L immigration à Berlin



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L immigration à Berlin Sur les 3,4 millions d habitants que compte Berlin, près d un million est issu de l immigration. Cela signifie que vous-même ou l un de vos parents n est pas né en Allemagne. C est une bonne chose pour Berlin puisque le flux constant des nouveaux citoyens et citoyennes actifs et particulièrement mobiles ainsi que la diversité qui en découle déclenche la dynamique des sociétés essentielle au progrès social. Des qualifications jusqu à présent inconnues, de nouvelles initiatives culturelles, des perspectives surprenantes - aucune métropole ne peut se passer de ces forces productives. Pour comprendre le particularisme de Berlin, il ne suffit pas de regarder le phénomène migratoire actuel. Le résumé tient en peu de lignes : les citoyennes et citoyens étrangers proviennent aujourd hui de 186 états au total. Près des trois quarts d entre eux sont européens. Un huitième des étrangers et des étrangères est d'origine asiatique, seulement 6 % environ vient d'amérique, à peine 4 % vient d'afrique et 0,5 % vient d'australie et d'océanie. En outre, depuis la crise financière, l'immigration en provenance d'espagne ne cesse de croître. Grâce à la liberté de circulation au sein de l'union Européenne, une augmentation du nombre d'immigrants provenant des pays tels que la Pologne, la Roumanie et la Bulgarie a également été constatée. Il ne suffit pas de lire le nombre d étrangères et d étrangers enregistrés dans une ville pour constater à quel point celle-ci est profondément marquée par la migration. Des centaines de milliers de personnes ont beau vivre dans une métropole internationale, leurs traces restent malgré tout marginales lorsqu ils s établissent dans une ville pour une courte période, quelques mois ou un, deux ans dans le cadre de leurs affaires ou de leurs activités politiques. 1

Le caractère, l identité et l habitude d une ville se retrouvent constamment bouleversés par ces immigrants qui ont quitté à jamais leur pays d origine à la recherche d une vie meilleure et qui deviennent citoyennes et citoyens de leur nouveau lieu de résidence. Ce sont eux qui marquent de leurs empreintes les villes comme New York, Paris, Londres ou encore Berlin et les font se différencier de Moscou, Varsovie ou Belgrade. Les premières années de l immigration : 1671-1850 Au milieu du XVII e siècle, Berlin n était rien de plus qu un village trop grand de la Marche de Brandebourg. La ville comptait seulement 4 000 habitants, ce qui était trop peu pour y espérer une vie spirituelle et économique développée. Le phénomène se répandit à cette époque à d autres villes telles que Paris, Istanbul, Naples, Londres ou Vienne. Au cours de la deuxième moitié du XVII e siècle, Frédéric-Guillaume, le «Grand Électeur», s est engagé à accueillir les familles immigrées. Pour les réfugiés religieux provenant de toute l Europe en particulier, Berlin est devenu au cours des décennies suivantes un lieu séduisant. À partir de 1671, cinquante familles juives sont arrivées dans la ville suite à leur expulsion de Vienne par Léopold I er. Afin d «encourager le commerce et les échanges», Frédéric- Guillaume leur a proposé de s installer à Brandebourg, détruit pendant la guerre de Trente ans. Ils recréèrent la communauté juive après que les juifs de Brandebourg ont été expulsés «à jamais» de la Marche et de Berlin en 1573, après 300 ans de persécution. Au XVII e siècle, les colons juifs vécurent en dehors du système juridico-social de la société d ordres. Les corporations leur restaient fermées et ils devaient payer une contribution annuelle ; s ils voulaient se marier, ils devaient également s acquitter d une taxe. Vers la fin du XVII e, début du XVIII e siècle, d autres immigrés juifs provenant de Brandebourg-Prusse et de territoires germanophones 2

suivirent le même chemin que les Viennois. Il leur était à l époque interdit de construire des synagogues ; ce n est que 43 ans plus tard, en 1714, que la première synagogue située dans le quartier de Berlin-Mitte a pu être inaugurée. Les choses se sont mieux passées pour les Huguenots, protestants persécutés en France. Le souverain attira ces frères et sœurs protestants dans un Berlin de même confession avec des privilèges, des matériaux de construction et en leur offrant des terres et des droits civiques. Plus de 6 000 personnes s y installèrent entre 1685 et 1700, et elles représentèrent ainsi déjà 20 % de la population de la ville. Au XVIII e siècle, l immigration de protestants s est poursuivie, cette fois-ci en provenance de Bohème. C est eux qui créèrent la communauté bohémienne de Rixdorf à Neukölln, l actuel quartier de Berlin. De 1650 à 1850, le nombre de Berlinois a augmenté doucement mais de manière continue, passant de 4 000 à près de 400 000. L immigration en provenance de l Est : de 1880 à 1933 Au cours de la deuxième moitié du XIX e siècle, Berlin a connu un développement économique considérable. Suivant le même chemin que l industrie textile, d autres industries comme les industries mécanique et métallurgique et, à partir de 1871, les industries électronique et chimique en particulier, ont connu un véritable boom. D énormes ateliers d usines ont été créés dans lesquels des centaines de milliers de travailleurs étaient nécessaires. Ils affluèrent de Brandebourg, de Poméranie, de Prusse orientale et occidentale, de Posnanie et de Silésie vers Berlin. Ce phénomène, associé à l apparition des immeubles, a forgé à partir de cet instant le visage de la ville. 3

En 1895, Berlin comptait déjà 1,7 million d habitants et 290 000 d entre eux n étaient pas d origine allemande, mais, pour la plupart, polonais (130 000) et russes (90 000 100 000). Cela correspondait à un taux d étrangers et d étrangères de 17 % ; aujourd hui il s élève à 14 %. Seulement 25 ans plus tard, le nombre d habitants de Berlin s élevait déjà à 3,9 millions. Environ 10 % d entre eux étaient venus de Russie en 1920, avant tout pour fuir les agitations politiques de leur pays. Entre 1881 et 1914, environ 2,5 millions de juives et de juifs quittèrent la Russie, la Galicie et la Roumanie. La raison : sous le règne des tsars Alexandre III et Nicolas II, une vague de pogromes antisémites, soutenue par la presse et tolérée par la police, a éclaté. Près de 65 000 émigrants se sont établis dans l Empire allemand, dont 19 000 à Berlin. Après la Première Guerre mondiale (1914 1918) et la Révolution d Octobre (1917), une nouvelle immigration massive en provenance de Russie a eu lieu. Jusqu à 700 000 Russes ont demandé asile auprès de l Empire allemand. En juin 1923, ils devaient être au minimum 360 000 à séjourner à Berlin, beaucoup d entre eux étaient juifs. À partir de 1923, après la fin de l inflation et de la réforme monétaire, une grande partie de la colonie russe quitta Berlin car la vie y était désormais devenue aussi chère que dans les autres métropoles européennes. Cinq ans plus tard, en 1928, des 360 000 émigrants russes, seuls 75 000 vivaient encore à Berlin. En moins de 300 ans et grâce à une immigration permanente, Berlin est passé d une ville agricole aux sols marécageux à l une des métropoles industrielles les plus importantes du monde avec plus de 4,3 millions d habitants en 1930. À cette époque Berlin comptait près d un million d habitants en plus qu aujourd hui. 4

La ville des migrations forcées : 1933-1945 À l inverse de New York, l immigration à Berlin n est pas un processus qui s est développé au cours des siècles de manière linéaire. Avec la nomination d Adolf Hitler à la fonction de chancelier de l Empire et la prise de pouvoir des nationaux-socialistes, le processus de migration à Berlin a changé du tout au tout. La migration des personnes est devenue un acte violent, ordonné par l État. Cette politique a eu pour conséquence la destruction, la déportation et l extermination de la communauté juive de Berlin qui dénombrait 160 000 membres, de 1933 à 1945. Outre la déportation de centaines de milliers de personnes, un nombre équivalent de personnes a été obligé, dans les années 1940, de migrer à Berlin. À aucun moment le nombre de travailleurs étrangers en Allemagne n a égalé celui des années 1944 et 1945. Plus de huit millions de travailleurs civils, de détenus de camps de concentration et de prisonniers de guerre, tous étrangers et provenant de vingt pays européens, ont été contraint de vivre dans plus de 30 000 camps en Allemagne. À Berlin, en août 1944, les quelque 380 000 étrangers et étrangères mobilisés et déportés de force représentaient environ 28 % de l ensemble des travailleurs. Au sein de l entreprise AEG (Allgemeine Elektricitäts-Gesellschaft, soit «entreprise d électricité générale»), ils représentaient même, en 1944, 60 % des effectifs. Cela constitue jusqu à aujourd hui un niveau maximal historique de l emploi de travailleurs étrangers depuis la création de l Empire en 1871. 5

La ville des Allemands : 1945 1964 De 1945 à 1964, après la guerre et l holocauste, Berlin était méconnaissable. Les traces de la diversité du XIX e et du début du XX e siècle avaient été effacées. À aucun moment depuis la proclamation de l édit de tolérance en 1685 Berlin n a compté aussi peu d étrangers ni aussi peu d habitants appartenant à des minorités religieuses et ethniques que dans les années 1950 et au début des années 1960. Le pourcentage d étrangers dans la ville à cette époque s élevait à moins de 1 %, si l on ne prend pas en compte les membres soviétiques, français, américains et britanniques des puissances protectrices. Des centaines de milliers de Berlinois et Berlinoises de l Ouest quittèrent la ville en direction de la République fédérale d Allemagne. La vie dans la ville du front était devenue trop inhospitalière, les perspectives professionnelles, politiques et économiques trop incertaines. Dans le même temps, les allemands expulsés venus de la Prusse orientale, des territoires au-delà de l Oder et de la Neisse et de la Tchécoslovaquie trouvèrent refuge dans la ville. En 1950, près de 150 000 personnes expulsées vivaient dans Berlin-Ouest. De plus, des centaines de milliers de citoyens de la RDA s enfuir vers Berlin-Ouest. En 1960, 200 000 personnes rejoignirent Berlin-Ouest en passant par les frontières des secteurs encore ouvertes. Beaucoup d entre eux continuèrent vers l Ouest, seuls peu restèrent dans la ville. Berlin(-Ouest) devint alors une ville de transit. La construction du mur et ses conséquences : de 1961 à 1991 La construction du mur le 13 août 1961 n a pas seulement été un choc pour les personnes des deux parties de la ville, elle a également affecté l économie de Berlin-Ouest. Du fait de la construction du mur, le nombre de travailleurs a diminué de 322 548 6

à 285 114 en juillet 1964. Le Wirtschaftsverband Eisen-, Maschinenund Apparatebau e.v. (WEMA, soit «association économique de la construction de l acier, de machines et d appareils») se plaint en 1964 dans le mémorandum Das Arbeitskräfteproblem in West- Berlin : «L ensemble des autorités compétentes doivent aujourd hui plus que jamais agir en faveur de l augmentation des ressources humaines de l économie berlinoise. ( ) Il conviendra d embaucher une main-d œuvre étrangère pour l industrie de Berlin-Ouest, en particulier des Turcs et des Grecs.» Mais la main-d œuvre n arriva pas que de ces pays. Entre 1955 et 1970, la République fédérale d Allemagne a signé des accords de recrutement de main-d œuvre avec les pays suivants : 1955 Italie 1960 Espagne/Grèce 1961 Turquie 1963 Maroc 1964 Portugal 1965 Tunisie 1968 Yougoslavie 1970 Corée du Sud La porte d un nouveau chapitre sur l immigration s est alors ouverte. Des milliers de travailleurs immigrés affluèrent de Turquie, d ex- Yougoslavie, de Grèce, d Espagne et d Italie vers Berlin-Ouest. Beaucoup d entre eux retournèrent chez eux quelques années plus tard, certains restèrent à jamais. Les infirmières sud-coréennes dénombrées à plus de 3 000, qui, après 1970, étaient irremplaçables en matière de soins dans la ville surannée, ont presque entièrement disparues de la mémoire collective. Sans cette immigration, la démographie de Berlin-Ouest aurait décliné de manière encore plus dramatique avec environ 350 000 habitants en moins, faisant passer la population de 2,2 millions à 1,85 million d habitants. 7

Entre la fin des années soixante-dix et le milieu des années quatrevingt-dix, plusieurs dizaines de milliers de réfugiés, venus des régions en crise du Liban, d Afrique et des Balkans, suivirent le même chemin que les travailleurs migrants. C est dans ce contexte que, par exemple, s est installée la plus grande communauté libanopalestinienne d Allemagne, qui marque aujourd hui encore la vie des rues situées autour de la Sonnenallee dans le quartier de Neukölln. La migration vers Berlin-Est s est déroulée tout autrement. Depuis les années soixante, des Tchèques, des Polonais et des Hongrois travaillaient dans la ville, isolés. À partir du début des années quatrevingt, le manque de main-d œuvre a également commencé à se faire sentir en RDA. L emploi de travailleurs sous contrat, comme étaient nommés les travailleurs migrants en RDA, resta toutefois marginal. Ils arrivèrent d Angola, de Cuba et du Vietnam, mais, excepté les travailleurs vietnamiens sous contrat, ils durent quitter l Allemagne après la réunification. Les communautés vietnamiennes de Berlin-Est et Berlin-Ouest n ont jusqu à aujourd hui pas grand-chose en commun. Pour les unes, les travailleurs sous contrat venant de Hanoï ont été envoyés dans un «pays frère» à Berlin-Est avant 1989. Pour les autres, ceux appelés les «boat people», ils arrivèrent à Berlin-Ouest à partir de 1975 en bénéficiant du statut de réfugiés après avoir fui de manière dramatique le Vietnam communiste. Contrairement à la République fédérale et à Berlin-Ouest, l asile politique n était d ailleurs accordé en RDA qu à une minorité de fonctionnaires de partis communistes et de mouvements de libérations. Voici la différence d évolution des deux États allemands en matière d immigration en chiffre : en 1990, environ 180 000 étrangers vivaient 8

dans l ensemble de la RDA contre 25 fois plus en République fédérale, c est-à-dire 4,5 millions. Rien qu à Berlin-Ouest, avec environ 2,2 millions d habitants, vivaient presque deux fois plus d étrangers que dans toute la RDA, avec ses 16 millions d habitants. Le nouveau Berlin : de 1991 à nos jours Même après le tournant et la réunification des deux moitiés de la ville, Berlin reste attractif pour les personnes voulant se réinventer. Beaucoup sont surpris lorsqu on leur raconte que le groupe d immigrés le plus important en Allemagne n est ni turc, ni russe, ni polonais, mais constitué de rapatriés. Après 1950, plus de cinq millions de rapatriés provenant de l Union Soviétique et des États de la Fédération de Russie issus de l éclatement de l Union, du Kazakhstan, d Ukraine et du Kirghizstan, mais aussi de Roumanie, de Pologne et de l ex-tchécoslovaquie, ont immigré en Allemagne. Ce sont les descendants des citoyens allemands émigrés qui s étaient installés, lors des siècles précédents et surtout au XVIII e siècle, en Europe de l Est et en Europe du Sud. La loi fondamentale appelle ces personnes les «allemands de souche». Ils ont le droit de s installer en Allemagne et d obtenir la nationalité allemande. Cela ne change rien au fait qu il s agisse d immigrés de facto dans un pays qui leur est étranger. Jusqu en 1991, les rapatriés ont été répartis dès leur arrivée dans les Länder de l Allemagne de l Ouest et, à partir de 1992, également à Berlin. La ville compte aujourd hui plus de 160 000 rapatriés. Un autre groupe s installa dans la ville après 1990 : les juifs arrivant de l Union Soviétique et des États issus de son éclatement. Après la Shoah, peu de personnes auraient pensé que des juifs se réinstalleraient en Allemagne. Si en 1933 plus de 160 000 juifs vivaient à Berlin, en 1989, l année du tournant, ils étaient 6 500 à 9

Berlin-Ouest et 200 à Berlin-Est. La vie juive est aujourd hui redevenue omniprésente dans la ville. Après la chute du mur, l Allemagne, et en particulier Berlin, a connu une forte immigration de juifs. La raison : avant la réunification, le premier gouvernement élu de RDA a approuvé une loi en juillet 1990, selon laquelle les immigrants juifs venant d Europe de l Est, et tout particulièrement de l Union Soviétique, allaient recevoir de nombreux droits et garanties sociaux. À partir de 1991, les émigrants juifs venant de l ex Union Soviétique et des États de la CEI, avaient également la possibilité d entrer sur le territoire de l Allemagne réunifiée sous le statut de «contingent de réfugiés». Entre 1990 et 2003, 220 000 contingents de réfugiés juifs venus des États de la CEI ont immigré en Allemagne, dont près de 30 000 à Berlin. Travailleurs migrants, travailleurs sous contrat, demandeurs d asile, rapatriés et contingent de réfugiés ils marquent tous le nouveau Berlin de leur empreinte. Cependant, même avec tout ça, la ville de l immigration est encore loin d être complète. Il manque ceux que l on appelle les illégaux et les personnes qui n ont pas de statut de résident valide. Ils sont des milliers et vivent, pour une partie, depuis des années dans la ville. Ils travaillent pour des salaires moindres dans des restaurants ou comme vendeurs de döner-kebabs, comme ménagères, sur les chantiers, dans les boulangeries, les maisons de retraite privées, l industrie du sexe ou comme trafiquant de drogue. Ils n apparaissent dans aucune statistique officielle et ne profitent pas du système de santé ni d aucun service social. Ils font tous partie de l internationalisation du marché du travail dont on ne parle que très rarement. Ces prestataires de service restent dans l ombre des professionnels internationaux hautement qualifiés qui, depuis la fin de la grande vague d immigration il y a quelques années, arrivent dans la ville en 10

toute légalité et s établissent en tant qu architectes, artistes, experts en informatique, travailleurs qualifiés, experts dans les médias, lobbyistes, prestataires ou étudiants Erasmus. Ils travaillent pour des organismes scientifiques, des groupes internationaux ou dans le domaine artistique. Ils ne sont pas des immigrants classiques, seuls peu d entre eux restent à vie, mais ils contribuent à faire du Berlin d aujourd hui ce qu il est. Seul l avenir saura nous dire si ces travailleurs nomades marqueront le Berlin du futur autant que les groupes d immigrés l ont fait par le passé. Texte : Eberhard Seidel Eberhard Seidel, né en 1955, vit depuis 1977 à Berlin. Il est sociologue et journaliste. Publications sur les thèmes de l extrême droite, de l islam, des migrations, des sous-cultures des jeunes. Depuis 2002, il assure la gérance du réseau «Schule ohne Rassismus - Schule mit Courage» (Une école sans racisme une école avec du courage) 11