PETITES NOTES DE JURISPRUDENCE Avril 2011 Mariane CHAMPENOIS Adeline GELLEC Stagiaires du Centre de droit JuriSanté Petites notes de jurisprudence I. Fonction publique Tribunal administratif de Rennes, 8 juin 2010, n 1000274 Fonction publique cessation de fonctions retraite date de radiation des cadres Un ambulancier au sein d un centre hospitalier a demandé à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 10 juillet 2010, jour de son 60 ème anniversaire. Pour ce faire, les 24 décembre 2009 puis 13 janvier 2010, le requérant a formé une demande de départ à la retraite initiale ainsi qu un recours gracieux à cet effet, demandes rejetées. Par décision du 2 avril 2010, le directeur a une nouvelle fois rejeté la demande de ce monsieur formée à titre subsidiaire et tendant à son départ à la date du 1 er août 2010. Le directeur du centre hospitalier, s est en effet fondé sur une note interne du 26 mars 2009 qui dispose que l admission à la retraite sera prononcée le dernier jour du mois suivant le jour de la demande de radiation des cadres.et lui a demandé de se conformer aux dispositions de cette note. Si en principe l administration doit faire droit à cette demander elle peut différer cette date en raison des nécessités du service et ceci sous contrôle du juge. En revanche, dés lors que le fonctionnaire a été admis à faire valoir ses droits à une date autre que celle du premier jour du mois l administration est tenue d appliquer les dispositions du décret. En posant ainsi une règle de principe de portée générale et absolue, sans apprécier au cas par cas si les nécessités du service justifient de différer la date de départ à la retraite des demandeurs, le directeur du CH a commis une erreur de droit Les décisions attaquées refusant au requérant de faire valoir ses droits à la retraite le 10 juillet 2010 trouvent leur fondement dans la note de service du 26 mars 2009 dont il vient d être dit qu elle est illégale, par voie de conséquence ces décisions elles-mêmes sont illégales. L annulation des décisions n implique cependant pas que le directeur doive admettre le requérant à faire valoir ses droits à partir du 10 juillet 2010, mais implique que le directeur prenne une nouvelle décision en appréciant si les nécessités du service justifiant qu il ne soit pas fait droit à sa demande qu à partir du 1 er août 2010. 1
L administration n est pas tenue de faire droit à la demande d un fonctionnaire tendant à faire valoir ses droits à la retraite le jour même de son 60 ème anniversaire alors même qu il remplierait à cette date les conditions nécessaires pour qu il bénéficie d une pension de retraite à jouissance immédiate. Cependant, elle ne peut différer cette date de départ à la retraite d un demandeur qu en raison des nécessités du service, et ce ci sous contrôle du juge, et non en posant une règle de principe de portée générale et absolue. Conseil d Etat, 22 octobre 2010, n 322897 Discipline décharge de service M. A, éducateur des activités physiques et sportives et titulaire du brevet de maître nageur sauveteur a été recruté par le SYNDICAT INTERCOMMUNAL A VOCATION MULTIPLE (SIVOM) du canton de Lorrez-le-Bocage pour occuper les fonctions de chef de bassin à la piscine d'egreville. En raison de plaintes pour harcèlement moral, la présidente du SIVOM a suspendu M. A de ses fonctions et a décidé d'engager à son encontre une procédure disciplinaire. Après la réunion du conseil de discipline, la présidente du SIVOM a pris deux arrêtés. Par le premier, elle a imposé à M. A de prendre le reliquat de ses congés annuels à compter de la date à laquelle prenait fin la période de suspension. Par le second, elle a déchargé M.A de ses fonctions de chef de bassin et maintenu en service en qualité de maître nageur. M. A a formé un recours en excès de pouvoir contre ces arrêtés le sanctionnant. La cour administrative d appel de Paris en a prononcé l annulation. Le SIVOM s est pourvu en cassation devant le Conseil d Etat, qui a rejeté le pourvoi. La haute juridiction considère en effet que, eu égard aux conséquences sur la situation professionnelle de l intéressé et aux motifs pour lesquels il a été pris, le second arrêté avait un caractère disciplinaire. La présidente du SIVOM ne pouvait légalement prononcer la sanction de décharge des fonctions puisque la décharge de fonctions n est pas au nombre des sanctions prévues à l article 89 de la loi du 26 janvier 1984 relative à la fonction publique territoriale. Ne peuvent être prononcées à titre de sanctions disciplinaires que les sanctions légalement prévues par le statut. S agissant de la fonction publique hospitalière, seules les sanctions prévues par l article 81 de la loi n 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière peuvent être prononcées, à savoir : l'avertissement, le blâme ; la radiation du tableau d'avancement, l'abaissement d'échelon, l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de quinze jours ; la rétrogradation, l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de trois mois à deux ans ; la mise à la retraite d'office, la révocation. 2
Conseil d Etat, 17 janvier 2011, N 334513 Recrutement irrégulier - Nomination pour ordre M.A, commissaire de l armée générale en retraite, a été recruté par le centre hospitalier universitaire de Montpellier, d'abord en qualité d'agent contractuel chargé des relations internationales, en qualité de directeur adjoint contractuel chargé des relations internationales. Or, ce n est que trois mois plus tard que le conseil d'administration de cet établissement a décidé la création de ce dernier emploi, par une délibération, pour ensuite en décider la suppression. Le directeur du développement social du centre hospitalier s est fondé sur cette seconde délibération pour procéder au licenciement de M. A. M.A a alors saisi le tribunal administratif de Marseille qui a annulé la délibération supprimant le poste et la décision de licenciement. La cour administrative d appel de Marseille, saisie en appel par le centre hospitalier universitaire de Montpellier, a annulé ce jugement. Le Conseil d Etat, saisi de l affaire, annule l arrêt rendu par la cour. Il considère que l irrégularité commise par le center hospitalier universitaire en recrutant M.A sur un emploi qui n avait pas encore été créé par une délibération du conseil d administration, «ne faisait pas obstacle, dès lors qu'il apparaissait que l'intéressé avait effectivement exercé ses fonctions, à ce que le conseil d'administration crée cet emploi, [ ], afin de régulariser sa situation». La haute juridiction estime qu il n y a pas eu de nomination pour ordre. Le seul fait que le recrutement de l agent soit irrégulier ne suffit pas, à lui seul, à caractériser la nomination pour ordre, dès lors que l agent a effectivement exercé ses fonctions. 3
Conseil d Etat, 3 décembre 2010, n 320042 Sanction disciplinaire cumul d activités M. A, ouvrier professionnel spécialisé stagiaire, a conduit un véhicule de service alors qu il faisait l objet d une suspension temporaire du permis de conduire. Il a de plus cumulé ses fonctions d agent public avec une activité privée lucrative d agent de sécurité salarié. Le directeur du centre hospitalier a prononcé une sanction d exclusion définitive des fonctions. M. A s est alors tourné vers la commission des recours du conseil supérieur de la fonction publique hospitalière, qui a proposé de substituer à la sanction d exclusion définitive une sanction d exclusion temporaire de deux mois. Considérant que cette sanction était insuffisante au regard des agissements de l intéressé, le centre hospitalier a saisi le Conseil d Etat afin qu il annule la décision de la commission des recours du conseil supérieur de la fonction publique hospitalière. Il fait droit à sa demande, considérant que «la sanction de l'exclusion de fonctions de deux mois proposée par la commission des recours, par son insuffisante sévérité, est manifestement disproportionnée aux fautes ainsi commises». Est passible d une sanction d exclusion définitive l agent public qui cumule ses fonctions avec une activité privée lucrative et qui conduit un véhicule de service alors qu il faisait l objet d une suspension temporaire du permis de conduire. 4
II. Psychiatrie CEDH 18 novembre 2010, M.B. c/france, n 35935/03 Hospitalisation d office séparation des deux juridictions violation du recours effectif Le requérant a saisi la Cour le 13 août 2003 en vertu de l article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l homme et des libertés fondamentales. Condamné à 20 ans de réclusion criminelle, il a fait l objet de multiples décisions administratives d hospitalisation d office. Il estime être victime d une détention arbitraire qui n est ni fondée en droit ni médicalement justifiée puisqu un grand nombre des arrêtés ordonnant ou reconduisant son internement ont été annulés par le juge administratif, sans pour autant que le juge judiciaire n ordonne sa sortie immédiate. L annulation des décisions administratives le concernant, pourtant effective, n a jamais entrainé sa libération. La Cour considère que la question qui se pose est celle de savoir si «le requérant a disposé d un recours effectif lui permettant d obtenir la mainlevée de la mesure d hospitalisation dont il faisait l objet, alors que l irrégularité formelle de l acte fondant son internement était avérée». Elle constate logiquement que vu que durant une période de 15 jours aucun arrêté ne fondait l internement du requérant, la privation de liberté dont il a fait l objet sur une certaine période n a pas été effectuée selon les voies légales. Elle parvient ainsi à la conclusion que dans ces circonstances particulières l articulation entre les compétences respectives du juge administratif et du juge judiciaire quant aux voies de recours offertes «n a pas permis au requérant d obtenir une décision d un tribunal pouvant statuer «sur la légalité de sa détention et ordonner sa détention si elle est illégale» et prononce à ce titre la violation du droit au recours effectif. La personne faisant l objet d une hospitalisation d office, qui obtient l annulation des décisions fondant cette hospitalisation par le juge administratif, sans obtenir du juge judiciaire qu il permette sa libération, n a pas bénéficié du droit au recours effectif protégé par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La séparation des compétences respectives du juge administratif et du juge judiciaire en matière d hospitalisation d office viole le droit au recours effectif de la personne internée. 5
TA Toulouse, 23 mars 2010, n 0504879 Responsabilité du service public hospitalier Faute Hospitalisation d office Suicide Risque Un patient, après avoir assisté à une messe en la mémoire de son frère décédé quelques mois plus tôt dans un accident de voiture, a été retrouvé par ses parents un cutteur à la main et blessé superficiellement aux poignets ainsi qu au cou. Ils ont tout de suite conduit leur fils majeur au service des urgences de centre hospitalier de cahors. Ses blessures y ont été soignées, et il a été reçu pendant plus d une heure par un médecin psychiatrie puis environ une demi-heure par une infirmière psychiatrique. Le praticien lui a proposé au patient une hospitalisation qu il a refusé. Lui ont donc été prescrits un traitement oral ainsi qu ambulatoire, la première consultation étant prévue pour le lendemain. Une fois revenu au domicile de ses parents, le patient a emprunté leur voiture et après s être encastré dans l arche d un tunnel, il est décédé de la suite de ses blessures. Ses ayant-droits recherchent sur le terrain de la faute la responsabilité tant du CH que du docteur B. au motif que ceux-ci auraient commis une erreur fautive de diagnostic en ne percevant pas, lors de sa prise en charge, l état suicidaire de leur fils et frère, et en ne les mettant pas à même de solliciter l hospitalisation de l intéressé sur demande d un tiers en cas de péril imminent. Le tribunal administratif de Toulouse rejette leur demande en ne retenant aucune faute de la part du CH qui n a pas diagnostiqué l imminence d un passage à l acte suicidaire, en énonçant que : s il est vrai que «lorsque le pronostic vital d un patient est en jeu et que celui-ci n est pas en mesure d exprimer un consentement libre et éclairé, l abstention du médecin du centre hospitalier de mettre à même la famille d un patient de solliciter son hospitalisation sous contrainte engage la responsabilité de centre hospitalier pour faute» en l espèce, bien l instruction ait effectivement démontré que lors de son admission le patient présentait un état dépressif, d anxiété et un état suicidaire, les rapports d expertise présents au dossier comportent des conclussions contradictoires sur l état psychiques du patient, et ne précisent pas, en tout état de cause, les signes qui auraient dû conduire le praticien du CH à prendre la mesure de l urgence et de la gravité de la situation, ses blessures n ayant pas présenté de caractère de gravité, et le patient ayant accepté de suivre un traitement médicamenteux et ambulatoires aussitôt sa sortie. Lorsque le pronostic vital d un patient est en jeu et que celui-ci n est pas en mesure d exprimer un consentement libre et éclairé, l abstention du médecin du centre hospitalier de mettre à même la famille d un patient de solliciter son hospitalisation sous contrainte engage la responsabilité dudit centre hospitalier. Cependant, puisqu en l espèce aucun rapport d expertise ne précise les signes qui auraient dû conduire le praticien du centre hospitalier à prendre la mesure de l urgence et de la gravité de la situation, le patient bénéficiant d un fort soutien familial, ses blessures consécutives à sa tentative de suicide étant superficielles, et ayant accepté de suivre un traitement médicamenteux et ambulatoires dés sa sortie, le Centre hospitalier n a pas commis de faute en ne diagnostiquant pas l imminence d un passage à l acte. 6
III. Droits des patients Cour d appel de Toulouse, 1 ère chambre, 25 octobre 2010, Information du patient preuve Mme M. a été subi une arthroscopie du genou gauche. Suite à cette opération, un œdème important est apparu. Elle a donc été réhospitalisée. Mme M., reprochant au docteur M.-M. qui l a opérée un retard dans la prise en charge de cet œdème ainsi qu un défaut d information sur les conséquences de cette intervention, a saisi le tribunal de grande instance d Albi, afin que celui-ci soit condamné à réparer les préjudices subis. Celui-ci a accueilli sa demande. Le docteur M.-M a alors interjeté appel devant la cour d appel de Toulouse. Elle confirme le jugement rendu en première instance. Tout d abord, elle ne constate aucun manquement du docteur M.-M à son obligation de soins dans la prise en charge de la complication post-opératoire qui est survenue. S appuyant sur le rapport d expertise, elle considère que l intervention et les soins ont été réalisés dans les règles de l art, et que les problèmes postopératoires qu a présenté cette patiente entrent dans le cadre de l aléa thérapeutique. Elle estime qu aucune faute de surveillance n a été commise. Ensuite, s agissant du défaut d information, après avoir rappelé les dispositions de l article L. 1112-2 du code de la santé publique, la cour reproduit les termes du document intitulé «consentement éclairé mutuel autorisation d opérer» qu a signé Mme M. la veille de l intervention. Elle estime que «ce document libellé en termes très généraux ne contient aucune précision quant à la nature des complications et des risques effectivement liés à l arthroscopie qui étaient prévisibles et nécessairement connus du docteur M.-M, puisqu il résulte du rapport d expertise que l épanchement sanguin post opératoire et sa diffusion sont relativement fréquents dans ce type d intervention. Il ne peut donc constituer une information conforme aux exigences légales et jurisprudentielles en la matière.». Le manquement à l obligation d information est d autant plus caractérisé que le docteur ne rapporte pas la preuve d un éventuel entretien avec la patiente au cours duquel il lui aurait expliqué les risques de l intervention. Enfin, sur le préjudice, la cour estime que le défaut d information a fait perdre à Mme M. une chance d éviter la complication survenue égale à 25% de son préjudice corporel. Cet arrêt nous montre l importance de la preuve de l accomplissement par le médecin de l obligation d information. Si l écrit semble être le moyen le plus sûr de justifier de l accomplissement de cette obligation, celui-ci doit être précis. Il doit justifier à la fois de la réalisation de l entretien individuel avec le patient et des informations données au patient au cours de cet entretien (en l espèce, la nature des complications et des risques prévisibles et connus du docteur). La cour exige que l écrit ne soit pas être libellé en termes trop généraux. 7
IV. Biologie CE, Conseil national de l Ordre des médecins, 12 avril 2010, n 337397 Biologie médicale Parts sociales Interdiction Professionnels de santé prescripteurs d examens de biologie Le Conseil national de l ordre des médecins demande au juge des référés du Conseil d Etat la suspension de l exécution de l ordonnance n 2010-49 du 13 janvier 2010 relative à la biologie médicale. Il conteste une disposition de cette ordonnance qui précise que «ne peuvent détenir directement ou indirectement une fraction du capital social d une société exploitant un laboratoire médical privé : une personne physique ou morale, exerçant une profession de santé autorisée à prescrire des examens de biologie médical ( )». Il fait valoir que cette disposition revient à interdire aux médecins biologistes, dés lors que ceux-ci exercent la profession de médecin, qui est une profession de santé, et que les médecins sont autorisés à prescrire des examens de biologie médicale, de détenir des capitaux dans une société gérant un laboratoire d analyses médicales, ce qui porte une atteinte grave et immédiate au fonctionnement et à la gouvernance de ces laboratoires. Le Conseil d Etat rejette la demande du conseil en expliquant que le Gouvernement n a aucunement entendu interdire aux médecins biologistes de détenir une fraction du capital social d un laboratoire médicale de biologie médicale privé par cette disposition. Il souligne qu elle a pour objet de prévenir les conflits d intérêts. Pour le juge un médecin biologiste ne peut pas être concerné puisqu il n est pas prescripteur. L ordonnance du 13 janvier 2010 relative à la biologie médicale interdit que les professionnels de santé prescripteurs d examens de biologie soient détenteurs de parts sociales dans ce laboratoire et non dans tout laboratoire, afin de prévenir les conflits d intérêt. Pour tout renseignement : Nadia HASSANI nadia.hassani@cneh.fr 01 41 17 15 43 8