Éclairages 10 Précisions sur le régime du compte courant d associé Par Benoit MARPEAU et François DIETRICH



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Actualités Éclairage DROIT DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES applicable à l'avance en compte courant consentie par la société EPC. Dans son pourvoi incident, la société EPC soutenait que l'arrêt d'appel souffrait néanmoins d'une contradiction de motifs sur ce point, la cour d'appel retenant tout à la fois que «la convention de compte courant ne précisait ni la durée pendant laquelle la mise à disposition des fonds était accordée, ni les modalités de son remboursement», et que la société DFC, tenue de rembourser les fonds qu'elle avait reçus en compte courant d'associé, avait «accepté de s'en acquitter selon l'échéancier sur six années arrêté lors de la cession des titres». Néanmoins, la Cour de cassation rejette également ce moyen, en jugeant «qu'ayant relevé que la convention de compte courant ne précise ni la durée pendant laquelle la mise à disposition des fonds est accordée, ni les modalités de son remboursement, la cour d'appel en a exactement déduit que les modalités de remboursement accordées lors de la cession des titres ne conféraient pas au compte courant la qualité de prêt à plus d'un an». C'est donc à un double titre que la Cour de cassation vient dans cet arrêt préciser le régime juridique du compte courant d'associé, en permettant d'une part à l'associé prêteur de rapporter librement la preuve de son avance en compte courant au moyen des documents comptables de la société débitrice (I), et en précisant d'autre part les conséquences du droit de l'associé au remboursement immédiat de son compte courant au regard de la règle de l'arrêt du cours des intérêts lors du jugement d'ouverture (II). I. LE RÉGIME PROBATOIRE DE LA CONVENTION DE COMPTE COURANT Le compte courant d'associé est assurément l'un des outils les plus précieux parmi les divers modes de financement internes d'une entreprise. La mise à disposition de fonds par un associé permet en effet à la société de pallier l'insuffisance de ses fonds propres, de remédier à un défaut de trésorerie ou encore de garantir un financement bancaire, tout en évitant le processus coûteux et incertain de l'obtention d'un prêt bancaire ou les rigidités qu'entraîne une modification du capital de la société. Mode original de financement, le compte courant d'associé est également un outil de redistribution des rôles respectifs de chaque associé au sein de la société, en permettant de dissocier l'importance des fonds mis à la disposition de la société par ses associés de leurs poids respectifs dans les décisions collectives. A. La preuve de la remise des fonds peut être établie par des documents comptables Si la souplesse du compte courant d'associé explique en grande partie l'attrait que les sociétés manifestent pour ce financement interne, elle présente également certains risques que la société débitrice a précisément tenté d'exploiter dans la décision commentée. L'avance en compte courant s'analyse en effet comme un prêt, et non comme un apport de l'associé. Une telle convention est soumise au droit commun des obligations, et non au régime des apports établi par le droit des sociétés (Cass. com., 18 nov. 1986, n 84-13.750, Rev. sociétés 1987, p. 581, note Urbain-Parléani I. ; CA Paris, 14 févr. 1990, CIAL c/mathieu, Rev. sociétés 1990, p. 418, note Urbain-Parléani I. ; CA Paris, 2 juin 1992, Marques c/sté Marques Pressing, Bull. Joly Sociétés 1992, p. 942, note Couret A., RJDA 1992, n 917 et n 1028 ; CA Orléans, 9 nov. 1994, SCI Chantereine c/hotiers, JCP E 1995, pan., n 676). Contrat de prêt, la convention de compte courant constitue ainsi une dérogation importante au monopole bancaire prévu à l'article L. 511-5 du code monétaire et financier, réservant aux établissements de crédit l'exercice des opérations de banque. La loi soustrait en effet expressément le compte courant à la qualification de fonds reçu du public lorsque l'associé occupe des fonctions de direction au sein de la société ou lorsqu'il détient au moins 5 % du capital social (C. mon. fin., art. L. 312-2). Par cette disposition, le droit bancaire vient au demeurant affaiblir le principe d'indépendance des qualités d'associé et de créancier, en soustrayant au monopole bancaire certaines avances en compte courant en considération du rôle que l'associé tient au sein de la société. Cette qualification juridique n'est pas sans conséquences sur le régime probatoire de la convention de compte courant, conséquences dont la société débitrice a cherché à tirer profit. En effet, le contrat de prêt s'analyse classiquement, au même titre que le dépôt et le gage, comme un contrat réel dont la validité suppose la remise préalable de la chose faisant l'objet du contrat. Malgré le désaccord d'une partie de la doctrine défendant la nécessité d'envisager le prêt comme un contrat consensuel (Marty G. et Raynaud P., Traité de droit civil, Les obligations, t. 1, Sirey, n 60 ; Mazeaud et Chabas F., Leçons de droit civil, t. 2, vol. 1, LGDJ, 9 e éd., n 82 ; Starck B., Roland H. et Boyer L., Droit civil, Obligations, Contrat, Lexisnexis, 6 e éd., n os 218 et s. ; Jobard-Bachelier M.-N., Existe-t-il encore des contrats réels en droit français? Ou la valeur des promesses de contrat réel en droit positif, RTD civ. 1985, p. 1), la jurisprudence reste fidèle à l'analyse classique, même si les exceptions telles que le contrat de prêt immobilier (Cass. 1 re civ., 27 mai 1998, n 96-17.312, Bull. civ. I, n 186, D. 1999, jur., p. 194, note Bruschi M., somm., p 28, obs. Jobard-Bachelier M.-N.) ou le prêt consenti par un professionnel du crédit (Cass. 1 re civ., 28 mars 2000, n 97-21.422, Bull. civ. I, n 105, D. 2000, jur., p. 482, note Piedelièvre S., RTD com. 2000, p. 991, obs. Cabrillac R. ; Cass. 1 re civ., 27 nov. 2001, n 99-10.633, JCP G 2002, II, n 1050, note Piedelièvre S., Defrénois 2002, art. n 37486, obs. Libchaber R. ; Cass. 1 re civ., 7 mars 2006, n 02-20.374, Bull. civ. I, n 138) tendent à se multiplier. Reste que le prêt qui n'est pas consenti par un établissement de crédit est un contrat réel qui suppose la remise de la chose (Cass. 1 re civ., 19 juin 2008, n 06-19.056, Bull. civ. I, n 175 ; Cass. 1 re civ., 7 mars 2006, n 02-20.374, préc., D. 2007, pan., p. 759, obs. Martin D. R., JCP E 2006, 10109, note Piedelièvre S. ; Contrats, conc., consom. 2006, comm. 128, note Leveneur L., RLDC 2006/33, n 2292, note Viret M.-P., RDC 2006, p. 778, obs. Puig P.), de sorte que la preuve d'un tel prêt, dans l'hypothèse d'une avance en compte courant, ne peut résider que dans la constatation de la remise des fonds. S'appuyant sur cette conséquence naturelle de l'assimilation du compte courant à un contrat réel, la société débitrice a reproché à la cour d'appel de n'avoir pas recherché si la preuve de la mise à disposition des fonds par l'associé prêteur avait été rapportée. Pour conclure à la remise effective de sommes par l'associé prêteur à la société débitrice, la cour d'appel s'était toutefois fondée sur le rapport du commissaire aux comptes faisant état d'une avance en compte courant consentie par l'associé, ainsi que sur la mention de la somme de 1 143 368 euros à la ligne «Emprunt et dettes financières divers» du passif du bilan de la société débitrice. Néanmoins, selon cette dernière, ces éléments ne pouvaient constituer la preuve de la remise des fonds. Dans son arrêt en date du 23 avril 2013, la Cour de cassation rejette cette argumentation, au motif que la cour d'appel a implicitement mais nécessairement procédé à la recherche prétendument omise. La preuve de la remise des fonds par les documents comptables Numéro 84 I Juillet/Août 2013 RLDA I 11

Précisions sur le régime du compte courant d'associé de la société débitrice est ainsi approuvée par la Haute juridiction, dont la décision assouplit opportunément le régime probatoire de la convention de compte courant. Cette solution est au demeurant conforme au régime de la preuve des faits juridiques applicable à la tradition de la chose. Surtout, cette solution fait écho aux deux importants arrêts rendus le 14 janvier 2010 par la Cour de cassation confirmant, d'une part, la possibilité de rapporter la preuve de la remise de fonds par une reconnaissance de dette et, d'autre part, renvoyant au pouvoir souverain des juges l'appréciation de la valeur probante de documents comptables censés prouver la mise à disposition de fonds (Cass. 1 re civ., 14 janv. 2010, n 08-18.581 et n 08-13.160, D. 2010, p. 620, note François J., p. 2092, chron. Auroy N. et Creton C., et p. 2671, obs. Delebecque P., Bretzner J.-D. et Gelbard-Le Dauphin I., RD imm. 2010, p. 203, obs. Heugas-Darraspen H.). B. Un assouplissement opportun du régime probatoire de la convention de compte courant Cette décision présente assurément l'avantage de rassurer les praticiens, dans la mesure où la remise des fonds par l'associé prêteur ne constitue pas la règle en la matière, l'alimentation externe du compte d'associé n'étant qu'une possibilité parmi d'autres. Le compte courant d'associé peut en effet être alimenté par des sommes que la société doit à l'associé, telles que les dividendes, une créance de salaire, le prix d'un contrat de vente ou même une créance au titre d'un contrat d'entreprise (Cass. 3 e civ., 28 nov. 2001, n 00-13.335, Bull. Joly Sociétés 2002, p. 247, note Peterka N., RTD com. 2002, p. 118, obs. Monsérié-Bon M.-H.). Ces sommes dues à l'associé par la société et inscrites en compte courant sont, dans de telles hypothèses, laissées à la disposition de cette dernière sous forme d'avance. La possibilité pour l'associé prêteur de justifier de son avance en compte courant par les documents comptables de la société débitrice apparaît à la lumière de cette «alimentation passive» légitime, sinon nécessaire. Si cette décision sera incontestablement accueillie avec faveur par les praticiens, elle comporte néanmoins certaines limites. Cette décision est d'autant plus justifiée qu'en l'espèce, l'existence de l'avance en compte courant était attestée par un ensemble d'éléments ne laissant place à aucun doute. D'une part, les comptes de l'exercice de l'année 2001 faisaient clairement apparaître au bilan du passif de la société débitrice une ligne «Emprunt et dettes financières divers» pour un montant correspondant à l'avance en compte courant, cette avance étant par ailleurs précisément visée dans le rapport spécial du commissaire aux comptes relatif à cet exercice. D'autre part, la société débitrice avait régulièrement procédé aux divers règlements prévus par l'échéancier arrêté d'un commun accord entre l'associé prêteur et son cessionnaire, ces règlements ayant été à juste titre qualifiés par la cour d'appel d'actes d'exécution confirmant l'existence de la créance au titre de la convention de compte courant d'associé. Si cette décision sera incontestablement accueillie avec faveur par les praticiens, deux limites sont néanmoins à signaler. D'une part, la portée de la solution proposée par la Cour de cassation reste limitée, dans la mesure où l'appréciation des éléments de preuve est laissée sans restriction à l'appréciation souveraine des juges du fonds (Delpech X., Précisions sur le régime du compte courant d associé, D. act. 14 mai 2013). D'autre part, seuls les termes et conditions de la convention de compte courant figurant dans les documents comptables de la société débitrice lui sont opposables, la cour d'appel se livrant à une analyse détaillée de ces éléments pour exclure une majoration des intérêts courant sur l'avance consentie qui, bien que prévue par un avenant à l'acte de cession des parts sociales de l'associé prêteur, n'apparaissait ni dans les comptes, ni dans le rapport spécial du commissaire aux comptes de la société débitrice. Ces limites constituent autant de bonnes raisons pour les parties à la convention de formaliser par un document écrit l'avance consentie par l'associé prêteur, la décision commentée ne représentant en aucun cas un blanc seing déposé par la Cour de cassation sur la pratique qui consisterait à se décharger entièrement de toute documentation du prêt sur les pièces comptables de la société débitrice. La seconde réponse proposée par la Cour de cassation dans son arrêt du 23 avril 2013 confirme au demeurant, s'il était nécessaire, l'utilité de procéder dès la mise à disposition des fonds à la conclusion d'une convention en bonne et due forme. II. LE COMPTE COURANT D'ASSOCIÉ À LA LUMIÈRE DU RÉGIME DE FAVEUR DE L'ARTICLE L. 622-28 DU CODE DE COMMERCE A. Une appréciation stricte de la «durée» du prêt à plus d'un an Toute autre était la question posée à la Cour de cassation par le pourvoi incident formé par l'associé prêteur et portant sur l'application de la règle de l'arrêt du cours des intérêts dus par le débiteur. Aux termes de l'article L. 622-28 du code de commerce, «Le jugement d'ouverture arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels, ainsi que de tous intérêts de retard et majorations, à moins qu'il ne s'agisse des intérêts résultant de contrats de prêt conclus pour une durée égale ou supérieure à un an ou de contrats assortis d un paiement différé d'un an ou plus». Au titre des exceptions au principe de l'arrêt du cours des intérêts figure donc les contrats de prêt d'une durée supérieure ou égale à un an, cette disposition étant destinée à encourager le crédit à moyen et long terme de la part des établissements de crédit. En l'espèce, il ressort de l'arrêt d'appel que l'avance consentie par l'associé prêteur à la société débitrice n'avait à l'origine fait l'objet d'aucun document écrit. Or il est aujourd'hui bien établi qu'en l'absence de disposition conventionnelle contraire, l'associé peut demander à tout moment et quelle que soit la situation financière de la société le remboursement du solde de son compte courant (Cass. com., 24 juin 1997, n 95-20.056, RJDA 1997, n 1349, Dr. sociétés 1997, n 138, note Bonneau T., Bull. Joly Sociétés 1997, p. 871, note Saintourens B., D. aff. 1997, p. 938, JCP G 1997, II, n 22966, note Mousseron P., RTD com. 1998, p. 153, obs. Champaud C. et Danet D. ; Cass. com., 8 déc. 2009, n 08-16.418, RJDA 2010, n 246). Dans une telle hypothèse, il semble évident que l'associé prêteur n'ayant pris le soin de formaliser son avance et pouvant ainsi en solliciter le remboursement à tout moment ne puisse pas se prévaloir de l'exception à la règle de l'arrêt du cours des intérêts, son prêt ne pouvant assurément pas être considéré comme un prêt à plus d'un an. Toutefois, la situation pouvait en l'espèce apparaître différente. L'associé prêteur entendait en effet se prévaloir de la «régularisation» 12 I RLDA Numéro 84 I Juillet/Août 2013

Actualités Éclairage DROIT DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES de la convention de compte courant à laquelle il avait par la suite procédé, en stipulant dans l'acte de cession de ses parts sociales et dans un avenant à cet acte les modalités de remboursement de son prêt au moyen d'un échéancier définissant à la fois le montant et les échéances de remboursement de son avance en compte courant. Certes, ces modalités n'étaient pas opposables en tant que telles à la société débitrice, cette dernière n'étant pas partie à l'acte de cession et à son avenant conclus par l'associé prêteur et son cessionnaire. Néanmoins, se fondant sur les documents comptables de la société débitrice et sur les actes d'exécution auxquels elle s'était livrée, la cour d'appel avait retenu non seulement que la société débitrice était tenue de rembourser les fonds qu'elle avait reçus, mais qu'elle avait également «accepté de s'en acquitter selon l'échéancier sur six années arrêté lors de la cession des titres». Pourtant, la cour d'appel, approuvée par la Cour de cassation, rejette la demande de l'associé prêteur invoquant l'exception à l'arrêt du cours des intérêts prévue à l'article L. 622-28 du code de commerce, en jugeant qu'«en l'absence de modalités de remboursements contractuels supérieurs à un an ou plus, les modalités de remboursements accordées sur plus d'un an lors de la cession de titres ne confèrent pas au compte courant la qualité de prêt à plus d'un an permettant à la société EPC de se prévaloir des dispositions de l'article [L. 622-28 du code de commerce]». Dans son pourvoi, l'associé prêteur entendait quant à lui se prévaloir de la contradiction apparente présente dans les motifs de l'arrêt de la cour d'appel, cette dernière reconnaissant d'un côté que des modalités de remboursements avaient été convenues sur plus d'un an et étaient opposables à la société débitrice, et de l'autre que ces modalités de remboursement ne conféraient toutefois pas au compte courant la qualité de prêt à plus d'un an. Cette argumentation ne pouvait néanmoins prospérer. En effet, la durée du prêt requise pour bénéficier du régime de faveur prévu à l'article L. 622-28 du code de commerce s'apprécie au moment où le prêt est conclu. Cette durée est appréciée strictement par la jurisprudence, qui refuse de conférer la qualification de prêt à plus d'un an tant au contrat de prêt de six mois ayant fait l'objet de plusieurs avenants en prolongeant la durée (Cass. com., 29 avr. 1993, n 99-15.544, Bull. civ. IV, n 65, RTD com. 2003, p. 820, obs. Martin-Serf A.) qu'à la convention de découvert à durée indéterminée, quand bien même elle aurait été poursuivie sur une durée égale ou supérieure à un an (Cass. com., 6 mai 1997, n 94-13.772, Bull.civ. IV, n 116, JCP E 1997, II, p. 996, note Legeais D.). Dès lors, les modalités de remboursement de l'avance consentie par l'associé prêteur convenues postérieurement à la conclusion de la convention de compte courant ne sauraient conférer à cette convention la qualité de prêt à plus d'un an au sens des dispositions de l'article L. 622-28 du code de commerce, seules les stipulations prévues à l'origine étant prises en considération. Loin de se contredire, la cour d'appel a donc procédé à une stricte application de la jurisprudence relative au régime de faveur prévu à l'article L. 622-28 du code de commerce au cas particulier de la convention de compte courant qui, sauf stipulation contraire, est remboursable à tout moment. B. La régularisation de la convention de compte courant : une pratique imparfaite La nécessité d'apprécier la durée du prêt au moment de sa conclusion se justifie non seulement par une lecture littérale du texte seuls les contrats de prêt «conclus» pour une durée égale ou supérieure à un an échappant à la règle de l'arrêt du cours des intérêts mais aussi par la finalité de cette règle. Ce principe traditionnel d'ordre public (Soinne B., Traité des procédures collectives, Litec, 2 e éd., 1995, n 1986) trouve en effet sa source dans le principe d'égalité entre les créanciers et la nécessité d'établir le passif de la société. Étant destiné à bénéficier à la société, il présente le double avantage de favoriser ex ante le financement de moyen et long terme de la société tout en facilitant ex post la tâche des mandataires dans la vérification du passif, ce dernier étant d'une certaine manière «gelé» par l'arrêt du cours des intérêts. La prise en considération de la durée du prêt au moment de sa conclusion se justifie ainsi par l'objectif de protection du crédit à moyen et long terme et permet d'éviter toute manœuvre qui consisterait à modifier, peu de temps avant l'ouverture de la procédure collective, les termes du contrat de prêt afin d'échapper à l'arrêt du cours des intérêts. Ce risque apparaît d'autant plus grand dans le cas d'une convention de compte courant que le prêteur, associé, bénéficie d'une position privilégiée lui permettant d'être parmi les premiers informés des difficultés rencontrées par la société et pouvant se conclure par l'ouverture d'une procédure collective. La tentation pourrait ainsi être grande de vouloir modifier in extremis la durée de l'avance qu'il a consentie à la société débitrice et d'éviter ainsi de perdre le bénéfice des intérêts qu'il aurait dû percevoir sur son avance à compter de l'ouverture de cette procédure. Si tel n'a manifestement pas été le cas en l'espèce, les modalités de remboursement du compte courant ayant été établies des années avant l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, la décision de la Cour de cassation apparaît pleinement justifiée au regard d'un tel risque, en plus d'être cohérente avec la jurisprudence qui, en la matière, définit une appréciation stricte de la durée du contrat de prêt permettant de bénéficier du régime de faveur prévu à l'article L. 622-28 du code de commerce. Cette décision attirera donc opportunément l'attention des praticiens sur les risques liés au défaut d'établissement d'une convention écrite portant sur l'avance en compte courant d'associé et sur la nécessité de prévoir dès l'origine les termes et conditions de ce prêt. Plusieurs raisons déjà connues justifient la formalisation de l'avance en compte courant par une convention écrite. D'une part, une telle avance ne peut porter intérêts qu'à la condition que la convention ou une disposition statutaire le prévoient (C. civ., art. 1907). D'autre part, il est de principe qu'à défaut de disposition conventionnelle contraire, le créancier d'un compte courant d'associé peut demander à tout moment le remboursement du solde créditeur de ce compte. L'importance du montant de l'avance consentie et la nécessité pour la société débitrice de disposer de ces fonds pour une certaine durée expliquent en pratique que les parties prennent le plus souvent le temps de rédiger une convention en bonne et due forme. Reste que la forme écrite n'est pas prescrite à peine de nullité, de sorte que la société et l'associé prêteur sont parfois tentés de profiter de la souplesse de ce mode de financement en se passant de toute convention écrite, quitte à formaliser ultérieurement la mise à disposition des fonds. La présente décision a le mérite d'illustrer une conséquence fâcheuse pouvant accompagner une telle pratique, l'associé prêteur étant définitivement lié par la convention initiale au regard des dispositions de l'article L. 622-28 du code de commerce, et invite l'associé prêteur, en dépit de l'urgence pouvant caractériser le besoin de trésorerie de la société, à ne pas confondre vitesse et précipitation. Numéro 84 I Juillet/Août 2013 RLDA I 13