Enfants du Mékong A i d e à l e n f a n c e d u S u d - E s t a s i a t i q u e wwwenfantsdumekongcom n 178 - juin-juillet 2013-2,40 e Philippines Aime, la maison de l amour Former des professionnels
Points chauds Ancienne filleule d Enfants du Mékong, diplômée de l école d hôtellerie et de restauration Sala Baï, Sok Sara est aujourd hui serveuse à l Heritage Suites Hotel, le seul Relais et Châteaux de Siem Reap J-M Gautier Des professionnels THAÏLANDE Golfe de Thaïlande CAMBODGE 200 KM Phnom Penh Mékong LAOS VIETNAM Mer de Chine Méridionale Au, la formation professionnelle représente une véritable chance pour un pays dont les besoins en techniciens qualifiés restent considérables Reportage auprès des jeunes Cambodgiens qui ont choisi ce secteur grâce au soutien du parrainage Par Geoffroy Caillet Relevant un instant la tête de l établi où il répare un carburateur de moto, Nuoeng n en fait pas mystère : il y a deux ans encore, jamais il n aurait pensé se retrouver là «Là», c est le centre de formation professionnelle Don Bosco, installé depuis dix ans à Poïpet, la ville frontière entre le et la Thaïlande Les soixante garçons qui y vivent comme pensionnaires suivent une formation théorique et pratique en informatique, électricité ou mécanique pendant deux ans, à raison de huit heures par jour L ambiance y est bon enfant malgré une discipline plutôt stricte La formation «pro» : oui, mais À 17 ans, Nuoeng est déjà en deuxième année de mécanique Filleul d Enfants du Mékong, il a vécu au foyer de Banteay Chhmar pour pouvoir fréquenter le lycée, situé à quatre kilomètres de son village Nuoeng aurait aimé aller jusqu en terminale, mais il n avait pas le niveau Pour lui, la formation professionnelle s est présentée comme une alternative idéale «J aime la mécanique J ai commencé à m exercer en réparant le motoculteur de mon père», déclare-t-il fièrement Une fois diplômé, trouver un emploi ne devrait pas être difficile : «Les anciens élèves de Don Bosco disent qu il y a beaucoup de travail», ajoute-il, en précisant qu il vise une entreprise plutôt qu un simple garage «Les postes y sont plus stables et les salaires meilleurs» 6 / n 178 // juin-juillet 2013
Un cours de mécanique à l école professionnelle Don Bosco de Poïpet G Caillet pour le Son voisin, Ray, 21 ans, approuve Pour cet étudiant en première année d électricité, originaire de Pailin, l avenir professionnel se situe en Thaïlande «On peut y gagner 300 dollars par mois», croit-il savoir par des amis qui se sont laissé tenter par l eldorado voisin Grâce à la télévision, il comprend le thaïlandais et le parle un peu Après une première expérience professionnelle, il envisage pourtant de rejoindre un cursus classique à l université de Phnom Penh L argent économisé sur son salaire lui permettra de payer sa formation Leng, 22 ans, fera comme lui Ce jeune homme originaire de Banteay Chhmar se destine à être réparateur de machines agricoles Mais une fois son diplôme en poche, c est aussi les bancs de l université qu il pense retrouver g«la formation professionnelle permet au jeune d avoir une vie meilleure que celle de ses parents» Culture du diplôme On reste perplexe devant un même projet, inexplicable au premier abord Pourquoi retourner à l université une fois muni d un diplôme permettant de travailler immédiatement? Directeur d Enfants du Mékong pour le, Martin Maindiaux a la réponse à une situation qu il connaît désormais par cœur : «Au, la culture du diplôme est si forte que, même après une formation professionnelle, les jeunes ne pensent qu à intégrer l université pour décrocher le seul diplôme qui en vaille la peine à leurs yeux Beaucoup n acceptent qu à contrecœur de s engager sur la voie professionnelle Ils restent fixés sur un retour à la voie générale» Les filières qui font rêver les étudiants cambodgiens sont toujours les mêmes En tête, management et comptabilité Alors même que les formations abondent à l université ou dans les écoles privées, ces deux secteurs sont aujourd hui saturés À l inverse, les besoins du pays en techniciens n 178 // juin-juillet 2013 / 7
Points chauds qualifiés sont immenses «On regrette d autant plus que les jeunes ne choisissent pas la formation professionnelle pour elle-même Mais, comme en France il n y a pas si longtemps, elle n est pas valorisée culturellement et socialement ici», reprend Martin Maindiaux À Siem Reap, la ville des temples d Angkor, le développement exponentiel du tourisme depuis quinze ans (2 millions de visiteurs ont fréquenté le site en 2012) a dopé le secteur de l hôtellerie, qui embauche aujourd hui des milliers de personnes Depuis sa fondation en 2003, l école Paul Dubrule a formé 1 400 diplômés dans les spécialités cuisine, boulangerie-pâtisserie, hôtellerie, réception et tourisme Après un examen d entrée en anglais, les étudiants alternent théorie et pratique à l école et dans les innombrables hôtels et restaurants de la ville, où ils sont souvent embauchés ensuite «On est souvent mieux payé dans des hôtels locaux que dans les palaces, mais la progression y est plus faible», précise Sotheary, une jeune fille de 20 ans qui travaille à la réception d un grand hôtel de Siem Reap Vers une vie meilleure Ancienne élève des foyers d Enfants du Mékong, cette jeune fille gracieuse s est tournée vers l hôtellerie après le forum d orientation organisé par Enfants du Mékong chaque année C est là qu elle a trouvé le prospectus de Sala Baï, une école professionnelle créée par l ONG Agir pour le, qui a fêté en 2012 ses dix ans d existence et ses 903 diplômés À sa sortie de l école, en 2010, Sotheary a choisi la réception : «Être au contact des clients, c est ce que je voulais Je peux ainsi pratiquer l anglais tous les jours car la clientèle est internationale : Japonais, Chinois, Coréens ou Espagnols» Avec un salaire mensuel de 150 dollars, sur lesquels elle envoie 80 dollars à sa famille, Sotheary est encore loin des 500 à 600 dollars auxquels peuvent prétendre beaucoup d employés, mais elle ne se plaint pas Elle aussi avoue pourtant avoir choisi la formation professionnelle par défaut Comme tant d autres jeunes de son âge, elle visait d abord des études de finance et explique tranquillement qu elle envisage toujours ce cursus, «car la réception est un métier fatigant On y FORMATION PRO : PEUT MIEUX FAIRE Malgré l appoint que représentent les formations continues et techniques, la formation professionnelle souffre de multiples faiblesses au, aussi bien quantitatives et qualitatives qu institutionnelles Public, privé et ONG se partagent un secteur très morcelé, au détriment de sa qualité Au premier rang des griefs : l inadaptation au marché du travail et le décalage entre le discours et la pratique, le gouvernement tardant à assurer à ce domaine une homogénéité et une reconnaissance professionnelle et culturelle Un cours d informatique à l école professionnelle Don Bosco de Poïpet G Caillet travaille debout et tous les week-ends Mon métier me permet d économiser de l argent pour me payer l université dans un ou deux ans» Pour elle aussi, la formation professionnelle est surtout une passerelle vers un autre métier, réputé plus lucratif, mais dont Sotheary avoue également ne pas savoir grand-chose Pour Martin Maindiaux, cette façon de voir reste malgré tout très positive : «Le bon point, c est que ces jeunes apprennent un métier par la formation professionnelle Ils travaillent, Bramny, couture Sreylene, couture Nuoeng, mécanique 8 / n 178 // juin-juillet 2013
apprennent à gérer un budget Beaucoup apprendront aussi à l aimer et à devenir les bons professionnels dont le a tant besoin S ils retournent à un cursus classique, ils seront capables de le financer eux-mêmes, et en cas de succès, ils pourront peut-être décrocher un meilleur métier, même si cela reste aléatoire Dans le cas contraire, ils pourront toujours revenir à leur métier d origine, riches d une nouvelle expérience En fait, la formation professionnelle vise le même but que le parrainage scolaire : permettre au jeune d avoir une vie meilleure que celle de ses parents» «Une rampe de lancement» Emmanuelle Dethomas, la dynamique présidente d Agir pour le, va dans le même sens D un trait, elle résume le rapport entre la formation professionnelle et les métiers auxquels Cours de couture pour Chhay à l école professionnelle Don Bosco de Battambang G Caillet prépare Sala Baï : «En tant que formation professionnelle créée par une ONG, Sala Baï est une sorte de rampe de lancement pour des jeunes issus de familles très pauvres Leurs employeurs nous disent : " Vous nous fournissez un diamant brut et nous le polissons"» Ce diamant poli, c est ce qu est devenue aujourd hui Vandy À 28 ans, cette ancienne élève de Sala Baï est cuisinière depuis six ans à l Amansara, un des palaces les plus luxueux de Siem Reap «Avant de commencer ma formation, je ne savais rien de la cuisine : j ai tout appris à Sala Baï et dans mon métier Malgré le haut niveau d exigence, l ambiance est bonne, c est un peu comme une famille» Son rêve : «Ouvrir un petit restaurant à moi dans quelques années» Même son de cloche dans la modeste école de couture tenue à Battambang par les sœurs de Don Bosco Parmi les soixante jeunes filles issues de familles pauvres qu elle accueille pour une formation de deux ans, Chhay n a que 16 ans Elle vient d arriver ici après avoir arrêté l école en quatrième et ne cache pas son enthousiasme : «J ai découvert un métier, je me suis fait des amis Et puis, ajoute-elle avec un naturel désarmant, je mange à ma faim» Sa voisine, Bramny, 19 ans, vient de finir sa formation Elle enseigne désormais la couture et espère à terme concrétiser son rêve : se mettre à son compte comme couturière en robes En attendant, on ne se lasse pas de l entendre répéter, sourire aux lèvres, qu elle a trouvé sa voie n CRetrouvez d autres portraits dans 6 jeunes Khmers sur webdocenfantsdumekongcom Leng, mécanique Vandy, restauration Ray, électricité n 178 // juin-juillet 2013 / 9