TRADUIRE LA SCIENCE HIER ET AUJOURD HUI



Documents pareils
Comité scientifique 7 décembre Observatoire de Paris

Introduction à la méthodologie de la recherche

Master européen en traduction spécialisée. Syllabus - USAL

eduscol Ressources pour la voie professionnelle Français Ressources pour les classes préparatoires au baccalauréat professionnel

LE PROGRAMME DES CLASSES DE BACCALAURÉAT PROFESSIONNEL EN FRANÇAIS

Physique Chimie. Utiliser les langages scientifiques à l écrit et à l oral pour interpréter les formules chimiques

LE CADRE COMMUN DE REFERENCE LA CONVERGENCE DES DROITS 3 e forum franco-allemand

RÉSUMÉ DES NORMES ET MODALITÉS D ÉVALUATION AU SECONDAIRE

Institut des Humanités de Paris. «Réinventer les Humanités» Compte-rendu du séminaire du Vendredi 23 mars 2012

MASTER RECHERCHE MEDIATIONS DES SCIENCES. Mention HISTOIRE, PHILOSOPHIE ET. Histoire et Philosophie des Sciences. Année 2007/2008

Qu est-ce qu une problématique?

Master Etudes françaises et francophones

Rapport d évaluation du master

COMMENT PARLER DES LIVRES QUE L ON N A PAS LUS?

GRAVER LA PAIX Projet de création artistique collective dans le cadre des Rencontres de Genève Histoire et Cité Construire la Paix (

Qu est-ce qu un emprunt linguistique?

PEUT- ON SE PASSER DE LA NOTION DE FINALITÉ?

Master recherche Histoire des mondes moderne et contemporain

Problématique / Problématiser / Problématisation / Problème

MASTER 1 MANAGEMENT PUBLIC ENVIRONNEMENTAL CONTENU DES ENSEIGNEMENTS

Avertissement Introduction Première partie À la recherche des clefs sous L Ancien Régime

Concours 2008 / 2009 externe et interne réservé d ingénieurs des services culturels et du patrimoine, spécialité «services culturels»

Méthode du commentaire de document en Histoire

FICHES DE REVISIONS LITTERATURE

Il y a trois types principaux d analyse des résultats : l analyse descriptive, l analyse explicative et l analyse compréhensive.

Le leadership du dirigeant et la réussite de l entreprise

Les Traducteurs et la veille médias : méthodes et exemples

XXVI E ASSISES DE LA TRADUCTION LITTÉRAIRE

Évaluation et implémentation des langages

CATALOGUE Formations courtes PARCOURS TRADUCTION

FD/YMC N Contacts IFOP : Frédéric Dabi / Yves-Marie Cann POUR

MASTER PROFESSIONNEL

Rapport d évaluation du master

LA DEFINITION DES COMPETENCES : QUEL ROLE POUR LES ASSOCIATIONS PROFESSIONNELLES?

Disciplines. Ecoles - facultés - titres délivrés. UNIL - Faculté des lettres. Maîtrise universitaire ès Lettres

Table des matières. Qui sommes-nous? Nos services. Pourquoi ETN? Nos tarifs. Contact

Master professionnel Communication des organisations Stratégies et produits de communication

«L impact de l interculturel sur la négociation» construire des intérêts matériels ou des enjeux quantifiables

UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE

Comment repenser l articulation entre présence et distance dans les dispositifs hybrides?

Camus l a joliment formulé : le seul. introduction

LES CARTES À POINTS : POUR UNE MEILLEURE PERCEPTION

La promotion de la pluralité linguistique dans l usage des nouvelles technologies de l information et de la communication

Mises en relief. Information supplémentaire relative au sujet traité. Souligne un point important à ne pas négliger.

Manuel de recherche en sciences sociales

D après le décret n 93/086 du 29 janvier 1993 n 1 p ortant organisation administrative et académique de l Université de Yaoundé I,

Bac français. Bac international. Quel bac choisir? Classes 1 & Terminale

Programme CNRS-ERC- IREMAM- CERI. When Authoritarianism Fails in the Arab World (WAFAW) APPEL A CANDIDATURES

NOM : Prénom : Date de naissance : Ecole : CM2 Palier 2

Formations et diplômes

Une nouvelle muséologie pour le musée moderne

Quantifier pour transformer

Diapo 1. Objet de l atelier. Classe visée. Travail en co-disciplinarité (identité et origine académique des IEN)

Que peut nous apporter une réflexion sur nos désirs?

Master 2 professionnel Soin, éthique et santé Mention Philosophie

[«L émergence de la fonction comptable», Pierre Labardin] [Presses universitaires de Rennes, 2010,

Réaliser un journal scolaire

MASTER 1 MANAGEMENT DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES ET DES TERRITOIRES

Français langue étrangère Savoir-faire - Actes de paroles - Supports d apprentissage -Tâches

Spécialité auxiliaire en prothèse dentaire du brevet d études professionnelles. ANNEXE IIb DEFINITION DES EPREUVES

SOCLE COMMUN - La Compétence 3 Les principaux éléments de mathématiques et la culture scientifique et technologique

Introduction. 1. une pratique de déclinaison de la stratégie et du management

Un écrivain dans la classe : pour quoi faire?

Chapitre 2 LE CAS PRATIQUE

L e m o t d u p r é s i d e n t

Faculté des Sciences Juridiques et Economiques de la Guadeloupe. Campus de Fouillole. Pour mieux vous aider A choisir vos matières

La recherche en train de se faire: les cahiers de recherche en ligne. Aboubekeur ZINEDDINE

MINISTÈRE DU TRAVAIL, DES RELATIONS SOCIALES, DE LA FAMILLE, DE LA SOLIDARITÉ ET DE LA VILLE CONVENTIONS COLLECTIVES. Convention collective nationale

Chères collègues, chers collègues,

Grande Loge Féminine de France

Exercices Alternatifs. Quelqu un aurait-il vu passer un polynôme?

Exercices Alternatifs. Quelqu un aurait-il vu passer un polynôme?

MÉTHODOLOGIE DE L ASSESSMENT CENTRE L INSTRUMENT LE PLUS ADÉQUAT POUR : DES SÉLECTIONS DE QUALITÉ DES CONSEILS DE DÉVELOPPEMENT FONDÉS

Attestation de maîtrise des connaissances et compétences au cours moyen deuxième année

ecricome tremplin concours CONCOURS 2014 : 1 INSCRIPTION, 3 écoles, 1450 PLACES. Après

Plates-formes de téléformation et modèles pédagogiques

Réunion de présentation. Avril 2015

ENSEIGNEMENT DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE A L ECOLE PRIMAIRE : QUELLE DEMARCHE?

Université de Haute Alsace. Domaine. Sciences Humaines et Sociales. MASTER Mention Éducation, Formation, Communication UHA, ULP, Nancy 2

Licence de langues, littératures et civilisations étrangères (LLCE)

MASTER LPL : LANGUE ET INFORMATIQUE (P)

DISCIPLINES / FIELD OF STUDIES / AREAS

1S9 Balances des blancs

PRESTATAIRE DE SERVICES LINGUISTIQUES TRADUCTION LOCALISATION DE LOGICIELS TRADUCTION DE SITES WEB RECHERCHE DE MARQUES TOUTES LES LANGUES DU MONDE

ANNE VICTOR Studio All Rights Reserved

Métriques, classements et politique scientifique des Etablissements

ACTIVITÉS DE COMMUNICATION LANGAGIÈRE ET STRATÉGIES

Joëlle Bolot, Stéphane Cipriani.

2009 et DUBAR C., TRIPIER P., Sociologie des professions, Collection U, Armand Colin,, 2 éd., 2009

Qu est-ce que le pansori? Je voudrais pour commencer interroger les raisons qui m ont amenée à me poser cette question, et à me la poser en français

TABLE DES MATIERES 521

Présentation de la session 2015 du Master de deuxième niveau

Les masters en langues

Traduction des Langages : Le Compilateur Micro Java

Sciences Po Paris. Collège universitaire

Une stratégie d enseignement de la pensée critique

Master professionnel Langues, Affaires, Interculturalité

L héritage Gréco-latin dans le monde contemporain. Ecole pratique des hautes études - Université de Paris-Sorbonne

Concours d entrée Après classe préparatoire

Transcription:

Laboratoire Épistémé (EA 2971), Université Bordeaux 1 Maison des Sciences de l Homme d Aquitaine (MSHA) Journée d études TRADUIRE LA SCIENCE HIER ET AUJOURD HUI 30 mai 2006 MSHA, Salle 2 Organisation Pascal Duris, Laboratoire Épistémé (EA 2971) p.duris@episteme.u-bordeaux1.fr Maison des Sciences de l Homme d Aquitaine 10, esplanade des Antilles 33 607 Pessac

PROGRAMME (Interventions : 35 mn + questions : 10 mn) 8h45-9h : Présentation de la journée 9h-9h45 : Pierre Pellegrin (CNRS, Villejuif) : Traduire la science grecque : Aristote 9h45-10h30 : Joëlle Ducos (Bordeaux 3) : La traduction comme mode de diffusion scientifique au Moyen Age 10h30-10h45 : Pause 10h45-11h30 : Philippe Selosse (Lyon 2) : Traduire une langue technique : le cas de la nomenclature botanique à la Renaissance 11h30-12h15 : Violaine Giacomotto (Bordeaux 3) : Entre traduction et vulgarisation : l astronomie en langue française au XVI e siècle 12h15-13h45 : Repas 14h-14h45 : Jean-François Baillon (Bordeaux 3) : Retraduire la science : le cas de l Optique de Newton de Pierre Coste (1720) à Jean-Paul Marat (1787) 14h45-15h30 : Pascal Duris (Bordeaux 1) : Traduire Linné en français au XVIII e siècle 15h30-15h45 : Pause 15h45-16h30 : Thierry Hoquet (Paris 10 Nanterre) : Traduire Linné aujourd hui : texte de science ou objet philosophique et historique? 16h30-17h15 : Isabelle Poulin (Bordeaux 3) : Peut-on raconter la science? Réflexions sur la traduction controversée d un écrivain lépidoptériste : Vladimir Nabokov

RESUMES DES INTERVENTIONS Pierre Pellegrin (Villejuif, UMR 7062) : Traduire la science grecque : Aristote Traduire des textes grecs anciens pose deux sortes de problèmes. Des problèmes «techniques» dont certains sont propres au fait de traduire le grec, le grec scientifique et le grec d Aristote. Mais il y a aussi les problèmes liés au «statut» du texte que l on traduit : à quelle entreprise le traducteur prend-il part quand il traduit des textes «scientifiques» grecs et plus particulièrement aristotéliciens? Est-il aussi historien des sciences? Quand on veut traduire ce qui est généralement considéré comme des traités «scientifiques» écrits par des philosophes ou des savants grecs, on peut se trouver dans trois situations bien distinctes. Il y a d abord la traduction des ouvrages mathématiques qui met le traducteur directement à l intérieur d une tradition que nous vivons encore. Traduire la Physique ce n est pas traduire principalement de la science. Quant aux traités biologiques, ils placent le traducteur dans un statut ambigu. Joëlle Ducos (Université Michel de Montaigne Bordeaux 3) : La traduction comme mode de diffusion scientifique au Moyen Age Il est bien connu que la science au Moyen Age repose avant tout sur une lecture de textes et tout spécialement d autorités. La réception aristotélicienne avec des traductions latines effectuées à partir de l arabe, de l hébreu et du grec en est l exemple le plus évident puisqu elle a été à l origine d une expansion du savoir et d une approche nouvelle des phénomènes naturels. Toutefois, cette activité de traduction ne se réduit pas à une équivalence plus ou moins approximative d un texte d origine : la réflexion sur le lexique, le commentaire, véritable outil de réflexion scientifique, les questions, genre universitaire qui porte sur une lecture d un texte mais aussi sur des concepts scientifiques, permettent à la fois l appropriation d un modèle mais aussi sa transformation, voire sa destruction. La traduction paraît ainsi au centre de la connaissance scientifique médiévale : le lexique des traducteurs et la discussion sur sa signification permettent de mettre à jour diverses conceptions du monde et de dégager, derrière un aristotélisme apparemment dominant, des théories qui se mêlent ou s opposent ainsi que des choix épistémologiques. Philippe Selosse (Université Lyon 2, UMR 5037) : Traduire une langue technique : le cas de la nomenclature botanique à la Renaissance À la Renaissance, le discours «scientifique» sur les plantes (appelé plus tard «botanique») se fait en néo-latin. Il a pour particularité de ne jamais, ou presque, expliquer les raisons des classements opérés, c est-à-dire de ne jamais justifier son mode de catégorisation du monde, de sorte que la structure épistémique reste à élucider. En tant que linguiste, je considère l accès à cette structure comme possible, en partant de l hypothèse que le meilleur accès aux modes de conceptualisation réside dans la

langue qui les véhicule. J étudie donc la nomenclature botanique latine, en concevant celle-ci comme un système structuré de représentations du monde, et non pas comme une simple liste de dénominations autonomes ayant pour seule fonction de désigner des plantes ou des taxons. Il me paraît donc important, avant de traduire une nomenclature botanique latine, d être préalablement parvenu au système de représentation qu elle reflète. Mon exposé sera analytique et mettra au jour, sur la base d un exemple unique, Lactuca montana purpuro caerulea major, les différents pièges qui attendent le traducteur, linguistiques (risques de calques, d application de règles du latin classique, etc.) et épistémologiques (systématisme anachronique, ethnocentrisme). Violaine Giacomotto (Université Michel de Montaigne Bordeaux 3) : Entre traduction et vulgarisation : l astronomie en langue française au XVI e siècle L astronomie mathématique dont hérite le XVI e siècle est une science dont le contenu et la structure formelle sont en très grande partie fixés, et qui, si elle n est pas strictement étrangère au français, demeure largement d expression latine. Or le XVI e siècle voit se développer une vague importante de traductions en langue française, à destination d un public lettré, et qui touche plus particulièrement deux types d ouvrages d astronomie : les traités de la sphère et les théoriques des planètes. Cette vague de traduction, outre qu elle pose de manière générale la question de la création ou de la fixation du lexique technique nécessaire à l exposé scientifique, se révèle intéressante en raison de son caractère polymorphe : elle affecte des textes plus ou moins anciens, comme la Sphère de Sacrobosco ou celle du Pseudo-Proclus, ou des textes tout récents, comme ceux d Oronce Finé ou de Gemma Frisius ; elle peut être l œuvre de «simples» traducteurs comme celle des savants eux-mêmes, qui comme Finé, écrivent en latin puis traduisent leurs propres œuvres, tout en éditant et traduisant celles des autres. Elle peut être enfin une traduction de la science plutôt que la traduction d un texte, à travers des tentatives pour donner naissance à une «culture astronomique» dans un cadre formel et dans une langue qui ne soient pas le simple décalque de l héritage latin. Ce mouvement de traduction n est donc pas seulement révélateur de la dignité et des aptitudes nouvelles reconnues à la langue vernaculaire mais pose aussi la question du public et de son éducation : traduire n est pas seulement faire le choix d un lexique plutôt que d un autre, c est aussi sélectionner, organiser et parfois reformuler les éléments à transmettre, c est également créer des conditions intellectuelles favorables à la bonne réception scientifique d une œuvre hors de son milieu d origine. En même temps, le contexte linguistique propre au XVI e siècle fait que l enrichissement savant de la langue vernaculaire n est pas seulement le résultat du processus de traduction mais, pour certains, l un des préalables au bon développement de la science. En ce sens, l étude des principes qui guident le travail de chaque traducteur n illustre pas seulement l histoire de la traduction scientifique mais est aussi un révélateur des enjeux intellectuels et linguistiques propres à une période où l affermissement de la langue va de pair avec une redéfinition des sphères du de la science et de la connaissance.

Jean-François Baillon (Université Michel de Montaigne Bordeaux 3, CIBEL (EA 1673)) : Retraduire la science : le cas de l Optique de Newton de Pierre Coste (1720) à Jean-Paul Marat (1787) Une soixantaine d années séparent la première traduction de l Optique de Newton en français par Pierre Coste de sa retraduction par Jean-Paul Marat, futur rédacteur de l Ami du Peuple. Cette démarche inédite est-elle seulement révélatrice d un souci désintéressé de livrer à la postérité un texte plus fidèle à l original? L examen des deux situations et des personnalités respectives des deux traducteurs montre qu il n en est rien. Traduire l Optique en 1720, du vivant de son auteur, et alors que sa théorie est encore âprement combattue, est un geste très différent de celui qui consiste à livrer au public une nouvelle traduction, alors que la même théorie fait largement autorité et que le signataire de cette retraduction, à la différence du premier traducteur, est lui-même un scientifique qui s est acharné à combattre la théorie de celui qu il retraduit. Ce cas d école devrait nous inciter à regarder les traductions scientifiques du passé d un œil attentif à l histoire des théories et de leur implantation, plutôt qu à les juger anachroniquement à la seule aune de leur exactitude sémantique ou terminologique. En comparant ainsi Coste et Marat, on ne cherchera pas à évaluer les mérites respectifs de leur travail de traduction, mais à interroger les significations de leur geste, tout en nous demandant si les logiques radicalement différentes qui les gouvernent ont eu ou non une influence sur certains choix de traduction. Pascal Duris (Université Bordeaux 1, Laboratoire Epistémé (EA 2971)) : Traduire Linné en français au XVIII e siècle Le Suédois Carl von Linné (1707-1778), figure emblématique des sciences naturelles européennes au XVIII e siècle, a publié l ensemble de son œuvre scientifique en latin (Systema naturae, Genera plantarum, Species plantarum, etc.). La rareté et la cherté en France de ses ouvrages, en même temps que le déclin du latin comme langue de la science, amènent les partisans de Linné, à partir des années 1780, à entreprendre la traduction de ses œuvres principales, telle la Philosophia botanica (1751) traduite intégralement en 1788 par Quesné. Mais l entreprise est délicate : si certains traducteurs défendent la francisation pure et simple du latin, d autres préfèrent expliciter le laconisme de la langue linnéenne par des périphrases ou des commentaires. La difficulté vient de ce que Linné a créé une langue neuve pour décrire et nommer les êtres vivants. Ces diverses approches posent en fait la question du public (débutants et élèves ou savants expérimentés) auquel sont destinées ces traductions. Paradoxalement, le latin va s imposer au XIX e siècle comme langue internationale des sciences naturelles, tant pour la nomenclature des espèces que pour leurs descriptions. L utilisation par la communauté scientifique internationale, toujours en 2006, d une nomenclature binomiale latine codifiée par Linné au milieu du XVIII e siècle, témoigne de la solidité des concepts qui l ont fondée.

Thierry Hoquet (Université Paris 10 Nanterre) : Traduire Linné aujourd hui : texte de science ou objet philosophique et historique? Pourquoi traduire ou retraduire Linné aujourd hui? Quelles sont les difficultés spécifiques posées par son style «aphoristique»? Linné a peu été traduit en français : l histoire et la philosophie des sciences ont pourtant de riches enseignements à tirer de ses divers textes. Par ailleurs, Linné intéresse aussi bien les historiens qui étudient les progrès et les développements des sciences naturelles, les philosophes qui réfléchissent sur la méthode de classification, les scientifiques qui se retournent vers le passé de leur discipline, que les littéraires qui analysent la manière de décrire un objet : ces divers types de lecteurs ont différentes attentes face à une traduction. Nous étudierons ces différents aspects au travers d exemples précis tirés de deux textes de Linné : l introduction du Genera plantarum et le Fundamenta botanica. Isabelle Poulin (Université Michel de Montaigne Bordeaux 3) : Peut-on raconter la science? Réflexions sur la traduction controversée d un écrivain lépidoptériste : Vladimir Nabokov Il s agira de poser la question de la langue traductrice de la science : qui la forge? Les «scientifiques» ou les «littéraires»? Sont-ce les spécialistes de tel domaine de recherche (mathématiques, biologie, physique, etc.) qui imposent un vocabulaire, des concepts et des symboles? Ou les spécialistes du monde écrit qui construisent des passerelles (linguistiques) entre les différents champs du savoir? L expérience de l écrivain bilingue Vladimir Nabokov (1899-1977), qui fut aussi entomologiste, spécialiste de papillons, servira de point de départ. Si l on en croit en effet l un de ses collègues du Museum of Comparative Zoology de Harvard, dans les années 1940, son «écriture scientifique était souvent très littéraire dans la forme». On essaiera de comprendre les enjeux d une telle assertion en travaillant sur la notion de détour propre au récit : comme Italo Calvino dans Le Cosmicomiche (1963), Nabokov emprunte le détour de l image pour traduire la science. Où il apparaît que la question du vieillissement du discours scientifique, et donc de sa retraduction éventuelle, pose celle du langage utilisé : par qui? à quelles fins? --------------------

Traduire Aristote, Galilée, Newton ou Linné en français, Lavoisier en espagnol ou Buffon en allemand, pose des problèmes spécifiques liés à la technicité d une pensée et d une langue scientifiques souvent neuves. Les traducteurs d hier, en même temps qu ils s en faisaient les interprètes, se devaient d expliciter pour leurs lecteurs des théories, des concepts, des vocabulaires, des nomenclatures inédits. Les traducteurs d aujourd hui n ont plus à souligner l importance d œuvres relevant désormais de l histoire des sciences. Par contre, en devant moderniser le propos des savants anciens pour qu il demeure compréhensible dans le cadre de nos paradigmes, ils ne doivent pas tomber dans l anachronisme. L objet de cette journée d études est de confronter les difficultés rencontrées par les uns et les autres à différentes époques et dans divers champs scientifiques (zoologie, botanique, astronomie, physique, etc.). Cette journée d études s inscrit dans l axe de recherche sur «Le livre scientifique. Définition et émergence d un genre (1450-1850)» qu anime Joëlle Ducos à la MSHA. Organisation : Pascal Duris, Laboratoire Epistémé (EA 2971), p.duris@episteme.u-bordeaux1.fr