1 ère lecture : du second livre des Rois (4,8-11.14-16a) 2 ème lecture : de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains (6,3b-4.8-11) Evangile : selon saint Matthieu (10,37-42) «Celui qui aime son père ou sa mère son fils ou sa fille plus que moi nest pas digne de moi ; celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas nest pas digne de moi. Qui veut garder sa vie pour soi la perdra ; qui perd sa vie à cause de moi la gardera». Voilà les mots par lesquels commence lévangile daujourdhui. Jai voulu vous relire cette première partie exprès pour que tous nous puissions bien nous rendre compte 1 / 7
de toute lampleur de ces mots, des mots déconcertants mais qui ont étés prononcés par le Christ lui-même, des mots qui sont «Parole de Dieu». Jimagine que la plupart des prêtres, aujourdhui, focaliseront leur homélie sur la deuxième partie de cet évangile, celle qui parle de laccueil. Moi, de ma part, je voudrais essayer avec vous de soulever ce défi lancé par le Christ à travers ces mots si percutants ; je vois là en effet des enjeux très sérieux qui, si nous les saisissons dans toute leur profondeur, nous permettront de vivre notre foi dune manière beaucoup plus épanouissante. Il y a deux semaines je vous ai parlé de lexode et je vous ai dit que cet Exode a duré 40 ans plutôt que les quelques semaines prévues parce que ces «40 ans» symbolisent le temps qui a fallu à Dieu pour arracher du cur du peuple juif lidolâtrie. Je vous rappelle cela parce que sil y a un thème à mon avis qui résume bien cette première partie de lévangile daujourdhui cest justement celui de lidolâtrie. Quest ce que cest lidolâtrie? Lidolâtrie en gros cest de remplacer Dieu par des succédanés : du moment que tous pour avoir limpression dexister, pour avoir limpression que notre vie a un sens, quelle a de la valeur, nous éprouvons le besoin dêtre aimés, dêtre estimés, dêtre reconnus, alors nous recherchons cet amour partout, et tout dabord chez nos parents, chez nos amis, dans notre conjoint, dans nos enfants, plutôt quen Dieu. «Idolâtre» au fond est celui ou celle qui demande à quelquun dautre de prendre la place de Dieu 2 / 7
dans sa vie. Voilà alors que la phrase : «Celui qui aime son père ou sa mère son fils ou sa fille plus que moi nest pas digne de moi» commence à prendre du sens. Quand Dieu nous demande davoir la première place dans notre vie, il nest pas en train de nous demander par là daimer moins les personnes qui nous sont chères ; Dieu nest pas un tyran égocentrique. Sil nous demande de le mettre à la première place cest parce quil sait très bien quà ce moment là toutes nos relations retrouveraient leur juste place, leur juste valeur ; Dieu voudrait par là venir mettre de lordre à lintérieur de notre monde affectif souvent très chaotique. Cet évangile met en relief quen réalité le cur du problème nest pas celui daimer ou ne pas aimer «son père ou sa mère son fils ou sa fille» mais de les aimer dun amour vrai, dun amour qui reconnaît lautre pour ce quil est vraiment et non pas pour ce que moi je voudrais quil soit. Je vous porte un exemple très personnel : quand jétais enfant javais une vénération pour mon père parce quil me paraissait toujours parfait, il me donnait limpression de savoir répondre à toutes mes questions ; il savait être sympa, intéressant, malin, capable en tous les domaines. Au fond je ne me rendais pas compte quen lui demandant dêtre «Dieu» dans ma vie je lui faisait violence ; pourquoi? Parce que Dieu est par définition lêtre parfait et en demandant à mon père de prendre la place de Dieu jétais en train de lui enlever le droit à lerreur. Quand je me suis rendu compte avec le temps quil 3 / 7
ne maimait pas comme jaurais voulu être aimé, que son amour ne me suffisait pas, alors je lui en ai voulu à mort, jusquà le haïr, parce que je croyais quil pouvait maimer mais quil ne le voulait pas. Finalement ma relation avec mon père a retrouvé son équilibre et toute sa vérité quand jai découvert que Dieu dans ma vie était un Autre et non pas lui. Cela ma permis daccepter mon père tel quil est, avec ses vertus mais aussi avec ses faiblesses, avec ses qualités mais aussi avec ses défauts, sans besoin de vouloir le changer pour être heureux. La même chose se passe dans le couple : si vous vous êtes marié en demandant plus ou moins consciemment à votre mari ou à votre femme dêtre votre Dieu, dêtre la mesure capable de combler votre solitude, votre besoin daffection, vos manques, vos peurs alors à un moment ou lautre vous le haïrez parce que vous verrez en ses faiblesses, en ses défauts, en son égoïsme, en ses limites, en sa paresse un obstacle à la réalisation de lidéal de bonheur que vous envisagez pour vous à travers lui/elle. Jusquà quand lautre restera pour moi un moyen en fonction de mon idéal de bonheur je vivrai dans ma vie des périodes de grande insatisfaction, de frustration et en plus sans nécessairement men apercevoir je risquerai de faire beaucoup de mal à lautre en exigeant de lui un rôle dans ma vie quil ne peut pas assumer celui de Dieu. 4 / 7
Cela est peut-être encore plus évident en famille, dans la relation avec les enfants : lenfant peut devenir Dieu dans ma vie de parent au moment où je vois en lui la possibilité de me réaliser, et cela à plus forte raison si dans mon enfance jai subi des humiliations, par exemple du fait dêtre né dans une famille pauvre ou davoir manqué dune formation qui maurait permis davoir une bonne position sociale, etc. Je verrai alors en mon fils la chance qui mest offerte de prendre ma revanche sur la vie. Si cest le cas, je cours le risque de laimer non pas pour ce quil est mais de laimer pour ce que jattends de lui, et si par hasard il me déçoit, alors nous connaissons tous la suite. Tous nous avons plus ou moins un idéal sur nos enfants, mais est-ce que nous nous sommes posé la question si cest le même idéal que le Seigneur a sur eux, si cest un idéal qui respecte leur identité, leur personnalité? Chaque enfant est différent et chacun a le droit de réaliser sa vocation, ce pour quoi il est fait, indépendamment de nos blessures. Cest un peu ça le sens de : «Qui veut garder sa vie pour soi la perdra ; qui perd sa vie à cause de moi la gardera». Perdre sa vie veux dire renoncer au rêve de bonheur que jai sur ma vie pour rentrer dans le rêve de bonheur que Dieu a sur moi et sur les personnes qui mentourent. Sinon je risque de vivre totalement aliéné, bloqué sur la nostalgie dun passé qui ne reviendra plus ou projeté dans un futur qui ne nous appartient pas. Mère Térésa disait ça en dautres mots : «Le 5 / 7
véritable bonheur dun homme ne dépend pas de ce quil réussira à réaliser dextraordinaire dans sa vie, mais de la qualité damour quil arrivera à mettre dans tout ce quil fera dans sa journée, même dans les chose les plus petites». Nous pouvons très bien lutter toute notre vie pour obtenir une position sociale, largent, le respect, le pouvoir et passer à côté de ce qui est essentiel : aimer! La valeur dun homme ne se mesure pas dans son pouvoir ou dans son compte en banque mais dans la qualité de son amour, lamour quil saura porter à sa femme, à son mari, à ses parents, à ses enfants, à ses amis... Tout lessentiel est là. Vous comprenez alors quon a besoin que Dieu vienne rapidement remettre ordre dans nos relations affectives, pour quelles ne deviennent pas névrotiques ; quil nous apprenne lamour, quil nous apprenne tout dabord à nous laisser aimer par lui, à lui rendre la première place dans notre vie, pour quon puisse apprendre en conséquence à aimer les autres dune manière libre, non idolâtre, et à leur rendre leur juste place. Donc le message nest pas «aimer moins» mais «aimer juste»! 6 / 7
Abbé Pietro CASTRONOVO Vicaire à Saint Martin 7 / 7