UNE EXPÉRIENCE UNIQUE JAL Roger MORASSE Saint-Juste, Auclair, Lejeune et Lots Renversés sont des agglomérations voisines situées à l'est du Lac Témiscouata, près de la frontière du Nouveau-Brunswick (figure 1). Pour désigner ce territoire de 39 000 ha, il a été convenu d'utiliser les lettres initiales des trois plus grosses «paroisses «( 1 ) et, depuis, cet ensemble est connu sous le sigle de «JAL Entre 1963 et 1967, une étude d'aménagement du territoire a été conduite par le Bureau d'aménagement de l'est du Québec pour le compte des gouvernements provincial et fédéral. Suite à cette étude et à la mise en oeuvre du plan de développement suggéré, ces localités étaient déclarées paroisses marginales» ce qui signifiait, en pratique, le déménagement de toute la population dans un avenir plus ou moins rapproché. L'accord de la majorité des intéressés était néanmoins nécessaire. Les deux mille citoyens de ce secteur ont refusé cette proposition et ils ont décidé d'assumer leur développement économique et social. Une population qui a pris ses affaires en main, une modification importante de l'organisation physique du territoire, une volonté et une fierté qui étonnent le visiteur, de nombreuses réalisations concrètes, tels sont les traits caractéristiques de cette région, après sept ans d'efforts concertés de la population. Figure 1 (1) Entité religieuse qui sert aussi à identifier une localité. 107 R.F.F. XXXI n sp. 1979
R. MORASSE m 'w a)o np mo. U C (p W n 108
La forêt au Québec Parmi les moyens mis en oeuvre pour réaliser ce tour de force, la formation d'une coopérative de développement pour s'occuper de l'aménagement intégré des ressources du territoire est devenue la plaque tournante de ce changement. Cette coopération est connue depuis lors sous le nom de JAL et elle est devenue le maître d'oeuvre de réalisations intéressantes. LE FONCTIONNEMENT Avec l'appui de la population de son territoire, JAL détermine des activités économiques propres au milieu, réalise concrètement des projets, les rentabilise et, par la suite, s'en détache juridiquement en formant des coopératives ou autres corporations ( 2), lesquelles deviennent la propriété des travailleurs (voir schéma). Pour sauvegarder l'objectif communautaire et éviter un développement anarchique, JAL demeure actionnaire des nouveaux organismes, les fait bénéficier de sa réputation et peut, s'il le juge à propos, exiger certaines obligations contractuelles dans l'intérêt collectif de la population de sa zone. L'animation, l'information, la planification, la représentation et la recherche demeurent sous l'entière responsabilité de JAL qui maintient ainsi un lien essentiel avec toutes les composantes de la coopérative. Éventuellement, JAL pourra fournir des services techniques de comptabilité pour une plus grande efficacité et une réduction des coûts et faire profiter ses organismes de son expérience. Entreprise de développement à but non lucratif, JAL est appelé à maintenir des activités économiques permanentes, tel que le développement touristique et ses nombreuses facettes qu'il veut rentabiliser. Il vise également la même rentabilité avec les entreprises qu'il met sur pied et administre temporairement avant de les revendre aux travailleurs intéressés. Les surplus ainsi réalisés ne sont pas nécessairement remis aux membres sous forme de ristourne mais réinvestis dans le développement du milieu, ce qui donne à JAL un caractère coopératif axé sur les besoins de la communauté et en fait un projet des plus intéressants, compte tenu de l'implication socio-économique de la population. A titre d'exemple de ce mode d'intervention, il faut mentionner le cas des huiles essentielles. JAL détient 35 % des actions de la compagnie Les essences JAL Inc. Cette compagnie s'est spécialisée dans l ' extraction des huiles essentielles provenant des résidus de coupe de bois résineux. Le jour où cette compagnie aura rentabilisé ses opérations, JAL s'en détachera pour qu'elle fonctionne avec toute l'autonomie d'une compagnie privée ou d'une coopérative. L'on pourrait comparer JAL à une société-mère qui a conçu une entreprise spécialisée pour ensuite s'en séparer lorsque la rentabilité est acquise. LES SECTEURS D'ACTIVITÉ Secteur agricole Un comité agricole effectue des recherches appliquées et conçoit des projets de développement dans les secteurs suivants, pour l'immédiat exploitation de serres ; (2) Corporations = sociétés. 109 R.F.F. ~ XXXI n sp. 1979
- exploitation d'une érablière ; - mise sur pied d'un syndicat de machinerie agricole. Secteur touristique La corporation touristique du JAL administre le secteur, prépare et surveille l'application d'un plan quinquennal d'aménagement touristique. On a réalisé l'établissement de fermes d'hébergement pour l'accueil des touristes. On a aussi créé une Association de chasse et pêche pour la programmation et la surveillance des activités relatives à la faune terrestre et aquatique. Elle jouit d'une autonomie entière, tout en étant en partie financée par JAL. Enfin, on a mis en place un circuit de canoë-camping qui favorise l'éducation du citoyen en milieu naturel et l'activité physique. Secteur forestier JAL a favorisé la mise sur pied du Groupement forestier de l'est du lac Témiscouata dont le rôle premier est de veiller à l'aménagement et à l'exploitation de la foret privée. Il est à remarquer que ce groupement s'oriente graduellement vers une activité semblable en forêt publique. Secteur industriel,, Les Essences JAL Inc,> a construit et exploité une usine où l'on extrait les huiles essentielles des feuillages de résineux. Secteur artisanat On a regroupé des artisans du secteur pour la mise en marché de leurs créations grâce à une entreprise a JAL-MAIN Secteur services Le comité de la voirie se charge de faire pression auprès du gouvernement pour l'amélioration du réseau routier régional. Le comité de logement s'occupe de la relocalisation des citoyens et est responsable de la formation d'une coopérative d'habitation. Le comité téléphonique se charge d'activer, par voie téléphonique, les relations et les communications entre les citoyens. II y a en plus un groupe dit Interprif dont les rôles sont d'identifier les besoins particuliers en maind'oeuvre et surtout d'assurer la formation et le recyclage des travailleurs en fonction des industries actuelles ou futures, des activités prioritaires et courantes. Secteur social Le comité de citoyens à faible revenu étudie le cas des pauvres et s'occupe de fournir biens et services essentiels aux plus défavorisés. iio
La forêt au Québec Secteur information JAL s'est donné deux outils d'information : une radio communautaire (CJAL) ; un journal d'information local. Comme il s'agit d'une expérience unique au Québec, JAL connaît évidemment certaines difficultés dans ses rapports avec les structures «normales d'organisation. En fait, JAL est une coopérative d'un type peu orthodoxe. Tout en respectant les principes de base du coopératisme, JAL interprète à sa façon la philosophie coopératiste afin de réaliser certaines entreprises comme : Les Essences JAL Inc., l'association de chasse et pèche, le Groupement forestier qui sont des entreprises à but lucratif. Cette façon d'agir est en avance sur les moeurs et en particulier sur les lois québécoises lesquelles ne sont pas suffisamment souples pour s'ajuster aux structures de JAL. En réalité, JAL est une structure extrêmement mobile que ses administrateurs s'ingénient à adapter à toutes les situations. Pour eux, il n'est pas question de sacrifier l'efficacité à des normes et règles. Il leur semble préférable de changer les normes, quitte à faire modifier les lois au besoin. Depuis quelques années, cette détermination des administrateurs de JAL a amené les gouvernements à être plus attentifs à leurs demandes. Ainsi, on a vu évoluer la loi québécoise sur les associations coopératives afin de l'adapter à des réalités nouvelles, mais on devra aller plus loin. En effet, la création récente au Québec de la Société de développement coopératif (SDC), permet aux coopératives d'avoir accès, notamment, à un mode de financement et de support financier très attrayant. Cependant, les sociétés issues de JAL, si elles ne sont pas scrupuleusement coopératives au sens de la loi, n'auront pas accès à ce type de financement. Pourtant, leur caractère communautaire devrait les rendre éligibles au même titre que les coopératives. Heureusement, l'ouverture d'esprit des gouvernements modernes en Occident, permet de croire que ce genre d'ajustement sera de plus en plus possible. Ainsi, JAL sera peut-être une de ces structures populaires qui incitera les gouvernements à mieux s'adapter aux besoins des citoyens. Roger MORASSE, Coopératives forestières Article écrit avec la collaboration de Adrien RIOUX (Directeur du Service des coopératives) Laurent GRONDIN (Secrétaire de JAL) 111 R.F.F. - XXXI - n sp. 1979