1. Raisons d être des garanties



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Introduction 1. Le droit des sûretés : un jeu de stratégie. Le droit des sûretés permet de préciser les règles d un jeu dans lequel les joueurs, c est-à-dire les créanciers, ont des cartes, les sûretés, leur permettant d accroître leurs chances d être payés en cas de défaillance de leur débiteur. Le patrimoine de ce dernier est en effet souvent insuffisant pour permettre une satisfaction totale des créanciers. Toutes les cartes n ont pas la même valeur, ce qui explique que tous les créanciers n ont pas les mêmes chances d être payés. Certains, ceux titulaires des meilleures sûretés, le seront en totalité. D autres ne recevront rien. Le bon joueur est celui qui connaît bien la valeur de sa carte et celle de ses adversaires, principalement lorsque survient une procédure collective. Pour conforter leurs chances d être payés en cas de défaillance de leur débiteur, les créanciers peuvent se faire consentir des garanties ou des sûretés. Les garanties sont des institutions qui ont pour objet de protéger les créanciers contre les risques du crédit, principalement celui de l insolvabilité de leurs débiteurs. Les principales garanties sont les sûretés mais d autres procédés tendent aux mêmes fins et peuvent donc aussi être utilisés par les créanciers. La catégorie des sûretés est fermée. Celle des garanties ne l est pas. Il existe deux catégories de garanties. Les garanties personnelles consistent dans l adjonction d un ou plusieurs débiteurs au débiteur principal pour la même dette. Les créanciers disposent ainsi d un droit de poursuite contre une ou plusieurs personnes autres que le principal obligé. Le cautionnement est la sûreté personnelle par excellence. Les garanties réelles consistent dans l affectation spéciale d un ou plusieurs biens au paiement de la dette. Le gage, le nantissement, l hypothèque, le privilège, la propriété-garantie sont les principales d entre elles. Le droit des garanties forme avec le droit bancaire et le droit des procédures collectives le droit du crédit. Il est artificiel d isoler chacune des disciplines composant le droit du crédit tant les liens les unissant sont nombreux. Les garanties sont consenties lors de la fourniture de crédits. Elles sont très souvent mises en œuvre lorsque le débiteur est soumis à une procédure de traitement de ses difficultés. Seules des exigences pédagogiques et des contraintes éditoriales justifient donc un morcellement de l étude du droit du crédit. Les garanties sont nécessaires à tout créancier qui entend se protéger contre les risques du crédit ( 1).Elles reposent sur un petit nombre de mécanismes ancestraux qui n ont cessé d être adaptés ou perfectionnés. C est ce que révèle leur histoire ( 2).Les garanties ne cessent de se multiplier. Un tel foisonnement impose des classifications ( 3). Il justifierait l énoncé de principes directeurs.

12 Sûretés et garanties du crédit En l absence de dispositions communes à l ensemble des garanties dans le Code civil, il revient à la doctrine de les rechercher ( 4). 1. Raisons d être des garanties 2. Les risques du crédit. Un prêteur ne peut se contenter de faire confiance. Il a besoin de garanties car il s expose à des risques importants 1.Le premier est celui de l insolvabilité de son débiteur. Le second risque est celui lié àl immobilisation de la créance en cas de retard pris par le débiteur pour exécuter son obligation. Avec la crise économique ces risques sont devenus considérables. Or, dans le même temps, il est de plus en plus important pour les particuliers et les entreprises d avoir accès au crédit. Garanties et crédit forment donc un couple indissociable 2. Le développement des premières est parallèle à l essor constant du second. L utilité des garanties pourrait être moindre si la situation du créancier chirographaire était satisfaisante. Mais tel n est pas le cas. 3. Sort du créancier chirographaire. Le sort du créancier chirographaire n est guère enviable. Il se déduit de l application de deux dispositions fondamentales : les articles 2284 et 2285 du Code civil. L article 2284 énonce que «quiconque s est obligé personnellement est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir». Le créancier chirographaire a donc un droit de gage général sur les biens de son débiteur. Il est en droit de saisir tout bien faisant partie du patrimoine pour se faire payer. Mais l article 2285 énonce que «les biens du débiteur sont le gage commun des créanciers et [que] le prix s en distribue entre eux par contribution». Le créancier chirographaire doit donc subir la loi du «concours» entre les différents créanciers. La situation du créancier chirographaire peut être aggravée si le débiteur a déclaré certains de ses biens insaisissables ou s il a constitué un patrimoine d affectation grâce à la fiducie ou au statut de l EIRL. Lorsque plusieurs créanciers saisissent un même bien, ils doivent en conséquence s en partager le prix entre eux. La protection du créancier chirographaire par le droit commun des obligations est insuffisante. L action oblique consacrée par l article 1166 du Code civil permet aux créanciers d exercer tous les droits et actions de leur débiteur, à l exception de ceux qui sont exclusivement attachés à la personne. L action paulienne de l article 1167 du Code civil permet au créancier d attaquer les actes faits par le débiteur en fraude de ses droits. Si la fraude est établie, l acte est déclaré inopposable au créancier qui a exercé l action. 1. M. BOURASSIN, L efficacité des garanties personnelles, LGDJ, 2006, préf. M.-N. JOBART- BACHELLIER. 2. Ce lien explique le titre d une chronique restée célèbre, L.-M. MARTIN, «Sûretés traquées crédit détraqué», Banque et droit 1975, 11335.

Introduction 13 Le créancier peut enfin exercer l action en simulation prévue par l article 1321 du Code civil. L action permet de faire rentrer dans le patrimoine du débiteur les biens que ce dernier a fictivement fait sortir de son patrimoine. En aucun cas, ces mécanismes ne confèrent au créancier une cause de préférence. Ils ne font que renforcer son droit de gage général. En raison de ces principes, tout créancier ne peut donc être payé de l intégralité de sa créance dès lors que la valeur des biens composant le patrimoine de son débiteur est inférieure au montant total de ses engagements. Le créancier normalement diligent a donc intérêt à se faire consentir une garantie s il n en bénéficie pas de plein droit. Cependant l existence de garanties en elle-même est-elle légitime? 4. Légitimité du droit des garanties. En apparence tout au moins le droit des garanties semble heurter un principe fondamental de notre droit : celui de l égalité entre les créanciers. Par hypothèse, en effet, un créancier tente de se faire payer au détriment des autres. Un droit sans garanties pourrait donc sembler plus satisfaisant 3. Tous les créanciers seraient alors traités également. Cette idée est séduisante mais n est guère réaliste. Il faudrait en effet que les créanciers qui tirent aujourd hui le plus grand bénéfice de la situation actuelle (le Trésor, le fisc, l Urssaf) acceptent de redevenir chirographaires. Les pays qui ont ainsi réussi à faire disparaître les causes de préférence sont peu nombreux. Plus fondamentalement, il a été démontré que le droit des garanties n est pas véritablement contraire au principe d égalité entre les créanciers 4. Ce principe qui sert de justification à beaucoup de règles signifie seulement que les créanciers placés dans la même situation doivent être traités de manière égalitaire. Il n interdit nullement de réserver un sort différent à des créanciers ayant une situation juridique différente ; il ne s oppose pas plus à ce que des créanciers soient de simples chirographaires et que d autres soient titulaires de sûretés. Le recours à des garanties est donc légitime. Encore faut-il que les mécanismes utilisés à cette fin répondent parfaitement aux exigences du crédit. Or, celles-ci sont nombreuses. Toute garantie doit donc être appréciée au regard de différents critères. 5. Critères d appréciation d une garantie. Une garantie n est pas satisfaisante par le seul fait qu elle est simple et peu coûteuse à constituer et à mettre en œuvre. Elle ne l est que si elle préserve les intérêts des créanciers, de leur débiteur et des tiers concernés (qu il s agisse d autres créanciers ou de tiers acquéreurs de biens offerts en garantie). Le droit des sûretés est ainsi toujours à la recherche d un équilibre délicat à trouver, par exemple entre les intérêts d une caution et ceux du créancier. La garantie est satisfaisante pour un créancier si elle le protège bien contre le risque d insolvabilité de son débiteur principal. Le créancier doit donc avoir la 3. Ch. MOULY, «Procédures collectives : assainir le régime des sûretés», Études Roblot, LGDJ, 1984, p. 529. 4. M. CABRILLAC, «Les ambiguïtés de l égalité entre les créanciers», Mélanges Breton et Derrida, p. 31.

14 Sûretés et garanties du crédit certitude de l emporter sur les autres créanciers susceptibles de venir en concurrence avec lui. La garantie doit aussi le protéger contre le risque d immobilisation de la créance. Sa mise en œuvre doit donc être rapide. Pour un débiteur, toute garantie est une contrainte. Celle-ci doit cependant demeurer supportable. Le débiteur ne doit donc pas être privé de l usage des biens nécessaires à son activité professionnelle ou à son habitation. Il est également souhaitable que la constitution de la garantie n entraîne pour lui aucun gaspillage du crédit. Autrement dit, le propriétaire d un bien doit pouvoir obtenir un crédit correspondant à la valeur de réalisation de celui-ci. Plusieurs créanciers doivent donc pouvoir se faire consentir des garanties sur un même bien. Les tiers sont également directement concernés par les garanties. En leur qualité de créancier, ils ont tout intérêt à connaître l existence des garanties consenties par leur débiteur car c est un indice de sa solvabilité. Lorsqu ils sont également bénéficiaires de garanties, ils doivent pouvoir connaître l existence des créanciers ayant des droits concurrents. Aucune garantie ne satisfait l ensemble de ces exigences. Il faut peut-être y voir l une des raisons de leur multiplication. Notre droit de garanties reste encore trop marqué par son histoire. 2. Histoire du droit des garanties 6. Un droit cyclique. Le droit des garanties s est développé par strates successives. Il est en effet toujours plus facile pour le législateur de créer de nouvelles garanties que d en supprimer. Chaque garantie a sa période de gloire. Son utilisation est fonction de la portée qui lui est reconnue à une époque donnée. Des sûretés sont ainsi tombées en désuétude. D autres connaissent une nouvelle jeunesse. Le droit des garanties est de ce fait en constant renouvellement. La diversité des garanties ne doit cependant pas faire illusion. Les techniques fondamentales permettant à un créancier de se garantir sont en nombre limité. Ces sûretés modèles étaient reconnues en 1804 (A). Le panorama des garanties est par la suite resté longtemps figé avant de connaître un profond bouleversement à l époque contemporaine (B). A Les sûretés modèles 7. Importance du droit romain. Les principales sûretés ont été imaginées ou perfectionnées par les juristes romains. Le constat vaut aussi bien pour les sûretés personnelles que pour les sûretés réelles. Le cautionnement, sûreté personnelle par excellence, est connu du droit romain. La solidarité familiale, très forte à cette époque, permettait de rendre des éléments d un groupe responsables de la défaillance de l un d entre eux. En droit romain, le cautionnement est un service d ami. Notre droit des sûretés réelles doit également beaucoup au droit romain. Il lui emprunte ses principales institutions. La fiducie semble avoir été la première

Introduction 15 sûreté réelle à avoir été consacrée. La propriété d un bien du débiteur est alors transférée à son créancier. Ce dernier s engage à retransférer la propriété du bien une fois que le débiteur a exécuté son obligation. Cette sûreté présente cependant deux inconvénients majeurs. D une part, le créancier peut aliéner le bien en méconnaissance des droits du débiteur. D autre part, la technique du double transfert est assez lourde. Cette garantie primitive allait être remplacée par deux autres sûretés : le gage et l hypothèque. Le gage, ou«pignus», a été la sûreté la plus utilisée à l époque romaine. Le débiteur transfère alors à son créancier la simple possession de l un de ses biens. Il en reste propriétaire. Le débiteur retrouve la possession de son bien une fois qu il a exécuté son obligation. Le gage peut porter sur un meuble ou un immeuble. Dans ce dernier cas, il est connu sous le nom d antichrèse. L exigence de dépossession constitue toutefois une contrainte difficilement supportable lorsque le bien est utile au débiteur. L hypothèque, à la différence du gage, ne nécessite aucune dépossession. Les juristes romains ont redécouvert cette sûreté d origine grecque. Elle est utilisée pour les immeubles. Le droit romain a aussi consacré les privilèges qui sont des droits reconnus à certains créanciers en raison de la qualité de leur créance. Le bénéficiaire se voit alors reconnaître un droit de préférence sur l ensemble des biens de son débiteur ou sur certains d entre eux. À l apogée du droit romain, le droit des sûretés, dans ses principales composantes, était donc né. 8. L Ancien droit. L Ancien droit est une période de régression de la technique juridique. Le droit des sûretés n échappe pas à la règle. Les principales sûretés romaines sont ignorées à l exception de la plus fruste d entre elles, la fiducie, qui est à nouveau pratiquée. 9. Le Code civil. Les rédacteurs du Code civil devaient largement s inspirer du droit romain, aussi bien pour les dispositions consacrées au cautionnement que pour celles relatives aux sûretés réelles. Seule la fiducie n est pas consacrée. La technique est en effet considérée comme archaïque. Chacune des sûretés a alors des caractères propres qui en font un modèle. Le cautionnement est la seule sûreté personnelle reconnue. Elle se distingue par le caractère accessoire de l engagement de la caution. Le nantissement est une sûreté avec dépossession. Lorsqu il a pour assiette un meuble, il est désigné sous le nom de gage. Lorsqu il porte sur un immeuble, c est l appellation d antichrèse qui est retenue. L hypothèque est une sûreté sans dépossession. Elle a pour assiette des immeubles. Enfin, des privilèges sont reconnus par la loi à des créanciers en raison de leur qualité pour la garantie du paiement de certaines créances.

16 Sûretés et garanties du crédit B Évolution contemporaine 10. Tendances contradictoires. De 1804 à aujourd hui le droit des garanties s est profondément transformé 5. Il est vrai que les facteurs d évolution sont nombreux. Dans un premier temps, il a fallu tenir compte de l apparition de nouveaux biens. Puis, des conséquences ont été déduites de l emprise du droit des procédures collectives sur le droit des sûretés. Aujourd hui, il apparaît que le système de garanties peut influer sur la distribution du crédit. Ainsi la création de l hypothèque rechargeable devait favoriser la distribution du crédit à la consommation. Quatre périodes peuvent être distinguées. La première se caractérise par le perfectionnement constant des sûretés modèles consacrées par le Code civil (1). Cette période a semble-t-il pris fin en 1980. À partir de cette date, les sûretés classiques perdirent une part de leurs intérêts pour les créanciers (2) et ceux-ci cherchèrent des garanties de substitution (3). Il en est résulté une régression et un éclatement de notre droit des garanties. À partir de 2006 et en plusieurs étapes, notre droit a été profondément réformé. Il aurait pu et dû l être encore plus complètement pour le rendre moins complexe et donc plus attractif (4). 1. Perfectionnement des sûretés modèles 11. Développement des sûretés sans dépossession. Le perfectionnement des sûretés modèles s est traduit au cours du XX e siècle par la multiplication des sûretés mobilières sans dépossession. Le législateur a en effet encouragé le développement du crédit nécessaire au financement de biens utilisés par le constituant tel que l outillage, le matériel ou les véhicules. Des sûretés ont également été créées pour tenir compte de l apparition des biens incorporels tels le fonds de commerce, ou les droits de propriété industrielle. Les sûretés mobilières qui sont alors créées sont qualifiées par le législateur de gage, d hypothèque ou de nantissement, ce qui est source de confusion. La qualification retenue ne commande plus nécessairement la soumission à un régime juridique donné. Des hypothèques peuvent ainsi avoir pour assiette des meubles (v. infra, nº 540 et s.). 12. Publicité des sûretés. La réforme de la publicité foncière intervenue en 1955 a également largement contribué au perfectionnement des sûretés réelles. À cette occasion, le législateur a en effet soumis à publicité des hypothèques et des privilèges qui jusqu alors étaient occultes. La réforme de la publicité foncière a cependant été une occasion manquée pour refondre l ensemble de notre droit des sûretés réelles. Le législateur n a 5. HOUIN, «L évolution du droit des sûretés», RJC 1982, nº spécial, L évolution des sûretés, p. 3; Y. CHARTIER, «Rapport de synthèse du colloque consacré à l évolution du droit des sûretés», RJC 1982 ; L. AYNÈS, Rapport de synthèse, Congrès des notaires. V. également les travaux du colloque de la Feduci consacré aux sûretés, 1984, les travaux du congrès de l Association H. Capitant, Journées portugaises, 1996, sp. M. GRIMALDI, «Problèmes actuels des sûretés réelles» ; L. AYNÈS, «Problèmes actuels des sûretés personnelles» ; Ph. SIMLER, «Rapport de synthèse» ; P. CROCQ, «L évolution des garanties du paiement, de la diversité à l unité», Mélanges Mouly, t. 2, p. 317 ; «L actualité du droit des sûretés», LPA, 17 juin 1998.

Introduction 17 pas soumis l ensemble des privilèges à publicité. Il n en a pas profité pour réduire leur nombre. 2. Phase de déclin des sûretés modèles 13. Crise du cautionnement. Les années 1980 furent celles d une désaffection des créanciers pour les sûretés modèles, qu il s agisse du cautionnement ou des sûretés réelles classiques. Une crise du cautionnement a ainsi pu être décelée. Pendant une période d une dizaine d années, les juges feront en effet preuve d un excès de bienveillance à l égard des cautions. Celles-ci s opposèrent alors quasi systématiquement aux poursuites des créanciers, ce qui était facile en raison des nombreux moyens de défense qui leur étaient reconnus. Les créanciers devaient donc souvent attendre plusieurs années pour obtenir paiement de ce qui leur était dû. Le cautionnement ne les protégeait donc plus du risque d immobilisation de leurs créances. Par un phénomène de réaction bien compréhensible, les créanciers devaient rechercher des garanties protégeant mieux leurs intérêts. Ils firent alors souscrire par les garants des engagements indépendants leur interdisant par là même de se prévaloir des droits appartenant au débiteur principal (v. infra, nº 334). 14. Le laminage des droits des titulaires de sûretés réelles. Les sûretés réelles modèles furent quant à elles gravement affectées par l évolution du droit des procédures collectives 6. Pendant longtemps, le droit des procédures collectives a eu pour seule fonction un règlement collectif et organisé des créanciers. Mais, depuis 1967, il doit aussi favoriser la survie des entreprises en difficultés. Cette finalité est même clairement affirmée par l article 1 de la loi du 25 janvier 1985. Pour réaliser cet objectif, le législateur impose des sacrifices aux créanciers, qu ils soient ou non titulaires de sûretés. Les créanciers doivent accepter des remises, consentir des délais. Ils sont soumis au principe de la suspension des poursuites individuelles, ce qui leur interdit de mettre en jeu leur sûreté. La loi de 1985 a ainsi réalisé une véritable traque des sûretés classiques. Dans une moindre mesure, la loi du 31 décembre 1989 sur le surendettement des particuliers a eu les mêmes effets. Ces lois récentes ne limitaient cependant que les prérogatives des titulaires de sûretés modèles, qu il s agisse de gages, d hypothèques ou de privilèges. Rien n interdisait donc aux créanciers de rechercher d autres garanties. Ils n allaient pas s en priver. 3. Recherche de garanties de substitution 15. Foisonnement des garanties. Qu il s agisse de garanties personnelles ou de garanties réelles, la quête de garanties de substitution aux sûretés modèles devait se révéler fort riche 7. 6. «Sûretés et procédures collectives», Morceaux choisis, Rapport de synthèse de C. SAINT- ALARY-HOUIN, LPA, 20 septembre 2000, p. 40. 7. P. ANCEL, «Nouvelles sûretés pour créanciers échaudés», JCP E 1989, Cah. dr. entr., suppl. nº 5.

18 Sûretés et garanties du crédit Pour remplacer le cautionnement, les créanciers devaient rechercher ou imaginer des mécanismes leur conférant un droit contre le garant plus fort que celui susceptible d être exercé contre la caution. La délégation imparfaite, l engagement solidaire, les garanties indépendantes satisfont cette exigence. Dans tous ces cas, le garant est privé du droit d opposer au créancier les exceptions dont peut se prévaloir le débiteur principal. Des solutions de substitution aux sûretés réelles classiques furent aussi trouvées grâce au droit de rétention, à la réserve de propriété, et à l aliénation fiduciaire. Toutes ces garanties ont un point commun. Le créancier se réserve la possession ou la propriété d un bien, ce qui lui permet d éviter les conséquences de l ouverture d une procédure collective. Il a ainsi l assurance d être payé, n ayant pas à craindre la concurrence avec d autres créanciers. Cette recherche de mécanismes conférant aux créanciers une situation d exclusivité est une des caractéristiques majeures de l évolution contemporaine du droit des garanties. Le droit de propriété peut ainsi apparaître comme la reine des sûretés 8 alors que ce rôle a été dévolu à l hypothèque puis au cautionnement. Le développement de ces garanties de substitution a largement contribué au renouvellement du droit des sûretés. Il est également un facteur de complexité et d incertitude. L apparition d une garantie nouvelle suscite en effet toujours des difficultés. Il faut rechercher ce qui la distingue des autres sûretés, ce qui pose un problème de qualification. Ensuite, il convient de s interroger sur la validité de la technique utilisée. Les solutions de substitution sont en effet imaginées dans le seul but de faire échec aux principes gouvernant les sûretés traditionnelles jugés trop protecteurs des intérêts du débiteur. Enfin, le régime même de la garantie doit souvent être précisé. Un tel développement des garanties de substitution ne pouvait cependant se poursuivre sans limites. Toute la politique légale et jurisprudentielle de protection des cautions et des entreprises se trouvait mise en échec. Une réaction légale et jurisprudentielle était donc inévitable pour réhabiliter les sûretés classiques. 4. Réforme du droit des garanties 16. Processus de réforme. La réforme du droit des garanties s imposait. Le droit français était devenu trop complexe, peu lisible. Son éclatement entre divers codes le rendait difficilement accessible. Il ne répondait plus toujours à l attente des créanciers 9. La réforme s est toutefois opérée dans le plus grand désordre 10. Une première source d évolution a été l importante loi du 26 juillet 2005 réformant le droit des procédures collectives. Ce texte a modifié notablement les règles de poursuite des garants d une entreprise en difficultés. Il est cependant tout à fait regrettable que le législateur ait choisi de dissocier la réforme du droit des sûretés de celle du droit des procédures collectives. Une 8. A. CERLES, «La propriété, reine des sûretés», Mélanges M. Vasseur, Banque, 2000, p. 39 ; P. CROCQ, op. cit., note 5. 9. M. GRIMALDI, «Exposé des motifs du projet de réforme présenté», RDC juillet 2005, p. 783 ; «Vers la réforme des sûretés», RJC 2005, 467. 10. D. LEGEAIS, «La réforme du droit des garanties ou l art de mal légiférer», Mélanges Ph. Simler, Dalloz-Litec, 2006, p. 367 ; R. DAMMANN, «La réforme des sûretés mobilières : une occasion manquée», D.2006, 1298.

Introduction 19 occasion unique a ainsi été manquée de conférer une cohérence à l ensemble du droit français du crédit. Le deuxième facteur d évolution a cependant été constitué par la réforme du droit des sûretés. Celle-ci ne s est pas elle non plus réalisée dans les meilleures conditions. Dans un premier temps, par une loi en date du 1 er août 2003 dite loi Dutreil, le législateur a profondément réformé le cautionnement en introduisant dans le Code de la consommation un ensemble de dispositions qui constituent un second droit commun du cautionnement. La véritable réforme a cependant été réalisée par l ordonnance en date du 23 mars 2006 11 ratifiée par la loi du 20 février 2007 (art. 10).Un groupe d experts avait alors été constitué sous la présidence de Michel Grimaldi. Il avait pour vocation de réformer l ensemble des sûretés. Un projet de refonte du Code civil a été présenté 12. Il était initialement prévu que le gouvernement se fasse habiliter à le transposer par voie d ordonnance. Le parlement saisi a considéré que le cautionnement et les privilèges étaient des matières qui ne pouvaient être déléguées sans contrôle au gouvernement 13. La loi d habilitation en date du 26 juillet 2005 devait ainsi interdire une réforme d ensemble du droit des sûretés. Une dernière évolution significative résulte de l introduction de la fiducie-sûreté en droit français. Il a fallu plusieurs textes pour y parvenir dont la loi du 19 février 2007 introduisant la fiducie en droit des biens et l ordonnance du 30 janvier 2009 précisant le régime de la fiducie-sûreté. 17. Domaine restreint de la réforme. Comparée au projet initial, la réforme réalisée a un domaine considérablement réduit. Le droit des sûretés personnelles est absent, à l exception de la définition de la lettre d intention et de la garantie autonome. Beaucoup des dispositions qui auraient pu constituer un embryon de théorie générale des sûretés ont disparu 14. Comme il avait été prévu, la réforme ne concerne que le droit civil, ce qui laisse de côté les très nombreuses sûretés spéciales du Code de commerce et des autres codes. La réforme réalisée ne répond ainsi que partiellement à l attente des praticiens 15. Certes, le nouveau droit des sûretés est recodifié et il est présenté de manière plus claire dans le Code civil dans un nouveau livre IV consacré aux sûretés et composé des articles 2284 et suivants. De même, le gage et le nantissement ont été largement perfectionnés. Cependant, le travail de simplification de notre droit des sûretés réelles n a pas été entrepris. De nouvelles sûretés 11. Pour une analyse de l ordonnance : V. nº spécial JCP supplément au nº 20, 17 mai 2006, nº spécial Dalloz, D. 2006, 1289 et s. ; nº spécial RLDC juillet-août 2006 ; Dossier «Sûretés mobilières : du nouveau» juillet-août 2007 ; Dr. et patr. septembre 2007 ; D. ROBINE, Bull. Joly Sociétés 2006, p. 867, nº spécial RLDC 2006, nº 29 ; S. PIEDELIÈVRE, «Premier aperçu de l ordonnance du 23 mars 2006», Defrénois 2006, art. 38 393 ; D. HOUTCIEFF, «Pleins feux sur l ordonnance», LPA 2006, 28 avril ; S. PRIGENT, «La réforme du droit des sûretés : une avancée sur la voie de la modernisation», AJDI 2006 nº 5, p. 346. 12. V. Dossier Dr. et patr. septembre 2005, p. 50 et s. ; D. LEGEAIS, «La réforme du droit des garanties, une symphonie inachevée», RD bancaire et fin. mai-juin 2005, p. 67 et s. 13. V. en ce sens D. R. MARTIN, «Le Code civil à saute-mouton», D.2005, p. 1527. 14. M. BOURASSIN, D. 2006, 1386. 15. Pour un constat plus optimiste, v. Ph. STOFFEL-MUNCK, «Premier bilan de la réforme des sûretés en droit français», Dr. et patr. avril 2012, p. 56, in dossier «La réforme des sûretés, premier bilan», avec les observations conclusives de L. AYNÈS, p. 98.

20 Sûretés et garanties du crédit s ajoutent aux précédentes. Comme par le passé, pour connaître le droit français, il faut consulter au moins quatre codes : le Code civil, le Code de la consommation, le Code de commerce et le Code monétaire et financier. Ainsi réalisée, la réforme ne permet pas de constituer le modèle de référence pour des systèmes étrangers, alors que telle était pourtant l ambition initiale. La réforme est ainsi inachevée 16. Une nouvelle loi est en effet nécessaire pour réformer le cautionnement ; les privilèges et supprimer beaucoup de gages sans dépossession. Il convient ainsi d espérer une prochaine réforme des sûretés qui achèvera le travail de refonte entrepris. L unification des sûretés civiles et commerciales devra alors être réalisée. Les travaux menés au plan européen constitueront alors peut-être une nouvelle source d inspiration. Le nouveau droit OHADA des sûretés peut aussi constituer un modèle. 3. Classification des garanties 18. Diversité des classifications. Il ne peut exister une seule classification des garanties, les critères de distinction étant trop nombreux. Deux distinctions doivent être éclairées. L une est traditionnelle. Il s agit de l opposition entre sûreté personnelle et sûreté réelle. L autre est plus récente et ses contours sont plus incertains. Il s agit alors de distinguer la véritable sûreté de la simple garantie. A Distinction des sûretés personnelles et des sûretés réelles 19. Critère de distinction. La distinction entre les sûretés personnelles et les sûretés réelles est fondamentale. Elle fait écho à l opposition entre le droit personnel et le droit réel. Une sûreté personnelle fait naître au profit du créancier un droit personnel contre au moins une personne autre que le débiteur principal initial. La garantie peut donner naissance à un engagement accessoire. Le cautionnement en est l exemple parfait. Mais le garant peut aussi souscrire un engagement indépendant de celui du débiteur principal. Il est alors tenu plus rigoureusement que ce dernier. Toute sûreté personnelle est conventionnelle. L appellation de cautionnement légal ou judiciaire est en effet trompeuse (v. infra, nº 46). Le titulaire d une sûreté réelle a un droit sur un ou plusieurs biens de son débiteur. Le plus souvent il s agit d un droit réel (v. infra, nº 387). Le créancier est titulaire d un droit de préférence ou d un droit de propriété qui s exerce sur la valeur des biens qui lui sont affectés en garantie. Les sûretés réelles peuvent être mobilières ou immobilières selon qu elles ont pour assiette un meuble ou 16. D. LEGEAIS, «La réforme du droit des garanties ou l art de mal légiférer», Mélanges Ph. Simler, Dalloz-Litec, 2006, p. 367 ; C. LAZARUS, «La réforme des sûretés par l ordonnance du 23 mars 2006 et le droit de la consommation : entre occasions manquées et fausses bonnes idées», LPA, 13 août 2007, p. 3.

Introduction 21 un immeuble. Elles peuvent être constituées avec ou sans dépossession, être conventionnelles, légales ou judiciaires. La portée de l opposition entre sûreté personnelle et sûreté réelle ne doit pas être exagérée 17. Le créancier bénéficie en effet, dans tous les cas, d une affectation de biens à son profit. Mais lorsque la sûreté est personnelle, les biens affectés appartiennent à un tiers, le garant, et ce dernier ne subit aucune restriction de pouvoirs sur les biens composant son patrimoine. Par leurs régimes, sûretés personnelles et sûretés réelles s opposent également. Les sûretés personnelles sont sous l influence du droit des contrats alors que les sûretés réelles sont sous l influence du droit des biens. Il s en déduisait que les premières, soumises au principe de la liberté contractuelle, laissaient plus de place à la volonté individuelle que les secondes. Traditionnellement en effet, le droit des biens est fortement marqué par l ordre public. Cependant, l évolution contemporaine du droit des garanties révèle un inversement de cette tendance 18. Après, comme avant la réforme, une sûreté conserve une place à part. Il s agit du droit de rétention.l article 2286 du Code civil qui le consacre précède les dispositions consacrées aux sûretés personnelles et réelles. B Distinction des sûretés et des garanties 20. Intérêts de la distinction. La distinction entre garanties et sûretés est si récente qu aucun critère de distinction n est encore unanimement retenu 19. Les deux termes sont encore souvent pris l un pour l autre. C est le développement des solutions de substitution aux sûretés modèles qui a imposé la distinction. En effet, dans le Code civil, la qualification de sûreté est réservée à un petit nombre d institutions. Or, aujourd hui, les créanciers utilisent à des fins de garantie des mécanismes qui n ont pas été conçus pour cela ou de pures créations de la pratique. Toutes ces techniques ne sauraient pourtant être assimilées. D une part, le terme de sûreté a un sens juridique précis qu il convient de lui conserver. D autre part, des dispositions ne s appliquent qu aux sûretés alors que le domaine d application d autres règles est plus étendu 20. Deux dispositions récentes montrent l intérêt de la distinction. L article 1108-1 du Code civil autorise la conclusion par voie électronique à certaines conditions des seules sûretés réelles ou personnelles. L article L. 650-1 du Code de commerce déduit de la présence de garanties disproportionnées le maintien d une responsabilité pour soutien abusif de crédit. 17. P. CROCQ, obs. RTD civ. 2001, p. 402. 18. Ph. DUPICHOT, Le pouvoir des volontés individuelles en droit des sûretés, Thèse Paris II, 2003, sous la direction de M. GRIMALDI. 19. P. CROCQ, Propriété et garantie, LGDJ, 1995, préface M. GOBERT, nº 262 ; C. GINESTET, «La qualification des sûretés», Defrénois 1999, art. 36 927 et 369 940 ; A.-M. TOLEDO, La notion de sûreté ; Recherche sur les sûretés dans le droit du commerce international, Thèse Paris I, 1997. 20. Art. 767, al. 7, art. 1188, art. 1752-2 du Code civil ; art. 40, 50, 51 et 93 L. 25 janvier 1985 ; art. 217-9 et 340, L. 1966 ; art. 2, 312-8, C. consom. Pour une illustration de l intérêt de la distinction à propos du droit de rétention, CA Pau, 11 octobre 1994 et CA Aix, 2 mars 1995, RTD civ. 1995, 931, obs. P. CROCQ : «Si le droit de rétention est une sûreté, il doit être déclaré conformément à l article 51 de la loi du 25 janvier 1985».

22 Sûretés et garanties du crédit Un critère de distinction est donc nécessaire pour dresser une liste des sûretés et des principales garanties. Il est permis d hésiter entre des définitions techniques et des définitions fonctionnelles 21. 21. Définition de la sûreté. Il n existe aucune définition légale de la sûreté ou de la garantie. Pour les rédacteurs du Code civil, il n existait cependant que quatre sûretés : le cautionnement, le nantissement, l hypothèque et le privilège. Dès lors, il est permis de réserver la qualification de sûreté aux seuls mécanismes qui en ont tous les caractères essentiels 22. Toute sûreté se caractérise en premier lieu par sa finalité particulière. Elle permet à son bénéficiaire d échapper à la loi du concours entre les créanciers. La sûreté est donc un avantage qui s ajoute aux droits que le créancier tient normalement de son droit de gage général 23, avantage résultant de l adjonction d une créance ou d une affectation particulière d un bien. La garantie, au contraire, ne tend pas directement au recouvrement de la créance. En deuxième lieu, toute sûreté produit un effet particulier. Sa mise en œuvre a toujours un effet satisfaisant pour le créancier, à savoir l extinction de sa créance 24. Ensuite, la sûreté est une technique particulière. Elle est ainsi définie par P. Crocq : «La technique de constitution d une sûreté est l affectation à la satisfaction du créancier d un bien, d un ensemble de biens ou d un patrimoine, par l adjonction aux droits résultant normalement pour lui du contrat de base d un droit d agir accessoire à son droit de créance». De cette définition se dégagent trois éléments fondamentaux. La sûreté confère nécessairement un droit d agir à son bénéficiaire, c est-à-dire un droit de poursuivre une personne ou un droit de faire vendre ou de se faire attribuer une chose 25. La sûreté suppose une affectation de biens figurant dans le patrimoine du débiteur principal ou d un tiers 26.L affectation peut avoir un caractère préférentiel ou exclusif 27. La sûreté s inscrit dans un rapport d accessoire à principal avec la créance qu elle garantit. Sa source est donc distincte de celle donnant naissance à la créance principale. La sûreté ne peut en conséquence être inhérente au rapport d obligation 28. Elle doit toujours pouvoir être constituée postérieurement à la naissance de la créance garantie. 21. N. BORGA, L ordre public et les sûretés conventionnelles, préf. St. PORCHY-SIMON, Dalloz, 2009, nº 371 et s. 22. A. MARTIN-SERF, «L interprétation extensive des sûretés réelles en droit commercial», RTD com. 1980, 293. 23. P. CROCQ, op. cit. 24. L exception d inexécution ne peut être une sûreté au regard de ce critère. 25. Le droit de rétention n est pas au regard de ce critère une véritable sûreté. En ce sens Cass. com., 20 mai 1997, JCP E 1998, 211, obs. Ph. DELEBECQUE ; RTD civ. 1997, 707, obs. P. CROCQ. 26. C est l hypothèse du cautionnement. C est en retenant une conception large de la notion d affection que la jurisprudence a pu considérer que le privilège mobilier général était une sûreté. Il n y a pas dans un tel cas affectation spéciale d un bien au profit du créancier. La Cour de cassation en déduit que le créancier a droit à être informé de l ouverture de la procédure collective, comme tout titulaire de sûreté ; Cass. com., 4 juillet 2000, JCP G 2001, I, 298, nº 11, obs. M. C. ; RD bancaire et fin. septembre-octobre 2000, comm. 200, obs. F.-X. L. ; RTD com. 2001, 228, obs. A. MARTIN-SERF ; D. 2000, AJ, 353, note P. PISONI ; RTD civ. 2001, p. 399, obs. P. CROCQ. 27. Cas du droit de rétention ou de l utilisation du droit de propriété à des fins de garantie. 28. Le crédit-bail n est pas pour ce motif une véritable sûreté.

Introduction 23 Cette analyse ne suffit cependant pas à éviter toute incertitude. Force est de constater que tout critère s avère délicat à mettre en œuvre et que chaque auteur retient sa propre classification. Comme l écrit M. Cabrillac 29, «Chacun a son opinion et l inscrit dans le large éventail qui va de la conception crispée qui veut qu il n y ait point de sûretés en dehors de la trilogie traditionnelle à la conception laxiste qui, dilatant à l infini le champ des sûretés, embrasse tout ce qui peut procurer à un créancier un avantage sur les autres». Force est de constater que la Cour de cassation adopte des solutions au coup par coup, déduisant la qualification d un mécanisme de la solution qu il apparaît opportun de lui appliquer, alors que la démarche inverse serait plus cohérente. La réforme du droit des sûretés aurait pu être l occasion de définir la sûreté. Tel n a pas été le cas. Cependant, la réforme a mis fin à certaines incertitudes dans la mesure où plusieurs garanties ont fait leur apparition dans le Code civil, étant qualifiées de sûretés. 22. Liste des véritables sûretés. L un des apports majeurs de l ordonnance en date du 23 mars 2006 consiste dans la codification de certaines garanties. Pour autant, toute difficulté de qualification ne disparaît pas. Le droit de rétention est désormais défini dans le livre IV du Code civil consacré aux sûretés. On pourrait en déduire qu il s agit d une véritable sûreté, même s il conserve son statut de garantie inclassable ne figurant ni parmi les sûretés réelles ni parmi les sûretés personnelles. Cependant, pour un courant de la doctrine, il ne faudrait pas tirer de conséquence excessive de la codification, les rédacteurs de l ordonnance n ayant pas cherché à trancher les difficultés théoriques 30. Le débat n est donc peut-être pas clos. La liste des sûretés personnelles s enrichit par la définition donnée dans le Code civil de la garantie autonome et de la lettre d intention. La qualification de sûreté de la première ne faisait déjà pas de doute. S agissant de la lettre d intention, la doctrine opérait des distinctions. Seules celles qui produisaient des effets comparables à un cautionnement étaient considérées comme des sûretés. La nouvelle rédaction invite à qualifier de sûretés l ensemble des lettres d intention, même si cette analyse risque de priver ce mécanisme de son intérêt. La liste des sûretés réelles est également enrichie. En effet, la propriété garantie est consacrée comme sûreté et la fiducie de même que la réserve de propriété qui en constituent les principales applications trouvent leur place dans le Code civil. Alors qu il était permis d en douter, la propriété garantie est donc une véritable sûreté. 23. Principales garanties. Les garanties sont tous les avantages spécifiques à un ou plusieurs créanciers dont la finalité est de suppléer à l exécution régulière d une obligation ou d en prévenir l inexécution 31. À la différence de celle de sûreté, la notion de la garantie a donc un caractère fonctionnel. 29. M. CABRILLAC, «Les sûretés réelles entre vins nouveaux et vieilles outres», Études P. Catala, p. 715. 30. Ph. SIMLER, «Dispositions générales du livre IV nouveau du Code civil», nº spécial JCP, 17 mai 2006, p. 5. 31. P. CROCQ, op. cit., nº 283 et s.

24 Sûretés et garanties du crédit Beaucoup d institutions ont ainsi une fonction de garantie sans pour autant constituer des sûretés. Certaines d entre elles peuvent constituer de véritables substituts aux sûretés modèles. Elles feront pour cette raison l objet de développements particuliers. Tel est le cas de la délégation, de la solidarité, de la promesse de porte-fort. Les garanties les plus nombreuses ne peuvent cependant remplacer totalement les sûretés traditionnelles : soit elles n offrent pas la même sécurité, soit elles ne peuvent jouer que dans des cas biens déterminés. L ensemble des garanties est donc assez hétéroclite. Certaines de ces garanties ont une source légale. Les actions directes permettent à leurs titulaires d obtenir un paiement direct de ce qui leur est dû par le débiteur de leur débiteur. Les actions directes ont une source légale, ce qui les rapproche des privilèges. Cependant les actions directes, de par leurs effets, sont également très proches des voies d exécution 32. Leur qualification est donc controversée, un courant de la doctrine les assimilant même à des sûretés 33. Les entrepreneurs de construction bénéficient d une garantie contre l insolvabilité du maître d ouvrage 34. La compensation permet l extinction de deux dettes réciproques, certaines liquides et exigibles. La compensation peut être légale, judiciaire ou conventionnelle. Sa fonction de garantie est incontestable, mais c est avant tout un mode simplifié d extinction des obligations 35. Les garanties les plus nombreuses sont des créations de la pratique. Les engagements pris par une personne de se substituer à une autre comme caution sont des garanties 36. La convention de ducroire est celle par laquelle une personne appelée ducroire se porte garant vis-à-vis de son cocontractant de la bonne fin d une opération 37. La clause de domiciliation est celle par laquelle un bailleur ou un salarié prend l engagement de faire verser ses loyers ou ses salaires sur un compte bancaire déterminé. Les sûretés négatives sont des clauses contractuelles par lesquelles un débiteur prend des engagements de ne pas faire à l égard de son créancier pour ne 32. Pour une analyse de l action directe, C. JAMIN, La notion d action directe, LGDJ, 1991. 33. M. CABRILLAC, «Les sûretés réelles entre vins nouveaux et vieilles outres», op. cit., p. 716. La qualification de sûreté est retenue au motif que les actions directes offrent à leurs titulaires le droit de se faire payer par priorité sur des créances figurant dans les patrimoines de leurs débiteurs. 34. Art. 1799-1 du Code civil, JCP E 1995, I, 482, nº 16, obs. Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE. 35. M. PÉDAMON, «La compensation dans les procédures collectives», RJC 1992, p. 86 et s. ; Cass. com., 9 mai 1995, JCP E 1995, II, 702, rapport J.-P. RÉMERY. V.infra, nº 703. 36. Cass. com., 26 avril 2000, JCP E 2000, 1234, note Y. GUYON ; Bull. Joly 2000, p. 703, note A. COURET. Cass. com., 24 juin 2003, RD bancaire et fin. septembre-octobre 2003, comm. 183, obs. D. L. Il en va de même de l engagement pris par une société à l égard du crédit-bailleur, en cas de défaillance de sa filiale, souscripteur d un contrat de crédit-bail immobilier, de reprendre les obligations de sa filiale au titre du contrat : CA Paris, 4 octobre 2002, RD bancaire et fin. mai-juin 2003, comm. 114, obs. A. C. 37. Le ducroire reçoit parfois une consécration légale (art. L. 442-4 du C. mon. fin.). Pour une analyse de cette garantie, I. RIASSETTO, «Du caractère indemnitaire du ducroire de banque et de bourse», Mélanges AEDBF III, p. 247 ; D. HENNEBEBELLE, JCP E 2000, 1366.

Introduction 25 pas compromettre la valeur de son droit de gage 38. Le débiteur peut ainsi prendre l engagement de ne pas aliéner un bien, de ne pas constituer de sûreté sur un bien donné. Par la clause pari passu, le débiteur s engage à ne pas accorder à un autre créancier une sûreté sans proposer au créancier garanti le même avantage. Un créancier peut également se voir conférer un droit de regard sur le patrimoine de son débiteur 39. La déclaration d insaisissabilité peut permettre de constituer une garantie au profit d un créancier déterminé. Il suffit pour cela qu un débiteur commence par souscrire une déclaration d insaisissabilité portant sur son immeuble puis qu il y renonce en faveur d un seul des créanciers. L intérêt du mécanisme est d autant plus important que la déclaration est parfaitement opposable à la procédure collective 40. La clause de subordination est un acte juridique aux termes duquel les créanciers d un débiteur commun conviennent entre eux de l ordre suivant lequel leurs créances respectives seront payées, principalement en cas de faillite du débiteur. Il existe alors des créances prioritaires dites seniors et des créances subordonnées, de rang inférieur, les créances juniors 41. Par la garantie de passif, le cédant de parts sociales s engage à garantir le bilan de l entreprise cédée. Il s agit d une garantie relative à son propre engagement qui n est pour cette raison pas soumise à la formalité du «bon pour» de l article 1326 du Code civil 42. Par la clause de maintien de l emprunt à son rang, le souscripteur s oblige à octroyer au bénéficiaire des garanties similaires à celles qu il peut consentir à des tiers 43. Même si la technique utilisée est fondamentalement différente puisqu il s agit de conclure un contrat pour se protéger d un risque, l assurance a aussi une fonction de garantie. Tel est tout particulièrement le cas de l assurance-vie 44.L assurance-crédit peut quant à elle apparaître comme une véritable sûreté même si la qualification est discutée 45. Son particularisme tient au fait que le créancier rémunère l assureur et que ce dernier peut payer à l assuré une somme supérieure à la dette garantie. Pour ces raisons, le mécanisme ne serait pas accessoire, ce qui interdirait l assimilation au cautionnement. La qualification de garantie personnelle est incontestable. 38. Y. CHAPUT, «Les clauses de garantie», in Les principales clauses des contrats conclus entre professionnels, PUAM, 1990, 119. 39. Y. GUYON, «Le droit de regard du créancier sur le patrimoine et l activité de son débiteur», RJC 1982, nº spécial, 12 et s. 40. Cass. com., 28 juin 2012, D. 2012, 1575, obs. P. CROCQ ; Cass. com., 13 mars 2012, D.2012, 1460, note F. MEMOZ et 1574, obs. P. CROCQ. 41. G. ANSALONI, «Retour sur la subordination des créances», Banque et droit janvier-février 2012, p. 19 ; A. MULTRIER-TREBULLE, La notion de subordination de créance, Thèse Paris II, 2002 ; Ch. JUILLET, Les accessoires de la créance, éd. Defrénois, coll. Doctorat et Notariat, t. 37, 2009, p. 20. 42. Cass 1 re civ., 20 septembre 2012 ; Dr. et patr. février 2013, 89, obs. Ph. DUPICHOT et L. AYNÈS. 43. Ph. SIMON, «Financement d entreprises : le fil à la patte des sûretés négatives», D. Aff. nº 21, 96, p. 635. 44. S. HOVASSE-BANGET, «La fonction de garantie de l assurance-vie», Defrénois 1998, p. 81, 510 et s. 45. N. LEBLOND, «Une sûreté méconnue : l assurance-crédit», RLDC juillet-août 2010, p. 30.

26 Sûretés et garanties du crédit La Cour de cassation veille cependant à ce que le concept de garantie ne soit pas appliqué à un trop grand nombre d institutions. C est ainsi qu elle a considéré que l engagement d une société qui a pour objet la reprise des biens vendus à un tiers par une autre société, en cas de défaillance de celle-ci, n était pas une garantie 46. 4. Principes communs à l ensemble des garanties 24. Existence d une théorie générale. Le droit des garanties semble rebelle à toute théorie générale. Il existe pourtant un droit commun du droit des sûretés 47. La réforme du droit des sûretés réalisée par l ordonnance en date du 23 mars 2006 aurait pu être l occasion pour en poser les fondements. Le projet Grimaldi s était engagé timidement dans cette voie en énonçant des définitions. Le texte définitif est malheureusement beaucoup moins ambitieux. La première difficulté d identifier le droit commun tient à ce que le droit des garanties est un droit carrefour qui entretient de nombreux liens avec les principales branches du droit. Ceux l unissant au droit des procédures collectives ont déjà été soulignés. Le droit des garanties est étroitement lié au droit de l exécution forcée. Les voies d exécution constituent en effet le prolongement procédural du droit des garanties. L importante réforme des procédures d exécution intervenue le 9 juillet 1991 a révélé la communauté unissant ces deux corps de règles 48. Dans les deux cas, des institutions ont pour but de satisfaire le créancier. Les mesures conservatoires ont même une nature mixte. Le droit des garanties trouve ses racines dans le droit des contrats et le droit des biens. Beaucoup de principes issus du droit patrimonial, du droit bancaire ou du droit des sociétés ont également vocation à s appliquer. Enfin le droit international privé permet de déterminer la loi applicable aux garanties. Le droit des sûretés se trouve ainsi confronté à d autres corps de règles. C est son intérêt. C est également la cause de sa relative complexité. La multiplication des régimes spéciaux est également un obstacle à l énoncé de principes communs 49. Le nombre de garanties ne cesse de croître et le législateur semble aujourd hui être un adepte du «sur-mesure». Un facteur de confusion supplémentaire tient au fait que les dispositions applicables au droit des sûretés sont éparpillées dans plusieurs codes : Code civil, Code de la consommation, Code des marchés financiers, Code de commerce, Code de la construction et de l habitation. 46. Cass. com., 18 mars 1997, Bull. Joly 1997, 567, obs. P. LE CANNU ; JCP E 1997, II, 970, note V. GRELIÈRE. 47. M. BOURASSIN, op. cit., D. 2006, 1386. 48. M. BANDRAC, «Procédures civiles d exécution et droit des sûretés», in La réforme des procédures civiles d exécution, nº spécial, RTD civ. 1993, p. 49. G. TAORMINA, «Réflexions sur le droit des sûretés à l épreuve du droit de l exécution forcée», RRJ 2003-3, p. 1867. 49. Les régimes spéciaux applicables à une même garantie tendent eux aussi à se multiplier. Il n existe plus un droit du gage ou du cautionnement : M. DAGOT, «Sûretés monovalentes et sûretés polyvalentes», JCP N, 1999, p. 381. Le même constat peut être fait pour le cautionnement en raison de la loi du 1 er août 2003.

Introduction 27 Malgré ces obstacles, il apparaît possible de dégager quelques principes inspirant l ensemble de la matière. 25. Soumission au droit des procédures collectives. La soumission du droit des sûretés au droit des procédures collectives est clairement affirmée par l ordonnance. L article 2287 du Code civil énonce ainsi que «les dispositions du présent livre ne font pas obstacle à l application des règles prévues en cas d ouverture d une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ou encore en cas d ouverture d une procédure de traitement des situations de surendettement des particuliers». Le principe inverse avait pourtant à juste titre été souhaité par les rédacteurs du projet. Il était au moins permis d espérer une certaine neutralité de ce droit. Or, force est de constater que le droit des procédures collectives commande aujourd hui les choix essentiels des créanciers 50. Les garanties personnelles perdent de leur efficacité lorsque s ouvrent des mesures de prévention des difficultés. Les sûretés comportant un droit de rétention et la propriété-garantie sont avantagées lorsque s ouvre une procédure collective même si l ordonnance en date du 18 décembre 2008 introduit une certaine neutralité du droit des procédures collectives en limitant leur portée lorsque la survie de l entreprise est en jeu. 26. Part respective de la loi et de la liberté contractuelle. Avant la réforme, le droit des garanties laissait assez peu de place à la liberté contractuelle. Le droit des sûretés réelles était assez rigide. L ordonnance renforce le rôle attribué aux parties qui ont la possibilité d introduire des clauses nouvelles. Des prohibitions traditionnelles telles celles du pacte commissoire disparaissent. Assez paradoxalement, la liberté des parties devient moins importante en matière de sûretés personnelles 51. Le souci de protection des garants tend à l emporter. De même, la codification de la lettre d intention et de la garantie autonome pourrait freiner le développement de ces garanties. Compte tenu de cette évolution, l ordre public doit s adapter 52. La forte évolution de la théorie du patrimoine et plus généralement du droit des biens pourrait cependant être un facteur de liberté nouveau. Ainsi, la théorie du numerus clausus des droits réels a été clairement abandonnée. La consécration du patrimoine d affectation peut aussi justifier des adaptations. Il en va de même de la prise en compte des sûretés étrangères comme l a révélé l arrêt Belvédère 53. 27. Vers l avènement d un droit de professionnels. Comme le droit des contrats en général, le droit des garanties est sensible à la distinction entre les 50. F. MACORIG-VANIER, «Les apports de la réforme du 18 décembre 2008 en matière de sûretés», Dr. et patr. janvier 2010, p. 26. ; P. CROCQ, «L ordonnance du 18 décembre 2008 et le droit des sûretés», Rev. proc. coll. 2009, p. 75. 51. Ph. DUPICHOT, Le pouvoir des volontés individuelles en droit des sûretés, Éd Panthéon-Assas 2005, préf. M. GRIMALDI. 52. N. BORGA, L ordre public et les sûretés conventionnelles, Dalloz, 2009, préf. S. PORCHY-SIMON. 53. R. DAMMAN, Dr. et patr. ;L.AYNÈS, Dr. et patr., avril 2012, p. 56.

28 Sûretés et garanties du crédit professionnels et les profanes 54. Progressivement, un droit des garanties propres aux professionnels semble prendre son autonomie. Plusieurs exemples sont significatifs. Tout d abord, les cautions averties, c est-à-dire principalement les cautions dirigeantes, ne bénéficient pas de l intégralité de la protection aujourd hui réservée aux cautions profanes. L évolution n est cependant pas linéaire. La loi du 1 er août 2003, très protectrice, s applique ainsi à tous les dirigeants-cautions. Ensuite, les cessions de créances à titre de garantie ne peuvent être consenties que par des professionnels. Enfin, une procédure de constitution des garanties particulières a été instaurée lorsqu un établissement de crédit demande des sûretés à un entrepreneur individuel. Mais c est peut-être le droit des marchés financiers qui illustre le mieux l avènement d un droit corporatiste. Les garanties constituées sont les plus absolues qui puissent se concevoir et, pour en renforcer encore l efficacité, le législateur n hésite pas à affirmer que le droit des procédures collectives ne leur est pas applicable! (v. infra, nº 421 et s.). Inversement, le droit des garanties et tout particulièrement le droit du cautionnement est fortement influencé par le droit de la consommation 55. La caution bénéficie ainsi des mécanismes de protection des consommateurs 56.Ilya ainsi consummérisation et socialisation du droit des sûretés 57. 28. La prise en compte de l évolution technologique. Le droit des sûretés est nécessairement marqué par le passage de l époque du papier à celle de l électronique. Les adaptations concernant l ensemble des contrats profitent ainsi aux sûretés telles les règles relatives à la preuve électronique. De même, l acte authentique peut aujourd hui avoir une forme électronique. Le système hypothécaire s adapte aussi aux nouvelles technologies avec la possibilité d inscrire en ligne les hypothèques. Cependant, le droit des sûretés résiste aux avancées de la technologie. Il existe une crainte de voir la protection des garants diminuée si les sûretés peuvent être conclues sans présence physique. Pour cette raison, l article 1108-2 du Code civil fait exception au principe posé par l article précédent facilitant l écrit électronique. Ainsi, les actes sous seing privé relatifs à des sûretés personnelles ou réelles de nature civile ou commerciale ne peuvent pas être passés par voie électronique, sauf s ils sont passés par une personne pour les besoins de sa profession. 29. Exigence de bonne foi. Comme l ensemble du droit des contrats, les sûretés sont soumises à l exigence de bonne foi. Le créancier, quand il fait souscrire la garantie ou lorsqu il la met en œuvre, doit tenir compte des intérêts du garant. Un créancier manque ainsi à son devoir de bonne foi s il se fait consentir des garanties excessives par rapport au patrimoine de son débiteur et au montant de sa créance. Lorsque le législateur français limite la liberté du créancier 54. Ph. THÉRY, «La différenciation du particulier et du professionnel : un aspect de l évolution du droit des sûretés», Dr. et patr. avril 2001, p. 53. 55. La loi du 1 er août 2003 est particulièrement significative de cette évolution. 56. Ch. ALBIGES, «L influence du droit de la consommation sur l engagement de la caution», Mélanges en l honneur de J. Calais-Auloy, Dalloz, 2003, p. 1. 57. N. MOLFESSIS, «Le principe de proportionnalité», Banque et droit mai-juin 2000, p. 4.

Introduction 29 de se faire consentir un cautionnement solidaire 58 ou d obtenir d une caution d un crédit à la consommation un engagement qui excède ses ressources, il semble se conformer à un tel principe. Il en va de même lorsque le juge contrôle la sûreté inutile c est-à-dire «celle qui outrepasse la mesure nécessaire au paiement de la créance» 59. Du principe de bonne foi, il est aussi permis de déduire la règle selon laquelle le créancier bénéficiaire d un cautionnement doit s efforcer de minimiser le préjudice subi par la caution. Il doit ainsi mettre en œuvre les facultés que lui confère sa sûreté réelle sous peine de se voir opposer le bénéfice de subrogation. Le devoir de mise en garde du créancier envers la caution profane peut aussi être rattaché au devoir de contracter de bonne foi. 30. Défiance à l égard des garanties. En principe, un créancier a toute liberté pour se faire consentir les garanties qu il souhaite obtenir du débiteur et pour les mettre en œuvre en cas de défaillance de ce dernier 60. De même un créancier ne peut se voir imposer la substitution d une garantie à celle dont il dispose 61. Une évolution semble pourtant se dessiner, le législateur et le juge sanctionnant les abus aussi bien dans la phase de constitution des garanties que dans celle de leur mise en œuvre 62.L article L. 650-1 du Code de commerce sanctionne ainsi la prise de garanties disproportionnées lorsqu un créancier consent des crédits à une entreprise en difficultés. La théorie de l abus du droit aurait ainsi en droit des garanties un rôle équivalent à celui qui lui est aujourd hui reconnu en droit des contrats et dans le droit de l exécution forcée. Le juge intervient dès lors qu il apparaît que le créancier a profité de manière excessive de sa qualité 63. Le législateur lui-même semble vouloir limiter la prise de garanties. Le cautionnement est par exemple interdit dès lors que le bailleur dispose d une assurance le garantissant des risques de non-remboursement du loyer. La prise de garanties ne doit pas non plus s avérer une technique permettant de contourner la volonté du législateur d offrir aux professionnels la possibilité de limiter leur risque. Pour cette raison, en toute logique, le législateur devrait 58. Cass. com., 19 juin 1997, JCP E 1997, 1007, note D. LEGEAIS ; JCP E 1998, 173, obs. Ph. SIMLER. 59. J. MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, op. cit., nº 199 ; S. PIEDELIÈVRE, «Le cautionnement excessif», Defrénois, 1998, art. 36836, p. 849 et s. 60. Cass. com., 2 juin 2004, RD bancaire et fin. juillet-août 2004, obs. D. L.:sauf fraude ou abus, le créancier qui bénéficie de plusieurs sûretés ne commet pas de faute en choisissant le moyen d obtenir le paiement de sa créance. 61. Cass. 1 re civ., 5 juillet 2006, Banque et droit novembre-décembre 2006, p. 51, obs. N. R. 62. N. BORGA, op cit., p. 539 ; J. MESTRE, «Réflexions sur l abus du droit de recouvrer sa créance», Mélanges Raynaud, p. 439 et s. ; Ch. MOULY, «L abus de la caution», RJC 1982 ; v. également les observations de Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE relatives à la loi du 10 février 1994 limitant la liberté des établissements de crédit de se faire consentir des sûretés par un entrepreneur individuel, JCP E 1994, I, 365, nº 13. V. aussi, Cass. com., 5 décembre 1995, RJDA 4/96, nº 456, constatant un abus du créancier dans la poursuite d une caution. 63. C. THIBIERGE-GUELFUCCI, «Libres propos sur la transformation du droit des contrats», RTD civ. 1997, 357 et s. ; «L abus de droit dans les contrats», Cah. dr. entr. 1998/6 ; D. MAZEAUD, «Loyauté, solidarité, fraternité : La nouvelle devise contractuelle», L avenir du droit, Mélanges Terré, Dalloz, 1999, p. 603 ; contra Cass. com., 19 novembre 2002, Defrénois 2003, p. 1616, obs. Ph. THÉRY.

30 Sûretés et garanties du crédit interdire la prise de garanties par l établissement de crédit finançant l EIRL. En l absence de texte prohibant l interdiction, il semble cependant difficile d adopter cette analyse 64. Un conjoint aurait ainsi le droit de se porter caution. Un créancier pourrait aussi se faire consentir une sûreté sur un bien d un patrimoine autre de celui qui lui est affecté. Implicitement, le ministère adopte cette solution puisque dans une réponse ministérielle, il est précisé que les chefs d entreprise ont la possibilité de saisir le médiateur du crédit pour le cas où les garanties sur les actifs affectés à l activité seraient mal appréciées par les organismes de prêt et conduiraient à des demandes de garanties excessives au regard des prêts sollicités 65. Cependant, si les sûretés se trouvaient prohibées, il conviendrait d envisager par les techniques différentes la prise en charge du risque entrepreneurial. Des pistes ont été évoquées tel le cautionnement mutuel ou la prise en charge du risque par la société via des organismes tels OSEO ou la SIAGI, filiale de l assemblée permanente des chambres de métiers et de l artisanat 66. 31. Le principe de transparence. Le principe de transparence semble aujourd hui éclairer l ensemble des relations d affaires. Le droit des garanties est directement concerné par cette évolution. Les tiers ont tout intérêt à connaître l ensemble des garanties consenties par une personne. Cela leur permet de mieux apprécier sa solvabilité. La transparence des garanties qui se traduit par leur publicité permet également de prévenir des conflits entre titulaires de sûretés réelles. C est au nom du principe de transparence que des sûretés réelles nouvelles sont soumises à publicité et que des propositions sont faites pour encourager cette évolution de notre droit 67. Il existe cependant des réticences de la part de ceux qui pensent que le secret des affaires doit demeurer. Le législateur lui-même n est pas toujours très cohérent. Un privilège occulte a ainsi été reconnu au syndicat de copropriétaires. La propriété garantie demeure le plus souvent occulte. 32. Plan de l ouvrage. La distinction des garanties personnelles et des garanties réelles s impose logiquement. Elle est consacrée par l ordonnance en date du 23 mars 2006. 64. S. SCHILLER, «L EIRL et les créanciers», Dr. et patr. avril 2011, p. 56 ; H. SYNVET et A. GAUDEMET, «EIRL et sûretés», LPA, 28 avril 2011, p ; 32, S. CABRILLAC, «EIRL et sûretés personnelles : faute de grives, on mange des merles», Cah. dr. entr. mai-juin 2011, p. 37 ; Ch. ALBI- GES, «Sûretés et EIRL : les sûretés réelles portant sur un bien déterminé», Cah. dr. entr. mai-juin 2011, p. 41 ; F. MACORIG VENIER, «Observations sur l EIRL et les sûretés», BJS mars 2011, p. 253 ; F. ROUSSEL, «EIRL et droit du crédit et des sûretés», in L entrepreneur individuel à responsabilité limitée, dir. F. TERRÉ, Litec, 2011, p. 108. 65. Rép. Min. nº 81762, JOAN Q, 19 octobre 2010, p. 11390, JCP E 2010, 1960. 66. OSEO et la SIAGI ont ainsi pris l engagement de ne prendre que des garanties sur les actifs affectés à l activité. 67. Ch. MOULY, «La transparence des sûretés réelles», in Les garanties et le crédit aux entreprises, CNC, septembre 1993 ; J. BEAUCHARD, La publicité des garanties, Diagnostic et prospective, Gaz. Pal. 1993 ; C. JACQUET, Rapport sur le cautionnement, Travaux du Congrès des notaires, nº 41. A.-M. MORGAN DE RIVERY, «La publicité du gage», RJC 1994, nº spécial, p. 85 ; D. LEGEAIS, Les garanties conventionnelles sur créances, Economica, 1986, préf. Ph. RÉMY, sp. nº 603 ; E. GARAUD, La transparence en matière commerciale, Thèse Limoges, 1995.