Paris, Clé international, coll. Didactique des langues étrangères.

7 Actes de didcog 2005 - Toulouse Effet sur la prononciation d apprenants de FLE de la tâche et de la focalisation sur la forme Lorraine Baqué 1 Introduction Dans le cadre de l enseignement/apprentissage de la prononciation, l enseignant se doit, dans un premier temps, de connaître l interlangue phonique de ses apprenants, avant de pouvoir programmer des activités de correction phonétique qui leur soient adaptées. Dans le cas de l enseignement/apprentissage du FLE à des étudiants hispanophones, la plupart d enseignants sont très tôt confrontés à la problématique du «e muet», censé être l un des points d achoppement du système phonique du français pour les hispanophones (Intravaia, 2000), et ce d autant plus que, dès les premiers cours, l on introduit des contenus grammaticaux qui, du point de vue oral, se basent sur la différence /ә/-/e/, comme, par exemple, les marques de nombre des déterminants (le-les, ce-ces, etc.). Néanmoins, les enseignants constatent souvent une importante dissociation entre les résultats obtenus lors de ces tests perceptifs, lors de la production souvent en situation de répétition ou d activités grammaticales ad hoc et lors de la production plus ou moins libre. Or les différences inter-tâche ou inter-style de parole, même en langue maternelle, sont depuis longtemps avérées (cf., entre autres, les travaux de Poch et Harmegnies, 1992 ; Vasseur et Arditty, 1996 ; Pujol, 2001, tirés de domaines divers). L objet de la recherche que nous avons menée à terme vise donc, en premier lieu, à décrire les principales caractéristiques des productions de /ә/ et /e/ par des apprenants hispano-catalanophones, et, dans un deuxième temps, à analyser dans quelle mesure celles-ci sont dépendantes de la tâche ou d une plus ou moins grande focalisation sur la forme (cf. la notion de bifocalisation, Bange, 1992). 2 Protocole expérimental 2.1 Informateurs Pour ce faire, nous avons enregistré 48 étudiants de première année de Traduction et interprétation de l Université Pompeu Fabra à Barcelone, qui ont le français comme deuxième langue étrangère. Ils sont tous faux débutants et ont suivi, avant cet enregistrement, 100 heures de cours de langue française avec les mêmes enseignants. Pour augmenter l homogénéité du groupe analysé, nous avons demandé à 5 enseignants de FLE d évaluer globalement leur niveau en prononciation sur la base de la lecture d un texte, sans leur préciser quel était l objet de notre étude. Nous avons sélectionné les 13 étudiants qui ont obtenu une note globale comprise entre 2 et 3 sur une échelle de 5. 2.2 Obtention du corpus Pour constituer notre corpus, nous avons pris en compte les occurrences des paires «ce-ces, le-les, je-j ai, de-des, se-ses, me-mes, te-tes», mots connus des apprenants et qui manifestent des différences d ordre grammatical travaillées en cours. Les différentes occurrences de ces mots-cible ont été obtenues lors de la réalisation de 2 activités différentes : Lorraine Baqué Universitat Autònoma de Barcelona Facultat de Lletres Dept. de Filologia Francesa i Romànica 08193 BELLATERRA (ESPAGNE). Mél : lorraine.baque@uab.es. 1

8 Actes de didcog 2005 - Toulouse - la lecture d un extrait de L étranger de Camus, - la lecture d un exercice grammatical à trous, où les mêmes mots se trouvaient tantôt en situation de focalisation sur la forme et tantôt dans la phrase qui sert de contexte, comme dans l exemple suivant : «...(Je) 1 me lève et... (je) te regarde, mais tu ne... (te) réveilles pas.». Nous leur demandions alors de lire les différentes phrases en insistant sur les mots qu ils avaient complétés. Nous avons ainsi obtenu des productions des mots-cible en trois activités de lecture, qui se situent sur un continuum en fonction du degré de focalisation sur la forme phonique : - la lecture libre et continue d un texte (focalisation minimale sur la forme (LL)), - la lecture des parties des phrases de l exercice grammatical qui ne font pas l objet d une attention particulière (focalisation intermédiaire sur la forme (L)), - la lecture des mots complétés par l étudiant durant l exercice grammatical (focalisation maximale sur la forme (GRAM)). 2.3 Analyse des données Une fois le corpus ainsi enregistré, nous avons analysé les paramètres de durée vocalique et des deux premiers formants de la phase stable des productions des mots-cible dans les trois situations de production considérées. 3 Résultats inter-locuteurs Au niveau du groupe nous avons obtenu les résultats suivants : 3.1 Caractéristiques générales de la prononciation de /ә/ et de /e/ Les productions de /ә/ se distinguent de celles de /e/ par des valeurs inférieures de durée (-11 ms., Sig.=.000), de F1 (-9 Hz., Sig.=.017), et de F2 (-116 Hz., Sig.=.000). Comparées aux valeurs de référence des productions de ces voyelles par des natifs (Calliope, 1989), les productions de /ә/ sont trop claires et trop tendues, tandis que les productions de /e/ sont trop sombres et trop relâchées. Les différences les plus importantes entre les caractéristiques de ces voyelles produites par les hispano-catalanophones et les valeurs de référence se situent au niveau du deuxième formant (+ 359 Hz. pour /ә/ et 258 Hz. pour /e/). Par ailleurs, la distance entre les réalisations moyennes (sur le plan F1-F2) des productions de /ә/ et /e/ respectivement est significativement inférieure (distance = 116) à celle obtenue à partir des données de référence de locuteurs natifs (distance = 732), ce qui implique que les étudiants ont tendance à hypo-différencier les deux phonèmes. Il en découle que les étudiants présentent des problèmes de prononciation, non seulement pour /ә/, ce que mettent en lumière la plupart des études sur l enseignement/apprentissage du FLE à des hispanophones, mais également pour /e/. 3.2 Effets du degré de focalisation sur la forme Si on analyse la variation liée aux trois situations de production et, par conséquent au degré de focalisation sur la forme qui les distingue que nous avons considérées (lecture libre et continue d un texte (LL), lecture de phrases isolées (L), lecture focalisée de mots-cible où l opposition /ә/-/e/ a une valeur grammaticale (GRAM)), on constate que, dans les productions du groupe d étudiants, les caractéristiques acoustiques des réalisations de /ә/ et de /e/ varient significativement (Sig.=.000) en fonction de la situation de production. Pour /ә/ : - les valeurs de durée varient en fonction de la situation de production entre LL (61 ms.), L (71 ms.) et GRAM (120 ms.) ; - les valeurs de F1 augmentent progressivement entre les situations de production LL (416 Hz.), L (428 Hz.) et GRAM (452) ; 1 Dans l exemple présenté, nous avons noté en caractères gras les mots qui feraient l objet d une analyse. Ceux qui apparaissent entre parenthèses avaient dû être complétés par les étudiants et oralisés ensuite. Les autres mots de la phrase constituent le «contexte» de l exercice grammatical et ont été présentés aux étudiants sans aucune marque particulière. 2

9 Actes de didcog 2005 - Toulouse - les valeurs de F2 diminuent progressivement entre les situations de production LL (2030 Hz.), L (1951 Hz.) et GRAM (1903 Hz.). Pour /e/, on observe que : - la durée est nettement inférieure en LL (78 ms.) et L (74 ms.) qu en GRAM (122 ms.) ; - les valeurs de F1 augmentent progressivement entre LL (424 Hz.), L (434 Hz.) et GRAM 456 Hz.) ; - les valeurs de F2 apparaissent inférieures en L (2008 Hz.) qu en LL ou en GRAM (2135 Hz.). Par ailleurs, la distance euclidienne entre les réalisations de /ә/ et les valeurs-cible sur le plan F1-F2 diminue progressivement entre les situations de production LL, L et GRAM, et ce de manière significative (Sig.=.001). De même, pour les réalisations de /e/, il existe un effet de la situation de production, mais pour ce phonème, c est en L que l éloignement des réalisations de /e/ par rapport aux valeurs-cible est le plus important, et en LL que ces réalisations se rapprochent le plus du [e] des francophones. En ce qui concerne la distance entre les réalisations moyennes (sur le plan F1-F2) de /ә/ et /e/ respectivement par les hispano-catalanophones, comparée à celle des natifs, on observe qu elle est significativement supérieure en GRAM (distance = 232) qu en LL (distance = 105) et L (distance = 57), tout en restant considérablement inférieure à celle observée chez les locuteurs francophones (distance = 732). Ces résultats montrent donc qu il existe un important effet, sur la prononciation du groupe d hispano-catalanophones, du degré de focalisation sur la forme, mais que cet effet se manifeste de manière différente selon le phonème analysé. Par ailleurs, la situation de production GRAM semble favoriser la différenciation entre les réalisations de /ә/ et de /e/ par le groupe d apprenants. 4 Résultats intra-locuteur et typologie d apprenants Étant donné, d une part, que la variabilité inter-locuteur est très importante (Sig.=.000) pour tous les paramètres considérés, et que cette étude a un objectif clairement pédagogique, il nous semble illusoire de vouloir tirer des données présentées ci-dessus une programmation d activités de correction phonétique qui puisse être d utilité pour chacun des apprenants analysés. Il nous semble donc indispensable à cette fin de décrire le ou les profils particulier(s) de chacun des étudiants, ce qui devrait nous permettre de mieux identifier des sous-groupes d apprenants. 4.1 Caractéristiques générales de la prononciation de /ә/ et de /e/ Comme nous l avons déjà mentionné, les 13 étudiants considérés présentent tous une tendance à produire /ә/ trop clair et /e/ trop sombre. De plus, la plupart ont tendance à produire /ә/ trop tendu (à l exception d un seul locuteur qui le produit trop relâché) et /e/ trop relâché (à l exception de deux locuteurs). Dans l ensemble (9 étudiants sur 13), les réalisations de /ә/ sont plus éloignées du [ә] de référence que les réalisations de /e/ du [e]-cible. Néanmoins, cette tendance, qui correspond à la constatation générale des enseignants sur la difficulté pour les hispano-catalanophones de prononcer le /ә/, est inversée chez 3 de nos locuteurs. Pour ce qui est de la distance entre les réalisations moyennes (sur le plan F1-F2) de /ә/ et /e/ respectivement, elle est, pour tous les étudiants, inférieure à la moitié de celle des valeurs de référence des natifs. Néanmoins, cette hypo-différenciation est moins accentuée pour 2 des apprenants (entre 38% et 48% des valeurs de référence) et plus accentuée pour 3 des apprenants (moins de 10% des valeurs de référence). Les 8 autres étudiants présentent des valeurs comprises entre 14% et 21%. 4.2 Effets du degré de focalisation sur la forme Les productions de /ә/ et /e/ de chacun de nos étudiants varient de manière significative selon la situation de production considérée. En effet, d une part, des différences statistiquement significatives entre les 3 situations de production considérées sont observées en ce qui concerne la durée : 11 des 13 étudiants pour /ә/ et 9 sur 13 pour /e/, pour lesquels les valeurs augmentent de LL et L vers GRAM. De plus, la situation de production entraîne des modifications significatives de la structure formantique pour les réalisations de /e/ de chacun des locuteurs et pour les réalisations de /ә/ 3

10 Actes de didcog 2005 - Toulouse de 10 étudiants sur 13. Il est à remarquer que cet effet du degré de focalisation sur la forme se manifeste tout particulièrement sur les valeurs de F2 des réalisations de /e/ (12 locuteurs sur 13). Pour ce qui est des réalisations de /ә/, on observe que : - les valeurs de F1 augmentent progressivement dans le continuum suivant : LL (< L) < GRAM pour 10 des 13 étudiants, tandis que 2 apprenants présentent la tendance contraire ; - les valeurs de F2 diminuent progressivement dans le continuum LL (> L) > GRAM dans 10 cas, tandis que les 3 autres apprenants présentent la tendance opposée. Pour ce qui est des réalisations de /e/, on observe que : - les valeurs de F1 augmentent progressivement dans le continuum LL (< L) < GRAM pour 11 des 13 étudiants ; - les valeurs de F2 augmentent progressivement dans le continuum LL (< L) < GRAM dans 9 cas, tandis que les 3 autres apprenants présentent la tendance opposée Par conséquent, l on observe que le passage d une situation de production LL à L et à GRAM favorise l augmentation du F1 pour les deux phonèmes analysés, mais que cet effet se manifeste de manière opposée pour ce qui est du F2 : en effet, alors qu il augmente également pour /e/, il a tendance à diminuer pour /ә/ pour la plupart des étudiants. Si nous regroupons maintenant les observations liées à la variation de F1 et de F2 des deux phonèmes en fonction du degré de focalisation sur la forme, l on obtient 3 sous-groupes d apprenants qui présentent des comportements différenciés : Un premier sous-groupe (cf. l exemple, figure 1), constitué par 7 apprenants, se caractérise par le fait que, lorsque l on augmente le degré de focalisation sur la forme, l on obtient : - une augmentation de F2 de /e/ et une diminution du F2 de /ә/, et - une rapprochement des réalisations de /ә/ et de /e/ des cibles respectives. Un deuxième sous-groupe (cf. l exemple, figure 2), constitué de 3 étudiants, présente, lorsque l on augmente le degré de focalisation sur la forme : - une augmentation du F2 à la fois pour le /e/ et pour le /ә/, et - un rapprochement des réalisations de /e/ de la cible, mais accompagné d un éloignement des réalisations de /ә/ du [ә]-cible. Un troisième sous-groupe (cf. l exemple, figure 3), de trois étudiants, présente, lorsqu on augmente le degré de focalisation sur la forme : - une diminution de F2 de /e/ et de /ә/, et - un éloignement des réalisations de /e/ de la cible, mais accompagné d un rapprochement des réalisations de /ә/ du [ә]-cible. Ces résultats montrent donc que les productions de tous les étudiants sont soumises à un effet du degré de focalisation mais que cet effet se manifeste de manière différente selon les étudiants. 5 Conclusion Cette description des productions des phonèmes /ә/ et /e/ du français par des apprenants hispano-catalanophones nous a permis de vérifier l hypothèse, communément admise, selon laquelle ces étudiants éprouvent des difficultés pour intégrer le «e muet» du français. En effet, ils ont tous tendance à le produire avec un F1 trop bas et un F2 trop élevé. Néanmoins, il est moins fréquent de s intéresser à la prononciation du /e/ de ces apprenants. Or les résultats que nous avons obtenus indiquent que ce phonème pose également problème, et qu il est réalisé avec un F1 généralement trop haut et un F2 trop bas. Cela entraîne, non seulement des productions peu conformes à celles des francophones, ou même la production de /ә/ comme des [e], mais surtout une centralisation des réalisations et, partant, une hypo-différenciation des deux phonèmes entre eux. Il en résulte que toute action pédagogique de correction phonétique devrait s intéresser à la fois aux deux phonèmes, et, sans doute, impliquerait de corriger dans un premier temps le /e/ pour n introduire qu ensuite le /ә/. Par ailleurs, il convient de signaler que les réalisations de /ә/ et de /e/ présentent une importante variabilité liée au degré de focalisation sur la forme qu entraîne l activité dans laquelle elles apparaissent. Au niveau du groupe, on remarque qu une focalisation maximale sur la forme favorise une meilleure différenciation entre les deux phonèmes considérés. 4

11 Actes de didcog 2005 - Toulouse Néanmoins, les observations menées à terme montrent que l homogénéité du groupe (langue(s) maternelle(s), nombre d heures de cours de FLE avec les mêmes enseignants à l université, niveau global de prononciation en français, etc.) ne se traduit pas nécessairement par une interlangue phonique commune, et ce malgré l existence d une tendance chez tous les apprenants, comme on l a vu, à produire le /ә/ trop clair et trop tendu et le /e/ trop sombre et trop relâché. En effet, non seulement l éloignement des réalisations des apprenants par rapport à la cible est très variable d un étudiant à un autre, mais de plus on constate que l effet du degré de focalisation sur la forme produit des effets différents voire même parfois opposés chez les uns et les autres. Ainsi, nous avons établi trois sous-groupes, en fonction de l effet de cette variable sur les deux phonèmes considérés : 1. Effet phonologique : pour le premier sous-groupe d apprenants (cf. figure 1), le degré de focalisation sur la forme entraîne une amélioration progressive des productions à la fois de /ә/ et de /e/ et, partant, une meilleure (bien qu insuffisante) différenciation entre les deux. Il semble que les 7 apprenants de ce premier sous-groupe commencent à acquérir ces phonèmes, mais qu une réalisation plus ou moins acceptable n apparaisse que lors d une tâche qui facilite l attention que porte l apprenant sur sa prononciation, et que le transfert vers d autres tâches ne soit pas encore intervenu. Ainsi, l augmentation de la focalisation sur la forme a un effet de différenciation phonologique. 2. Effet phonétique : pour le deuxième sous-groupe d apprenants (cf. figure 2), l augmentation de la focalisation sur la forme entraîne des valeurs supérieures de F1 et de F2, ce qui se manifeste par une amélioration des réalisations de /e/, mais également par un éloignement de celles de /ә/ du [ә]- cible. Il semblerait qu il s agisse donc là d un simple effet phonétique facilitateur pour l un des phonèmes et difficultant pour l autre sans réelle valeur de distinction phonologique. 3. Effet d ultracorrection : pour le troisième sous-groupe d apprenants (cf. figure 3), l augmentation de la focalisation sur la forme entraîne les effets contraires que ceux observés dans le deuxième sous-groupe : un assombrissement des réalisations de /ә/ et de /e/. Il en découle que les réalisations de /ә/ connaissent une nette amélioration, mais que celles de /e/ s éloignent encore plus du [e]-cible, se confondant parfois avec des [ә]. Il semble donc que les trois apprenants de ce groupe opèrent une ultra-correction sur le micro-système /ә-e/. À la lumière de ces résultats, l enseignant aura donc tout intérêt à identifier ces trois sousgroupes d apprenants et à leur proposer des activités de correction phonétique adaptées à chacun des profils. Ainsi, si pour le premier sous-groupe, il peut être utile de travailler dans un premier temps des activités où la focalisation sur la forme est importante (de loin les plus fréquemment utilisées par les enseignants), et de tenter de stabiliser ensuite les productions ainsi obtenues dans d autres activités, cette approche risque de ne s avérer guère efficace pour les deux autres sous-groupes. Pour le deuxième sous-groupe, la focalisation sur la forme peut servir à ancrer le /e/, mais il faudra introduire le /ә/ dans d autres types d activités qui entraînent une moins importante tension phonique. Quant au troisième sous-groupe, qui se caractérise par une importante ultra-correction, les activités qui visent à attirer l attention de l apprenant sur sa prononciation peuvent être utilisées pour le /ә/, mais il faudra veiller au moyen d autres tâches à ce que l ultra-correction constitue, comme il est fréquent, une phase d évolution et non une phase de stabilisation d une forme unique [ә] pour les deux phonèmes. 5

12 Actes de didcog 2005 - Toulouse 6 Figures 2 Figure 1. Réalisations de /ә/ et /e/ sur le plan F2-F1 d une étudiante du sous-groupe 1 en fonction de la situation de production. Figure 2. Réalisations de /ә/ et /e/ sur le plan F2-F1 d une étudiante du sous-groupe 2 en fonction de la situation de production. Figure 3. Réalisations de /ә/ et /e/ sur le plan F2-F1 d une étudiante du sous-groupe 3 en fonction de la situation de production. 2 Les notations «ә» et «e» en caractères gras dans les figures représentent le [ә] et le [e]-cible. 6

13 Actes de didcog 2005 - Toulouse 7 Références Bange, P. (1992). A propos de la communication et de l apprentissage en L2, notamment dans ses formes institutionnelles. AILE, 1, 53-85. Calliope (1989). La parole et son traitement automatique. Paris : Masson. Intravaia, P. (2000). Formation des professeurs de langue en phonétique corrective. Le système verbotonal. Paris : Didier Érudition. Poch, D. et Harmegnies, B. (1992). Variations structurelles des systèmes vocaliques en français et espagnol sous l effet du style de parole. Journal de Physique, IV-C1, 283-286. Pujol, M. (2001). Las repercusiones de la tarea en las producciones de aprendices adultos de español. Estudios de lingüística, 13, 1-56. Vasseur, M.T. et Arditty, J. (1996). Les activités réflexives en situation de communication exolingue : réflexions sur quinze ans de recherches. AILE, 8, 57-87. 7

14 Actes de didcog 2005 - Toulouse Adultes chinois apprenant le français - Quelles compétences de départ et quelles compétences à acquérir pour la lecture et l écriture alphabétiques? Amandine Bergère 1. Introduction Cette communication vise à poser la question des compétences mises en jeu lors de l apprentissage du système scriptural français par des apprenants adultes chinois scolarisés en mandarin, lecteurs et scripteurs compétents en chinois. Il sera question des compétences linguistiques qu implique la bonne maîtrise des opérations cognitives nécessaires à l apprentissage du système scriptural français. 2. Description du terrain et des hypothèses de travail Nous procédons à nos recherches dans des associations parisiennes qui se situent dans le quart nord-est parisien. Nous avons relevé environ huit associations qui proposent des cours de français pour adultes chinois. Elles présentent des caractéristiques communes, et ce sont ces traits saillants qui nous ont permis de formuler nos hypothèses de départ. 2.1 Modalités pratiques et pédagogiques des enseignements Bien que d origines régionales diverses, les apprenants sont tous locuteurs d une langue sinitique, ils maîtrisent le chinois standard (mandarin) et sont scolarisés en moyenne jusqu à l équivalent du brevet des collèges. Loin de constituer une forme de «repli communautaire», la manière dont les associations se positionnent dans l offre de formation en région parisienne donne à penser que celles-ci proposent un enseignement en lecture-écriture répondant aux besoins linguistiques et cognitifs du public qui les fréquente. 2.1.1 Modalités pratiques On peut résumer les traits communs aux différentes associations ainsi : - Tarifs très compétitifs : 2 euros de l heure en moyenne - Horaires adaptés à une population active : cours du matin et du soir - Durée relativement courte des sessions : 70 à 80 heures sur trois mois - Localisation au cœur des zones résidentielles et/ou commerçante des populations chinoises parisiennes récemment arrivées : République Belleville Stalingrad. Les apprenants habitent ou travaillent près des associations. Ils font jouer la concurrence en mentionnant les tarifs et les horaires pratiqués ailleurs. 2.1.2 Modalités pédagogiques : enseignants et manuels Du côté des enseignants et des outils pédagogiques, on relève deux grandes récurrences : des enseignants bilingues (français chinois) et du matériel pédagogique fait maison. La majorité des associations ont tenté d embaucher des enseignants uniquement francophones, mais la désertion immédiate des classes qui s en est suivi a dissuadé les présidents de renouveler l expérience. Quant aux outils pédagogiques, ils sont élaborés selon trois objectifs : 1. Les correspondances graphie-phonie 2. Les grands traits des principaux phénomènes morphologiques du français 3. Des compétences communicatives de survie

15 Actes de didcog 2005 - Toulouse 2.2 Hypothèses Il apparaît évident que les classes associatives correspondent à une offre de service de proximité. Les associations répondent à une demande. Nous postulons que les matériaux pédagogiques, loin de constituer une forme de bricolage, tentent de répondre finement à des besoins pour lesquels il n y a pas d outils déjà constitués. Nous faisons l hypothèse que les besoins auxquels répondent ces associations sont non seulement d ordre linguistique, mais également et de façon corrélée, d ordre cognitif. - Du point de vue linguistique, les apprenants chinois ont besoin de s initier à une morphologie et à une structure syllabique très éloignées de celle qui prévalent dans les langues sinitiques. - Du point de vue cognitif, on peut distinguer deux types d apprentissage. -Tout d abord, l initiation à la morphologie passe par une conceptualisation des classes syntaxiques et des fonctions que leur passé scolaire et linguistique ne leur permettrait pas d approcher directement en langue cible. -Ensuite, l initiation au principe alphabétique passe par une conceptualisation du phonème et du rapport qui existe entre la forme orale et la forme écrite des signes linguistiques. Ces hypothèses imbriquées expliqueraient d une part le bilinguisme des formateurs qui, pour limiter la surcharge cognitive, travaillent en langue source, et d autre part l omniprésence des correspondances graphie-phonie et de la morphologie dans les outils pédagogiques. 3. Compétences de départ Ce type d hypothèse pose immédiatement la question des compétences de départ des apprenants, à la fois en termes d écrit et d oral. Nous l avons dit, les apprenants de ces classes sont généralement scolarisé. Pourtant, c est une initiation à l écrit qui est proposée dans les associations. C est pourquoi il convient d évaluer le type de répertoires scripturaux à disposition des apprenants. De même la focalisation sur la morphologie ne peut s expliquer qu en examinant attentivement les répertoires linguistiques des apprenants. 3.1 Parcours migratoires, répertoires linguistiques et scolarisation antérieure Les populations de langue chinoises en France peuvent se répartir en deux grands groupes en fonction de leurs trajectoires migratoires (Hassoun et Tan 1986) : - Le premier groupe rassemble les réfugiés de la péninsule indochinoise d origine chinoise arrivés massivement en France à la fin des années 1970. Leurs profils linguistiques sont variés, cumulant une ou plusieurs langues chinoises du groupe méridional et une ou plusieurs langues des pays d Asie du Sud-Est où ils se sont installés antérieurement. Compte-tenu des bouleversements politiques de la région, leurs parcours scolaires sont très divers. - Le second groupe vient directement de Chine. Dans les années 1980-90, il s agissait majoritairement d habitants de la région de Wenzhou et de villages alentour, locuteurs d une langue wu et du chinois standard. Aujourd hui il s agit de plus en plus de Chinois du Nord- Est que l on peut qualifier de monolingues, leur langue régionale ne se différenciant pas de la langue standard aussi drastiquement que pour les autres (Pina-Guerassimoff, Guerassimoff et Wang 2002). Mais quelle que soit leur origine régionale leur parcours scolaire est uniforme. Dans les associations qui nous intéressent, la majeure partie des apprenants relèvent du deuxième groupe. Or, un adulte de moins de cinquante ans, scolarisé jusqu à l équivalent du brevet des collèges en Chine a en principe à sa disposition un répertoire scriptural très varié : le système scriptural chinois bien sûr, mais aussi sa transcription en caractères latin - le hanyu pinyin - apprise au primaire et enfin le système scriptural anglais appris au collège.

16 Actes de didcog 2005 - Toulouse 3.2 Langues et écritures : morphologie, phonologie et systèmes scripturaux Comment expliquer, alors, l apparent besoin de formation à la lecture et à l écriture de ces adultes scolarisés, maîtrisant, qui plus est, plusieurs systèmes graphiques? L explication est à chercher au cœur même des systèmes. 3.2.1 Système scriptural chinois On sait que les langues sinitiques partagent certaines particularités (Norman 1988 : 181 et s.) : 1. une structure syllabique aux positions fixes : initiale consonantique - noyau vocalique affecté d un ton - coda occlusive 2. une très grande majorité de morphèmes à signifiant monosyllabique 3. la quasi-absence de variante de signifiant pour un morphème donné Le système scriptural a des particularités correspondantes. Il effectue une saisie strictement syllabique dans la chaîne langagière. S il y a un élément à valeur phonique à l intérieur du signe graphique, il est, lui-même, strictement syllabique. La valeur est souvent approximative. Cette imprécision est largement compensée par des indications à valeur sémantique fournies par d autres éléments graphiques. Grossièrement, on a une correspondance : un morphème à signifiant monosyllabique <-> un signe graphique. 3.2.2 Transcription pinyin Le pīnyīn est une transcription en caractères latin de la prononciation officielle des caractères chinois élaborée en 1958. Elle a pour objet de propager la langue commune sur l ensemble du territoire. Cependant, encore dans les années 80, une partie des enseignants ignorait le pīnyīn (Saillard et Boutet 2001). Cette transcription est enseignée dans les six premières semaines du cours primaire (Hoa 1978). Il s avère qu elle n est phonématique qu en partie, puisqu on constate des variations graphiques associées à des variations phonétiques. Elle est enseignée sur un principe initialerime, sans décomposition des éléments internes à la rime (Huang 1996). Par ailleurs, le nombre très restreint de syllabes possibles - un peu moins de 400 abstraction faite des tons - rend parfaitement possible une mémorisation globale. De plus, l usage de la transcription diminue rapidement, elle est indiquée au-dessus des caractères nouveaux jusqu à la fin du collège et n est plus utilisée par la suite. 3.2.3 Système scriptural anglais L anglais, lui, est enseigné au collège depuis la fin des années 50 en Chine. L anglais appartient sans conteste au groupe des écritures alphabétiques, mais également à celui des écritures dites profondes, où la relation graphème-phonème est loin d être bi-univoque. Certains spécialistes considèrent d ailleurs que l orthographe anglaise est une graphie de mots (Sampson 1985) au même titre que le système scriptural chinois. Les enseignements du cursus scolaire chinois sont tournés vers la mémorisation de la prononciation et du sens de graphies complexes, sans décomposition sub-syllabique. Il semblerait que cet entraînement soit utilisé au début de l apprentissage de l anglais. 3.3 Bilan Il s avère que la conceptualisation du phonème n est pas au centre des apprentissages du système scolaire chinois. Les apprenants peuvent acquérir des compétences de manipulation phonématique, par régularisation, au travers des jeu de mots ou des rimes des poésies. Mais ce sont des compétences acquises subsidiairement, presque par hasard. La compréhension des valeurs phonématiques attachées aux graphèmes en anglais peut être un atout majeur pour les apprenants du français, mais là encore, nous n avons aucune certitude concernant les méthodes d apprentissage pratiquées en Chine.

17 Actes de didcog 2005 - Toulouse 4. Compétences cibles et évaluation des compétences Compte-tenu de leur scolarité en Chine, quelles sont les principales compétences nécessaires à la bonne maîtrise du principe alphabétique pour les apprenants sinophones? 4.1 Compétences à acquérir Selon Chauveau et Rogovas-Chauveau (1993 : 90), la lecture en langue maternelle pour les enfants français mettrait en jeu sept compétences restreintes : «1. compétence verbo-prédictive : savoir compléter ou terminer un énoncé verbal «à trous». ; 2. compétence grammaticale : avoir conscience (ou une connaissance implicite) des structures de la langue parlée ou écrite ; avoir par exemple saisi les concepts de mot et de phrase. 3. compétence idéographique : constituer et accroître son «capital mots». 4. compétence grapho-phonique : avoir compris la relation oral / écrit, acquérir le code de correspondance graphème/ phonème, pouvoir faire la synthèse et l analyse d un groupe de phonèmes ou de graphèmes. 5. compétence fonctionnelle : savoir distinguer des supports et des types d écrits différents ; adapter son comportement de questionneur de contenu en fonction de la nature du texte et de la situation. 6. compétence culturelle : avoir des connaissances générales sur «le sujet à lire». 7. compétence tactique : s efforcer d intégrer des informations très diversifiées, connecter des opérations sectorielles.» Par ailleurs, on sait que pour les langues alphabétiques il y a un lien entre l apprentissage de la lecture et la possibilité d effectuer certaines tâches métalinguistiques de manipulation d aspects phonologiques du langage oral, en particulier des tâches d analyse de la parole en segments de taille inférieure à l unité d articulation que constitue la syllabe (Bryant 1992). Or, le cursus scolaire chinois vise à la maîtrise de la totalité des opérations citées à l exception d une seule : la compétence grapho-phonique. Nous pensons également que l absence de variation du signifiant des langues sinitiques ne prédispose pas à la manipulation d unités subsyllabiques. C est pourquoi nous pensions trouver des compétences très hétérogènes dans les classes associatives. Pour vérifier ces hypothèses nous avons effectué des tests. 4.2 Test d évaluation des compétences Compte-tenu des conditions qui prévalent dans les associations, il ne nous était pas possible d effectuer des évaluations individuelles, parallèlement au déroulement de la classe ou après la classe. Il nous fallait donc mettre en place une activité de groupe qui permette d évaluer le type de valeur associée aux graphèmes par les apprenants. 4.2.1 Constitution des tests Il s agissait d une dictée de 10 syllabes devant lesquelles les étudiants devaient indiquer le nombre de sons. Pour limiter la difficulté phonologique, le noyau vocalique était /a/, nous avons évité les graphèmes complexes. Nous avons fait varier le nombre de phonèmes et la structure syllabique : /rap/, /ra/, /sal/, /las/, /lars/, /lar/, /ral/, /tap/, /paf/, /parf/. Certaines syllabes sont des artéfacts. La consigne, en chinois standard, était «Nous allons faire une dictée de syllabe. Nous ne nous préoccupons pas du sens, mais de sons. Si je dis /las/, vous écrivez <las>, même si, normalement, <s> ne se prononce pas en fin de mot. Indiquez le nombre de sons à côté de ce que vous avez écrit».

18 Actes de didcog 2005 - Toulouse 4.2.2 Analyse des productions Les productions sont classées en fonction de deux critères : 1. Le nombre total de lettres écrites, rapporté à la somme des sons indiqués en regard des productions. Les chiffres ainsi mis en rapport sont classés en trois groupes : le nombre de lettres écrites est inférieur, égal ou supérieur au nombre de sons estimés. 2. La somme des sons estimés, rapporté à la somme des phonèmes de la dictée (ici 31). Les chiffres ainsi mis en rapport sont classés en trois groupes : le nombre de sons estimés est inférieur, égal ou supérieur au nombre de phonèmes dictés. Une des productions ne mentionnait aucun chiffre SONS ESTIMES sons > 31 sons = 31 sons < 31 Pas d estimation RAPPORT LETTRE - SON nb lettres < nb sons nb lettres = nb sons nb lettres > nb sons /rap/ : <hap> 5 /rap/ : <raber> 5 /lar/ : <lare> 3 A B C /lars/ : <lars> 5 <Rhape> 5 /lars/ : <larese> 5 /rap/ : <rap> 3 /las/ : <lasse> 3 aucune production D E /tap/ : <tab> 3 /tap/ : <tabe> 3 présentant ces caractéristiques F G H /lars/ : <last> /tap/ : <table> /ra/ : /lars/ : <ra> 2 <Lrs> 3 /ra/ : /parf/ : <ra> 1 <barefes>3 Productions où le nombre de sons estimé est supérieur à la cible : Les productions de type A, B et C révèlent des interférences phonologiques importantes : toute consonne est suivie d une voyelle, comme c est le cas dans les langues sinitiques. Dans les productions de type C, ces voyelles rajoutées apparaissent en graphie. Parallèlement, on peut supposer une incursion dans le domaine orthographique et non plus strictement grapho-phonologique, puisqu il semblerait que <e> en position finale ne soit pas compté. Dans les productions de type B, on ne peut que supposer l interférence phonologique avec rétablissement d une voyelle noyau. En effet, le nombre de sons estimés correspond strictement au nombre de lettres écrites, comme si le processus de mise en graphie des sons était oublié ou comme si une lettre correspondait toujours à un son. Dans les productions de type A, le nombre de sons estimés laisse à penser qu il y a, là aussi une processus de «syllabisation» des consonnes. Mais ces sons rétablis n apparaissent pas en graphie. La lettre a une valeur syllabique du type <h> /rә/ ou encore <p> /pә/. Productions où le nombre de sons estimé est égal à la cible Les productions de type D et E révèlent une excellente maîtrise du système phonologique français. Elles se différencient simplement par le point de vue adopté. Les productions de type D sont grapho-phonologiques, tandis que celles du groupe E sont orthographiques. Productions où le nombre de sons estimé est inférieur à la cible Les productions de type F ne présentent aucun indice de syllabisation. Par contre, comme dans les productions de type B, la différence entre le son et la lettre ne semble pas totalement conceptualisée. On remarque également que les syllabes à groupes consonantiques provoquent des difficultés importantes : la voyelle noyau est omise. Il semblerait qu à la lettre soit affecté tantôt une valeur phonématique, tantôt une valeur syllabique. Les productions de type G présentent de forts indices de syllabisation, tout comme les productions de type C. Contrairement à ces dernières, toutefois, ce n est pas le nombre de sons qui est compté, mais le nombre de syllabes.

19 Actes de didcog 2005 - Toulouse Productions où aucune estimation des sons entendus n est mentionnée On pourrait estimer que les productions de type H résultent d une mauvaise compréhension de la consigne. Mais les productions correspondent à des mots connus, en anglais ou en français. Elles révèlent un rapport au signe graphique tel qu il existe pour le système scriptural chinois : un syllabe correspond à une unité de sens, et les indications phoniques à l intérieur de la syllabe sont approximatives. 5. Conclusion La plupart de nos hypothèses de départ sont confirmées. Les associations chinoises du quart nord-est parisien proposent des cours qui correspondent à des besoins spécifiques. En effet, les apprenants chinois scolarisés en Chine, bien que lecteur-scripteurs compétents, doivent être initiés au principe alphabétique. Comme nous le pensions, leurs niveaux sont très hétérogènes, puisque les compétences nécessaires à la maîtrise de la lecture et de l écriture en français sont des compétences subsidiaires dans le cursus scolaire chinois. Leurs besoins sont d ordre linguistique et cognitif. En effet, ils doivent : - maîtriser les particularités de la structure syllabique française (profils A, B, C et G) - conceptualiser le phonème par opposition à la syllabe (profils F et G) - conceptualiser la différence entre le phonème et le graphème (profils B, D et F) - conceptualiser le type de valeurs affectées au graphème : leurs valeurs phoniques sont fixes (profil H) et phonématiques (profils F et G) - Et enfin, ils doivent maîtriser les particularités de l orthographe française (profil E) Nous pensons que l extrême focalisation sur les particularités morphologiques observées dans les classes correspond à un entraînement à la manipulation de phonèmes. En effet, la conjugaison (/travaj/ -> /travaje/) et la variation féminin-masculin procèdent par ajout et suppression de phonèmes. 6. Bibliographie Bryant, P. (1992) «Rapports entre les premières expériences de l enfant et l apprentissage de la lecture», in A. Bentolila (ed.), Les entretiens Nathan, Paris : Nathan, pp 7-25. Chauveau, G. et Rogovas-Chauveau, E. (1993) «Les processus interactifs dans le savoir-lire de base», in Lecture / écriture Des approches de recherche, Paris : INRP, p. 81-96. Chauveau, G. (1997) Comment l enfant devient lecteur, Paris : Retz. Coulmas, F. (2003), Writing Systems- An Introduction to their Linguistic Analysis, Cambrige : Cambrige University Press. Hassoun, J.-P. & Tan, Y.-P. (1986) «Les Chinois de Paris : minorité culturelle ou constellation ethnique?», in Terrain, n 7, p.34-44. Hoa, M. (1978) «L étude du pŭtōnghuà, «langue commune» dans les établissements d enseignement primaire en RPC», in Cahier de linguistique, d orientalisme et de slavistique, n 10, jan., p. 93-107. Huang, H. (1996) «L insegnamento della lingua», in Formazione & INformazione, Le metodologie didattiche in Cina, n 7, sept, pp. 28-48. Norman, J. (1988) Chinese, Cambridge : Cambridge University Press. Nouri Romdhane, Gombert J.-E., Belajouza (2003) L apprentissage de la lecture, Rennes- Tunis : Presses universitaires de Rennes Centre de publication universitaire de Tunis Pina-Guerassimoff, C. Guerassimoff, E. et Wang, N. (2002) <http://www.synesthesie.com/ mobilites/popup/pina-guerassimoff_guerassimoff_wang_la_circulation_migratoire_de_ quelques_nouveaux_chinois_migrants_en_france.pdf> (page consultée le 1 er sep. 2004) Saillard, C. et Boutet, J. (2001) Pratiques des langues chez les jeunes issus de l immigration chinoise à Paris, Rapport de recherche remis à la Délégation Générale à la Langue Française. Sampson, G. (1985), Writing Systems, Stanford : Stanford University Press.

20 Actes de didcog 2005 - Toulouse Usage de comptines en FLE : une efficacité relative. Ina Blanc-Janus Introduction Le but de cette contribution n'est pas de défendre un certain courant ou une certaine approche de la didactique des langues. Sont avancées, bien au contraire, des idées, des réflexions issues d'observation en cours de langue et à partir d'enregistrements acoustiques. La prosodie est fréquemment considérée comme élément essentiel en apprentissage d'une langue étrangère (p.ex. Billières, 2002; Borrell & Salsignac, 2002; Renard, 2002). Certains types de textes ou d'exercices semblent plus propices que d'autres afin d'aider les apprenants à trouver une prononciation correcte. Roberge (2002, p. 113), en s'appuyant sur Halliday (1985) et sur Guberina (1970), propose de se servir des comptines qui "offrent la manifestation la plus pure et la plus authentique du rythme du discours d'une langue donnée". Pour l'étude, des comptines et des chansons d'enfants utilisées en classe de français ont ainsi été choisies. Ces manifestations langagières se prêtent particulièrement à l'enseignement du FLE aux jeunes apprenants du primaire. L'idée globale de la communication est de rendre compte de la sensiblité perceptive et productive aux aspects prosodiques et phonémiques des enfants. Ces derniers, à l'âge critique de 10/11 ans (p.ex. Hagège, 1996; Petit, 1985), ont-ils intégré les différences phonético-phonologiques entre le français et l'allemand? Description de l'étude Dans les écoles élémentaires frontalières le long du Rhin, le français est enseigné comme première langue étrangère. Tous les enfants l'apprennent depuis la "première classe", l'équivalent du CP. La recherche proprement dite s'occupe plus particulièrement des enfants de la fin du parcours primaire. Pour ces élèves, il s'agit au moins de leur quatrième année de français qui est enseigné deux heures par semaine. Chez certains se rajoutent des expériences préalables au titre d'une heure hebdomadaire au "Kindergarten", l'équivalent de l'école maternelle. Seize enfants de 9 à 11 ans ont été enregistrés lors d'une lecture de comptines et de chansons. Six textes ont été présentés aux enfants sous la même forme qu'en classe, c'est-à-dire sur des reproductions du matériel utilisé par les enseignants. Pour le corpus du présent article trois d'entre eux ont été retenus car ils montrent des difficultés persistantes de façon assez variée. Les enregistrements des textes sont analysés sous plusieurs angles: une approche auditive, une approche de phonétique acoustique, notamment pour des aspects prosodiques, et une approche (psycho)-linguistique accompagnée de réflexions pour la didactique. Les performances des enfants germanophones sont comparées à celle d'un enfant témoin francophone du même âge. Résultats et discussion Remarquons, globalement, que certains enfants montrent une difficulté certaine à déchiffrer les textes pourtant connus à l'avance et encore préparés par une lecture silencieuse au moment de l'enregistrement. Pour ces élèves, une personne adulte francophone, soit lisait les comptines, soit chantait et lisait les chansons au préalable afin de les leur rappeler. C'est seulement lorsque les enfants ATER à l'iut de Colmar, Université de Haute Alsace, chercheur associé au Laboratoire Jacques Lordat, Université de Toulouse-Le Mirail, Maison de la recherche, 5, Allées A. Machado, 31058 Toulouse Cedex. 1 1er Colloque International de Didactique Cognitive, Toulouse, Janvier 2005

21 Actes de didcog 2005 - Toulouse se sentaient en confiance que l'enregistrement a commencé. Étudions, à présent, les textes l'un après l'autre. 1) Un, deux, trois! Lève-toi! Quatre, cinq, six! Mets ta chemise grise! Sept, huit, neuf! Ton pantalon neuf! Dix, onze, douze! Tes belles bottes rouges! En ce qui concerne cette première comptine sur les nombres, la disposition des vers semble plus ou moins propice à l'apprentissage d'une prosodie correcte. Les enfants arrivent assez bien à accentuer le dernier mot de chaque vers, c'est-à-dire la fin de chaque groupe de mots. Mais la distribution syllabique des vers suivant les vers mentionnant les nombres n'épouse pas toujours la structure de ces derniers. Autrement dit, la quantité de syllabes de ces vers est trop élevée par rapport au vers constitués de nombres. Cela aurait certainement était mieux de retrouver une structure homogène afin d'aider l'apprenant à anticiper la structure rythmique du vers suivant et à réussir à la produire plus facilement. Car la disproportion syllabique paraît être un élément qui favorise les assourdissements constatés de "chemise grise" [S7èmiz9 griz9]. De plus, ces assourdissements sont sans doute provoqués par la présence de "six" [sis] au vers précédent. Se trouve une difficulté analogue à la fin de la comptine : non seulement "onze" et "douze" sont assourdis en [o)z9] et [duz9], sans doute par la proximité de "dix" [dis], mais encore "les belles bottes" ne sont plus "rouges" mais deviennent "rousses" [Rus]. Par ailleurs, ces écueils sont présents dans d'autres comptines proposées dans un manuel actuel, paru tout récemment, Französisch in der Grundschule de Santellani & Vogt (2004) et utilisé dans l'école des enfants enregistrés. Citons quelques passages délicats de comptines (pp. 35-36): "Quatre cinq six, une souris grise / cueillir des cerises; dix onze douze, sur un oeuf tout rouge / elles seront toutes rouges". Il s'agit là de pièges psycholinguistiques qui, selon nous, ne devraient pas être tendus, même inconsciemment, lors de l'apprentissage d'une langue étrangère. Une alternative à ce type de comptines serait, à propos de dénombrement, par exemple, la Ballade des chiffres d'auteur inconnu. Ce texte évite les difficultés évoquées, en proposant les vers suivants: "Quatre, cinq, six, tape tes cuisses; onze, douze, treize, sur ta chaise." En plus, ce texte est rythmiquement plus régulier, c'est-à-dire que l'auteur s'est efforcé de respecter l'homogénéité syllabique entre les vers comportant les nombres et les vers suivants. Remarquons rapidement, que les enfants ont effectivement mieux réalisé ce texte-là qui sera étudié en détail ultérieurement. 2) Le facteur n'est pas passé. Il passera dans cinq minutes. Ding, deng, dong. Et le voilà: Lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi, samedi, dimanche. Pour ce qui est de cette deuxième comptine, le dernier vers attire particulièrement l'attention. Car aucun enfant germanophone ne prononce les jours de la semaine à la française, c'est-à-dire avec une accentuation finale sur la syllabe la plus fréquente "-di". Comparons, à titre d'exemple, quelques tracés acoustiques de l'enfant témoin francophone à ceux d'un enfant germanophone Ces illustrations se trouvent en annexe. Nous disposons, également en annexe, des histogrammes des ratios entre les durées syllabiques de l'enfant témoin francophone et celles des enfants germanophones. Il s'agit des rapports de la première sur la deuxième syllabe des mots disyllabiques ( en l'occcurence pour lun-di et jeu-di). 2 1er Colloque International de Didactique Cognitive, Toulouse, Janvier 2005

22 Actes de didcog 2005 - Toulouse Concernant les enfants germanophones, le ratio se trouve toujours au-dessus de 1 alors qu'il devrait être en-dessous de 1 comme pour le témoin francophone. Grâce aux illustrations, on peut donc s'apercevoir que les enfants germanophones prononcent les jours disyllabiques en accentuant la première syllabe qui est nettement plus longue que la deuxième et dernière syllabe, d'où le ratio audelà de 1. Ceci est l'opposé de l'accent du français standard qui tombe sur la dernière syllabe d'un mot et qui se traduit le plus souvent par l'allongement de cette syllabe (p.ex.. Léon, 1992). Mais lorsque l'enfant témoin français chantonne la comptine, il met l'accent également sur la première syllabe des jours. C'est d'ailleurs aussi ce qui a été observé en cours de langue : l'enseignante (francophone) accentue la première syllabe en chantonnant. Les enfants germanophones mémorisent cette accentuation et l'appliquent lors de la lecture, ce qui n'arrive pas à l'enfant témoin francophone puisqu'il maîtrise son accentuation française en parole. Ici encore, il s'agit d'une difficulté ou même d'un obstacle pour les apprenants de langue maternelle étrangère, d'autant plus que cette langue germanique est caractérisée par une accentuation favorisant les syllabes antérieures. 3) Frère Jacques, Frère Jacques! Dormez-vous? Dormez-vous? Sonnez les matines! Sonnez les matines! Ding, ding, dong. Ding, ding, dong. Enfin, ce dernier texte est la fameuse chanson de "Frère Jacques". Pour cette manifestation langagière liée à la musique, on peut retenir que c'est un des textes que les enfants ont le mieux réussi à la lecture. Beaucoup d'entre eux ont trouvé une prosodie proche de la française, neutre, avec l'accent sur "Jacques", "vous" et "-tines" de "matines". Chez certains enfants, les accents tombaient parfois sur "dor-" de "dormez" et "son-" et de "sonnez". Sont à évoquer également quelques assourdissements sur le j de "Jacques" [Z9ak] et quelques sonorisations sur le s de "sonnez" [s3one]. Ces erreurs sont typiques de l'accent germanophone et ne surprennent pas spécialement. En tout cas, dans l'ensemble, c'est ce texte que le plus grand nombre d'enfants a le mieux réalisé. Ce qui est intéressant, c'est que dans la composition de la chanson, les notes allongées correspondent aux accents auxquels on peut s'attendre pour la lecture des paroles. Cela est donc une chanson propice à transmettre une prosodie correcte. Il y en a d'autres dans le répertoire musical francophone comme, par exemple, Sur le pont d'avignon, on y danse (bis), tous en rond. Dans cette chanson, "pont", "Avignon", "danse" et "rond" sont allongés et parfois plus aigu comme cela est le cas de l'accentuation en français parlé. Ici encore, la musique de la chanson aiderait les apprenants à trouver une prosodie correcte en parole. Cette chanson très populaire en France n'a pas du tout été enseignée aux enfants rencontrés. Pourtant, les enseignants sont presque exclusivement des natifs. De plus, une enquête auprès des enfants a révélé que les comptines ou chansons ne sont apprises qu'oralement sans association des mains : par exemple, pour frapper rythmiquement aux endroits où les accents en français seraient à placer. C'est sans doute une lacune qui mérite également d'être comblée. Conclusion L'étude décrite dans le présent article montre, entre autres, que les différences phonéticophonologiques entre le français et l'allemand ne sont pas acquises en fin de parcours scolaire du primaire chez des apprenants germanophones. Certains phonèmes sont fréquemment réalisés avec des assourdissements, d'autres avec des sonorisations, phénomènes liés à la tension syllabique (p.ex. Billières, 2002). Pour certains auteurs, la maîtrise de la prosodie d'une langue étrangère ou seconde est la base de son apprentissage (p.ex. Renard, 2002) et aide à surmonter les réalisations difficiles de phonèmes. En ce sens, il serait souhaitable que l'enseignement soit étoffé d'un travail conscient de l'enseignant sur l'emplacement des accents, sur le rythme de la langue cible. Il est indispensable de favoriser cet aspect-là en impliquant davantage le corps, comme l'évoquent des auteurs tel Puyal ou Wlomainck (2002). Par ailleurs, des déplacements et des frappes dans les mains en fonction du rythme 3 1er Colloque International de Didactique Cognitive, Toulouse, Janvier 2005

23 Actes de didcog 2005 - Toulouse d'une comptine ont été expérimentés avec succès lors de nos cours d'allemand langue étrangère. Cet ajout de la gestuelle par les mains, l'avant-bras et le bras est mis en valeur par Roberge (2002). D'une manière plus générale, des comptines et des chansons sont un outil précieux en cours de langue étrangère. Car elles peuvent faciliter l'appréhension du rythme d'une langue donnée. Encore faudrait-il sensibiliser les enseignants afin qu'ils saisissent l'utilité précise de cet outil et puissent ainsi choisir des textes susceptibles d'atteindre le but recherché pour les enfants et les apprenants en général : l'apprentissage ludique de la prosodie. Dans cette optique, il serait important d'éviter tout écueil ou obstacle engendré par des pièges psycholinguistiques telles des rimes biaisées comme, par exemple, six et grise. Le choix des comptines et des chansons devrait prendre en considération les retombées phonético-phonologiques sur les apprenants. Cela veut dire, pour les comptines, sélectionner des textes où l'accentuation épouse celle de la langue cible standard même quand elles sont chantonnées. Pour les chansons, il s'agit de choisir celles dont la composition musicale reproduit la prosodie parlée. L'on pourrait même imaginer des compositions supplémentaires, orientées vers l'apprentissage des aspects prosodiques qui contrastent avec la langue maternelle. L'usage des comptines et des chansons a donc une efficacité relative lorsque l'on tient compte des différences phonético-phonologiques entre la langue de départ et la langue cible. Le choix des textes, selon ces paramètres, est primordial afin d'assurer le succès espéré. Annexes l {) d i Z P d i l {) d i Z P d i Signal acoustique de lundi chez le témoin (en haut) et chez un enfant germanophone Signal acoustique de jeudi chez le témoin (en haut) et chez un enfant germanophone 4 1er Colloque International de Didactique Cognitive, Toulouse, Janvier 2005

24 Actes de didcog 2005 - Toulouse Comparaison de ratios des durées syllabiques (Syllabe 1/Syllabe 2) pour le disyllabe lundi (témoin en noir) Comparaison de ratios des durées syllabiques (Syllabe 1/Syllabe 2) pour le disyllabe jeudi (témoin en noir) Références Billières, M. (2002), Le corps en phonétique corrective. In R. Renard (Ed.), Apprentissage d'une langue étrangère/seconde, 2. La phonétique verbo-tonale (pp. 37-70), Bruxelles : De Boeck & Larcier. Borrell, A. & Salsignac, J. (2002), Importance de la prosodie en didactique des langues (application au FLE). In R. Renard (Ed.), Apprentissage d'une langue étrangère/seconde, 2. La phonétique verbo-tonale (pp. 163-182), Bruxelles : De Boeck & Larcier. Guberina, P. (1970), Phonetic rythms in the Verbo-tonal System, Revue de Phonétique Appliquée 16, 3-13. Hagège, C. (1996), L'enfant aux deux langues, Paris : Odile Jacob. Halliday, M.A.K. (1985), An Introduction tofunctional Grammar, London : Edward Arnold. Léon, P.R. (1992), Phonétisme et prononciation du français, Paris : Nathan. Petit, J. (1985), De l'enseignement des langues secondes à l'apprentissage des langues maternelles, Paris : Champion. Puyal, J.M. (2002), Des réalisations phoniques dans l'enseignement/apprentissage des langues. In R. Renard (Ed.), Apprentissage d'une langue étrangère/seconde, 2. La phonétique verbo-tonale (pp. 279-315), Bruxelles : De Boeck & Larcier. 5 1er Colloque International de Didactique Cognitive, Toulouse, Janvier 2005

25 Actes de didcog 2005 - Toulouse Renard, R. (2002), Une phonétique immergée. In R. Renard (Ed.), Apprentissage d'une langue étrangère/seconde, 2. La phonétique verbo-tonale (pp. 11-24), Bruxelles : De Boeck & Larcier. Roberge, C. (2002), Rythme du discours, qui es-tu et où te caches-tu? In R. Renard (Ed.), Apprentissage d'une langue étrangère/seconde, 2. La phonétique verbo-tonale (pp. 107-130), Bruxelles : De Boeck & Larcier. Santellani, M. & Vogt, C. (2004), Französisch in der Grundschule, Puchheim : pb-verlag. Wlomainck P. (2002), Le travail du rythme et de l'intonation dans l'apprentissage d'une langue étrangère. In R. Renard (Ed.), Apprentissage d'une langue étrangère/seconde, 2. La phonétique verbo-tonale (pp. 155-161), Bruxelles : De Boeck & Larcier. 6 1er Colloque International de Didactique Cognitive, Toulouse, Janvier 2005