LES PHASES DU DEVELOPPEMENT DU LANGAGE ORAL CHEZ L ENFANT L étude du langage a beaucoup évolué ; nous sommes passés du répertoire de mots (par la description du répertoire de mots compris et produits par l enfant afin de dégager des règles d acquisition) aux règles d organisation du discours (par l organisation des énoncés, la mise en évidence de grammaire et de règles de construction selon les étapes d acquisition) et enfin à l utilisation de ces outils selon la situation dans laquelle on se trouve (par les formes et mécanismes d échanges communicatifs et langagiers de l enfant avec son entourage). Les apprentissages langagiers s ancrent dans des situations de communication construites par les partenaires privilégiés de l enfant. L enfant acquiert un répertoire de conduites langagières dont le volume et les caractéristiques dépendent des situations rencontrées. Nous parlons pour échanger des pensées, il n y a pas de langage sans théorie de l esprit, sans représentation de la pensée d autrui et les enfants se construisent très tôt une représentation des désirs, des pensées et des savoirs de l autre. Les découvertes des enfants appellent de nouvelles mises en mots. Le langage ne commence pas avec les premiers mots ; dès la naissance, l enfant communique avec son entourage, développe sa compréhension du monde et du langage. Le rythme de développement est variable, les compétences de l enfant sont aussi celle que les adultes sont prêts à lui reconnaître, et le langage compris est plus important que le langage produit. Le répertoire se développe lentement pour les 50 premiers mots puis il y a explosion verbale. Il faut 5 à 6 mois entre le premier mot et un répertoire de 50 mots atteint à 18 mois (200 à 300 mots à 24 mois, plus de 500 mots à 30 mois). L enfant passe de 2 à 6 ans de 200 à 2500/3000 mots (vocabulaire d un adulte cultivé : entre 25000 et 40000 mots). 1. Conditions d acquisition du langage : 1.1 Courant behavioriste, (début XXème, comportementaliste) : le langage est un comportement utilisant des mécanismes d apprentissage non spécifiques ; l enfant est une sorte de table rase qui se développe par stimulation de l environnement et renforcement. Le comportement verbal est une réponse à un stimuli, l habitude verbale correspond à une association stimulus/réponse avec éventuellement renforcement (l opérant de l eau émis par l enfant qui a soif a un effet sur son environnement qui exerce un effet retour sur l organisme ayant émis cet opérant en lui donnant un verre d eau). Tout opérant (verbal ou 1
non verbal) acquiert une probabilité d émission ou d apparition s il est suivi fréquemment d un événement appelé renforcement. Les premières étapes du langage consistent en des approximations grossières d opérants verbaux renforcés par l entourage qui s affinent avec l exigence d approximations de plus en plus fines ; les expressions non renforcées disparaissent par extinction. Cette conception est aujourd hui dépassée et critiquée car : - elle ne reconnaît pas la spécificité du langage - elle est réductionniste et traite le langage sous le seul angle stimulus/réponse/renforcement soit comme un comportement le plus élémentaire sans tenir compte des processus mentaux, des stratégies, de l intervention active du sujet mais reste intéressante quant aux données empiriques recueillies et au développement de démarches expérimentales précises. 1.2 Courant maturationniste (Gesell), l apparition des comportements est liée à une programmation interne, comme c est le cas pour la croissance physique ; l expérience et l apprentissage ont peu d effet et les différences interindividuelles ne sont que l expression de différences innées (l expérience des «enfants sauvages» servant souvent de référence). Chomsky : grammaire comme système fixe, propre à l espèce humaine et génétiquement déterminée correspondant à un système inné d acquisition du langage. L apport de Chomsky reste néanmoins important pour l analyse des structures de construction du langage (grammaire générative) et pour la distinction compétence/performance ; compétence définie comme l ensemble des règles linguistiques que possède un individu par rapport à sa langue et qui s actualise dans ses comportements verbaux, c est à dire ses actes de performance (conduites langagières observables). Par contre, il ne rend pas compte des processus psychologiques de traitement du langage et la notion de compétence ne prend pas suffisamment en compte l aspect fonctionnel du langage et sa dimension culturelle. 1.3 Perspectives cognitives actuelles -Conception modulariste avec la thèse du langage autonome : module avec une structure propre indépendant du reste de la vie mentale, langage comme système périphérique spécialisé dans le traitement des données verbales et imperméables à tout autre type d informations (connaissances générales, contexte ) Cette perspective a servi de base 2
aux développements des modèles informatiques construits sur une architecture du traitement de l information et suppose une conception syntaxique et formaliste du langage ; elle a permis de développer des travaux sur l accès au lexique, sur la psychologie cognitive de la lecture (traitement contrôlé/traitement automatisé). -Neuropsychologie cognitive : méthode d études de l activité cérébrale pour l étude des relations entre l organisation cérébrale et l organisation cognitive dans des domaines comme celui du traitement du langage (étude des structures cérébrales aux réseaux neuronaux à partir des variations de l activité électrique corticale). Cette méthode a permis de vérifier des hypothèses comme la modularité de certaines composantes de traitement (phonologie, sémantique, syntaxique ) et le repérage des aires cérébrales activées selon le mode de présentation des mots et le type de traitement effectué (présentation visuelle, auditive ; réception passive, répétition, production). Méthode qui est le terrain commun des recherches actuelles et qui a fourni des résultats intéressants sur la lecture ; les hypothèses sur le langage, son acquisition, sont toujours à l étude. 1.4 Perspectives interactionnistes et dynamiques La construction du langage chez l enfant n est pas indépendante des échanges verbaux qu il peut avoir avec son entourage. L ancrage social du langage souligné dans les années 1930 (Vygotsky), dans les années 1950 (groupe Palo Alto) est repris plus récemment et inspire de nombreuses recherches actuelles. Le modèle de Vygotsky (développement actuel de l enfant = ce qu il fait seul ; zone proximale de développement = ce qu il fait avec l autre et qui deviendra niveau de développement actuel) est utilisé pour étudier l enfant d age scolaire. Cette conception sociale du sujet conduit à considérer le langage comme moyen d action sur autrui (comprendre l acquisition des outils du langage et leur utilisation dans les activités de communication). Elle mène ainsi à l idée de construction d un répertoire de conduites langagières (discours que l enfant apprend à maîtriser dans ses différentes formes à travers ses interactions) plutôt qu à l acquisition du langage. 1.5 L approche pragmatique L unité de base est l acte de langage : l énoncé est un acte qui crée une relation entre l énonciateur, son partenaire et le contenu de l énoncé ; tout acte de langage a trois dimensions : l aspect locutoire (activité mentale), l aspect perlocutoire (conséquences sur l autre), l aspect illocutoire (fonction de communication, ce qu on veut dire qui peut être différent de ce qu on dit). L approche pragmatique permet de distinguer ce qui est dit, ce 3
que cela veut dire et la signification transmise d où différentes catégories d utilisation du langage définies par un acte social intentionnel : - assertif (le locuteur a des raisons de penser ce qu il dit comme vrai) - directif (le locuteur veut faire faire quelque chose à l interlocuteur) - promissif (le locuteur s engage à adopter une certaine conduite dans le futur) - expressif (le locuteur exprime un état psychologique) - déclarations (modification de l état de l objet ou de la personne à qui il fait référence) Ainsi dès 18 mois, l enfant comprend les demandes directes et indirectes ; les allusions vers 3 ou 4 ans. Jusqu'à 5-6 ans, la compréhension est liée à l action à réaliser ; au delà, elle est liée à la compréhension de l intention du locuteur. Des adaptations à l interlocuteur apparaissent vers 4 ans. Les adultes aident l enfant a maîtriser la compréhension et la production des différents actes de parole et des fonctions de communication de l énoncé en lui fournissant un étayage à travers lequel on restreint la complexité de la tâche et on construit des formats qui encadrent l action de l enfant l aidant à passer de son niveau actuel à son niveau potentiel (Bruner). 2. Les étapes d acquisition du langage 2.1. Début de socialisation Il nécessite pour bébé de comprendre que ses propres actions induisent un comportement chez l autre ( coucou, vocalise ) et développe un sentiment de sécurité en lien avec «l attachement» (à la mère, au doudou ) Importance des jeux et interactions avec l adulte dans la 1 ère enfance qui lui permettent de comprendre que ses propres actions induisent certains comportements chez l autre. Bébé perçoit aussi qu il peut contrôler son environnement et celui-ci devient en quelque sorte prédictible pour lui. 2.2. Emergence du langage Très vite (3 à 4 semaines) l enfant peut discriminer des sons proches (pa-ba), catégoriser (distinguer 2 émissions d un même son de 2 émissions de sons différents) Au 3 ème, 4 ème mois, la fonction et l organisation temporelle des échanges mère /enfant les font ressembler à une conversation, les vocalises des deux partenaires ne sont plus simultanées mais décalées, à tour de rôle. Il y a adaptation et redondance du discours de l adulte dans le but de clarification, simplification du discours pour l acquisition de la langue ; il est important de considérer 4
l enfant comme partenaire actif de la conversation, de parler avec l enfant plutôt qu à l enfant. Le langage proprement dit quand apparaît la combinatoire permet des phrases à 2 mots (auto-papa, apu gato). 2.3. Développement langagier Accélération à partir de 2 ans, développement par maîtrise du code, de son usage, par apprentissage culturel ; la construction du sens est une élaboration culturelle. A 6 ans, l enfant possède un lexique de 2500 à 3000 mots. 2.3.1. Développement du lexique, il passe par : -l entraînement à des activités de comparaison, de perception des contrastes et des similitudes entre objets et concepts. -la prise en compte d éléments de sens supplémentaires définissant mieux les catégories d objet, de personnes, d événements permettant d affiner la correspondance entre les mots et ce qu ils désignent (réduction de la sur extension : papa = tous les hommes, réduction de la sous extension : ballon = ballon particulier). 1 er temps : catégorie globale peu différenciées, chacune dans un contexte particulier : chien = chien familier 2 ème temps : différenciation des représentations : la rose a des feuilles, la tulipe a des feuilles mais feuilles de rose et feuilles de tulipe restent des propriétés distinctes. 3 ème temps : unification et généralisation des représentations, accès au concept (fleur). L acquisition de significations de certains mots familiers pour l adulte arrive parfois assez tard (ex : terme de parenté comme frère identifié comme mâle et enfant de même parent mais réciprocité (on est frère ou sœur de son frère) pas tout de suite intégrée dans la signification). 2.3.2. Développement syntaxique : Parallèlement au développement lexical, les énoncés deviennent plus longs et plus complexes. A 2 ans : les prépositions expriment la possession et le bénéfice (a-de-pour et moi ; je vient plus tard) A 2ans 6mois : emploi des articles indéfinis puis définis (avec certaines confusions d utilisation jusqu à 6 ans) 5
A 3ans 6mois : application de stratégies d interprétation systématiques devant une suite nom-verbe-nom ; marquage de l article (correct vers 6 ans), du genre ; l usage d adverbes de lieu précède celui de prépositions (dedans, dessus avant dans et sur). L expression du temps se fait entre 4 et 6 ans (avant 4-5 ans, l expression du temps apparaît par flexions verbales, infinitif, impératif). 2.3.3. Fonction langagière Utilisation progressive des différentes fonctions du langage et des types d énoncés correspondants, utilisation qui nécessite la stimulation de l environnement dans des activités de communications variées. - Fonction instrumentale (satisfaire ses besoins : je veux ça) - Fonction personnelle (exprimer un sentiment : j aime Antoine) - Fonction régulatrice (contrôler le comportement de l autre : fais ça) - Fonction interpersonnelle (entrer en relation avec l autre) sont présentes dans les activités préverbales puis s affinent dans les activités verbales - Fonction heuristique (pour en savoir plus sur le monde : dis, pourquoi?) - Fonction imaginative (créer son environnement, inventer une histoire) - Fonction informative (échange d infos avec l autre) apparaissent vers 2 ans. Une même fonction s exprime par différents types de phrases : sous forme déclarative (je veux ça) puis sous forme de requête de plus en plus indirectes (tu peux me donner ça?). Jusqu à 2 ans, l enfant a recours à l intonation puis avec l apparition d énoncés de deux mots ou plus, il opère une distinction entre énoncés impératifs et affirmatifs, entre énoncés négatifs et affirmatifs (apu gato). Le discours du jeune enfant est fait surtout de juxtapositions puis de coordinations avec différents mots (et, et puis, pi après). Vers 4 ans, il y a début de production d énoncés négatifs avec insertion d adverbe négatif à l intérieur de la phrase (je veux pas d épinards), de production correcte de subordonnée relative puis circonstancielle de cause, de conséquence, de but et de 6
temps (encore problématique en primaire comme par exemple : Anne va à l épicerie après avoir acheté du pain). 2.3.4. Capacité de communication 2 ans : il exprime sentiment, émotion ; partage ceux des autres par le langage. 2 ans 6 mois : il est capable de produire un message au contenu approprié au récepteur ; il est sensible aux interruptions, aux absences de réponse, aux manifestations d incompréhension. 3 ans : il peut répondre brièvement mais de façon appropriée aux questions des adultes, il peut soutenir une conversation avec l adulte en ajoutant une information nouvelle, il peut s adapter à son interlocuteur (ralentir le débit, exagérer l intonation). 4 ans : il peut s affirmer comme une source compétente d information (il ne raconte pas de la même manière une histoire à un adulte à partir d une image selon que celuici la voit ou non) 2.3.5. Développement métalinguistique : 6 ans : les activités métalinguistiques (passage d une connaissance intuitive et d un contrôle fonctionnel du langage à une réflexion et à un contrôle intentionnel) apparaissent vraiment avec l entrée dans la lecture ; il y a un contrôle conscient et actif du langage avec l enseignement de la lecture et de l écriture. L enfant apprend à jouer un rôle dans le théâtre familial quotidien, il apprend d abord dans une action ce qui est autorisé, ce qui ne l est pas, ce qui permet d obtenir le résultat souhaité. Très vite, il apprend que l action ne suffit pas et que pour obtenir ce qu on désire, il faut raconter l histoire qui convient ; pour cela il faut savoir ce qui fait qu une histoire est acceptable selon les normes de sa communauté culturelle. Vers 3-4 ans, il commence à s adapter à la vie de sa culture. Il passe d un langage de connivence à la maison à un langage explicite à l école. Il lui faut donc être attentif à ce que dit l adulte en s adressant à lui et quand il s adresse à tout le monde. L école c est s engager dans le dialogue entre personnes, exprimer des sentiments, faire partager ses expériences, apprendre à les verbaliser sous forme jugée acceptable avec un lexique et une syntaxe appropriée. Il nous faut être à l écoute de ses initiatives, de ce qu il 7
exprime et le lui signifier, le mettre en position d écouter et de prendre en compte ce que l autre veut communiquer. Le langage a une histoire avant l entrée à l école, l enfant a développé des compétences qu il faut lui reconnaître pour faciliter le travail de ce qu on considère comme manques ou insuffisances. L appétit de communication demande qu on le nourrisse. L adulte fournit cadre, format à l émergence des compétences langagières, il faut alors considérer l enfant comme un interlocuteur actif. L activité langagière stimule les élaborations narratives de l enfant si elle lui permet de répondre à ses besoins culturels, de s insérer dans sa culture. On parle aujourd hui de répertoire de conduites langagières (discours que l enfant apprend à maîtriser dans ses différentes formes à travers ses interactions) plutôt que d acquisition du langage. Ces conduites langagières, ce répertoire de conduite langagière, dont le volume et les caractéristiques dépendent des situations rencontrées, se développent sur le long terme. 8