Du même auteur Dans la collection "Itinéraire d une famille ordinaire"

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1 Au pré de mon arbre

2 Du même auteur Dans la collection "Itinéraire d une famille ordinaire" d Ussels, j aime L émigré. Au Peyrat! Qu il eût cru! Long courrier. Le cas Noé. Le bon grain est livré! Qu'est-ce qu'elle a, ma fraise? Au pré de mon arbre. La carte Vital Autre collection : L'Île aux Oiseaux, paru en 2013 De la Teste à Bordeaux en suivant le chemin bougès, 2014

3 Raphaël Vialard Itinéraire d une famille ordinaire Au pré de mon arbre Les Éditions de la Ferme

4 Raphaël Vialard Itinéraire d une famille ordinaire Au pré de mon arbre Ce recueil relatif à la famille Duchesne est à lire à la suite de l'ouvrage Qu'est-ce qu'elle a, ma fraise? Au risque de nous répéter, cet ouvrage résulte d'une compilation de textes dénichés ça et là ; je remercie ceux qui m ont aidé dans cette collecte d'informations. Certains passages, de lecture ardue, sont proposés à titre documentaire. Les descendances DUCHESNE, et PANNETIER, sont en annexes, en fin d'ouvrage. Pour ceux qui voudraient en savoir davantage sur l arbre généalogique, consulter le site internet «Geneanet» à l identifiant rvialard En couvertures, portraits de Paul & Gabrielle Duchesne Imprimé en France Copyright Raphaël Vialard 2014 Toute reproduction destinée à une utilisation collective est interdite.

5 La poussière n'est pas encore le néant : elle aussi doit être dispersée. François Mauriac - Journal

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7 Jean Duchesne aîné ( ) Branche aînée issue d Antoine-Nicolas, Jean naît à Versailles le 28 décembre 1779, et passe les premières années de sa vie à l hôtel Seignelay où son père commence son instruction suivant la méthode qui avait présidé à la sienne, à savoir instruire les enfants par la variété de l étude et des démonstrations, sans fatiguer l esprit. Il suit les répétitions à l'école Centrale où professe son père qui le destine à Polytechnique, nouvellement créée. Mais Monsieur Joly, un ami de son père, qui vient d être rendu à ses anciennes fonctions de conservateur des Estampes, après deux ans passés dans les prisons de la Conciergerie, dit au père : Vous voulez lancer votre fils dans une carrière pour laquelle il ne me semble pas fait et où l'attendent de grandes déceptions. La République vous a ruiné, comme bien d'autres, vous ne pouvez garder longtemps vos fils à votre charge. Faites mieux, confiez-moi l'avenir de l'aîné ; il entrera dans le cabinet des Estampes comme le dernier employé. Je lui apprendrai le métier, je suivrai ses progrès, je vous en rendrai compte et, s'il se conduit bien, la Providence fera le reste. Jean Duchesne quitta donc l équerre et le compas, l'algèbre et la trigonométrie, en un mot les sciences pour les arts, et, le 28 juillet , entre au Cabinet des Estampes. Le 23 brumaire an VII 2 Duchesne demande les appointements de second employé. Le conservateur refuse ; la réponse vaut d'être citée : Le citoyen Duchesne est bien le second employé par le nombre puisqu'il y en a que deux dans le cabinet des Estampes mais, par le fait, il n'est que le dernier, et le Conservatoire n'a entendu jusqu'ici lui donner que les appointements de dernier employé 3 auxquels il restera jusqu'à nouvel ordre. 1 - À l âge de 15 ans et 7 mois novembre Appointements qui devaient avoisiner 2000 livres. [Tapez un texte]

8 Au pré de mon arbre De son mariage avec Denise-Victoire-Cécile Delatre, le 27 novembre 1798, naissent des triplés morts à la naissance, puis Alexandre (1802), Rose-Cécile 14 (1803), et Claire (1807). Restée veuve 5 2, le 8 août 1822, huit mois après son mariage avec le docteur Beaumont, originaire de Rouen, Rose-Cécile est alors enceinte de Cécile qui naîtra le 25 septembre à Rouen, elle vient habiter, à la Bibliothèque Royale avec sa petite fille Cécile Caroline, chez son père dont elle tiendra 1a maison. Tous les conservateurs sont logés à l'époque. Jean voisine avec son col1ègue Lenormand, conservateur des antiques, autrement dit des médailles ; or, M me Lenormand est la nièce 6 de Madame Récamier. C'est ainsi que Rose-Cécile voit Madame Récamier à l'abbaye aux Bois. Elle y rencontre Chateaubriand, avec qui elle ne sympathise pas.. Lenormand est envoyé par le gouvernement français pour le représenter aux obsèques d'un homme d'état en Grèce. Suivant le cortège tête nue, à la mode française, il attrape une insolation dont il mourut, encore jeune. Cette mort fait la fortune du jeune cousin Chabouillet qui lui succède à la conservation des médailles. En 1821, il voit débarquer, de Grenoble, un dénommé Champollion-Figeac 7 qui se propose pour classer les chartes de la Bibliothèque royale et se met au travail ; il sera révoqué dix-huit mois plus tard, semble-t-il en butte aux intrigues royalistes facilitées par les nombreux changements de ministres. En 1826, le gouvernement demande à Jacques- Joseph de reprendre son classement. Deux ans plus tard, Champollion- Figeac sera nommé conservateur à la Bibliothèque royale 8 (actuellement la BNF). Jean est un grand spécialiste 9 de la gravure. À ce titre, il est probablement en contact avec les graveurs de son époque, en particulier Louis Guillaume Sampierdarena, Alexis Depaulis, et Théophile Dumer- 4 - Son portrait a été dessiné par Élise Duchesne ; il est la propriété de la famille Marin-Darbel. 5 - Le docteur Beaumont décède 8, rue de la Chaise. 6 - Et fille adoptive. 7 - Jacques- Joseph Champollion, frère aîné du célèbre Jean - François. 8 - Actuellement Bibliothèque Nationale de France (BNF). 9 - Larousse XIX e, Essai sur les Nielles. 8

9 Jean Duchesne san, conservateur à la bibliothèque royale. Il est l auteur de très nombreux ouvrages et articles dans un grand nombre de revues 10. À la mort de M. Joly, en 1829, la place de conservateur revient, de droit, à Jean Duchesne, mais l'intervention de M me Demanne, femme du conservateur des imprimés, auprès de la femme de chambre de la duchesse d'angoulême, fait préférer M. Thèvenin, brave homme mais complètement étranger à la bibliothèque. Longtemps poursuivi par la malchance, Jean Duchesne attend 1832 pour se voir conservateur adjoint. M. Thèvenin meurt le même jour que M. de Saci, conservateur aux manuscrits, au dégel du 19 février La mère Demanne, mauvaise femme, bigote comme son amie la femme de chambre, intrigue à nouveau mais, cette fois, sans succès. Duchesne fait une démarche personnelle auprès du roi Louis- Philippe. M. de Salvandy, ministre de l Instruction publique, veut supprimer la place et le roi, de s écrier : Aïe! Aïe! Aïe! et Duchesne fut nommé Conservateur des Estampes 11 Parmi les directeurs de la bibliothèque royale se trouve un certain Naudet. D'un caractère changeant, c'est, au fond, un mauvais homme : Prenant les gens en amitié, puis, sans raison, devenant leur ennemi acharné, il avait fait remercier M. Champollion-Figeac et destituer M. Rochette. En 1848, il essaie de faire retraiter Jean Duchesne, sans succès du reste, à cause de son âge ; mais le ministre lui répond que M. Duchesne est trop aimé du public pour qu'il songe à à se priver de ses services. Néanmoins, Naudet parvient à lui supprimer la fonction de trésorier qu'il exerçait depuis nombre d'années. Jean Duchesne sera conservateur jusqu'à sa mort, le 4 mars La famille Duchesne possède les notices qui sont répert o- riées dans la notice publiée en 1855 par M. Paulin Paris (Employé au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale, il se consacra à mettre en lumière la vieille littérature française et en partic u- lier les épopées, chansons de geste), de l Institut, et dans celle p u- bliée par M. J. Desnoyers dans le Bulletin de la Société de l Histoire de France de mai On trouvera dans les notices de M. Paulin Paris, parue le 15 mars 1855, de l'institut, conservateur des manuscrits français à la bibliothèque impériale, et celle de M. J Desnoyer, parue le 1er mai 1855, secrétaire de la société de l'histoire de France, tous les détails de la carrière administrative parcourue par Jean Duchesne. (Extrait du bulletin de la société de l'histoire de France) 9

10 Au pré de mon arbre Son cousin Toussaint Menjaud fait de lui son portrait en 1811 : c est un beau jeune homme qui fait songer à Lamartine. Lettre 12 écrite de Moscou le 16 septembre 1812 par une amie de la famille À Madame Jean Duchesne a la bibliothèque impériale rue Neuve des Petits Champs à Paris Moscou, 16 7 bre Comment trouvez vous le papier de Moscou, ma bonne amie? Eh bien, on vient de m assurer qu il y en a encore de plus beau dans le magasin et que, si je voulais me donner la peine de chercher, j en trouverai peut-être. Comme il faudrait passer une heure ou deux à cette recherche, je préfère me servir de celui qui se présente et d ailleurs, est-il besoin de beau papier pour vous dire mille et une chose honnête que vous m inspirez et qui méritent l occasion de vous être adressées n importe comment. Savez vous, ma bonne amie que vous êtes bien aimable et que j ai bien lu votre jolie lettre et que, tout bien considéré, je finirai, si vous persistez dans votre excès de modestie, par croire que ce pourrait bien être de l amour-propre, car vous écrivez aussi bien que l on puisse écrire et si à cette qualité vous joignez celle d écrire bien plus souvent, il ne vous manquerait rien pour que je vous aime de tout mon cœur, mais écrivez moi! J ai dans l idée, je ne sais pourquoi que vous vous chagrinez de ne pas me voir (léger amour-propre) et puis de me savoir malheureuse. Eh bien, si cela est, je ne veux plus vous voir de chagrin, consolez vous, nous avons trouvé ici de tout en abondance et avant que s m 13 soit entrée en ville, nous étions déjà, mon frère et moi, précautionnés d une bonne petite indigestion, car, voyez-vous ma bonne amie, il faut bien un peu penser à soi, et il y avait si longtemps que nous n avions goûté de bonnes choses. Je vous ferai plus tard une petite description de la ville et de ses habitants, s il en revient car jusqu'à présent je n en ai pas plus vu que sur ma main 14 car messieurs ne nous attendent jamais et nous laissent meubles et maisons pour en disposer comme bon nous semble. Enfin, ma bonne amie, je suis honteuse de vous dire que je n ai encore d idée du 12 - Aimablement communiquée par François Roche Napoléon ; après la bataille de Borodino le 7 septembre 1812 entre dans Moscou le 14 septem bre a 14 h. la ville sera ince n- diée du 14 au 18 septembre En attendant l arrivée des français, les habitants russes ont fui. 10

11 Jean Duchesne costume et du caractère russe que par «la chaumière moscovite» 15 du t.c.f. 16 :. Dumas. Vous pouvez même l assurer de ma part que l en est d une exactitude admirable, témoin ma douleur de rein pour en avoir tâté depuis trop longtemps. Cependant on nous fait espérer qu ils vont rentrer en ville dieu le veuille car je m ennuie bien de ne voir que des maisons vides et des boutiques fermées. Adieu ma bonne amie, si vous écrivez a mon p Duchesne dites lui que l éloignement et la rigueur du climat n ont pas refroidi mon amitié pour lui et que je désire bien qu il en soit de même à mon égard. Je vous embrasse tous de tout mon cœur, n oubliez pas ma tante Aline, M me Chouti (?), Alexandre 17, enfin tous ceux qui vous appartiennent, sans oublier madame Victor mère que je remercie de tous les soins qu elle veut bien prendre de ma filleule 18 que j embrasse aussi de tout cœur. J avais envie de vous adresser cette lettre à Versailles chez mad. votre mère, mais sachant que si vous êtes à Paris en l absence de notre voyageur, mais la difficulté de la faire parvenir à Versailles par l estafette m a engagé à continuer de vous l adresser chez vous a Paris d où on vous la fera peut-être tenir. Je n ai pas de nouvelle du ms Monnerie (?). je pense qu il est toujours a Vilna, car le ministre n en quitte pas il est bien heureux!... Je reçois a l instant votre lettre du 27 ainsi que celle de mad. V ve Tomain (?). Je vais m acquitter de la commission avec tout le zèle que m impose le devoir de lui être agréable. Priez-la de me donner souvent de même occasion et je la servirai toujours avec le plus grand empressement. adieu..je vous conterai tous mes chagrins et vous me consolerai (sic) Le 1 er octobre 1842, Jean est curateur du mineur Émile Vasseux, propriétaire de la maison sise à Paris rue des Petits champs, n 15. Les derniers instants de Jean nous sont décrits dans une lettre que son frère Guillaume adresse à son fils Henri: Mes bons amis Je dois ajouter des détails aux nouvelles que M. Cremière a bien voulu vous communiquer hier 1 er mars Il s agit d un vaudeville écrit en 1812 et qui met en scène un bûcheron russe recevant à dîner le tsar dans son isba sans avoir été prévenu t c f pourrait designer un membre de la franc-maçonnerie signifiant très cher frère, autre indice les trois points en triangle qui suivent les abréviations tcf Alexandre Duchesne, âgé de 5 ans Il s agit peut-être de Rose-Cécile. 11

12 Au pré de mon arbre Je l'ai prié de vous rassurer en vous annonçant que mon frère s est confessé et a reçu l'absolution, par le ministère de M. l'abbé Faudet, curé de St Roch, et ce matin 2 mars à 9 heures il a reçu l'extrême onction en pleine connaissance. Voici comme la Providence a conduit les choses : nos propositions étaient restées sans effets : Caroline alla prier notre 1 er vicaire, l'abbé Michel, de venir voir mon frère (c'est une ancienne connaissance). Il vint et causa seul avec le malade, puis dit, en s'en allant, je vais aller prier M. le curé de Saint-Roch de venir le voir, car je crois que lui seul obtiendra ce que vous désirez : M. le Curé, que mon frère ou moi connaissions avant même qu'il fut dans les ordres, arriva tout aussitôt voir son ancienne connaissance apprenant qu'elle est malade. Sa visite a été bien accueillie et suivie de 5 ou 6 autres très rapprochées les unes des autres, pendant le cours desquelles la confession a été faite, et l'absolution donnée. Quant à la vie temporelle, on nous disait chaque jour que toutes les ressources étaient épuisées et il n'y avait plus que le combat de la nature qui résisterait plus ou moins longtemps selon qu'il se trouverait des forces vitales. La fièvre arriva brusquement par un violent accès, qui fit redouter un second accès qui probablement couperait court à la vie. La quinine, à forte dose, changea l'accès violent en une petite fièvre continue; un affreux hoquet nous désolait, il cessa par intervalles mais ne disparut point. La paralysie s'empara d'une moitié de la face, mais ses idées parfois étaient très lucides. Nous avons passé dans cette douloureuse situation tous les jours de la semaine jusqu'à aujourd'hui vendredi. Toutes les facultés baissent à la fois, ce qui fait aussi affaiblir cette horrible hoquet. Enfin, car je ne peux entrer dans plus de détails, notre seule consolation est de l'avoir vu administré avec calme avec tout son adhésion et s'y prêtant de tout son bon vouloir. Dieu a daigné exaucer tant de prières faites de toutes parts par des serviteurs et des servantes qui lui sont chers. La S te Vierge a dénié nous donner une preuve de plus de sa puissante protection. Pour moi, je l'avoue, je l'ai priée depuis longtemps, et, pour lui rendre grâce, je ne trouve sur mes lèvres que cette parole qui s'échappe du fond de mon cœur: Sainte Vierge je vous remercie. Je cherche en vain à formuler une prière. Toujours je m'écrie Sainte Vierge ma mère et ma patronne, je vous remercie. C'est assez car Dieu lit au fond de mon cœur et sait combien je suis reconnaissant. Je le suis aussi extrêmement envers les personnes qui ont bien voulu se joindre à nous. Ne manque pas, cher enfant, de les remercier de ma part. Je ne te dis rien, car Dieu mettra sur tes lèvres les paroles qui conviendront. Marie, ma chère fille, tu as contribué à obtenir la Grâce que nous demandions avec tant d'instances parce que nous y attachions un grand prix. Tu recevra la récompense de la charité. Soit bien persuadée que nous reconnaissons de ton bon concours. Demandons maintenant la bonne Mort, car elle n'est pas éloignée et elle est souvent entourée d'un certain effroi qui peut renverser tout le bien obtenu 12

13 Jean Duchesne jusqu'à ce jour. Prions donc pour que l'ennemi soit vaincu, et que nous obtenions pour l'âme qui nous est chère la remise d'une grande partie, de la satisfaction qu'exige la Justice de Dieu. Adieu chers enfants, je vous embrasse et vous aime de tout mon cœur. Votre père G. Duchesne Paris 2 mars 1855 Il s'éteint deux jours après... Se pose alors la question de sa succession au cabinet des estampes; nous découvrirons plus loin la déconvenue de Guillaume. Jean Duchesne a donné de nombreux articles dans le «Magasin encyclopédique», telle la «Notice historique sur la vie et les ouvrages de Jules Hardouin Mansart» 19, Il a écrit plusieurs ouvrages : - Notices explicatives du musée Réveil. - Notice des estampes exposées à la bibliothèque du roi. - Description des estampes exposées dans la galerie de la bibliothèque impériale. - Essai sur les Nielles Voyage d'un icônophile ; Revue des principaux cabinets d'estampes, bibliothèques et musées d'allemagne, de Hollande et d'angleterre. Quant à la petite «Ariane» de cire qu il tenait de son aïeul 21, elle fut achetée par le sculpteur Jacques Édouard Gatteaux à la vente de 1855 qui suivit le décès de Jean ; cruellement 19 -Lue le 12 messidor à l'athénée des arts de Paris (août 1805). In-8, en août Le livre de Jean Duchesne «Essai sur les nielles...»., supérieur à 10 Mo est disponible sur internet 21 - Attribution traditionnelle à Nicolas Poussin ( ) ami intime de Chantelou, attestée depuis 1855, mais difficile à so u- tenir, l'œuvre étant plutôt en relation avec la copie en marbre de la Cléopâtre de Primatice réalisée en par Corneille Van Clève, ainsi qu'avec les petits bronzes qui en découlent d'après la statue antique d'ariane, considérée comme figurant Cléopâtre au 17 e siècle conservée au Vatican. Provient de la collection Paul Fréart de Chantelou ; a été donnée à Antoine Duchesne, prévôt des marchands des Bâtiments du Roi, par Roland, le neveu de Chantelou. 13

14 Au pré de mon arbre endommagée par l incendie 22 lors de la Commune, elle est entrée du Louvre avec le legs de M. Gatteaux. Cabinet des Estampes Généralement, on considère que le Cabinet des Estampes est Certes, en 1648, Jacques Dupuy, garde de la Bibliothèque royale, a fait étendre expressément aux estampes l obligation de dépôt instituée en 1537 pour les livres, mais la récolte légale n est sous Colbert que de quelques centaines d unités. Le ministre a conçu pour la Bibliothèque royale de vastes projets, et considère qu une belle collection d images en augmenterait le prestige. Il acquiert celle qu a constituée Michel de Marolles, abbé de Villeloin, collection 23 qui se monte à cent-vingt mille pièces. À partir de 1672 s effectue le dépôt des estampes de privilège 24. Le Cabinet accède au rang de département de la Bibliothèque en Ses collections s accroissent très vite 25. Au XIX e siècle, les accroissements continuent à un rythme soutenu 26. À partir de 1851, les photo Fut endommagée en mai 1871 lors de l'incendie de la Cour des Comptes ; elle se trouvait dans l'atelier de Gatteaux ( ), atelier situé rue de Lille Marolles va classer sa collection pour le compte du roi dans de superbes volumes reliés en maroquin du Levant de teinte incarnat, bordés d une large dentelle d or et frappés sur les plats des armes royales gravées par Thomassin père Le «privilège» est un acte de l autorité donnant permi s- sion d imprimer, constatant le droit de l auteur et de l éditeur de l ouvrage et le protégeant de la contrefaçon Englobant la considérable collection de portraits de Nic o- las Clément, un garde du Cabinet (1712), puis celle de Roger de Gaignières, employé de la maison de Guise (1716), la collection de estampes de maîtres du marquis de Béringhen (1731), la co l- lection de topographie et de portraits du fermier général Lallemant de Betz (1753), la collection d histoire de Pierre Fevret de Fontette (1773). Les confiscations révolutionnaires font entrer les collections chinoises du ministre Bertin et les fonds provenant de diverses co n- grégations, notamment celui de l abbaye de Saint -Victor grossi de la collection du conseiller de Tralage, les estampes réunies par les J é- suites de Cologne, les collections personnelles du roi, de la reine, de Monsieur, de Madame Victoire et de nombreux émigrés En est ainsi acquise l exceptionnelle collection d estampes historiques de Michel Hennin, réunie en Italie et en A l- 14

15 Jean Duchesne graphes commencent à faire spontanément le dépôt de leur production 27, se plaçant dans la logique de la continuité. Classement Le cadre de classement, déjà en germe dans la collection de Michel de Marolles, qui avait regroupé d'une part les œuvres d'artistes dans des volumes par auteurs ou familles d'auteurs, d'autre part les doubles ou les anonymes dans des volumes thématiques, est instauré par Hugues- Adrien Joly vers 1750 sur le modèle du classement Heinecken, du Cabinet des estampes de Dresde. Au début du XIX e siècle, Jean Duchesne refond le cadre de classement du Cabinet. Ce classement prend son aspect actuel toujours sous la direction de Jean Duchesne durant la première moitié du XIX e siècle. Duchesne affecte une lettre capitale à chaque série 28 suivie d'une minuscule désignant la sous-série. Les séries du cadre de classement sont originellement au nombre de vingt-cinq, cinq regroupant les œuvres d'artistes, vingt étant consacrées aux sujets. Les cotes sont majoritairement structurées selon les lettrages du cadre de classement. Répertoire En fait, il a existé au début du XVIII e siècle un répertoire du Cabinet, sous la forme de ce qui deviendra notre Inventaire du fonds français, mais conçu encore plus largement, c'est l'ensemble des notes de Pierre-Jean Mariette, entrées aux Estampes au XIX e siècle. Mariette les tient de son père, et les a augmentées ; elles se présentent comme une liste de gravures d'après les peintres, et d'estampes d'artistes classée par école et par ordre chronologique. lemagne où il a suivi le prince Eugène de Beauharnais dont il était l homme de confiance La loi ne prend la photographie en considération qu en En 1906 entre la collection de pièces histor iques du baron de Vinck. En 1923, le don Moreau-Nélaton complète les œuvres des peintres-graveurs du XIXe siècle. En 1943, le département reçoit une donation d Atherton Curtis. Dons, acquisitions et dépôt légal cont i- nuent à en faire la plus grande collecti on d images du monde, richissime pour les siècles passés mais aussi musée vivant de l art co n- temporain. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, le département s est installé dans les locaux de l hôtel Tubeuf Ainsi, la série des portraits, jusqu'al ors désignée par la lettre L, reçut pour nouvel indicatif la lettre N. 15

16 Au pré de mon arbre Mais, après l'entrée de milliers de pièces confisquées dans les maisons religieuses pendant la Révolution, et avec l'extension de l'estampe trouvée dans notre domaine par l'ouverture de nouveaux registres pour inscrire le dépôt légal, les travaux précédents deviennent très anachroniques. Ils ne devaient pas, cependant, être remplacés avant la fin du règne de Louis-Philippe, car, sous l'autorité nominale de plusieurs conservateurs, l'âme du Cabinet des estampes, Jean Duchesne, était, avant tout, occupé des classements ; il n'eut le temps qu'assez tard de penser à un catalogue général, et encore lui reprocha-t-on vivement cette initiative, à en croire son ami Bonnardot. 16

17 Alexandre Duchesne ( ) Ce siècle avait deux ans lorsque advient à Paris Alexandre Romain Duchesne, fils de Jean et Denise Delattre, le jeudi 28 janvier Ce 15 décembre 1811 Mon cher papa 1 Je suis bien content d'aller en pension. J'ai eu un bon billet ; il y avait Optime. J'espère avoir plus de bons billets que de mauvais parce que je ferai tout mon possible pour qu'on soit content de moi. Papa m'a donné 20 sous et maman m'a promis des pinceaux. Je voudrais savoir des nouvelles de ton jardin ; il doit être bien joli depuis que je suis parti car je sais que tu y prenais bien soin et puis tu te dépêchais le plus possible pour qu'il soit fini. Si ce n'est pas fini, tu dois bien t'ennuyer car nous ne pouvons plus t'aider, ni moi, ni Édouard 2 mais nous irons avec toi pendant les vacances et j'espère que tu voudras bien encore prendre soin de moi comme tu as fait. Je fais à présent des thèmes. Maman me charge de te faire bien des amitiés et t'embrasse de tout son cœur, ainsi que moi. Adieu mon cher papa. Ton petit-fils Alexandre Élevé dans un milieu d artistes et de littérateurs, dès son enfance il montre un goût particulier pour la peinture. Adulte, il travaille avec son ami Antoine-Alphonse Monfort dans l atelier d Horace Vernet. On voit les deux élèves sur la toile, intitulée «L'Atelier d'horace Vernet» 3 : le maître, dans son milieu habituel d'artistes, de musiciens et d'hommes distingués, tenant d'une main sa palette et son appuie-main, et de l'autre un fleu- 1 - Antoine Nicolas Duchesne. 2 - Son cousin Édouard Legrand, fils ainé de Monique Duchesne. 3 - Toile refusée au Salon de 1821 et présentée en 1822 dans l'exp o- sition organisée par l'artiste dans son atelier. 17

18 Au pré de mon arbre ret, s'amuse à faire des armes avec son élève Ledieu, ex-lieutenant au 85 ème de ligne. Au centre, Duchesne, de profil, s'appuie sur un fusil, et deux boxeurs se chauffent contre le poêle de faïence Montfort devant, et Lehoux, derrière. Nous avons un très beau portrait d'alexandre peint à la manière de Greuze, mais l'auteur en est inconnu. Expédition d'égypte En 1827, Champollion le jeune présente au roi un mémoire sur un projet de voyage littéraire en Égypte. Pour l'exécuter, Champollion attend les ordres du Roi. Fin octobre 1827, à Toulon, tous les préparatifs sont ficelés comme une momie, et l'expédition s apprête à mettre les voiles. Cependant, la situation politique incertaine dans le Moyen-Orient, qui est devenu critique après que la bataille de Navarin 4 ait scellé le destin des Grecs le 20 octobre, recommande l ajournement. Comme le veut la légende, il faut un certain temps pour que le fût du canon refroidisse et que les relations entre l'égypte et la France rentrent dans le rang Surtout lorsque Drovetti 5, en mars 1828, prend un malin plaisir à mettre des bâtons dans les roues, exhortant Jomard et Forbin de faire tout leur possible afin d empêcher Champollion d obtenir les fonds nécessaires à son désir de fouilles curieuses. De Doudeauville 6 parti et de Blacas 7 en perte d influence, seul le succès du Musée plaide en faveur de Champollion et compense ces absences pourtant préjudiciables. Charles X et Léopold II de Toscane tombent d accord sur le principe d une mission conjointe. Dès avril 1828, le consul général de France en Égypte est informé de la nécessité d effectuer les démarches nécessaires auprès de Mé- 4 - Le 20 octobre 1827, dans la rade du port grec de Navarin (a u- jourd'hui Pylos, dans l'ouest du Péloponnèse grec), la flotte turco - égyptienne est attaquée sans préavis et détruite par une escadre anglo - franco-russe sous le commandement de l'amiral de Rigny. 5 - Bernardino Michele Drovetti, piémontais naturalisé français, n a- turaliste, avocat, créateur de la légion piémontaise napoléonienne, colonel proche de Murat lors de l Expédition d'égypte, collectionneur, consul g é- néral de France à Alexandrie, mis en place par Talleyrand en 1902, où il travaille avec Jean-Jacques Rifaud [ ] [sculpteur, médiocre arché o- logue]. Sa collection a donné naissance, en 1824, au musée royal égyptien, l actuel musée de Turin; elle avait auparavant é chappé à la France par la faute d Edme Jomard qui la trouvait trop chère. 6 - Sosthène de La Rochefoucauld, duc de Doudeauville ( ), directeur des beaux-arts du roi Charles X. 7 - Intendant général des Bâtiments de la Couronne 18

19 Alexandre Duchesne hémet Ali, afin de garantir le bon déroulement de cette mission et c est seulement le 26 avril que Charles X accorde à Champollion l autorisation de partir. Le 8 juillet 1828, Champollion obtient un congé de quatorze mois, et, en compagnie d Ippolito Rosellini 8, Saghîr 9 quitte Paris le 16 du même mois. On lui a offert quelques bouteilles de ratafia grenoblois, afin qu il put boire, aux bords du Nil et de la manière la plus efficace, à la santé du gratin dauphinois. Champollion arrive à Toulon le 25 juillet 1828, et le 31 juillet à midi, l'équipe de Champollion, composée des commissions française et italienne, s'embarque sur la corvette Eglé placée sous le commandement de Cosmao- Dumanoir, pacha qui tient à céder sa cabine à son illustre hôte. Cap sur l'égypte, la mission française, en plus de son directeur, a également inclus le dessinateur Nestor l'hôte 10, le peintre Alexandre Duchesne 11 et ses deux élèves Pierre-François Lehoux et François Édouard Bertin 12, l architecte Antoine Bibent rencontré en Italie, et Charles Lenormant 13, inspecteur des Beaux-Arts. 8 - Professeur de langues orientales dont il avait fait connaissance et s'était lié d'amitié, en 1826, à Pise. 9 - Sa belle-sœur, Zoé Berriat, n appréciant pas son qualificatif de cadet, qu elle juge dévalorisant, et ayant appris que le terme arabe saghîr a approximativement la même signification, lui donne ce surnom qu il conservera jusqu à sa mort 10 - Nestor Hippolyte Antoine L Hôte ( ), douanier, dessinateur et peintre, baron d Empire, amant de Pauline Bonaparte. C'est son cousin d Auguste Mariette qui suite au décè s de L Hôte, en rangeant ses papiers, découvrira l'égypte antique etpubliera ses innombrables esquisses et dessins de l'égypte et de ses monuments qui ont fondé les bases de l'égyptologie Élève de Gros, il a obtenu d'être retenu grâce à l'entremise de son père auprès de Jacques-Joseph Champollion qui est alors conservateur du département des Manuscrits modernes à la Bibliothèque royale Aussi élève de Gros. Fils du célèbre fondateur du «Journal des Débats» Neveu de Madame Récamier, Charles Lenormand naît à Paris le 1 er juin 1802, mort à Athènes le 22 novembre 1859, archéologue, orient a- liste et numismate de grande réputation. Il est alors Inspecteur des Beaux - arts. Bibliothécaire à l'arsenal, sera conservateur -adjoint au Cabinet des médailles en 1832, conservateur du département des imprimés en 1837, à la mort de Van Praet, il est docteur ès lettres en 1838, professeur à l'un i- versité de Paris et devient membre de l Académie Royale des Inscriptions et Belles Lettres en Il devient ensuite conservateur du Cabinet des médailles le 8 août 1840 au départ de Letronne pour les Archives. En 1848, il est nommé professeur d histoire et archéologie au Collège de France, le troisième dans cette chaire après Champollion et Letronne. Il est juste de dire que jusqu à sa mort en 1859 il partagea essentiellement son temps entre son cours au Collège de France et l Institut. 19

20 Au pré de mon arbre La mission toscane a sept membres : Ippolito Rosellini, son oncle l architecte et ingénieur Gaetano Rosellini, son beau-frère, le dessinateur et élève de Champollion, Salvatore Cherubini 14 (qui est français ; est membre des deux missions), le dessinateur et peintre Giuseppe Angelelli, le dessinateur et médecin Alessandro Ricci, le naturaliste Giuseppe Raddi 15 et ses préparateurs Gaetano Galastri et Bolano. Ils longent la Sardaigne et voguent vers la côte occidentale de Sicile, qu ils tournent dans la nuit du 3 au 4 août, mais un calme malencontreux les scotchent lamentablement devant l île Maritimo durant 24 heures. Pour tuer le temps de manière intelligente, l égyptologue français apprend aux jeunes dessinateurs à tracer les hiéroglyphes linéaires, afin qu ils recopient fidèlement les inscriptions, lorsqu ils parviendront en Égypte. Charles Lenormand confie à son épouse 16 : La meilleure harmonie continue de régner à bord et parmi les passagers. Champollion est un homme qui ne varie pas d'un moment, toujours de bonne humeur et d'une complaisance inépuisable pour toutes les communications dont j'ai besoin. Je cause plus souvent encore avec Rosellini;... Il est très doux, très complaisant, spirituel et immensément instruit. Bibent est le plastron de la troupe et soutient passablement son rôle. Cherubini est un jeune homme d'une excellente nature, parisien par essence. Le docteur Ricci, qui a déjà passé dix ans en Égypte, est fort intéressant... Je travaille beaucoup. Je lis déjà l'arabe passé passablement... Je prends une leçon de hiéroglyphes par jour. Bibent supporte mal le voyage en mer et il reste allongé, comme mort, passant le plus clair de son temps dans sa chambre, se traînant du pont à la dunette, ou se perchant sur les haubans. Sa santé sera un sujet d inquiétude même sur la terre sacrée des pharaons. Ils jettent l'ancre dans la rade d'agrigente le 6. Les écrits, inédits, d Alexandre, complétant ceux de Champollion, permettent de se replonger dans l ambiance et quelle ambiance! - de ce groupe d aventuriers. (écrite le 6 août 1828 ; cachet de la poste du 13 septembre, a transité par Marseille le 9 septembre) France Monsieur Monsieur Duchesne Rue n ve des petits champs n Fils du musicien italien Luigi Cherubini vivant à Paris dont Beethoven parle avec respect et qui est le maître du contrepoint et de l harmonie. Sa sœur Zenobia a épousé Ippolito Rosellini en Connu pour ses recherches au Brésil ; il les quittera à Alexa n- drie, avec son assistant Galastri, pour aller quelques temps à la chasse aux papillons dans le désert libyque Dans une lettre publiée le 30 ans après. 20

21 Alexandre Duchesne Paris En vue de Girgenti Sicile Mon cher Père, Je veux profiter de notre débarquement d'un jour à Girgenti 17 pour te donner de nos nouvelles. Nous n'y sommes pas encore car le calme nous tient depuis quelques heures en suspens. Mais nous espérons y descendre ce soir ou au moins demain matin. Du reste, face à ça près d'une chaleur un peu forte et d'un soleil contre lequel les voiles ne nous abritent pas toujours, nous sommes récréés, depuis hier, par de forts jolies côtes et l'aspect d'un très beau pays. Voilà 7 jours déjà que nous sommes en mer, le temps nous a favorisé, nous avons été à peine malades et nous nous plaindrons plutôt du calme, je crois, que des orages. Nous menons une vraie vie de flâneurs, dormant la grande moitié du jour sur le pont, que faire? J'ai fait rire M. Ch. par le récit de la petite aventure de M. Rochette. S'il y a parmi nous un certain monsieur qui me paraît fort insipide, c'est l'inspecteur, M. Lenormand ; je le crois porté à faire beaucoup d'embarras mais il serait mal tombé, il déplaît à tous également ; M. Bibent 18 est un drôle de corps, d'un singulier genre mais brave homme tout à fait, et bon rieur, ce qui fait très bien dans une traversée de plusieurs jours. Je ne m'étonne pas que les grecs et les Carthaginois aient eu envie de la Sicile ; à en juger par les rivages, c'est un fort joli site. Une petite excursion dans le pays complètera encore mon voyage d'italie. Il ne manquerait plus que de débarquer, au retour, à Naples où j'ai passé trop rapidement cent fois, puisque je l'ai quitté sans aller voir Pestum 19. Tu as eu l'attention, mon bon père, de m'écrire à Toulon et cela m'a fait bien plaisir. Le directeur de la poste m'a donné l'espérance d'en recevoir là-bas presque tous les mois ; je le voudrais bien, mais il parle d'alexandrie, du Caire ; nous pourrons bien trouver tout à la fois à notre retour de Nubie. Je ne me fais pas volontiers à l'entrepont. Passe pour le roulis mais le manque d'air ou plutôt le mauvais air, c'est une chose à laquelle il est difficile de se faire. Aussi, avons nous pris le parti, depuis surtout que nous avançons au midi, de coucher sur la dunette enveloppés dans nos couvertures. Je dis nous, c'est à dire Lehoux 20, Bertin 21 et moi, car M. Ch., M. Rosalini, M. Lenormand couchent les uns dans la chambre du Capitaine, les autres dans son cabinet de travail où l'on est suffisamment bien. Du reste, il ne faut pas croire que nous nous trouvions mal, la table est fort bonne et la vie de l'état-major n'a rien de dur Agrigente : sur la colline de Girgenti, l'église Santa Maria dei Greci est elle-même construite sur les ruines d'un temple d Athéna et l'église San Biagio sur celles d'un sanctuaire de Déméter Antoine Bibent Poseidonia (nom usuel de Paestum) est une cité grecque située en Campanie. C'est aujourd'hui un important centre archéologique, com p- tant trois temples grecs doriques et un musée Pierre-François Lehoux ( ), élève de Antoine-Jean Baron Gros comme Alexandre Duchesne, fut aussi élève d'horace Vernet. Il fait partie de la première vague des orientalistes français. Il participe à l'expédition de Champollion en Égypte et y séjourne deux ans. En 1837 il entreprend un voyage en Syrie avec Montfort. Il fai t partie des premiers à exposer au Salon des paysages orientaux Albert-Henri Bertin. 21

22 Au pré de mon arbre Je chercherai à retenir un peu d'arabe, quoique les principes me paraissent très difficiles ; en un an, enfin, je pourrais peut-être en attraper quelque chose. Adieu, mon bon père, tant que tu auras le temps de le faire, écris moi, dis-moi toutes sortes de choses ; tu sentiras, mieux encore que je ne le dirais, le plaisir que tu me donneras. Charge toi de mes compliments pour chacun, embrasse ma mère Cécile, son gros singe. Enfin porte toi bien et soit heureux dans tes travaux. Je t'embrasse de tout mon cœur. Bibent me prie de te faire ses compliments. Je le crois très franchement attaché au succès de M. Ch. mais très peu disposé pour M. Rosalini. Je te prie de faire mes compliments affectueux à M me Lemercier. Qu'elle ne s'inquiète pas non plus, car elle est un peu dans les alarmées généralement. Ton fils Alexandre Duchesne 6 août 1828 Ils remettent voile, courant sur Malte, qu ils doublent le 8 août au matin, en passant à une portée de canon des îles Gozzo et Comino, et de Cité-La- Valette, que nous avons parfaitement vue dans ses détails extérieurs. Le 10 août, toute l expédition souhaite joyeusement ses 45 berges au pacha, Cosmao Dumanoir. C'est après avoir reconnu successivement le plateau de la Cyrénaïque et le cap Rasat, et avoir longé de temps à autre la côte blanche et basse de l'afrique, qu ils aperçoivent enfin, le 18 au matin, l'emplacement de Taposiris 22, puis c est une forêt de mâts au travers desquels se montrent les maisons blanches d'alexandrie. C est un peu avant midi qu ils distinguent à la lunette le colonne de Pompée, en granit rouge, dominant Alexandrie de ses trente mètres. Ils ne constatent aucune trace du blocus annoncé par les journaux européens, et mouillent au milieu du Port-Vieux, entourés de vaisseaux français, anglais, égyptiens, turcs et algériens, et les carcasses des bâtiments orientaux échappés aux désastres de Navarin. Ils sont accueillis à Alexandrie, le 18 août 1828, par le chancelier Bernardino Drovetti, qui adresse ses salutations à la mission scientifique. (Août 1828 Alexandrie) Mon cher Père Je suis enfin à terre. J'ai éprouvé quelque plaisir d'abord en y mettant le pied car nous commencions à nous fatiguer un peu de la mer. Ce ne sont pas les tempêtes, ni le froid, qui nous y rendaient la vie dure. Nous avons eu une série de jours magnifiques, trop souvent du calme, ce qui est bien la chose au monde la plus provocante. Mais, à bord, les jours se ressemblent tous, nous étions beaucoup trop de monde et le bâtiment était bien petit. Je croyais avoir à te parler de Girgenti d'où tu as dû recevoir de mes nouvelles et où je me faisais une fête de débarquer. Nous avons attendu 24 heures la permission d'y entrer, et après bien des pourparlers, nous avons passé outre, longeant la côte et découvrant de loin les belles ruines d'un temple dont la magnifique tournure 22 - Taposiris que les Bédouins appellent Abousir, est situé à Bourg El-Arab, à environ 30 km à l'ouest d'alexandrie. 22

23 Alexandre Duchesne excitait encore notre ressentiment contre les misérables qui nous privaient d'une si belle chose ; Les bruits que la petite vérole régnait encore à Marseille, bruit qu'un capitaine génois s'était amusé à faire courir en grossissant beaucoup de mal, nous rendait pour eux plus terrible que les Algériens qui, la veille, étaient entrés dans leur port et y avaient fait de l'eau malgré sa garnison. Il y avait plusieurs jours qu'ils étaient sans eau ; ils étaient mourant de soif, mais ils furent ramassés, à quelque distance de Girgenti, par un brick anglais. Nous avions regardé comme un mauvais pronostic le refus que nous venions d'essuyer d'entrer dans un malheureux petit port de Sicile ; nous craignions de trouver Alexandrie bloqué par nos vaisseaux, mais quelques jours avant notre arrivée le Pacha avait, après bien des peines et des pourparlers avec le Consul, signé une capitulation d'après laquelle Ibrahim retirerait ses troupes de Morée et reviendrait en Égypte. Ainsi, quoiqu'il eut engagé le Consul à écrire à M. Ch. et le prévenir de différer son voyage jusqu'à des temps plus convenables, nous débarquâmes de suite et il nous promit audience pour quelques jours après. Il parait cependant qu'il fut contrarié de notre arrivée, parce que la lettre de M. Drovetti n'étant pas parvenue, il ne voulut pas croire qu'il l'eut écrite. Je te dirai mal le premier effet que m'a produit Alexandrie. Je m'attendais à de vives émotions. J'étais impatient de les éprouver ; elles ont dépassé mon attente. Je ne voyais autour de moi que des poussières ; au milieu de la misère, de la saleté, rien de misérable, rien de petit ; des figures sublimes se promenant avec une majesté naturelle que les actions les plus communes ne leur font jamais perdre. La sévérité de leurs traits n'a rien de féroce, leur démarche est grave mais aisée ; chez les enfants le ventre reste excessivement gros tard, mais ils sont admirablement bâtis, leurs petits bras, leurs jambes sont dessinés avec une élégance, une fermeté que je n'avais vu encore que dans les peintures des maîtres italiens, et c'est effectivement en Italie qu ils ont eu sous les yeux à peu près cette même nature, plus parfaite même encore car, ici, généralement, les traits du visage ne répondent pas au reste. Vraiment, je suis encore à m'extasier comme au premier jour et je ne puis me lasser d'admirer la souplesse de leurs membres, l'élégance de leurs mouvements. Les femmes sont bien faites, elles perdent à quinze ou seize ans tous les agréments de la jeunesse, la gorge, le ventre deviennent d'une laideur inconnue peut-être dans nos pays. Cependant elles conservent toujours une tournure charmante, svelte et dégagée ; dans tous leurs mouvements elles ont une grâce et une facilité unique à porter soit un enfant, soit un vase plein d'eau, et l'équilibre, la légèreté de leur allure n'en souffre aucunement. Cela fait alors une de ces jolies figures que nous voyons si souvent dans des bas-reliefs antiques. Sans cesse entourés de nus et de nus admirables, les anciens ont copié fidèlement, sans chercher à embellir, et ils ne sont pas tombés dans la manière, une comparaison journalière les familiarisait avec des beautés et que nous ne connaissons guère que par eux. Il eut fallut alors pour faire mauvais de prendre de la nature que les exceptions malheureuses car, ici, tout est beau. Nous tombons, nous, sur un beau modèle et nous nous en réjouissons comme d'une trouvaille, et cette figure que nous sommes si contents d'avoir quelques instants sous les yeux, n'a jamais marché sans que ses membres ne fussent enveloppés de vêtements gênants qui leur ont fait contracter des mouvements guindés, défendant contre l'air et le soleil que nos chairs s'attendrissent ; ici une peau ferme et tendue contient leurs muscles durs et vigoureux qu'un libre exercice et la température d'un climat brûlant dégagent de toute graisse superflue. Chez les femmes, même celles qui sont maigres, on ne voit pas de ces bras plat et veules, leurs membres longuets et durs ont toujours une certaine grâce dans l'articulation, parce que, je crois, elles sont nues dans leur enfance et que, plus tard, elles ne se couvrent qu'avec une draperie légère qui leur laisse 23

24 Au pré de mon arbre toujours une liberté entière. En disant que leurs chairs restent dures et soutenues, je ne crois pas me contredire, je parle alors de ce qui se voit et ce qui constitue la tournure d'une figure ; leurs gorges (admirable à l'âge de 9 ou 10 ans) deviennent bientôt des monstruosités, mais la poitrine bien construite demeure toujours bien effacée, les épaules, les reins, les hanches, les jambes ne sont pas sujets à l'influence désastreuse des grossesses. Pour terminer le portrait des femmes de ce pays, je dirai qu'elles cachent adroitement, sous le costume le plus pittoresque du monde, ce qu'elles ont de vilain, et qu'il nous reste à voir ce qui leur fait honneur, c'est leur tournure charmante. J'ai été attrapé cent fois à suivre des yeux les mouvements ondulés et gracieux d'une de ses porteuses d'urne. C'était une vieille femme, en m'en approchant une momie! En général, du reste, elles se couvrent le visage même dans la classe la plus misérable, et c'est une coquetterie à laquelle les vieilles ne manqueront jamais. Les hommes sont bien bâtis, bien campés ; les arabes, qui n'ont pour vêtement qu'une grande pièce de laine, l'ajustent sur eux d'une manière très pittoresque et avec beaucoup d'aisance. Sous ce costume, qu'ils soient debout, assis ou étendus, ils sont grands, ils sont sublimes. 23 Nous avons été hier 24 chez le Pacha. Il nous a reçu d'une manière très gracieuse, nous a dit que nous étions ses bienvenus, que nous serions, dans ses états, tranquilles et protégés. Il nous a confié la mort du Pacha de Patras que ses troupes ont trahi et qui a été martyrisé par les grecs après avoir tué 7 de ses assassins. Quand nous sommes entrés, il était accroupi à la Turc sur son Divan. Il fumait dans une très belle pipe, et il continua, après que nous lui eûmes été présentés. Il nous fit asseoir près de lui et, bientôt après, on nous servit du café sans sucre, en très petite quantité. Il n'a rien de cette grandeur orientale imposante, il n'en a pas même la gravité. Ses traits et ses manières sont plutôt communs ; il gesticule, ce que ne font pas ordinairement les turcs ; il a enfin une certaine jovialité de parvenu. À travers son regard agréable et très fin, perce un caractère impatient et facilement irritable. Des curiosités d'alexandrie, comme antiquités, ne sont pas nombreuses. Elles nous ont plusieurs fois servi de but de promenade. Les ânes, dans ce pays, ont des qualités précieuses ; ils sont aux nôtres ce que sont les étalons arabes à nos chevaux, et comme on s'en sert pour très bon marché, nous faisons de temps en temps des parties d'âne tout à fait raffinées ; nous rentrons en nage pour nous étendre sur nos malheureux lits où des coussins viennent nous pomper la sueur et nous abimer, car nous n'avons pas encore de moustiquaires. Hier, nous avons dîné chez le Consul de Suède ; on nous servit un très beau dîner où je bus avec plaisir de bon vin de Bordeaux et du vin de Chypre, ce qui est une chose délicieuse. Il est une heure, nous venons de dîner. En passant, je viens de voir une négresse qu'un marchand promenait dans le quartier franc pour la vendre ; elle pouvait avoir 8 à 9 ans, ce qui répond chez nous à 17. Elle avait les hanches et la gorge couverte par une mauvaise draperie que chacun soulevait pour voir le dessous. Elle était petite mais très bien faite, d'un noir superbe ; je l'ai marchandée, on me l'a faite 50 piastres fortes ; ce 23 - Lire 24 août Ils rencontreront à plusieurs reprises Méhémet Ali, vice-roi d'égypte, malgré l opposition de Bernardino Drovetti et du consul général de Suède et de Norvège Giovanni Anastasi désireux de conserver l exclusivité des fouilles en Égypte. Alexandre semble dire que la re n- contre est du 23 août alors que Champollion écrit : L instant tant attendu de la première audience avec Méhémet Ali arrive enfin le 24 août. 24

25 Alexandre Duchesne n'est assurément pas cher. Elle avait l'air abruti plutôt que triste ; cependant elle me faisait peine. Un brick français vient d'entrer dans le port. J'espère qu'il m'apporte de tes nouvelles. Il vient de Toulon et amène, dit-on, le fils du ministre de la marine. Il amène ainsi, diton, la nouvelle du départ de notre expédition pour la Morée 25.On n aurait donc pas été prévenus à temps du traité signé par l'amiral de Bigny 26 avec Ibrahim. M. Drovetti n'est pas content de ces bruits, mais attendons, dans quelques heures j'espère nous saurons quelque chose d'exact. Nous jouons ici, depuis quelques jours, une petite comédie fort drôle. Les gens qui sont partis sans aucun titres à l'expédition voudraient bien se créer quelque genre d'utilité. 1 er Inspecteur des beaux-arts, présenté partout avec ce titre voudrait en justifier. Il avait imaginé donc d'établir une espèce d'inspection ou plutôt de Direction des travaux. Effectivement, il ne lui coûtait guère de trouver dans une collection (il manque la suite de la lettre) (14 septembre 1828 ; cachet de la poste du 23 octobre) Monsieur Monsieur Duchesne Rue n ve des petits champs n 12 Paris Mon bon père Peut être auras-tu de nos nouvelles un peu longuement par M. Champollion qui a dû être prévenu plutôt de l'occasion qui s'offrait pour moi. Je dois à la complaisance de M. de S t -Léger, neveu de M. Hyde de Neuville 27, d'être averti juste à temps pour t'écrire deux mots seulement. J'espère du moins qu'ils t'arriveront sûrement et promptement. Nous partons demain pour le Caire. Alexandrie est si beau pour moi, si beau que je suis fâché de quitter si vite ce pays admirable, tout Poussinesque, tout antique. Je ne puis t'en dire mieux quant à l'état de mon imagination, quant à nos santés en général ; elles sont florissantes et je ne crois pas m'être jamais mieux porté. Je voudrais bien en savoir aussi long sur ton compte, sur ma mère, sur Cécile, mais il paraît que nous devons nous attendre à recevoir vos lettres tout d'un tas, après peut-être les avoir bien longtemps attendues. Comme je n'ai pas le temps de te donner aucun détail sur mon séjour ici, je me bornerai à t'apprendre que des nuages ont rembruni l'horizon. M. Rossellini est un faiseur d'embarras, de grimaces. M. Lenormand, plus adroit, n'en est pas moins un homme inutile qui se rend important à charge en voulant s'utiliser, et M. Champollion 25 - L expédition de Morée est le nom donné à l intervention dans le Péloponnèse, lors de la guerre d indépendance grecque. En aoû t 1828, un corps expéditionnaire français débarque à Coron au sud du Pélopo n- nèse. Les soldats stationnent dans la presqu île jusqu à l'évacuation, en octobre, des troupes égyptiennes, puis ils prirent le contrôle des princ i- pales places-fortes encore tenues par les troupes turques. Bien que l essentiel des troupes rentrât en France dès la fin de 1828, la présence française se poursuivit jusqu en Marie Henri Daniel Gauthier, comte de Rigny ( ) est un amiral et homme politique français Jean-Guillaume, baron Hyde de Neuville ( ) est ministre de la Marine en 1828 dans le cabinet Martignac. 25

26 Au pré de mon arbre est d'une faiblesse extrême. On nous fait jouer à la petite guerre, on crée d'abord des officiers de quart pour plaisanter, on s'amuse à singer les dispositions militaires d'un bâtiment puis on finit par créer des inspecteurs de travaux, des sous-directeurs, des bêtises. Nous jouerons bientôt à la petite école... mais les écoliers sont trop vieux, ils ont des moustaches et les pédagogues sont trop jeunes. M. Ch. est un homme excellent, cent fois trop bon, mais trop faible. M. de S t -Léger a la complaisance d'attendre nos lettres pour les mettre dans son paquet sous le cachet du Ministre ; j'espère donc que, par ce moyen, elles arriveront dans peu de jours. Je suis bien contrarié qu'on nous ait laissé ignorer toute la soirée cette circonstance, tu en seras peut-être aussi étonné que moi et cela te prouvera que l'expédition est un peu décousue. Mais on passe sur la sottise de bien des gens quand on est payé, en revanche, par les belles choses que je vois! Si une occasion se présentait d'envoyer un petit paquet à Alexandrie, je voudrais bien que tu m'envoies une boîte d'aquarelle de 15 ou 18 pains et pain bleu deux pains, ocre jaune 2 p., terre d'italie 2p, terre de sienne 2, Pourpre 2p, jaune de Naples 2p, sépia 3p, teinte neutre 2p, noir 2p et 2 beaux et gros pinceaux très gros. Je te crois toujours bien occupé, travaillant toujours à ton petit musée. Je voudrais bien, mon bon père, te voir aussi dans ces pays extraordinaires et jouir avec toi des beautés qui m'y émeuvent à tout moment. Reçois mes embrassements et donne les à ma mère, à Cécile et à sa choute, je te prie. Adieu mon cher père. Ton fils Alexandre Je pense qu'il serait bon de faire l'enveloppe du petit paquet que je te demande au nom de M. Champollion. Il serait plus certain peut être, qu'on mit de la promptitude ici à l'expédier à l'endroit où nous serons alors. Alexandrie 14 sept Munie de toutes les garanties administratives, suivant les conseils de Caillaud, l expédition loue des barques pour se rendre par le canal jusqu à la naissance du Delta, puis par le cours unique du fleuve, jusqu au Caire. Après avoir fixé un règlement, fixant les responsabilités de chacun des membres et les devoirs de tous, pendant cette année à venir, ainsi que la répartition des groupes sur deux barques, un maasch 28 L Isis et une dahabié 29 l Athyr, ils quittent la cité des Lagides 30 le 14 septembre à midi avec deux journées de retard, imputables aux manœuvres des marchands des temples et de Drovetti que Champollion doit menacer d en référer au Roi. Remplissent les fonctions d officier de quart : à bord de l Isis, MM. Ricci, Angelelli, Cherubini, Gaetano Rosellini, L Hôte ; à bord de l Ahyr, (une dahabïe) : MM. Bertin, Duchesne (a le commandement de la dahabié ; est, en plus, chef d armement à bord des deux bâtiments), Lehoux, Raddi. Ils ont avec eux deux domestiques et un cuisinier arabes ; deux autres domestiques barabras ; un homme, Soliman, est exclusivement au service de 28 - Sorte de cange 29 - Un deux mâts, à voile Dynastie des Ptolémées. 26

27 Alexandre Duchesne Champollion : c est un Arabe, de belle mine, et dont le service s avèrera excellent. Ils empruntent donc le canal 31 nommé Mahmoudiéh, et débouchent dans le Nil, le 15 de très-bonne heure. Il faut comprendre les transports de joie des «Arabes d'occident», lorsque, quittant les sables, ils entrent dans un tapis de verdure, couvert d'arbres de toute espèce, au-dessus desquels s'élèvent les centaines de minarets des nombreux villages qui sont dispersés sur cette terre de prédilection. Ils font une courte halte à Fouah, où ils arrivent à midi. À sept heures et demie du soir, ils dépassent Désouk. Le 16, à six heures du matin, le maasch est amarré dans le voisinage de Sa-el-Hagar pour visiter les ruines de Saïs. Fusils sur l'épaule, ils gagnent le village qui est à une demi-heure du fleuve ; nos jeunes artistes chassent en chemin, et firent lever deux chacals, qui s'échappèrent à toutes jambes à travers les coups de fusils. En direction d une grande enceinte aperçue dans la plaine depuis le matin, l'inondation, qui couvrait une partie des terrains, les força de faire quelques détours, et ils passent sur une première nécropole égyptienne, bâtie en briques crues. Sa surface est couverte de débris de poterie, et Champollion y ramasse quelques fragments de figurines funéraires : la grande enceinte n'était abordable que par une porte forcée tout à fait moderne. N'essayons point de rendre l'impression qu ils éprouvèrent après avoir dépassé cette porte, trouvant sous leurs yeux des masses énormes de 80 pieds de hauteur, semblables à des rochers déchirés par la foudre ou par des tremblements de terre. À quelques centaines de toises de l'angle voisin de la fausse porte, existent des collines qui couvrent une troisième nécropole, déjà fouillée, laissant voir un énorme sarcophage en basalte vert. Le lendemain, 17 septembre, ils passent devant Schabour. Le 18, à neuf heures du matin, halte à Nader, où des Almèh leur donnèrent un concert vocal et instrumental, suivi des gambades et des chants grotesques habituels aux baladins. À midi et demi, ils sont devant Tharranéh, où sont amoncelés des monticules de natron, transportés des lacs qui le produisent. Le soir, ils dépassent Mit-Salaméh, triste village assis dans le désert libyque, et, faute de vent, restent une partie de la nuit sur la rive verdoyante du Delta, près du village d'aschmoun. Le 19 au matin, sont en vue des Pyramides, dont on pouvait déjà apprécier les masses, quoique ils fussent à huit lieues de distance. À une heure trois quarts, ils arrivent au sommet du Delta (Bathn-el-Bakarah, le Ventre-de-la- Vache), à l'endroit même où le fleuve se partage en deux branches, celle de 31 - Il suit la direction générale de l'ancien canal d'alexandrie, mais il fait beaucoup moins de détours, et se rend plus directement au Nil, en passant entre le lac Maréotis, à droite, et celui d'edkou, à gauche. 27

28 Au pré de mon arbre Rosette 32 et celle de Damiette. La vue est magnifique, et la largeur du Nil étonnante. À l'ouest, les Pyramides s'élèvent au milieu des palmiers ; une multitude 32 - Rosette est le nom francisé de Rachid. Lors de la campagne d'égypte de Bonaparte, l'ancien Borg Rachid, nouvellement rebaptisé fort Jullien en l honneur de l infortuné aide de camp de Bonaparte, mort quelques temps plus tôt, est dans un tel état de ruines, qu il oblige les militaires français à procéder d urgence à des tr a- vaux destinés à fortifier les positions, sous la conduite d Hautpoul, chef de bataillon du Génie, assisté du lieutenant Bouchard. Pour ce faire, ils démolissent des murs en ruine, construits par les arabes à partir de mat é- riaux divers. Soudain, une pierre de basalte noir, de 762 kilos, d un mèt re environ sur 70 centimètres, attire leur attention. Ils appellent le lieutenant Bouchard, afin de lui montrer leur découverte. Pierre François Xavier Bouchard, qui faisait partie des 167 savants de l expédition après avoir servi à Meudon, sous les ordres de Nicolas Jacques Conté (dont le nom restera attaché à l invention du crayon noir ), trois ans auparavant a été admis à la toute jeune école polytechnique, dont nombre de professeurs et élèves composent les rangs des scientifiques de l expédition. Toujours élève, Bouchard passe son examen de sortie au Caire, - ce qui n est guère fréquent dans l histoire de la prestigieuse école. De Villiers est dans le même cas -, et ne vient d être affecté que depuis un mois au Génie. La chance vient de frapper par deux f ois. En premier lieu, il était nécessaire de démolir ce mur pour fortifier la position. Enfin, la deuxième chance, c est que les terrassiers aient appelé leur officier, au lieu de réut i- liser bêtement la pierre et que cet officier ait réalisé qu ils venaien t de faire une découverte importante. Dès que l on a nettoyée la fameuse pierre, provenant de la réutilisation, en tant que matériau de construction, dans de nombreuses maisons de Rosette, de blocs d un temple situé sur la même branche du Nil, était loin d être un simple vestige du passé : c était une clé pour les temps à venir. Ses dimensions la rendaient déjà rema r- quable. Les inscriptions sont faites en trois groupes de signes, dont l un est manifestement grec, ce que des Français, se trouvant à Rosette, peuvent traduire avec une relative facilité. La traduction n a rien de sensationnel, puisqu il y est question d un hommage rendu à l un des nombreux Ptol é- mée et de l anniversaire de son couronnement. La dernière phrase crée cependant un émoi, dans la commu nauté savante, car elle mentionne que «ce décret sera inscrit sur des stèles de pierre dure, en caractères sacrés, indigènes et grecs». Aurait -on découvert la fameuse clé des hiéroglyphes, dont on désespérait de pouvoir traduire le sens? Par bonheur, la communauté française mesure très rapidement la portée de cette découverte, bien plus que la communauté égyptienne de l époque, laquelle n y voit que des vestiges méprisables d une antique civilisation païenne. C est en ces termes que le monde savant appre nd la nouvelle. Les hiéroglyphes vont livrer leur secret ; ça ne fait plus aucun 28

29 Alexandre Duchesne doute. Dans l esprit de beaucoup, c est une question de mois. En fait, il faudra attendre des dizaines d années. L article annonçant cette déco u- verte, dans le «Courrier d Egypte», journal des armées de l expédition rédigé par Fourier, serait parvenu jusque dans une librairie de Figeac. La Décade égyptienne ne parvient pas à Figeac, et c est bien do m- mage, car ce qui y est imprimé, concernant cette découverte importante, est d une autre teneur. Jean-Joseph Marcel, bien que seulement âgé de 22 ans, fait déjà partie des meilleurs orientalistes et il a rejoint l expédition, venant de «l Imprimerie Nationale», pour fonder «l Imprimerie du Caire». Il s intéresse, en ne se servant que de sa seule connaissance de l arabe, à la stèle noire qu il décrit ainsi : «L inscription hiéroglyphique renferme quatorze lignes, dont les figures, de six lignes de dimension, sont rangées de gauche à droite. La seconde inscription, qui avait été d abord annoncée comme syriaque, puis comme copte, est composée de trente -deux lignes de caractères qui suivent le même sens que l inscription supérieure, et qui sont évidemment des caractères cursifs de l ancienne langue égyptienne. J ai retrouvé des formes identiques sur quelques rouleaux de papyrus» Les savants décident de copier le précieux texte de la stèle de R o- sette. Les dessinateurs renoncent à l impossible projet, devant l ampleur du travail et surtout les risques d erreurs engendrées par la retran scription de signes inconnus. Le 24 janvier 1800, Jean -Joseph Marcel demande à ce qu on lave la stèle, et la fait essuyer, en prenant soin de laisser les creux emplis d eau. La pierre est ensuite recouverte d encre et un papier trempé est appliqué sur sa surface ; on peut lire, dans un miroir, les signes qui ressortent en blanc sur fond noir. Nicolas Conté applique la méthode contraire : la surface lisse et plane de la stèle est recouverte d un mélange ne retenant pas l encre, l a- quelle ne se loge que dans les creux des inscriptions. Les caractères app a- raissent en noir sur fond blanc, ce qui rend la lecture dans le miroir plus aisée. Les deux types de copies rejoignent l Institut au début des beaux jours de l année Enfin, on procède à un moulage, lequ el sera bien utile à la «Description de l Egypte». La pierre ne livra pas aussi rapidement qu on aurait pu le penser son secret pour la partie grecque : elle reprenait le texte d un décret que les prêtres égyptiens avaient rendu en 196 (et non 157) avant notre ère, en l honneur de Ptolémée Epiphane (et non Philopator ou encore Philometor) et de son épouse Cléopâtre (la première et non la plus connue laquelle fut l ultime et septième du nom). On essaye, à de multiples reprises, de faire embarquer la «pierre de Rosette», à destination de la France, mais les Anglais veillent et emp ê- chent tout départ d un quelconque trésor et en particulier celui -là ; la campagne militaire de l armée du général Bonaparte, oubliée par la France, progressivement sans munition, minée par les maladies, confinée 29

30 Au pré de mon arbre de barques et de bâtiments se croisent dans tous les sens ; à l'est, le village trèspittoresque de Schoraféh ; dans la direction d'héliopolis : le fond du tableau est occupé par le mont Mokattam, que couronne la citadelle du Caire, et dont la base est cachée par la forêt de minarets de cette grande capitale. À trois heures, le Caire apparaît plus distinctement : c'est là que les matelots vinrent demander le bakchich de bonne arrivée. L'orateur était accompagné de deux camarades habillés d'une façon très-bizarre : des bonnets en pain de sucre, bariolés de couleurs tranchantes ; des barbes et d'énormes moustaches d'étoupe blanche ; des langes étroits, serrant et dessinant toutes les parties de leur corps ; et chacun d'eux s'était ajusté d'énormes accessoires en linge blanc fortement tordu. Ce costume, ces insignes et leurs postures grotesques, figuraient au mieux les vieux faunes peints sur les vases grecs d'ancien style. Quelques minutes après, le maasch talonne un banc de sable, et fut stoppé net ; les matelots se jettent à l eau pour le dégager, en se servant du nom d'allah, et bien plus efficacement de leurs larges et robustes épaules. Une bonne demi-heure suffit pour se dégager de l inconfortable posture. À Embabéh, ils saluent le champ de bataille des Pyramides, et abordent au port de Boulaq, à cinq heures pétantes. Ils prennent possession de leur logement dans le faubourg portuaire, et veulent se présenter au consul français du Caire, monsieur Derché, mais celui-ci est malade. La journée du 20 se passe en préparatifs de départ pour le Caire, et plusieurs convois d'ânes et de chameaux transportent en ville les lits, malles et effets, pour meubler la maison que Champollion avait retenu d'avance. À 5 heures du soir, enfourchant des ânes, la caravane se met en route pour le Caire. Le janissaire du consulat ouvre la marche, le drogman est avec Champollion, et toute la jeunesse parade à sa suite. dans le delta par les Anglais et les Turcs, s achève par un traité de paix conclu par Kléber et Desaix, au terme du désastre d El Arich. Les savants menacent de brûler eux -mêmes leurs richesses. «C est à de la célébrité que vous visez, menace Geoffroy Saint-Hilaire. Eh bien! comptez sur les souvenirs de l histoire : vous aurez aussi brûlé une bibli o- thèque à Alexandrie!». Hamilton ne souhaite pas laisser dans les m é- moires l image d un nouvel Omar et plaide la cause des Français, qu il a sentis capables du pire, préférant leur laisser le fruit de leurs recherches, au bénéfice de l humanité. Hutchinson propose un nouveau marché : les Français doivent se résigner à céder une partie de leurs découvertes a r- chéologiques, tandis que les Anglais concèdent aux savants le droit d emmener leurs collections, plans et dessins, moulages et copies. La pierre de Rosette, avec les bijoux et antiquités, fera partie du butin anglais et le «British Museum» pourra exposer une stèle sombre, avec la mention «captured in Egypt by the British Army in 1801». Fort heureusement, les Anglais ont consenti à laisser aux savants leur butin de papier et, à travers l ouvrage monumental publié pour la premiè re fois entre 1809 et 1828, le monde entier bénéficiera de ce savoir, à l origine de l égyptologie. 30

31 Alexandre Duchesne Ce jour-là et le lendemain sont ceux de la fête que les musulmans célèbrent pour la naissance du Prophète, le Mouled el-nabi 33. La grande et importante place d'ezbékiéh, dont l'inondation occupe le milieu, est couverte de monde entourant les baladins, les danseuses, les chanteuses, et de très-belles tentes sous lesquelles on pratique des actes de dévotion. Ici, des musulmans assis lisent en cadence des chapitres du Coran ; là, trois cents dévots, rangés en lignes parallèles, assis, mouvant incessamment le haut de leur corps en avant et en arrière comme des poupées à charnière, chantent en chœur, Là Ilâh ill Allâh (Il n'y a point d'autre dieu que Dieu) ; plus loin, cinq cents énergumènes, debout, rangés circulairement et se serrant les coudes, sautent en cadence, et poussent, du fond de leur poitrine épuisée, le nom d'allah, mille fois répété, mais d'un ton sourd, caverneux ; cet effroyable bourdonnement, tel des vuzuzelas, semble sortir des profondeurs du Tartare. À côté de ces religieuses démonstrations, circulent les musiciens et les filles de joie ; des jeux de bague, des escarpolettes de tout genre sont en pleine activité : ce mélange de jeux profanes et de pratiques religieuses, joint à l'étrangeté des figures et à l'extrême variété des costumes, forme un spectacle infiniment curieux. Écrite le 1 er 8 bre, partie le 8 Mon bon père Nous avons déjà fait quelque pas dans la véritable Égypte. Nous avons voyagé sur le Nil et, dans peu, nous serons au point le plus éloigné de notre expédition et nous quittons le Caire sans une lettre de France, pas un mot de cette France où tous nous avons laissé tant de choses si chères, tant de douces habitudes. Je ne te ferai certainement pas une description lamentable du genre de vie que nous menons ici ; la seule privation que j y éprouve, c'est de n'y recevoir aucune nouvelle de toi, de ma mère, de mes sœurs. Plus on est loin, plus on est aimant, plus on entoure par la pensée ceux que l'on a quittés. Nous croyons tous que de faux bruits vous ont fait supposer notre retour et que dans cette idée vous vous êtes abstenus d'écrire. Mais nous avons le vent tout favorable, aucune contrariété ne parait plus possible maintenant puisque dans deux jours nous quittons le Caire. Le Kaire! Cette merveille dont mes yeux sont éblouis, dont mon imagination est encore étourdie ; que t'en dirais-je qui puisse t'en donner une idée. Le premier cri d'admiration expire sur le levier pour faire place à un mouvement plus juste, plus digne de ce tableau sublime. C'est le silence de l'extase, car les mots ordinaires ne suffisent pas pour une si belle chose : le souvenir du grec et du gothique, dont assurément je suis très partisan, ne m'avait pas préparé à l'impression indicible qu'a produite en moi la vue développée des monuments arabes. Bien des choses, il est vrai, concourent à en augmenter le charme et parle en leur faveur ; la position du Kaire doit être unique : à ses portes commence d'un côté le désert, de l'autre la plus belle végétation, et le désert si effrayant seulement par la pensée, le désert dont la vue inspire la soif, est admirable pour la peinture. Ses sables brûlants d'où s'exhale une vapeur, précieuse encore pour la couleur, remués tous les jours, offrent sans cesse des 33 - Célébrée le 12 Rabi al Awal de chaque année, c est une grande fête populaire qui anime de gaieté, de lumières et de chants tout le qua r- tier de la mosquée d el Hussein qui abrite le tombeau du petit fils du pr o- phète au Caire. 31

32 Au pré de mon arbre mouvements de terrains les plus heureux : ils cessent où commence la verdure, la vie, et c'est cette opposition inconcevable qui au premier aspect me rendit muet d'étonnement et d'admiration. C'est ce contraste d'une sévérité profonde avec la plus riante parure qui produit le plus beau panorama du monde, j'en suis persuadé. Je te parle d'architecture et de paysage tout ensemble, que veux-tu une chose m'en rappelle une autre et dans la confusion de tant de souvenirs encore trop près, il m'est impossible d'essayer même à faire mieux. C'est une merveille dont je voudrais te faire jouir avec moi, mais dont je suis vraiment étourdi. Un goût recherché sans manière, un luxe sans mesquinerie, une variété infinie dans les proportions de leurs mosquées, dans la décoration de leurs minarets si jolis ; Ces lignes heureuses dont nous prive le froid et l'humidité de nos pays où les terrasses sont inconnues, voilà ce qu'on trouve au Kaire, à chaque pas. En dehors, un ciel toujours pur, un paysage qui varie sur tous ses points d'une manière aussi délicieuse qu'inattendue, des ruines, des tombeaux grands comme nos églises, et partout des pyramides. Place ça et là quelques figures à l'orientale de ces arabes si grands, si fiers dans leur démarche, ou si brillants dans leurs costumes, et conçois ce silence qui convient si bien à l'immensité de ce tableau auquel ont travaillé depuis des milliers d'années, la nature, le génie de l'homme dans les temps de l'antique Égypte, et plus tard sa barbarie. Car les ruines ont aussi leur beauté, et la destruction qui a frappé des choses dignes de l'éternité a, bien des fois, corrigé de monstrueux monuments en prêtant à leurs décombres ce prestige inexplicable, ce désordre plus heureux cent fois que la symétrie et le mauvais goût. Je m'étais arrangé pour emporter quelqu'argent. J'avais une lettre de change à Toulon que je trouvai quelque difficulté à escompter. Je l'aurais pu cependant et je l'aurais fait si M. Champollion ne m'avait pas engagé positivement à ne pas m'en servir, me permettant toutes sortes de facilité à cet égard ici. Je renvoyai la lettre de change à la source d'où elle me venait (tu dois la supposer). Aujourd'hui, M. Champollion craint de manquer d'argent ; je n'ai pas voulu insister sur la demande que je lui avais faite d'un millier de francs, que, du reste, il m'a refusé comme quelqu'un très contrarié de le faire, de manière enfin à ce que je ne puisse lui en vouloir. Et je me serais trouvé dans un véritable embarras si M. Lenormand ne m'avait offert six cents francs que j'ai dépensé à m'habiller pour le voyage. Au fait, nous avons été payés jusqu'à présent pour compter sur nous-mêmes désormais, et fort peu sur les autres. Nous sommes 14 qui n'en valons pas 4. Cependant, mon bon père, je voudrais que cet argent soit payé à M. Lenormand avant mon retour ; tu sais qu'il sera en France avant moi. Il a mis beaucoup d obligeance dans cette affaire ; Je voudrais aussi m'assurer de l'argent pour la fin du voyage. Je regarde comme très important pour moi de rapporter des costumes de ce pays. Je voudrais enfin avoir 2000 fr. Je crois qu'auguste Sergent peut me les procurer. Et les mille écus que je dois toucher à la fin de cette expédition peuvent servir peut-être d'hypothèque. Je ne dépenserai pas 2000 F probablement mais je rendrai un grand service à Bertin qui, comme moi, crie famine. Je ne me plains pas de M. Ch., il est trop bon pour cela, mais il nous met dans l'embarras d'une drôle de manière. C'est par sa faute que je me trouve sans argent, et depuis que nous sommes au Kaire, il nous sollicite par tous les moyens de prendre l'habit mamelouks, nous faisant observer que nous n'entrerons pas dans les mosquées, que nous empêcherons les autres d'y pénétrer, que nous serons importunés dans nos travaux par une foule de curieux. Ce costume coûte 500 fr. Des cancans : je ne puis concevoir l'idée de M. Champollion de s'associer un polisson comme Rossellini. 32

33 Alexandre Duchesne Ils restent au Caire jusqu'au 30 septembre, et, le soir même, couchent dans leurs embarcations afin de mettre à la voile le lendemain de bonne heure pour gagner l'ancien emplacement de Memphis. Le 1 er octobre, ils passent la nuit devant le village de Massarah, sur la rive orientale du Nil, et le lendemain, dès six heures du matin, se dirigent vers les carrières de calcaire qui ont servi à construire Memphis, sise sur la rive opposée. La journée fut excessivement pénible à visiter presque une à une toutes les cavernes dont le penchant de la montagne de Thorrah est criblé. Ils recueillent quelque butin, et font voile vers Bédréchéin, village situé à peu de distance, sur le bord occidental du Nil. Le lendemain, de bonne heure, ils partent pour Memphis ; passé le village de Bédréchéin, qui est à un quart d'heure dans les terres, ils foulent le sol antique d'une grande cité, aux blocs de granit dispersés dans la plaine, et à ceux qui déchirent le terrain et se font encore jour à travers les sables, qui ne tarderont pas à les recouvrir pour jamais. Entre ce village et celui de Mit-Rahinéh, s'élèvent deux longues collines parallèles, qui paraissent être les éboulements d'une enceinte immense, construite en briques crues comme celle de Saïs, et renfermant jadis les principaux édifices sacrés de Memphis. C'est dans l'intérieur de cette enceinte qu ils aperçoivent le grand colosse exhumé en 1820 par Caviglia 34. Le 4 octobre, ils campent sous la tente, à Sakkara, en vue de visiter la plaine des momies, ancien cimetière de Memphis ; sept ou huit Bédouins, choisis d'avance, font la garde de nuit. Le 7 octobre l expédition se met en route, par voie terrestre, depuis les pyramides de Saqqara, semblables à trois hautes montagnes rocheuses, vers celles de Gizèh. Sept chameaux et vingt ânes transportent hommes et bagages à travers le désert ; ils arrivent au pied des pyramides de Gizèh, le 8 octobre 1828, Sauf un peu de fatigue de la journée d'hier, nous nous portons fort bien, dira Champollion C est un autre son de cloche d Alexandre : (le 9 novembre ) Nous venons de faire visite aux Pyramides. Je t'ai écrit du pied même de ces gigantesques monuments. La première impression que j'y éprouvais, je n'ai guère l'envie de corriger le premier mouvement qu'ils m'ont inspiré malgré les discussions auxquelles ont donné lieu la diversité de quelques opinions parmi nous : Ce ne sont pas des hommes de génie qui ont employé de si énormes frais de temps et de peine à l'édification de monuments dont l'aspect fait si peu de plaisir à l'imagination. Ce ne sont pas des hommes de goût qui ont eu l'idée d'entasser pierre sur pierre pour créer, après tout, de chétives montagnes qui par leur régularité, leur symétrie sans ornements et sans belles proportions, n'ont rien de pittoresque. Je ne veux pas dire qu'ils aient été des enfants, ils ont peut-être imaginé et achevé ce qui pouvait le mieux résister au temps car les pyramides, les plus anciens monuments du monde, survivent encore aux plus 34 - Ce même Caviglia qui avait découvert le sphinx de Gizeh en Cette date ne concorde pas avec la relation qu en a faite Cha m- pollion ; il doit plutôt s agir du 9 octobre. 33

34 Au pré de mon arbre modernes créations, sans doute. Mais je me débats contre les entichés de l'égypte qui me soutiennent que ce sont des monuments pittoresques par leur immensité, par leur masse. Je ne les ai pas admirées, voilà un fait, elle ne m'ont pas fait plaisir et je rêve encore au temple de Vesta à Tivoli 36 et à la colonne de Santa Maria Maggiore 37. M. Champollion, qui est l'homme du monde le plus pusillanime et le moins fait pour une expédition, avait dormi, sans y faire attention, la tête plus basse que les pieds, il se réveilla le jour où il devait monter au sommet avec un léger mal de tête mais comme il se tâte et s'observe beaucoup, il en était très affecté ; nous y montâmes, nous, en vrais écoliers, nous avions choisi le moment du coucher de soleil et nous eûmes à contempler un ciel d'une couleur admirable ; quant au panorama du pays il est très insignifiant, mais nous avions monté aux pyramides! Le lendemain nous nous détachâmes de la caravane M. Lenormand et moi pour aller au Caire faire quelques acquisitions tandis que ces messieurs retourneraient à Zacchem (?) et, de là, à Bedreshin 38. Nous eûmes pendant ce petit voyage toutes les aventures. Un méchant bateau nous portait que nous devions quitter au pont qui coupe en deux le canal. Là, une grande barque nous devait prendre à son tour et nous conduire jusqu à Gizeh mais nous arrivâmes au canal à la nuit, la barque venait de partir et refusa de revenir sur nous parce qu'elle était déjà trop chargée. Il nous faut donc mettre là nos malles et nos paquets, faire sentinelle auprès et camper sur un terrain très humide à cause de l'inondation ; il était huit heures du soir et nous avions déjeuné heureusement ; passe un pauvre arabe avec sa bourrique qui avait eu sa bonne dose de travail pendant le jour. Nous l'arrêtons et nous voulons qu'il charge nos effets et nous conduisent à Gizeh où nous attendait notre barque. Il croit nous écorcher en nous demandant quatre piastres, et nous voilà en route ayant à faire près de deux lieux sur des chaussées glissantes, interrompues à chaque pas par l'inondation. À chaque minute aussi notre pauvre baudet entrait dans l'eau et menaçait de submerger nos malles. J'avais mis mon burnous en turban afin de nager plus facilement s'il fallait en venir là, mais nous en fûmes quittes pour une jambe dans l'eau, nous arrivâmes à Gizeh qui est au diable et qui a donné son nom aux Pyramides, je ne sais trop pourquoi. Il était 9h30. La faim devenait grande, il fallait encore traverser le Nil en descendant : nous fîmes ce passage en une heure. Nous étions enfin rendu mais il n'y a pas là d'auberge ni de gargotes surtout à de telles heures. La faim est ingénieuse, le Raïs de notre maâsch avait dû revenir à Bonlakc pendant notre absence pour la circoncision de son fils. Nous imaginâmes de l'aller réveiller : la douane faisait des difficultés et nous donnâmes quelques piastres aux officiers ; on nous prêta un fanal et nous vînmes à 11h frapper à la maison du Raïs qui crut que le feu avait pris à son bâtiment. Sitôt qu'il sut en quel état nous arrivions, il mit en mouvement tous ses gens ; on nous fit un souper que nous attendîmes encore quelque temps, étendus mollement sur un fort beau divan. Nous mangeâmes là, tout à fait à la turque et, en vérité, de fort bonnes choses qui nous étaient offertes avec une cordialité charmante. Nous dormîmes 36 - Le «Temple de Vesta», à Tivoli, est circulaire ; il date du d é- but du 1er siècle avant notre ère. Ses ruines donnent sur les chutes de l Aniene dans un étroit ravin pittoresque. 37 -La basilique Sainte-Marie-Majeure de Rome est l'une des quatre basiliques majeures ; colonne provenant de la basilique de Maxence su r- montée d'une Vierge à l'enfant (Berthelot, 1611) Au nord du Caire sur Google earth ; près de Memphis (sud -est du Caire) sur les documents anciens 34

35 Alexandre Duchesne dans le satin et, le lendemain après déjeuner, nous assistâmes à la cérémonie de la circoncision qui a lieu au bruit d'une musique infernale. M. Ch. est un drôle de corps. Il m'a privé des ressources que je m'étais ménagées, en me donnant toute sécurité pour l'avenir, et aujourd'hui il me laisse dans un embarras insupportable. Entre nous ce voyage eut pu être délicieux mais il nous l'a rendu bien souvent désagréable. Il a déjà un portefeuille considérable, il compte avec avidité tous ses dessins, il jouit en les admirant et pourtant il boude, il est maussade si l'un de nous se dérobe au travail à l'heure du soleil couchant : il faudrait pourtant être raisonnable et songer que, dans ce pays, quant on a travaillé 15 jours de suite depuis 7h du matin jusqu'à 6h du soir, sur des échelles ou seulement tout debout, le corps peut éprouver quelques fatigues. Il est de fait que, jusqu'à ce jour, dans tous les endroits où nous eussions pu prendre quelque souvenir, nous nous sommes trouvés le soir trop fatigués déjà d'un travail pour faire autre chose que nous étendre sur notre lit. Que rapporterons nous de ce voyage si nous n'avons pour nous que le temps de la traversée et celui où la barque nous fait passer rapidement devant des rives insignifiantes. Ce temps là même nous ne l'avons pas car il faut recopier les dessins des toscans, et l'on ne va jamais assez vite. On emporte du papier végétal et l'on ne fait pas faire un calque pour les objets les plus (il manque que la suite de la lettre) Ils restent campés trois jours mais pour l'examen et le dépouillement des grottes sépulcrales creusées dans le voisinage et quittent les pyramides le 11 octobre, pour revenir sur leurs pas et gagner leur ancien campement de Zaccara. (il manque le début de la lettre) Le plus sot, le plus insolent personnage que j'ai rencontré. D'une mauvaise foi insigne mais d'une insolence surtout que je ne puis voir supporter. Quel intérêt avait-il à s'associer un être désagréable qui ne dit pas un mot, qui ne soit à l'instant redressé, qui entend le maniement de l'argent à sa manière et finira par lui couper l'herbe sous le pied s'il ne s'en méfie continuellement. Depuis quelques jours, habitant chacune sa maison, les deux commissions font bande à part et tout va parfaitement. Lenormand s'est amendé, et aujourd'hui très agréable, et je crois qu'il est enchanté d'avoir établi entre nous et lui plus de liberté. On fait chœur contre Rossellini de tous bords. Mon cher père, je te prie de ne pas m'abandonner dans une détresse dont je gémis cruellement ; je serais désolé de n'avoir pas les moyens d'acheter ici tout ce qui m'y fait envie et que je regarde comme chose très utile, très avantageuse si je puis en faire l'acquisition. J'ai écrit de Toulon a L.C. ; d'alexandrie aussi. J'avais reçu d'elle à Toulon une très bonne lettre. J'ai déjà fait pour M. Ch. plusieurs dessins dont il a paru content. Sers un peu mon enfantillage, et veuille bien voir dans les courses M. Muret, rue du bac 51. Dis lui que c'est du fond de l'égypte que je me rappelle à son souvenir, que je suis parti sans voir (illisible) très importants qu'il m'avait promis qu'il peut voir si j'y pense et si j'en fais cas, enfin que je serai très reconnaissant de ce qu'il fera pour moi en mon absence. Adieu, mon bon père, cette lettre probablement sera quelques jours sans partir et j'espère y en joindre une autre pour ma mère à qui je compte écrire de Zaccara où nous passerons, je crois, quelques jours à faire des fouilles. Bertin et Lehoux ont enfin arraché quelques doublons à M. Ch.. Nous voilà tous Turcs et bien en mouvement pour nos emplettes. Je t'embrasse bien, mon bon père, ainsi que ma mère et Cécile. Mes souvenirs affectueux à mes oncles, ma tante, Édouard, aux cousins et cousines et mes compliments respectueux à M. Champollion. 35

36 Au pré de mon arbre Je me suis bien souvenu du désir de M. Dacier 39, une vue générale d'alexandrie comme il l'entend avec raison, c'est à dire avec ce ton local, cette couleur d'afrique, serait un dessin qui offrirait beaucoup d'intérêt mais très difficile à faire. J'y ai fait plusieurs dessins partiels mais j'ai remis à la fin du voyage d'en faire une aquarelle un peu étendue si alors j'en suis devenu capable. Rappelle moi au souvenir de M. Dacier en lui offrant mes compliments sincères et respectueux. Je finis cette lettre au pied des Pyramides où nous sommes campés. M. Champollion qui n'a pas que son Égypte dans la tête n'est pas de mon avis, mais je trouve que ce sont de tristes monuments, et l'effet tout à fait insignifiant qu'elles ont produit sur moi a été senti par tous à peu près de même. Sans doute l'imagination est frappée de cette monstrueuse élévation, mais employer tant de pierres, tant d'hommes, tant de moyens pour créer une montagne qui n'est qu une méchante montagne, cela ne grandit pas, à mes yeux, les hommes de l'époque ; la porte de la victoire au Kaire (bab el Nasr 40 ) est moins grande que l'arc de l'étoile. C'est un monument admirable qui plaît, qui attache et qui est cent fois plus grandiose qu une Pyramide. L'Expédition est bien mal conduite. Il y a, pour 14 personnes, six domestiques qui ne servent qu'aux chefs ; pour nous, nous n'en recevons aucun aide car tout leur temps est absorbé et, sur six, déjà cinq sont malades. Nous, nous sommes fatigués : le docteur fait observer que le service repose sur trop peu de personnes, que cela fera des malades, que c'est la fatigue qui a rendu malade ceux qui le sont. M. Ch. répond à cela avec une naïveté inconcevable : «C'est unique, c'est incroyable, des gens du pays se plaindre, et moi, moi je me porte, le diable m'emporte, comme je ne me suis jamais porté.». Mais le chef va partout avec un âne sellé et bridé, le chef dit en se réveillant : «Mehemet! mes bottes, Mehemet! mon carton, mes cartes, je vais aller travailler, amenez-moi un âne, portez un pliant, portez mon fusil, mes papiers.». M. Ch. a demandé des avis, des informations partout ; il n'en a tenu compte nullement. On lui a dit la même chose partout, n'importe, on lui a dit d'emporter une petite pacotille d'objets dont il put faire présent aux cheiks dans les endroits un peu importants comme un moyen de se les rendre bienveillants ; on lui a dit que c'était comme cela qu'il se mettrait dans le cas de faire des fouilles avec fruits. Il n'en a tenu compte. Hier, Ricci lui disait que c était l'usage du pays, qu'il serait fâcheux de ne pas le faire. M. Ch. a levé les bras, ouvert les yeux et répété deux ou trois fois : «Je ne puis pas deviner les usages, il fallait me le dire.». Et Ricci, à ma connaissance, le lui a dit 10 fois à Toulon et à Alexandrie. Entre nous, ils sont fous, le soleil Égypte leur donne sur la tête : fou, dis-je, ils le sont en vérité dix fois par jour. Garde ceci pour toi et soit sans inquiétude, néanmoins, car je ne suis pas d'avis de me laisser éreinter, et je ne m'y exposerais pas. Envoie au moins de l'argent, je t'en prie. Je suis vraiment gêné, très gêné de n'en pas avoir Bon Joseph Dacier ( ), est un historien, conservateur de la Bibliothèque nationale, et secrétaire perpétuel de l Académie des Inscriptions et Belles-Lettres La porte de Bâb al-nasr (porte de la victoire) avec ses deux tours rectangulaires, se situe au niveau de l angle nord -est de l enceinte fatimide. La shahada chiite en kufique qui orne son arche d entrée, ra p- pelle l importance symbolique du décor de cette architecture défensive. Sa façade présente des motifs de boucliers circulaires et en écu. 36

37 Alexandre Duchesne à Zaccara nous avons beaucoup travaillé, et j'étais très fatigué. Ce soir j'ai trop besoin du lit pour écrire plus longtemps. Bibent retourne à Paris et il fait bien ; je veux lui remettre cette lettre pour toi mais il m'est impossible d'écrire à ma mère. Je lui en témoigne mon regret et l'embrasse bien. Qu'elle me croit, cette fois, vraiment, je ne pourrais pas. Bibent rentre en France, son état de santé ne causant que des tracas inutiles à ses compagnons de voyage ; Champollion n en est pas fâché, n ayant servi à rien qu à mettre le désordre parmi nous. Commencent alors dix journées de fouilles et de prospection très intenses, pour lesquelles, il n y a étrangement ni lettres, ni notes. Les courriers de Champollion décrivent très bien la suite de l expédition, jusqu à Thèbes : Ayant rejoint leur flotte, mouillée à Bédréchéin, grâce à leurs infatigables baudets et aux chameaux qui portaient tous leurs bagages, ils mirent à la voile pour la Haute-Égypte, et ce ne fut que le 20 octobre, après avoir éprouvé tout l'ennui du calme plat et du manque total de vent du nord, qu ils arrivent à Miniéh, d'où Champollion fit partir tout de suite, après une visite à la filature de coton, montée en machines européennes, et après l'achat de quelques provisions indispensables. Se dirigeant sur Saouadéh pour voir un hypogée grec d'ordre dorique, de là ils cinglent vers Zaouyet-el-Maiétin, où ils furent rendus le 20 même au soir ; là existent quelques hypogées décorés de bas-reliefs relatifs à la vie domestique et civile ; ayant fait copier tout ce qu'il y avait d'intéressant, ils ne les quittent que le 23 au soir, pour courir à Béni-Hassan à la faveur d'une bourrasque, et y arrivent le même jour vers minuit. A l'aube du jour, quelques-uns des jeunes gens vont, en éclaireurs, visiter les grottes voisines et rapportent qu'il y a peu à faire, vu que les peintures sont à peu près effacées. Champollion monte néanmoins, au lever du soleil, visiter ces hypogées, et fut agréablement surpris de trouver une étonnante série de peintures parfaitement visibles jusque dans leurs moindres détails, lorsqu'elles étaient mouillées avec une éponge, et qu'on avait enlevé la croûte de poussière fine qui les recouvrait et qui avait donné le change à ses compagnons. / Les peintures du tombeau de Néhôthph sont de véritables gouaches, d'une finesse et d'une beauté de dessin fort remarquables : c'est ce qu ils voient de plus beau jusqu'ici en Égypte ; les animaux, quadrupèdes, oiseaux et poissons, y sont peints avec tant de finesse et de vérité, et les copies coloriées qu ils en font sont d'une exactitude parfaite. C'est dans ce même hypogée qu ils trouvent un tableau du plus haut intérêt : il représente quinze prisonniers, hommes, femmes ou enfants, pris par un des fils de Néhôthph, et présentés à ce chef par un scribe royal, qui offre en même temps une feuille de papyrus, sur laquelle est relatée la date de la prise, et le nombre des captifs, qui était de trente-sept. Ces captifs, grands et d'une phy- 37

38 Au pré de mon arbre sionomie toute particulière, à nez aquilin pour la plupart, sont blancs comparativement aux Égyptiens, puisqu'on a peint leurs chairs en jaune-roux pour imiter ce que nous nommons la couleur de chair. Les hommes et les femmes sont habillés d'étoffes très riches, peintes (surtout celles des femmes) comme le sont les tuniques de dames grecques sur les anciens vases grecs, et on retrouve sur la robe d'une d'elles l'ornement enroulé si connu sous le nom de grecque, peint en rouge, bleu et noir, et tracé verticalement. Les hommes captifs, à barbe pointue, sont armés d'arcs et de lances, et l'un d'entre eux tient en main une lyre grecque de vieux style. Les quinze jours passés à Béni-Hassan sont monotones, mais fructueux : au lever du soleil, ils montent aux hypogées dessiner, colorier et écrire, en donnant une heure au plus à un modeste repas, qu'on leur apporte des barques, pris à terre sur le sable, dans la grande salle de l'hypogée, d'où ils aperçoivent, à travers les colonnes en dorique primitif, les magnifiques plaines de l'heptanomide ; le soleil couchant, admirable dans ce pays-ci, donne seul le signal du repos ; ils regagnent alors leurs barques pour souper, se coucher et recommencer le lendemain. Cette vie de tombeaux a eu pour résultat un portefeuille de dessins parfaitement faits et d'une exactitude complète, qui s'élèvent déjà à plus de trois cents, œuvres de L Hôte, Duchesne, Angelelli et Cherubini. L expédition a pris du retard et ne quitte Béni-Hassan que le 5 novembre vu que le travail à accomplir dans les grottes s est révélé être plus important que ce que Champollion avait pu imaginer. Par exemple, ils ont reconnu, dans une vallée déserte de la montagne arabique, vis-à-vis Béni-Hassan-el- Aamar, un petit temple creusé dans le roc, dont personne n avait parlé. Le 8 novembre, l expédition s offre une belle frayeur : L Athyr a abordé l autre barque afin que des membres puissent monter dîner à bord de l Isis. Bertin tombe à l eau, dans le courant d une rapidité effroyable à cet endroit-là. Étant bon nageur, il parvient à se saisir d une corde qu on lui envoie et, s y agrippant, ses compagnons peuvent le tirer et le hisser à bord. Champollion en reste glacé d effroi. Le 10 novembre ils quittent Osiouth, après avoir visité ses hypogées parfaitement décrits par MM. Jollois et Devilliers. Le 11 au matin ils passent devant Qaou-el-Kebir (Antaeopolis). Quelques ruines d'akhmin (celles de Panopolis) reçoivent leur visite le 12. L'après-midi et la nuit suivante se passent en fêtes, bal, tours de force et concert chez l'un des commandants de la Haute-Égypte, Mohammed-Aga, qui avait envoyé sa cange 41, ses gens et son cheval pour tous les ramener à Saouadji. Les jeunes gens lui chantèrent en chœur l'air de Marlborough, ce qui le fit pâmer de 41 - Bateau gréé en voiles latines, mesurant entre 16 et 20 mètres de long, qui sert aux voyages sur le Nil. 38

39 Alexandre Duchesne plaisir, et ses musiciens eurent aussitôt l'ordre de l'apprendre. Ils partent comblés des dons du brave osmanli. Le 13, à midi, ils dépassent Ptolémaïs, où il n'existe plus rien de remarquable. Sur les quatre heures, en longeant le Djebel-el-Asserat, ils aperçoivent les premiers crocodiles ; ils sont quatre, couchés sur un îlot de sable, et une foule d'oiseaux circulent au milieu d'eux. Peu de temps après ils débarquent à Girgé. Le 15, le vent est faible, et ils firent peu de chemin. Mais leurs nouveaux compagnons, les crocodiles, semblent vouloir les en dédommager ; on en compte vingt et un, groupés sur un même îlot, et une bordée de coups de fusil à balle, tirée d'assez près, n'eut d'autre résultat que de disperser ce conciliabule. Ils se jetèrent au Nil, et il fallut un bon quart d'heure à désengraver le maasch qui s'était trop approché de l'îlot. Le 16 au soir, ils arrivent enfin à Dendérah. Il fait un clair de lune magnifique, et ils ne sont qu'à une heure de distance des temples : pouvaient-ils résister à la tentation? Souper et partir sur-le-champ furent l'affaire d'un instant : seuls et sans guides, mais armés jusqu'aux dents, ils prennent à travers champs, présumant que les temples sont en ligne droite du maasch. Ils marchent ainsi, chantant les marches des opéras les plus nouveaux, pendant une heure et demie, sans rien trouver. Ils découvrent enfin un homme qui s'enfuit à toutes jambes, les prenant pour des Bédouins, car, habillés à l'orientale et couverts d'un grand burnous blanc à capuchon. On amène le fuyard et lui ordonne de les conduire aux temples. Ce pauvre diable, peu rassuré d'abord, mit dans la bonne voie et finit par marcher de bonne grâce : maigre, sec, noir, couvert de vieux haillons, c'était une momie ambulante ; mais il les guide fort bien et fut traité de même. Les temples apparaissent enfin. Donner une idée de l'impression que leur fait le grand propylon et surtout le portique du grand temple est impossible. C'est la grâce et la majesté réunies au plus haut degré. Ils y restent deux heures en extase, courant les grandes salles avec leur pauvre falot, et cherchant à lire les inscriptions extérieures au clair de la lune. Ils ne rentrent au maasch qu'à trois heures du matin pour retourner aux temples à sept heures. C'est là qu ils passent toute la journée du 17. Ce qui était magnifique à la clarté de la lune l'est encore plus lorsque les rayons du soleil leur firent distinguer tous les détails. Le 18 au matin, ils visitent les ruines de Coptos (Kefth) : il n'y existe rien d'entier 42. Les ruines de Qous (Apollonopolis Parva), où ils arrivent le lendemain matin 19, présentent bien plus d'intérêt, quoiqu'il n'existe de ses anciens édifices que le haut d'un propylon à moitié enfoui. C'est dans la matinée du 20 novembre que le vent, lassé de les contrarier depuis deux jours leur permet d'aborder enfin à Thèbes. Pendant quatre jours entiers ils courent de merveille en merveille. Le premier jour, ils visitent le palais de Kourna, les colosses du Memnonium, et le prétendu tombeau d'osiman Les temples ont été démolis par les chrétiens, qui employèrent les matériaux à bâtir une grande église dans les ruines de laquelle on trouve des portions nombreuses de bas -reliefs égyptiens. 39

40 Au pré de mon arbre dyas, qui ne porte d'autres légendes que celles de Rhamsès le Grand et de deux de ses descendants ; le nom 43 de ce palais est écrit sur toutes ses murailles. Le second jour est tout entier passé à Médinet-Habou, étonnante réunion d'édifices, où ils trouvent les propylées d'antonin, d'hadrien et des Ptolémées, un édifice de Nectanèbe, un autre de l'éthiopien Tharaca, un petit palais de Thouthmosis III (Mœris), enfin l'énorme et gigantesque palais de Rhamsès- Meïamoun, couvert de bas-reliefs historiques. Le troisième jour, ils visitent les vieux rois de Thèbes dans leurs tombes, ou plutôt dans leurs palais creusés au ciseau dans la montagne de Biban-el-Molouk : là, du matin au soir, à la lueur des flambeaux, ils parcourent des enfilades d'appartements couverts de sculptures et de peintures, pour la plupart d'une étonnante fraîcheur. Le quatrième jour, le 23, ils quittent la rive gauche du Nil pour visiter la partie orientale de Thèbe,, d'abord Louqsor, palais immense, précédé de deux obélisques de près de 80 pieds, d'un seul bloc de granit rose, d'un travail exquis, accompagnés de quatre colosses de même matière, et de 30 pieds de hauteur environ, car ils sont enfouis jusqu'à la poitrine ; enfin le palais ou plutôt la ville de monuments, à Karnac. Là leur apparait toute la magnificence pharaonique, tout ce que les hommes ont imaginé et exécuté de plus grand. C est alors qu Alexandre Duchesne fait part de son impatience : (25 novembre 1828 ; cachet de cire avec une ancre ; cachet de la poste du 9 Fev 29) Monsieur Monsieur Duchesne Rue n ve des petits champs n 12 Paris Je t'ai écrit, mon bon père toutes les fois que j'en ai eu l'occasion ; je ne sais si mes lettres ont eu plus de bonheur que les tiennes et si elles te sont parvenues. Quant à moi, depuis Toulon, je n'ai pas reçu une ligne, pas une nouvelle de toi, ni de France, depuis 4 mois. C'est bien long, surtout quand on est si loin. Avant-hier, un capitaine anglais venu en 11 jours du Kaire, nous a apporté quelques nouvelles politiques. Si je t'en fais part, elles seront bien vieilles quand tu recevras ma lettre. Tu verras pourtant qu'à cette époque la perte des Turcs, le mauvais état de leurs affaires, la probabilité même de la prise de Constantinople, ne nous inquiétaient nullement. Le Pacha ferme et fortifie ses places du côté de la Turquie, et ne pense point à venger sur les francs la mort du grand Vizir. Et nous, je t'assure, nous faisons le voyage de la haute Égypte comme on fait celui de S t -Germain. On nous a appris que des fièvres désolaient notre armée en Morée ; ta réponse, j'espère, me dira que tout va bien pour notre bonne France. Je t'ai, jusqu'à présent, tenu au courant des cancans de l'expédition. Je t'en dirais encore, je t'en dirais toujours car ils ne finissent pas. Je crois bien que la première 43 - Les Égyptiens l'appelaient le Rhamesséion, comme ils no m- maient Aménophion le Memnonium, et Mandouéion le palais de Kourna. Le prétendu colosse d'osimandyas est un admirable colosse de Rhamsès le Grand. 40

41 Alexandre Duchesne impression qu'avait fait, sur nous, l'inspecteur était la bonne, il a plus d'esprit que Bibent et le plus adroit l'a emporté sur l'autre. Il a vu qu'il ne réussirait pas à prendre un air d'autorité, il a changé de rôle mais il n'a pas changé de caractère ni d'intention. Il s'est fourré, insinué partout, et il s'est attiré de rudes avanies. M. Ch. n'est pas assez malin et se croit beaucoup trop fin et trop renard pour s'apercevoir qu'il a là, près de lui, un homme qui n'est certainement pas franc. Peut-être doit-on attribuer au caractère tortueux et intriguant du favori, la zizanie qui existe entre les deux chefs, car les toscans n'aiment pas Lenormand. Ils l'avaient sur le dos depuis le commencement du voyage, et la bombe vient enfin d'éclater, l'affaire a été chaude, les griefs ont été exposés rudement devant le Général en chef qui n'a rien su concilier. Il a gouaillé avec amertume et sans esprit, il avait été ménagé par tous, et il n'a ménagé personne ; enfin, entêté comme une mule, il n'a donné satisfaction à personne quand il pouvait, d'un rien, arranger tout, sans bruit, sans colère. Tout est rentré dans l'ordre, dans la tranquillité, mais il a mis le mal de son côté. Est-ce le Soleil d'égypte qui lui a frappé sur la tête ; le voilà, comme tant d'autres, libéral jusqu'à ce qui le touche. Quant à nous, je dis Bertin et Lehoux, tout cela se passe sans nous atteindre plus que les boulets des Russes. Il nous a fallu pourtant donner asile dans notre barque à Lenormand qui est sorti de cette affaire avec un masque tout autre ; il s'en est bien mal tiré, sans énergie, sans noblesse, sans esprit même, il est tombé malgré la partialité du général sous le coup qui lui a été porté et qu'il s'était attiré. Maintenant, il est embarrassé, étourdi, il est, je crois aussi, gêné avec sa conscience. Nous avons parcouru les ruines de Thèbes. C'est bien beau, mais que de choses à faire. Je ne crois pas que quatre années suffisent pour recueillir tout ce qu'il y a d'intéressant à y prendre. Cependant M. Champollion, qui compte déjà les jours et ne ferait qu'une bouchée du reste du voyage si cela se pouvait, voit tout cela fait par dessous la jambe. Il s'en fait accroire et il veut s'en faire accroire. Une chose est bien certaine, c'est que je ne veux pas rester un mois de plus que le terme fixé, et que pour 10 mille francs je ne ferais pas avec lui un second voyage. Je suis pourtant content d'être venu en Égypte et je ne regretterai pas d'avoir pris ce parti. Je suis dans une impatience extrême de recevoir de tes nouvelles et je t'assure que le jour où me viendra ta première lettre sera un jour de fête. Elle me dira bien des choses, j'espère, et de bonnes choses pour toi. Adieu, mon bon père, je t'embrasse de cœur ainsi que ma mère et mes sœurs. Alexandre 25 9 bre 1828 Thèbes Ils quittent Thèbes le 26 novembre, et le soir même abordent à Hermonthis, et courent le 27 au matin vers le temple, dont personne n'a encore dessiné une seule de ses légendes royales ; ils y passent la journée entière, et le résultat de cet examen prolongé fut de s'assurer, par les inscriptions et les sculptures, que ce temple a été construit sous le règne de la dernière Cléopâtre, fille de Ptolémée Aulétès, et en commémoraison de sa grossesse et de son heureuse délivrance d'un gros garçon, Ptolémée Césarion, le fruit de sa bénévolence envers Jules César, à ce que dit l'histoire. Un cachef 44 a trouvé fort commode de s'y faire une maison, une basse-cour et un pigeonnier, en masquant et coupant le temple de misérables murs de limon blanchis à la chaux Administrateur de district. 41

42 Au pré de mon arbre Le 28 au soir, ils sont à Esné, avec le projet de ne pas s y arrêter. Ils font donc voile un peu plus au sud, et débarquent sur la rive orientale pour aller voir le temple de Contra-Lato, y arrivant trop tard, on l'avait démoli depuis une douzaine de jours pour renforcer le quai d'esné que le Nil menace et finira par emporter. De retour au maasch, on le trouve plein d'eau : heureusement qu'il avait abordé sur un point peu profond, et que, touchant bientôt, il n'a pu être entièrement coulé à fond. Il fallut le vider, et retourner à Esné le soir même, pour le radouber et faire boucher la voie d'eau. Toutefois les provisions furent mouillées, ils perdent le sel, le riz, la farine de maïs. Tout cela n'est rien auprès du danger qui eût menacé si cette voie d'eau se fût ouverte pendant la navigation dans le grand chenal : ils eussent coulé irrémissiblement. Que le grand Ammon soit donc loué! Pendant qu ils se sèchent de leur désastre dans la matinée du 29, ils vont visiter le grand temple d'esné, qui, grâce à sa nouvelle destination de magasin de coton, échappera quelque temps encore à la destruction. Ils y voient une assez belle architecture, mais des sculptures détestables. Le 29 au soir, ils sont à Eléthya (El-Kab) et parcourent l'enceinte et les ruines la lanterne à la main, ne trouvant plus rien : les restes des deux temples ont disparu ; on les a aussi démolis il y a peu de temps pour réparer le quai d'esné ou quelque autre construction récente. Ils visitent le grand temple d'edfou (Apollonopolis Magna), dans l'après-midi du 30. Celui-ci est intact mais la sculpture en est très-mauvaise. Les bas-reliefs pharaoniques des carrières de Silsilis (Djébel-Selséléh) les intéressent vivement : ils y abordent le 1 er décembre à une heure. Le soir même du 1 er décembre, ils arrivent à Ombos et courent au grand temple le 2 au matin. Ce n'est que le 4 décembre au matin que le vent voulut bien leur permettre d'arriver à Syène 45, dernière ville de l'égypte au sud. Ils sont à la frontière extrême de l'égypte et au milieu des noirs Éthiopiens. Les deux temples de l'île d'éléphantine, qu ils visitent aussitôt que l'ardeur du soleil fut amortie, ont aussi été démolis : il n'en reste que la place. Il leur a fallu se contenter d'une porte ruinée, en granit, dédiée au nom d'alexandre (le fils du conquérant), au dieu d'éléphantine Chnouphis, et d'une douzaine de proscynemata (actes d'adoration) hiéroglyphiques gravés sur une vieille muraille ; enfin, de quelques débris pharaoniques épars et employés comme matériaux dans des constructions du temps des Romains. Ils avaient reconnu le matin ce qui reste du temple de Syène 46 : c'est ce qu ils voient de plus misérable en sculpture mais y trouvant, pour la première fois, la légende impériale de Nerva. À Syène, ils débarquent, et font transporter tout leurs bagages dans l'île de Philae, à dos de chameau. Champollion, le 5 au soir, enfourche un âne, et, 45 - Aujourd hui Assouan Ce petit temple était dédié aux dieux du pays et de la cataracte, Chnouphis, Saté (Junon) et Anoukis (Vesta). 42

43 Alexandre Duchesne soutenu par un hercule arabe, car il a une douleur de rhumatisme 47 au pied gauche, se rend à Philae en traversant toutes les carrières de granit rose, hérissées d'inscriptions hiéroglyphiques des anciens Pharaons. Incapable de marcher, et après avoir traversé le Nil en barque pour aborder dans l'île sainte, quatre hommes, soutenus par six autres, car la pente est presque à pic, le prennent sur leurs épaules et le hissent jusqu'auprès du petit temple à jour, où on lui avait préparé une chambre dans de vieilles constructions romaines, assez semblable à une prison, mais fort saine et à couvert des mauvais vents. Le 6 au matin, soutenu par ses domestiques, Mohammed le Barabra et Soliman l'arabe, il visite péniblement le grand temple ; au retour, il se couche et, le 8, ne s est pas encore relevé, vu que sa goutte de Paris a jugé à propos de se porter à la première cataracte et de le traquer au passage ; elle est fort benoîte du reste, et la goutte le quitta en peu de jours. C'est ici, à Philae, que Champollion reçoit enfin des lettres d'europe, à la date des 15 et 25 août et 3 septembre 48. Alexandre est toujours révolté : 8 décembre 1828 Phylée Je veux profiter du courrier qui m'a apporté une lettre de toi et repart ce soir. C'est bien peu de choses une lettre après cinq mois d'absence et à une si grande distance, mais cela fait bien plaisir ; quel temps énorme les lettres sont en route, nous voilà au 7 décembre! Pour te donner une idée de la température du pays, je te dirai qu'avant hier nous nous sommes baignés dans le Nil en poussant des cris de joie. Il ne faut pas croire pourtant qu'il fasse une chaleur pareille à celle de l'été chez nous. Elle est très inégale, le soleil est brûlant au milieu du jour quand le vent, qui est souvent très vif, ne combat pas l'ardeur de ses rayons, et les nuits sont généralement très fraîches, quelquefois même très froides. Nous avons quitté à Sienne 49 les bâtiments qui nous avaient portés depuis Alexandrie. Ils étaient trop considérables pour remonter la cataracte, ils l'eussent pu si l'on eut pas laissé passer tout le temps de l'inondation. Nous avons donc fait un déménagement complet, transportant nos effets sur des chameaux depuis Sienne jusqu à Phylée, à travers le désert. Cette petite promenade m'a fait plaisir, j'ai trouvé que le désert n'était pas sans agrément, il est d'une couleur extraordinaire, c'est grand, sévère ; c'est beau! La lumière y est immense, ce ciel si beau, si pur, contraste d'une manière heureuse avec ce sol tout de sable ou de rochers, de grés et de granit, sans une plante, sans un palmier ; on trouve les traces d'un petit chemin pratiqué par les français pour le passage des canons. À Phylée, nous avons retrouvé, sur un des propylônes du grand temple, une inscription trop longue pour te la donner ici entière. «En telle année, après avoir battu les mameluks à Aboukir, les français, sous la conduite du général Desaix les poursuivirent 47 - Une crise de goutte Celle du 15 août est de sa femme, et deux de son frère Figeac des 25 août et 3 septembre Sienne (aussi Syène), ou Essouan, ou Assouan, ville de Haute- Égypte sur la rive est du Nil à six miles au -dessous la première cataracte. C'est la ville la plus au sud de l'égypte, formant la frontière vers la Nubie. 43

44 Au pré de mon arbre et les chassèrent au-delà des cataractes.». Cela a de la tournure, il y a là du Sésostris, du macédonien. Je suis bien content de ce que tu m'apprends relativement au cabinet Laffitte, c'est quelque chose d'imprévu ; j'espère, comme toi, que cela ne sera pas trop mauvais. Tu ne m'apprends pas que M. Horace est nommé directeur de l'académie à Rome. Je n'en suis pas fâché, cela a dû faire une révolution ; quant à moi, je crois que c'est un homme à donner de très bons principes généraux sur la Peinture et c'est tout ce qu'il faut aux élèves de Rome. Je suis fâché de lire ce que tu me dis de ma mère ; elle est souvent souffrante, dis-tu, et sans doute les affaires sont toujours aussi lamentables, ce qui n'est pas fait pour remettre sa santé. Je ne puis lui écrire bien qu'on nous ait accordé un jour pour la correspondance. J'ai mal à un œil et, dans ce pays où les yeux sont naturellement susceptibles, il faut guérir cela de suite. Du reste, je te dirai que le climat d'égypte est excellent, qu'on parle d'une infinité de précautions à prendre, qu'on vous fait peur de mille choses et, qu'au fait, il est très facile de s'y bien porter et sans s'y gêner. M. Ch. est étonné quant il s'est enfermé dans une petite chambre sans air, où il reste enveloppé de 3 ou quatre vêtements de laine, d'attraper du frais en sortant le soir. Et nous, jusqu'à présent qui nous habillons toujours en proportion de la chaleur comme nous ferions partout, nous allons et venons sans aucun accident. Car je ne regarde pas mon mal d'yeux comme une maladie du pays ; c'est un coup d'air que m'ont procuré ces diables de rats qui avaient envahi notre bord et bousculaient, trouaient les nattes de notre tente chaque nuit. Que le voyage s'achève donc, mon dieu, qu'il s'achève ; je ne résiste plus à l'ennui, je suis las d'impatience et le temps est immobile. Je vois, avec peine, que déjà beaucoup de temps a été perdu pour l'expédition sans pour cela nous profiter, à nous artistes. Tout cela par inexpérience des chefs, ou plutôt du chef, qui, obstinés comme des savants n'ont écouté aucun avis. Quand nous sommes arrivés à Alexandrie, par suite alors de l'inondation, la hauteur du fleuve, les vents nous favorisaient pour remonter ; à cette époque et pendant quatre mois encore, nos gros bâtiments pouvaient remonter les cataractes, nous conduire à Gadilalpha et nous ramener à Thèbes. Les vents, pendant cette saison, soufflent régulièrement du nord, après quoi ils deviennent tout à fait variable. Nous savions tout cela d'avance et nous avons commencé par perdre, à Alexandrie, un mois et demi à peu près, quand on pouvait arranger tout aisément en 15 jours. Nous nous sommes arrêtés 20 à 25 jours à Benihassan, Saouadé, etc. Là, il est vrai, nous avons dessiné mais nous laissions passer l'époque des bons vents ; enfin, quand nous nous remîmes en route, il n'y en avait plus que de temps à autre ; aussi, au 8 décembre, nous sommes encore à Philée, attendant des barques pour nous conduire en Nubie. Tout cela me fait de la peine. Je vois le temps se perdre et, d'un autre côté, je vois l'immensité des travaux qu'il y aurait à faire. C'est à étourdir, c'est un monstre, un monde. Je suis convaincu que M. Ch. agirait raisonnablement en restant en Égypte une année de plus. Pour moi, je n'y resterais pas pour 10 mille francs, j'y crève, j'y meurs d'ennui et de regrets. Si ce voyage ne dure qu'un an, je serai content, après tout, de l'avoir fait, c'est à dire je ne gémirai plus. Mais que Dieu me préserve de me jamais remettre sous la main d'autrui, à la disposition d'une personne qui n'a en tête que son affaire et aucune autre considération. Peut-être, si je n'avais pas perdu tant de temps depuis mes études, je souffrirais moins d'une si longue absence, mais désormais, si je perds un seul jour, il est perdu sans retour. Car le temps qui me reste suffit à peine à réparer le passé et l'âge des études aura bientôt passé pour moi. Aujourd'hui, telle est notre position que nous ne demanderons pas un jour de répit pour faire quelque étude à 44

45 Alexandre Duchesne Thèbes ou ailleurs, parce que nous voyons combien peu il s'est encore fait et combien il reste à faire. Mais, au fait, quand le vent, nous retirant son secours, nous a laissés sur les bords du Nil entre l'eau et le désert, ce temps nous a-t-il profité? Qu'il réussisse. Je suis jaloux de le voir réussir, je ne lui en veux pas même de sont irrésolution, de son inconstance insupportable dans ses projets, je ne lui en veux même pas des beaux discours qu'il m'a fait à Paris, mais qu'il ne veuille pas prolonger la durée de cet ennuyeux sacrifice. Je vais l'en prévenir avant le départ de Lenormand. S'il entrevoit la nécessité d'un plus long séjour en Égypte, qu'il prennent ses mesures. Lenormand peut lui renvoyer des dessinateurs, je payerai le mien, moi s'il le fallait ; mais je reste plus de 15 mois à languir, à faire des bonhommes, à voir de beaux motifs d'étude et à passer outre. C'est le supplice de Tantale, je n'y tiendrais pas. Adieu, mon bon père, je t'ai fait peut être une sortie peu amusante, je me suis laissé aller en causant à te dire tout ce que je pensais. Si quelque chose te contrarie dans mes idées, ne te laisse pas aller à croire pourtant qu'il y ait dans mon affaire aucune humeur, aucune faiblesse, je t'assure que je ne suis point capricieux. Tu t'es trompé quand tu as pu penser que je m'étais laissé aller à des préventions injustes, qu'elles pouvaient me porter à faire les accusations les plus graves, et à l'emportement. Tu te tromperais si tu croyais que je n'ai pas bien réfléchi à mon affaire. Il n'y a, dans cette entreprise, ni mérite, ni considération suffisante pour balancer une énorme perte. Après tout, pourquoi M. Ch. s'est-il obstiné à nous dire qu'il ne resterait qu'un an absent, jusqu'au dernier jour, jusqu'à Toulon, (il manque la suite). Le maasch et la dahabié étant trop grandes pour passer la cataracte, on prépare de nouvelles barques pour le voyage de Nubie et c'est le 16 décembre que cette nouvelle escadre d'en deçà la cataracte se trouva prête à les recevoir. Elle se compose d'une petite dahabié (vaisseau amiral), portant pavillon français sur pavillon toscan, de deux barques à pavillon français, deux barques à pavillon toscan, la barque de la cuisine et des provisions, à pavillon bleu, et d'une barque portant la force armée, c'est-à-dire les deux chaouchs 50 avec leurs cannes à pomme d'argent, qui nous accompagnent et font les fonctions du pouvoir exécutif. J'oublie de dire que l'amiral est armé d'une pièce de canon de trois, que leur nouvel ami Ibrahim, mamour 51 d'esné, leur a prêtée à son passage à Philae : aussi feront-ils une belle décharge en arrivant à la deuxième cataracte, but de leur pèlerinage. Ils mettent à la voile de Philae, avec un assez bon vent, et passent devant Déboud 52 sans s arrêter, voulant arriver le plus tôt possible jusqu'au point extrême de leur course. Le 17, à quatre heures du soir, ils sont en face des petits monuments de Qartas, où il n y a rien à glaner. Le 18, ils dépassent Taffah et Kalabsché, sans aborder, et passent ensuite sous le tropique 53, et c'est de ce moment, qu'entrés 50 - Gardes du corps du pacha 51 - Préfet 52 - Ce petit temple et les trois propylons sont de l'époque m o- derne Contrairement aux Grecs qui estimaient que Syène, (Assouan), se trouvait exactement sur le tropique du Cancer. 45

46 Au pré de mon arbre dans la zone torride, ils grelottent tous de froid et sont obligés dès lors de se charger de burnous et de manteaux. Le soir, ils couchent au delà de Dandour, en saluant seulement son temple de la main. Ils en font autant, le lendemain 19, aux monuments de Ghirché, qui sont du bon temps, ainsi qu'au grand temple de Dakkèh, de l'époque des Lagides, et débarquent le soir à Méharraka, temple égyptien des bas temps, changé jadis en église copte. Le 20, ils restent une heure à Ouadi-Esséboua ou la Vallée des Lions 54, véritable édifice de province, construit en pierres liées avec du mortier. Ils perdent les deux jours suivants à virer, malgré vents et calme, le grand coude d'amada, dont ils devront étudier le temple, important par son antiquité, au retour de la deuxième cataracte. Ils arrivent à Derr ou Derri le 23, de très-bonne heure. Là, ils trouvent, pour consolation, un joli temple creusé dans le roc, conservant encore quelques bas-reliefs des conquêtes de Rhamsès le Grand, et Champollion y recueille les noms et les titres de sept fils et de huit filles de ce Pharaon. Le cachef de Derr, auquel ils font visite, leur dit tout franchement que, n'ayant pas de quoi leur donner à souper, il viendra souper avec eux ; ils comptent y faire du pain : cela fut impossible, il n'y a ni four ni boulanger. Ils fêtent les 38 ans de leur chef. Le 24, au lever du soleil, ils quittent Derri, passent sous le fort ruiné d'ibrim et vont coucher sur la rive orientale, à Ghébel-Mesmès, pays charmant et bien cultivé. Ils cheminent le 25, tantôt avec le vent, tantôt avec la corde, et il leur faut se consoler de ne pas arriver ce jour-là à Ibsamboul 55, de beaux crocodiles prenant leurs ébats sur un îlot de sable près du lieu où ils couchent. Enfin, le 26, à neuf heures du matin, il sont à Ibsamboul, où ils séjournent aussi le 27. Là, ils peuvent jouir des plus beaux monuments de la Nubie, mais non sans quelque difficulté. Il y a deux temples entièrement creusés dans le roc, et couverts de sculptures. La plus petite de ces excavations est un temple d'hathôr, dédié par la reine Nofré-Ari, femme de Rhamsès le Grand, décoré extérieurement d'une façade contre laquelle s'élèvent six colosses de trente-cinq pieds chacun environ, taillés aussi dans le roc, représentant le Pharaon et sa femme, ayant à leurs pieds, l'un ses fils, et l'autre ses filles, avec leurs noms et titres. Ces colosses sont d'une excellente sculpture ; leur stature est svelte et leur galbe très-élégant. Ce temple est couvert de beaux reliefs, et Champollion en fait dessiner les plus intéressants. Le grand temple d'ibsamboul vaut à lui seul le voyage de Nubie. Le travail que cette excavation a dû coûter dépasse l'imagination. La façade est décorée de quatre colosses assis, n'ayant pas moins de soixante-un pieds de hauteur : tous quatre, d'un superbe travail, représentent Rhamsès le Grand. C'est un ouvrage digne de toute admiration. Telle est l'entrée ; l'intérieur en est tout à fait digne ; mais c'est une rude épreuve que de le visiter. À leur arrivée, les sables, et les Nubiens qui ont soin de les pousser, avaient fermé l'entrée. Ils la firent dé Ainsi nommée des sphinx qui ornent le dromos d'un monument bâti sous le règne de Sésostris 55 - Abou-Simbel. 46

47 Alexandre Duchesne blayer, s assurant le mieux qu ils puissent le petit passage qu'on avait pratiqué, et prirent toutes les précautions possibles contre la coulée de ce sable infernal qui, en Égypte comme en Nubie, menace de tout engloutir. Champollion se déshabille presque complètement, ne gardant que sa chemise arabe et un caleçon de toile, et se présente à plat-ventre à la petite ouverture d'une porte qui, déblayée, aurait au moins 25 pieds de hauteur. Il crut se présenter à la bouche d'un four, et, se glissant entièrement dans le temple, il se trouve dans une atmosphère chauffée à cinquante et un degrés : ils parcourent cette étonnante excavation, Rosellini, Ricci, luii et un de ses Arabes, tenant chacun une bougie à la main. La première salle est soutenue par huit piliers contre lesquels sont adossés autant de colosses de trente pieds chacun, représentant encore Rhamsès le Grand : sur les parois de cette vaste salle règne une file de grands bas-reliefs historiques, relatifs aux conquêtes du Pharaon en Afrique ; un bas-relief surtout, représentant son char de triomphe, accompagné de groupes de prisonniers nubiens, nègres, etc., de grandeur naturelle, offre une composition de toute beauté et du plus grand effet. Les autres salles - on en compte seize - abondent en beaux bas-reliefs religieux, offrant des particularités fort curieuses. Le tout est terminé par un sanctuaire, au fond duquel sont assises quatre belles statues, bien plus fortes que nature et d'un très-bon travail. Ce groupe, représentant Ammon-Ra, Phré, Phtha, et Rhamsès le Grand assis au milieu d'eux, mérite d'être dessiné. Après deux heures et demie d'admiration, et ayant vu tous les basreliefs, le besoin de respirer un peu d'air pur se fit sentir, et il leur fallut regagner l'entrée de la fournaise en prenant des précautions pour en sortir. Champollion endosse deux gilets de flanelle, un burnous de laine, et son grand manteau, dont on l'enveloppe aussitôt qu il fut revenu à l air libre ; et là, assis auprès d'un des colosses extérieurs dont l'immense mollet arrêtait le souffle du vent du nord, il se repose une demi-heure pour laisser passer la grande transpiration. Cette visite expérimentale - il compare la chaleur d'ibsamboul à celle d'un bain turc, et cette visite peut amplement leur en tenir lieu - lui prouve qu'on peut rester deux heures et demie à trois heures dans l'intérieur du temple sans éprouver aucune gêne de respiration, mais seulement de l'affaiblissement dans les jambes et aux articulations ; il en conclut donc qu'ils pourront dessiner les bas-reliefs historiques, en travaillant par escouades de quatre (pour ne pas dépenser trop d'air), et pendant deux heures le matin et deux heures le soir. Ce sera une rude campagne, mais le résultat en est si intéressant, les bas-reliefs sont si beaux, qu il fera tout pour les avoir, ainsi que les légendes complètes. Ils quittent Ibsamboul le 28 au matin. Vers midi, ils s arrêtent à Ghébel-Addèh, où est un petit temple creusé dans le roc. La plupart de ses basreliefs ont été couverts de mortier par des chrétiens qui ont décoré cette nouvelle surface de peintures représentant des saints, et surtout saint Georges à cheval ; mais, en faisant sauter le mortier, ils constatent que ce temple avait été dédié à Thoth par le roi Horus, fils d'aménophis-memnon, et ils exécutent les dessins de trois bas-reliefs fort intéressants pour la mythologie. De là, ils vont coucher à Faras. 47

48 Au pré de mon arbre Le 29, un calme presque plat ne leur permet d'avancer que jusqu'au-delà de Serré, et le 30, à midi, ils sont enfin arrivés à Ouadi-Halfa, à une demi-heure de la seconde cataracte 56, où sont posées nos colonnes d'hercule 57. Vers le coucher du soleil, ils font une promenade à la cataracte : les voici arrivés au terme extrême de leur voyage, barrière de granit que le Nil a su vaincre, mais qu ils ne dépasseront pas. Le 31, ils se mettent sérieusement à l'ouvrage. Ils trouvent, sur la rive occidentale, les débris de trois édifices, mais des arases qui ne conservent que la fin des légendes hiéroglyphiques. Sur les indications du docteur Ricci, ils vont fouiller avec pelles et pioches dans le sanctuaire (ou plutôt à la place qu'il occupait), et y trouvent une autre grande stèle représentant le dieu Mandou, une des grandes divinités de la Nubie, conduisant et livrant au roi Osortasen (de la XVI e dynastie) tous les peuples de la Nubie, avec le nom de chacun d'eux inscrit dans une espèce de bouclier attaché à la figure, agenouillée et liée, qui représente chacun de ces peuples, au nombre de cinq. Alexandre et Lehoux se montent le bourrichon (31 décembre 1828) Sa gloire m'intéresse, mais touche-t-elle mon avenir. Non, mon bon père, il n'y a pas d'extravagance dans mes paroles, je les écris profondément pénétré et s'il y avait de la faiblesse à tes yeux, consulte là, écoute là plutôt, je ne suis pas capable d'un plus grand effort. Pourquoi nous avoir abusé, pourquoi nous avoir tant promis, mille écus ont-ils de l'importance, peuvent-ils balancer tout ce que je perds, ne me suis-je pas prome amateur et serais-je parti si j'avais su ne rien recueillir pour mes études? Que je sois puni de mes sottises, que je gémisse un jour d'avoir perdu des années précieuses mais que je ne souffre pas plus de l'extravagance des autres et s'il lui fallait pour exploiter l'égypte plus de temps qu'il ne croyait, est-ce ma faute. Je lui ai dit, moi, causant avec lui de ce voyage à Paris, que je ne voudrais pas l'entreprendre s'il ne m'assurait pas que j'en pourrais profiter pour mes études. Je lui ai dit que j'en trouverai vingt autres à ma place. N'ai-je pas été en mesure, dès le commencement ; et depuis, désappointé, trompé complètement dans mes espérances, n'ai-je pas fait mon devoir et au-delà? Aujourd'hui M. Ch. a dans son portefeuille plus de six cents dessins ; il peut les comparer avec ceux des toscans et il se plaît à le faire avec un sourire de triomphe. Je t'en prie, mon père, informe M. Champollion-Figeac de ma résolution et que son frère sache encore par lui que j'y suis inébranlable Cataracte : Nom donné aux affleurements de roches granitiques qui parsèment le cours du Nil formant des rapides. Les plus importantes se succèdent, en remontant le cours du Nil, à partir d Assouan (première cataracte) jusqu au nord de Khartoum en Nubie (sixième cataracte). De tout temps, elles ont représenté un obstacle au trafic fluvial ; la deuxième, en particulier, celle du Ouâdi Halfa, n était franchissable qu à la faveur de la crue annuelle. Une partie de la première cataracte et la totalité de la deuxième ont été submergées par les eaux du lac Nasser Les colonnes d'hercule symbolisent les limites du monde co n- nu. 48

49 Alexandre Duchesne Lehoux a pris le même parti ; il partirait même sans moi. Il écrit aujourd'hui à son père et le prie de passer chez toi pour savoir si tu as pu m'envoyer 2000 fr.. Sinon tu pourras peut-être lui indiquer le meilleur moyen de faire passer, à Alexandrie, cinq ou six cents francs. Adieu, mon bon père, je t'embrasse tendrement ainsi que ma mère. Ton fils. Wadi alfa décembre (1828) Embrasse pour moi Cécile et veuille te charger de mes souvenirs pour M me Lemercier au terme de nos conventions je retourne en France. Lehoux et Bertin et M. L Hôte me prient que te faire leurs compliments. L année 1829 commence par une petite fête où ils consomment deux bouteilles de vin que le tropique avait cependant amorties. Lenormant les quitte, comme prévu, en ce lieu et revient vers le Caire. C est lui qui ramène les courriers du nouvel an, dont celui que Champollion adresse à Dacier. C'est le 1 er janvier qu ils quittent Ouadi-Halfa et la seconde cataracte. Ils couchent à Gharbi-Serré, et le lendemain, vers midi, ils abordent sur la rive droite du Nil pour étudier les excavations de Maschakit, un peu au midi du temple de Thoht à Ghébel-Addèh ; il leur fallut gravir un rocher presque à pic sur le Nil, pour arriver à une petite chambre creusée dans la montagne, et ornée de sculptures fort endommagées. Le 3 au matin, ils s amarrent devant le temple d'hathôr à Ibsamboul, et commencent leurs travaux le soir même : il s'agit d'exploiter le grand temple, couvert de si grands et de si beaux bas-reliefs. Ils forment l'entreprise d'avoir le dessin en grand et colorié de tous les bas-reliefs qui décorent la grande salle du temple, les autres pièces n'offrant que des sujets religieux : lorsque l'on sait que la chaleur qu'on éprouve dans ce temple, aujourd'hui souterrain (parce que les sables en ont presque couvert la façade), est comparable à celle d'un bain turc fortement chauffé ; quand on sait qu'il faut y entrer presque nu, que le corps ruisselle perpétuellement d'une sueur abondante qui coule sur les yeux, dégoutte sur le papier déjà trempé par la chaleur humide de cette atmosphère, chauffée comme dans un autoclave, on admire sans doute le courage de nos jeunes gens qui bravent cette fournaise pendant trois ou quatre heures par jour, ne sortent que par épuisement, et ne quittent le travail que lorsque leurs jambes refusent de les porter. Nos compagnons français, Duchesne, Bertin et L Hôte, et toscans, Rosellini, Ricci et Angelelli, rivalisent de zèle et de dévouement, tandis que Champollion soigne sa goutte. Le 12, leur plan est presque accompli : ils possèdent déjà six grands tableaux ; Il reste à terminer le dessin d'un énorme bas-relief occupant presque toute la paroi droite du temple : composition immense, représentant une bataille, un camp entier, la tente du roi, ses gardes, ses chevaux, les chars, les bagages de l'armée, les jeux et les punitions militaires, etc., etc. Dans trois jours au plus, ce 58 - Village nubien près de la seconde cataracte. 49

50 Au pré de mon arbre grand dessin sera terminé, mais sans couleurs, parce que l'humidité les a fait disparaître. Pour tous ces dessins Champollion s est réservé la partie des légendes hiéroglyphiques, souvent fort étendues, qui accompagnent chaque figure ou chaque groupe dans les bas-reliefs historiques. Ils quittent Ibsamboul le 16 janvier, et le 17, de bonne heure, abordent au pied du rocher d'ibrim, la Primis des géographes grecs, pour visiter quelques excavations qu'on aperçoit vers le bas de cette énorme masse de grès. Ces spéos 59 sont au nombre de quatre, et d'époques différentes, mais tous appartenant aux temps pharaoniques. Le 17 janvier au soir, ils sont à Derri ou Derr, la capitale actuelle de la Nubie, où ils soupent en arrivant, par un clair de lune admirable, et sous les plus hauts palmiers qu ils eussent encore vus. Le monument de Derri est un ouvrage de Sésostris. Ils y restent toute la journée du 18, et n'en sortent, assez tard, qu'après avoir dessiné les bas-reliefs les plus importants, et rédigé une notice détaillée de tous ceux dont ils ne prennent point de copie. Là, Champollion trouve une liste, par rang d'âge, des fils et des filles de Sésostris ; elle lui servira à compléter celle d'ibsamboul. Au reste, ce temple est un spéos creusé dans le rocher de grès, mais sur une très-grande échelle : il a été dédié par Sésostris à Ammon-Ra, le dieu suprême, et à Phré, l'esprit du Soleil qu'on y invoquait sous le nom de Rhamsès, qui fut le patron du conquérant et de toute sa lignée. Le 18 au soir ils descendent à Amada, où ils restent jusqu'au 20 après midi, pour y étudier un temple de la bonne époque. Dans l'après-midi du 20, les travaux d'amada étant terminés, ils descendent le Nil jusqu'à Korosko, village nubien. Ils y rencontrent l'excellent lord Prudhœ et le major Félix, qui mettaient à exécution leur projet de remonter le Nil jusqu'au Sennaâr, pour se rendre de là dans l'inde en traversant l'abyssinie, l'arabie et la Perse ; la petite escadre s'arrête, et ils passèrent une partie de la nuit à causer des travaux passés et des projets futurs ; que Dieu veille sur ces intrépides amis de la science! Le 21 ils sont à Ouadi-Esséboua (la vallée des lions), qui reçoit ce nom d'une avenue de sphinx placés sur le dromos de son temple, lequel est un hémispéos, c'est-à-dire un édifice à moitié construit en pierres de taille, et à moitié creusé dans le rocher ; c'est, sans contredit, le plus mauvais travail de l'époque de Rhamsès le Grand ; les pierres de la bâtisse sont mal coupées, les intervalles sont masqués par du ciment sur lequel on a continué les sculptures de décoration, qui sont d'une exécution assez médiocre. Toute la journée du 22 fut perdue, à cause d'un vent du nord trèsviolent, qui les force d'aborder et de se tenir tranquilles au rivage jusqu'au coucher du soleil. Ils profitent du calme pour gagner Méharrakah, dont ils avaient vu le temple en remontant : il n'est point sculpté, et partant, d'aucun intérêt pour 59 - Champollion nomme ainsi les excavations dans la roche, autres que des tombeaux. 50

51 Alexandre Duchesne Champollion qui ne cherche que les «hadjar-maktoub» (les pierres écrites), comme disent les Arabes. Le soleil levant du 23 nous trouve à Dakkèh, l'ancienne Pselcis 60. Dakkèh est le point le plus méridional où ils rencontrent des travaux exécutés sous les Ptolémées et les empereurs. Ils arrivent à Ghirché-Hussan ou Ghirf-Housseïn le 25 janvier. C'est encore ici, comme à Ibsamboul, à Derri et à Sébouâ, un véritable Rhamesséion ou Rhamséion, c'est-à-dire un monument dû à la munificence de Rhamsès le Grand. La portion construite de l'hémispéos de Ghirché est, à très-peu près, détruite, et la partie excavée dans le rocher, travail immense, a été dégradée avec une espèce de recherche. La soirée du 25 est égayée par un superbe écho découvert par hasard en face de Dandour, où ils viennent d'aborder. Il répète fort distinctement et d'une voix sonore jusqu'à onze syllabes. Les compagnons italiens se plaisent à lui faire redire des vers du Tasse, entremêlés de coups de fusil qu'ils tirent de tous côtés, et auxquels l'écho répond par des coups de canon ou les éclats du tonnerre. La journée du 26 est donnée en partie au petit temple de Dandour. Nous retombons ici dans le moderne ; c'est un ouvrage non achevé du temps de l'empereur Auguste ; mais, quoique peu important par son étendue, ce monument est entièrement relatif à l'incarnation d'osiris, sous forme humaine, sur la terre. Le temple de Kalabschi a son tour le 27 ; c'est ici que Champollion découvre une nouvelle génération de dieux, et qui complète le cercle des formes d'ammon, point de départ et point de réunion de toutes les essences divines. Près de Kalabschi est l'intéressant monument de Bet-Oualli, qui leur prend les journées des 28 - Alexandre entre dans sa 27 ème année sans broncher -, 29, 30 et 31 janvier jusqu'à midi. Là, leurs yeux se sont consolés des sculptures barbares du temple de Kalabschi, qu'on a fait riches parce qu'on ne savait plus les faire belles, en contemplant les bas-reliefs historiques qui décorent ce spéos, d'un fort beau style, et dont ils font des copies complètes. Ces tableaux sont relatifs aux campagnes contre les Arabes et des peuples africains, les Kouschi (les Éthiopiens), et les Schari, qui sont probablement les Bischari d'aujourd'hui ; campagnes de Sésostris dans sa jeunesse et du vivant de son père, comme le dit expressément Diodore de Sicile, qui à cette époque lui fait soumettre, en effet, les Arabes et presque toute la Libye. Mon cher Père Nous voilà donc enfin au terme du voyage, le retour commence ; chaque pas que nous allons faire va donc nous rapprocher, cette idée est consolante, elle doit faire marcher le temps qui ne se meut pas plus, dans ce pays brûlé et aride, que les rochers de granit que nous avons devant les yeux. Que ce retour sera long encore, je t'ai déjà dit qu'il me tardait beaucoup. J'ai parlé à ce sujet avec le Général, bien entendu avec tout les ménagements que je devais prendre avec lui ; il m'a rassuré de tous ses efforts et dit 60 - Lieu saint, dédié à Thoth. 51

52 Au pré de mon arbre qu'il était bien résolu à retourner dans le temps fixé. Donc moi, je l'ai prévenu tout en me félicitant du discours qu'il me tint qui me faisait concevoir l'espérance de ne lui causer aucun désagrément et de retourner avec lui. Je l'ai prévenu qu'une absence prolongée au-delà des termes de notre convention m'était absolument impossible. Je l'ai prié de ne pas me croire à propos de notre conversation, découragé et démoralisé. Nous nous sommes séparés en parfaite intelligence et je suis très content de ma petite affaire car il faut bien peu se fier aux projets et aux promesses du général, c'est un excellent père de famille mais un bien mauvais général. M. Lenormand te remettra cette lettre ; je me suis assez lié avec lui dans ce voyage, je dirai plutôt qu'il s'est lié avec moi ; c'est une petite nuance d'expression que tu comprendras mieux à mon retour quand nous aurons un peu causé du voyage d'égypte. Il a le désir de te connaître et d'exploiter à ton bon plaisir tes connaissances et ta complaisance pour se mettre un peu au courant sur la partie des estampes et l'histoire de la gravure. Si c'est ainsi son idée, mon bon père, je serai bien aise que tu l'accueillisses bien. Je lui dois six cents soixante fr. pour lesquels je lui ai fait une reconnaissance. J'écris à Montfort qui me devait cinq cents fr. en partant pour la Grèce et m'a dit me les pouvoir remettre à son retour de te donner cet argent. Je te prie donc de l'employer à payer M. Lenormand. Cela va-t-il. Il me semble que j'ai montré beaucoup de dettes pendant mes préparatifs de voyage et que j'ai combiné supérieurement, il n'y a que le mouleur mais ma foi ce n'est pas ma faute. Ne m'attache plus mon bon père à une expédition aussi longue. Il y a quelques plaisirs, quelques émotions, mais qu'elles sont payées chèrement ; Cette oisiveté toujours la même, ce pays qui ne change pas et qu'on verrait facilement en six mois, le souvenir de la peinture, ces souvenirs toujours douloureux ; ah voilà de tristes pensées qui me viennent et entre autres mes 27 ans 61 qui ne me surprennent pas au travail, suant, piochant, ne dormant pas pour étudier, car les moments sont précieux. Non, ils me tombent dessus dans une terre d'exil, ou mille beautés pittoresques m'animent à l'étude tandis qu'il faut les négliger, n'en recueillir aucune. Nous sommes bien curieux de nouvelles car nous savons qu'il se passe bien des choses. Mais non, quelles choses se passent. As-tu été à Rouen pendant les vacances ou ma mère, au moment où je t'écris, serait-elle à Paris pour ta fête ; j'y étais aussi de cœur et si vous avez toqué vos verres à la santé du voyageur, nos pensées se seront rencontrées dans l'espace. Le petit coup du dernier venu est bien de lui. Il se trame quelque chose me dis-tu ; je désire que tu n'y sois pour rien de mal, mais je crains toujours. Tu me demandes des détails sur notre manière de voyager et quand je t'en donne tu dois remarquer que c'est toujours pour grogner et pour fronder. Ça n'est pas ma faute, il était très facile de faire mieux les choses, on en a pas eu l'esprit. C'est maladroit mais, après tout, on n'en meurt pas ; ainsi ne t'alarmes pas de mes sorties qui, toutefois, sont loin d'être exagérées. Nous formons une petite flotte qui se compose pour l'instant de 7 voiles mais Lenormand s'en va et me voilà sur le sable puisque j'occupais une place dans sa barque; il n'y a point de place pour moi chez les autres. Comme on l'avait bien prévu et prédit, les provisions manquent : plus de biscuit, plus de fromage, point de farine, nous ne faisons donc plus qu'un repas le soir quand la faim fait échapper quelques petites plaintes qui furent entendues, dieu merci. Maintenant on distribue chaque soir des pièces de viande. Il faudra bien en venir à faire ce qui était tout simple, distribuer à 61 - Alexandre est né le 28 janvier

53 Alexandre Duchesne chaque barque sa portion de farine et un pot de beurre pour faire des crêpes. N'imagine pas, au moins, que ce pays soit dénué de toutes ressources, cela n'est pas et c'est à cause de la facilité avec laquelle on se pouvait pourvoir de tout que l'imprévoyance et le ridicule de toutes nos dispositions de voyage est si irritant. Tous les jours on peut se procurer du lait ; avec du lait, on déjeunerait en Nubie comme à Montreuil ou à Rouen mais M. Ch. est maussade, aujourd'hui, il n'a pas faim et on passe outre ; demain on lui sert dans sa barque une tasse de café au lait, car le drogman, mauvaise canaille de grec, évite soigneusement la mauvaise humeur du général. Ainsi, le Général déjeune et il lui semble que l'expédition n'a plus faim. Une pinte de lait ici coûte cinq centimes. En vérité la bêtise est poussée pour des misères jusqu'à la cochonnerie. J'ai annoncé hier soir à ces Messieurs ce que m'avait répété le Général au sujet du retour qu'il n'a nullement l'intention de reculer, le menteur! Ils ont bondi de joie, et Lhote a hurlé d'une joie furieuse. C'est un bien bon diable qui nous a bien fait rire de ses poltronneries en commençant et de ses manières, mais qui aura beaucoup gagné par le voyage. Je suis bien mécontent. M. Ch. m'a positivement assuré, il y a 2 jours, que nous serions en France avant le terme de nos conventions et je sais aujourd'hui, avec certitude, qu'il est résolu à faire le contraire. La manière avec laquelle je m'étais entretenu avec lui méritait plus de sincérité. Ne cherche pas, mon bon père, à changer mes idées mais rends moi le service que je te demande, et laisse savoir bien clairement à M. Ch. Figeac qu'au 1 er aout je quitte l'expédition. Je ne manque pas d'énergie pour tenir à une résolution prise avec réflexion ; j'ai fait un sacrifice, je le ferai jusqu'au bout mais je ne suis pas capable d'en faire davantage. J'ai fait à Beni Hassan 62 l'épreuve de mes forces morales, une injustice momentanée a culbuté mon tempérament et la dysenterie s'est mise à mes trousses. M. Ch. l'a ignorée. Avec les contrariétés qui l'avaient fait naître le mal s'est dissipé subitement. Au 1 er août, je pars ou je subis toutes les influences d'un climat contre lequel il faut avant tout, pour lui résister, la volonté. Je te le demande, mon père, fais connaître à M. Figeac mes intentions. Il les redira à son frère à qui je les avais fait connaître avant le départ de Lenormand et qui n'a pas voulu m'entendre. Je t'embrasse de cœur. Par quels dédommagements, quelles puissances légères nous paye-t-il du sacrifice pénible, énorme qu'il exige de nous. Une plaisanterie amère nous apprend qu'en Égypte il n'y a ni fête ni vacances. En cinq mois nous n'avons pas trouvé le loisir de faire une seule étude. Les misérables souvenirs que nous avons saisis au vol, ça et là, nous les avons dérobés à un repos nécessaire. Nous aurons passé devant des choses intéressantes, nous les aurons vue sans en jouir un peu, car elles ne nous inspirent que des regrets. Nous n'avons pas un sou, les courts moments de joie que nous avons éprouvés, on ne pouvait nous les ravir car il fallait bien traverser le Caire et passer les cataractes. De l'ennui, des vexations, nous en avons tous les jours Le site de Beni Hassan, à 18 kilomètres au sud de Al -Minya, sur la rive droite du Nil, réunit un ensemble de sépultures princières d a- tant du Moyen-Empire. Précisons que le site est connu pour ses trente -neuf grandes tombes taillées dans la roche et appa rtenant aux hautsfonctionnaires du Moyen Empire. Les tombes les plus célèbres sont celles de Khety et de Khnoumhotep réputées pour leurs scènes militaires et spo r- tives. 53

54 Au pré de mon arbre Cette lettre est datée du 28 février mais, vu qu il évoque son anniversaire, elle doit être de janvier, d autant plus qu il dit «au terme du voyage, le retour commence» ; or, ils ont quitté la 2 ème cataracte le 15 janvier. Le 31, au coucher du soleil, ils sont à Kardâssi ou Kortha, où ils visitent les restes d'un petit temple d'isis, dénué de sculpture, à l'exception d'un basrelief sur un fût de colonne. Ils ont vu, deux heures auparavant, les temples de Tafah (l'ancienne Taphis), également sans sculptures ni inscriptions hiéroglyphiques, mais ils jugent facilement, à leur genre d'architecture, qu'ils appartiennent au temps de la domination romaine. Le 1 er février, vers deux heures après midi, ils sont à Déboud ou Déboudé : Le temple, dédié à Ammon-Ra, seigneur de Tébot (Déboud), et à Hathôr, et subsidiairement à Osiris et à Isis, a été continué, mais non achevé, sous les empereurs Auguste et Tibère. Dans le sanctuaire, encore non sculpté, gisent les débris d'un mauvais naos monolithe, en granit rose, du temps des Ptolémées. Le travail terminé, ils rentrent dans leurs barques, pressés de partir et de profiter du reste de la journée pour arriver à Philae, rentrer ainsi en Égypte, et dire adieu à cette pauvre Nubie, dont la sécheresse a lassé tous les compagnons de voyage ; d'ailleurs, en remettant le pied en Égypte, ils espèrent manger du pain un peu plus supportable que les maigres galettes azymes dont les régalait journellement leur boulanger en chef, tout à fait à la hauteur du gargotier arabe qu'on leur donna au Kaire comme un cuisinier cordon-bleu. C'est à neuf heures du soir qu ils abordent l'île de Philae, rendant grâce à ses antiques divinités de ce que la famine ne les ait pas dévorés entre les deux cataractes. Ils séjournent dans l'île sainte jusqu'au 7 février, terminant les travaux commencés au mois de décembre, et recueillant tous les tableaux mythologiques relatifs à l'histoire et aux attributions d'isis et d'osiris, les dieux principaux de Philae, bas-reliefs qui s'y trouvent en fort grand nombre. Une journée presque entière est consacrée à une petite île voisine de Philae, l'île de Béghé, où la Commission d'égypte indiquait le reste d'un petit édifice égyptien. Ils y trouvent, en effet, quelques colonnes d'un tout petit temple 63 de très-mauvais travail et de l'époque de Philométor. Mais des inscriptions apprirent qu ils étaient dans l'île de Snem : C'était là un des lieux les plus saints de l'égypte, et une île sacrée, but de pèlerinages longtemps avant sa voisine l'île de Philae 64, qui se nommait Manlak en langue égyptienne Le temple de Snem (Béghé) était en effet dédié à Chnouphis et à la déesse Hathôr, et le monument actuel est la seconde édition d'un temple bien plus ancien et plus étendu, bâti sous le règne du Pharaon Aménophis II, successeur de Mœris C'est de là qu'est venu le copte Pilach, l'arabe Bilaq, et le grec Philai, sans que, dans tout cela, il soit le moins du monde question de fil (l'éléphant), comme l'ont prétendu de soi -disant étymologistes. 54

55 Alexandre Duchesne Avant de quitter Philae, Champollion, Duchesne, Lehoux, L Hôte et Bertin, font une partie de plaisir à la cataracte, où ils prirent un modeste repas, assis à l'ombre d'un santh (mimosa fort épineux), le seul arbre du lieu, en face des brisants du Nil, dont le bruissement leur rappela les torrents alpestres. Au retour, ils débarquent en face de Philaee, sur la rive droite du fleuve, pour aller à la chasse des inscriptions dans les rochers de granit qui la couvrent, et du nombre desquels est le roc taillé en forme siège. Ce n'est cependant qu'un rocher comme un autre, avec cette différence qu'il est chargé d'inscriptions fort curieuses, mais qui n'ont aucun rapport avec les dieux de Philae. Les rochers sur la route de Philae à Syène, explorés le 7 février, en portent aussi un très-grand nombre, adressés aux mêmes divinités. Ils rentrent enfin à Syène, quittée en décembre. En attendant que les bagages arrivent de Philae à dos de chameau, et qu'ils disposent de leur nouvelle escadre égyptienne (car ils ont laissé les barques nubiennes à la cataracte, qu'elles ne peuvent franchir), ils revoient les débris du temple de Syène, consacré à Chnouphis et à Saté, sous l'empereur Nerva ; c'est un monument de l'extrême décadence de l'art en Égypte. Ils courent, en bateau, les rochers de granit des environs de Syène, en remontant vers la cataracte, et trouvent l'hommage d'un prince éthiopien à Aménophis III, et à la reine Taïa sa femme ; un acte d'adoration à Chnouphis, le dieu local, pour le salut de Rhamsès le Grand, de ses filles Isénofré, Bathianthi, et de leurs frères Scha-hem-kamé et Mérenphtah ; le prince éthiopien Mémosis, agenouillé et adorant le prénom du roi Aménophis III ; enfin plusieurs proscynéma de simples particuliers ou de fonctionnaires publics, aux divinités de Syène et de la cataracte, Chnouphis, Saté et Anouké. Visitant pour la seconde fois l'île d'éléphantine, qui, tout entière, formerait à peine un parc convenable pour un bon bourgeois de Paris, mais dont certains chronologistes modernes ont voulu toutefois faire un royaume, ils se débarrassent de la vieille dynastie égyptienne des Éléphantins. Les deux temples ont été récemment détruits, pour bâtir une caserne et des magasins à Syène ; ainsi a disparu le petit temple dédié à Chnouphis par le Pharaon Aménophis III. Ne sont debout que les deux montants des portes en granit ayant appartenu à un autre temple de Chnouphis, de Saté et d'anouké, dédié sous Alexandre, fils d'alexandre le Grand. Mais un mauvais mur de quai, de construction romaine, offre les débris, entremêlés et mutilés, de plusieurs des plus curieux édifices d'éléphantine, construits sous les rois Mœris, Mandoueï et Rhamsès le Grand. Dans les restes d'une chambre qui termine l'escalier du quai égyptien, sont copiés plusieurs proscynéma hiéroglyphiques assez curieux, et l'inscription d'une stèle mutilée du Pharaon Mandoueï. Étant allé rejoindre mon escadre, et n'ayant plus rien à voir ni à faire sur l'ancienne limite de l'empire romain, je quittai les rochers granitiques de Syène et d'éléphantine, El-Mélissah (entre Syène et Ombos), le 10 février 1829, Jouant de malheur depuis leur départ de Syène, à laquelle ils ont dit adieu le 8 de ce mois, les voici au 10 loin d'avoir franchi la distance qui les sé- 55

56 Au pré de mon arbre pare d'ombos, où l'on se rend d'assouan en neuf heures par un temps ordinaire ; mais un violent vent du nord souffle sans interruption depuis trois jours, et les fait pirouetter sur les vagues du Nil, enflé comme une petite mer. Ils amarrent, à grand peine, dans le voisinage de Mélissah, où est une carrière de grès sans aucun intérêt, puis se dirigent sur Ombos, et, le 12 février à sept heures du matin, le Nil mugit et le vent a juré de les empêcher d'arriver Mon bon père, nous venons de recevoir quelques lettres, c'est un jour de joie, ils sont rares. La dernière était du 24 8 bre ; tu vois combien de temps nous avons été sans nouvelles. Vous vous portiez bien tous ; cela aura duré j'espère. De notre côté, nous avons peu de malades depuis le commencement du voyage; je dis peu car le Général a eu la goutte à plusieurs reprises et M. Rossellini a éprouvé quelques petites indispositions passagères. Quant aux simples soldats, ils s'ennuient mais ils tiennent bon et se portent parfaitement. Nous avons repassé la première cataracte que nous avons exploité avec une grande précipitation. Il faut te dire pourquoi : cet épisode interrompra peut-être la monotonie de mes lettres qui doivent se ressentir du dégout que j'éprouve : le Pacha, dans ce moment, envoie des troupes au Sénaar 65, leur avant-garde était assez près de Phylée quand nous y étions encore, les généraux s'en alarmèrent au point qu'ils jugèrent convenable de s'en tenir à ce qu'ils avaient recueilli, et vite, et vite, les chameaux transportèrent une partie des effets à travers le désert et l'état-major, le premier comme le plus pressé, armé de sabres, de fusils et monté sur des ânes, se met en marche avant le soleil, le soleil ce jour-là était fort dangereux, il fallait l'éviter. Les farceurs de la compagnie disaient aussi qu'il fallait arriver à Sienne avant les troupes, s'embarquer, et mettre le Nil entre elles et nous. Mais quel contretemps au milieu du chemin ne rencontrent-t-ils par ce qu'ils avaient tant d'envie d'éviter, une centaine de soldats disciplinés à l'européenne qui se rendaient très tranquillement à Phylée. Bertin était en tête à quelque distance, il passa au milieu d'eux sans se douter de sa bravoure, mais M. Champollion, M. Rossellini et tout son monde (ils sont de la même trempe) s'arrêtent stupéfaits, se placent de côté et quittant leurs montures attendent sous les armes que les soldats, inaccoutumés à pareilles manières de la part de seigneurs viennent les regarder sous le nez. Commencent à rire comme des fous, et finissent par faire la charge de vouloir leurs ânes, de les coucher en joue. Nous formions une autre bande : Lehoux, Cherubini et moi nous étions partis plus tard, nous, pour les voir, et nous les rencontrâmes en haut de la cataracte. Nous passâmes au milieu d'eux, nos fusils de chasse en bandoulière, nous visitâmes leur camp. S'ils nous observèrent, ce fut sans doute pour faire la remarque que nous étions les seigneurs et qu'ils avaient rencontré notre suite. Le soir, Bertin, Lehoux, Cherubini et moi, en vérité, nous étions au spectacle ; les Italiens étaient étonnants, l'un leur en avait imposé par sa contenance, l'autre avouait le danger, il avait vu une colonne considérable de soldats. Rosellini, le plus incroyable de tous, le gascon le mieux frappé que j'ai jamais entendu, avait été fort 65 - À partir de la conquête du royaume de Sennaar par Ismaïl P a- cha en 1821, l'histoire de la Nubie se confond avec celle de tout le Soudan égyptien, puis anglo-égyptien. Le Soudan égyptien est le nom par lequel on désignait les possessions égyptiennes du haut Nil divisées par Saïd Pacha en provinces de Dongola, Berber, Taka, Sennaar et Kordofan, éte n- dues par les conquêtes d'ismaïl Pacha jusqu'à F achoda. 56

57 Alexandre Duchesne inquiet, mais il avait heureusement ses pistolets sur lui. Le général est poltron, oh, bien poltron, c'est vrai, mais il a l'esprit, au moins, de ne plus parler de rien quand tout est fini. Sa peur dure encore et il se tait. Je passe bien des choses à M. Champollion parce qu'il est bon patriote, mais ma mémoire vindicative ne perdra pas le souvenir de certains griefs. On nous promet aujourd'hui des améliorations. Thèbes doit être un séjour de délices. Je ne sais pas si quelqu'un a vendu la mèche, si nous nous sommes trahis nous-mêmes, car le général est un rôdeur de nuit, mais il y a du changement. S'il nous a entendu, j'en suis bien aise car nous n'avons rien dit que nous ne fussions fondés à dire, mais je ne m'arrête pas à cette idée. Comme si vraiment nous étions des écoliers, on a toujours cru nous exciter à presser l'ouvrage par l'espoir d'un plus doux avenir. Aujourd'hui, peut-être il entrerait plus de réalité dans leurs promesses ; après certain temps, nous sommes libres et, pour nous retenir, si nous sommes toujours mécontents, comment faire? Dans cette idée peut être nous jouirons désormais d'un peu de liberté et il nous sera permis de faire quelques études. Attendons au fait, tout se fera peut-être encore comme par le passé. Quant à moi, mon bon père, je désire ne pas rester un jour de plus ; j'en ai assez. Je remercie bien ma petite nièce de sa lettre qui est fort gentille. Je l'engage bien à travailler la musique et nous chanterons ensemble à mon retour. Bon Papa fera la basse, n'est-ce pas. J'apprends avec plaisir que tu t'occupais de m'envoyer des couleurs quand ta dernière lettre est partie. Elles doivent être prêt d'arriver. N'ai-je pas oublié de te demander du papier? Il faudra ménager, c'est le papier dessin qui nous manque. Je ne m'attendais pas à faire du paysage mais nous en avons vu quelques-uns qui sont d'un fier caractère. L'aquarelle réduit, elle donne l'effet mais elle ne grandit pas. Je suis content d'apprendre que M. Delaunay fils a obtenu le grand prix, mais la joie de la famille doit être bien troublée par ce que tu m'annonces en finissant ta lettre. L.C. m'a écrit une très longue lettre, elle est très bonne et très amicale. Ce voyage l'avait suffoquée, elle s'y attendait si peu et elle venait en France avec des intentions si affectueuses et libérales pour moi. Elle a été ébranlée de ce départ auquel elle s'opposait de tous ses efforts jusqu'à la fin, mais grâce à toi, mon bon père qui a bien voulu prendre tout sur toi, et fermer les yeux sur quelques manières un peu rudes, je ne perds rien de ses bonnes grâces : quant à son amitié, elle est plus constante que son humeur. Si l'occasion s'en présentait d'ici à mon retour, je te prie de m'acheter les sacrements du Poussin et les grands paysages. Je me décide à cette emplette que je désirais faire depuis bien longtemps. Je veux payer ce qu'il faut payer pour avoir du bon. Tu ne m'as pas reparlé du cabinet Laffitte, tu as dû être content de cette affaire. Tu ne me dis pas non plus un mot des affaires politiques. Cependant les russes n'ont pas été si vite qu'ils le croyaient, nous avons une espèce d'armée d'observation en Morée et le roi devient libéral, dit-on. Il a supprimé 25 préfets et nettoyé un peu le conseil d'état. Ce n'est pas par toi que je sais quel est le grand prix de peinture, qu'on ne sait comment appeler puisqu'il ne va pas à Rome. Depuis que nous avons repassé la cataracte, nous ne formons plus que cinq voiles : les chefs de l'expédition avec le docteur Lhote, le drogman et l'attirail des domestiques occupe la plus grande des barques ; Lehoux, Bertin et moi, Salvador Cherubini et un italien, occupons la seconde, les autres, plus petites, contiennent la cuisine, la force armée et nos moutons. Cette disposition, comme tu vois, nous convient assez ; elle ne nous sépare pas, et nous offre une espèce de retraite contre le bruit et les propos : quelles petites gens que ces toscans, quelles gens à tracasseries, à ruses, ils sont 57

58 Au pré de mon arbre mesquins, méchants, même entre eux et ils veulent toujours avoir un air de grandeur, ils se vantent, ils sont glorieux à en être parfois divertissants. Nous sommes assez bien ensemble parce que nous leur passons tout et que nous les laissons tracasser tout seul. Celui qui se trouve maintenant avec nous est le seul brave garçon de la bande toscane, et il est espagnol naturalisé. Il a été leur dupe cinquante fois ; aujourd'hui, il est heureux au dernier point de partager notre barque ; il y est entré en poussant un de ces soupirs de joie comme lorsque devant un bon sofa on se dispose à s'y reposer. M. Cha. est, au fond, un brave homme peut-être, mais les hiéroglyphes lui changent terriblement le caractère... Voilà deux jours que nous avons quitté Sienne (Essouan) et que nous tâchons d'arriver à Ombos. Mais le vent ne veut pas, il nous souffle en face, le Nil est comme une petite mer et nous avons été obligés de nous arrêter dans un endroit très insignifiant. Je ne sais où M. Champollion compte aller faire la quarantaine, s il veut la faire à Marseille, les toscans n'iront pas jusque là et si l'on ne compte pas sur la quarantaine, comment se feront toutes les copies des dessins, il y en a une masse en arrière et il y en aura bien d'autres après Thèbes. Ce qu'il y a de plus bizarre et de plus vexant pour nous, c'est qu'au lieu de se mettre au courant, ces Messieurs ont fait dessiner un tas de choses inutiles. Ce n'est pas moi qui les juge telles, quoique je me le sois bien permis d'avance. C'est de leur propre aveu. Ceci disent être fort insignifiant mais cela fait masse, il n'y a pas autre chose à faire. Faisons ; cela fait des dessins. Tu conviendras que lorsqu'on s'ennuie à crever, lorsqu'on ne peut trouver aucun attrait comme art dans l'objet de travail auquel on est soumis, il est fichant de savoir qu on pourrait vous en dispenser, que si ce temps ne nous est pas abandonné pour faire quelques étude particulière, il pourrait être consacré à la copie des dessins des différentes commissions, et, ma foi, au moins le voyage serait plutôt fini. Laisse ma colère s'exhaler mon bon père et n'en prend rien pour toi ; quoique tu m'aies poussé à ce voyage, je sais trop avec quels soins affectueux tu as toujours agi dans mon intérêt pour jamais sentir la moindre humeur du parti que tu m'auras fait prendre. Mais je te parle à cœur trop dégagé pour contenir et concentrer en moi un ennui qui me serre le cœur si cruellement. Je ne puis en parler qu'avec toi et je t'avoue que cette expansion me soulage. Je t'écris du 11 février ; ta dernière lettre est du 24 octobre ; tu vois quel temps elles sont en route. Notre voyage se fait sans aucune fatigue, tout est mal dirigé mais, au fait, nous ne souffrons pas, la seule privation que nous éprouvions et dont nous nous plaignons, du moins les ingambes tels que Bertin et Lehoux, c'est le manque d'exercice. Je suis quelquefois très fatigué d'être toujours accroupi ou couché. La marche nous manque, et quand nous pouvons en faire une bonne, quoique à travers un sable dans lequel on avance très peu, nous nous sentons revivre. Je pense que mes lettres sont pour ma mère et pour Cécile, ainsi que pour toi ; je les embrasse toute les deux de tout mon cœur, et toi, mon bon père. J ai pris le temps de faire quelques croquis un peu plus satisfaisants que les misérables niaiseries que t'a rapporté M. Lenormand. Je te prie, si tu le vois, de me rappeler à son souvenir. N'oublie pas de le remercier pour l'attention qu'il a eu de m'envoyer du tabac dans la détresse. J'espère qu'il a été satisfait de tout à son retour. Mais, je le crois bien heureux ne fusse que d'être à Paris! Il commençait à être pressé. Je te prie de faire mes amitiés à Montfort 66, à Belanger, à Jamar Antoine-Alphonse Montfort ( ) devint dès 1816 l élève d Horace Vernet et entre en 1820 dans l atelier de Baron Gros (qu avait 58

59 Alexandre Duchesne 15 février. Nous avons pu enfin arriver à Ombos. Le vent a continué avec violence et nous a rendu le travail très difficile et ennuyeux. Enfin nous avons repris notre route, il fait froid : c'est à dire que nous avons 5 degrés au dessus de zéro et je grelotte ; il est vrai que je suis toujours en caleçon. Marin 68 est donc revenu de Russie, et il est content ; qu'a-t-il fait en apprenant que j'étais encore en voyage? Je te prie de lui faire bien des amitiés pour moi. Je te prie de passer de temps en temps chez les Giault 69 pour leur réchauffer la mémoire et aussi lorsque tu verras M. Bruzai de lui rappeler qu'il me doit bien une pièce pour le Géricault que je lui ai donné. Je t'envoie une lettre pour M. Dacier. Si tu la juges convenable, tu la lui remettra. Je te prie encore de te procurer par Jamar ou Monfort les mains que j'ai fait mouler. Si le mouleur a pris le parti de les vendre à son compte, leur modèle sont à moi, je les ai payés, je voudrais les avoir aussi avant qu'ils ne soient fatigués. Les creux seuls peuvent appartenir au mouleur puisqu'il n'a pas voulu finir à temps pour que je les lui paye. Il y en a 4 que j'ai payés avec un col moulé sur moi et que j'ai vingt-neuf francs. Près de Silsilis février 1829 En public, Alexandre se dit enthousiaste! (12 février 1829) Monsieur Monsieur Dacier Monsieur, Une lettre que je reçois de mon père après une longue attente me donne de votre santé des nouvelles dont je me réjouis de tout mon cœur ; une seconde, je l'espère ne m'en donnera que de meilleures encore. Notre voyage, jusqu'ici, s'est fait sans la moindre difficulté et nous pouvons nous regarder comme à la moitié de l'entreprise : M. Champollion l'achèvera, j'espère, à son entière satisfaction et je serai très content d'avoir, par mes efforts, contribué, pour une petite partie, au succès de son voyage. Je m'était fait d'avance une idée très avantageuse et brillante de ce pays ; je n'ai pas été désappointé : Alexandrie, le Kaire, les temples ruinés de Thèbes et les montagnes de la Nubie m'ont causé une admiration profonde, peut être leur souvenir me laissera-t-il fréquenté Alexandre Duchesne). Il fréquenta Géricault dont il aimait les conseils. Il visite la Grèce, l'égypte et la Syrie en ; il s embarque à Toulon le 4 décembre 1836 en compagnie de son ami Lehoux pour un s e- cond voyage au Proche-Orient en jusqu'à la Mer Rouge Probablement Louis Alexis Jamar ( ) ; il a fait le portrait de Géricault avec qui il entretenait, dit-on, une relation très intime Gustave-Euphranor Marin-Darbel est le condisciple d'alexandre au lycée de Versailles (et vice -versa) ; Il épousera en 1843 Caroline Cécile Beaumont, nièce d'alexandre Est-ce Géricault? 70 - Silsilis - Montagne d'égypte réputée pour ses carrières (auj. Djebel el-silsilèh) sur la rive droite du Nil, resserré en un défilé que ga r- dait autrefois le fort de Silsilis, entre Kom -Ombo et Edfou. C'était un des centres du culte du Nil, et Ramsès II y érigea un temple où le fleuve était vénéré sous l'emblème d'un crocodile. 59

60 Au pré de mon arbre aussi de vifs regrets car nous avons passé devant les plus belles choses, pour moi, sans que j'en puisse faire aucune étude un peu digne. Les hiéroglyphes offrent peu d'intérêt à la peinture, mais les ressources qu'elle trouverait en ce pays sont immenses, et se présentent à chaque pas. L'Égypte n'est effectivement qu'un long boyau de terre habitable à travers les déserts de l'afrique, des montagnes de grès ou de granit, des plaines de sable, de temps en temps quelques bosquets de palmiers, voilà toute la récréation des yeux qu'une lumière incompréhensible éblouit et fatigue. Mais le ciel dont les teintes admirables se réfléchissent dans la limpidité des ombres joue un rôle très important dans le paysage qui est souvent plein d'un caractère sublime et d'une poésie profonde : c'est la grandeur des masses et la simplicité des moyens qu'il faudrait chercher à en rendre la couleur. Je me laisse aller Monsieur à vous parler avec un enthousiasme que je ne puis vous faire partager de ce que mes yeux ne se lassent pas de voir ; ne faisant plus de peinture, je me console en en parlant. Nous avons repassé la première cataracte, mais un vent contraire très violent nous empêche de descendre et d'arriver à Ombos 71. Nous sommes mystifiés depuis plus de cinq jours de cette manière. Hier, le ciel était parsemé de nuages argentins et légers ; cela m'a rappelé notre bonne France, un beau jour de printemps. Enfin, Monsieur, malgré les beautés de la fertile Égypte, malgré ses habitants pittoresques et son ciel toujours pur, il me tarde de revoir notre beau pays. J'appelle de tous mes vœux le jour où je mettrai le pied sur l'humide pavé de Paris et où je pourrai vous témoigner, de vive voix, Monsieur, ma considération et mes sentiments très respectueux. Je vous prie d'en agréer l'assurance profonde et de me rappeler au souvenir de M. et M me Dacier. Alexandre Duchesne 12 février 1829 Partis d'ombos le 17 février, ils arrivent, à cause de l'impéritie du réis de la grande barque et de la mollesse des rameurs, que le 18 au soir à Ghébel- Selséléh (Silsilis), vastes carrières où, en cinq jours, ils font une ample récolte. C'est sur la rive gauche qu'on trouve les monuments les plus remarquables. Les deux rives du Nil, resserré par des montagnes d'un très-beau grès, ont été exploitées par les anciens Égyptiens, et le voyageur est effrayé s'il considère, en parcourant les carrières, l'immense quantité de pierres qu'on a dû en tirer pour produire les galeries à ciel ouvert et les vastes espaces excavés qu'il se lasse de parcourir. On rencontre d'abord, en venant du côté de Syène, trois chapelles taillées dans le roc et presque contiguës. Toutes trois appartiennent à la belle époque pharaonique, et se ressemblent soit pour le plan et la distribution, soit pour toute la décoration intérieure et extérieure ; toutes s'ouvrent par deux colonnes formées de boutons de lotus tronqués. Le plus important des monuments de Silsilis est un grand spéos, ou édifice creusé dans la montagne, et plus singulier encore par la variété des époques des bas-reliefs qui le décorent. Il existe enfin à Silsilis des stèles semblables relatives à quelques autres rois de la XVIII e et de la XIX e dynastie. Enfin, il est naturel de croire que les matériaux des temples d'edfou et d'esné viennent en grande partie de ces mêmes carrières. Le 24 février au matin, ils courent le portique et les colonnades d'edfou (Apollonopolis Magna). Ce monument, imposant par sa masse, porte cependant 71 - Le temple de Kôm Ombo est situé à 165 km au sud de Louxor, 60

61 Alexandre Duchesne l'empreinte de la décadence de l'art égyptien sous les Ptolémées, au règne desquels il appartient tout entier ; ce n'est plus la simplicité antique ; on y remarque une recherche et une profusion d'ornements bien maladroites, et qui marquent la transition entre la noble gravité des monuments pharaoniques et le papillotage 72 fatigant et de si mauvais goût du temple d'esnéh, construit du temps des empereurs. Champollion fait dessiner aussi une série de quatorze bas-reliefs de l'intérieur du pronaos, représentant le lever du dieu Har-Hat, identifié avec le soleil, son coucher et ses formes symboliques à chacune des douze heures du jour, avec les noms de ces heures. Ce recueil est du plus grand intérêt pour l'intelligence de la petite portion des mythes égyptiens véritablement relative à l'astronomie. Le second édifice d'edfou, dit le Typhonium, est un de ces petits temples nommés mammisi (lieu d'accouchement), que l'on construisait toujours à côté de tous les grands temples où une Triade était adorée ; c'était l'image de la demeure céleste où la déesse avait enfanté le troisième personnage de la Triade, qui est toujours figuré sous la forme d'un jeune enfant. Le mammisi d'edfou représente en effet l'enfance et l'éducation du jeune Har-Sont-Tho, fils d'har-hat et d'hathôr, auquel la flatterie a associé Évergète II, représenté aussi comme un enfant et partageant les caresses que les dieux de tous les ordres prodiguent au nouveau-né d'har-hat. Les travaux terminés à Edfou, ils vont reposer leurs yeux, fatigués des mauvais hiéroglyphes et des pitoyables sculptures égyptiennes du temps des Lagides, dans les tombeaux d'éléthya (El-Kab), où ils arrivent le samedi 28 février, accueillis par la pluie, qui tombe par torrents avec tonnerre et éclairs, pendant la nuit du 1 er au 2 mars. Les Barbares ont détruit depuis quelques mois ce qui restait des deux temples intérieurs 73, et le temple entier 74 situé hors de la ville. Il leur a fallu se contenter d'examiner une à une les pierres oubliées par les dévastateurs et sur lesquelles il restait quelques sculptures. Les tombeaux ou hypogées creusés dans la chaîne arabique voisine de la ville, remontent pour la plupart à une antiquité reculée. Le premier qu ils visitent est celui dont la Commission d'égypte a publié les bas-reliefs peints, relatifs aux travaux agricoles, à la pêche et à la navigation. Ce tombeau a été creusé pour la famille d'un hiérogrammate nommé Phapé, attaché au collège des 72 - Effet de ce qui éblouit et fatigue les yeux par des lumières, par des couleurs également vives Construits et décorés sous le règne de la reine Amensé, sous celui de son fils Thouthmosis III (Mœris), et sous les Pharaons Aménophis - Memnon et Rhamsès le Grand. Les rois Amyrtée et Achoris, deux des de r- niers princes de race égyptienne, avaient réparé ces antiques éd ifices, et y avaient ajouté quelques constructions nouvelles Le temple d'éléthya, dédié à Sévek (Saturne) et à Sowan (L u- cine), appartenait à diverses époques pharaoniques. Le temple à l'extérieur de la ville est dû au règne de Mœris. 61

62 Au pré de mon arbre prêtres d'éléthya (Sowan-Kah). Champollion fait dessiner plusieurs bas-reliefs inédits de ce tombeau, et lui-même copie toutes les légendes des scènes agricoles et autres, publiées assez négligemment. Ce tombeau est d'une très-haute antiquité. Un second hypogée, celui d'un grand-prêtre de la déesse Ilithya ou Éléthya (Sowan), la déesse éponyme de la ville de ce nom, porte la date du règne de Rhamsès-Meïamoun ; il présente une foule de détails de famille et quelques scènes d'agriculture en très-mauvais état. Champollion y remarque, entre autres faits, le foulage ou battage des gerbes de blé par les bœufs, et audessus de la scène on lit, en hiéroglyphes presque tous phonétiques, la chanson que le conducteur du foulage est censé chanter, car dans la vieille Égypte, comme dans celle d'aujourd'hui, tout se faisait en chantant, et chaque genre de travail a sa chanson particulière. Voici celle du battage des grains, en cinq lignes, sorte d'allocution adressée aux bœufs : Battez pour vous (bis), ô bœufs, Battez pour vous (bis), Des boisseaux pour vos maîtres. Elle paraît fort curieuse quand elle fait constater l'antiquité du bis qui est écrit à la fin de la première et de la troisième ligne. Le tombeau voisin de celui-ci est plus intéressant encore sous le rapport historique. C'était celui d'un nommé Ahmosis, fils de Obschné, chef des mariniers, ou plutôt des nautoniers : c'était un grand personnage. Champollion copie dans son hypogée ce qui reste d'une inscription de plus de trente colonnes, dans laquelle cet Ahmosis adresse la parole à tous les individus présents et futurs, et leur raconte son histoire que voici : Après avoir exposé qu'un de ses ancêtres tenait un rang distingué parmi les serviteurs d'un ancien roi de la XVI e dynastie, il nous apprend qu'il est entré lui-même dans la carrière nautique dans les jours du roi Ahmosis (le dernier de la XVII e dynastie légitime) ; qu'il est allé rejoindre le roi à Tanis ; qu'il a pris part aux guerres de ce temps, où il a servi sur l'eau ; qu'il a ensuite combattu dans le Midi, où il a fait des prisonniers de sa main ; que, dans les guerres de l'an VI du même Pharaon, il a pris un riche butin sur les ennemis ; qu'il a suivi le roi Ahmosis lorsqu'il est monté par eau en Éthiopie pour lui imposer des tributs ; qu'il se distingua dans la guerre qui s'ensuivit ; et qu'enfin il a commandé des bâtiments sous le roi Thouthmosis I er. C'est là, sans aucun doute, le tombeau d'un de ces braves qui, sous le Pharaon Ahmosis, ont presque achevé l'expulsion des Pasteurs et délivré l'égypte des Barbares. Pour ne pas trop allonger l'article d'éléthya, nous terminerons par l'indication d'un tombeau presque ruiné ; il leur a fait connaître quatre générations de grands personnages du pays, qui l'ont gouverné sous le titre Soutensi de Sowan (princes d'éléthya), durant les règnes des cinq premiers rois de la XVIII e dynastie, savoir : Aménothph I er (Aménoftep), Thouthmosis I er, Thouthmosis II, Amensé et Thouthmosis III (Mœris), auprès desquels ils tenaient un rang élevé dans leur service personnel, ainsi que dans celui des reines Ahmosis-Ataré et Ahmosis, femmes des deux premiers rois nommés, et de Ranofré, fille de la reine Amensé et sœur de Mœris. Tous ces personnages royaux sont successive- 62

63 Alexandre Duchesne ment nommés dans les inscriptions de l'hypogée, et forment ainsi un supplément et une confirmation précieuse de la Table d'abydos. Le 3 mars, au matin, ils arrivent à Esnéh, où ils sont très-gracieusement accueillis par Ibrahim-Bey, le mamour ou gouverneur de la province ; avec son aide, il leur est permis d'étudier le grand temple d'esnéh, encombré de coton, et qui, servant de magasin général de cette production, a été crépi de limon du Nil, surtout à l'extérieur. On a également fermé avec des murs de boue l'intervalle qui existe entre le premier rang de colonnes du pronaos, de sorte que leur travail a dû se faire souvent une chandelle à la main, ou avec le secours de leurs échelles, afin de voir les bas-reliefs de plus près. Ainsi donc, l'antiquité du pronaos d'esnéh est incontestablement fixée ; sa construction ne remonte pas au delà de l'empereur Claude, et ses sculptures descendent jusqu'à Caracalla, et du nombre de celles-ci est le fameux zodiaque dont on a tant parlé. Ce qui reste du naos, c'est-à-dire le mur du fond du pronaos, est de l'époque de Ptolémée Épiphane, et cela encore est d'hier, comparativement à ce qu'on croyait. Cependant, que les amis de l'antiquité des monuments de l'égypte se consolent : Latopolis ou plutôt Esné (car ce nom se lit en hiéroglyphes sur toutes les colonnes et sur tous les bas-reliefs du temple) n'était point un village aux grandes époques pharaoniques ; c'était une ville importante, ornée de beaux monuments. C'est aux mêmes divinités qu'était dédié le temple situé au nord d'esnéh, dans une magnifique plaine, jadis cultivée, mais aujourd'hui hérissée de broussailles qui leur déchirèrent les jambes, lorsque, le 6 mars au soir, ils le visitèrent, en faisant à pied une très-longue course du Nil aux ruines, qu ils trouvent tout nouvellement dévastées ; ce temple n'est plus tel que la Commission d'égypte l'a laissé ; il n'en subsiste plus qu'une seule colonne, un petit pan de mur et le soubassement presque à fleur de terre. Le 7 mars au matin, ils font une course pédestre dans l'intérieur des terres, pour voir ce qui restait encore des ruines de la vieille Tuphium, aujourd'hui Taôud, située sur la rive droite du fleuve, mais dans le voisinage de la chaîne arabique et tout près d'hermonthis, qui est sur la rive opposée. Là existent deux ou trois salles d'un petit temple, habitées par des fellahs ou par leurs bestiaux. Dans la plus grande subsistent encore quelques bas-reliefs qui donnent le mythe du temple : on y adorait la Triade formée de Mandou, de la déesse Ritho et de leur fils Harphré, celle même du temple d'hermonthis, capitale du nome 75 auquel appartenait la ville de Tuphium. À midi ils sont à Hermonthis et y passent encore quelques heures pour copier quelques bas-reliefs et des légendes hiéroglyphiques qui devaient compléter leur travail sur Erment, commencé à leur premier passage au mois de novembre dernier. Ce temple n'est encore qu'un mammisi ou eimisi consacré à 75 - Subdivisions administratives qui désignent les différentes pr o- vinces de l Égypte antique. 63

64 Au pré de mon arbre l'accouchement de la déesse Ritho, construit et sculpté, comme le prouvent tous ses bas-reliefs, en commémoration de la reine Cléopâtre, fille d'aulétès, lorsqu'elle mit au monde Césarion, fils de Jules César, lequel voulut être le Mandou de la nouvelle déesse Ritho, comme Césarion en fut l'harphré. Du reste, c'était assez l'usage du dictateur romain de chercher à compléter la Triade, lorsqu'il rencontrait surtout des reines qui, comme Cléopâtre, avaient en elles quelque chose de divin, sans dédaigner pour cela les joies terrestres. Une courte distance les sépare de Thèbes, et leurs cœurs sont gros de revoir ses ruines imposantes : les estomacs se mettent aussi de la partie, puisqu'on parlait d'une barque de provisions fraîches, arrivée à Louqsor, à leur adresse. C'était encore une courtoisie de notre digne consul général, M. Drovetti, et nous avions hâte d'en profiter. Mais un vent du nord, d'une violence extrême, les arrête pendant la nuit entre Hermonthis et Thèbes, où ils ne furent rendus que le lendemain matin 8 mars, d'assez bonne heure. Notre petite escadre aborde au pied du quai antique déchaussé par le Nil, et qui ne pourra longtemps encore défendre le palais de Louqsor, dont les dernières colonnes touchent presque aux bords du fleuve. Ce quai est évidemment de deux époques ; le quai égyptien primitif est en grandes briques cuites, liées par un ciment d'une dureté extrême, et ses ruines forment d'énormes blocs de 15 à 18 pieds de large et de 25 à 30 de longueur, semblables à des rochers inclinés sur le fleuve au milieu duquel ils s'avancent. Le quai en pierres de grès est d'une époque très-postérieure, avec des pierres portant encore des fragments de sculptures du style des bas temps, et provenant d'édifices démolis. Ils amarrent leurs barques à Thèbes, au pied des colonnades du palais de Louqsor. Ils profitent des barques parce que ce magnifique palais n offre aucun local commode ni assez propre pour y établir leur ménage, obstrué qu il est par des cahuttes de fellahs qui masquent et défigurent ses beaux portiques, sans parler de la chétive maison d'un bim-bachi 76, juchée sur la plate-forme violemment percée à coups de pic, pour donner passage aux balayures du Turc. C'est devant le pylône nord du Rhamséion de Louqsor que s'élèvent les deux célèbres obélisques de granit rose, d'un travail si pur et d'une si belle conservation. Ces deux masses énormes, véritables joyaux de plus de 70 pieds de hauteur, ont été érigées à cette place par Rhamsès le Grand, qui a voulu en décorer son Rhamesséion, comme cela est dit textuellement dans l'inscription hiéroglyphique de l'obélisque de gauche, face nord, colonne médiale, que voici : «Le Seigneur du monde, Soleil gardien de la vérité (ou justice), approuvé par Phré, a fait exécuter cet édifice en l'honneur de son père Ammon-Ra, et il lui a érigé ces deux grands obélisques de pierre, devant le Rhamesséion de la ville d'ammon.». Champollion possède des copies exactes de ces deux beaux monolithes ; il les a prises avec un soin extrême, en corrigeant les erreurs des gravures déjà connues, et en les complétant par les fouilles faites jusqu'à la base des obélisques. Malheureusement il est impossible d'avoir la fin de la face est de 76 - Officier turc 64

65 Alexandre Duchesne l'obélisque de droite, et de la face ouest de l'obélisque de gauche : il aurait fallu abattre pour cela quelques maisons de terre et faire déménager plusieurs pauvres familles de fellahs. Le travail sur Louqsor terminé (à très-peu près), ils changent de rive le 23, et après avoir envoyé leurs gros bagages à une maison de Kourna, qu a laissée un très-brave et excellent homme nommé Piccinini, agent de M. d'anastasy à Thèbes, ils prennent tous la route de la vallée de Biban-el-Molouk, où sont les tombeaux des rois de la XVIII e et de la XIX e dynastie. Cette vallée étant étroite, pierreuse, circonscrite par des montagnes assez élevées et dénuées de toute espèce de végétation, la chaleur doit y être insupportable aux mois de mai, juin et juillet ; il importe donc d'exploiter cette riche et inépuisable mine à une époque où l'atmosphère, quoique déjà fort échauffée, est cependant encore supportable. La caravane s'y établit le jour même, et elle occupe le meilleur logement et le plus magnifique qu'il soit possible de trouver en Égypte. C'est le roi Rhamsès (le quatrième de la XIX e dynastie) qui lui donne l'hospitalité, car ils habitent tous son magnifique tombeau 77. Cet hypogée, d'une admirable conservation, reçoit assez d'air et assez de lumière pour qu ils soient logés à merveille ; ils occupent les trois premières salles qui forment une longueur de 65 pas ; les parois, de 15 à 20 pieds de hauteur, et les plafonds, sont tout couverts de sculptures peintes, dont les couleurs conservent presque tout leur éclat ; c'est une véritable habitation de prince, à l'inconvénient près de l'enfilade des pièces ; le sol est couvert en entier de nattes et de roseaux ; enfin, les deux kaouas (leurs gardes du corps) et les domestiques couchent dans deux tentes dressées à l'entrée du tombeau. Tel est leur établissement dans la vallée des Rois, véritable séjour de la mort, puisqu'on n'y trouve ni un brin d'herbe, ni êtres vivants, à l'exception des chacals et des hyènes qui, l'avant-dernière nuit, ont dévoré, à cent pas de leur palais, l'âne qui avait porté le domestique barabra Mohammed, pendant le temps que l'ânier passait agréablement sa nuit de Ramadhan dans la cuisine, qui est établie dans un tombeau royal totalement ruiné. Mais en voilà assez sur le ménage. Commencent les fouilles à Karnac et à Kourna. Champollion réunit dixhuit momies de tout genre et de toute espèce, mais il n'emportera que les plus remarquables, et surtout les momies gréco-égyptiennes, portant à la fois des inscriptions grecques et des légendes démotiques et hiératiques. Tous les bronzes qui proviennent des fouilles de Karnac, et tirés des maisons mêmes de la vieille Thèbes, à quinze ou vingt pieds au-dessous du niveau de la plaine, sont dans un état d'oxydation complet, ce qui ne permet pas d'en tirer parti. Le nommé Timsah (le crocodile), ancien chef fouilleur de M. Drovetti, est mis à la tête des excavations sur la rive orientale ; paraît être un homme adroit et qui ne manque pas de donner de grandes espérances Le second à droite en entrant dans la vallée de Biban -el- Molouk 65

66 Au pré de mon arbre Quarante hommes sont en train, et Champollion ne sait si les produits compenseront les dépenses, et si son budget pourra les supporter. Il a aussi trente-six hommes qui fouillent à Kourna de compte à demi avec Rosellini. Il est évident qu il ne peut songer à emporter les pièces qui manquent au Musée royal parce que le transport seul jusqu'à Alexandrie épuiserait ses finances et de beaucoup. L expédition franco-toscane à Thèbes (Musée de Florence) Certains attribue à Duchesne la place de Cherubini, au premier plan. A comparer au tableau de l'atelier d'horace Vernet. Alexandre Duchesne souffre de promiscuité : 31 mars 1829 Thèbes Je commence cette lettre après une journée fatigante ; nous sommes en train d'exploiter les tombeaux de babel Moulouk 78. M. Ch. m'a chargé de faire un dessin colorié d'un 78 - Correspond à la Vallée des Rois : Son nom arabe de Biban el- Moulouk traduction de l'ancien nom égyptien Biban-Ou-rôou signifie «les portes des rois» en référence aux portes qui fermaient jadis les tombeaux.. Les hypogées royaux de Bab el-moulouk sont le Saint-Denis des Ramsessides. Découverts en 1815 par Belzoni, ils ont été étudiés tout d abord par Champollion et Rosellini, qui en ont copié partiellement les inscriptions ; Champollion leur consacra, sans épuiser le sujet, un quart de ses notices ; il constate que les Égyptiens anciens ont voulu tout simpl e- ment représenter les habitants de l'égypte et ceux des contrées étrangères en les hiérarchisant en fonction de leur degrés de civilisation : ainsi les Égyptiens et les Nubiens sont représentés de façon identique ; puis vie n- 66

67 Alexandre Duchesne morceau très remarquable pour sa conservation par la fraîcheur et l'entente des couleurs. Je désire qu'on ne puisse pas le refaire après moi et je m'y applique en conséquence. La chaleur est grande et nous attendons le vent du sud, ce fameux Kamesîn. Du reste, nous nous sommes fait une habitation commode et surtout très propre dans un tombeau dont la température est très supportable. Nous sommes cette fois tous réunis. Je regrette la liberté dont j'avais joui jusqu'à présent de me retirer le soir : notre barque avait toujours été le lieu de repos ; de temps en temps nous y recevions la visite de quelque affligé qui, dans le calme de notre petite société, venait se refaire un instant de la contrainte et de l'ennui. Il régnait dans notre asile une précieuse liberté, une harmonie constante, il semblait qu'on y respira un air plus pur, ces biens inappréciables l'avaient fait surnommer le Sanctuaire de la paix. Là, pourtant, point de ces douceurs dont s'environnent les grands, point de serviteurs, point de petits verres de rhum, de petites omelettes. Le matin, souvent, même point de déjeuner. Nous attendons depuis 15 jours une barque chargée de provisions achetées à Alexandrie. Je voudrais bien qu'elle m'apporta de l'argent. J'ai 28 sols dans ma bourse et je dois un Talari 79 ; tu vois quelle est ma détresse. Qu'il me tarde, mon Dieu, d'être à Paris, de tenir ma palette. Il était question hier entre M. Rossellini et M. Ch. de prendre un parti relativement au départ. M. Rossellini prétendait qu'au train dont nous allions et dont nous avions été jusqu'à ce jour, il n'y avait nulle probabilité d'être prêts au mois d'octobre. M. Ch., dans des circonstances de cette nature, ne doute jamais de rien. Il est trop malin, du moins pour le dire : il y a un mois, nous n'étions pas encore à Thèbes, on récapitulait alors les travaux qu'on aurait à y faire, et M. Ch., toujours dans le même système, était embarrassé pour trouver 30 dessins à faire dans les tombeaux. En quittant Luxor, où nous ne devions pas être retenu plus de 3 ou 4 jours, et où nous en restâmes 15, il nous fut recommandé à satiété de préparer seulement un petit paquet de linge pour deux semaines ou plus. Aujourd'hui, nous avons passé bien au-delà les 30 dessins et il est hautement dit que nous en avons encore pour deux mois peut-être. Je suis convaincu que M. Ch. passera l'hiver ici, il fera bien. Mais il sait bien que cela ne peut que nous désoler. Si, jusqu'à présent, nous avions pu recueillir quelques bonnes études, ce serait une excellente raison pour nous consoler, mais nous avons fait 300 dessins inutiles sur 1500 à peu près. Ils font masse, il est vrai ; et nos livres à nous sont à peine garnis de quelques misérables aquarelles. Partir, pour moi, était une erreur, rester serait une bêtise. Je rêvais d'italie, cet espoir m'était permis ; quel voyage entreprendrai-je après 30 ans ; après 30 ans, il ne faut plus compter faire des études, il faut savoir. J'approche furieusement de l'époque, il faut en convenir. Le pays de Thèbes est peut-être la plus belle chose du monde. Je le vois sans plaisir, moi qui en d'autres circonstances aurait senti une jouissance si vive à contempler une nature si grande, ces monuments imposants, cet ensemble si beau, si poétique ; je me contrains, je m'excite au travail, je ne veux pas avoir à me reprocher quelque chose, mais l'insuffisance de mes études m'en dégoûte ; rien, rien, ne parle à mon cœur ou plutôt une réflexion pénible étouffe jusqu'au même moment l'enthousiasme que l'admiration y fait naître. nent les Sémites et les Asiatiques ; enfin les Européens qui, à ce tte époque reculée, avouons-le, faisaient piètre figure dans ce monde. 79 -Le singulier de talaris est talaro. 67

68 Au pré de mon arbre Hier, plus fatigué qu'à l'ordinaire d'un travail aussi impatientant qu'appliqué, je cessai de meilleur heure et je gravis avec assez de difficulté la plus haute des montagnes qui nous environnent ; j'avais de mauvaises savates turques percées de tous côtés ; de plus, ignorant encore les environs, j'attaquai la montagne par le plus mauvais chemin. Après une bonne heure j'arrivais au sommet, j'étais en nage. Le soleil commençait à descendre, je me trouvais là à un panorama bien extraordinaire, d'un côté la plaine couverte des monuments ça et là dispersés de Karnac, de Luxor dont la colonnade se réfléchissait dans le Nil, de Medinet Abou 80. De l'eau, de la verdure enfin tout ce qui compose un paysage à la fois grand et agréable, de l'autre des gorges profondes, avec une apparence de désordre étonnante, un bouleversement monstrueux, pas une bruyère, pas un brin de terre, le fond même de ces ravins est de calcaire. En cent endroit, les montagnes sont fendues dans toute leur profondeur ou se sont déjà écroulées ; ces éboulements font de magnifiques mouvements de terrains et tout est d'une couleur magnifique. Ce calcaire d'un ton clair et doré est susceptible de recevoir la lumière qui y devient éclatant et des ombres transparentes aussi belles que la couleur du ciel. C'est dans une de ces gorges sauvages, vraiment marquée d'un caractère de désolation, que les Égyptiens ont placé les tombeaux de leurs rois. Ces demeures, on peut en juger encore, étaient décorées avec une magnificence pompeuse, j'ajouterai avec une patience incroyable. Il reste, malgré la brutalité des arabes qui s'y promènent et y habitent sitôt qu'un Européen arrive pour les visiter, il reste, dis -je, dans quelques uns d'entre eux, des vestiges considérables de ces décorations, peintures insignifiantes comme art mais brillantes et bien entendues pour l'effet des couleurs. Dans le tombeau découvert par Belzoni, elles sont aussi fraîches que si elles eussent été faites il y a 20 ans. Et pourtant nous avons reconnu des mortiers endommagés beaucoup seulement depuis notre premier passage. J'admire la conservation de ces vieilles choses, le temps les a respectées, j'en fais autant mais c'est bien ennuyeux. Tous ces italiens sont des gens bien extraordinairement organisés, intrigants par habitude, ils ont l'esprit tellement contourné, leur imagination est tellement chargée de machination et de duplicité que le soupçon de les quitte jamais. Ils se méfient de tous, ils se soutiennent entre eux dans l'occasion, ils se rallient un moment et se déchirent sitôt qu'un petit intérêt particulier s'établit qui les divise, ils se jettent alors dans les bras de ceux contre lesquels, la veille, ils ourdissaient avec une activité mystérieuse et retournent bientôt à leurs complots car il n'y a dans leurs idées aucune fixité. Il semble qu'ils soient poussés par une puissance infernale, qu'ils flottent incertains entre mille pensées funestes, ils ne savent que faire, qu'inventer, surtout le repos leur pèse et la droiture ne peut les retenir. Ainsi, ils commencent par de petites cabales et ne peuvent imaginer que les autres n'en fassent autant de leur côté. Ils se montent la tête, à des riens, des misères ils croient reconnaître une intrigue, et partent de là pour se trouver en droit de redoubler d'iniquité. Un d'eux s'est persuadé, aujourd'hui, que les gens de M. Ch. voulaient empêcher les arabes d'apporter à M. R. les antiquités qu'ils découvrent chaque jour dans la terre ; il s'est emporté, et l'accusant hautement sur une simple prévention, est allé jusqu'à le frapper. Un bruit s'était répandu qu'un de ces marchands de scarabées avait été arrêté avec violence par un de nos domestiques qui voulait le forcer à vendre à son maître des colliers et autres petits objets qu'il tenait dans un petit sac. Gaétano Rossellini, l'oncle du professeur, fit là-dessus les plus fameux ragots ; sa fureur s'alluma à un point terrible et il en vint à la belle promesse que je t'ai racontée... qu'il était celui qui avait 80 - Médinet Habou, est sur la rive ouest du Nil, en face de Thèbes. 68

69 Alexandre Duchesne menacé l'arabe et l'avait frappé? Précisément, le domestique de M. Rossellini. Et qui l'avait poussé à ces actes, qui l'avait fait se trouver sur la montagne au passage de ce marchand qui, la veille, avait dit qu'il viendrait apporter ses petites choses le lendemain matin. Voilà ce qui ne s'explique pas positivement mais ce que bien des circonstances et des antécédents rendent assez suspect et scabreux pour l'honneur des beaux parleurs ultramontains. Nous avons eu ce soir la visite d'une troupe d'almées, grosses et vilaines Bayadères exécutant, au son criard d'un instrument à cordes et au bruit des tambours de basque, une danse presque aussi légère et gracieuse que celle des savoyards. Une d'elles, après très peu de difficultés de la part du Ruffian musicien, leva ses vêtements ne gardant qu'un shale ceint négligemment autour des hanches ; elle était très bien faite, il ne lui manquait qu'une tête. Je reviens toujours au même langage, je n'ai pas deux idées de suite, deux pensées qui ne soient interrompues par celle-ci, qu'à mon âge, au point où j'en suis de mes études, quant on avance pas, on recule, et voilà 9 mois que je n'ai touché un pinceau. Cette réflexion amère, altère ma verve, adieu mon bon père, avant de me mettre sur mon lit je t'embrasse de cœur. 1 er avril J'ai reçu peu de nouvelles de toi, les dernières sont du 24 8 bre. Je m'attriste de songer que ma mère est toute seule à Rouen tandis que les affaires du bureau sont dans si pitoyable état ; elle mène une vie bien ennuyeuse, et pénible. Je dois regarder mes lettres comme vous étant communes à tous deux. Voilà pourquoi je ne lui en ai adressé qu'une. J'ai interrompu ma lettre pour aller souper. Quel drôle d'homme que M. Ch., même pour de petites choses sans conséquence, il est souvent insupportable. On sert sur la table des œufs au plat, il fait une grimace de dégoût et condamne à la fièvre ceux qui y toucheront. La viande? Dans ce pays ci, c'est un manger malsain, le lait indigeste délabrant l'estomac, pour des pastèques la fièvre, le pain (c'est à la lettre) nourriture lourde, vous vous lavez le matin «vous voulez avoir l'ophtalmie, la propreté est un des prétendus bienfaits de la civilisation moyennant lequel nous sommes malades sans savoir la cause de nos maladies, la plupart du temps c'est par propreté.». Il est vrai qu'il est sale comme un peigne, couvert de poux. Adieu, mon bon père, porte-toi bien et réussis dans tes projets. Je t'embrasse de cœur ainsi que ma mère et Cécile. Ma nièce est une fille charmante de m'avoir écrit une petite lettre Si je n'en écrivais pas si long à bon papa je lui eusse répondu. Rappelle moi à la famille, et à M. Ronand et M me Bessophie J'ai écrit plusieurs fois à L Coste P.S. 2 avril. Je ferme aujourd'hui ma lettre, le courrier devant partir ce matin même pour le Kaire. Rien de nouveau depuis le 25 ; toujours bonne santé et bon courage. Je donne ce soir à nos compagnons une fête dans une des plus jolies salles du tombeau d'ousireï ; nous y oublierons la stérilité et le voisinage de la seconde cataracte, où nous avions à peine du pain à manger. La chère ne répondra pas à la magnificence du local, mais on fera l'impossible pour n'être pas trop au-dessous. Je voulais offrir à notre 69

70 Au pré de mon arbre jeunesse un plat nouveau pour nous, et qui devait ajouter aux plaisirs de la réunion ; c'était un morceau de jeune crocodile mis à la sauce piquante, le hasard ayant voulu qu'on m'en apportât un tué d'hier matin ; mais j'ai joué de malheur, la pièce de crocodile s'est gâtée : nous n'y perdrons vraisemblablement qu'une bonne indigestion chacun. (17 mai 1829) Mon bon père, je t'écrirais si j'en avais le loisir les moindres pensées qui me roulent par la tête. Écrire est une distraction mais je retiens des idées que souvent l'ennui seul m'inspire ; il n'est pas nécessaire de te le faire partager. Jusqu à présent, sans doute, en recevant mes lettres tes yeux se sont animés de joie, comme les miens lorsqu'un courrier m'apportait de tes nouvelles, puis ils se sont attristés en les lisant. Si d'ici à quelques temps je reçois l'argent que je t'ai demandé, je pourrais donc compter les jours et penser au retour. L'espérance viendra donc remplacer ce sentiment d'aigreur qui pèse sur mon cœur et me fatigue. Ce soir, M. Ch. et M. R. s'entretenaient des travaux qui restent à faire. La somme en est énorme, voyez-vous, disait R.. Le moyen d'avoir achevé Thèbes au commencement d'août, si cela ne se peut, il faut renoncer à être à Alexandrie avant le mois de novembre à cause de Dendérah, d'abydos et de Tanis, et, dans ce cas, je ne repars pas, je vous assure avant l'année prochaine. Il n'eut point de réponse. Quels rapports y a-t-il entre sa carrière et la mienne pour que je sacrifie près de deux ans à un homme qui s'est rendu pour moi très désagréable ; mais j'en reviens toujours à mes moutons. J'attends bien impatiemment ta première lettre. Tu dois me dire quelque chose de nouveau sur tes travaux, tes affaires ; il me semble que c'est un siècle depuis que je suis sur cette véritable terre d'exil. Point de nouvelles depuis le 24 8 bre. Si je pouvais croire au moins que tandis qu'éloigné de tout plaisir je passe un temps précieux dans une dure oisiveté, ce temps pour toi, pour ma mère est heureux, qu'il a fait naître pour vous quelque bonne circonstance! Je resterai encore en Égypte à ce prix. J'ai bien vu des cochers, en recevant un pourboire, n'être jamais content, mais qu'est-ce qu'un cocher auprès d'un arabe? Si vous leur donnez même à propos de rien, ils vous demandent un peu plus, ils sont indignes : Je t'assure qu'à force de charité, on finirait par ne leur donner plus que des coups de pieds ; ils vous dégoûtent de faire du bien. Quand je suis arrivé en Égypte, je m'apitoyais beaucoup sur le sort des arabes. Cet aspect d'une misère dont nous ne pouvons nous faire une idée en Europe me touchait beaucoup. Leur état d'esclavage sous des maîtres comme les turcs me les faisait prendre en pitié et me rendait tout indulgent pour ce que je trouvais en eux de répréhensible. L'esclavage expliquait tout : Mais, en vérité, ils ne sont pas dignes d'un meilleur état, ce sont des cancres et je conçois qu'ils soient esclaves. Au fait, de quoi les plaindre? D'être nus? C'est le meilleur costume dans un pays comme celui-ci ; du froid, il n'y en a pas ; de la pluie, jamais. Le soleil, ils le supportent depuis l'enfance et ils dorment exposés à son ardeur quand ils sont à 20 par l'ombre d'une montagne ou des palmiers. N'ayant pas de besoin, ils sont paresseux, ils aiment l'argent sans en savoir jouir. Ils se feraient donner 100 coups de bâton pour une piastre et ne payent jamais le miri avant d'avoir reçu la bastonnade la plus rigoureuse. Au bout du compte, il faut bien payer car le bâton n'arrête pas sans cela, mais rien ne les corrige et c'est toutes les fois à recommencer. Je crois, du reste, que leurs excellents aïeux, ces parfaits Égyptiens, avaient la même faiblesse si les historiens n'ont pas menti. Il ne faut pas dire cela devant le général. Ah, qu'il me pèse! Quand pourrai-je mettre un morceau dans ma 70

71 Alexandre Duchesne bouche sans qu'il soit analysé, quand pourrai-je me laver les mains et me tenir propre sans qu'on m'envoie dans l'autre monde, quand ne serai-je plus exposé à entendre faire d'ennuyeuses comparaisons entre les anciens et les modernes, comparaisons basées le plus souvent sur les préventions les plus fortes et les plus exagérées et dont le but est toujours de dénigrer les contemporains. Avec tant de moyens et d'instruction, peut-on tomber dans de si sottes manies. M. Atoch 81 ne fait pas de si mauvais lazzis, d'aussi plates antithèses et avec un air plus content de lui. Tu ne l'as peut-être jamais trouvé comme cela, car il n'est pas si têtu et si bizarre qu'il ne sache se retenir devant des gens qui pourraient lui répondre, mais pouvons nous lui rompre en visière nous qui sommes des jeunes gens à côté de lui. Je t'assure que c'est malgré moi que je retombe toujours à te parler du même sujet. Ce n'est pas ma faute, je n'ai pas d'autres pensées, je sens, je te le dis franchement, que je n'ai pas même la liberté d'écrire, je n'y suis pas. Je suis dans une espèce d'irritation nerveuse qui m'est insupportable pour donner trêve a des idées qui finiraient par me rendre aussi passionné et intolérant que celui dont je me plains. Je me reporte au milieu de vous. Je me figure toutes vos actions, je monte cet escalier de notre maison, j'en baise les marches, je touche les murs de ce cabinet où tu entres avec un air occupé, je te suis à tes travaux, ton visage est sérieux mais je ne vois pas l'expression du chagrin. Cécile est appliquée pour sa petite maline de filles à des soins qui lui plaisent. Il n'y a pas que ma pauvre mère qui est seule, et je sens bien sa position. Je parcours successivement jusqu'au moindre souvenir mais je ne réussis pas à m'éloigner un instant du cercle où je suis tenu prisonnier. De la mauvaise foi, des intrigues ignobles, des querelles grossières, je n'oserai le décider, mais je crois en vérité qu'il y a bien souvent autant de tort d'un côté que de l'autre. L'un est rusé et en dessous, l'autre se croit malin comme un singe, il a une confiance en lui qui est fatigante. N'en parlons plus en ce qu'elle a de blâmable mais en ce qu'elle a de ridicule. Les Dynasties sont toutes bouleversées. J'aurai voulu avoir quelques données à leur sujet et j'avais plusieurs fois questionné M. Ch. J'attribuais à ma mémoire le désordre que je trouvais toujours après quelque temps dans mes séries de roi. Le Ramsès dont j'avais fait un 4 e était devenu un Ramsès 6 ou 7 ou 8. Mais j'ai renoncé à la fin aux Dynasties dont je vois bien que M. Ch. est très embarrassé et ne seront jamais établies, je pense, que sur des probabilités très vagues. Cela, du reste, n'a rien d'extraordinaire. Ce que je trouve maladroit, c'est d'annoncer toujours les choses pour sûres lorsqu'elles sont encore dans la vapeur. Sans doute il est enchanté s'il reconnaît une erreur et il est le premier à la proclamer. Mais, avec cette manie de ne point douter, je l'ai vu plusieurs fois détruire le lendemain ce qu'il avait établi la veille, et, deux jours après, bouleverser encore le nouvel édifice qui devait durer éternellement. Sans cesse une chose est fixée et irrévocablement, basée sur les documents les plus positifs et, le lendemain, c'est une autre affaire mais, cette fois, aussi incontestable! Je trouve que c'est un malheur qu'un pareil aplomb, la confiance que doit inspirer la masse de ses connaissances en peut être ébranlée car comme il est assez exclusivement maître, si je puis dire ainsi, de sa matière pour vous entortiller par tous les bouts, on ne sait plus que penser quand le lendemain, cette même élocution, cette même masse de choses sont employées à rebâcler un nouveau système qui souvent ne dure pas plus que le précédent Pauline Marion du Mersan (arrière petite -fille de Louise Pannetier, dont la sœur Jeanne est l épouse de Nicolas Duchesne) est mariée avec Louis Jean Marie Atoch, employé au Cabinet des Estampes de la Bibli o- thèque Royale. 71

72 Au pré de mon arbre J ai interrompu ma lettre pendant quelques jours ; j'étais un peu fatigué, le soir je me reposais. Je la reprend sans la relire, je ne sais plus de quoi je te parlais, mais je ne puis pas me relire. Depuis trois semaines ces Messieurs s'entretiennent avec mystère ; on parle de retour au mois de février après la saison. Le travail va toujours et pourtant nous ne sommes pas sortis de Biban el Moulouk. Nous y devions passer 15 jours ; en voici 53 et nous en avons encore pour un mois. Monsieur Lenormand devait te remettre quelques dessins. Comme il est allé en Grèce, je ne sais comment tu les recevras. C'était tout ce que j'avais fait jusqu'au mois de janvier. Tu verras les beaux fruits de mon voyage! J'ai fait mieux depuis car nous avons pris le temps de faire quelques croquis ; nous étions trop bons, trop bêtes. Nous l'avons pris, ce temps, avec bien de la délicatesse encore et il ne faut pas chanter victoire ; nos portefeuilles ne nous font aucun plaisir à regarder. D'après quelques mots échappés à M. Rossellini, nous croyons un instant que le général enfin ouvrirait la bouche et nous parlerait au sujet du départ ; mais il parait que, suivant son habitude, il veut lanterner jusqu'au bout. Il veut nous promener jusqu'au mois de février en Égypte en nous disant toujours qu'il part le mois prochain. Non, non, je m'arrête au temps convenu. Les couleurs que tu m'a envoyées me seront d'un grand secours. Je ne suis plus embarrassé de l'aquarelle comme au commencement de voyage. Me voici armé d'une boîte bien montée qui me permet d'en user largement ; j'y suis tout disposé. Tu remercieras M. Atoch je te prie, quand même! Les pains qui n'étaient pas dans la boîte sont arrivés tout brisés, mais j'ai pu les raccommoder. Je ne suis pas étonné que Garnerey 82 ait fait un mauvais tableau, au contraire. La chaleur augmente, aujourd hui 35 ½ à l ombre et 47 au soleil ; cela n empêche pas les fouilleurs de travailler tous nus au milieu de la plaine, il faut qu ils aient de fameux yeux car la réverbération du soleil sur le calcaire qui est blanc et qui s échauffe très facilement fatigue les miens à y faire venir très promptement une humidité insupportable, et ils brûlent. Cependant je supporte très bien cette chaleur pourvu, du moins, que je ne sois pas obligé d aller faire le fouilleur et fixer le sable en face. On se fait à la température et je crois que je serais très frileux si elle diminuait seulement des deux tiers, ce qui serait encore très gentil. Hier, pour la première fois, j'ai quitté ma couverture et nous avons à peu près 20 la nuit comme le jour dans les tombeaux que nous habitons. Il me semble que tu t'es trouvé encombré de travaux. J'ai déjà fait de longues absences et j'ai toujours éprouvé un plaisir profond à retourner, mais cette fois, oh cette fois-ci, vous ne vous ferez jamais une idée de mon bonheur quand je vous reverrai, quand je pourrai vous embrasser, quand je songe à ce moment si éloigné encore, je me sens trembler, il me semble que je sors d'une longue maladie. Allons, n'en parlons plus, ne parlons plus jamais de ce voyage. Je reviens toujours malgré moi, à mes contrariétés. Nous avons à Gourna 83 une maison située à un quart d'heure de distance du Nil, tandis que nous habitons Biban el Moulouk elle est gardée par trois ou quatre domestiques ; 82 - Plusieurs Garnerey sont ses contemporains : Jean -François ( ) ; Hippolyte ( ) ; Ambroise «Louis» ( ). Peintre de la Marine, peintre attitré du duc d Angoulême, dessinateur et graveur. En 1828, Louis Garneray a peint la bataille de Navarin Rive occidentale du Nil, face à Thèbes. 72

73 Alexandre Duchesne de temps en temps nous y allons souper. C'est la partie de campagne : nous partons un peu avant le coucher du soleil, nous allons nous baigner, nous soupons en général avec appétit car le bain, la course à âne, les chutes nous mettent en train, on rit, la mauvaise humeur peut-elle tenir contre une partie d'ânes. Nous rentrons à l'instant, nous revenons de Gourna, le Kaimacan 84 avait fait faire dans un endroit où le fleuve est peu profond une haie de branches de palmiers et de mimosa pour nous défendre contre les crocodiles. Cette enceinte toute fleurie répandaient une odeur délicieuse, à peu près comme celle des acacias. C était charmant. Quant aux crocodiles, il est bien vrai qu'il y en a, il est bien vrai qu'ils ont des gueules effroyables et des dents à vous couper en deux net, mais je crois qu'ils se sauvent de l'homme ; à tout moment les arabes, à défaut de bateaux, traversent le Nil à la nage, leurs vêtements sur leur tête. Les mariniers se jettent à l'eau continuellement pour dégager leur barque qui s'est engravée, enfin tous les malheurs qui arrivent de femmes entraînées par un crocodile pendant qu'elles puisaient de l'eau, toutes les aventures de ce genre, que quelquefois l'on nous raconte, n'arrivent jamais dans l'endroit où vous êtes. C'est toujours un village plus loin. Quant à moi, quant à Lehoux et Bertin, nous leur avons très souvent offert trois belles bouchées assurément, mais il paraît qu'ils sont délicats, il leur faut des femmes. On envoie demain le courrier ; nous en attendons un du Kaire, il devrait être ici depuis plusieurs jours, et nous craignons, comme il était vieux, qu'il soit mort en route. Adieu, mon bon père, je te remercie des soins que tu as mis à faire toutes les commissions de tous genres que je t'ai demandées. Je t'embrasse de cœur, ainsi que ma mère et ma bonne Cécile. Alex Bertin et Lehoux me chargent de les rappeler à ton souvenir. Je ne comprends guère l'ordonnance qui réduit à un le nombre des conservateurs dans chaque département quant on vient d'en nommer de nouveaux. On veut peut être créer autant de départements que de conservateurs. Thèbes 17 mai 1829 Ils travaillent d'arrache-pied à Biban-el-Molouk, nécropole royale, dans une vallée aride, encaissée par de très-hauts rochers coupés à pic ; aucun autre animal ne fréquente cette vallée de mort hormis les mouches, les renards, les loups et les hyènes, que l'odeur de leur cuisine attire. En entrant dans la partie la plus reculée de cette vallée, par une ouverture étroite évidemment faite de main d'homme, et offrant encore quelques légers restes de sculptures égyptiennes, ils voient bientôt au pied des montagnes, ou sur les pentes, des portes carrées, encombrées pour la plupart, et dont il faut approcher pour apercevoir la décoration : ces portes, qui se ressemblent toutes, donnent entrée dans les tombeaux des rois des XVIII e, XIX e et XX e dynasties. Il leur est difficile de retenir leur surprise lorsque, après avoir passé sous une porte assez simple, ils entrent dans de grandes galeries ou corridors couverts de sculptures parfaitement soignées, conservant en grande partie l'éclat des plus vives couleurs, et conduisant successivement à des salles soutenues par des piliers encore plus riches de décorations, jusqu'à la salle principale, celle que les Égyptiens nommaient la salle dorée, plus vaste que toutes les autres, et 84 - Lieutenant du premier et grand Vizir. 73

74 Au pré de mon arbre au milieu de laquelle repose la momie du roi dans un énorme sarcophage de granit. La décoration des tombeaux royaux était systématisée, et ce qu ils trouvent dans l'un reparaît dans presque tous les autres, à quelques exceptions près. Champollion rédige une notice des innombrables bas-reliefs qu'ils renferment et copie les inscriptions les plus intéressantes. Le bandeau de la porte d'entrée est orné d'un bas-relief, qui n'est au fond que la préface, ou plutôt le résumé de toute la décoration des tombes pharaoniques. C'est un disque jaune au milieu duquel est le Soleil à tête de bélier, c'està-dire le soleil couchant entrant dans l'hémisphère inférieur, et adoré par le roi à genoux ; à la droite du disque, c'est-à-dire à l'orient, est la déesse Nephthys, et à la gauche (occident) la déesse Isis, occupant les deux extrémités de la course du dieu dans l'hémisphère supérieur : à côté du Soleil et dans le disque, on a sculpté un grand scarabée qui est ici, comme ailleurs, le symbole de la régénération ou des renaissances successives : le roi est agenouillé sur la montagne céleste, sur laquelle portent aussi les pieds des deux déesses. La comparaison ou assimilation du roi avec le soleil dans ses deux états pendant les deux parties du jour, est la clef ou plutôt le motif et le sujet dont tous les autres bas-reliefs ne sont que le développement successif. Le premier bas-relief qu'on trouve toujours à la gauche en entrant dans tous ces tombeaux montre le Pharaon en costume royal, se présentant au dieu Phré à tête d'épervier, c'est-à-dire au soleil dans tout l'éclat de sa course (à l'heure de midi), lequel adresse à son représentant sur la terre ces paroles consolantes : «Voici ce que dit Phré, dieu grand, seigneur du ciel : Nous t'accordons une longue série de jours pour régner sur le monde et exercer les attributions royales d'hôrus sur la terre.» Au plafond de ce premier corridor du tombeau, on lit également de magnifiques promesses faites au roi pour cette vie terrestre, et le détail des privilèges qui lui sont réservés dans les régions célestes ; il semble qu'on ait placé ici ces légendes comme pour rendre plus douce la pente toujours trop rapide qui conduit à la salle du sarcophage. Immédiatement après ce tableau on aborde plus franchement la question par un tableau symbolique, le disque du soleil Criocéphale, parti de l'orient, et avançant vers la frontière de l'occident, qui est marquée par un crocodile, emblème des ténèbres, et dans lesquelles le dieu et le roi vont entrer chacun à sa manière. Suit immédiatement un très-long texte, contenant les noms des soixante-quinze parèdres du soleil dans l'hémisphère inférieur, et des invocations à ces divinités du troisième ordre, dont chacune préside à l'une des soixante-quinze subdivisions du monde inférieur. Une petite salle, qui succède ordinairement à ce premier corridor, contient les images sculptées et peintes des soixante-quinze parèdres, précédées ou suivies d'un immense tableau dans lequel on voit successivement l'image abrégée des soixante-quinze zones et de leurs habitants, dont il sera parlé plus loin. À ces tableaux généraux et d'ensemble succède le développement des détails : les parois des corridors et salles qui suivent (presque toujours les parois 74

75 Alexandre Duchesne les plus voisines de l'orient) sont couvertes d'une longue série de tableaux représentant la marche du soleil dans l'hémisphère supérieur (image du roi pendant sa vie), et sur les parois opposées on a figuré la marche du soleil dans l'hémisphère inférieur (image du roi après sa mort). Les nombreux tableaux relatifs à la marche du dieu au-dessus de l'horizon et dans l'hémisphère lumineux sont partagés en douze séries, annoncées chacune par un riche battant de porte, sculpté, et gardé par un énorme serpent. Ce sont les portes des douze heures du jour, et à côté de ces terribles reptiles on lit la légende : «Il demeure au-dessus de cette grande porte, et l'ouvre au dieu Soleil.». Près du battant de la première porte, celle du lever, sont figurées les vingt-quatre heures du jour astronomique sous forme humaine, une étoile sur la tête, et marchant vers le fond du tombeau, comme pour marquer la direction de la course du dieu et indiquer celle qu'il faut suivre dans l'étude des tableaux, qui offrent un intérêt d'autant plus piquant que, dans chacune des douze heures de jour, on a tracé l'image détaillée de la barque du dieu, naviguant dans le fleuve céleste sur le fluide primordial ou l'éther, le principe de toutes les choses physiques selon la vieille philosophie égyptienne, avec la figure des dieux qui l'assistent successivement, et de plus, la représentation des demeures célestes qu'il parcourt, et les scènes mythiques propres à chacune des heures du jour. Ainsi, à la première heure, sa bari, ou barque sacrée, se met en mouvement et reçoit les adorations des esprits de l'orient ; parmi les tableaux de la seconde heure, on trouve le grand serpent Apophis, le frère et l'ennemi du Soleil, surveillé par le dieu Atmou ; à la troisième heure, le dieu Soleil arrive dans la zone céleste où se décide le sort des âmes, relativement aux corps qu'elles doivent habiter dans leurs nouvelles transmigrations ; on y voit le dieu Atmou assis sur son tribunal, pesant à sa balance les âmes humaines qui se présentent successivement : l'une d'elles vient d'être condamnée, on la voit ramenée sur terre dans une bari, qui s'avance vers la porte gardée par Anubis, et conduite à grands coups de verges par des cynocéphales, emblèmes de la justice céleste ; le coupable est sous la forme d'une énorme truie, au-dessus de laquelle on a gravé en grand caractère gourmandise ou gloutonnerie, sans doute le péché capital du délinquant, quelque glouton de l'époque. Le dieu visite, à la cinquième heure, les Champs-Élysées de la mythologie égyptienne, habités par les âmes bienheureuses se reposant des peines de leurs transmigrations sur la terre : elles portent sur leur tête la plume d'autruche, emblème de leur conduite juste et vertueuse. On les voit présenter des offrandes aux dieux, ou bien, sous l'inspection du Seigneur de la joie du cœur, elles cueillent les fruits des arbres célestes de ce paradis ; plus loin, d'autres tiennent en main des faucilles : ce sont les âmes qui cultivent les champs de la vérité ; leur légende porte : «Elles font des libations de l'eau et des offrandes des grains des campagnes de gloire ; elles tiennent une faucille et moissonnent les champs qui sont leur partage ; le dieu Soleil leur dit : Prenez vos faucilles, moissonnez vos grains, emportez-les dans vos demeures, jouissez-en et les présentez aux dieux en offrande pure.» Ailleurs, enfin, on les voit se baigner, nager, sauter et folâtrer 75

76 Au pré de mon arbre dans un grand bassin que remplit l'eau céleste et primordiale, le tout sous l'inspection du dieu Nil-Céleste. Dans les heures suivantes, les dieux se préparent à combattre le grand ennemi du Soleil, le serpent Apophis. Ils s'arment d'épieux, se chargent de filets, parce que le monstre habite les eaux du fleuve sur lequel navigue le vaisseau du Soleil ; ils tendent des cordes ; Apophis est pris ; on le charge de liens ; on sort du fleuve cet immense reptile, au moyen d'un câble que la déesse Selk lui attache au cou et que les douze dieux tirent, secondés par une machine fort compliquée, manœuvrée par le dieu Sev (Saturne), assisté des génies des quatre points cardinaux. Mais tout cet attirail serait impuissant contre les efforts d'apophis, s'il ne sortait d'en bas une main énorme (celle d'ammon) qui saisit la corde et arrête la fougue du dragon. Enfin, à la onzième heure du jour, le serpent captif est étranglé ; et bientôt après le dieu Soleil arrive au point extrême de l'horizon où il va disparaître. C'est la déesse Netphé (Rhéa) qui, faisant l'office de la Thétys des Grecs, s'élève à la surface de l'abîme des eaux célestes ; et, montée sur la tête de son fils Osiris, dont le corps se termine en volute comme celui d'une sirène, la déesse reçoit le vaisseau du Soleil, qui prend bientôt dans ses bras immenses le Nil céleste, le vieil Océan des mythes égyptiens. La marche du Soleil dans l'hémisphère inférieur, celui des ténèbres, pendant les douze heures de nuit, c'est-à-dire la contre-partie des scènes précédentes, se trouve sculptée sur les parois opposées. Là le dieu, assez constamment peint en noir, de la tête aux pieds, parcourt les soixante-quinze cercles ou zones auxquels président autant de personnages divins de toute forme et armés de glaives. Ces cercles sont habités par les âmes coupables qui subissent divers supplices. Les âmes coupables sont punies d'une manière différente dans la plupart des zones infernales que visite le dieu Soleil : on a figuré ces esprits impurs, et persévérant dans le crime, presque toujours sous la forme humaine, quelquefois aussi sous la forme symbolique de la grue, ou celle de l'épervier à tête humaine, entièrement peints en noir, pour indiquer à la fois et leur nature perverse et leur séjour dans l'abîme des ténèbres ; les unes sont fortement liées à des poteaux, et les gardiens de la zone, brandissant leurs glaives, leur reprochent les crimes qu'elles ont commis sur la terre ; d'autres sont suspendues la tête en bas ; celles-ci, les mains liées sur la poitrine et la tête coupée, marchent en longues files ; quelques-unes, les mains liées derrière le dos, traînent sur la terre leur cœur sorti de leur poitrine ; dans de grandes chaudières, on fait bouillir des âmes vivantes, soit sous forme humaine, soit sous celle d'oiseau, ou seulement leurs têtes et leurs cœurs. On remarque des âmes jetées dans la chaudière avec l'emblème du bonheur et du repos céleste (l'éventail), auxquels elles avaient perdu tous leurs droits. Champollion fait copier cette immense série de tableaux et les longues légendes qui les accompagnent. À chaque zone et auprès des suppliciés, on lit toujours leur condamnation et la peine qu'ils subissent. Cette double série de tableaux nous donne donc le système psychologique égyptien dans ses deux points les plus importants et les plus moraux, les récompenses et les peines. Ainsi se trouve complètement démontré tout ce que 76

77 Alexandre Duchesne les anciens ont dit de la doctrine égyptienne sur l'immortalité de l'âme et le but positif de la vie humaine. Le même sujet, mais composé dans un esprit directement astronomique, est reproduit sur les plafonds, et occupe toute la longueur de ceux du second corridor et des deux premières salles qui suivent. Le ciel, sous la forme d'une femme dont le corps est parsemé d'étoiles, enveloppe de trois côtés cette immense composition : le torse se prolonge sur toute la longueur du tableau dont il couvre la partie supérieure ; sa tête est à l'occident ; ses bras et ses pieds limitent la longueur du tableau divisé en deux bandes égales : celle d'en haut représente l'hémisphère supérieur et le cours du soleil dans les douze heures du jour ; celle d'en bas, l'hémisphère inférieur, la marche du soleil pendant les douze heures de la nuit. À l'orient, c'est-à-dire vers le point sexuel du grand corps céleste (de la déesse Ciel), est figurée la naissance du Soleil ; il sort du sein de sa divine mère Néith, sous la forme d'un petit enfant portant le doigt à sa bouche, et renfermé dans un disque rouge : le dieu Méuï (l'hercule égyptien, la raison divine), debout dans la barque destinée aux voyages du jeune dieu, élève les bras pour l'y placer lui-même ; après que le Soleil enfant a reçu les soins de deux déesses nourrices, la barque part et navigue sur l'océan céleste, l'éther, qui coule comme un fleuve de l'orient à l'occident, où il forme un vaste bassin, dans lequel aboutit une branche du fleuve traversant l'hémisphère inférieur, d'occident en orient. Chaque heure du jour est indiquée sur le corps du Ciel par un disque rouge, et dans le tableau par douze barques ou bari dans lesquelles paraît le dieu Soleil naviguant sur l'océan céleste avec un cortège qui change à chaque heure, et qui l'accompagne sur les deux rives. À la première heure, au moment où le vaisseau se met en mouvement, les esprits de l'orient présentent leurs hommages au dieu debout dans son naos, qui est élevé au milieu de cette bari ; l'équipage se compose de la déesse Sori, qui donne l'impulsion à la proue ; du dieu Sev (Saturne), à la tête de lièvre, tenant une longue perche pour sonder le fleuve, et dont il ne fait usage qu'à partir de la 8 e heure, c'est-à-dire lorsqu'on approche des parages de l'occident ; le réis ou commandant est Hôrus, ayant en sous-ordre le dieu Haké-Oëris, le Phaëton et le compagnon fidèle du Soleil : le pilote manœuvrant le gouvernail est un hiéracocéphale nommé Haôu, plus la déesse Neb-Wa (la dame de la barque), enfin le dieu gardien supérieur des tropiques. On a représenté, sur les bords du fleuve, les dieux ou les esprits qui président à chacune des heures du jour ; ils adorent le Soleil à son passage, ou récitent tous les noms mystiques par lesquels on le distinguait. À la seconde heure paraissent les âmes des rois ayant à leur tête le défunt, allant au-devant de la bari du dieu pour adorer sa lumière. Aux 4 e, 5 e et 6 e heures, le même Pharaon prend part aux travaux des dieux qui font la guerre au grand Apophis caché dans les eaux de l'océan. Dans les 7 e et 8 e heures, le vaisseau céleste côtoie les demeures des bienheureux, jardins ombragés par des arbres de différentes espèces, sous lesquels se promènent les dieux et les âmes pures. Enfin le dieu approche de l'occident : Sev sonde le fleuve 77

78 Au pré de mon arbre incessamment, et des dieux échelonnés sur le rivage dirigent la barque avec précaution ; elle contourne le grand bassin de l'ouest, et reparaît dans la bande supérieure du tableau, c'est-à-dire dans l'hémisphère inférieur, sur le fleuve qu'elle remonte d'occident en orient. Mais dans toute cette navigation des douze heures de nuit, comme il arriva encore pour les barques qui remontent le Nil, la bari du Soleil est toujours tirée à la corde par un grand nombre de génies subalternes, dont le nombre varie à chaque heure différente. Le grand cortège du dieu et l'équipage ont disparu, il ne reste plus que le pilote debout et inerte à l'entrée du naos renfermant le dieu, auquel la déesse Thmeï (la vérité et la justice), qui préside à l'enfer ou à la région inférieure, semble adresser des consolations. Des légendes hiéroglyphiques, placées sur chaque personnage et au début de toutes les scènes, en indiquent les noms et les sujets, en faisant connaître l'heure du jour ou de la nuit à laquelle se rapportent ces scènes symboliques. Champollion les copie lui-même. Sur ces mêmes plafonds, et en dehors de la composition que l on vient de voir, existent des textes hiéroglyphiques d'un intérêt plus grand peut-être, quoique liés au même sujet. Ce sont des tables des constellations et de leurs influences pour toutes les heures de chaque mois de l'année. Cela démontrera sans réplique, comme l'a affirmé leur ami M. Letronne 85, que l'astrologie remonte, en Égypte, jusqu'aux temps les plus reculés. Dans le tombeau de Rhamsès V, les salles ou corridors qui suivent sont décorés de tableaux symboliques relatifs à divers états du soleil considéré soit physiquement, soit surtout dans ses rapports purement mythiques. La salle qui précède celle du sarcophage, en général consacrée aux quatre génies de l'amenti, contient, dans les tombeaux les plus complets, la comparution du roi devant le tribunal des quarante-deux juges divins qui doivent décider du sort de son âme, tribunal dont ne fut qu'une simple image celui qui, sur la terre, accordait ou refusait aux rois les honneurs de la sépulture. Une paroi entière de cette salle, dans le tombeau de Rhamsès V, offre les images de ces quarante-deux assesseurs d'osiris, mêlées aux justifications que le roi est censé présenter, ou faire présenter en son nom, à ces juges sévères, lesquels paraissent être chargés, chacun, de faire la recherche d'un crime ou péché particulier, et de le punir dans l'âme soumise à leur juridiction. Ce grand texte, divisé en quarante-deux versets ou colonnes, n'est, à proprement parler, qu'une confession négative. Ils voient, à côté de ce texte curieux, dans le tombeau de Rhamsès- Meïamoun, des images plus curieuses encore, celles des péchés capitaux : il n'en reste plus que trois de bien visibles ; ce sont la luxure, la paresse et la voracité, figurées sous forme humaine, avec les têtes symboliques de bouc, de tortue et de crocodile. La grande salle du tombeau de Rhamsès V, celle qui renfermait le sarcophage, et la dernière de toutes, surpasse aussi les autres en grandeur et en 85 - Antoine Jean Letronne ( ), est un philologue helléniste, épigraphiste et archéologue, reconnu comme «le véritable fondateur des études modernes d'épigraphie classique». 78

79 Alexandre Duchesne magnificence. Le plafond, creusé en berceau et d'une très-belle coupe, a conservé toute sa peinture : la fraîcheur en est telle qu'il faut être habitué aux miracles de conservation des monuments de l'égypte pour se persuader que ces frêles couleurs ont résisté à plus de trente siècles. On a répété ici, mais en grand et avec plus de détails dans certaines parties, la marche du soleil dans les deux hémisphères pendant la durée du jour astronomique, composition qui décore les plafonds des premières salles du tombeau et qui forme le motif général de toute la décoration des sépultures royales. Les parois de cette vaste salle sont couvertes, du soubassement au plafond, de tableaux sculptés et peints comme dans le reste du tombeau, et chargées de milliers d'hiéroglyphes formant les légendes explicatives ; le soleil est encore le sujet de ces bas-reliefs, dont un grand nombre contiennent aussi, sous des formes emblématiques, tout le système cosmogonique et les principes de la physique générale des Égyptiens. Une longue étude peut seule donner le sens entier de ces compositions ; Champollion les copie toutes, en transcrivant en même temps tous les textes qui les accompagnent. On a omis dans cette description de parler des bas-reliefs dont sont couverts les piliers qui soutiennent les diverses salles ; ce sont des adorations aux divinités de l'égypte, et principalement à celles qui président aux destinées des âmes, Phtha-Socharis, Atmou, la déesse Mérésœhar, Osiris et Anubis. Tous les autres tombeaux des rois de Thèbes, situés dans la vallée de Biban-el-Molouk et dans la vallée de l'ouest, sont décorés, soit de la totalité, soit seulement d'une partie des tableaux que l on vient d'indiquer, et selon que ces tombeaux sont plus ou moins vastes, et surtout plus ou moins achevés. Le plus grand et le plus magnifique de tous les tombeaux de la vallée encore existants est sans contredit celui du successeur de Rhamerri, Rhamsès- Meïamoun ; mais aujourd'hui le temps ou la fumée a terni l'éclat des couleurs qui recouvrent la plupart de ces sépulcres ; il se recommande d'ailleurs par huit petites salles percées latéralement dans le massif des parois du premier et du deuxième corridor, cabinets ornés de sculptures du plus haut intérêt et dont ils prennent des copies soignées. L'un de ces petits boudoirs contient, entre autres choses, la représentation des travaux de la cuisine ; un autre, celle des meubles les plus riches et les plus somptueux ; un troisième est un arsenal complet où se voient des armes de toute espèce et les insignes militaires des légions égyptiennes ; ici on a sculpté les barques et les canges royales avec toutes leurs décorations. L'un d'eux aussi nous montre le tableau symbolique de l'année égyptienne, figurée par six images du Nil et six images de l'égypte personnifiée, alternées, une pour chaque mois et portant les productions particulières à la division de l'année que ces images représentent. Champollion fait copier, dans l'un de ces jolis réduits, les deux fameux joueurs de harpe avec toutes leurs couleurs, parce qu'ils n'ont été exactement publiés par personne. En voilà assez sur Biban-el-Molouk. Ils ont hâte de retourner à Thèbes pour continuer leur travail ainsi qu à la vallée d'el-assasif, Médinet-Habou, et, pour finir, Kourna, où ils résident dans une petite bicoque de boue à un étage, dominant majestueusement ces 79

80 Au pré de mon arbre tanières et ces terriers où se nichent les Arabes ; ils y jouissent journellement d'une température de 32 à 38 degrés ; mais ils s'habituent à tout, et trouvent qu'on respire très agréablement à 28 degrés ; d'ailleurs, ils ne sont au «château» que la nuit. Leurs explorations à Thèbes avancent vers leur terme ; début août, ils passent sur la rive orientale, où les attendent les immenses constructions de Karnac et de Louqsor ; ces dernières sont déjà dans leurs portefeuilles. Un mois leur suffira pour relever le peu de bas-reliefs historiques encore existants dans le grand palais des rois, et pour noter ce qu'il y a de plus saillant dans les scènes religieuses, si nombreuses dans cette curieuse construction. Ils logent, à Karnac, dans le temple de Oph (Rhéa), à côté du grand temple du sud, au milieu des avenues de sphinx, et à la porte du grand palais des rois. Champollion compte se mettre sérieusement en route pour Paris au commencement de septembre Pour l instant, Champollion prend son pied à déchiffrer les hiéroglyphes ; pendant ce temps, Alexandre se prend la tête Duchesne rompt et ne plie pas. Pour le voyageur du XXI e siècle cette mission franco-toscane semble une promenade de santé, où l on travaille, certes, mais dans un cadre que beaucoup de touristes souhaitent voir en payant fort cher. Les risques de l époque étaient bien plus considérables. Le jeune architecte Antoine Bibent a abandonné l'expédition dès le début pour des raisons de santé ; il mourra au bout d un an ; Gallastri, malade depuis les déserts libyques, doit retourner en Italie, où il décèdera à son tour ; le professeur Raddi, ayant terminé ses études naturalistes, décide de partir pour le delta : il succombe sur le chemin du retour vers l'italie, dans l'île de Rhodes. Le docteur Ricci, piqué par un scorpion, poursuit son activité, mais à son retour, est paralysé et saisi de démence. De plus, vivre un an entier en communauté, loin de tout, dans la promiscuité, sans le moindre confort, privé d une nourriture équilibrée et savoureuse, et se consacrer sans relâche à un travail acharné, tout cela crée des tensions. Ainsi, Nestor L Hôte se plaint d avoir attrapé une indigestion de hiéroglyphes, une année de travail, une année sans interruption, - pas un jour de repos, pas une minute de trêve ; il envisage son retour dans les Douanes. Cette excitation permanente va causer le départ de Duchesne, alors que Bertin et Lehoux, sont à deux doigts d en faire autant, mais, convaincus par Cherubini, restent. Par bonheur, L Hôte, qui avait mis le feu aux poudres, restera aussi et, une fois rentré en France, se consacrera aux hiéroglyphes plutôt qu à l administration des douanes. Le comble, ce sera le seul membre de l expédition à retourner en Égypte! 80

81 Alexandre Duchesne Cela fait six mois qu ils sont à Thèbes ; Alexandre n en peut plus : il rompt son contrat de douze à quatorze mois. Le «général» regrette fort ce départ d Alexandre, aussi travailleur que compétent ; Lors de son départ le 1 er janvier, Lenormant avait témoigné, que Duchesne est le meilleur 86 de tous les dessinateurs. Champollion est d autant plus blessé que les trois jeunes dessinateurs L Hôte 87, Lehoux et Bertin avaient envisagé de le suivre. L expédition quittera Thèbes le 4 septembre au soir. Duchesne veut se racheter en partie : Il se rend chez Antonio Despirro et négocie le sarcophage de basalte vert qu avait lorgné son maître à l aller. Alexandre Duchesne à Champollion 88 Mi-août 1829 Monsieur, le sarcophage est à nous. Je l'ai obtenu pour 800 talaris 89 et demain je 1'embarque. Je me réjouis encore en vous annonçant ce succès imprévu. Je vous mettrai en peu de mots au courant de ce que j'ai vu et entendu au Kaire. On a beaucoup parlé de l'extraction du fameux bas-relief de Biban-el-Molouk et bien que la grande rumeur qu'ils ont causé paraisse assoupie, j'ai dit à tous les questionneurs même les moins suspects de mauvaise intention que la stupidité, l'incapacité absolue des tailleurs de pierre que vous aviez demandés à cet effet avait dû y faire renoncer au projet d'enlever les deux piliers, que par conséquent l'affaire avait été manquée. Vous étiez attendu ici par une quantité de vendeurs de sarcophages, le père Msfara en a trouvé 3 ou 4. J'ai été en voir un à Gysé ; il est très conservé, mais après celui de Boulak auquel il est inférieur et comme matière première et comme travail c'est une pièce que vous pouvez vous dispenser d'aller voir, très certainement. Il est en granit gris, de 8 p sur 4 de large et très beau pour qui n'a pas mieux. Je crois le père Msfara plutôt brave homme qu'autre chose quoiqu'il soit marchand ; et bien que je lui ai dit de ne pas compter sur vous comme acheteur il m'a prié de vous en parler laissant à vous d'y mettre le prix ; vous lui rendez au moins service en lui disant ce que vous l'estimerez et ce qu'il peut en attendre. Il est possible qu'il l'ai fait transporter à Boulak. J'ai vu un autre sarcophage chez un certain Antonio Despirro ; il est en forme de caisse de momie. Le couvercle est une figure, les bras allongés sur le corps, comme d'ordinaire, longue robe plissée et grandes manches. Les hiéroglyphes sont très bien conservés, point de cartouche. Il est de granit gris et parfaitement entier... Ne manquez pas d'aller le voir, je crois que c'est un morceau qui en vaut la peine. Je vous le recommande, je crois que nous n'en avons pas de ce genre. Le propriétaire est un entrepreneur de fouilles, qui a besoin d'argent ; il demande 700 livres. Il a encore, chez lui, un autre sarcophage en forme de caisse à 86 - Lèche-cul, il savait que son père occupait un poste important à la Bibliothèque Royale Nestor L Hôte est un drôle de ouistiti, clamant haut et fort son indigestion de hiéroglyphes Archives de la famille Champollion -Figeac, Manoir de Vif, Isère Talari (ne prend pas de «s»; pluriel de talaro, unité monétaire égyptienne valant 1/5 de livre. 81

82 Au pré de mon arbre momie ; je le crois en basalte. Avec ces deux objets, ont été trouvés, dans le tombeau même, une petite figure en calcaire et cinq ou six vases canopiques, que je l'ai engagé de ne point diviser des sarcophages auxquels ils appartiennent. Il y a aussi une espèce de pyramide, en granit rosé. C'est petit. On a dit plus de bêtises, plus de propos, qu'il n'y a de fouilleurs d'antiquités en Égypte. Vous avez trouvé dans les hiéroglyphes l'indication de plusieurs trésors ; des momies vous ont appris qu'elles portaient avec elles la récompense de celui qui aurait su découvrir la demeure et interpréter le sens des écritures qui la couvraient etc... Il paraît à peu près certain que M. Rosellini n'a fait aucune démarche relativement au sarcophage. J'ai dit à M. Mac Ardle qui a été rempli de complaisance, qu'ayant appris par ouï-dire que Mahmoud-Bey avait diminué de beaucoup ses prétentions et les bornait à 1000 talaris, vous m'aviez dit de voir en passant si cela était vrai, et, dans le cas, de l'acheter et l'emporter. M. Celesia est professeur de chimie et de physique à l'hôpital de M r Clot, que j'ai été voir et qui est un établissement très bien monté. C'est une chose que j'ai été bien surpris de rencontrer en Égypte, et qui ferait vraiment beaucoup d'honneur au pacha, s'il ne parait pas vouloir déjà le détruire pour en faire une fabrique de soie, institution sans doute plus lucrative. M. Celesia est à ce qu'il parait dans une position très agréable et jouit de se procurer des plaisirs du harem. Je l'ai rencontré, il est déjà vieux mais se porte très bien ; ces livres imprimés au Caire se vendent, il faut s'adresser à l'imprimeur même pour se les procurer. On dit beaucoup de bien de M. de Mismaud. M r Drovetti s'est en allé avec toutes sortes de malédictions. On dit que les Russes ont passé Choumla et ont battu complètement les Turcs. J'ai lu quelques gazettes, les plus récentes étaient du 26 mai ; il paraît qu'on avait discuté aux chambres plusieurs petits projets de loi amélioratifs et qu'un amendement établissant la responsabilité des ministres avait été repoussé par la chambre des pairs ; en résumé, ces journaux postérieurs au commencement des discussions n'avaient rien d'intéressant et il m'a été impossible de reconnaître si cela allait bien ou si cela allait mal. Le couvercle et le morceau cassé du sarcophage sont encore sur le bord du Nil, mais le plus difficile est fait, la caisse est dans la barque ; j'ai cru ne pouvoir prendre trop de précautions pour une pièce si belle et si chère. Tout est pour le mieux ; j'ai eu la fièvre toute la journée, j'ai cru qu'on ne pourrait jamais l'enlever ou qu'il souffrirait de quelque écorniflure. Il n'y a pas même une petite raie, et je vous le dis avec un grand soulagement d'esprit ; il est bien beau! Je suis fièrement content de l'emporter en France. Il y a une frégate à Alexandrie, elle attend d'être relevée sous peu ; si son départ pouvait avoir lieu incessamment, j'emporterais toutes vos affaires, comme vous me l'avez recommandé. Je vous écris, Monsieur, plus à la hâte que je ne voudrais, je crois pourtant vous avoir informé de tout ce qui était essentiel. J'aime beaucoup le Caire, mais c'est un terrible pays : pour la plus petite affaire on n'en finit jamais? Quels animaux! Je partirai après-demain. Tous les marchands d'antiquités vous attendent avec anxiété. Ils sont persuadés que tout ce que vous n'achèterez pas à votre passage sera frappé d une défaveur irrévocable et ne trouvera plus d'autre acheteur. Je viens de voir cet Antonio ; il espère et désire beaucoup vous vendre son sarcophage. Je lui ai dit que, sans doute, vous le verriez, que du reste, vous n'étiez pas homme à marchander, qu'une fois l objet examiné, une fois estimé, vous lui en feriez un prix, si c'était votre idée d'en faire l'acquisition. (2 octobre 1829) 82

83 Alexandre Duchesne Enfin, ce voyage interminable touche à sa fin et cette lettre t'annoncera mon arrivée au Lazaret de Toulon. Tu imagines sans doute que je viens directement d'alexandrie. Non. Je viens de Grèce, de Navarin, la frégate La Galatée, après une station de six mois à Alexandrie, reçut, comme j'y arrivais, l'ordre de quitter ce poste pour retourner en France après avoir pris quelques instructions à Navarin. Je n'eus que le temps de remettre, entre les mains du Consul, quelques objets d'antiquité dont m'avait chargé M. Champollion. Je m'embarquai, j'avais gardé un peu d'argent pour le cas où j'aurais eu le temps de faire une petite excursion dans l'attique 90, mais, après quatre jours, nous remîmes à la voile en vue du cap Spartivento, attendant un peu de vent pour entrer dans le golfe de Messine. Ainsi, je reverrai en passant le golfe de Naples et je le saluerai d'un sourire, le Vésuve, Ischia, Capri ne me rappelleront que d'agréables souvenirs. Mon départ eut laissé M. Ch. d'assez mauvaise humeur contre moi si une circonstance toute particulière ne le lui eut rendu profitable ; voici comment : il y avait au Kaire un sarcophage très beau dont le propriétaire demandait 2000 talaris. M. Ch. n'avait pu l'obtenir et les offres faites pour le même objet par M. Rosellini avait rendu le marchand encore moins disposé à s'accommoder. Car il voyait bien, aux allées et venues de l'un et de l'autre, qu'il ne pouvait que gagner à attendre ; cette emplette avait été cause d'une dispute infernale entre M. Ch. et M. R. N'ayant pu l'obtenir, ils avaient quitté le Kaire, se méfiant mutuellement de quelques coups en dessous. Le Toscan avait sont consul au Kaire et le nôtre venait de mourir. Je su à Thèbes, six semaines avant de partir, par des anglais avec qui je causai par hasard d'antiquités, que le fameux sarcophage n'avait pas trouvé d'autre acheteur, et que le propriétaire en était beaucoup plus raisonnable dans ses prétentions. On parlait de 1000 talaris. J en parlais à M. Ch. déjà ; voyant que je partais (bien décidément, il avait pensé), me dit-il à me charger de quelques commissions à ce sujet. Il me donna une lettre de crédit de 1000 T. en me disant d'essayer. Nous ourdîmes un petit plan de conduite, il espérait peu qu'un turc se défit d'une chose avant d'être bien certain qu'il n'en pouvait avoir davantage. Ils savent que nous devons redescendre dans peu de temps, que nous sommes deux en concurrence, me dit-il, et je n'ai point d'espoir. Je partis avec ma lettre, je quittais M. Ch. en parfaite intelligence ; il m'avait chargé de plusieurs autres choses. Enfin, on me demanda 1200 T. du sarcophage et je l'eus pour 800. Je l'embarquai aussitôt et le descendit jusqu'à Alexandrie où je fus obligé de le laisser, la frégate partant trop promptement, et pouvant d'ailleurs trouver à Navarin quelque contre-ordre qui l'éloigna encore de Toulon. Le vent nous sert assez mal ; depuis notre départ d'alexandrie, nous avons constamment gouverné au plus près, toujours du vent contraire ou du calme. Cependant les courants nous ont fait passer assez lestement le détroit de Messine, on navigue si près de terre qu'on peut parfaitement distinguer tous les objets ; la côte de Sicile est admirable, couverte de verdure, d'orangers, de figuiers, de vignes, de jolies maisons de campagne. Celle de Calabre est moins brillante, mais d'un beau caractère. C'est une charmante promenade. Depuis hier, le temps paraît se brouiller, des nuages arrivent de tous côtés, les vents se battent, mais le nord l'emporte toujours et refoule à l'horizon la pauvre petite brise du sud qui, chaque soir, semblerait vouloir nous favoriser. Mais, à force de bordées, nous arriverons. J'écris à M. David, administrateur des Douanes, je le prie de vouloir bien m'autoriser à entrer des costumes. Ce n'est pas que je craigne d'avoir parmi ces étoffes, pour la plupart portées ou façonnées, quelques objets prohibés mais comme j'en ai une assez 90 Région qui entoure Athènes. 83

84 Au pré de mon arbre grande quantité, et que très probablement le Gentil Douanier comprendrait fort peu en quoi toute cette garde robe peut servir à la peinture, j'ai prié M. David de vouloir bien prendre connaissance de la liste de ces vêtements, tous pour mon usage, et m'en accorder l'entrée si ces effets sont bien jugés les mêmes que je lui déclare. Si tu veux me faire le plaisir d'aller le voir, tu sauras de lui s'il vaut mieux que je fasse plomber ma malle à Toulon pour n'être visité qu'à Paris. J'ai aussi quelques poteries antiques. Tu m'écrirais de suite ce que je dois faire. C'est à dire me laisser visiter à Toulon ou à Paris. Lhote m'a conseillé d'écrire ainsi que j'ai fait à M. David pour lequel il m'a aussi donné une lettre à ce sujet et pensait que cette affaire ne devait souffrir aucune difficulté. Si je savais d'avance que quelqu'un de ces objets me peut être saisi, je me disposerais à le faire passer en cachette, ce qui, je crois, serait assez facile. J'ai par exemple acheté un shâl (turban) en mousseline des indes brodé en soie. C'est bien pour ma peinture, en effet, mais c'est neuf. C'est une longue pièce carrée, croira-t-on que je n'ai pas l'intention de l'employer à autre chose. On m'a donné un morceau de mousseline pour faire une ceinture de femme, c'est assez ordinaire, mais c'est neuf. J'ai de petits mouchoirs en coton, étoffes assez grossières mais d'une belle couleur, neufs aussi. Je serai bien fâché de ne pas entrer tout cela. Si tu peux aller voir M. David presque aussitôt après la réception de cette lettre, tu saurais peut-être de lui ce que je dois attendre quant à ma demande qui est certainement très consciencieusement faite, et tu m'écrirais de suite quelques mots. Il me semble que tu connais un peu M. David ; si ce n'est toi, c'est donc mon oncle. Le vent s'est enfin déclaré pour nous, et le temps paraît bien pris. Enfin, mon bon Père, je vais t'embrasser, je vais rentrer. Je ne suis plus en exil. Je ne renonce pas aux voyages mais je ne veux plus des expéditions ; je n'irai pas si loin ou bien j'attendrai et j'irai avec mon argent, avec mes petits moyens. Adieu. Je t'embrasse bien. AA o Cara terra ti baccio Nous sommes à Toulon Le 2 8 bre 1829 M. David, rue blanche n 9 avant 10h du matin, ou rue du mont Tabor n 15 de 3 à 5. Je t'envoie deux lettres pour lui. Je crois qu'il est de rigueur qu'elles soient affranchies. Si tu ne les reçois pas, ci-jointes, c'est que M. Lothon, directeur des Domaines à Toulon, que j'ai prié d'en prendre connaissance aura jugé que je pouvais me dispenser de faire cette démarche. Je lui étais recommandé par L Hôte. Mon cher Montfort Avant d'entrer en causerie, je vais te donner quelques détails sur les commissions dont tu m'as chargé. D'abord, je te dirai que je n'étais pas à Paris quand ta lettre m'est arrivée. Le petit soulier modèle avait purgé sa quarantaine et était chez moi depuis huit jours quand je suis rentré après une petite vacance que j'avais été passer en Normandie. Je ne sais si j'ai bien réussi mais assurément j'ai mis à faire ces diverses emplettes tout le soin et la conscience dont je suis doué. Franchement, je me garderai bien d'en faire autant pour moi. Tu as dû te trouver à même de savoir combien on est gêné et gauche et incertain quant il s'agit de chercher pour un autre. Après avoir acheté des gants chez Bertin, il me semblait en voir chez Privat de mieux fait, de plus fashionables. Rentré chez moi, les éponges que je venais de choisir me paraissaient grosses et noires, et tout me paraissait d'une cherté exorbitante. En définitive, j'ai fait de mon mieux. J'ai 84

85 Alexandre Duchesne dépassé un peu le crédit qui m'était ouvert, je me suis figuré à 6 ou 700 lieues d'ici, attendant impatiemment pendant 3 mois, et recevant après ce terme une lettre qui m'annonçât que les différents objets demandés, coûtant quelques louis de plus que je n'indiquais, on n'avait pas jugé convenable d'en faire l'acquisition. Et comme, sans nul doute, j'eusse, en pareil cas, trouvé le commissionnaire très embêtant, j'ai secoué les scrupules et j ai été mon train jusqu'au bout du rouleau. Sauf, toutefois, une cape en velours noir que je n'ai pu faire faire d'abord parce que je n'ai pu découvrir M. ou M lle Baudouin, ensuite parce que les avis étaient partagés, l'un me disait que c'était une mante, l'autre, une casquette, un autre m'assurait que c'était une espèce de capuchon ou calèche 91, objet passé de mode, vain, mauvais goût etc. j'ai mis la commission dans ma poche. En fait de cahier d'architecture, j'ai vu beaucoup de drogues ou des ouvrages fort chers. J'ai supprimé l'architecture mais si M. de Berton veut me donner plus ample renseignement, je rechercherais encore la chose. Autre article : ne trouvant en porcelaine blanche à filet d'or que du commun à très bon marché, j'ai dû faire fabriquer ; j'ai eu pour cela le malheur de tomber à un animal de beau parleur qui, huit jours après, est venu me dire qu'il ne pouvait faire ma commande, que les ouvriers étaient en insurrection et se refusaient à lui livrer ; Le fait est que mon farceur est, à ce qu'il paraît, en assez mauvaise situation et que les fabricants lui refusaient crédit. Ce monsieur m'avait pourtant été recommandé à la manufacture de Sèvres ; à Sèvres, le service qu'on désirait eut couté de 1000 à 1200 francs au lieu de 5 à 6. Il m'a donc fallu chercher un autre homme ; enfin, après-demain, j'aurais mon service. Il sera emballé et voyagera. Voilà, mon cher, mon compte rendu. Entre nous, quelques embêtantes que soient de pareilles commissions, je me reprocherai beaucoup de n'avoir pas travaillé de tout mon cœur à les exécuter, du moment que tu pouvais trouver plaisir à rendre indirectement ce service à la personne qui me les a adressées. Et je désire qu'il en sache gré à toi et non à moi. Par parenthèse, je réponds que j'ai eu les livres arabes au meilleur compte possible quoi qu'ils soient encore forts coûteux comme cela. Eh bien, mon brave homme, tu es sorti de la mauvaise veine, j'espère, et tu travailles et tu jouis ; tu vois de belles choses, tu ne cours pas après un ou deux mauvais modèles, tu ne cherches pas parmi des races bâtardes et lourdes, ou rabougries, des formes incertaines dont tu puisses dissimuler la misère, tu ne te casses pas la tête à trouver, dans l'ensemble grossier de traits vulgaires et plats, un caractère, un style élevé, tu ne sues pas sang et eau à chercher un type où il n'y en a pas, de la poésie où il n'y a une expression sans nerf, une force sans énergie, une grâce sans noblesse. Ah, que je vous envie, que ce voyage vous profite, au moins que j'ai le plaisir de vous voir réussir puisque je ne pouvais avoir le bonheur de recueillir avec vous de si beaux fruits. Je m'embête bougrement (illisible) quand je pense à cela. C'est une faiblesse, cela me prouve que je n'ai de courage qu'à demi, mais, ma foi, je ne gagnerai jamais ce courage philosophique ; il viendra peut-être avec l'abrutissement des facultés, avec l'attiédissement des forces physiques, de l'imagination. Il faudra bien que cette ambition si longtemps contrariée et stérile s'aplatisse, la sève s'usera et tu ne m'entendras plus geindre ; tu diras alors : «Ce pauvre Duchesne, comme il s'est calmé, le voilà perruque au complet, quel bonheur pour lui après tout, au moins il ne se tourmente plus, le voilà tranquille.». Tu le vois, 91 - Capuchon à deux arceaux fonctionnant comme une capote de voiture et destiné à protéger les coiffures élevées ; en usage au XVIII e siècle 85

86 Au pré de mon arbre par moment, j'envisage l'avenir de son côté gai. C'est qu'au fond, je n'étais pas né pour faire de la mélancolie. Je ne te parle pas, mon cher ami, des tribulations que vous avez éprouvées, je les comprends et je vous ai plein de tout mon cœur, mais ces contretemps désolants sont, je l'espère eux, loin déjà de vos pensées. Le bien fait oublier le mal. Je vous crois au terme de vos ennuis, la mauvaise veine est passée, il faut piocher. Tu m'as dit bien souvent en dernier lieu que tu étais revenu de la prétendue importance d'une multitude d'études superficielles, que tu ne perdrais plus désormais un temps précieux à recueillir sommairement un tas de jolis motifs dont ensuite on ne sait plus que faire. Je partage ces idées là et quel grand parti, en effet, avons-nous tiré, tous trois, de quelques jolis croquis auxquels nous tenions tant? N'oublie pas cela, on se laisse si facilement aller à l'attrait de ces jolis petits riens qui grossissent le portefeuille. J'espère bien que tu fais de vraies peintures, que tu vises à des choses faites, a des choses rendues, entières. Robert, en arrivant à Venise où il est resté quatre ans et plus, s'est mis à ses pêcheurs et rien ne l'a détourné de cette première pensée. Il a bien fait, je pense, et les cinquante petites choses, plus ou moins gracieuses, qu'il eût pu faire en la place de ce dernier tableau, ne vaudraient pas autant. Bougrrrrr! Je te fais la leçon, je crois. J'ai vu ton frère qui s'arrondit très proprement. Je ne te parlerai pas assidûment de Jamar ; après ton départ, quelques matinées passées en longues conversations ont ravivé notre vieille amitié. Il n'est pas mal maintenant mais il a été malade et je trouve son mal fort inquiétant bien qu'il ait paru céder aux soins et aux ménagements qu'il s'est imposé. Une attaque de paralysie sur la face lui laisse encore quelques traces, et voilà trois ou quatre mois de cela ; il ne paraît pas s'en être affecté. Je trouve cela bien grave avec son tempérament surtout, et quoique lui en dise Cazenave, je ne puis m'empêcher de m'en attrister. Comme je vous envie, mes vieux Wanloo! Ah que je voudrais être où vous êtes. Il faut pourtant que j'éloigne cette idée pour ne pas écrire une lettre tout à fait embêtante. C'est qu'elle revient chaque fois que je pense à vous, chaque fois que je m'amuse à vous suivre par la pensée ; elle revient quand je m'ennuie, quand je me décourage. Je vous vois, je tombe au milieu de vous à l'improviste, je me fais de sacrées bêtes d'idées. Tout à coup, je suis libre, rien ne me retient plus ici, je pars et je vous arrive là-bas. Bon gré. C'est que ce n'est pas cela. Pareille rêverie traverse-t-elle quelquefois ton cerveau, fais-tu de temps à autre un bond jusqu'à Paris, t'avises-tu de fondre inopinément sur moi, de me prendre par le bras pour aller flâner, parler peinture, entendre du Beethoven? Je vais te rendre à toi-même. La France est un bon pays que j'aime bien, tu sais que je suis bon français et que je blâme profondément ceux qui ont le sot esprit de se dénigrer. Laissons ce soin aux anglais qui nous détestent. Mais, entre nous, il s'agit de peinture, il s'agit d'art. Aujourd'hui, vois-tu, il fait beau, il y a du soleil et de la poussière jusque sur la tête des arbres qui sont tous gris. Deux ou trois orages viendront laver leurs feuilles, et l'hiver les emportera. Alors, rappelle-toi cela, nous aurons de l'eau pendant 7 mois, de l'eau et du froid, un ciel gris, de la boue, des flaques, une fumée rousse, des maisons sales, sans caractères. Aux promenades, des êtres souffreteux, des visages à la peau terreuse et malsaine, des femmes qui ne sont ni blondes ni brunes, des corsages vuides, des costumes de poupées, des grosses mamans, des gros pères, de petits gaillards méchants comme le Diable, de bons poussifs le chapeau à la main, quel temps qu'il fasse et la cravate en colin. Dans ton atelier, il ne fera pas clair et tu seras obligé de remettre de jour en jour à terminer ton Agamemnon 86

87 Alexandre Duchesne d'après Suisse, ta colonne Trajanne d'après Polonais, ton Hérinte 92 d'après Sévot, ton odalisque d'après la Roissy ou ton Henri IV d'après Cadamon qui a maintenant une barbe blanche. Tu iras dans le monde faire la bête, et la maîtresse de la maison te demandera un petit dessin ; elle t'engagera à son bal et tu y trouveras une jolie figure sur 200 plus ou moins laides. Et tu rentreras te coucher avec un bon mal de tête ou bien avec une invitation à dîner pour le lendemain. Le lendemain, tu rageras, et puis le jour suivant, et tous les jours, et au bout de six mois tu n'auras rien fait que des visites. Où en es-tu avec F., tu sais qui je veux dire, fait lui prendre patience tant que tu pourras et reste là-bas ; tu ne seras pas plutôt ici que tu désiras de nouveau t'en éloigner. Moi, je travaille toujours. Comme l'écureuil dans sa cage, je tourne, je tourne sans avancer. Mon existence, tu le sais, est toujours égale ; un jour en vaut un autre. Adieu pour aujourd'hui. Demain, si je suis en bonne humeur, je te dirais un mot sur ton tableau : mais (crainte de l'oubli) je te prie de ne pas m'écrire en lignes croisées, à l'anglaise ; avec l'altération que subit l'encre en passant au vinaigre au lazaret, cela devient d'une difficulté assommante à déchiffrer. J'aime mieux payer double et triple port de lettre que d'en lire une comme ta dernière. 7 juillet. Méfie toi de Lehoux, je te préviens qu'il s'en ira dans des petits coins cachés faire de petits polissons de croquis. C'est un vieux sournois vois-tu ; moi je le connais, il m'envoyait chercher au Diable certaines mosquées ou autre ruine pittoresque qu'il avait découvert tout bonnement à 50 pas de notre habitation. L'emballeur arrive à l'instant, me voilà dans un coup de feu. Dis bien à M. de Berton que j'ai inclus dans une des caisses les notes et quittances. Celle de M lle le Barbier, lingère, n'est pas signée. Je viens de payer à l'instant et j'ai envoyé prendre un acquis. Comme il eut fallu retarder la fermeture des caisses, je joindrai ce reçu, qui va m'arriver dans une demi-heure peut être, à ta lettre. Il sera tout petit et n'en augmentera pas le port. Si, par étourderie, j'avais omis quelque facture ou note, je l'ai ou pourrais la ravoir. Je dis cela dans le cas où quelques-uns de ces objets serait pour autre personne que M. de Berton lui-même et où il désirerait justifier de cette acquisition. Je crois, du reste, que tous les objets sont détaillés et je viens de vérifier, mais tu sais qu'on peut, dans un moment de presse, s'être trompé. Sur une des factures j'ai expliqué comment je n'avais pas acheté d'écharpe blanche. Je crois t'avoir dit aussi quelques mots au sujet de la cape en velours noir. Le commissionnaire de roulage m'ayant offert de faire suivre les frais de roulage et les frais d'emballage, il m'a semblé que ce devait être le moyen le plus commode pour M. de Berton de me rembourser cet argent puisque je dépense le crédit de 1800 f. qu'il m'avait ouvert chez M. Caccia. Le total des dépenses faites pour les diverses acquisitions monte à Mon intention est de faire suivre également la petite différence de 66 f. si le commissionnaire de roulage veut aussi les porter en compte. En conséquence, M. de Berton recevra donc de MM. Étienne Roland une note portant les frais d'assurance maritime, de chargement, de roulage, d'emballage, d'acquit à caution pour vin, droits et plombs des Douanes et enfin de soixante six francs si je me les fais rembourser par le Roulier. Je dois le revoir dans une heure d'ici. Si les soixante six f. ne se trouvent pas mentionnés par MM. Roland & C., c'est que je n'aurais pas fait suivre et, dans ce cas, ce sera une misère à régler à l'occasion. Le petit paquet de factures est placé dans une des pièces de porcelaine. Il faut avoir soin, en déballant, de ne pas perdre, dans la paille, de petits paquets qui, ayant très peu de volume, pourraient s'y égarer Épouse de Batrane, et fille de l empereur Héraclius. 87

88 Au pré de mon arbre Comme par exemple les petits peignes qui ne font pas, en tout, la grosseur de deux paquets de cinabre. Adieu gros Wanloo. De bon cœur, je vous souhaite bonne réussite en toutes choses. Certes, je voudrais être avec vous, tout en t'écrivant, j'ai rêvassé l'orient et la peinture, la malheureuse pensée qui me travaille comme un ver rongeur. Je vais rentrer dans mon atelier, je tuerai quelques heures en pignochant sur ma toile comme un pauvre Diable qui laboure un terrain stérile et maudit le peu de fruits de ses efforts. Allons, je rabâche encore ; comme si les plaintes guérissaient le mal! Bougre. Adieu, mon cher ami, adieu Lehoux, j'ai plaisir à penser que si je forme souvent le vœu de vous rejoindre, vous m'aimez assez pour désirer aussi de me voir au milieu de vous, partageant la même chance. Je pourrai te faire une petite liste de ceux qui vous en font mille et mille amitiés, vous pouvez le deviner en partie... Jamar, mon père, Lady Coote 93 etc. etc.. Je me serais volontiers dispensé de faire recouvrir la caisse des lampes de toile goudronnée, mais le M. lampiste me l'a recommandé. Comme je n'en connais ni l'intérieur, ni le mécanisme, je n'ai pas fait d'observation. Les toiles goudronnées ont augmenté les frais d'emballage de 35 frs. 14 juillet J'ai fait suivre par le Roulage les frais d'emballeur, droits de Douanes, plombs etc. plus les soixante six fr. déboursés par moi. Ainsi M. de Berton aura à solder frais jusqu'à Marseille. Roulage 116f50c Enregistrement 1 Débours, Douanes, plombs 17, Emballage 74 Déboursé par moi Ton tableau faisait assez bien, il a été regardé et gouté, mais trop noir, sale, roussi, enfermé... Bonjour. M me Lemercier a écrit deux fois à Toulon, à toi ou Lehoux ; avez-vous reçu? Je m'aperçois à l'instant que j'ai oublié de joindre la facture acquittée du Dicti. de Boisle et celle de Giault 94. Mais c'est si peu de chose que je m'en abstiens pour ne pas augmenter le port de ta lettre. Après tout, Alexandre ne semble pas conserver un mauvais souvenir de son voyage en Égypte Alexandre deviendra le précepteur du fils de Lady Koot, jeune anglais, maladif qui ne tardera pas à mourir ; Lady Koot lui lèguera son service de Sèvres. Paul Duchesne le rassemblera lors de la su ccession de Gaëtan Duchesne & Cécile Marin-Darbel, à Ludon : tous deux décédés d e- puis de longues années, suite à des «affaires» de famille, les meubles avaient été mis sous scellés. Au règlement de la succession, Paul Legrand en hérite et les revend à Paul Duchesne Est-ce une abréviation pour désigner Géricault? 88

89 Alexandre Duchesne Sur un papier sont figurés des personnages identifiés : G al Astrabin ; De Lariboisière ; G al Royer (ou Roger) ; De Livonne ; Gazet ; Coulonier de S t Clair ; Ladumer ; H.V. ; Ribul Fleury ; Amédée de Beauplan ; Eugène Larni ; De Montemville ; Lelieu ; D.Montfort ; Lehoux ; C l Bro ; C l Langlois ; Cujel ; Gingot (ou Singot) ; Dr Hérault. Retour d'égypte A son retour, Alexandre Duchesne, déçu de ne pas obtenir dans la peinture le succès qu il espère, devient le précepteur d un jeune anglais, le fils de Lady Koot. En 1843, il épouse Mélanie Verdier, originaire de Beauge (Maine-et- Loire), de dix-sept ans sa cadette. Quatre enfants Gaëtan, Marie, Georges, Gaston - naissent à Paris. Ludon En 1849, il décide de changer de vie et s établit en Médoc, achetant le château Sénéjac 95, une des résidences les plus agréables du Médoc, au Pian. Georgette y naît en Mais il a probablement les yeux plus gros que la bourse et, contraint de le revendre deux ans plus tard, il se replie sur le village de Lataste, sis sur la commune de Ludon 96, où il réside trois ans et où naît Juliette, puis achète le domaine de Lafont, en 1856, où naissent Benjamin et Alexandre. Après des débuts difficiles, Alexandre père développe à la fois le vignoble et un commerce de vins florissant qui l amène à effectuer de nombreux voyages. Un malheur assombrit la vie familiale : en 1866, Georgette 97 et Alexandre 98 meurent du croup Le Château Sénéjac fut, au XVI e siècle, à un écuyer, Nicolas de Bloys,qui épousa Jeanne de Fleix, dame de Blanquefort. Sans doute y planta-t-on de la vigne à Sénéjac dès ce siècle. Au XVII è me siècle, un grand chasseur, le Maréchal d'ornano, gouverneur de Guyenne, prit possession du domaine Sénéjac. Au milieu du XIX e siècle, Sénéjac vinifie l'équivalent de bouteilles, guère moins qu'aujourd'hui. Nobles et hobereaux, se succédèrent ensuite à la tête de la propriété de Sénéjac. Entre 1839 et 1867, se succédèrent Messieurs de Meller, Duchesne, Roques et Causse, puis fut rachetée par le comte de Guigné.(En 1845 William Franck note un certain Roques propriétaire, produisant 30 à 50 tonn eaux Le 21 juin 1660, à 4 heures du matin, destruction de l église de Ludon suite à un tremblement de terre D autres sources la voient mourir de typhoïde D autres sources le voient mourir en

90 Au pré de mon arbre Alexandre père décède à Paris le 2 juillet Il est inhumé au cimetière de Ludon. Publications - Catalogue des estampes, par Duchesne Aîné et Dubois - Compte rendu à S.E. le Ministre de l'intérieur du voyage fait en Angleterre par M. Duchesne aîné, pour y examiner diverses collections d'estampes, publiques ou particulières par Jean Duchesne / Publié dans le Moniteur du 28 Juillet Dubois L.J.J., Pérignon A.N., Duchesne Ainé, Description des Objets d'art qui composent le Cabinet de feu M. le baron V. Denon, Paris, Hippolyte Tilliard, Monuments antiques, historiques, modernes, ouvrages orientaux, etc. par L.J.J. Dubois. 2 - Tableaux, dessins et miniatures, par A. N. Pérignon. 3 - Estampes et ouvrages à figures, par Duchesne Aîné et suppléments - Musée de peinture et de sculpture, ou recueil des principaux tableaux, statues et bas-reliefs des collections publiques et particulières de l'europe, dessinés et gravés par A. Réveil, avec des notices [...] par Duchesne aîné, Paris et Londres, 1828 ; en 17 volumes Le croup (manifestation laryngée de l'an gine diphtérique) est une infection virale qui dure environ cinq ou six jours. Il cause une enflure dans la gorge et aux cordes vocales (larynx). Il affecte généralement les enfants de moins de cinq ans, voire plus, qui ont des voies aériennes plus étroites et susceptibles à l'enflure. Un signe révélateur du croup est une forte toux qui ressemble à des aboiements et qui empire pendant la nuit. Divers virus peuvent causer le croup chez les enfants. Les plus courants sont le parainfluenza, l'influenza (grippe ), l'adénovirus,le virus respiratoire syncytial (VRS), et la rougeole. Le croup est dû plus ou moins à l'inclémence du climat et de la saison et au manque de précautions h y- giéniques, est donc plus fréquent pendant l'hiver et au début du pri n- temps, lorsque les virus qui le causent atteignent leur point culminant. 90

91 Euphranor Marin-Darbel Gaëtan Duchesne Alexandre Duchesne est lié d'amitié avec Euphranor Marin son condisciple au Lycée de Versailles. Euphranor, après avoir été à l'école des Chartes, un ami de sa famille, Monsieur Latreille, botaniste, le mène voir Madame de Chatenay qui les reçoit dans son lit, suivant l'usage du temps, et les présente au Prince Gagarine venu en France pour sa santé. Le Prince a en effet une maladie d'estomac, inguérissable, dit-on : il mourra à quatre-vingt-neuf ans! Gagarine cherche un précepteur pour son jeune fils, et engage Euphranor Marin ; de plus, le prince Gagarine l associe à la filature de coton qu'il possède près de Moscou. Vers 1840, Euphranor Marin-Darbel (il a ajouté, à son nom, celui de sa mère) revient à Paris, l'éducation de son élève étant terminée. Alexandre, heureux de retrouver son ami, le mène chez son père, à la Bibliothèque et le présente à sa sœur Rose-Cécile, dite Babouchka, et à sa jeune nièce Cécile Beaumont, fille de Rose-Cécile. Et ce qui devait arriver, arrive : le 25 Septembre 1843, en l'église des Petits Pères, Cécile Beaumont épouse Euphranor, fils de feu Laurent Marin, Chef de Bataillon Marin du 52 e de ligne, et de Louise Élisabeth Darbel. Laurent Marin a été blessé à la bataille de Pampelune 1 en 1813 : son cheval, en tombant, lui fracassa le genou. Le célèbre chirurgien Dupuytren, consulté, dit qu'il n'y a rien à faire. Il meurt en effet au bout d'un an. Quant à Louise Élise Darbel, née le 6 janvier 1780, on dit qu elle fit sa première communion dans une cave durant la Terreur. Le jeune ménage part pour la Russie 2 où naîtront leurs quatre enfants : Gustave ( ), Cécile 3 ( ), Victor 4 ( ) et Élise 5 ( ). 1 - voir Campagnes de 1813 et de 1814, par Blaise Jean François Édouard Lapène 2 - Anacharsis, le frère d'euphranor (ces noms rappellent bien l'habitude qu'on a, au temps de la révolution, de donner aux enfants des noms pris dans l'histoire ou la littérature) Anacharsis donc, alias Victor, alla aussi en Russie Doyenne de la famille, est morte dans sa maison de Fontain e- bleau, dans sa quatre-vingt-dix-neuvième année, le 16 Mars Il fait une carrière brillante. Vice-Amiral en 1909, il fut Chef d'état Major général de la Marine, Vice- Amiral le 8 août 1912 puis Co m- 91

92 Au pré de mon arbre Cécile Beaumont est en relation très suivie avec M me Lenormand 6, veuve du conservateur des médailles, prédécesseur de Chabouillet. Les enfants naissent à Marfin Brod, près de Moscou. Cécile Beaumont habite Moscou pendant l'hiver et son mari va tous les jours à Marfin Brod. En dehors de la princesse Gagarine 7, elle voit beaucoup M me Anikief. Les Gagarine ont pour enfants M me Irénéhef, le père Gagarine 8 et une autre fille, M me Boutourline. mandant en chef de l'escadre de la Méditerranée, et Préfet Maritime à Toulon. Il est atteint par la limite d'âge quelques jours seulement avant la guerre de 1914 et doit prendre sa retraite malgré tout le désir de servir que lui permettait sa robuste vieillesse. Il est mort à Fontainebleau le 14 Juillet Est aussi connu sous son prénom Laurent. 5 - Élise est baptisée par l'abbé Charazade, vicaire de l'église c a- tholique romaine française de Saint-Louis à Moscou. 6 - Cette M me Lenormand est la nièce et fille adoptive de M me Récamier que Cécile Beaumont a connue et qui était surtout en relation avec Babouchka qui lui rendait fréquemment visite à l'abbaye aux bois. B a- bouchka disait d'elle qu'elle n'avait pas beaucoup d'esprit mais qu'elle avait un charme extraordinaire. Le choléra avait fait des ravages terr ibles dans tout le quartier de Sèvres. M me Récamier l'attrapa, en mourut chez sa fille adoptive M me Lenormand où on l'avait transportée. 7 - Prince Grégoire Ivanovitch Gagarine ( ), ambassadeur, président du Conseil de l'empire, Secrétaire d'état, Chevalier de l'ordre de Malte Membre d'honneur de l'académie des beaux -Arts, etc... Il eut une passion pour la fameuse Marie Antonovna Narychkine, née princesse Tchetvertynsky. Elle qui eut également une aventure amoureuse avec le Tsar Nicolas I er. À ce jour on ne sait pas de qui vient l'enfant nommé E m- manuel! Est-ce du Tsar ou de Gagarine! Mais Gagarine a dû partir à l'étranger au plus vite, dès qu'elle a mit l'enfant au monde! Gagarine épouse Catherine Pétrovna Soïmonoff ( ), fille du secrétaire d'état de l'impératrice Catherine II, conseiller Privé, Pierre Alexandrovitch Boltine. De cette union : 5 enfants - dont le peintre Grégoire Grégoriévitch Gagarine. 8 - Le père Jean-Xavier Gagarin, Ivan Sergeevič est né le 1 er août 1814 à Moscou. Son père, Sergej Ivanovič, est grand maître de la cour, membre du conseil de l Empire, chevalier de l ordre de Saint Alexandre Nevski et de Saint Vladimir de première classe, sa mère est Varvara Mih a- jlovna Puškina ( ). L éducation du jeune prince se dér oule à la maison, comme c est souvent l usage à cette époque dans ces grandes familles russes. Marin Darbel, lui inculque une connaissance du français qui en fait sa langue principale. Mais il est aussi initié à l allemand, au latin. Il est très studieux et passe de longues heures à l étude quotidienne. Il lira toujours abo n- damment et avec une rare capacité d assimilation. L hiver la famille réside 92

93 Gaëtan Duchesne Le père Gagarine, dont Gustave-Euphranor Marin-Darbel est le précepteur, a été converti par le père de Ravignan ; il s'est ensuite fait jésuite. C'est lui qui célèbrera les mariages de Cécile, et d'élise. Babouchka avait habité 76 rue de Clichy, puis 4 rue de Berlin. C est de sa fenêtre du 76 rue de Clichy que Élise et son frère Victor voyaient passer les prisonniers que l'on met à la prison pour dettes (emplacement du casino de Paris). Les grands-parents Marin-d'Arbel 9 habitent 40 rue Blanche, d'abord au premier puis au deuxième étage. Une lettre de Jean Duchesne du 8 novembre 1852 écrite à son neveu Henri suite à la naissance de Joseph (le 5 novembre) indique que M. Marin doit être maintenant à Varsovie. En 1852, les Marin-Darbel rentrent en France et achètent à Fontainebleau une grande maison, 28 rue du Chemin de Fer. Gustave a 8 ans, Cécile 6, Victor 3, Élise 2. A la même époque, Alexandre Duchesne quitte Paris et s'installe au Pian-Médoc avec sa nombreuse famille. Le fils aîné Gaétan vient souvent à Paris pour son négoce de vins. Il fréquente assidûment la maison de Fontainebleau et, le 11 Novembre 1871, il épouse sa nièce (à la mode de Bretagne), Cécile Marin-Darbel, petite-fille de Rose Cécile Duchesne et de Laurent Beaumont. Le Plessis est acheté en 1860 et revendu aux Balsan en 1874 ou 75. Gustave-Euphranor voulait l'appeler Brod en souvenir de son séjour en Russie. Les Corap Fille de Victor Marin-Darbel et Jeanne Margaine 10, Cécile, née le 12 septembre 1892 à Sainte-Menehould, se marie le 1 er juin 1920 à André Corap. à Moscou, l été à la campagne proche de la capitale. Il y a cependant un intermède de trois ans, au cours duquel la famille Gagarin accompagne le prince Sergej Ivanovič dont la santé exige qu il aille prendre les eaux. 9 - Se trouve orthographié ainsi Victor Marin-Darbel, Capitaine de frégate, attaché militaire à l'élysée sous le Président Carnot, épouse le 22 Septembre 1891 Jeanne Margaine, fille du Sénateur de la Marne. 93

94 Au pré de mon arbre André Corap André Corap est né à Pont-Audemer (Eure) en janvier Sorti major de sa promotion à Saint-Cyr en 1898, il choisit les Tirailleurs algériens. Il entre à l'école de guerre en 1905, détaché en 1907 à l'état-major de la division d'alger pour les opérations d'oujda (Maroc). En 1911, il prend part à la marche sur Fez sous le commandement de Gouraud, à la prise de Marrakech sous celui de Mangin. Capitaine de Zouaves en Officier de la Légion d'honneur, il passe à l'état-major de Foch en 1915, de Pétain en Il est lieutenant-colonel à la fin de la guerre. Au Rif y fit L échec des pourparlers d Oujda, le 6 mai 1926, entraîne immédiatement, l offensive franco-espagnole : dés le lendemain l aviation entreprend sur tout le front des reconnaissances et des bombardements massifs sur les rassemblements et les centres importants, notamment sur le poste de commandement du Khamlichi à la Zaouia de Bou Ghileb. Le même jour, au crépuscule, les troupes françaises sont lâchées. Dés le lendemain matin le 8 mai les troupes françaises et les troupes espagnoles commençaient une offensive conjuguée avec pour objectif l'occupation du massif du Djebel Hamman, base de la puissance de Abdelkrim 11. Les secteurs espagnols d Alhuceima et de Melilla marchent en même temps que l ensemble de la ligne française. Celles-ci avançait sur plusieurs axes simultanément : à l ouest depuis Ouazzan et Chefchaouen afin de couper les Jbala du Rif, et plus à l'est depuis les Mernissa et Taza en direction du Kert ; le général Bouchit, commandant des forces françaises marche sur Targuist. Après un bombardement opéré par 150 avions espagnols et français, soldats espagnols s'élancent d'ajdir pour foncer plein sud. Les premiers combats sont très durs et les pertes nombreuses. À tel point que, n'arrivant pas à percer les lignes rifaines, Primo de Rivera propose au général Sanjurjo de suspendre l'offensive. Le chef militaire espagnol refuse et parvient le 10 mai à enfoncer les défenses à Beni Ouriaghel. À l'est, les Espagnols franchissent le Kert et parviennent en quelques jours à faire la soudure avec les troupes parties d'ajdir. Le 20 mai, cinq ans après l'écriture de la page la plus tragique de leur histoire coloniale africaine, c'est en vainqueurs qu'ils foulent la plaine d'anoual. Côté français, les résultats de l'offensive sont qualifiés de «foudroyants». Six divisions réparties en deux groupements, des forces du Makhzen, des supplétifs, l'ensemble appuyé par des bombardements aériens massifs font voler en éclats la mosaïque des tranchées rifaines. «L'ennemi, surpris par la rapidité de l'attaque et par l'allant des troupes régulières et des partisans, pourchassé sans répit par les tirs d'artillerie et les bombardements d'aviation 11 - Cadi de la région de Melilla, souleva le Rif contre l'espagne puis la France. 94

95 Gaëtan Duchesne abandonne ses positions», se réjouit le commandant supérieur des troupes du Maroc. L'armée française affronte les réguliers rifains, troupes de choc de Abdelkrim. Cependant, les défections massives des tribus font imploser le château de cartes du bloc rifain, patiemment construit par Abdelkrim sur le ciment d'un schéma offensif. Les appels réitérés dans les villages à la guerre sainte ne trouvent plus guère d'échos. Selon le récit de Mohamed Azerkane : «Les espagnols débarquent près d Ajdir au cap Âbed à la frontière entre les Béni Bouqiya et les Béni Wariyaghel. Il y a soixante navires espagnols et français au large d Ajdir. Et malgré toute cette force de frappe, l ennemi n a pu débarquer dans la rade du cap Âbed, que lorsque les 300 Moujahidînes l ont dégarni sur ordre d Abdelkrim : vers 2 heures du matin, il a convoqué le caïd Allal Lamrabti mort quand les espagnols ont commencé d avancer vers Ajdir - pour lui ordonner de se diriger avec ses troupes vers les positions Gzennaya, menacées par l avancée des français sur le front sud.» Lors qu Azekane lui fait part de cette erreur d appréciation relative au système défensif rifain, l émir a regretté amèrement cette décision qui a facilité le débarquement espagnol. Vaincu, Abdelkrim se réfugie à la zaouïa de Snada. Le 25 Mai, le colonel Corap va lui envoyer un courrier aux termes suivants : «La France est généreuse et accueille souvent ses ennemis avec honneur!» Abdelkrim est un homme d une intelligence et d un caractère supérieurs. Même vaincu, acculé à la catastrophe, il demeure digne et grand. Il songe aux conséquences de sa capitulation, aux tribus qu il a abandonnée. Il appréhende la colère de l Espagne, avec laquelle il a de si terribles comptes à régler. Il cède enfin et écrit au colonel Corap cette lettre que l histoire enregistrera : «J ai reçu la lettre par laquelle, vous m accordez l aman. Dés maintenant, je puis vous dire que je me dirigerais vers vous.. Je sollicite la protection de la France pour moi et pour ma famille. Quant aux prisonniers, je prie qu on les mette en liberté demain matin. Je fixerai l heure de mon arrivée demain, avant midi ou à midi.» Mohamed Ben Abd el krim El Khattabi. Le chérif chez qui il a trouvé protection avise en grande hâte le colonel Corap de cette importante résolution, qui expédie à Snada ses deux adjoints, le lieutenant de vaisseau Robert Montagne et le capitaine Suffren. Le 26 mai 1926, Abd el krim anxieux, saute à cheval. Il court à Kemmoun pour préparer l exode des siens. Une automobile les portera à Taza. C est la dernière étape. On devine à quelles lamentations, il est en butte, et quel déchirement, il doit éprouver. La partie est grave. Le 27 mai à 2 heures du matin, sous un magnifique clair de lune, dans la nuit toute embaumée de la senteur de cistes, Abdelkrim monte à cheval. Les spahis l entourent. Le silence est absolu. Il s en va les yeux dans le vide C est à l'aube qu Abdelkrim arrive aux avant-postes de Targuist, accompagné des trois officiers français qui l'ont convaincu de se rendre sans délai. «Alignés le 95

96 Au pré de mon arbre long de la piste, immobiles, les tirailleurs contemplent le rogui, témoignera de Bournazel, l'homme à la veste rouge», cité par Jean d'esme, «petit, le visage encadré du collier de barbe noire, l'œil intelligent et vif, vêtu d'une jellaba grise, le chef rifain s'entretient avec le colonel Corap sans que rien dans son attitude ne décèle ni amertume ni regret». Très digne, il est conduit et enfermé dans sa mahakma, le siège de son ancien quartier général. Autour de lui les militaires français s'agitent. Une colonne de hommes, dirigée par de Bournazel, s'ébranle pour aller chercher la famille et les biens de l'émir déchu regroupés à Kemmoun. Ils reviendront à la tête d'une caravane de 250 mulets chargés d'argent et de matériel et accompagnés d'azerkane, de M'hammed, de Abdeslam, de huit femmes, de 13 enfants et de dix serviteurs. Dans les heures qui suivent, les tribus avoisinantes viennent se placer sous la protection des militaires français. Sous le soleil printanier, Targuist est noyé sous la poussière soulevée par les cavaliers et le bétail. Les jarrets d'un jeune taureau sont coupés. Cette ultime cérémonie d'allégeance signe une nouvelle ère : la République du Rif appartient désormais à l'histoire. Le 28 avril 1929, Corap est nommé général de brigade, le 6 septembre 1933 général de division et moins de deux ans plus tard, le 30 avril 1935 général de corps d armée. En 1936, Corap se heurte à Daladier. Il est depuis 1937, commandant de la 2 e division militaire à Amiens, chargé d'organiser la défense de la frontière française entre Montmédy (inclus, fin de la ligne Maginot) et Maubeuge (exclu). Les communistes comparent son retour du Maroc vers Amiens à celui de Franco. Pendant la Drôle de guerre, en janvier 1940, il est nommé général d armée à titre temporaire et puis nommé à la tête de la 9 e Armée ; le 10 mai, son P.C. est à Vervins. Alors que le plan français initial est de s'enterrer le long de la frontière, et une entrée en Belgique limitée à l'escaut pour couvrir les ports à la demande du Royaume-Uni, il fut décidé en novembre 1939 de se porter jusqu'à la Dyle 12 en cas d'attaque, ce qui faisait que la 9e Armée devait pivoter le long de la Meuse jusqu'au sud de Namur. Si les éléments motorisés des Armées françaises purent arriver assez rapidement sur la ligne Meuse-Dyle-Escaut, le gros des troupes qui aurait dû tenir ce front n'avançait depuis la France qu'à pied, à cheval, en navette de camions... et de nuit à cause du manque de couverture antiaérienne! (mais Corap avait, lui, ordonné à ses troupes de se déplacer même de jour, plein gaz). Au lieu des 5 jours prévus pour la mise en place le long de la Meuse, il fallut se hâter. C'est une armée fatiguée par son déplacement (100 km à pied avec le barda pour les fantassins non entrainés à ça pendant la «Drôle de guerre»), et incomplètement 12 - La Dyle est une rivière Belge, affluent du Rupel, appartenant au bassin de l Escaut. 96

97 Gaëtan Duchesne installée, qui se retrouve le 12 mai face aux Allemands arrivés trois jours trop tôt sur l'autre rive... La zone des Ardennes, entre la fin de la ligne Maginot et la Meuse, avait été sous-estimée dans la défense de la frontière. Manque de matériel (particulièrement d'armes anti-char), de soutien aérien, la 9 e Armée, «Armée Corap», subit le choc de l'attaque allemande sur les Ardennes en mai 1940 (de même que la 2 e Armée de Huntziger qui découvrit le flanc droit de la 9 e Armée puis laissa passer les panzers vers Sedan...). Chargé de défendre le saillant des Ardennes (de Pont-à-Bar près de Donchéry jusqu'à la trouée de Gembloux), il subit la percée de Dinant et de Sedan le 13 mai Les Allemands vont crever le front pratiquement à la limite de la IX e et de la II e armée du général Charles Huntziger à Sedan. Corap estime ne plus pouvoir tenir ses positions car il n'a plus de liaisons vers Sedan ; également débordé au centre, il ordonne un repli précipité de ses unités mobiles qui se trouvent entre Givet et Gembloux sur la position fortifiée à la frontière française, ce qui menace la 1 re armée qui résiste en Belgique. Ce mouvement oblige la 1 re à abandonner ses positions sur la trouée de Gembloux le 15 mai pour se replier sur la rive gauche de l Escaut. Elle plia. L'ennemi s'engouffra. Tenu pour responsable de la rupture du front, il est remplacé le 15 mai par le général Giraud. Pourtant le général Corap n'avait cessé de signaler à l'état-major, en vain, l'insuffisance en hommes et en matériel sur ce front et la vulnérabilité qui en résultait. Les stratèges français avaient doté ce secteur d'éléments fixes des II e et IX e armées avec des divisions de série B, mal équipées en matériel moderne. C'est surtout la stratégie hasardeuse de la manœuvre Dyle-Bréda et le sentiment que les monts et forêts ardennais empêcheraient les Allemands de tenter une opération d'envergure dans le secteur Givet/Longuyon qui furent en grande partie responsables du désastre militaire. Or, c'est dans ce secteur que les Allemands vont concentrer une force considérable en matériels modernes (avions, chars ) et en troupes d'élite de haute valeur combative. C'est la défaite de la II e armée et plus précisément celle de la 55 e D.I du général Lafontaine qui, en à peine quelques heures de combat, va précipiter la débâcle et entraîner le général Corap à faire décrocher ses troupes des positions qu'elles tenaient. Malgré des bruits contraires, repris par Daladier, les ponts situés sous son commandement avaient bien été détruits lors du repli. C'est l'équipement du Génie allemand qui permit à l'ennemi de franchir les fleuves. L'État-Major français n'avait rien appris de l'invasion de la Pologne. Corap est muté à la 7 e Armée le 15 mai 1940, remplacé par Giraud à la 9 e. Au 1 er juillet de la même année, il est versé dans la réserve par une mesure générale de dégagement des cadres de plus de 62 ans. Paul Reynaud, dont le discours a été «préparé» par un fidèle de Huntziger, fit porter la faute sur «l'armée Corap»... Cherchez l'erreur! 97

98 Au pré de mon arbre 98 Albert Corap Albert Corap naît à Paris le 26 novembre 1921 vécut successivement au Maroc (à Taza), à Paris, à Toulon, à Alger, différentes garnisons de son père André, avant d'arriver en octobre 1935 à Rabat où il poursuit ses études en classe de 2 e puis de 1 er au lycée Gouraud. En 1937 il quitte Rabat, lorsque son père fut nommé à Amiens. Après avoir été reçu au baccalauréat de l'enseignement secondaire en juin 1940, il prépare Saint-Cyr et y fut reçu en Il est promu sous-lieutenant en fin de 1942, lorsque l'école de Saint- Cyr fut supprimée par l'invasion allemande dans le midi de notre France. Il s'évade alors de France, franchit à pied les Pyrénées et, passant par l'espagne, il se rend au Maroc où il s'engage dans la 2 e Division blindée en formation à cette époque et fut placé au 12 e cuirassiers. Il prend part ainsi à la libération de la France dans cette division qui, après avoir passé par l'angleterre, débarque en Normandie en août Il obtint là la citation suivante : «Ayant appris que plusieurs soldats allemands se cachaient dans la région de Sees, a été volontaire pour aller les capturer ; a ramené quelques prisonniers». Cette citation à l'ordre du régiment comporta l'attribution de la Croix de guerre avec étoile de bronze. Sa division passe par Paris et se rend vers la Lorraine. Il est promu lieutenant le 25 septembre Lorsque la division se dirige vers Strasbourg, le détachement qu'il commandait était en tête. Il se dirige en novembre sur le village de Lixheim, puis sur le village de Schalbach où il est tué en le libérant. C'est là qu'il est enterré. Il fut alors cité à l'ordre de l'armée : «Jeune officier récemment nommé chef de peloton de chars, a fait preuve immédiatement au combat de qualités de cœur extraordinaires et d'un mépris absolu du danger. Le 21 novembre a dirigé le nettoyage du village de Lixheim, mené très rapidement en dépit d'une résistance sérieuse, grâce à son action personnelle. À été frappé mortellement au cours du nettoyage du village de Schalbach, conduit par lui avec le même courage». Henri Marin-Darbel Fils de Victor Marin-Darbel et de Jeanne Margaine, Henri, justement fier des traditions qu'il trouve dans sa famille, prépare l'école navale en En 1915, les examens de navale sont supprimés. Henri s'engage aussitôt dans les équipages de la flotte. En 1916, il est obligé d'abandonner ses espérances maritimes, et passe dans l'armée. Il choisit l'arme la plus éprouvée, la plus glorieuse, l'infanterie. D'abord affecté au 6 e d'infanterie, il est envoyé au

99 Gaëtan Duchesne bois de la Grurie, dans son Argonne maternelle, où un de ses oncles devait trouver la mort. Il part avec un détachement du 57 e d'infanterie. À Saint-Cyr, il suit les cours des élèves aspirants. Il réclame l'honneur d'être affecté au 46 e avec son grade d'aspirant. Il y commande une section de mitrailleuses. C'est avec le 46 e, qu'en avril 1917, il prend part aux dures attaques de Craône et de Berry-au-Bac. Il y gagne la croix de guerre avec cette belle citation, qui glorifie sa bravoure : "Sous-officier d'un sang-froid et un calme remarquable. Partout avec la première vague d'assaut, a pu, grâce à ses qualités, entraîner les hommes de sa section, pour mettre ses mitrailleuses en batterie, sous un violent feu ennemi." En juillet 1917, il est désigné pour l'armée d'orient. Affecté au 2 e régiment bis de zouaves, il prend part à la victoire de Macédoine de l'armée Henrys ; avec elle, il poursuit l'ennemi. Il y est nommé sous-lieutenant à titre temporaire, puis son 2 e régiment bis de zouaves est dissous. Le sous-lieutenant Marin- Darbel passe au 176 e régiment d'infanterie. Il fait avec lui la lugubre campagne d'odessa. Il rentre en France en 1919, après deux années passées en Orient, pour se présenter à Saint-Cyr. Il y est reçu et en sort sous-lieutenant à titre définitif. Ses goûts, son atavisme, ses regrets de l'aventureuse marine abandonnée l'incline vers l'infanterie coloniale. À peine dirigé sur le 6 e régiment colonial, il est désigné pour aller faire campagne au Tchad. Il arrive au régiment indigène et y est nommé lieutenant pour prendre date du 1 er octobre Il se passionne pour cette vie d'aventures et de dangers. Il sera un peu marin du grand lac et surtout méhariste du désert. Pour prendre, sur ses indigènes, l'influence d'un plus grand prestige, il apprend leur langue, avec la persévérante ténacité qui est la note dominante de son caractère. Mais ses deux années de Salonique, infestées de paludisme, ont affaibli sa belle santé et miné sa résistance. Il est atteint par les fièvres au moment où son colonel l'envoie de Fort-Archambault à Faya, dans le Bornou, un poste de choix et de péril. Alors, c'est le rapatriement, c'est la fatigue épuisante d'un long retour des plus pénible. Il arrive à bout de force. Lorsque l'amiral Marin-Darbel reçoit son fils, il a la cruelle obligation de l'hospitaliser à la Rochelle. C'est là, le 22 novembre 1922, que le lieutenant Henri-Victor Marin-Darbel rend son âme vaillante au Dieu de sa robuste foi. Les obsèques et l'inhumation du lieutenant Marin-Darbel, fils du viceamiral, ont lieu le jeudi 30 novembre à Fontainebleau. Sur sa tombe, le général Cherfils prononce les paroles à la mémoire de cet officier regretté, notre compatriote, dont la famille est depuis longtemps fixée à Fontainebleau. "Le jeune camarade qui vient de mourir, en touchant aux rivages de France, disparaît loin de son régiment, de ses camarades, de son chef, dont les sympathies et les paroles consolatrices auraient bercé l'amer chagrin de sa famille. Alors le douloureux honneur m'est réservé, comme au plus ancien de l'armée, de remplacer le chef lointain et de déposer devant cette tombe qui 99

100 Au pré de mon arbre s'ouvre pour la troisième fois en moins d'un an, en l'honneur du valeureux lieutenant Henri Marin-Darbel, le laurier que mérite le sacrifice d'un soldat mort pour la France..../...". Les Margaine Depuis le XVIII e siècle, les Margaine sont solidement implantés à Sainte-Ménehould. Ils y occupent des rangs élevés dans le fonctionnariat local : vérificateurs des douanes, avocat au Parlement, conseiller du roi, voire procureur impérial. De même dans les branches alliées, ils comptent parmi eux un président du tribunal civil de la ville, un maître de la poste aux chevaux, un notaire, un avoué, un président du grenier à sel. Le premier de leurs ancêtres connu est Claude Margaine, trésorierreceveur de la ville. Camille est né le 4 décembre Formé à Saint-Cyr, il en sort souslieutenant, participe à la conquête de l'algérie, puis à la guerre de Crimée, retourne en Afrique au grade de capitaine jusqu'en 1863, année où il quitte l'armée, quelque peu déçu par ses perspectives de carrière. Il regagne l'argonne et s'y marie le 28 septembre 1863 avec Lucie Victoire Simon dont il aura quatre enfants, une fille, Jeanne (dont il a été question), et trois fils, Henri, Alfred et Albert. Élu maire de Sainte-Ménehould, puis conseiller général, il restera associé de longues années à la vie politique locale. La guerre de 1870 le trouve premier citoyen de la cité, face à l'occupation allemande. À l approche de l ennemi, cependant, des volontaires se présentent dans les mairies, mais il est souvent trop tard. À Sainte-Menehould, Camille Margaine, à défaut de pouvoir équiper des compagnies qu il a lui-même appelé à constituer et craignant de sévères représailles sur les populations, invite les volontaires à s engager dans l armée et la garde mobile. Tous les historiens locaux s'accordent pour louer son attitude courageuse dans la circonstance, affrontant et tenant tête au vainqueur, malgré sa position difficile. Le 23 janvier 1871, à 23 h 30, préfets et sous-préfets reçoivent une dépêche de la délégation du Gouvernement annonçant l'armistice et la convocation des électeurs en vue d'élire une assemblée convoquée à Bordeaux pour le 15 février. Ces élections ont lieu le 8 février, après une campagne de moins d une semaine. On connaît le résultat national : une écrasante majorité pacifiste et monarchiste se dégage. Pour les trois départements où s étend l Argonne, la majorité des élus accepte les préliminaires de paix : cinq sur six dans les Ardennes, seul Chanzy, élu au deuxième rang avec 77,4 % des suffrages, votant contre ; sept sur huit dans la Marne, le seul vote hostile émanant du républicain Margaine, qui se signale par son énergique résistance aux exigences de l envahisseur et a été le mieux élu, avec 85,9 % des voix sur l ensemble du département ; il va à Paris occuper sa place de représentant de la Marne, inscrit au groupe de la gauche républicaine. Sénateur en 1888, il y marque son passage 100

101 Gaëtan Duchesne par la déposition de deux lois, l'une sur les effectifs de l'armée, et l'autre sur les conditions de recrutement. Camille meurt à Paris en 1893 ; son corps repose dans le monument quelque peu à l'écart au cimetière du château de sa ville. Il a une rue de Sainte-Menehould à son nom. Son fils Alfred voit le jour le 18 janvier 1870 ; polytechnicien et ingénieur des Ponts et Chaussées, il exerce à Digne, Marseille et Paris. De son mariage en 1901 avec Marie-Louise Collinet, il a quatre filles et un fils, Jean. Élu à Sainte-Ménehould, il devient député, en 1910, dès le premier tour, dans la circonscription qui élisait autrefois son père Camille, et conseiller général de Ville-sur-Tourbe. Il est membre du Parti républicain, radical et radicalsocialiste. Pendant son premier mandat de député, il appartient à la commission des Chemins de fer et à celle des Travaux publics. Il est réélu en 1914 ; au début de la première guerre mondiale, il est brièvement sous-secrétaire d'état à la Guerre, puis il s'implique dans le conflit dans les rangs du Génie, comme chef de bataillon. De 1914 à 1919, il reste à la commission des Chemins de fer, mais appartient aussi à celle des Affaires extérieures. Il interpelle le gouvernement, entre autres, sur les concessions pétrolières 13 en Algérie. De retour de la guerre, il sera réélu constamment jusqu'en 1940, mais... au second tour. Il reste à la commission des Affaires extérieures de 1919 à 1924, mais quitte celle des Chemins de fer pour la commission d'alsace-lorraine, et se consacre essentiellement à la politique étrangère. Il est ainsi rapporteur de la loi ratifiant le traité de Saint-Germain, et de celle ratifiant la convention internationale sur le Danube. Il réclame aussi la reconnaissance de l Union Soviétique par la France. De 1924 à 1928, il porte principalement son intérêt sur les questions économiques : le pétrole, d'abord, le charbon et l acier ensuite, les céréales, enfin. Il réclame l'intervention de l'état pour assurer l'approvisionnement et lutter contre les ententes entre les gros industriels. De 1928 à 1932, tout en continuant de travailler sur les questions d'économie et d'affaire étrangères - il dénonce par exemple l'entente financière germano-américaine -, il porte davantage son intérêt sur les questions agricoles. De juin à décembre 1932, il est sous-secrétaire d'état aux Travaux publics dans le quatrième gouvernement d'édouard Herriot. Revenu à la Chambre des députés, il concentre son attention sur les questions diplomatiques et militaires, jusqu'en Au lendemain de la déclaration de guerre, le 3 septembre 1939, élu dans la circonscription de Châlons, il écrit au ministre de l'intérieur pour lui deman Le premier gisement d'hydrocarbures n'a été découvert dans ce pays qu'en

102 Au pré de mon arbre der avec insistance d'intervenir auprès de son collègue de la Guerre afin de maintenir à son poste dans la Marne, par affectation spéciale, Bousquet qui appartient à la première réserve du service armé comme attaché d'intendance : "M. Bousquet a mis sur pied une organisation complète de ravitaillement et d'alimentation pour la population civile, rendant impossible une hausse des prix par spéculation sur la pénurie des marchandises. Il l'a fait malgré des résistances qui ne manqueraient pas de réussir s'il n'était pas maintenu à son poste». La réponse du ministre de l'intérieur, est un refus poli rédigé en des termes qui laissent entendre que c'est le secrétaire général de la Marne lui-même qui a demandé à Margaine d'intervenir en sa faveur : «Vous avez bien voulu appeler mon attention sur M. René Bousquet, Secrétaire général de la préfecture de la Marne, désirant être maintenu à son poste pendant une durée de 3 mois. J'ai l'honneur de vous faire connaître que l'intéressé, appartenant au service armé, 1 e réserve, ne peut obtenir, aux termes des dispositions du Règlement d'administration Publique du 15/05/1939, relatives à la mise en affectation spéciale, en cas de mobilisation, qu'un appel différé d'un mois, non renouvelable, mesure dont il bénéficie actuellement. Je me trouve, dans ces conditions, privé de seconder le bienveillant intérêt que vous portez à M. Bousquet, et je vous en exprime mes regrets". Le 10 juillet 1940, Alfred Margaine entre dans l'histoire : les députés doivent en effet voter la dissolution de l'assemblée nationale et déléguer le pouvoir à Philippe Pétain. 592 d'entre eux votent pour et 3 contre, dont Alfred Margaine. Après cet épisode, il quitte la politique et se retire en Touraine où il mourra en Son fils Jean (promotion polytechnique 1925), est de 1939 à 1941 au service des fabrications de l Aéronautique du ministère de l Air. Il entre en 1942 au service du contrôle général de la Société Peugeot (service des achats et commandes allemandes) ; membre de la Résistance, en liaison avec Londres, il donne des indications à la RAF pour diriger le bombardement des usines de Sochaux, alors utilisées par les Allemands pour fabriquer, entre autres, des patins de chars. Dénoncé par l'industriel allemand en place, ami de Göring, Jean est arrêté en mars 1944 avec 6 autres directeurs, pour non exécution des ordres ; interné 5 mois à la prison de Dijon, puis déporté, il connaît les rigueurs du Struthof, puis celles de Schömberg entre Tübingen et Rotweil, les fameux commandos de Dachau de «l'entreprise désert». De là, il est envoyé mourir à Bergen- Belsen (il a dû y rencontrer Anne Frank) où des amis l'ont aperçu avant qu'il ne disparaisse définitivement dans l'enfer de ce mouroir. 102

103 Georges Duchesne Georges, autre fils d Alexandre, vit des jours difficiles pendant la guerre de Parti avec le régiment des Mobiles de la Gironde à l'armée de l'est, il se bat à Villersexel et à Beaune la Rolande avant de passer en Suisse avec l'armée Bourbaki 1 qui y fut internée. Après avoir beaucoup souffert, d'abord du froid puis des très mauvaises conditions d'existence de l'armée Bourbaki (oubliée dans les conventions d'armistice), il fut finalement démobilisé à Bourg, dans l'ain, et renvoyé dans ses foyers le 21 Mars En 1874, Georges Duchesne épouse sa cousine Élise Marin-Darbel, qu'il a rencontrée au mariage de son frère Gaëtan. Ils auront six enfants dont un mort en bas âge : - Frédéric qui épouse Andrée Brunnin 2 dont un fils, Robert, mort sans postérité; 1 - Bourbaki est vainqueur en janvier 1871 à Villersexel mais il échoue à la mi janvier 1871 devant Héricourt et recule jusqu'à Besançon pourchassé par Werder. Entre le 1 er et le 3 février 1871, soldats et officiers français accompagnés de volontaires de la Croix rouge, réfugiés civils et quelques prisonniers de guerre allemands passent la frontière suisse entre la Vallée de Joux, Vallorbe, Sainte Croix, Les Verrières et le Jura vaudois et Neuchâtelois. Ils sont désarmés puis répartis dans 190 communes de 24 cantons par des unités militaires suisses dirigées par le général argovien Hans Herzog. Accueillir, loger, nourrir, soigner et su r- veiller plus de soldats français demande au j eune État fédéral d énormes efforts. L armée Bourbaki est dans un état déplorable, meurtrie par la fatigue, le froid et la faim. Les internés reçoivent soins et nourr i- ture. Cependant 1700 soldats meurent. 2 - Année Seconde division Le 26 juin 1893, M. Marmontel, (père) a décerné cette première mention à Andrée Brunnin en récompense du soin apporté durant toute l'année à ses études musicales. Maximum des points à gagner 162 Andrée Brunnin 171 points ; Louise Perichet 154 points ; Mathilde Bonnet 152 points Œuvres étudiées en concours : maximum des points 54 Andrée Brunnin 54 points ; Louise Perichet 52 points ; ;Mathilde Bonnet 46 points Signés Noémie Dignat ; Marmontel père 103

104 Au pré de mon arbre - Jeanne qui épouse Ludovic Magnol dont trois enfants : Pierre ; Georges ; Germaine 1915 ; - Victor ; - Paul , évoqué plus loin ; - André , mort pour la France (voir plus loin) - Jean qui épouse en 1912 Andrée Brunnin, veuve de son frère Frédéric ; sans postérité. Le château d Arche Les deux frères Gaëtan et Georges ayant épousé les deux sœurs Cécile et Élise Marin-Darbel, qui sont d'ailleurs leurs cousines, les deux familles vivent ensemble dans la maison de Lafont qui, malgré une extension des bâtiments réalisée par Gaëtan 3 pour son compte devient rapidement insuffisante. En 1891, ils achètent 4 le château d Arche aux époux Gouny. Situé au cœur du village de Ludon-Médoc, à deux pas de sa vieille église, on n aperçoit guère sa façade à travers les grilles des portails bleus, mais une fois entré dans la cour, on découvre une grande et belle maison bourgeoise, dont la façade classique du Bordelais s'harmonise avec le parc ombragé et les chais. Elle est dans un triste état 5, et comporte un débit de boissons 6, exploité par un certain Gaborias, qui donne sur la rue. 3 - Gaëtan décèdera à Lafont le 7 janvier Les deux frères Gaëtan et Georges achètent ensemble le domaine d'arche (Acte du 30 Avril 1891 passé devant M e Reneteau, notaire à Macau), puis le 20 Avril 1893 ils procèdent entre eux à un partage, Gaëtan conservant, en pleine propriété Lafont, et Georg es le domaine d'arche. Le domaine de Château d'arche, élevé au rang de Cru Bourgeois en 1932, comporte 9 hectares de vieilles vignes t rès bien exposées. La famille d Arche, originaire du lieu d'arche, paroisse de Nouards, arrondissement de Brive en Limousi n, a dû s établir à Ludon aux environs de 1730, faisant démolir la maison qui existait (achetée à Cath e- rine Decomps en 1725) et construisant celle qui existe aujourd hui (1730) Il reste le buste de Pierre Antoine d Arche. À l époque le comte d Arche (plan de 1782) était propriétaire d environ 54 hectares qui s étendaient le long du cimetière actuel plus du côté de la Teste et en palus au Despiciey, à Gilet et à Bas-Coulomb. L Hôtel d Arche, à Bordeaux, se trouve à l angle des rues S t - François et du Mirail. Les armes des d Arche sont des gueules coupées d Azur, à une arche de Noé, sommé d une colombe d argent pendant en son bec un r a- meau d olivier de Sinople. 5 -Senejac Il y a eu six propriétaires en moins de quatre -vingts ans. En 1845, William Franch note que c'est Hémon le propriétaire pour une production de 18 à 25 tonneaux. 104

105 Georges Duchesne Fort heureusement Gaborias ayant cessé son activité, Georges peut obtenir la résiliation du bail et entreprend la restauration de la maison, et il doit beaucoup y travailler avec ses fils pour la rendre telle que nous la connaissons. La maison est grande, agréable et très bien meublée mais, à l'époque, sans aucun confort : ni eau courante, ni électricité, ni chauffage autres que les feux de cheminées. Et pourtant on y voit clair grâce à un réseau très complet de becs d'acétylène dont le générateur est entretenu et maintenu sous pression par le chef de culture qui loge à côté du petit bâtiment qui le contenait. L'eau est apportée en permanence dans les chambres par la bonne. On se lave dans un grand «tub», et on se sèche ensuite devant la cheminée. Après 1925, il y aura des poêles «Mirus» qui chaufferont beaucoup mieux. La propriété comporte environ six hectares de bonnes vignes. Georges l'exploite tout en développant une maison de commerce à son nom. Il meurt malheureusement prématurément en 1901 à l'âge de 54 ans. Sa veuve, Élise, habitera le château d Arche jusqu à sa mort, le 16 octobre Lorsqu elle sera grand-mère, sa chambre devient le centre de la maison comme elle est le centre de la famille : adorée de tous et autant par sa belle-fille que par son propre fils, elle préside, en toutes circonstances, la table familiale. C'est devant elle que l'on dépose la pile des assiettes qu'elle distribue après les avoir remplies de potage. C'est elle qui apprendra à lire et à écrire à ses petits-enfants, avec la méthode «Regimbeau», sur un petit pupitre noir déniché au fond du grenier et qui a servi à ses enfants. Chaque année, Élise passe un mois d'été chez sa fille Jeanne Magnol ; toute la famille se transporte, de Montpellier à Palavas, dans une petite villa très modeste en bordure de la plage, à l époque infestée de moustiques. Elle revient dans les premiers jours d'août avec les Magnol qui passent la fin des vacances à Ludon : c'est sans doute une condition prévues entre Paul et sa sœur lors des arrangements de famille intervenus après le partage de 1926 ; de même, leur frère Jean et sa femme Andrée viennent passer le mois d'octobre. Pierre, Georges, et Germaine Magnol, sont un peu plus âgés que leurs trois cousins Duchesne, mais à eux six, forment une belle équipe et s amusent beaucoup. C'est merveilleux pour eux de se retrouver aussi nombreux, aussi bien à table - petit déjeuner en commun dans la salle à manger - que dans le grand jardin avec son tennis en terre battue : plusieurs jours pour le désherber, brin par brin pour éviter les trous. Puis les «matchs» avec des raquettes bien vieilles et raccommodées et des balles plus très jeunes pour lesquelles il faut autant de temps à chercher qu'à jouer, le tennis étant mal clos sur deux côtés. Mais, surtout, il y a la cabane : dès l'arrivée des cousins, avec des ruses de sioux, ils se glissent au grenier pour y prélever tout ce qui peut être utile à la construction ou à la réhabilitation d'un abri léger et provisoire mais qui, terminé et meublé (toujours le grenier) parait un château : là est leur domaine qu'ils l'ap- 6 - Occupe la plus grande partie du salon actuel. 105

106 Au pré de mon arbre pellent «Les souris vertes» du nom de leur club très fermé du même nom ; ils y acceptent, par dérogation, la jeune voisine Mimi de Saint Paul. Jeu divers ; dînette au moment du goûter ou à tout autre moment avec prélèvement dans le potager des éléments nécessaires : carottes, radis, tomates, feuilles d'oseille ou de salade. Tout est bon et a la double saveur des légumes frais et du fruit défendu. Sauf qu'albert Buirat, le chef de culture, veille, tempête, menace de le dire aux parents. Malgré les astuces (fanes de carottes replantées) ils écopent de quelques punitions... Pierre tombale Pierre tombale du caveau du cimetière de Ludon (vieux caveau) Louise Georgette Duchesne, née au Pian le 22 juillet 1850 décédée à Ludon le 6 janvier 1866 Alexandre Frédéric Duchesne, né à Ludon le 18 mai 1858, décédé le 10 janvier 1864 Alexandre Romain Duchesne, décédé à Paris le 2 juillet 1869, inhumé à Ludon le 5 du même mois Georges Victor Duchesne, né à Ludon le 2 septembre 1879, décédé le 18 janvier 1880 Claire Marie Ricard, née Duchesne à Paris le 22 décembre 1845, décédée à Paris le 6 mai 1909 Cécile Duchesne, née Marin Darbel, à Moscou le 25 janvier 1846, dcd le 7 janvier 1926 à Bordeaux Alexandre Gaétan Duchesne né à Paris le 26 octobre 1843, décédé à Ludon le 7 janvier 1904 Gaston Duchesne, né à Paris le 15 janvier 1848, décédé à Ludon le 18 octobre 1927 Jean-Victor Roche, né à Roquefort Landes le 27 septembre 1862, décédé à Ludon le 18 mars 1906 Mélanie Duchesne, née Verdier à Beauge le 27 juillet 1819, décédée au Havre 22 octobre 1906 Paul Duchesne Paul Victor Georges Duchesne naît à Ludon dans la nuit du 31 Décembre 1881 mais sera déclaré à la mairie seulement le 1 er Janvier 1882, ce qui le fait bénéficier d'une année pour la conscription. Sa petite enfance se passe à Lafont où vivent ensemble les deux ménages Gaétan et Georges Duchesne et leurs dix enfants. Si les parents souffrent de cette situation, il semble que par contre, la vie des enfants soit très gaie ainsi qu'en témoignent des photos de fêtes familiales de l'époque. Après les arrangements familiaux de , Georges et Élise Duchesne s'installent au Château d'arche avec leurs cinq enfants. Paul, comme ses frères, fait ses études chez les Marianistes, d'abord rue du Mirail puis à Grand-Lebrun où il assiste à la cérémonie de la pose de la première pierre du grand collège. À la mort prématurée de son père, en 1901, Paul a dix-neuf ans. Il entreprend des études littéraires, à la Faculté des Lettres de Bordeaux : Anglais et Histoire et obtient la licence de Lettres. Puis il fait un séjour en Angleterre comme professeur à l'école Berlitz. Mais ce cursus est interrompu par la mort, en 1906, de son frère aîné Frédéric. Il devient chef de famille 7, sous l'autorité de sa mère, et dirige la propriété et la maison de commerce. En 1909, il épouse Germaine Teyssandier qui meurt l'année suivante d'une grossesse extra-utérine. 7 - La notion de «chef de famille» est sacrée chez les Duchesne. 106

107 Georges Duchesne À la même époque, Gabrielle de Bovet, a épousé le Capitaine Robert de Vesly qui la laisse veuve en 1912 à la suite d'une fièvre typhoïde contractée en service. De santé délicate on l'installe pour se soigner à Pau. Joseph et Jeanne Auricoste, des amis communs, les font se rencontrer chez eux à Paris, et, le 11 Juin 1914, Paul épouse Gabrielle en l'église Saint Philippe du Roule. Puis c'est la terrible épreuve de la guerre : Paul Duchesne, mobilisé comme sergent d'infanterie, rejoint son corps - le 344 ème R.I. 8 - à Bordeaux, le 14 Août Promu lieutenant en 1916, il obtient sa première citation avec la Croix de Guerre devant dun, au mois de février, pour une patrouille de resance menée à la tête de sa section qui permit d'identifier les unités allemandes tenant les tranchées adverses. Après la bataille de Verdun le 344 ème RI descend au repos et Paul obtient une permission pour Ludon en novembre ce qui explique la naissance de Georges le 12 août 1917 ; Paul est alors au Chemin des Dames, positionné au nordouest du 28 ème RI. Georges est mis en nourrice quelques mois - chez Antoinette Lacroix, au Despartin à trois kilomètres de la maison, nièce de Jeanne Fourton, bonne entrée au service des Duchesne 9 quelques mois auparavant. En 1918, le lieutenant Paul Duchesne est chargé des fonctions d'officier de renseignement du régiment, dans lesquelles il se distingue et obtient une citation à l'ordre du Corps d'armée. Il entre à Mulhouse après l'armistice portant 8 - Le 344 è me R.I. dont toutes les actions glorieuses sont relatées dans le fascicule de l'alsace aux Flandres édité par l'imprimerie Delmas de Bordeaux 9 - Qu elle quittera en 1944 pour une brève retraite. Elle décède au cours de l hiver , et inhumée dans un terrain concédé pour 10 ans. 107

108 Au pré de mon arbre le drapeau du 344 ème RI 10, qu'il portera encore aux Champs-Élysées pour le défilé de la victoire. De retour à Ludon, après quelques mois d'occupation en Rhénanie, et la naissance de Françoise, il y retrouve de graves problèmes. En effet, la succession de son père n'a pas été réglée, non plus que celle de Frédéric qui a un fils, Robert. D'autre part, leur frère André, mort pour la France en 1915, a laissé un curieux testament, instituant son cousin Gustave Duchesne - ennemi juré de toute la branche Georges Duchesne - comme légataire universel. Paul réussit à faire établir par le notaire les actes nécessaires au règlement de cette situation, non sans devoir consentir de très lourds sacrifices financiers pour mettre fin aux prétentions de Gustave. En 1921, Paul est élu maire de Ludon, succédant, en accord avec lui, à Monsieur Réneteau ; il sera réélu deux fois et donnera sa démission en 1931 pour des raisons expliquées plus loin. Bien entendu, il est très bien servi : un ménage, Léonie, cuisinière, et Louis, homme à tout faire qui effectue des travaux pénibles dans la maison ou le jardin et qui s'occupera, plus tard, de la voiture, et puis, il y a Jeanne Fourton : À 17 h, dans la chambre d'élise, la mère de Paul, Jeanne sert le thé que Paul prend invariablement accompagné de petits beurres «Lu». Leur mère Élise ayant fait donation à ses enfants du domaine d'arche, Paul rachète les parts de ses frères et sœurs en La superficie des vignes en exploitation est modeste, environ 6 hectares. Paul l'arrondit à environ 8 hectares par deux achats successifs. Mais certaines vieilles vignes doivent être arrachées. En outre, Paul est devenu propriétaire pour un quart, avec son frère Jean et les deux frères Godefroy et Jean Lafon, du Domaine de Vallier à Parempuyre comportant 45 hectares de vignes de palud avec des bâtiments d'exploitation ; un beau troupeau de vaches et polyculture : beaucoup de fruits, des artichauts, des asperges. Cette propriété, bordant la Garonne sur environ 1 kilomètre, comporte des bâtiments d'exploitation importants, modernes pour l'époque mais pas de maison de maître sauf un petit pavillon de chasse : il abrita Frédéric et sa mère après sa naissance 11 pour le mettre à l'abri de la coqueluche de sa sœur Françoise. Paul y va en voiture - quatre kilomètres environ - tous les jeudis et, souvent, ses enfants l'accompagnent. Le bord de la Garonne a beaucoup d'attrait pour eux, bien qu'il leur soit interdit d'en approcher au-delà de la digue. En effet, lors du passage des grands paquebots (Massilia, Lutétia, etc.) il se lève une vague qui déferle sur la berge. Il arrive quelquefois que la famille s y rende pour un pique-nique pour voir passer tel ou tel gros navire. C'est ainsi qu elle va voir passer le bateau qui emmène le cousin Henri Marin d'arbel au Tchad, et qu'elle ne devait jamais revoir Photo remise à Denis Duchesne Né le 23 Avril

109 Georges Duchesne Avec la fin des vacances se profilent à la fois la rentrée des classes et les vendanges. Les enfants Duchesne y participent dans tous les cas de figure, car, à Ludon, en vertu d'un arrêté du maire - Paul Duchesne - (très régulièrement approuvé par le préfet), les vacances scolaires débutent le 14 août pour se terminer le 15 octobre, laissant place aux vendanges même les plus tardives ; lorsqu'elles sont précoces, les Magnol y participent aussi. Au chai, il y a Noël, à la fois maître de chai et tonnelier. Il participe sous la direction de Paul Duchesne à la vinification depuis les écoulages et les soutirages jusqu'à la mise en barriques. L'hiver, il fabrique des barriques dans le local - appelé la boutique - doté d'une cheminée qui sépare le cuvier du chai. Il aime bien les enfants, leur fait des «cerceaux» avec les cercles de barriques. On lui a aménagé derrière le chai un petit WC en bois ultra rustique baptisé les «cabinets de Noël». Ce brave homme, qui a travaillé jusqu'à la fin de sa vie, est, un matin, venu trouver son patron à son bureau : M. Paul, je veux vous parler. Je suis trop vieux. Je travaille moins... il faut me diminuer! Paul Duchesne en est resté muet. Bien sûr, il ne l'a pas diminué ; mais il est très vite tombé malade. Gabrielle Duchesne l'a soigné avec beaucoup de dévouement (elle allait le sonder plusieurs fois par jour) et il s'est éteint chez lui doucement. On ne l'a pas remplacé. Albert Buirat, le chef de culture, qui logeait avec Zélie, sa femme, à côté, aidé par ailleurs, a pris la responsabilité du chai et, bien sûr, on a arrêté la fabrication des barriques. Les bois qui restaient vont servir pour les cabanes des enfants... Il y a aussi Marie Lidonne, petite vieille ridée - dont le mari Barthélémy tient Beauchêne, petite métairie -, et qui vient tous les matins laver le linge. Elle étend les lessives sur l'herbe avec des boules de «bleu». Puis, il y a Suzanne Sabourin (succédant à Maria, sa sœur) la couturière qui vient une fois par semaine pour raccommoder, arranger, allonger, etc... les vêtements. Jeanne Fourton, la bonne, allume la «cloche à fers» dès le matin et repasse près d'elle. Suzanne parle peu mais Jeanne parle pour deux : c estla gazette du village. Une fois par semaine, aussi, Lisette vient pour les grands repassages ; elle a, en outre, le monopole de la cuisine du cochon. On en tue deux par an : un à Vallier et un à Beauchêne qui sont partagés suivant des règles du métayage. Les jambons, les confits, les saucisses et les grattons, constituent de solides provisions pour l'hiver. Mais en 1928, la gestion de Vallier que Paul assume seul est devenue lourde et source de difficultés par suite du nombre de co-propriétaires. Paul décide donc, en accord avec ses associés, de la mettre en vente et elle est acquise par un ancien pasteur américain, Monsieur Davis 12, qui a épousé une demoiselle Johnston, le 20 octobre 1920, à Bordeaux Robert Meacham Davis, né le 28 juillet 1881, décédé le 25 septembre 1949 ; marié avec Fanny Catherine Johnston, née 109

110 Au pré de mon arbre Paul place ses capitaux en actions - sans doute en grande partie américaines - par l'intermédiaire de son agent de change. Hélas le krach entraîne la chute rapide de toutes les valeurs et, en 1930, il est sinon ruiné tout du moins privé de la plus grande partie de ses revenus, Château d'arche étant tout à fait insuffisant pour subvenir aux besoins de la famille. Au lieu de se désespérer, après réflexion et sur le conseil de son ami Baraduc - alors procureur général à Bordeaux -, il envisage la carrière de juge de paix. Mais pour y accéder, il faut être licencié en droit. Courageusement, à quarante-neuf ans, il s'inscrit à la Faculté de droit de Bordeaux où il croise Jacques Vialard qui termine sa licence. A la même époque, il démissionne de son poste de maire de Ludon qui n'est pas compatible avec 1'exercice d'un poste dans la magistrature. En 1931, le 10 décembre, naît Monique. Avec peu d'argent et une famille nombreuse à élever, son fils Georges en pension au collège de Sarlat depuis 1927, et pour comble, une phlébite double qui le tient immobilisé sur un lit mécanique pendant plusieurs mois, il se rend à ses premiers examens sur des béquilles. Et, par dessus le marché, de mauvaises récoltes de 1930 à 1933! cette période est une des plus dures de sa vie. Pour meubler son inactivité forcée, il commence à dépouiller les registres municipaux, qu'on lui apporte à domicile, pour réunir les matériaux qui lui servent à écrire sa «Chronique de Ludon-Médoc». Sa belle-mère, Sophie Marie Charlotte de Bovet (née de Courpon), décède en 1934, laissant son fils aîné, Albert, infirme depuis sa petite enfance. Son frère Henri n'envisage pas de le maintenir à Paris et c est sa sœur Gabrielle qui le prend en charge ; il vivra à Ludon jusqu'à sa mort, le 28 février En 1935, Paul est récompensé de ses efforts et après un examen professionnel assez difficile, il est nommé juge de paix à Chalais 13, en Charente. Ses audiences sont groupées et il passe trois jours par semaine dans une petite maison louée pour la circonstance. Son épouse et sa petite fille 1'y accompagnent, et il y a lieu de penser qu'ils trouvent, tous les trois, beaucoup de douceur dans cet exil hebdomadaire. En 1936, Paul remplace sa vieille 9 CV Delahaye - elle consomme autant d'huile que d'essence - par la belle Hotchkiss 14 (17 chevaux 6 cylindres) de son beau-frère Henri Bovet. le 6 août 1884, Château Beaucaillou à Saint Julien-Beychevelle, décédée le 13 mai 1971, Labarde Il a trois cantons Benjamin Berkeley Hotchkiss ( ) est américain et implante, en 1868 en Europe, une filiale de l'entreprise de construction 110

111 Georges Duchesne Paul et Gabrielle ont leurs amis Ludonnais : les Queheille, les Saint- Paul. Le docteur et M me Queheille, qui sont leurs meilleurs amis, habitent la jolie chartreuse de Bacalan 15 à deux pas d Arche. Lorsque Bacalan fut vendu, Paul obtient de son frère Édouard qu il leur loue l ancienne demeure familiale de Lafont qui a été précédemment occupée par leur cousine Pauline qui est partie s'installer à Bordeaux avec son mari Pierre Legrand et leurs 10 enfants. Le docteur Queheille passe à la maison le matin au début de sa tournée, à l'heure où Paul et Gabrielle, pas très matinaux, prennent leur petit-déjeuner au lit. Il se plante au pied du lit, les deux mains sur la barre de cuivre et, après avoir pris des nouvelles de leurs santés, échange avec Paul de précieuses informations concernant ses patients qui sont aussi les administrés du premier magistrat de la Cité. C'est une forme de paternalisme communal grâce auquel bien des drames sont évités et des situations délicates améliorées. La vie des campagnes est rude en ce temps-là. Les Saint-Paul, très vieux amis de la famille, se partagent entre Bordeaux et Ludon ; à Ludon, leur propriété de Bizaudun est distante d'un kilomètre d Arche. Mimi s'amuse avec les enfants, tandis que les Magnol, plus grands, jouent au tennis avec Fernand, Marie-Antoinette et leurs nombreux amis. Alors que le colonel Pierre Legrand habite Lafont, il y a les Lafon dont le fils aîné, Godefroi, est «camelot du Roi». Pierre Legrand se targue, lui, d'être un officier républicain. On se reçoit beaucoup ; lors d'un dîner explosif où Pierre Legrand et Godefroi Lafon ont failli en venir aux mains à propos de l'action Française, Pierre Legrand sort en claquant la porte. Paul Duchesne, toujours serein dans ces cas-là, dit : «Ne vous faites pas de souci, il va revenir pour d'armes et de munitions qu'il a fondée en L emblème, deux canons croisés surmontés d'une grenade en feu, le tout entouré par un ceinturon fermé en boucle, copie presque conforme de l'insigne militaire des États - Unis de «l'ordnance Department», en indique l'origine. En 1902, tout en continuant ses fabrications militaires, l entreprise Hotchkiss se lance dans la sous -traitance de pièces détachées pour l'aut o- mobile, puis en 1904 construit ses premiers châssis -moteurs de 20 CV. La marque rallie les suffrages d'une clientèle bourgeoise aisée qui reche rche le confort et la discrétion. À partir de 1925 fut mise au point une nouvelle lignée de moteurs à soupapes en tête. Ces moteurs de 4 ou de 6 cylindres sont produits avec quelques évolutions techniques jusqu'en 1954 : le 4 c y- lindres 2,3l (13 CV) implanté dans la série des AM2 et les 6 cylindres de 3l (17 CV) à 3,5l (20 CV) implantés dans les AM Édifice limite 18 e siècle 19 e siècle ; monogramme M.B sur le portail d'entrée. Baragnon propriétaire 111

112 Au pré de mon arbre le dessert»: il était très gourmand. Il est en effet revenu, grommelant de vagues excuses à destination de sa tante Élise qui n'a pas bronché. En 1938, il est nommé à Coutras puis, après le début de la guerre, à Pauillac où le trouve Jacques Vialard, fraîchement nommé notaire, et qui prête serment devant lui le 12 novembre Puis viennent les années de guerre que nous racontent Paul dans ses Annales 16 : " er septembre Pendant que les cloches sonnent pour la mobilisation, je vais à la gare de Coutras chercher mon fils Georges, sous-lieutenant au deuxième bataillon de chasseurs à pied qui a obtenu une permission de quatre jours pour se marier. Le lendemain, mariage intime et charmant à Saint-Germain du Salembre dans la propriété du Bignac de M. Vital-Mareille. Les jeunes époux sont pleins de courage, les parents le sont aussi mais prévoient bien des difficultés et des périls pour leurs enfants. Cette guerre n'emballe personne, aucun élan dans la troupe dont les trains passent jours et nuits dans la gare de Coutras. Par contre les hommes sont bien équipés et le matériel paraît abondant et neuf. Nous écoutons la radio à l'hôtel Barbaron 17. Les parents des mariés: Vital Mareille, Gabrielle & Paul Duchesne, Louise Mareille 16 - Nous ne reproduisons que ce qui concerne de près ou de loin la famille, et les environs de Ludon Probablement l hôtel de la Paix, en face la gare de Coutras, dont Barbaron est propriétaire. 112

113 Georges Duchesne Les communiqués sont ternes. On a l'air de se mettre sur la défensive et d'attendre... quoi? N'irons nous donc pas au secours de la Pologne? L'inaction est aussi un danger. L'attentisme n'a jamais été une doctrine." Les vendanges ont été belles mais l'hiver est particulièrement dur. Les deux rives de la Dordogne sont sous la glace, la neige est fréquente et longue à disparaître mars - Je suis nommé à Pauillac. Je complète en même temps le tribunal civil et correctionnel à Lesparre. J'ai demandé un congé pour aller à Barbotan. 10 mai - Barbotan. Notre belle tranquillité morale est terminée. Pourvu que notre optimisme demeure. J'apprends, après le déjeuner, que la radio de ce matin a annoncé l'invasion de la Belgique et de la Hollande par les allemands. Note insolente de Ribentropp : «Le gouvernement du Reich n'a pas l'intention d'attendre les bras croisés que les démocraties aient déclenché leur offensive». C'est encore le lapin qui a commencé. 12 mai - Les alliés vont au secours de la Belgique et de la Hollande. Tout était prévu. On arrivera à temps cette fois-ci. Je ne sais pourquoi cette trouée du Luxembourg me paraît pleine de menaces. Mais je crois que nous avons de solides fortifications partout. Corap est aux premières. Les communiqués français sont pleins d'ardeur. La censure, mon ennemie personnelle, est plus obtuse que jamais. 20 mai. Discours de Paul Reynaud au Sénat annonçant l'enfoncement du front à la charnière de Sedan, grâce à la désorganisation de l'armée Corap. «Par suite de fautes incroyables et qui seront punies, les ponts de la Meuse n'ont pas été détruits. Les divisions allemandes blindées attaquent nos divisions de la 9 e armée mal encadrée et mal entraînée.». Dans nos malheurs, il ne manquait plus que cette tristesse familiale. Nous sommes atterrés. Nous ne pouvons y croire. 29 mai. J'entends au restaurant de la Marine 18 à Pauillac le discours de Paul Reynaud annonçant la trahison belge. L'attitude des nombreux réfugiés belges présents est désespérée. Les événements dépassent tellement les prévisions. On sent que tout va très mal dans les Flandres, mais le côté moral de l'affaire est vraiment accablant. 12 juin. Mon frère Jean et sa femme viennent d'arriver de Fontainebleau. Ils nous disent leur voyage mouvementé. Les réfugiés encombrent les routes et paralysent les mouvements de troupes. Des scènes navrantes se déroulent. Les avions allemands et aussi italiens mitraillent les civils au passage des ponts. Les morts sont nombreux. Le temps est toujours magnifique. Toutes les forces contraires semblent conjuguées contre nous. 14 juin. Entrée des allemands à Paris 1814, 1815, 1870, Nous avions pu éviter cette honte en M lle de Vesly 19 vient d'arriver avec sa fidèle Adèle. Elles sont exténuées et ont quitté Oissel sous les bombes. Il paraît qu'édouard a voulu rester à Rouen. 16 juin. Tout le Fontainebleau familial a échoué à Ludon. Neuf autos sous la conduite du général Corap 20 qui est accompagné de son officier d'ordonnance, deux chauffeurs, 18 - Grand hôtel-restaurant, sur les quais, au bas des rues Victor - Hugo et Aristide Briand Probablement Claire, belle-sœur de Gabrielle de Bovet Époux de Cécile Marin-Darbel. 113

114 Au pré de mon arbre deux ordonnances et un sous-officier porte-fanion. Cécile Marin-Darbel et ses deux fils, avec deux amies. Madeleine Philardeau 21, ses cinq enfants et deux enfants de Lelly. M. et Madame Margaine 22 et ses trois filles. Enfin Hélène Georges 23 a rejoint dans l'aprèsmidi venant de Roanne. 42 personnes ont déjeuné aujourd'hui à la maison. 23 juin. Hélène MD est allée déjeuner à Bordeaux. Elle rapporte la nouvelle que les allemands ont traversé à Pauillac et elle décide de nous quitter pour aller retrouver des amis à Hosteins où elle prétend devoir être plus en sécurité. De mon côté, je décide de partir immédiatement pour Pauillac rejoindre mon poste. Nous y arrivons, Gabrielle et moi, vers quatre heures mais d'allemands point. 25 juin. L'armistice a été signé hier au soir et les hostilités ont cessé à 0h 56 ce matin. Soulagement et sensations d'anéantissement. Tout est fermé sauf l'alimentation À 11heures, minute de silence au monument aux morts, et nous rentrons chez nous sans penser, c'est trop cruel. 26 juin. J'ai décidé d'attendre ici l'arrivée des allemands. J'ai su par André Corap qu'ils ont occupé Langon et ils n'entreront à Bordeaux qu'après le départ du gouvernement. Tant qu'on ne voit pas l'ennemi, on a l'impression d'aucun changement sauf la difficulté du ravitaillement, surtout à Pauillac. 27 juin. Nous sommes vaincu. Voilà l'état de choses nouveau auquel il faut nous habituer. Je songe à cette vieille psychologie de ma jeunesse quand nous lisions au collège, les dents serrées, les désastres de Je songe que nous disions, mon vieil ami Jamet et moi, devant les dernières dépêches précédant la mobilisation de 1914 : «Pourvu que ça ne s'arrange pas» tant était grand en nous le désir de combattre et l'espoir de la revanche. Et puis, nous avons été vainqueurs et nous avons repris l'alsace et la Lorraine. Et, maintenant, il faudra recommencer à penser comme autrefois. Quelle misère! Nous sommes vaincus. 28 juin. Les allemands n'ont toujours pas paru. Je décide de rentrer à Ludon après l'audience correctionnelle à Lesparre. 29 juin. Corap a dû aller hier au grand quartier général à Montauban. Il n'est rentré qu'au début de la nuit et a dû se présenter à la kommandantur à Langon avant de pouvoir poursuivre sa route vers Bordeaux. Il a été reçu très courtoisement et on lui a donné deux estafettes en motocyclette pour l'accompagner. 30 juin. On dit que les allemands feront leur entrée officielle à Bordeaux lundi 1 er juillet. Je préfère aller aujourd'hui même aux provisions avec Gabrielle. La ville est calme, trop de monde dans les cafés. Place de la Comédie quelques motocyclistes allemands. Au café de Bordeaux quelques hommes prennent des consommations. Ils sont jeunes et vêtus comme des soldats qui se sont battus. À Ludon, dans l'après-midi, un officier est venu faire le cantonnement. Nous aurons à loger une soixantaine d'hommes Née Marin-Darbel, sœur de Cécile Jeanne Margaine est la mère de Cécile et Madeleine Marin - Darbel ; il doit s agir de son frère Alfred Margaine (voir le chapitre qui leur est consacré) Le 10 juillet 1940, Margaine vote contre les pleins pouvoirs à Ph i- lippe Pétain Hélène Benoist, épouse de Georges Marin -Darbel, frère de Cécile et Madeleine citées plus haut. 114

115 Georges Duchesne 1 er juillet. Le courrier a apporté deux bonnes nouvelles. Jean Letouzé 24 a écrit à sa femme qu'on avait vu Georges le 16 à Nevers dans un camion militaire avec les débris de son bataillon. Nous sommes dans la joie et l'espérance. Encore de la patience. La deuxième nouvelle est que Georges Magnol 25 a été blessé au bras et à la jambe à Saumur mais il a pu suivre la retraite, il est sain et sauf à Montauban. Toujours rien de Robert. Les allemands viennent d'occuper Ludon. Une soixantaine d'hommes sont répartis chez l'habitant où ils auront chacun un lit. Nous ne logeront personne. Les camions sont derrière l'église gardés par un piquet en armes. 2 juillet. Nous avons fait la route sans difficulté de Ludon à Pauillac. Poste allemand à Margaux, Saint-Julien. Il ne nous ont rien demandé. À Pauillac, beaucoup de troupes. Les camions sont rangés sous les arbres sur les quais. Tous les hommes sont très jeunes. Les motos et voitures roulent dans toutes les directions. Ce ne sont pas des troupes d'occupation mais plutôt des unités motorisées. À notre retour à Ludon, surprise : tous les allemands sont partis dans l'après-midi. 4 juillet. Le docteur d'ayrenx me rappelle ces vers de la Fontaine : «Ce bœuf qui pesamment rumine ses problèmes, Ce papillon volage ennemi des systèmes.». Et je lui rappelle ce qu'on disait en 1870 : «Les lions conduits par des ânes.». Je viens d'assister et sans le chercher au défilé des unités motorisées au-delà de Pauillac vers Bordeaux. Les autos grandes, petites, les motocyclistes, les camions se succédèrent pendant près d'une heure. L'ensemble paraît robuste et respire la force. C'est ultra moderne mais sans aucune élégance. Où sont les anciennes armées? Tout le Médoc s'est vidé d'allemands, je ne sais pas dans quelle direction ils sont partis. 10 juillet. Les Corap Philardeau sont partis ce matin ; sept magnifiques autos. Ils ont couché à Mauriac chez les Dumoncel et demain aux Archambaud. 12 juillet. Nous voilà donc dotés d'une nouvelle constitution. On a tranché dans le vif. C'est une révolution à rebours. Tout cela est-il bien utile? L'avenir le dira. Nous avons reçu des nouvelles de Scipion, Baraduc, Fortet, Michel Vital-Mareille. Quand en aurons-nous de notre fils? 14 juillet. Enfin nous avons des nouvelles de Georges. Il est prisonnier au camp de Romilly-sur-Seine. Quel soulagement, mon dieu! Il a pu faire passer une lettre à Paris, à la concierge qui nous la renvoie et qui va lui faire parvenir un colis, la brave femme. 15 juillet. Un régiment d'artillerie a traversé le bourg ce matin, précédé d'une cinquantaine d'hommes à pieds qui chantent. L'effet est puissant. Les chevaux sont beaux, les hommes comme les officiers ont la tête nue sous la pluie battante. Les hommes ressemblent à tous les troupiers du monde. Les officiers droits sur leurs chevaux, la tête rasée, font songer à des cavaliers romains. 16 juillet. Noté au cours d'une lecture ce passage d'une lettre d'octave Feuillet du 20 juin 1871 : «Il doit sortir de cette catastrophe nationale et sociale quelque chose de nouveau ou bien la France est morte. Je crois que l'évolution intellectuelle ne peut être immédiate, foudroyante comme les événements. Elle se dégagera peu à peu mais je ne sais s'il nous est réservé d'y prendre part. Pour moi, je me recueille en supposant que mon recueillement ne soit pas de l'accablement.» Mari de Françoise Vital-Mareille et donc beau-frère de Georges Duchesne Fils de Jeanne Duchesne, sœur de Paul. 115

116 Au pré de mon arbre 17 juillet. Reçu carte officielle allemande que Robert 26 est prisonnier. C'est la fin de nos inquiétudes familiales. Dans ce malheur général, nous sommes privilégiés. 20 juillet. La défense des cadets de Saumur, relatée par le journal de ce matin est réconfortant parmi toutes ces pages moins que brillantes. Georges Magnol y a pris part et y a reçu deux blessures. 22 juillet. Causé avec le docteur belge Falize, réfugié à Ludon, qui vient nous faire ses adieux. Pour lui d'après des renseignements sûrs, la conduite du roi Léopold ne serait pas aussi déshonorante qu'elle a paru tout d'abord. Les anglais auraient étés les premiers à dire qu ils abandonnaient la partie et se rembarquaient. Est-ce exact? 23 juillet. Je suis allé à Bordeaux. Il m'a semblé qu'il y avait beaucoup plus d'allemands qu'il y a huit jours. Les vivres, dans tous les cas, se raréfient, nous n'étions pas habitués à voir des boutiques vides. Pas un morceau de fromage dans toute la ville. Je n'ai pu obtenir qu'une demi livre de café ; devant moi un soldat allemand venait d'en acheter cinq kilos. Le savon est introuvable. 29 juillet. Appel de l'autorité allemande à la population française sur un ton assez menaçant et dans tous les cas bien inutile. Une information est ouverte contre Mandel pour complot contre la sûreté de l'état! Toutes les communications sont coupées avec le nord de la France. C'est sans doute l'offensive. Les allemands sont presque tous repartis maintenant vers le nord. Ils multiplient les précautions contre les anglais. À Pauillac, Jupiter 27 est hérissé de canons. Il y a même une mitrailleuse sur l'embarcadère. 13 août. Je lis dans le Matin : «Lorsque le Massilia était prêt à prendre la mer le 21 juin, cent voyageurs «de marque» se trouvèrent à bord en plus des autres passagers. Daladier accompagné d'une dame et de ses deux fils, Campinchi et sa femme, Mandel, Jean Zay et toute sa famille, Viénot, Paul Bastide, Delbos, Grumbach, Jammy Smith, Galandou Diouf, Mendès France, la navigatrice Suzanne Cohen, le directeur des beaux-arts Georges-Maurice Huisman.». On prétend qu'au débarqué Daladier, Jean Zay, Campinchi furent molestés par la population. 15 août. Ce matin à 1h30 bombardements par les anglais de Pauillac, Blaye et Ambès. À Jupiter, trois foyers distincts sont observés dont un énorme. En rentrant à Ludon par le train à 17 heures, la fumée des trois centres atteints obscurcissaient encore le ciel. 17 août. L'incendie de Jupiter semble s'être aggravé. Toute la nuit, intense activité d'autos allemands. Partout surgissent canons et mitrailleuses. Robert Peyronie 28, président de la commission de ravitaillement, a été arrêté ce matin par les autorités allemandes ; j'ignore pour quel motif. 19 août. Jupiter fume toujours ; un navire a pris feu, les autres se sont éloignés. Cet incendie a provoqué une ruée de matériel allemand de toutes sortes, même des choses qu'on est peu habitué à voir en campagne, comme des pompes à incendie. Comment un 26 - Robert Duchesne Raffinerie de pétrole de la marque «Jupiter» appartenant à la famille Deutsch de la Meurthe : en 1931, une ra ffinerie de pétrole est construite sur l' emplacement d'un entrepôt pétrolier datant de La raff i- nerie comprend les unités de fabrication, les réservoirs et une cité o u- vrière. Des agrandissements importants sont réalisés en Tiens un commerce de produits pour la vigne rue Albert 1 er à Pauillac. 116

117 Georges Duchesne pays a-t-il pu s'armer ainsi sans se ruiner. Il est vrai qu'il l'est peut-être et c'est nous qui paierons. 20 août. 1h15 nouveau raid des anglais sur Pauillac. Violente riposte de la dca allemande. Les mitrailleuses semblent tirer sous nos fenêtres. Nous ne bougeons pas de nos lits. Il paraît que l'attaque a été surtout dirigée contre Ambès qui flambe. 21 août. Nous avons dîné ce soir à Pontet-Canet chez M me Emmanuel Cruse. Toute cette côte de Pauillac est hérissée de dca. La garnison de Pauillac augmente a vue d'oeil et les vivres diminuent dans la même proportion. 23 août. J'ai vu Robert Peyronie qui est détenu à la gendarmerie de Pauillac. Il est calme et dit n'avoir jamais agi que sur l'ordre de ses chefs. 25 août. Jean est revenu de Paris. Il a vu cette affiche pour pénétrer en zone occupée : «Défense d'entrer aux gens de couleur, aux juifs, aux sénateurs et aux députés.». Cet assemblage est savoureux. 26 août. Déjeuner chez Larrouquet. Il me raconte les ennuis qu'il a eu par suite des exigences invraisemblables des officiers allemands à leur arrivée à Bordeaux. Lui, directeur du service des mœurs, aurait dû organiser les distractions de ces messieurs, dames pour soupers fins, tableaux vivants, etc. Devant son refus formel, il a cru un moment être arrêté. Il ne s'en est débarrassé qu'en présentant à ces messieurs les principales matrones du cru qui se sont chargées de tout. 28 août. Troisième bombardement de Jupiter, peu de dégâts. Les autos allemandes font beaucoup de bruit et vont surtout trop vite. Il est vrai que la circulation française est de plus en plus restreinte. Robert Peyronie a été relâché à 13 heures, après un long interrogatoire. Comme par hasard, on a mis un officier allemand à loger chez lui. Je crois bien qu'il est en surveillance. 29 août. Voyage à Lesparre, pas rencontré trois autos françaises. 1 er septembre. Voyage à Ludon. Le train doit quitter Pauillac à 8 heures 3. Nous sommes partis à 10h35 parce qu'il fallait embarquer quelques soldats allemands. La Kommandantur, car nous en avons une maintenant, avait simplement téléphoné que le train ne partirait que lorsqu'il en aurait reçu l'ordre. 16 septembre. Ce matin pas de beurre dans tout le département. Après le fromage, le beurre. Les stocks sont détournés au départ. Cinq tonnes de beurre hier en gare de Saintes. Est-ce aussi dans les conditions de l'armistice? 21 septembre. Apparition de la carte de pain, lait, viande, fromage, huile, graisse. À quand le vin? Les douilles de cartouches d'obus en laiton, travaillées ou non, seront versées dans les mairies avant le 30 septembre. 4 octobre. La femme de l'ouvrier qui avait pris l'habitude de s'offrir ce qui lui plaisait. t.p.l.g. n'admet pas le rationnement par les cartes. À qui la faute pourtant si nous en sommes là, peut-être aux loisirs... les gens ont la mémoire courte. 11 octobre. Je suis venu cet après-midi à Lesparre. La musique joue sur la place, les fourgons, voitures, side-cars sillonnent les rues. Les sentinelles sont en faction, partout des soldats vont à leurs occupations. C'est vraiment l'aspect d'une petite ville de garnison allemande. Assis sur un banc, tout près d'une sentinelle, devant le palais de justice, je sens qu'il y a juste 20 ans je saluais le drapeau de la France défilant dans les rues de Wiesbaden. 5 novembre. Déjeuner au château Lafite avec Landèche. Visité le château, mobilier vieillot et démodé. Landèche me signale en passant dans la bibliothèque, qui sert d'office, une table chargée de victuailles allemandes. C'est la table historique sur 117

118 Au pré de mon arbre laquelle a été signé le traité de Francfort par Bismarck et Jules Favre. Le secret est bien gardé. 9 novembre. Je prends connaissance, dans mon dossier, d'une note du président du Tribunal civil de Libourne, en 1938 : «S'acquitte de ses fonctions de juge de paix avec une conscience professionnelle digne d'éloges. De même qu'il est très attaché à sa fonction, ce magistrat s'est fait remarquer par ses qualités et d'intelligence et de tact». J'aurais été curieux de voir les notes du procureur de Puymaly. 20 novembre. J'ai déjà donné mon opinion sur la condamnation à mort du général-degaulle. Aujourd'hui, ce dernier envoie le télégramme suivant : «Huit hommes de Vichy répondront de leur vie contre toute atteinte à la vie de Français libres quel que soit le prétexte qui puisse être invoqué». C'est la guerre civile inexpiable, criminelle et inadmissible. 27 novembre. Voyage à Soulac ; rien à signaler sinon que l'occupation est intense. 2 décembre. Déjeuner à Bordeaux au Noailles pas grand chose à manger et je pensais à la scène d'hier au soir à la radio, bonhomme qui avait failli se faire écharper en tramway parce qu'il racontait ce que sa femme lui avait offert pour déjeuner : Sardines à l'huile, radis beurre Langouste mayonnaise Chateaubriand sauce tartare Salade à l'huile d'olive Crème fraîche Café du Brésil avec quatre morceaux de sucre Bon déjeuner, certes, mais qui ne casse rien. Cette page est dédié à nos petits-enfants, ils pourront juger de ce qui nous manquait. 7 décembre. On m'a affirmé avoir vu sur les murs de Bordeaux un papillon ainsi conçu: Bordelais, si vous voulez visiter l'italie, engagez-vous dans l'armée grecque. 8 décembre. Bombardement de Bordeaux ; vu depuis Ludon pour la première fois le feu d'artifice de la DCA dans le bruit des bombes. On dit que la Bourse brûle. 20 décembre. Déjeuner chez Peyronie avec le sous intendant Gonfreville. Ce dernier me raconte l'exode des juifs à Bayonne où il commandait en juin Tous avaient un petit sac à la main contenant des millions et des milliards et ils lui offraient de l'argent pour avoir un passeport. Il a facilité le départ de beaucoup d'entre eux qui avaient d'ailleurs des papiers en règle. 27 décembre. Les bombardements sur Bordeaux s'accentuent. La Bourse est dévastée. Le pain devient très mauvais. Nous l'avons notre pain KK er janvier. Un nouveau mode de brouillage à la radio rend très difficile d'entendre les anglais. 7 janvier. Le ravitaillement devient de plus en plus difficile. Plus de fromage, beurre quasi inexistant. Le froid persiste, augmentant la misère. Tout est détruit dans les jardins. La viande elle-même devient rare. Carte de chaussures. 19 janvier. Le ravitaillement est de plus en plus difficile. On court après les rutabagas comme après les pommes de terre. Ayant eu l'occasion de sortir ce matin de Pauillac avant le jour, je vois les files de gens attendant à la porte des boutiques sous la pluie ; sombre tableau de guerre. 24 janvier. Frédéric vient de conduire à Blanquefort le mulet de l'armée que nous avions eu à Saint-Laurent après la débâcle. Les allemands nous ont laissé toutes ces 118

119 Georges Duchesne bêtes juste le temps qu'il fallait pour que nous les dressions. C'est un désastre pour le Médoc. Plus de cavalerie. 25 janvier. Les sonneries des cloches sont interdites même pour les enterrements ; les cortèges aussi. 29 janvier. Bordeaux est frappé d'une amende de deux millions, et quatre millions doivent être déposés comme caution, à la suite d'un attentat contre un militaire allemand. Les vins de Mouton-Rothschild et Lafite sont bloqués. On ignore ce qu'il adviendra des propriétés elles-mêmes. 11 février. Déjeuner à Bordeaux chez madame Emmanuel Cruse : Léoville-Poyferré février. Déjeuner à Lafite avec Landèche et Barkhausen 29 de la maison Eschenauer qui nous amène un aumônier et un docteur allemands. Ces messieurs déplorent les horreurs de la guerre. C'est dans à la note. 4 mars. Monique a fait quatre fautes à sa dictée. Ce n'est pas grave, ce sont des fautes d'étourdissement. 18 mars. Déjeuner chez madame Van der Voort. Cos d'estournel 1924, Ch au Margaux 1890, Pichon Longueville avril. Bombardements, deux nuits de suite, de Bordeaux et du camp de Souge. 80 morts à Souge, 24 maisons détruites autour du lycée de Longchamp. 17 avril. Déjeuner à Pontet Canet avec les Borie. Mangé une paonne. Léoville-Poyferré 1899, Tronquoy-Lalande avril. Voyage à Bordeaux ; marchés vides - on ne mange plus à sa faim - deux cents grammes de viande par semaine. On prévoit des jours sombres. Or, je pose une question dont je sais la réponse, mais que je ne dirai pas. Sommes-nous ainsi rationnés par ordre ou par suite de la pénurie des vivres? 21 mai. En arrivant ce soir à Ludon, je trouve le pays occupé depuis Labarde. Nous logeons un officier qui est d'ailleurs très correct. 27 mai. Anniversaire du discours de Paul Raynaud flétrissant la défection du roi des belges. Je me souviens de la scène à l'hôtel de la Marine à Pauillac où tous les belges pleuraient. On a la certitude maintenant que Paul Reynaud mentait, comme il l'a fait pour Corap. 30 mai. Il n'y a plus de maigre le vendredi. Devant les restrictions, l'église a déclaré forfait. On peut manger de la viande tous les jours. Le malheur, c'est qu'il n'y en a pas. 4 juin. Voyage à Bordeaux ; la moindre bouteille de vin coûte 18 francs au restaurant. 21 juin. Les allemands sont revenus à Ludon ; nous logeons le même officier. 19 septembre. Déjeuner chez Landèche 30. Lafite 1904, magnum Mouton-Rothschild 1870 (magnifique) Lafaurie-Peyraguey septembre. Je pars en congé heureux comme un collégien. La vie à Pauillac, malgré de bonnes amitiés, m'apportait quelques difficultés et quelques ennuis. Je rentre chez moi et je rêve du passé : il me semble que si mon père revenait, il serait content. Il trouverait sa maison prospère, embellie, peuplée d'enfants, avec l'aïeule vénérée et la réputation intacte. Comme je voudrais que dans cinquante ans mes fils puissent écrire la même chose. J'en ai d'ailleurs le ferme espoir car j ai de bons enfants Les Barkhausen avaient eu une maison de négoce qui avait p é- riclité Habitent 9, rue Ferdinand Buisson à Pauillac. Amis des Vialard : voir dans la même collection : «Au Peyrat» 119

120 Au pré de mon arbre 27 septembre. J'ai fait la tournée traditionnelle des vignes avec Albert Buirat. Le temps est terriblement sec depuis trois semaines. Éternelle discussion : Quand commence-t-on à vendanger? Ce n'est pas mûr, il faut attendre la pluie. J'ai simplement fait remarquer qu'elle viendrait plus vite qu'on ne le pensait, et j'ai décidé de commencer le mardi 30 septembre. 28 septembre. Il pleut depuis cette nuit par à torrents. 30 septembre. La pluie a cessé dans la nuit. Il a plu sans arrêt depuis 48 heures. Nous commençons les vendanges par temps gris. 1 er octobre. Magnifique journée. Le soleil est revenu. Charles Pineau, ancien maire, a été arrêté et conduit, on pense, au fort du Hâ 31. On lui reproche d'avoir caché des armes à la mairie, ou plutôt de ne pas les avoir déclarées. 4 octobre. M. Borie a donné à Batailley 32 un déjeuner auquel assistait le préfet. Je crois qu'on a beaucoup parlé pendant le déjeuner et sans beaucoup de circonspection. Il faut bien choisir ses convives quant on reçoit un personnage officiel. J aime autant n'avoir pu y assister. 10 octobre. Bordeaux est bombardée : il y a des victimes. 18 octobre. On a des nouvelles de Pineau. Il est au fort du Hâ. 23 octobre. Voici maintenant un attentat à Bordeaux. Un officier de la Feldkommandantur est tué à coups de revolver à 19h30 sur les boulevards. Les mesures suivantes ont été ordonnées : circulation interdite entre 19h30 et 8h ; jusqu'aux obsèques de la victime, les théâtres, les cinémas et la foire resteront fermés. Pendant la cérémonie funèbre tous les magasins seront fermés. 50 otages ont été fusillés et 50 autres le seront si les meurtriers ne sont pas retrouvés avant le 26 octobre. 28 octobre. On nous fait prévoir la suppression d'un jour de train sur deux en Médoc. J'ai maigri de 14 kilos, événement peu intéressant mais qui dépeint bien la situation. 31 octobre. Déjeuner chez le comte de Beaumont au château Latour. Moët et Chandon brut 1934, Montrose 1926, comparaison entre Lafite et Latour Latour se défend encore (cabernets en majorité), Lafite prêt à être bu (merlots en majorité). 4 novembre. Noté quelques lignes dans «Autant en emporte le vent». «Le monde était bien peu de choses à côté des exigences de tant d'estomacs vides ou à moitié vides et la vie elle-même se ramenait à deux propositions étroitement liées : manger et trouver de quoi manger. On se reportait par la pensée au bon vieux temps, aux repas d'autrefois. On faisait si peu d'attention à la nourriture à cette époque là, on était si prodigue, on gâchait tout.». 14 novembre. Dîner chez Landèche : Château Lannessan Je viens de finir «Autant en emporte le vent». Les circonstances ajoutent au charme de ce livre. On l'aurait moins compris sans nos restrictions. D'ailleurs n'avons-nous pas des vues toutes nouvelles sur les famines du moyen âge. 24 novembre. La lenteur et l'inexactitude des trains du Médoc sont déplorables et ont des causes profondes, multiplicité des convois sur voie unique, arbitraire des autorités allemandes. La vie devient de plus en plus difficile en zone occupée : plus de téléphone, autos presque inexistantes, train sans heures, résultat : un mécontentement des masses angoissant Prison du centre ville de Bordeaux Château à Pauillac. 120

121 Georges Duchesne 11 janvier. Naufrage du Lamoricière en Méditerranée ; 290 morts. 23 janvier. La grande blague du jour : les allemands coupent leurs prisonniers en deux ; ça leur fait des mirus pour se chauffer (mi-russes). Monique a été la première à éclater de rire. 28 février. 11 heures à Pauillac, reçu un télégramme annonçant Albert de Bovet 33 au plus mal : hémorragie cérébrale. Arrivé à Ludon à 13 heures. Albert est mort à 11 heures, sans avoir repris connaissance. Fin très douce pour un homme qui craignait tant la mort. Disparition d'un pauvre homme, pas sot, très familial, et qui n'avait jamais fait de mal à personne. Nous finissons un triste mois de février, un triste hiver. La misère est générale, la disette augmente, la famine est imminente. Malaise général ; les plus optimistes hésitent. Le gouvernement manque de plus en plus d'énergie et de programme. On vit au jour le jour, de quoi demain sera-t-il fait? 1 er mars. Arrivée d'henri et de Juliette mars. Enterrement d'albert. 6 mars. Retour à pied de Saint-Laurent. 10 kilomètres à pieds sans aucune fatigue. 7 mars. Huit jours de la mort d'albert. Cette fin presque subite nous a tous émus profondément et fait réfléchir. Les leçons de la mort, thème infini. 28 mars. Je suis allé à la gare de Ludon à bicyclette. C'est mon premier essai, 10 ans après ma phlébite. 30 mars. Départ de Jeanne. Je ne sais si la ligne de démarcation est bien utile aux allemands, je ne crois pas. Dans tous les cas, elle nous gêne terriblement. 15 avril. Je ne demande pas le renouvellement de mon permis de circuler pour mon auto faute d'essence ; la simca reprend la route de Ludon. 3 juin. À Pauillac, nous sommes en plein pain KK, immangeable. 15 juillet. J'ai assisté jeudi à Lesparre à un triste spectacle : M. Raffin 35, vieillard de 87 ans, a été expulsé de sa maison en 48 heures, pour y faire une infirmerie militaire. Était-ce indispensable? Dans tous les cas, manque de psychologie après deux ans d'occupation. 9 juillet. Soulac et la côte sont définitivement interdits. 13 juillet. À Bordeaux, les allemands ont installé place Gambetta une immense carte de Russie où, chaque jour, l'avance allemande est marquée par un ruban ; en face, un haut-parleur explique les événements. 19 juillet. En arrivant samedi soir à Ludon, j'ai trouvé le bourg occupé par une compagnie d'infanterie ; nous logeons le capitaine. Il y a des troupes depuis Blanquefort jusqu à Castelnau, Moulis : ce sont des jeunes à l'instruction, il y a aussi quelques vétérans amochés, retour de Russie. 7 août. Nous avons hébergé une nuit l'aumônier catholique de la division allemande cantonnée dans la région. Il a tenu à saluer le maître de la maison où il logeait. Je lui ai demandé quand la guerre finira-t-elle. Il m'a répondu : Dieu seul le sait. Il a dit la messe à 6 heures du soir et a donné l'absolution collective avant la communion. Il voyage en auto avec un chauffeur français. 21 août. Je crois que le gouvernement a trouvé la formule pour le problème du pain : il est devenu si mauvais qu'on en a toujours assez Frère de Gabrielle Duchesne. Hémiplégique Henri Bovet (frère de Gabrielle), et son épouse, née Davin M. Raffin en est mort quelques jours plus tard. 121

122 Au pré de mon arbre 30 août. Le pauvre train du Médoc halète et risque d'éclater avec le travail qu'on lui fait faire, ouvriers, troupes, civils, marchandises. Il y a presque un train par heure sur cette voie unique. De là, des retards dans tous les sens. Nous en arrivons à ne plus pouvoir bouger. Cette aggravation dans l'occupation ne trouve plus les nerfs d'antan pour la supporter. 10 septembre. Déjeuner en l'honneur de l'inauguration du local du secours national à Pauillac. Lynch-Bages 1934, magnum Pontet-Canet 1926, Mouton-Rothschild 1899, Lafite septembre. Nous commençons les vendanges par un temps très sec. 21 septembre. La pluie est enfin arrivée, un peu trop à la fois, mais la vigne en avait bien besoin. Le raisin est très sain, l'année s'annonce comme très bonne. 28 septembre. Les vendanges sont terminées avec un peu trop d'eau : il pleut sans arrêt. Une grande lassitude s'empare de tout le monde. L'approche de l'hiver et pendant ce temps la guerre s'acharne à la destruction des richesses. Le peuple est exaspéré. 15 octobre. Aujourd'hui, j'ai eu la preuve de ce que je supposais : le neveu de Jeanne Fourthon est venu faire ses adieux. Marié depuis 15 jours, il part pour Breslau comme ouvrier spécialisé. Requis d'office, il a dû signer son départ comme volontaire. 16 octobre. 2h10 Maman s'est éteinte sans souffrances. Départ brusque qu'une extrême faiblesse depuis plusieurs jours laissait prévoir, mais cependant pas aussi rapide. 17 octobre. Je ne puis encore réaliser la disparition de l'âme de cette maison. Quel vide nous laisse cette pauvre maman dont la personnalité restait si puissante et l'affection si nécessaire. C'est un grand lien avec le passé qui se brise, une génération qui disparaît et la nôtre est bien atteinte. 18 octobre. Je suis heureux que Maman ait vu avant de mourir sa maison prospère et solide, elle qui a tant lutté. Quelle vie a pu être mieux remplie que la sienne. Plus que personne j'ai connu son courage obstiné qui a triomphé des heures parfois très dures : je suis heureux quelle ait terminé sa vie dans sa demeure familiale, exempte de soucis. 19 octobre. Quelle ironie du sort cette double occupation étrangère à 72 ans de distance. Fontainebleau et Ludon. Le seul regret que j'ai est de n'avoir pu procurer à Maman tout ce qu'elle désirait, gâteries qui plaisent tant aux vieillards. Elle n'est pas à proprement parler victime des restrictions, mais cependant je suis sûr qu'une meilleure alimentation l'aurait conservée plus longtemps. 20 octobre. Maman sur son lit de mort était d'une noblesse, je dirais même d'une majesté qui a frappé tous ceux qui l'ont vue. Monsieur le curé a dit des mots touchants sur cette belle existence : «Je ne veux pas laisser partir vers le champ du repos cette dépouille mortelle sans lui adresser le dernière hommage de la paroisse et de son pasteur. Par ses vertus domestiques, par sa douceur et sa bonté, par ses qualités de bonne grand-mère, attentive et prévenante, la vénérable défunte s'imposait à l'affection des siens au milieu desquels sa mort creuse un vide si cruel. La situation de premier plan de sa famille dans la paroisse et dans la commune, le prestige de son nom et les services rendus font encore un devoir au curé de Ludon de se lever pour saluer sa mémoire. Le grand âge de la défunte doit aussi nous inspirer l'admiration et le respect : Une longue existence de 92 ans, une couronne d'enfants et de petits-enfants, aimants et aimés, une vieillesse douce et honorée, sur une terre où naguère encore il faisait si bon vivre, tout cela ne semble-t-il pas une précieuse récompense et comme le gage de bénédictions divines que la Providence réserve dès cette terre à quelques âmes privilégiées! 122

123 Georges Duchesne Doyenne de la commune, dans un pays où on est fier de la longévité et de la robustesse bien conservée des vieillards, madame Duchesne portait aussi un titre enviable qu'elle savait aimablement revendiquer et nous avons le souvenir récent de ce geste délicat de la délégation spéciale venue saluer et fêter en sa personne la doyenne des Mères de Ludon. Entrée maintenant dans la vie éternelle que cette âme chrétienne reçoive de Dieu qu'elle a aimé et fidèlement servi la récompense méritée par une longue existence de vertus et de bonté.». 22 octobre. Les allemands ont quitté Ludon, en route pour la Russie, ce qui n'a pas l'air de les enchanter. 26 octobre. De nouveaux contingents allemands sont arrivés. Nous logeons toujours le chef. 29 octobre. Les allemands sont repartis. 8 novembre. Triste dimanche, octave des morts, visite au cimetière. La tombe est très belle, le temps est magnifique. Quelle ironie dans les choses quand le cœur est blessé. Rencontré madame Gally qui nous demande ce que nous pensons du débarquement américain. Nous ne savons rien ; est-ce en France? à Dakar? Nous apprenons à la radio du soir que c est Alger qui est visé ainsi qu'oran et le Maroc. Les américains ont débarqué en ces trois endroits. Il y aurait une zone de dissidence au Maroc. Nous voilà dans l'inquiétude pour nos enfants. 25 novembre. Coup de théâtre : L'A.O.F. avec le gouverneur Boisson et le général Barraud passent à la dissidence et se rallient à Darlan. Nous sommes inquiets pour nos enfants, Georges va être sûrement mobilisé. 27 novembre. Nous rentrons à Ludon. Frédéric nous apprend dans le tonneau le drame le plus dur peut être depuis l'armistice. Nouvelle lettre du chancelier au maréchal, l'étau se resserre. Les allemands dénoncent l'armistice. Ils envahissent la zone libre, ils vont occuper Toulon et désarmer l'armée de terre et la flotte. On apprend dans la soirée que la flotte s'est sabordée à Toulon janvier. On va pouvoir écrire en Algérie sous le couvert de la Croix-Rouge. Tous les chevaux à partir de trois ans ont été présentés aux autorités allemandes ce matin. 26 janvier. Cette nuit, Bordeaux a été bombardé. 6 février. Coup de Trafalgar sur les vins. Tout est bloqué et pour les rares consommateurs qui pourront acheter, une taxe de 30 % sur le prix de vente. Est-ce sur l'ordre des allemands qui veulent accaparer le marché? Tout le monde est furieux. Le vin déjà cher va devenir inabordable. 23 février. Laval décrète le service obligatoire pour les jeunes gens nés en 19, 20, 21 et 22. À quand le tour de Frédéric Il est vrai qu'on a l'air de vouloir épargner les agriculteurs. 27 février. Les idioties sur les vins continuent. Les prix vont baisser de 50 % et plus mais il y aura une liste de privilégiés qui vendront hors taxes. C'est la foire d'empoigne en perspective et tout reste bloqué. 12 mars. Nous avons enfin reçu des nouvelles de Georges. Tout va bien. Ils sont à la campagne, chez le père blanc vraisemblablement. Georges est mobilisé et au dépôt. Ils ne semblent pas avoir reçu notre message. 123

124 Au pré de mon arbre 19 avril. Les boutiques se vident de plus en plus. Même la grande librairie Ferret est déserte et sans livres. Cette pénurie de livres et de papier est une des caractéristiques de l'époque actuelle. On ne trouve même plus de serviettes hygiéniques! 17 mai. Nous partons à 11h30 de la gare Saint-Jean pour Barbotan. À 13h30, bombardement de Bordeaux très violent sur le quartier de Bacalan, la gare du Médoc jusqu'au cours de la Martinique. Nous n'obtenons aucun détail. 19 mai. Arrivée à Barbotan, peu de nouvelles. On dit la gare du Médoc détruite. Les journaux annoncent 195 morts et 272 blessés. 21 mai. Le bombardement de Bordeaux aura fait près de 300 morts. C'est la place Ravezie et le cours Balguerie qui ont le plus souffert. 6 juillet. Répondu au message de Georges du 22 juin sur lequel il mettait : Claire commence à marcher, Marie-France beau bébé. 25 juillet. Fiançailles de Françoise avec Henri Avinen ; déjeuner intime et charmant. 29 juillet. Déjeuner à Batailley ; Batailley 1900, marquis d'alesme juillet. Mariage Peyronie par une chaleur très lourde. 2 août. Déjeuner de fiançailles Françoise avec les familles Avinen et Prudhomme personnes, très bonne journée. Magnum d'arche 1934 Jéroboam La Lagune août. Déjeuner Charmolüe. Lafite 1918, Montrose 1893, Cos d'estournel 1865, retour des Indes, Yquem août. La place de la Comédie à Bordeaux est redevenue libre et l'hôtel de Bordeaux serait évacué. On peut suivre le trottoir qui le longe depuis la rue de Mautrec à l'intendance. Quant à la fameuse carte géante du square Gambetta, elle a disparu depuis la défaite de Stalingrad. 10 août. J'apprends seulement au moment où partent des bronzes du monument des Girondins que la statue colossale de Louis XVI au musée a aussi disparu. 13 août. Déjeuner van der Voort 37. Latour 1921, Mouton-Rothschild août. Mariage de Françoise. Le 31 août 1943 voit le mariage de Françoise avec Henri Avinen de treize ans son aîné. Elle a fait sa connaissance chez son cousin François Prud homme38 qui habite rue Émile Combes à Bordeaux-St-Augustin depuis 1932, et qui venait d être nommé lieutenant colonel et commandant du centre mobilisateur de Bordeaux. Père de 10 enfants, dont les deux aînés allaient intégrer Saint-Cyr, il a perdu sa femme à la naissance des deux derniers, les jumeaux. Il vit avec sa belle-mère, Mme Gardot, une vieille dame charmante, et sa sœur Marie-Louise qui a renoncé à sa vocation religieuse pour tenir la maison de son frère. Ils sont souvent à Ludon le dimanche, soit à déjeuner, soit l'après-midi, et se sont intégrés à la vie familiale avec les Magnol. Paul eut, ainsi, pour les vendanges, un supplément appréciable de main-d œuvre. Ils ne manquent d'assister à la messe du vendredi matin à laquelle toute la famille se rend en corps constitué ; le très bon petit déjeuner qui suit faisant partie du cérémonial! 36 - Lointains cousins ayant pour ancêtres communs Alexandre de Bovet et Emma Dareste de la Plagne mariés en Hendrick van der Voort et son épouse Marie de Laage de Meux sont les hôtes. H.J. A Van Der Voort, négociant en vins, d' origine holla n- daise, est propriétaire du château Bellegra ve à Pauillac depuis Il faut remonter à Jean-Baptiste Dareste de la Plagne, aïeul commun. 124

125 Georges Duchesne Françoise les a beaucoup fréquentés pendant la guerre d autant plus qu ils entretiennent un splendide jardin potager qui leur est très utile en ce moment là. 18 octobre. Monique rentre à l'assomption, encore une petite enfance qui finit. 15 décembre. Frédéric vient de recevoir son ordre de route pour les travaux forcés. Il est stipulé que les agriculteurs de la classe 1943 ne seront requis que pour trois mois jusqu'au 15 mars. Fred vient de me téléphoner la nouvelle à Pauillac, nous sommes résigné mais tristes. 17 décembre. Frédéric a passé la visite ce matin à Bordeaux et on les a immédiatement embarqués en camions. 18 décembre. Aucunes nouvelles de Frédéric. 19 décembre. Frédéric est venu hier au soir dîner et coucher. Il est à la base maritime à Bacalan. Il ne serait pas trop mal mais pas assez nourri. En somme dix heures de travail avec une heure à midi. Il est payé huit franc de l'heure. 20 décembre. Déjeuner à d'arche : Borie, Cruse, Galy. Nexon 1929, d'egmont 1921, Agassac 1924, La Lagune janvier. Bataille aérienne sur Lesparre ; plus de 200 bombardiers américains, deux sont abattus et un allemand. Nouvelles de Fred : il est à Biarritz. 6 janvier. Nouveau passage des américains en Médoc. Une forteresse volante est abattue à Saint-Laurent. On dit l'aérodrome de Mérignac très touché. 10 janvier. Bonnes nouvelles de Fred, mais il est mal nourri. 19 janvier. Mort de notre ami Charmolüe au château Montrose à Saint-Estèphe, à 44 ans. 20 janvier. Voyage à Lesparre. Le greffier criminel Portier est porté absent. 21 janvier. Enterrement Charmolüe par un temps affreux. 23 janvier. Voilà plus de deux mois que nous n'avons pas de beurre et presque pas de fromage. 27 janvier. Jeanne écrit que la population civile est invitée à évacuer Montpellier. Nous lui répondons de venir ici. 29 janvier. On ne parle plus que d'évacuations éventuelles en Médoc jusqu'à et y compris Pauillac. On dit aussi que Bordeaux serait évacué en partie. 12 février. Frédéric revient pour un mois, réformé temporairement pour ses varices. 16 février. Mon greffier Rambau me dit en arrivant de Lesparre que tous les pneus ont été enlevés hier aux automobiles par les allemands. 17 février. Le froid reprend assez vif. 18 février. Albert m'apprend qu'il faut mener vendredi à Blanquefort tous les chevaux de 3 à 16 ans. 21 février. Il neige avec 3 au dessous de zéro. 24 février. Réquisition des chevaux par un froid vif. 25 février. Nous avons des nouvelles de Georges d'octobre. Ils savent enfin le mariage de Françoise. 4 mars. Nous apprenons par M. Vital-Mareille que les Georges attendent un troisième héritier. 9 mars. L'électricité est coupée ce soir par ordre ; on espère que ce n'est accidentel. Nous n'aurons absolument plus rien pour nous éclairer quand notre bout de bougie sera fini. 11 mars. L'histoire de l'électricité recommence à jour passé et il paraît que ça va durer. C'est une vraie panique car on ne trouve rien pour s'éclairer. 125

126 Au pré de mon arbre 15 mars, toujours l'électricité déficiente. Ce soir coucher général à neuf heures. 26 mars. Après une légère amélioration, nouvelle panne d'électricité ; nous sommes obligés de nous coucher avec le jour. 27 mars. Violent bombardement sur Bordeaux à 14 heures. 29 mars. Le petit ingénieur Bru, à Pauillac, est emprisonné pour coupe d'électricité. Le malheureux n'a fait qu'obéir aux ordres de ses chefs à Bordeaux. Il paraît que Mérignac a beaucoup souffert du bombardement. 3 avril. Les Espagnols au service des Allemands à Ludon organisent des bals publics. Les femmes et les jeunes filles vont danser. C'est un manque complet de moralité. 4 avril. La pluie vient enfin de faire son apparition, mais il ne pleut pas assez, la récolte de foin est compromise. 8 avril. Travail à force ou travaux forcés à Lesparre. Tout le monde sans exception de 16 à 60 ans doit aller travailler à Soulac. Départ en camions, retour le soir. Le curé, le Président du Tribunal, et le Procureur de la République ont seuls été exemptés. 13 avril. Le maire Borie me dit que Pauillac devra fournir 90 hommes pour un mois à Soulac. C'est pire que Lesparre qui n'envoie son monde que du matin au soir. Chaque jour, nouvelle peine. 15 avril. M. Pauly m'apprend que les postes de TSF Vont être obligatoirement déposés dans les mairies. Est-ce que les allemands craignent à ce point la BBC? Il est vrai que pour ce qui est des nouvelles via Pauly avril. Bombardement sur Bordeaux-Mérignac 39. Nuit orageuse. Deux enfants sont tués dans leur lit à Grand-Lebrun par la dca allemande, plusieurs sont blessés. 29 avril. Nouveau bombardement sur Bordeaux-Saint-Médard. La nervosité augmente. Un tel état de choses ne peut durer. Nous allons garder Monique à Ludon. 1 er mai. La sécheresse qui a repris avec la chaleur depuis trois semaines devient catastrophique ; tout est desséché et jaunit. 6 mai. La pluie a fait une timide apparition, insuffisante. Beaucoup de troupes arrivent. On a l'impression que les Allemands sont prêts à toute éventualité. 8 mai. Nous avons nettoyé le puits dans la grande allée du jardin. Il a six mètres de profondeur, nous l'avons épuisé jusqu'à 0 m 50, une heure après l'eau était au dessus d'un mètre et le lendemain matin à 3 m mai. Retour ce soir de Pauillac ; attendu 1h30 en gare de Macau pendant qu'on déchargeait un train de tanks à Cantemerle. 20 mai. Il a plu toute la journée. C'est la première bonne averse depuis trois mois, mais c'est trop tard pour le foin. 31 mai. La sécheresse persiste et devient terrible Nuit du 28 au 29 avril : L'attaque tant redoutée de la Poudrerie de Saint-Médard est arrivée. L'alerte est donnée à Bordeaux à 2h30, elle se terminera à 4 h. Les Bordelais habitués pensent que les bombardiers sont là pour le port et la base sous-marine. La Flak disposée autour de Bordeaux déclenche des tirs préventifs. À 2h20, l'alerte n'a toujours pas été déclenchée au -dessus de Bordeaux. Pas d'évacuation ni d'évacuation aux abris. Un obus de 88 mm tombe sur le second étage du lycée Grand-Lebrun et frappe de plein fouet un dortoir rempli de pensionnaires ; il y aura 2 morts et 3 blessés. 126

127 Georges Duchesne 2 juin. Le travail obligatoire s'accentue. Pauillac, Saint-Laurent, Hourtin envoient des hommes, tous les deux ou trois jours, à Soulac pour fortifier la côte. M. Achille Fould, pour montrer l'exemple, est parti dans le premier camion. 3 juin. La vigne est en fleur, très en avance cette année. 6 juin. En arrivant ce matin à Pauillac, mon greffier m'apprend que les alliés ont débarqué en Normandie et marchent sur Caen. 8 juin. L'électricité fait de plus en plus défaut. À Ludon, il n'y en a plus le soir. À Bordeaux, les tramways sont supprimés en partie. 10 juin. L'officier allemand, qui loge chez nous, nous dit qu'il y a un maquis organisé à Arsac. 11 juin. J'apprends ce matin que Vallier a été rançonné par le maquis ainsi que des fermes d'arsac. Ce sont des Espagnols pillards qui n'ont rien de militaire. 13 juin. En arrivant à Pauillac, j'apprends que des arrestations ont eu lieu dimanche soir. Des communistes et d'autres parmi lesquels M. Jarry 40 que j'aimais beaucoup. 16 juin. On nous annonce qu'il n'y aura plus d'électricité que de minuit à six heures pour les boulangers. La situation pourrait changer s'il venait à pleuvoir. Cette sécheresse est un fléau. 17 juin. À Pauillac, Constantin le pilote a été arrêté. À Ludon, M. le curé nous apprend en chaire que le couvre-feu aura lieu désormais de 22h30 à 5h30. Défense absolue de sortir de chez soi sous peine de prison. 22 juin. Dans le train de Lesparre trouvé de Luzan retour du Limousin. Il a vu des choses atroces, des villages rasés, tous les habitants tués sans exception. Il a mis deux jours pour venir de Limoges à Bordeaux. 2 juillet. Orage et bonne pluie. 4 juillet. Nous n'avons plus que deux trains par jour mais on peut prendre le train de marchandises l'après-midi. 5 juillet. Je rentre de Lesparre à bicyclette. 6 juillet. Je fais démolir cette affreuse façade genre chalet qui existait depuis 50 ans sur la rue. Ont prédit la fin de la guerre dans trois mois. 10 juillet. Depuis ce matin Françoise est dans les douleurs. On parle de l'achat de Bacalan par la commune pour en faire la mairie. 11 juillet. Je n'ai pu quitter hier au soir Ludon sans avoir vu mon petit-fils André Avinen, né à 17h30. Ces tout petits sont exquis. Nous attendons toujours des nouvelles d'algérie. 15 juillet. Mandel a été tué ; on ignore dans quelles conditions exactes. C'était un homme gênant pour beaucoup. Je le regrette sincèrement, il avait toujours été excellent pour moi. C'est une perte pour le pays. 17 juillet. Nous apprenons ce matin la naissance de Catherine Magnol arrivée à quelques heures du petit Avinen. 18 juillet. Trois petites filles se sont noyés à Pauillac en jouant sur le bord de la rivière. C'est la consternation dans la ville. 20 juillet. Départ des tanks, plus d'allemands à Ludon. 21 juillet. Les sauterelles font des ravages dans les vignes, nouveau fléau dû à la sécheresse. 31 juillet. Nous rentrons à Pauillac, Gabrielle et moi par le train de 20h45 ; il passe à Ludon à 0h25, nous sommes chez nous à 1h50 encore bien heureux d'être arrivés Il mourra en déportation. 127

128 Au pré de mon arbre 4 août. Nous sommes rentrés de Pauillac à 14h30 et à 17h00 nous voyons un formidable bombardement sur Pauillac et Ambès. Nous apprenons par téléphone qu'il y a beaucoup de victimes et des dégâts considérables. 5 août. Deuxième bombardement sur Pauillac. Le quartier de la gare serait atteint. Larouquet me téléphone pour avoir des nouvelles, il me dit la liste des victimes, 56 morts le premier jour, et 20 le second ; j'ai noté le nom de madame Bugeaud août. Je profite de la construction de la nouvelle chaire pour faire des fouilles dans l'église qui ne donnent pas de résultat. 8 août. Je pars de Ludon pour Saint-Laurent et Pauillac à bicyclette ; il n'y a pas de train. Je trouve Pauillac beaucoup plus touché que je ne le pensais. Tout est pilonné depuis Trompeloup jusqu'au chenal au nord de Pauillac. De plus, un avion isolé a lâché son chapelet de bombes sur le quartier du dispensaire : des morts, femmes et enfants. La population s'affole et vide la ville. Bombardement à Bordeaux, à Pauillac les alertes sont continuelles. 11 août. Nouveau bombardement à Bordeaux cet après-midi. 12 août. Encore un bombardement de Bordeaux vers 15h. 13 août. Bombardement sur Bordeaux de courte durée. Très grosse chaleur. 14 août. Première journée sans pain, deuxième journée sans électricité. Dans notre énervement, les bruits les plus absurdes circulent : on dit les américains à la Roche-sur- Yon. Moi je dis, pourquoi marcheraient-ils sur Bordeaux. 16 août. Le Médoc est très calme, très peu d'allemands depuis quelques jours. 19 août. Paul Legrand est venu dîner. Il a des tuyaux sûrs : les américains sont à Bressuires et ne bougent plus ; c'est la marche sur Paris et la Seine. 20 août. Nous sommes intrigués par des détonations lointaines. On doit faire sauter des ponts ou des dépôts. 21 août. Ce matin, mauvaises nouvelles en Gironde. On ne peut plus entrer à Bordeaux en sécurité. Les camions et les bicyclettes sont pris par les allemands. On vend le lait à Ludon, les laitiers ne pouvant pas pénétrer en ville ; et pas de pain. À Pauillac, grand remue-ménage sur les quais ou les dernières troupes allemandes s'affairent pour partir. Les soldats vendent tout ce qu'ils peuvent. Ont dit qu'ils vont faire sauter le dock flottant et l'embarcadère. Les nouvelles affluent. On affirme que les américains ont dépassé Angoulême et que le pont de Pierre va sauter. 22 août. Les américains auraient débarqué à Arcachon. Toute la nuit nous avons entendu de fortes détonations. On dit que ce sont les quais de Bordeaux qui sautent. À Pauillac, les allemands sont toujours sur les quais prêts à partir. À midi, un dépôt de munitions saute à Trompeloup. À 12h30, j'apprends, par la radio dans la rue, que Paris est libéré par les troupes de l'intérieur après une lutte de quatre jours. C'est la première fois depuis plus de quatre ans que j'entends la marseillaise avec plaisir. La question politique est angoissante. Borie s'attend à partir ; j'ai décidé de ne plus quitter Pauillac jusqu'à ce qu'il y ait une solution. Les allemands sont partis à 13h en une longue colonne sans gloire. Dans la soirée nous entendons des cris dans la rue, quatre femmes ont les cheveux coupés par une bande de jeunes gens. 24 août. Les cloches sonnent sans arrêt. Les drapeaux jaillissent aux fenêtres ; le bruit circule qu'une colonne allemande arrive de Lesparre : tous les drapeaux disparaissent. Je m'inquiète de Marcel Borie : on me dit qu'il est à la mairie. Sur les quais, un certain 41 - Propriétaire des «Nouvelles Galeries», à Pauillac. 128

129 Georges Duchesne nombre de maquisards viennent d'arriver et parlent fort. Le maire est dans son cabinet avec un certain Guilhoire qui doit lui succéder. Je décide de l'attendre. À midi, Guilhoire sort, je pénètre et je trouve M. Borie rangeant quelques papiers. Il m'annonce qu'il n'est plus maire et qu'il cède devant la force. En effet, un groupe armé occupe la mairie. Je tiens à l'accompagner jusque chez lui. Tous ses anciens amis ont disparu. On me dit que Robert Peyronie devait prendre la mairie mais qu'il a été devancé par les communistes. N'ayant plus rien à faire momentanément, car la ville est en fête et les affaires suspendues, je décide de rentrer à Ludon par le train de 18h ; ma femme ne m'a pas quitté. Henri est venu travailler pour les sinistrés. Nous rentrons tous les trois sans difficulté à Ludon. Gabrielle a été dans l'après-midi à Batailley. Elle me dit que le château est gardé à vue par le maquis. Le boucher Martin est paraît-il arrêté, sa femme a disparu. Le magasin Fazilleau est fermé. De Bordeaux, nouvelles contradictoires. Les allemands auraient fait un accord avec la résistance pour partir sans détruire le pont de pierre. Nous apprenons en arrivant à Ludon que la nuit a été très agitée par des explosions violentes et des incendies sur Saint-Médard et Sainte-Hélène. 25 août. Décidément, la radio ne veux pas parler de Bordeaux et du Sud-Ouest. On ne sait rien. On parle de débarquement à Arcachon, d'un autre à Saint-Jean-de-Luz. Les américains seraient à Libourne. Toujours des explosions à Bordeaux et parfois un bruit de fusillade. Vers 15 heures, d'immenses fumées s'élèvent du côté des docks. On dit que la Kriegsmarine veut résister. Mais l'affiche 42 du général Nake est placardée en quelques endroits : «Appel à la population En tant que commandant suprême des troupes allemandes de la région de Bordeaux, je déclare qu'aucune destruction n'aura lieu dans Bordeaux et l'agglomération bordelaise et que le port et des ponts de Bordeaux qui sont minés ne seront pas détruits si la population s'abstient jusqu'après le départ des troupes allemandes de Bordeaux de tout acte de sabotage.». Ainsi, la retraite allemande est commencée. C'est la fin de ces quatre années d'occupation. Le départ de ces ennemis est sans gloire, nous les avons vu partir de Pauillac comme des bohémiens sous les rires de la population. Et j'écris librement alors qu'il y a seulement huit jours j'étais obligé de surveiller toutes mes paroles dans la crainte d'une gestapo impitoyable qui violait tous les domiciles. À Pauillac, ils retournaient les cartes placardées aux murs pour rechercher si des trous d'épingles n'avaient pas marqué les progrès des troupes alliées Décidée lors de la conférence dite du «Grand Bordeaux» qui eut lieu le 24 août à 11 h 30 où le Lieutenant général Nake s engagea à ne pas exécuter les destructions prescrites par Hitler dans un ordre particulier. Y participèrent, outre Général Nake, MM. Sabatier, Préfet Régional, Castané, Chef de Cabinet, Marquet, Maire, Bricaud, Secrétaire Général de la Ville, Blintz, interprète, le Général Major Knorzer, Feldkommandant, le Colonel Seiz, commandant le Grand Bordeaux, le Colonel Mouscheuer, commandant le Grand Bordeaux, le Colonel Schultz, commandant le Grand Bordeaux, le Commandant de Corvette, Haffekommandant, Lung. Inte r- prète (neveu d'eschenauer). 129

130 Au pré de mon arbre C'est là le point crucial d'une occupation qui est devenue peu à peu une invasion, une exploitation, une inondation asphyxiante. À Ludon nous avons eu la chance inouïe de ne souffrir ni dans nos personnes, ni dans nos biens. La guerre a épargné notre territoire et la majorité des Allemands que nous avons subis ont été corrects. Mais il n'en a pas été de même partout. L'allemand maladroit et lourd a voulu nous coloniser. 26 août. Plus de lumière ce matin après une nuit encore agitée. M. Mire qui rentre de Bordeaux ce soir dit que les allemands sont encore là. Ils s'en vont, mais avec une lenteur désespérante. Il est vrai qu'ils font passer par Bordeaux toutes leurs troupes du Sud-Ouest. 27 août. Journée morne, sans nouvelles, sans lumière, sans train. Très peu de pain. On est prévenu qu'il n'y aura pas de trains demain. Frédéric me réveille à sept heures pour me dire que les Américains sont entrés à Bordeaux cette nuit venant de Belin. Ludon est aussitôt pavoisé. Henri n'y tient plus et part pour Bordeaux se rendre compte. 28 août. Henri est revenu de Bordeaux sans avoir vu d'américains. La ville est sillonnée d'ffi. On a saccagé le café Régent. La ville est calme mais sans beaucoup d'ordre. Rencontré ce matin Pauly qui s'attend à être débarqué d'une minute à l'autre. Il me dit qu'à Blanquefort, Eysines, le Taillan, Saint-Médard, les communistes ont occupé les mairies. Les Américains marchent à pas de géant. Ils sont entrés à Soissons, à Fismes. Je suis réjoui par ces noms de la Grande guerre que j'ai tant connus. 30 août. Voyage à Pauillac aller et retour, 60 kilomètres à bicyclette sans fatigue. Il y a toujours un groupe d'allemands à Soulac. Les FFI s'apprêtent à les attaquer. 31 août. La police locale FFI s'organise. Le docteur de Latouche est le seul homme capable d'être écouté mais il manque ou de caractère ou de courage. À rester en demiteinte, il laissera les extrémistes prendre le pouvoir. Pour l'instant, Pauly a passé la main à Pineau sans difficulté. Tout l'ordre ancien est rétabli. 3 septembre. Le fils Rondeau, qui habite Lagrange, m'a confirmé ce matin que les Allemands ont coulé 27 bateaux pour obstruer la passe de Vallier à Grattequina. 10 septembre. Frédéric rend son pique-nique au château de Blanquefort par un très beau temps. Déjeuner dans les ruines de la chapelle du château. Je fais ensuite une courte conférence sur la vieille forteresse médiévale. Réunion charmante... et peut-être aussi par la suite. 11 septembre. Grosse journée familiale qui se termine dans la joie de tous bien que personne ne dise rien encore. 14 septembre. De grands événements se préparent. Claire et Frédéric sont à Bordeaux. J'irai voir M. Claverie demain. 15 septembre. Accord parfait et des deux papas pour le bonheur de leurs enfants. Je rentre à Ludon la bicyclette dans l'après-midi. À 19 heures, j'apprends que M. Claverie a rendu officielles les fiançailles de Claire et de Frédéric. La nouvelle est aussitôt annoncée à quelques amis et voisins sympathiques. Nous sommes dans la joie. 16 septembre. Allégresse totale. J ai un petit-fils, Antoine, né 43 à el-affroun. C'est par une bonne lettre de M. Vital-Mareille que nous apprenons l'heureuse nouvelle. 18 septembre. Convocation inopinée à l'intendance de police où, après un interrogatoire de 5 minutes, je suis relâché. J'étais accusé sur dénonciation Ludonnaise d'être le président des amis du Maréchal Né le 20 août. 130

131 Georges Duchesne C'est bouffon et odieux à la fois. Deux policiers étaient venus me cueillir en auto pendant que des gendarmes gardaient le portail. De la sorte, personne n'a ignoré mon arrestation. 19 septembre. Le fait divers ci-dessus m'a fait connaître l'existence et la composition du comité de libération à Ludon. Président Hertig, Dargelas douanier, Forsans chef de gare, Deyre coiffeur, Fourier prisonnier rapatrié, Faure et quelques autres, en tout pas 25 % de sang ludonnais. 21 septembre. Commencement des vendanges. Troupe charmante et travailleuse : 2 Prudhomme, 3 Barrière, 4 Claverie, Célerier, 3 Binaud, Claire fait le charretier avec Frédéric. 28 septembre. Fin des vendanges. 3 octobre. Grosse hécatombe de magistrats, Guéritaud, Charrier, Véron-Réville, huit en tout après le premier président Courrélongue, le procureur général Jamet et l'avocat général Giraud. Nous marchons vraiment vers le rajeunissement des cadres. 4 octobre. Vu Odin toujours excellent. On prépare l'assemblée constituante. On dit que Chevrou et Barennes auraient été arrêtés. Odin me fait pressentir une nouvelle charette pour demain. 7 octobre. Déjeuner de fiançailles à Biré. Rauzan-Gassies Cantemerle J'apprends que tout le tribunal de Lesparre a été incarcéré, sauf Pommepy, probablement à l'instigation de l'ex-greffier criminel. Seul Barennes est écroué au fort du Hâ. Le président et le procureur sont relâchés. 15 octobre. Goûter à Cantemerle, excellente réception. Maman, alitée, n'a pas pu venir. 21 octobre. Nous rendons le déjeuner de fiançailles. Le colonel Prudhomme et M. Vital- Mareille n'ont pas pu venir. 24 octobre. Expédition en auto à Jau avec M. Fould. Nous dépassons les lignes tenues par les FFI, et, précédés d'un drapeau blanc, nous allons jusqu'au château de Canau où nous rencontrons les officiers allemands chargés de discuter avec nous l'évacuation de la population civile de la pointe. 1 er novembre. Vu aujourd'hui une femme lieutenant dans une compagnie d'ffi cantonnée à Agassac, très aimable d'ailleurs. Elle venait réquisitionner une barrique de vin pour ses hommes. 4 novembre. Mariage de Frédéric à 18 heures dans les salons de l'hôtel de ville de Bordeaux. C'est l'adjoint Ramarony qui les a marié. Témoins, M. Paul Dubos et le colonel Prudhomme. 7 novembre. Belle et heureuse fête familiale que le mariage de nos enfants mais on compte trop d'absents dans les deux familles. Somptueuse cérémonie à Saint-Louis, 300 personnes au moins. M. Le curé Guitraud nous dit des paroles aimables et d'une haute portée morale et sociale. Claire ravissante dans une robe de forme un peu moyenâgeuse, bonnet charmant. Frédéric très à l'aise dans son habit. Monique et Béatrice quêtent avec aisance. Splendide déjeuner à l'hôtel Claverie, cinq discours charmants. François Prudhomme parle pour nous. Nous étions arrivés prosaïquement par le train, nous repartons de même. 10 novembre. M lle Lazies 44 me raconte l'évacuation des populations de la pointe. Service très bien organisé par la Croix-Rouge. Une division blindée vient d'arriver à Souges Personne évoquée dans «Au Peyrat», ouvrage de la même collection. 131

132 Au pré de mon arbre 11 novembre. Très belle messe solennelle pour fêter le premier anniversaire de l'armistice. L'aumônier Lurton fait un sermon vibrant et pratique, prêchant l'union. Les enfants chantent très bien la Marseillaise au monument aux morts. 19 novembre. Émile Castéja est venu après midi de Pauillac. Il nous apprend que son beau-père M. Borie est en état d'arrestation ; pour le moment ce dernier en voyage. 2 décembre. Georges vient de débarquer à Marseille avec sa division. Je suis fier qu'il vienne se battre, mais c'est toujours l'inquiétude qui renaît. 4 décembre. Télégramme de Georges qui sera près de nous après-demain. Allégresse familiale, c'est la fin d'un exil qui a été bien dur pour tous. Mais quand sa femme et ses enfants pourront-ils arriver? 6 décembre. Georges est arrivé à midi. Maman a été à sa rencontre à Bordeaux. J'arrive par le train de Pauillac à 19 heures. Georges m'attend à la gare. Quelle joie après cinq ans de le revoir et de le retrouver toujours le même, calme, plein de confiance. Son amour de sa femme et de ses enfants est touchant. Monique est venu voir son grand frère. Nous sommes heureux d'avoir nos quatre enfants réunis. 10 décembre. Goûter en l'honneur de Georges. 40 personnes. M. Pierre Dubos est aimablement venu. Dîner en famille avec M. le curé Guitraud. Il ne manque que la lumière (momentanément) et le ravitaillement qui est de plus en plus déficient. 12 décembre. Départ de Georges. Il passe par Paris et va rejoint son corps dans l'est. 21 décembre. Déjeuner Renon au château Houissant à Saint-Estèphe. Magnum Haut- Brion 1934, un semblable a été servi sur la table royale à Versailles. 25 décembre. On parle de plus en plus de mobilisation en France mais est-ce possible sans armes, sans matériel et sans vêtements : les allemands ont tout enlevé. Dans tous les cas, la classe 43, qui est celle de Frédéric, sera appelée sous peu. 31 décembre. Très bon discours du général de Gaulle. Il prêche l'union, il est temps. Il annonce l'appel de la classe 1943 pour fin janvier er janvier. Déjeuner à la maison avec les Paul Legrand. 3 janvier. Bombardement de Royan et du Verdon par la RAF. Véritable tremblement de terre à Pauillac. Royan est détruit. 12 janvier. La neige est tombée en abondance cette nuit. Paysage au réveil des pays de l'est. 17 janvier. Le froid persiste, tout le pays est sous la neige glacée. Le froid réussit aux Russes qui lancent une formidable offensive. 18 janvier. Le dégel est arrivé soudainement au grand soulagement de tous. Et c'est ce soir la tempête. 22 janvier. Le petit André a été assis à table pour la première fois, bien petit encore mais trop mignon. 25 janvier. Les Avinen partent de Ludon pour Bordeaux. Nous regrettons ce séjour tout à fait sympathique avec ce joli petit garçon qui va bien nous manquer. 26 janvier. Le café de Bordeaux est ouvert de nouveau au public, mais reste encore désert. 2 février. J'ai été prévenu par Bordeaux que le comité de libération de Ludon s'agite et j'en ai eu bien vite la preuve. Je suis accusé d'avoir eu des doubles cartes d'alimentation à Ludon et à Pauillac. Invraisemblable mais réel. 3 février. Visite à Françoise dans son nouvel appartement très joli et confortable 141 rue du Palais Gallien. 4 février. Dépêche que Claude s'est embarquée à Alger. 132

133 Georges Duchesne 5 février. Je suis accusé d'avoir un dépôt d'armes dans mon jardin. Descente de police à ce sujet, sans résultat, cela va sans dire. Invraisemblable mais réel. 6 février. Enquête de la gendarmerie à Pauillac sur mes fréquentations douteuses. Invraisemblable mais réel. L'enquête a d'ailleurs tourné tout à mon avantage. C'est Rateau-Langlade qui mène l'affaire de ce côté-là. Et à Lesparre, c'est Portier, exgreffier, qui témoigne contre moi et les autres magistrats. Je suis un «collaborateur notoire» qui n'a qu'à bien se tenir si je ne veux pas être pulvérisé. 8 février. Claude arrive à Ludon avec ses enfants, très fatiguée mais si courageuse. 5 mars. Arrivée inopinée de Georges à notre grande joie ; il arrive de Strasbourg. Cologne est tombée. 12 mars. Je reçois la dépêche suivante : Justice personnel Paris «Aviser d'urgence Duchesne juge de paix Pauillac que commission épuration de la magistrature examinera son cas 17 mars 1945 à 14h30. Ministère de la justice, direction civile, salle des réunions. Peut se présenter s'il juge utile.». 15 mars. J'ai décidé de partir pour Paris ce soir, plein d'espoir dans la justice de ma cause. 17 mars. Je comparais devant la commission d'épuration de la Magistrature présidée par M. Lamothe, conseiller à la cour de Cassation. 19 mars. Mon frère Jean vient déjeuner avec moi à Paris. 21 mars. Retour à Ludon. L'audience à la chancellerie m'a paru favorable mais n'a pu conclure, le procureur de Bordeaux, Massina, ayant jugé bon au dernier moment de demander un supplément d'enquête. 27 mars. Lettre de Georges du 22 mars datée «en Allemagne». Il nous dit sa joie et son ardeur. Les Français sont à l'extrême pointe, ils approchent de Baden-Baden. 1 er avril. Georges nous parle, dans une lettre, de l'ahurissement des civils allemands devant les événements. Ils ne comprennent rien et ne réagissent pas. Ils étaient donc bien mal informés. 8 avril. Aujourd'hui dimanche, réception du premier prisonnier ludonnais rapatrié, Taillade Pierre. 10 avril. Troisième enquête sur mon compte à Ludon! 11 avril. Je suis convoqué à Paris le 18 courant. Je n'irai pas. 15 avril. Attaques sur le Verdon et Royan. 16 avril. Prise de Royan. 20 avril. Soulac, le Verdon, la Pointe de Grave sont prises. La poche médocaine est nettoyée. La bataille a duré six jours. 21 avril. Retour du commandant Cassaigne, du soldat Boyer, et du déporté Richard. 23 avril. M me Audebert, receveuse des postes, est déplacée d'office sur dénonciation du Comité de Libération. Deux listes municipales vont s'affronter, Hertig et Pauly. 24 avril. Frédéric est chauffeur de son colonel. 29 avril. Élections municipales en France. Triomphe de la liste Hertig, Pauly mauvais poulain. Mimi de Saint-Paul 45 arrive en queue de liste. 2 mai. Très forte gelée dans la nuit, le plus grand désastre viticole par la gelée depuis Marguerite Marie Renée Anne Mesnaud de Saint -Paul ; famille originaire de Champniers, en Charente. 133

134 Au pré de mon arbre 7 mai. Je suis à Bordeaux et Frédéric me dit à 17 heures qu'il a entendu à 15 heures à la radio que les Allemands ont signé l'acte de reddition. En effet une certaine animation règne dans les rues, des drapeaux sortent de partout, mais rien n'est officiel. 15 mai. En arrivant à Pauillac, j'apprends par Vallée que je suis nommé à l'officiel du 13 mai, juge de paix de Blanzac, Montmoreau et Villebois-Lavalette. 16 mai. Il ne me déplait pas de retrouver ma bonne Charente. Par contre, j'apprends que Vital-Mareille est arrêté en Normandie et ramené à Bordeaux. 19 mai. Bonne surprise. Georges nous arrive à 20 heures en jeep conduite par un tirailleur. Il restera avec nous deux jours. Il est nommé à Limoges. 20 mai. Déjeuner avec M e Vital-Mareille, Trolliet, le Touzé. Vital-Mareille est en liberté provisoire à Caudéran. 21 mai. Reçu le commandant Cassaigne, causé très sérieusement avec lui de l'accusation 46 portée par Hertig contre Georges. 26 mai. Paul Legrand me porte en auto à Montmoreau. J'inspecte mes trois cantons. 29 mai. Voyage d'adieu à Pauillac. Déjeuner chez Peyronie. 1 er juin. Installation à Blanzac et à Montmoreau. 2 juin. Arrivée de Robert, content de retrouver son auto intacte. 9 juin. Fiançailles à Bizeaudin 47 de Marie-Antoinette et de Mimi. 18 juin. Visite d'un capitaine d'artillerie qui expertise nos voitures allemandes. 21 juillet. Naissance à Bordeaux du petit Jacques Avinen, le deuxième fils de Françoise. 22 juillet. Je reçois la dépêche suivante du Parquet : «Parquet d'angoulême. Le Procureur de la République à Monsieur le juge de paix à Montmoreau La commission d'épuration de la magistrature, après avoir examiné dans sa séance du 28 avril 1945 le cas de M. Duchesne, juge de paix, a estimé qu'il n'y avait pas lieu d'envisager aucune sanction à l'encontre de ce magistrat au titre de l'épuration. M. le Garde des Sceaux a pris en ce qui le concerne une décision conforme à l'avis de la commission. Le procureur de la République» 24 juillet. L'abbé Bergey défendu par Odin est acquitté. 27 juillet. Frédéric passe en correctionnelle pour avoir détenu ces fameuses charrettes allemandes. Défendu par Chalès, il est acquitté. 12 août. Déjeuner et goûter de baptême pour le jeune Jacques Avinen. Inauguration du salon remis à neuf. 11 octobre. Déjeuner à Beychevelle avec le général Fouchard. Mariage de Marie Antoinette de Saint-Paul 48 avec Jean de Léotard octobre. Je trouve, en arrivant à Ludon, mon petit Antoine qui marche seul. 21 novembre. Visite à Champagne de Blanzac 50 et au Maine-Giraud 51 où séjourna Alfred de Vigny. Vu la chambre où il écrivit la mort du loup Hertig accusait Georges de s'être évadé puis d'avoir passé la ligne de démarcation grâce à des complici tés d'officiers allemands Propriété des Saint-Paul, à Ludon Louise Marie Antoinette Mesnaud de Saint Paul est née le 18 juin 1911 à Champdolent, Charente-Maritime Jean Marie Joseph de Léotard est né le 3 octobre 1912 à Bordeaux. 134

135 Georges Duchesne 8 décembre. Fugue des petits de Saint-Paul 52 qui ont été rejoindre leur mère à Paris. 24 décembre. Messe de minuit, suivie d'un joyeux réveillon. La famille est au grand complet pour la première fois depuis bien longtemps janvier. L'affaire de Frédéric qui n'aurait jamais dû venir en appel 53, passe aujourd'hui devant la cour. Il est acquitté sans plaidoirie. Mais M. Massina ne peut plus rien. 26 janvier. Déjeuner Martin, Peyronie, Barre-Morin, Paul Legrand. 10 février. Georges nous téléphone ce matin la naissance de la petite Élise. 12 février. Mariage de Mimi de Saint-Paul et de Francis Claverie. 1 er mars. Nous nous sommes réveillés ce matin sous la neige. 3 mars. Baptême de la petite Élise à Ludon. 12 mai. Inauguration de la plaque commémorative des combattants Cette plaque a été assez mal conçue et dégrade le beau monument de L'après-midi, inauguration du terrain des sports sous le signe socialiste. Présidence de Monsieur Audeguil 54, maire de Bordeaux, député SFIO. 30 mai. Banquet des anciens du 344 e, le premier depuis la défaite. J'y retrouve Larrouquet, Baysse, Gautier, Dalléas, Breton, Chauvin 8 juin. Odette Kaltenbach passe quelques jours à la maison avec son illustre fils. 1 er août. 2 nouvelles ce matin : les journaux sont à quatre francs et le prix du pain passe de 7f60 à 14f40. 3 août. J'apprends en arrivant l'invasion des sauterelles par vagues massives comme en Algérie. Elles n'ont heureusement pas séjourné à Ludon. 25 août. Mort de M. Vital-Mareille. Homme aimable, très érudit, il était un régionaliste convaincu. Ses efforts pour bien situer et faire connaître l'aquitaine ne resteront pas vains. Plusieurs de ses livres resteront des bijoux de nos bibliothèques. 8 septembre. Naissance à Ludon d'élisabeth Marie Avinen. 15 septembre. Baptême de la petite Élisabeth Devenu Champagne-Vigny A une vingtaine de kilomètres au sud d'angoulême, a appart e- nu à Alfred de Vigny de 1827 à 1863 : La propriété lui est venue de sa tante, la sœur aînée de sa mère, Sophie de Baraudin, chanoinesse de l'ordre souverain de Malte. Son grand-père, le marquis et amiral de B a- raudin, a acheté le Maine Giraud en 1768 afin de rester proche des ports de Rochefort et de La Rochelle. Alfred de Vigny mourut, peu de temps après son épouse, en 1863 ; sans descendance directe, il lègue la propr iété à Louise Lachaud, fille de madame Ancelot, qui tenait l'un des plus brillants salons littéraires de la capitale. Après avoir appartenu aux Philippon, le domaine est acheté en 1938 par la famille Durand Il doit s agir des enfants de Raoul Mesnaud de Saint Paul, né le 1 er novembre 1909 à Champdolent, marié le 19 avril 1933 à Ludon-Médoc avec Madeleine du Merle, née le 9 avril 1907 à Paris Le procureur de la république Massina a fait appel à minima pour complaire au comité de libération de Ludon Jean Fernand Audeguil ( ) 135

136 Au pré de mon arbre 19 octobre. Les Frédéric donne un bal pour pendre la crémaillère. Quatre-vingt personnes. Souper par petites tables. 21 octobre. La vie devient terriblement chère et inquiétante. Tout le monde connaît les réactions parfois sauvages qu'entraîna la Libération et particulièrement dans en Médoc où s'affrontèrent un certain nombre de formations incontrôlées et de factions politiques extrémistes. Tous les fonctionnaires restés en place sous le gouvernement de Vichy sont suspects. En outre Paul Duchesne, ancien maire de Ludon, n'y a pas que des amis. S'il n'est pas arrêté, il est néanmoins inquiété, interrogé et accusé à la suite de dénonciations calomnieuses des plus injustes et des plus stupides. Comme beaucoup de fonctionnaires, il doit comparaître à Paris devant la Commission d'épuration du Ministère de la Justice qui le blanchit entièrement. Mais comme toujours en semblables circonstances et par souci de ne pas troubler l'ordre public, il est muté - avec promotion d'ailleurs - à Montmoreau 55, en Charente. Il y passe trois jours par semaine et y trouve une pension agréable. C'est donc dans cette dernière affectation qu'il sera atteint, en 1952, par la limite d'âge et obtient une retraite bien méritée. Le Procureur de la République d'angoulême en lui signifiant sa mise à la retraite s'exprime en ces termes : «Je tiens à vous exprimer personnellement mes regrets de vous voir quitter un poste que vous avez occupé avec compétence, intelligence, autorité et distinction». Paul peut jouir pendant douze ans de sa retraite partageant ses loisirs entre la lecture, le jardinage et la rédaction définitive de sa «Chronique de Ludon-Médoc» qu'il fait éditer en 1960 par l'imprimerie Rousseau 56. Ce volume 55 - Il dessert également le canton de Villebois -la-valette et complète une fois par semaine le tribunal de Barbezieux rue Margaux à Bordeaux ; Antoine Péchade fonde l'imprimerie Péchade en En 1863, il cède sa maison à ses deux fils, et la raison sociale devint : «Péchade fils frères,» sous la direction de MM. Jacques - Prosper et Simon-Émile Péchade. En 1867, M. Émile Péchade se retire pour prendre la direction d'un atelier d'impressions sur cuivre pou r boîtes de conserves, atelier qui avait été créé par son frère, et qui, prenant de l'e x- tension, demandait une surveillance plus active. M. J. -Prosper Péchade reste alors seul directeur de l'imprimerie avec la raison sociale : «Péchade fils ainé.» Le 7 septembre 1870, M. Jacques-Prosper Péchade étant décédé, sa veuve continue la maison, qu'elle cède en 1882 à son fils Jean -Gustave qui continue à la diriger. En 1886, il la transfère du 12 rue du Parlement -Saint- Pierre, au 20 rue Margaux, immeuble construit vers L'atelier de fabrication occupe le rez-de-chaussée du bâtiment. Les autres niveaux sont réservés au logement familial. Albert Rousseau, gendre de M. Péchade, assure la succession et constitue une S.A.R.L. en

137 Georges Duchesne provoque beaucoup d'éloges de la part d'historiens régionaux, tels que Gaston Marchou 57 et Xavier Védère 58. Trouvé dans les papiers de Mamie Jeudi 24 octobre 1963 Fiançailles de Marie-France ; déjeuner à Ludon, / Paul Duchesne bien vieux, mais content. Lui et sa femme ont une maison bien belle par ce qu aimée ; mais ils sont généreux avec elle et n épargnent pas leur travail, et, comme ils ont beaucoup de goût, le résultat est beau / Raphaël, M.-France, moi, Antoine sont partis en auto pour Ludon où nous avons trouvé un bel arbre de Noël, un vieillard souriant, Gabrielle alerte et jeune, de beaux enfants. Sophie a exigé de remettre son manteau et son passe-montagne ; Marie Laurence est bien fine et jolie, et le petit Paul est gentil, s'occupant de ces deux petites filles. / 12 juin Noces d'or de Paul 59 et Gabrielle Duchesne dans leur belle maison de Ludon. Parfait, présent embelli de passé, vieux couple aimant, beaux enfants. De la classe, pas de snobisme. Messe pieuse, l'abbé Lacaze à l'harmonium improvise une musique douce. Apéritif sur l'herbe auprès du magnolia, couvert rose pâle (3 tables), salon fleuri somptueusement, menu excellent, vins remarquables, savoureux et savourés, rutilants dans les beaux cristaux. Denis, 14 ans, a parlé au dessert TB. calme. Frédéric a été un remarquable maître de maison, veillant à tout, au bien-être de tous. Café au salon. Photo fleurie sur la prairie dans la gloire du soleil couchant. Claire et M.France multiplient les bontés vis-à-vis de moi ; elles étaient bien jolies... M. Laurence est mon bébé chéri. Sophie est pâle, je la trouve fatiguée. Dès 1958, Paul ressent les premières atteintes de la maladie : une tumeur du cardia, opérée en 1959 par le Professeur Dubourg. Après quelques mois de rémission, les lésions cancéreuses se généralisent, l'empêchant de s'alimenter normalement mais sans jamais altérer ses facultés mentales. Paul décline doucement et s'éteint le trente octobre 1964, en pleine lucidité, après avoir reçu La maison Péchade et Rousseau produit, outre les grandes affiches, des imprimés de commerce, des périodiques et autres publications ; elle est spécialisée dans les affiches de spectacles : elle crée l' affiche à réserves blanches Gaston Marchou est un historien, journaliste et u n écrivain français d'origine bordelaise. Il vit à Cambes dont il sera le maire de 1965 à Archiviste de la Ville de Bordeaux (en 1938) et conservateur de musée Malade, ce fut son dernier effort. 137

138 Au pré de mon arbre les saints sacrements ; Gabrielle, qui l'a admirablement soigné, lui tient la main et ses enfants sont tous autour de lui. L'abbé Gonzalez, curé de Ludon, prononce l'homélie pour les obsèques, le 2 Novembre 1964, dont la phrase suivante relie sa vie à l'histoire de la maison familiale : «La Vierge Marie, invoquée dans les litanies sous le titre d'arche d'alliance est sans doute intervenue auprès de Dieu pour obtenir miséricorde en faveur de celui qui demeurait ici-bas au Château d'arche» Trouvés dans les «Cahiers» de Mamie : "Jeudi Bordeaux 5 novembre Retour à Bordeaux. Mort de Paul Duchesne : il nous donne une grande leçon de sérénité. Tous les ans, il réunissait sa famille pour célébrer Noël autour d'un arbre magnifique dans le salon du Château d Arche Arbre de Noël à Ludon ; Gd-mère courageuse - le souvenir de l'aïeul planait - beaucoup d'enfants, de cadeaux, de paquets, de ficelles : la vie reprend vite, et le disparu ne manque guère. Les Vesly Léon de Vesly, premier beau-père de Gabrielle de Bovet, est archéologue et professeur, conservateur du Musée des Antiquités de la Seine- Infèrieure. Voici ce qu'en dit Georges Dubosc, dans le Journal de Rouen du 26 nov : «Depuis quelques années, on voit peu à peu décliner ses forces physiques qui, malgré les atteintes de l'âge, résiste par la persévérance du travail. Alité seulement quelques jours, il s'éteint sans souffrances en novembre Originaire d'une famille normande, dont un membre fut au XVIII e siècle architecte du duc de Penthièvre, Léon naît à Rouen le 22 juin 1844, au n 1 de la rue du Clos-des-Marqueurs. Après ses études classiques au lycée Corneille de Rouen, il entre en 1868 comme élève architecte à l'école nationale des Beauxarts et à l'école des Arts décoratifs, où il est élève d'andré, de Rupricht-Robert et de Paccard. Il s'y lie très affectueusement avec Charles Garnier, le futur architecte de l'opéra, qui est son «ancien». Quand éclate la guerre de , Léon de Vesly fait partie, comme lieutenant, en même temps que l'architecte Sauvageot et le peintre Paul Milliet, d'un corps auxiliaire du génie dont Alphand est colonel et Viollet-le-Duc lieutenant-colonel et qui fut pendant longtemps employé à la défense de Paris, particulièrement devant Nogent-sur-Marne. Il prend part alors aux combats sous 138

139 Georges Duchesne Paris, à Champigny, où il est blessé. Lors de la Commune, sa compagnie est chargée de défendre pendant quelque temps le Palais de l'élysée, mais dut se retirer. Après la guerre, Léon de Vesly, architecte diplômé, est attaché notamment comme chef d'atelier de dessin à l'école des Ponts et Chaussées et collabore, sous les ordres des ingénieurs Léonce Reynaud et Dartein, à l'organisation des Expositions du Musée des Travaux publics. En même temps, il collabore au Moniteur des Architectes et à de nombreuses publications sur les arts et la décoration, éditées par Calman-Lévy. Il est aussi employé par de nombreux peintres à des tracés de perspective pour leurs tableaux. Entre temps, il est chargé par le ministre de l'instruction publique, avec le D r E. Rivière, d'une mission au Lac des Merveilles 60, pour y recueillir des gravures sur les rochers, en territoire italien, côté de la frontière française. Accusés d'espionnage, les deux archéologues sont retenus en prison pendant quelques jours ; Léon rapporta de ce voyage mouvementé quelques dessins et aquarelles joliment lavées, comme il en a exécuté tant depuis ; à la même époque, comme architecte, il prend part à différents concours à Rouen, pour le monument de Court dès 1866, et pour celui de Louis Bouilhet. En 1878, Léon de Vesly vient se fixer définitivement à Rouen et commence alors sa carrière dans l'enseignement public du dessin. Il débute comme professeur de travaux graphiques à l'école professionnelle, puis étend successivement ses cours à l'école régionale des Beaux-arts où il enseigne l'architecture et l'histoire de l'art, préconisant la fondation d'une école spéciale d'architecture et le développement des arts appliqués. Il enseigne ensuite à l'école supérieure des sciences de Rouen, à l'école professionnelle, et en 1881, à l école régionale des Beaux-arts de Rouen. Il professe également à l'école supérieure des lettres et des sciences, au lycée Corneille, à l'école normale de jeunes filles, à la Société d'émulation, à laquelle il adressera de très nombreuses communications sur des sujets très divers d'archéologie et d'esthétique. Vers 1876, il publie, entre autres brochures, un opuscule intitulé «La Statue», à propos d'un bronze du jardin de l'hôtel de Ville, «La dernière goutte du Moissonneur», fantaisie humoristique qu'il signe : D. René, abbas Nostrae Dominae Rasnaicœ. Reprenant les traditions abandonnées par l'abbé Cochet, sans ménager ni son temps ni ses forces, Léon de Vesly se met aussi à entreprendre des 60 - La Vallée des Merveilles, dans le parc national du Mercantour, tient son nom des milliers de gravures datant de la préhistoire qui s'ét a- lent sur des dalles de pierres colorées, les «ciappe». Située sur la commune de Castérino, on y accède par le vallon de la Minière. Rattachée à la France le 16 septembre

140 Au pré de mon arbre fouilles, aidé souvent et soutenu dans ces entreprises par des collaborateurs comme Victor Quesné et Louis Deglatigny. Les résultats de ces explorations, auxquelles son nom restera attaché, sont consignés dans des volumes et des brochures, ou dans les communications qu'il fera chaque année, comme correspondant du ministère de l'instruction publique, au congrès des Sociétés savantes, au Comité des travaux historiques, et surtout à la Commission des Antiquités de la Seine-Inférieure. Il collabore également au Bulletin archéologique, à la Société d'études préhistoriques, à la Revue archéologique, à l Architecture et à la Construction dans l'ouest. Parmi ces nombreux travaux, écrits avec goût, et toujours accompagnés de dessins et de croquis, citons : en 1877, «L'exploration du dolmen de Trye- Château» ; en 1878, «Découvertes archéologiques» ; en 1879, «Les Balastières d'amécourt et de Sergy», près de Gisors ; en 1880, «La Station paléolithique de la Baltique» ; «Les Fouilles de Saint-Ouen», qu'il note avec un très grand soin en 1880 et qu'il fait suivre en 1897 d'une étude fort curieuse sur «Les Signes lapidaires de Saint-Ouen» ; en 1899, «Le Fanum des Buis», dans la forêt de Louviers, «Le Catelier de Criquebeuf», «Les Découvertes préhistoriques de la rue Grand Pont» ; en 1902, la réunion de toutes ses notes sur «Les légendes, usages et traditions», commencées en 1894 ; puis la suite de ses explorations dans les forêts de Rouvray 61 et Roumare, du plateau de Boos 62, du théâtre romain de Lillebonne auquel il est attaché, du Castrum de Juliobona, situé à Lillebonne, qui ont été réunies dans son beau livre sur «Les Fana ou petits temples gallo-romains», publié en 1909, et qui compte, selon M. Salomon Reinach, «comme le meilleur travail sur l'archéologie antique de la Normandie». Dans les années 1910, Léon s'intéresse à Pîtres et reconnaît les restes de deux villas gallo-romaines au Fonds de Vaurenoux 63, et à la Vallée Galantine Constructions gallo-romaines de la Mare-au-Puits, ces vestiges, fouillés partiellement par de Vesly au début du 20 e siècle, comprennent un fanum, une enceinte fortifiée et diverses autres constructions non foui l- lées Cette exploration du plateau de Boos, au sud-est de Rouen, entreprise par L. Vesly, est éloquente : L. Vesly a localisé plusieurs sites r u- raux gallo-romains et a entrepris des sondages sur les bâtiments réside n- tiels de deux villas. Son étude comprend une description trè s succincte du mobilier découvert mais aucune analyse du rôle de ces établissements, de leur répartition ou de leur chronologie. Non seulement L. Vesly ne s intéresse pas à l espace et à l intégration des sites dans leur environn e- ment, mais en plus il faut bien reconnaître que son travail est, d un point de vue méthodologique, bien inférieur aux articles publiés par A. de Ca u- mont, près d un demi-siècle plus tôt! 63 - Une villa était implantée à l'écart du bourg, au Fonds du Va u- renoux. Les ouvriers de la briqueterie Frétigny, en exploitant l'argile, ont rencontré, à l'altitude de 36 mètres, des substructions antiques ainsi qu'un 140

141 Georges Duchesne Infatigable travailleur, malgré l'amoindrissement de ses forces, malgré les atteintes de la cataracte dont il est opéré au moment même où son fils Robert, capitaine d'artillerie, est frappé par la fièvre typhoïde et mourait au camp de Coëtquidan, Léon persiste dans ses études. Il demeure surtout attaché au Musée départemental des Antiquités où il a été nommé conservateur. Tous les jours, malgré les intempéries, on voit Léon de Vesly gravir péniblement la rue Beauvoisine, pour se rendre dans ces galeries froides et humides, mais admirablement tenues et ordonnées. Par ses soins, par ses démarches auprès des collectionneurs, auprès de ses collègues des sociétés savantes, il enrichit la collection départementale de nombreux objets des périodes gallo-romaine et du moyen âge ; il dresse les matériaux d'un catalogue. Il apporte un soin et un dévouement semblables dans toutes les fonctions dont il est chargé, soit comme conservateur de la Tour Jeanne d Arc, dont il aurait voulu voir les alentours aménagés avec plus de soin, soit comme conservateur de la Maison de Pierre Corneille, à Petite-Couronne, où il assiste et dirige toutes les manifestations littéraires, lors des fêtes du Centenaire du poète, soit enfin comme conservateur du théâtre romain de Lillebonne, dont, par des fouilles nombreuses, il aide à déterminer la forme. Pendant plusieurs années, il lui rend la vie, en y laissant organiser de belles représentations théâtrales données par la Comédie-Française. Dans toutes les charges dont il est investi, Léon de Vesly se dépense sans compter, en homme serviable, conciliant toujours son amabilité courtoise avec le respect des administrations dont il dépend. Parmi ses titres, officier de l'instruction publique, officier du mérite agricole, celui qu'il préfère est cette médaille verte et noire commémorative de Il songeait à la fête annuelle de l'association du 50 e mobile, dont il était le vice-président. Il comptait y assister. La mort seule l'empêchera.». Robert de Vesly en 1894, alors élève de rhétorique du Lycée Corneille, à Rouen, rédige une étude d'histoire locale : «Une province et une ville sous l'ancien Régime. La Normandie et Rouen à la fin du XVII e siècle.». puits. Le puits, aujourd'hui rebouché, était situé à 3 mètres au Nord du chemin de grande communication de Pont-de-l'Arche à Charleval et à 8 mètres à l'ouest du chemin d'exploitation de la briqueterie. Les maçonn e- ries de la villa sont à environ 50 mètres de la route, toujours au Nord. Les ouvriers rejetèrent les différents objets sans s'en préoccuper. L. de Vesly put recueillir des tuiles à rebord, des cols d'amphores, des fragments de grands vases en terre grise et des ossements d'agneaux et de cerfs. Le m a- tériel amassé semble caractéristique des 1 er et II e siècles ap. J-C Dans la vallée Galantine, «à droite du chemin qui zigzague dans le thalweg et au carrefour du chemin d'ymare, des tuiles à rebord, de nombreux tessons de poterie rouge à relief sont visibles dans les champs, sur une petite éminence du coteau qui est mamelonné». Ces vestiges sont probablement les témoins de l'existence d'une villa à cet endroit. 141

142 Au pré de mon arbre Benjamin Duchesne Fils d'alexandre, Benjamin naît le 5 avril 1856, à Ludon. Il se marie le 6 juillet 1888 avec Félicie Soullard. Nous savions qu'il est industriel, au Havre, travaillant pour le compte de son beau-frère Ricard, mari de Marie Duchesne. En dernière minute, alors que le livre est sous presse, Michel Corap nous met sur la voie de renseignements les concernant, puisés dans l'historique des ACH : Duchesne et Bossière. L'origine de Duchesne et Bossière remonte à 2 Sociétés, l'une qui en 1856 était dirigée par Messieurs Ricard et Fabien lesquels possédaient un Atelier de chaudronnerie à l'angle des rues Jean-Jacques Rousseau et Labédoyère, emplacement actuel du siège social de la S.N.A.C.H, l'autre était dirigée par Monsieur Bossière comme il sera exposé ci-après. En 1884, Émile Ricard s'associe avec son beau-frère Benjamin Duchesne qui reprend à partir de 1893 la totalité de la Société après le décès d'émile survenu le 7 décembre En 1913 est créée la Société Anonyme des Ateliers Duchesne avec, à partir de 1914, un effectif de 150 ouvriers. Parallèlement à cela, en 1850, Monsieur Bossière dirige rue de la Mailleraye une Société de robinetterie et s'associe en 1871 avec Monsieur Launay ; ils. agrandissent alors cette Société qui à partir de 1875 s'installe rue du Bastion. Après le décès de Monsieur Bossière en 1896, la Société devient Gleize, Hallier, Bossière, et fabrique des auxiliaires de navigation, des treuils de ponts, des machines à vapeur et des chaudières. Cette activité est maintenue jusqu'en 1921, date à laquelle les Ateliers Duchesne, dont nous avons parlé précédemment, absorbent la Société Bossière, entreprises héritières d ateliers de fonderie et de chaudronnerie nés au XIX e siècle. Sa principale activité est d abord constituée de la réparation navale. Les Ateliers Bossière sont transférés rue Labédoyère. Cette nouvelle Société des Ateliers Duchesne et Bossière poursuit jusqu'en 1945 la fabrication de treuils, auxiliaires de ponts et de machines à vapeur ainsi qu'une activité de réparations navales. À partir de 1945, la Société entreprend des constructions navales en particulier l acquisition d un chantier à Harfleur en 1948, sur l'ancien site des «Chantiers de la Gironde» avec la construction des Automoteurs pour la navigation sur le Rhin. Nous pouvons lire dans «La Grande Traversée des Ateliers et Chantiers du Havre» : «Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, les trois gares maritimes du Havre sont en ruine, trois cents épaves encombrent les bassins et plus de trois kilomètres de quais ont été détruits. Faute d une industrie française capable de fournir des grues, on doit récupérer les éléments non corrodés de celles qui sont détruites ou bien en commander en Angleterre ou aux États- Unis. Embauché en 1945 aux ateliers Duchesne & Bossière, Jean Joaüs, surnommée Jean le Pointeau se souvient : 142

143 Georges Duchesne «Les ouvriers de la société participaient à la remise en état de tout ce qui pouvait l être sur le port et travaillaient à la réfection des passerelles. Leur journée commençait à 7 heures du matin et s achevait à 18 heures. Deux heures plus tard le travail recommençait de 20 heures à 6 heures du matin. Il est arrivé que des salariés travaillent trois jours et trois nuits sans interruption. Lors d un réveillon, des gars ont pris des balais en bois. Ils les ont enflammés avec du gazole et ont tournoyé dans les ateliers pour faire la fête.» Grâce au labeur acharné, la grande forme de radoub havraise est remise en état dès 1947 et, en 1950, les conditions sont réunies pour exercer l activité de manière normale. C est alors que Duchesne & Bossière opère une mutation. À ses activités d origine, la réparation et la fabrication d auxiliaires de navigation, la société adjoint la construction navale. À l origine du projet, la rencontre de Jacques Tessandier, fils d Edmond, et de l ingénieur Gilbert Fournier.» Ensuite, les réalisations les plus remarquables sont la série des Bateaux Mouches, une série de remorqueurs, les prototypes de transport de gaz, sous pression, semi-réfrigérés, le Pythagore, prototype des grands transporteurs de méthane liquide en cuves intégrées. En 1960, Duchesne et Bossière créent un Chantier de réparations et de constructions navales à Abidjan en Côte d'ivoire. La restructuration des chantiers havrais voulue par les pouvoirs publics conduit les Ateliers Duchesne et Bossière en 1964, à absorber les chantiers et ateliers Augustin Normand pour donner naissance aux A.C.H. «Ateliers et Chantiers du Havre Duchesne Bossière et Augustin Normand réunis» dont le siège est situé rue Jean-Jacques Rousseau au Havre. Puis, en 1966, celle la nouvelle entreprise fait l acquisition du chantier de Le Havre-Graville vendu par les Forges et chantiers de la Méditerranée, rebaptisé Société des chantiers de Le Havre-Graville. Elle est transformée en holding en Les activités de constructions navales au Havre ont finalement été regroupées au sein d'une seule Société qui a continué à fabriquer des coques tant sur l'emplacement des Chantiers de Le Havre-Graville que sur l'emplacement de Duchesne et Bossière à Harfleur. Ces dernières années les travaux de coque et les lancements ont été concentrés à Le Havre-Graville La S.N.A.C.H a concentré finalement toutes les activités de construction navale du Havre et a bénéficié de la connaissance et de l'expérience accumulées par les différentes Sociétés depuis leur création. Les activités des différentes Sociétés ont été très diverses tant pour les navires destinés à la Marine Marchande que pour ceux destinés aux Marines militaires, et tout ceci a prédisposé le nouveau groupe à s'orienter vers la réalisation de navires dits "spéciaux" dont le premier fleuron, construit entre 1963 et 1965, fut le premier gros navire océanographique français, le Jean Charcot. Parmi les plus caractéristiques de ces navires, on citera Les navires océanographiques (Jean Charcot, L'Atalante), Les navires de transport de gaz dont Euclide et le Thalès, les rouliers à passagers (liaison Marseille? Corse), les navires de transport de produits chimiques, les Car Ferries, Les navires de transport de voitures, les navires océanographiques et ravitailleurs (Marion Du- 143

144 Au pré de mon arbre fresne I, et II), Les navires câbliers (Vercors, Léon Thevenin), Les paquebots à voiles (séries Wind Star et «Club Med 2»). Parallèlement à cette activité de constructions navales, la Société poursuit les activités de Duchesne et Bossière pour des installations électohydrauliques et servo-mécanismes destinées en particulier à la Marine Nationale française telles que Machines de pose de câbles pour navires câbliers, Équipements pour le flexoforage, Stabilisateurs anti-roulis, à ailerons (rétractables ou non) et à citernes actives ou passives, pour les Marines Militaire et Marchande. Équipements de remorquage de sonars, Treuils hydrauliques asservis de grande puissance, Barres de plongée de sous-marins, Ensembles entièrement automatisés de contrôle de voiles sur les paquebots des séries «Wind-Star» et «Club Med 2». Toutefois, la concurrence exacerbée sur le secteur de la construction et de la réparation navale et les dysfonctionnements liés à son organisation entraînent le groupe dans une lente agonie, en dépit d'un soutien renforcé de l'état. La fin est proche lorsque les ACH se lancent, en mars 1995, dans la construction de trois navires de transport de produits chimiques. Le groupe ne parviendra pas à respecter les prescriptions du cahier des charges, générant ainsi des retards de plusieurs mois et des surcoûts considérables. Fin juin 2000, les équipements industriels des ACH sont vendus aux enchères et les derniers salariés licenciés André Duchesne Fils de Georges ; né le mardi 6 octobre e régiment d'infanterie André Duchesne appartient à la classe 1905, matricule 101 au recrutement à Bordeaux ; mobilisé sous le matricule 61 au Corps et versé au 402 e régiment d'infanterie qui prend rang dans l'armée française le 12 mai 1915 ; le régiment est réuni sous les ordres du lieutenant-colonel de Caurroy, dans les villages avoisinant le camp de la Valbonne. Presque tous le dépôts de la 2 e et de la 11 e région contribuent à sa formation. Le 12 mai, il forme la 157 e division, sous les ordres du général Gislain, avec le 401 e régiment d'infanterie, la 313 e brigade, sous les ordres du général Fournier, et la 314 e brigade (32 e, 102 e, 107 e et 116 e bataillons de chasseurs). ; n Dans la nuit du 25 septembre, la division est embarquée et le 402 e, en trois trains, parvient à Saint-Hilaire-au-Temple, au sud de Mourmelon, dans la soirée et la nuit du 26 ; il se concentre près de la ferme de Cuperly. De petits bois de sapins chétifs et étroits sont disséminés un peu partout. Dans la matinée du 27 septembre, l'ordre arrive de reprendre l'offensive dans la journée. Le 402 e R.I. reçoit l'ordre de se rendre à 4 kilomètres au sud de 144

145 Georges Duchesne Souain pour prêter main forte à l opération dite de la Percée des Tantes. Le transport, commencé en camions automobiles, est interrompu par une contre ordre : le régiment doit se porter à Saint-Hilaire-le-Grand, au nord-est de Mourmelon ; il s'y concentre dans la soirée et passe la nuit dans les tranchées françaises au nord de Saint-Hilaire, à l'est de la route Saint-Hilaire-le-Grand - Saint-Souplet-sur-Py. Le 28 septembre, dans la matinée, le 402 e RI quitte les tranchées pour se porter en avant, sur le Nord de l Épine de Védegranges. Mais bientôt l'ordre arrive d'infléchir fortement vers l'est ; puis la direction donnée est celle de la cote 174, en colonnes par quatre. Le régiment se déplace au milieu des batteries françaises qui sont la cible de bombardements ennemis, sur un terrain jonché de cadavres des jours précédents ; le régiment reçoit là bravement le baptême du feu, sur un terrain désolé et couvert de cadavres, théâtre des luttes sanglantes du 25 septembre mais les bataillons sont heureusement dépliés, et cette longue marche de flanc, qu'exécute le régiment pendant toute la journée, se fait presque sans pertes. On ne s étonnera pas de lire sous la plume d un écrivain allemand, Ernst Johannssen, que les montées en ligne comptent parmi les expériences les plus pénibles du fantassin : "La route grimpe. La pluie dégoutte des casques d acier, imprègne les vêtements alourdis, aggrave encore l affreuse mélasse boueuse où ils pataugent. Plus un mot. Chacun converse avec lui-même. Ah! si 145

146 Au pré de mon arbre l on était seulement dans les tranchées! Quelles damnées courses fastidieuses et interminables, pour monter en ligne et en redescendre! 65 " Les hommes marchent, dans leur pantalon rouge garance, chaussés de brodequins en cuir aux semelles cloutées, ployant sous le célèbre "as de carreaux" 66, le tout pesant entre 25 et 30kg. "Viens Azor." Et, d'un coup d'épaules, il fait remonter son sac sur sa nuque. Vers la cote 150, le régiment reçoit l'ordre de stopper et de prendre un dispositif largement articulé, puis de se diriger vers le nord-est, vers le Bois 38 où, à la nuit tombante, le 2 e bataillon est cantonné dans les tranchées des bois 30, 31 et 38 sur la crête boisée de l Épine de Védegranges. Le colonel, appelé depuis plusieurs heures auprès du général commandant le secteur, reçoit, vers 2 heures du matin, l'ordre de franchir la tranchée des Tantes, tranchée allemande fortifiée à l aide de barbelés et de mitrailleuses, où les Français ont pris pied sur une largeur de 500 mètres, et de gagner rapidement les hauteurs au nord, avant la levée du jour de manière à former une tête de pont pour assurer le passage de nombreuses troupes, notamment de la cavalerie. Bien que les hommes n aient que l approvisionnement ordinaire en munitions et les outils portatifs, l exécution doit être immédiate. Le régiment doit être appuyé par les débris des 35 e et 42 e régiments d'infanterie. Il pleut, et le sol n'est plus qu'un lac de boue. Malgré les fatigues de deux jours entiers de marches et de contre-marches, effectuées au milieu d'un terrain défoncé et sans aucun ravitaillement, le régiment se déploie vers 2 heures du matin : 1 er bataillon en tête, suivi des 3 e et 2 e bataillons, baïonnette au canon ; interdiction de tirer un coup de fusil. La marche se fait par les clairières entre les bois 30 et 31 et les bois 29 et 30. Et même si le texte suivant ne concerne ni le lieu, ni l'époque, il est révélateur de ce qui a pu se passer : " pour gagner la première ligne. Un obus 65 Quatre de l infanterie, Ernst Johannsen, Havresac, dit sac as de carreau ou azor, modèle 1893: composé de toile cirée de couleur sombre, renforcé par un cadre en bois recouvert de gaze. Ses bretelles et ses sangles de maintien sont en cuir noir. La g a- melle règlementaire individuelle trône toujours sur le haut du sac, et pe n- chée pour permettre le tir couché. A l'intérieur du sac on trouve les vêtements de rechanges et les menus effets, ainsi que les vivres de réserve. On place à l'extérieur, le coté ou le dessus, la toile de tente enroulée dans une couverture, une seconde paire de chaussures, les outils individuels, un ou plusieurs ustensiles de campement collectifs, un e vache à eau en toile, une gamelle individuelle, etc. Plusieurs courroies permettaient de maintenir le tout : 1 courroie de sautoir de 35cm de long, retient la toile de tente lor s- qu'elle est porté en sautoir ; 1 grande courroie de charge de 127cm de long, pour arrimer la gamelle individuelle et les autres ustensiles ; 2 courroies de capote de 75cm, placés à droite et à gauche du sommet du sac ; 2 courroies de coté de 52 cm, placées à droite et à gauche du sac

147 Georges Duchesne venait de tuer, au moment où il quittait la tranchée, un soldat de la compagnie voisine, rappelé à l arrière comme père de quatre enfants. On partit en file indienne ; je fermais la marche. À un carrefour, où le boyau débouchait sur une route, je perdis de vue la dernière escouade. Où aller? Les boyaux partaient dans tous les sens, écheveau inextricable.. Je pris au hasard un chemin poussiéreux que la lune éclairait à travers les nuages et je rattrapai la compagnie. 67 Sur un terrain inconnu, le 402 e est lancé à 3 heures du matin sous la pluie. Mais les quatre passerelles de franchissement ne sont pas installées lorsque la première compagnie atteint la tranchée et les autres compagnies se suivant de trop près, le régiment entier se trouve bloqué dans le ravin, sur quelques mètres carrés. Il s engouffre finalement dans cette brèche avec beaucoup de temps perdu et une méconnaissance totale du terrain tout comme huit autres régiments. Il franchit la Tranchée des Tantes avant le jour, mais demeure sans liaison avec ses voisins. Le régiment se déploie en vagues d'assaut ; malgré les nombreuses fusées éclairantes lancées par l'ennemi, la marche du régiment n'est pas dévoilée ; quelques blessés, dont le lieutenant Cuvelier et plusieurs prisonniers sont envoyés à l'arrière. Les bataillons se portent rapidement en avant et la première vague, après s'être faufilée entre les bois J-11 et J-13, que l'on sait fortement occupés par l'ennemi, s'installe sur la crête boisée qui court est-ouest au nord de ces bois, point d appui qu il s agit d occuper. Sur la pente sud, par laquelle arrive le régiment, la lisière est à 30 mètres à peine de la ligne de faîte. Trois compagnies du 402 RI sont tassées sur une vingtaine de mètres. D autres compagnies sont à découvert. Pourquoi attendre? Attendre quoi? Le lieutenant Coutillard fait remarquer l inertie totale du chef de bataillon, le commandant Deville, qu il trouve blotti derrière un tronc d arbre, la tête presque enfouie dans le sol. Selon celuici, il avait mission d occuper la crête et la mission était accomplie. Là seulement le 402 e R.I. se heurte à une vive résistance et se trouve arrêtée dans sa progression. Le 5 e Régiment d Infanterie Coloniale devait prendre la tranchée de Lübeck par le boyau et déborder à droite et prendre cette dernière à revers. À 5 heures, le bataillon a exécuté les mouvements en colonne double sous un feu d artillerie des plus intenses qui lui occasionne des pertes graves ; il se trouve rassemblé dans sa formation au pied du mamelon qui se trouve au-delà de la tranchée des Tantes. Le Bataillon gravit la colline et s engage sur un double glacis successifs et entièrement dénudé, légèrement en dos d âne, au bas duquel se trouve une tranchée allemande de repli, élevée droite. Il longe à 200 mètres, un crochet défensif, garni de mitrailleuses, reliant cette tranchée aux éléments de Lübeck, au pouvoir de l ennemi ; enfin des batteries de mitrailleuses en position à 600 mètres environ, en arrière et sur sa gauche. Le Bataillon s engage dans ce double couloir de feux et est anéanti en 10 mn environ sur ce double glacis sans pouvoir arriver à joindre l ennemi ; quelques éléments arrivent à se 67 - Le regard de la mémoire ( ), Jean Hugo (petit-fils de Victor,

148 Au pré de mon arbre loger dans quelques trous d obus à 50 mètres environ de la tranchée ennemie de fonds. Ils sont sommés de se rendre, mais refusent, comptant sur le secours des renforts disposés en arrière. À 8 heures, les crêtes de gauche et d arrière se garnissent de deux bataillons environ de troupe armées du 402 e R.I. qui se portent brillamment à l attaque, tambours et clairons battant et sonnant la charge. L ennemi à l air de plier, mais l artillerie française de 75 m/m ouvre immédiatement sur eux un feu des plus violents et des plus efficaces et les anéantis en quelques minutes. L ennemi profite de cette circonstance pour réoccuper les positions d attente où le bataillon s était formé dans la matinée pour l attaque 10 heures, l ennemi somme de nouveau les débris du bataillon d'infanterie coloniale de se rendre, ces derniers se trouvant éparpillés par petits groupes au fond des trous d obus, cernés de tous côtés, n espérant plus de secours, ne pouvant plus ni même s échapper ni même essayer de se défendre. Celui qui se montre en dehors des trous est immédiatement fauché par des mitrailleuses et batteries à 50 pas. De plus, menacés par une marche rampante de l ennemi, arrivé à quelques mètres seulement de leurs trous, ils se décident alors à se constituer prisonniers de guerre, estimant avoir donné satisfaction à tout ce que leur commandait le règlement, le devoir et l honneur militaire. Quant au 116 e Régiment de Dragons, le 29 à 1 heure du matin, l étatmajor de la division fait dire que la trouée est faite et le Colonel de Tavernost reçoit l ordre de se porter en avant avec son régiment et une section d artillerie. En quelques minutes, les cavaliers sont debout, les toiles de tentes roulées, les chevaux sellés et la colonne se dirige vers le bois Guillaume. Les patrouille de combat viennent alors rendre compte au colonel que le passage est impossible : les cavaliers sont accueilli par une fusillade nourrie dès qu ils se présentent à la lisière nord du bois. Le colonel tient à vérifier lui-même l exactitude de ces renseignements ; sa citation relate : "S est porté à plusieurs reprises à un poste d observation découvert, situé à quelques centaines de mètres de l ennemi, sous un feu violent d Infanterie et d Artillerie, donnant ainsi à ses Troupes, exposées au bombardement, un bel exemple de calme et de sang-froid."il constate que si notre infanterie a enlevé la tranchée des Tantes, elle ne peut en déboucher, car l ennemi s est retranché plus en arrière. Mais le commandement, croyant la percée faite, envoie l ordre impératif de se porter en avant. Le colonel fait monter à cheval et, en tête du régiment, se dirige vers la tranchées des Tantes. Chacun se rend compte de la situation. Les cavaliers sont prêts à faire leur devoir. Les blessés ne veulent pas quitter leur place dans la colonne. On approche, le terrain est de plus en plus bouleversé, les cadavres des derniers jours n ont pu être enterrés. Des blessés même n'ont pu être enlevés et les brancardiers continuent sans trêve leur dur et périlleux labeur. C est alors que les officiers d infanterie se précipitent, arrêtent le cheval du colonel et l assurent que toute l attaque à cheval serait folie, alors que les fantassins ne peuvent sortir de leurs tranchées sans essuyer des rafales de balles. 148

149 Georges Duchesne Le colonel connait déjà la situation : s il a fait le sacrifice de sa vie, il renonce à donner l ordre qui enverra à la mort tant de braves gens. Une seconde fois, il envoie des renseignements précis vers l arrière ; le Général Allenou et le Colonel Rittlenc approuvent sa décision sur le terrain. C est pendant cette journée critique que se passe l incident suivant : Comme à la parade, un escadron divisionnaire vient se joindre à nous. Les hommes portent le casque avec la crinière que nous avons abandonnée depuis longtemps. Il se déploie sur un rang et l on entend les officiers rectifier l alignement impeccable. Si les obus n éclataient pas si près, on se croirait au carrousel. Enfin, l ordre arrive dans la soirée de revenir en arrière et de bivouaquer à la ferme des Wacques, derrière la rivière Ain. Le jour se levant montre les mitrailleurs et le 3 e bataillon du 402 e R.I. exposés, en terrain découvert sur les pentes sud de la crête, aux feux de flanc partis des bois J-11 et J-13 ; dès lors, les pertes sont sévères ; un des premiers, le lieutenant-colonel de Cauroy tombe, la cuisse brisée par une balle. Rapidement, le 3 e bataillon se porte en avant et se met à couvert sous bois, déployé à quelques mètres du 1 er. Le régiment, obligé de faire face de toutes parts, ne trouve pas place pour manœuvrer. Ses deux sections de mitrailleuses, chargées plus spécialement de couvrir le flanc droit du régiment, s'installent l'une face au Nord, l'autre face au Sud ; mais les pièces, traînées depuis trente-six heures dans la boue, se refusent à fonctionner. D'ailleurs les objectifs manquent et les Allemands, terrés soigneusement, attendent patiemment l'écrasement du 402 e par les feux d'artillerie et d'infanterie qui l'accablent de toutes parts. L'artillerie française, un instant égarée dans son tir par le brouillard qui tombe, couvre de projectiles la crête occupée par le 402 e qui, stoïque, reçoit l'avalanche ; vainement on tente d'entrer en communications avec nos lignes par la télégraphie Morse. Pleins de rage et de colère de voir l'erreur de leurs camarades et de sentir près d'eux, terré dans les fourrés, un ennemi invisible, les petits bleus de Bretagne et de Picardie (régions dont les recrues sont originaire, en majorité), méprisant le danger, se dressent de leur lit de boue et se haussant de toute leur taille tentent de découvrir ceux qui les fusillent impunément. Ils ne veulent pas mourir sans avoir tué leur Boche et vendu chèrement leur vie. Combien ont payé de leur existence leur téméraire audace, leur beau geste, bien Français. Là tombent tour à tour des chefs intrépides : le commandant Favier, les lieutenants Morel, Marie Léon Alfred Thoron (porté disparu à Souain, le 20 septembre), Picot, André Duchesne 68, Feignon, Antoni, Soulaine, les adjudants Dailly et Auguste Guillaumot (mort en captivité, à Sedan, le 13 octobre 1915), les sergents Maurice 68 4 A de Langle de Cary, 7 CA de Villaret, 157 DI Tassin, 402e R.I., Deuxième bataillon (Brêche, commandant de bataillon), 7 e Compagnie, 402 e R.I. ; corps d'origine : 62 e R.I. Jugement rendu le 4 avril 1919 par le tribunal de la Seine. 149

150 Au pré de mon arbre Hilpert (disparu au combat, à S te -Marie-à-Py, le 29 septembre) et Trouillet, dont jamais plus on ne devait avoir de nouvelles ; le commandant Deville, les capitaines Fuchs et Chéron, les lieutenants Coutillard, de Villatte, Geffroy, Hostiou, Popot, Villemet, blessés. Une violente contre-attaque se déclenche sur le flanc droit du régiment, qui est rejeté des bois qui couronnent la crête sur les pentes sud, complètement dénudées, où les mitrailleuses allemandes font un terrible carnage. Sur les crêtes de Sainte-Marie-à-Py, du 28 au 30 septembre, le régiment du 402 e a perdu 8 officiers, 23 sous-officiers et 78 hommes blessés recueillis dans nos ambulances ; 28 officiers, 93 sous-officiers et hommes portés disparus (dont, le 29 septembre, Louis Kerhervé et Louis Fourmentin, portés disparu à S te -Marie-à-Py, Albert Legros porté disparu à la cote 139 à S te -Marieà-Py, Gabriel Jade mort le 29 septembre à la ferme des Wacques près Souain, des suites de blessures. 150

151 Monique Duchesne ( ) Monique Duchesne naît le dimanche 6 avril 1783, quatrième enfant d Antoine-Nicolas et Luce Menjaud. Elle se marie avec Pierre Legrand-Saint-Romain 1 ( ), Courrier de Cabinet, dont elle aura cinq enfants : - Édouard ( ), courrier de Cabinet comme son père ; - Clarisse ( ), épouse d Hippolyte Gibon, originaire de Laigle 2 (Orne), Professeur de Philosophie aux Lycées Louis le Grand, Henri IV, Charlemagne, collège Stanislas ; son petit-fils Édouard sera le sujet d une missive : Fontainebleau, le 18 janvier 1905 Avez-vous des nouvelles du révérend père Gibon 3? Il s'intéressait à la généalogie. Vous avez probablement appris ce qui est arrivé à Édouard Gibon? Il est séparé de sa femme sans avoir goûté un semblant de lune de miel. G Marin-Darbel - Frédéric ( ), qui suit ; - Eugénie ( , mariée à son cousin Gaston Menjaud, Chef au ministère de la guerre ; Gaston est le fils du peintre Alexandre Toussaint ; - Francine, qui décède en Monique décède le 8 août Frédéric Legrand-Saint-Romain Frédéric naît en 1810 à Versailles. Dès 18 ans, il s'engage dans les Hussards de la Garde Royale ; officier sorti du rang, il passe brigadier en 1829, maréchal des logis en 1830, maréchal des logis chef en 1832, et, après avoir participé à la campagne de Belgique ( ), est nommé adjudant. En 1834, il est en garnison à Schlettstadt 4. Sous-lieutenant en 1837, après 9 ans de service, il part en Afrique de 1837 à 1852, et passe aux spahis réguliers de Bône 5 en Cité à l ordre de la 1 -Dont le petit-fils Pierre épousera sa cousine Pauline Duchesne! 2 - S'écrit L Aigle depuis Probablement Charles Gibon, frère d Hippolyte ; 1826, prêtre chanoine du diocèse de Coutances. 4 - Sélestat depuis

152 Au pré de mon arbre division de Constantine le 22 août 1840 pour s être distingué contre les Sanedjas le 13 août, il entre ensuite dans le corps de cavalerie indigène en 1842 comme lieutenant. Le 19 mars 1843, le lieutenant-colonel de Mirdeck ayant été promu colonel aux chasseurs d'afrique, le chef d'escadrons Legrand prend le commandement par intérim des escadrons de la province ; il le remet peu de temps après au lieutenant-colonel Cousin de Montauban, qui ne reste à Constantine que deux mois et permute avec le lieutenant-colonel Bouscaren, des spahis d'oran. Les tribus remuantes des environs de Collo étant momentanément soumises, le général Baraguay-d'Hilliers s'occupe de réduire le cheick El-Hasnaoui, qui depuis plusieurs années ne cesse d'agiter les Hanencha 6 et autres tribus de l'est de la province. Dans ce but, trois colonnes convergentes partent le 20 mai de Constantine, de Bône et de Guelma 7 ; les deux escadrons de Constantine fournissent chacun 75 spahis à la première colonne du général Baraguayd'Hilliers ; ces 150 cavaliers sont placés sous les ordres du chef d'escadrons Legrand. Les trois escadrons de Bône font partie de la deuxième colonne du colonel Senilhes. La première colonne soumet d'abord les Ouled-Dhan 8. Legrand est cité le 23 mai 1843 comme s étant distingué au combat de Taguine 9, lors de la prise de la smala 10 d Abd el Kader, le 16 du mois, et reçoit la croix de chevalier de la Légion d honneur. 5 - Les spahis ou cipahis, troupes montées turques ou mercenaires venus de tous les points de l'empire ottoman, qui après le licenciement de leur corps, sont venues se ranger sous le commandement d'un brillant c a- valier arrivé de Tunisie le 15 juin 1830 et brûlant de se distinguer dans les rangs de l'armée d'afrique : Yusuf. Les spahis irréguliers, les plus anciens sont ceux de Bône créés en mars 1832 avec 80 cavaliers turcs, après la prise de la citadelle de cette ville par Yusuf ; les spahis réguliers de Bône sont également créés à 4 e s- cadrons par ordonnance royale du 10 juin 1835, ont pour premier chef de corps le chef d'escadrons le mêmeyusuf. 6 - Les Hanencha sont gouvernés par un grand Cheik, pris dans le sein de la tribu, et qui dominait seize tribus ; il a droit à un sceau en or, comme le Bey lui- même, tandis que le sceau de tous les autres fonctio n- naires de la province, sans exception, sont en argent lors de leur invest i- ture, il recevait le caftan même qui avait ét é envoyé au Bey de Constantine par le Dey d Alger. Les Hanencha touchent presque le territoire de Bône et de Guelma. 7 - Guelma, appelée autrefois Calama ou encore Malaca, est une ville de l'est de l Algérie. 8 - Tribu du cercle de Guelma. 9 - Le 16 mai 1843, le duc d Aumale, qui dirigea cette aventureuse et brillante opération, s est écrié : «S il y a deux croix pour les spahis, la 152

153 Monique Duchesne Les spahis exécutent deux audacieux coups de main, les 24 et 25 mai. Le 19 juin, le général Baraguay-d'Hilliers exécute une marche de nuit avec les spahis et un bataillon monté sur des mulets pour razzier les Ouled-Si- Ouane ; mais l'ennemi eu le temps de filer avec ses bêtes. Les spahis sont envoyés à sa recherche dans différentes directions ; le commandant Legrand, qui n'a gardé avec lui que quarante chevaux, rencontre le gros des dissidents et, malgré les difficultés du terrain, la fatigue des chevaux et l'infériorité numérique, il n'hésite pas à le charger et parvient à lui enlever une partie de son cheptel. La colonne rentre au camp à 10 heures du soir, fourbue de fatigue. Les nomades du Sahara, qui regagnent le désert après avoir passé l'été dans le Tell, s'étant rendus coupables d'actes de pillage au préjudice des tribus soumises, le général Baraguay-d'Hilliers envoie à leur poursuite le commandant Legrand, à la tête de deux escadrons de spahis de Constantine et d'un escadron de chasseurs, 320 chevaux en tout. Cette petite colonne quitte Constantine le 28 octobre1843, à 7 heures du matin, renforcée par 400 cavaliers du caïd des Zemoul ; Legrand marche toute la journée et toute la nuit et, le 29 à 5 heures du matin, découvre le bivouac que les nomades viennent de quitter. Après un repos de deux heures, la colonne recommence sa poursuite et se dirige au trot vers Batna, direction probable des fuyards. À 8 h. 1/2, l avant-garde aperçoit la masse compacte des tribus engagée dans le défilé de Batna. Legrand lance aussitôt à l'attaque l escadron commandé par le capitaine Laurent. Cet escadron charge avec succès les cavaliers qui forment l'arrière-garde des nomades ; il est soutenu par le 2 ème escadron du capitaine d'estampes et par l'escadron de chasseurs. Les nomades finissent par lâcher pied, laissant chameaux et d'immenses troupeaux. La fatigue des chevaux, épuisés par une marche de vingt-huit lieues, ne permet pas de prolonger la poursuite. La retraite, rendue très difficile par suite de l'énorme butin récolté, est protégée par les chasseurs et par le 2 ème escadron des spahis, qui ont à repousser plusieurs retours offensifs de l'ennemi. Ce combat a coûté 3 hommes blessés, 3 chevaux tués et plusieurs blessés. La colonne bivouaque le 30 aux Zemouls 11 et rentre le 1 er novembre à Constantine. première sera pour le lieutenant Legrand» (Mémoires du général Barrail : «Mes souvenirs») L'escadron du duc d'aumale tombe sur elle au cours d'une expédition de reconnaissance, peut-être sur l'indication d'un traitre. Il fait prisonniers et remporte un immense butin. Ce coup d'éclat, bien que sans valeur stratégique, a un énorme retentissement en France. Abd el - Kader parvient après cette déconvenue à se réfugier au Maroc, où sa pop u- larité devient prodigieuse. Après la défaite des troupes marocaines à la bataille d Isly, il résistera encore quatre ans avant de se soumettre Ils constituaient, dans la province de Qacentina, la plus ancienne et la plus redoutable cavalerie du makhzen ; étaient établis dans la 153

154 Au pré de mon arbre Le général Baraguay-d'Hilliers rédige un ordre du jour très flatteur pour les escadrons 12 et particulièrement pour le commandant Legrand, qui a conduit avec tant de hardiesse et de prudence cette audacieuse expédition. Quelques jours après, le lieutenant-colonel Bouscaren, arrivé d'oran, vient prendre le commandement du corps. Legrand est promu capitaine en 1844, le corps expéditionnaire se divise en deux colonnes le 12 mai ; la première, commandée par le duc d'aumale 13, comprend les 2 ème et 3 ème escadrons du commandant Legrand ; la deuxième, commandée par le général Sillôgue, comprend le 4 ème escadron et les chasseurs d'afrique du lieutenant-colonel Bouscaren. Le jour même, la première colonne a un engagement très vif, dans lequel les spahis perdent 1 homme et plusieurs chevaux ; le capitaine Aubellot a son cheval tué sous lui : c'est le troisième de la campagne. Le lendemain, la deuxième colonne atteint de son côté les tribus en fuite ; le 4 ème escadron, après un combat très vigoureusement conduit par le capitaine Mesmer, s'empare d'un immense troupeau. Un spahi et quatre chevaux sont blessés. Les deux colonnes arrivent à Batna le 14. À ce moment, le duc d'aumale apprend que la petite garnison laissée à Biskra après le départ du 1 er escadron et des tirailleurs, rentrés à Constantine, a été massacrée, et que Mohammed bel Hadj a réoccupé la citadelle. Il part aussitôt pour Biskra avec les trois escadrons de spahis et les chasseurs ; à la nouvelle de son approche, Mohammed bel Hadj s'enfuit dans l'aurès, et la petite colonne plaine de Melila, sur la route de Qacentina à Batna. Ils formaient une tribu guerrière dont le chef militaire et administratif portait le titre de kaïd z e- mala. Sur un ordre du bey, ils devaient prendre les armes, monter à cheval et lui prêter main forte, soit pour châtier les rebelles, soit pour faciliter l'exécution des mesures administratives. Pour chaque cinquante cavaliers environ, on nommait un chaouch qui n'exerçait qu'une autorité purement militaire. Sous le dernier bey, Hadj Ahmed, ils comptaient plus de cinq cents cavaliers commandés par dix ou quinze chaouchs, selon que les ci r- constances l'exigeaient Sont cités comme s'étant distingués dans cette e xpédition : Laurent, d'estampes, capitaines ; Duhart, lieutenant ; Souman - Mameluck, Ferrari, sous - lieutenants ; Richart, adjudant ; Mathias, Douay, Oubert, Abdrackman-Mameluck, Hamouda, Hamadouch, maréchaux des logis ; de Chateaubriand, fourrier ; Cour tois, brigadier trompette ; Catala, Lemdeny, brigadiers ; Mahmoud, trompette ; Delannoy, Saïd ben Zitoun, Mohammed ben Signy, spahis Henri Eugène Philippe Louis d'orléans ( ), prince d'orléans Cinquième fils de Louis-Philippe, dernier roi des Français, et d Amélie de Bourbon, princesse des Deux -Siciles, il fait ses études au collège Henri IV à Paris avant d'entrer dans l'armée à seize ans. 154

155 Monique Duchesne ne rencontre aucune résistance. Le duc d'aumale parcourt les Zibans 14 avec ses escadrons et rentre à Batna, puis à Constantine, où il arrive le 4 juin. Les escadrons rejoignent leurs garnisons respectives. Le 4 ème escadron reste encore quinze jours dans le Bélezma 15 et le Hodna 16 avec une petite colonne commandée par le colonel de la Tour du Pin ; chargé avec ses spahis de faire payer l'impôt par les tribus récemment soumises, le capitaine Mesmer s'acquitte de cette tâche délicate avec autant d'habileté que d'énergie. Pendant cette longue expédition, les spahis sont employés aux missions les plus diverses ; le duc d'aumale leur rend justice dans son rapport officiel. Les officiers, sous-officiers et spahis dont Legrand, chef d'escadrons, sont cités à l'ordre du régiment. Legrand a un cheval tué sous lui le 7 juillet 1844 dans un combat contre les Angades 17, puis est à nouveau cité le 15 août 1844 lors de la bataille d Isly 18. En 1845, il passe alors au 2 ème spahis ; c est aussi la naissance, en octobre, de sa première fille, Jeanne ; puis le 4 ème lanciers ; et, en 1847, au 3 ème spahis voit la naissance de Blanche, et Valérie l année suivante qui épousera, le 29 avril 1885, Nerel, avocat à Perpignan. Chef d escadron du 2 ème chasseurs d Afrique en 1850, cette année n'est marquée dans la province de Constantine que par des faits de guerre peu importants. Le 23 mars, le colonel Bouscaren, commandant par intérim la subdivision de Constantine, conduit une colonne légère chez les Haracta 19, dont quelques fractions refusent de payer l'impôt. 100 chevaux des 1 er et 2 ème escadrons, sous les ordres du capitaine Legrand, font partie de la cavalerie de la colonne, commandée par le chef d'escadrons de Chanaleilles, du 3 ème chasseurs Les régions du Zibans ou Monts du Zab (du berbère zab, pluriel ziban «oasis») est une contrée située entre l Atlas et le Biledulgerid, et dont Biskra est la ville principale Sur les flancs du Djebel Touggourt Le Hodna est la région qui se trouve au sud des hauts plateaux du nord-est de l'algérie, sa capitale est M'sila connue pour son élevage d ovins, et pour son chott (lac salé) d'où elle tire son nom La plaine des Angades est un plateau aride situé au sud des béni-snassen, sur la frontière algéro-marocaine, et dont la capitale est Oujda (Maroc) A la frontière algéro-marocaine, elle vit la victoire du Maréchal Bugeaud sur le sultan du Maroc qui soutenait Abd -el-kader. Le colonel Yousouf s y distingua Sous le nom collectif de Harakta, tribu race berbère mêlée avec la race arabe, nous trouvons : Les Oulad Khanfer, d origine arabe ; Les Oulad Amara, venus de l Aurès ; Les Oulad Siouan, d origine arabe ; Les Kherareb. 155

156 Au pré de mon arbre La colonne rentre à Constantine le 10 avril, après avoir parcouru sans combattre les territoires des Haracta et des Segnia 20, et fait rentrer les impôts arriérés. Le 25 avril, le général Saint-Arnaud, successeur du général Herbillon, quitte Constantine pour entreprendre une tournée dans le Sud de la province, à la tête de forces imposantes : la colonne, forte de huit bataillons d'infanterie et quatre escadrons de cavalerie, est définitivement organisée à Khenchela le 6 mai. Le 3 ème spahis est représenté par des détachements des 1 er, 2 ème, 4 ème, 5 ème et 6 ème escadrons, en tout 200 chevaux, sous les ordres du chef d'escadrons de Belle-Isle et des capitaines Legrand et de Nansouty ; le colonel de Mirbeck commande la cavalerie. Du 11 au 24 mai, le général Saint-Arnaud parcourt le pays des Nemencha 21, sans autre incident qu'une razzia exécutée le 21 par les spahis sur quelques fractions dissidentes. Puis il se porte dans l'aurès, laissant à Khenchela toute la cavalerie, sauf deux pelotons de spahis (4 ème et 5 ème escadrons) et deux pelotons de chasseurs. Le l er juin, l'oasis d'ouldja 22, dont les habitants ont assassiné deux soldats, est prise d'assaut ; les spahis, sous les ordres du capitaine Delatte, sabrent les fuyards. La colonne se porte ensuite sur Biskra par les gorges de Tiranimine et rentre à Constantine. Legrand est à nouveau cité le 13 mai 1852, puis le 24 juin pour s être distingué dans des combats contre les Beni Snassem 23 et reçoit alors la croix d'officier de la Légion d'honneur. Sa quatrième fille, Marie, naît cette année là. Remarqué par le général Fleury, avec qui il a servi aux spahis, il est appelé au régiment des Guides de la Garde en 1852, où il est nommé lieutenantcolonel la même année. Il reçoit la croix de commandeur de l ordre de Charles III en C est cette année que naît son premier fils, Frédéric qui assurera la pérennité du patronyme La grande tribu des Segnia possède dix fractions parlant l'arabe et quatre-vingt-treize fractions parlant le chaouïa Ces plateaux sont limités au sud, à une diza ine de kilomètres de Tebessa, par l'arête du djebel Doukan, dont l'orientation est la même que celle des rides de l'aurès. Parallèlement, en descendant vers le sud, les crêtes du Djebel Foua, du djebel Ong, et du djebel Madjour (montagne de Negrine) séparent les étages successifs des plaines de Nemencha ju s- qu'à la dépression des grands chotts Dans l Aurès Constantinois, proche de Kenchela Petit ensemble montagneux du Nord-Est du Maroc entre la Méditérannée et l Isly, abritant la confédération trib ale des Béni Snassen constituée de quatre groupes : les yath Khaled au sud des monts Béni - Snassen, yath Menquch et yath Ahthik au centre et yath Uryemech au nord pas très loin du fleuve Moulouya. 156

157 Monique Duchesne Colonel du 11 ème chasseurs en 1855, il obtient la même année son premier commandement en France métropolitaine quand il est nommé Colonel du 5 ème Cuirassiers. Valentine naît en 1856, et Louise en 1857 ; cette dernière épousera, en 1898, Chaillaux, viticulteur à Mustapha. Commandeur de la Légion d'honneur en Le lundi 22 novembre 1858, naît Pierre ; le 21 avril 1897 à Ludon, il épousera, en seconde noces, sa cousine Pauline Duchesne, fille de Gaëtan et Cécile Marin-Darbel. En décembre 1859, naît Alice ; le 20 janvier 1883, elle épousera Henri Bernelle, Directeur de la Compagnie Algérienne, à Bougie. Général de brigade en 1860, Frédéric Legrand est nommé commandant d'une brigade de la division du corps d armée de Lunéville, puis il retourne en Afrique de 1861 à 1868 où il commande la subdivision d Oran. En 1861, naît Marie-Antoinette, et en décembre 1862, Marie-Thérèse ; cette dernière épousera, en 1904, Édouard Delacroix, armateur et propriétaire en Algérie Frédéric est fait Grand Officier de la Légion d'honneur en 1865 pour récompenser son action lors de l'insurrection des tribus sahariennes l année précédente. Général de division en 1868, Frédéric commande la division de cavalerie du camp de Chalons, puis la 11 ème division militaire à Perpignan. Inspecteur général d arrondissement en 1869 et Sa fille Blanche épouse, en 1869, Paul Lafabregue, propriétaire viticulteur à Perpignan. Au déclenchement de la guerre de 1870, malgré ses soixante ans, il réclame un commandement actif et est nommé à la tête de la division de cavalerie du 4 ème Corps d'armée. Dernier combat Les Allemands de Frédéric-Charles, dont la situation des plus critiques s'aggrave de minute en minute, doivent à tout prix, pour éviter une catastrophe imminente, arrêter l'action offensive victorieuse du 4ème corps français du général Louis de Ladmirault 24, débouchant de Bruville en direction de Tronville et 24 - Né à Montmorillon (Vienne) en 1808, il est issu d'une an cienne famille appartenant à la noblesse de l'orléanais. Il devient élève de l'école Spéciale Militaire en Nommé lie u- tenant en 1829, il est affecté au 62 è me Régiment d'infanterie. En 1832, c'est avec le grade de lieutenant qu'il rejoint le 67 è m e Régiment d'infanterie en Algérie. Capitaine en 1837 au régiment des zouaves, il dirige la première colonne d'attaque à l'assaut de Constantine où sa compagnie est décimée. Chef de bataillon en 1840, il commande les tirailleurs de Vincennes. En 1841, il prend le commandement du cercle de Cherchell. Lieutenant - colonel en 1842, et toujours à Cherchell, il dirige une colonne contre les 157

158 Au pré de mon arbre Mars-la-Tour. La brigade von Wedell, qui s'y opposait, venait d'être littéralement anéantie au «Fond de la Cuve 25». Suprême espoir, lancer la cavalerie disponible dans le flanc droit des Français! Côté prussien, vingtdeux escadrons Beni-Menasser. Sa conduite durant cette expédition lui fait gagner le grade supérieur. Il prend le commandement du régiment des zo uaves en 1844 avec le grade de Colonel. Général brigadier en 1848, il prend la tête de la subdivision de Medhéa. Général de division en 1853, il participe à la ca m- pagne d'italie et aux combats de Marignan et de Solférino. Durant cette bataille, il est d'ailleurs blessé à deux reprises. Après un retour en Algérie en tant que sous-gouverneur, il revient en en France et prend le comma n- dement du 2 è me Corps d'armées de Lille. Durant la guerre Franco-prussienne il commande le 4 è me Corps d'armées de l'armée du Rhin, avec lequel il fait les batailles de Mars -latour, Saint-Privat, et Amanvillers. Il revient en France, après une période de captivité, pour les opér a- tions contre la commune. Nommé Gouverneur militaire de Paris en 1871, il occupera ce poste jusqu'à l'âge de 70 ans Le Ravin du Fond-de-la-Cuve (également nommé à l'époque «Ravin du Poirier» ou même «Ravin du Poirier du Bois Dessus») est une entaille creusée par le ruisseau du même nom dans le plateau calcaire qui s'étend au nord-est de Mars-la-Tour, entre ce village et celui de Bruville. Il est orienté est-ouest et sa profondeur est d'une trentaine de mètres à son maximum. Ses pentes sont douces, sauf à l'endroit des combats où l'esca r- pement est bien marqué, surtout côté sud. En 1870, ses pentes étaient d é- nudées. De nos jours, une épaisse végétation, par endroits impénétrable, tapisse le fond et les versants. Le glacis par où ont débouché les Prussiens est partiellement occupé par un ancien dépôt de munitions construi t dans les années 30 qui gêne un peu la vue d'ensemble du champ de bataille. 158

159 Monique Duchesne sont rassemblés, le 13ème Uhlans hanovriens, le 10ème Hussards prussiens, le 4ème Cuirassiers westphaliens, les 13ème dragons prussiens et 19ème dragons oldenbourgeois. Ladmirault leur oppose des forces de cavalerie sensiblement équivalentes : 21 escadrons français composés de la division Legrand (2 ème et 7 ème hussards, 3 ème et 11 ème dragons 26 ) soutenue par la division du Barrail, réduite provisoirement au 2 ème chasseurs d'afrique 27, et par la Brigade de France (lanciers de la Garde et dragons de l'impératrice). Les Prussiens - 11ème Brigade du général Von Barby - quittent leur position d'attente entre Puxieux et Tronville et se placent le long de la route qui mène à Ville-sur-Yron, face au Nord. Les Français descendent du plateau de Grizières et prennent position face au Sud, à peu près le long d'une ligne entre l'actuel passage à niveau et la ferme de la Grange. La position est défavorable, le soleil dans les yeux, et devoir monter la pente du plateau pour engager leurs adversaires. Sur le plateau de Ville-sur-Yron, que borde à l'est le ravin de la ferme Grizières, près de six mille cavaliers aux uniformes chamarrés, séparés par un peu moins de 1000 mètres, s'affrontent avec fureur dans une lutte épique, tandis que de Vionville à Rezonville et au Bois des Ognons, la bataille atteint son paroxysme. Il est approximativement 17 h 45 ; le 2 ème chasseurs d'afrique «ouvre le bal» : charge lancée, il sabre une batterie prussienne aventurée et gênante, en disperse les soutiens et refoule les détachements et éléments avancés de la cavalerie ennemie avant de se rallier. La division Legrand qui débouche du ravin de la ferme Grizières et se déploie aux allures vives. «Mon Général, dit du Barrail, il est trop tard pour profiter du désordre que mes chasseurs ont provoqué dans les rangs ennemis!» - «Tant pis, répond le général Legrand averti de l'agacement manifesté à nouveau par Ladmirault ; j'ai reçu l'ordre de charger, je charge!» Il faut préciser que, ce jour-là, excédé par une première remontée de bretelles assez inopportune de Ladmirault, il était, si l'on en croit les officiers de son état-major, d'une humeur exécrable. Le colonel du 2 ème hussards propose d'ébranler au préalable les lignes de la cavalerie allemande à coups de mousquetons-chassepot : «Non, au sabre», réplique le général 28. Et il découple la brigade légère du général de Montaigu, qui, au galop et le sabre haut, s'élance aux cris de «Vive l'empereur!». Lui-même, monté sur un vigoureux cheval d'armes à robe noire, suivi de son état-major, puis du 3 ème dragons en deuxième 26 - Le 11 è me dragons, en soutien d'artillerie, ne prend pas part au combat Diminuée de la brigade du général Marguerite qui escorte l empereur en route pour le camp de Châlons Ce dédain apparent pour les armes à feu estnormal avant l apparition d armes à tir rapide et à longue portée. 159

160 Au pré de mon arbre échelon à droite, conduit ainsi avec vigueur la charge de sa division. Soldat magnifique, le général Legrand porte la tenue des officiers de l'armée d'afrique : ceinture de laine rouge roulée sur le dolman à larges brandebourgs retenus par des olives de soie ; épaulettes d'or frappées des trois étoiles d'argent ; haut képi galonné et étoile coiffant sa toison blanche. Le voici abordant les premiers rangs de la cavalerie allemande. «Combattant comme un simple cavalier», dira un témoin, il est bientôt au cœur de la mêlée. Mais son cheval s'abat, foudroyé ; dans la chute, sa lame se brise, une jambe coincée sous l étalon. Son aide de camp, le lieutenant Voirin, major de Saint-Cyr et de l'école impériale d'étatmajor, saute à terre pour secourir son chef. Mais, en vain! Démonté et désarmé, foulé aux pieds de leurs chevaux par de peu chevaleresques dragons oldenbourgeois, le général reçoit de très graves blessures. Voirin s'effondre, frappé de nombreux coups de sabre. Il est 18 heures. Le soleil, si ardent dans la journée, décline déjà sur les Hauts de Meuse. On entend vers Rezonville le grondement incessant des artilleries adverses déchaînées. Sur le plateau de Ville-sur-Yron, deux énormes nuages opaques de poussière blanche, correspondant à deux mêlées distinctes, s élèvent sous le galop des chevaux ; on y perçoit des clameurs, les cris de «Vive l'empereur» répondant aux «Hourrahs» allemands, le cliquetis des armes qui s'entrechoquent, le crépitement des coups de feu. Des groupes surgissent, puis disparaissent à nouveau dans la poussière. L'entrée en ligne de nouveaux escadrons allemands d'une part, des lanciers de la Garde et des dragons de l'impératrice d'autre part, ne fait qu'accroître le tumulte et la confusion : certaines analogies dans les uniformes, en effet, amènent de fâcheuses méprises entre combattants d'un même parti. Nos malheureux lanciers de la garde, qui ont donné dans l aile droite de la division Legrand, sont pris par le 3 ème dragons, à cause de leurs vestes bleu de ciel de petite tenue, pour des dragons prussiens et sont massacrés sans pitié. Au milieu des imprécations, des détonations et du cliquetis des sabres se choquant les uns contres les autres, on distingue à peine les cris de : - «Ne nous frappez pas! Nous sommes français. - Pas de quartier!» leur répondent nos dragons, qui ont vu des uhlans clouer au sol les blessés, et qui, pensant à une ruse de l ennemi pour les arrêter, frappent toujours. Quelles horribles scènes ; mais comment faire pour y mettre fin? Rompre le combat dans de telles conditions est bien risqué, mais peuton tarder plus longtemps? De part et d'autre, des trompettes réussissent enfin à se faire entendre, sonnant des ralliements d'une extraordinaire difficulté. A quelques pas, devant le front du 3 ème chasseurs à cheval rangé en bataille sur le plateau, le général Legrand, étendu, perd son sang par plusieurs blessures dont, en particulier, un coup de sabre à la tête et un coup de feu en pleine poitrine. Quelques instants encore, et la cavalerie allemande se replie en désordre au-delà de Mars-la-Tour et jusqu'à Puxieux pour s'y reformer, tandis que nos 160

161 Monique Duchesne escadrons, tout aussi désunis et exténués, se regroupent au sud de Bruville, couverts par le 2 ème chasseurs d'afrique, ardent au combat et infatigable manœuvrier : il est 18 h 30. La division de cavalerie du 3 ème corps 29 va chasser les fractions ennemies attardées, assurant l'occupation du plateau de Ville-sur-Yron que l'ennemi ne menacera plus. Morts et blessés par centaines, armes brisées, pièces de harnachement jonchant le sol, chevaux abattus ou errants par petits groupes affolés, cavaliers démontés, mais résolus, se repliant le mousqueton au poing, tout témoigne de la violence exceptionnelle du combat, de la valeur des adversaires qui se sont affrontés, de la fougue et de l'esprit de sacrifice de leurs chefs. Ces derniers, du côté français en particulier, ont mis un point d'honneur, bien cher payé, à devancer largement leurs escadrons lancés au train de charge. Le général Ladmirault, «rayonnant de satisfaction», dira un témoin, se félicite de voir ainsi rapidement dissipée la menace, qu'il s'était exagérée, d'une importante action de la cavalerie ennemie sur son flanc droit. Les Allemands, de leur côté, constatant avec soulagement qu'ils échappent au désastre imminent - le 4 ème corps français ayant suspendu son avance irrésistible -, en attribuent le mérite aux «exploits» de leur cavalerie. En fait, l'arrêt du 4 ème corps avait bien d'autres causes! Ladmirault n'a pas su répondre à cet instant aux sourires de la Fortune, pourtant pleins de promesses : il vient de manquer là une des plus belles occasions qui se soit jamais offerte à un stratège. Mais soyons réservés dans notre jugement. «La Guerre des Occasions manquées», tel est le titre prometteur de l'ouvrage à grand succès qui paraît immanquablement après chaque conflit. Les détails des circonstances de la mort de Frédéric Legrand diffèrent. Le plus communément admis est qu alors qu il est à la tête de la cavalerie française, dans l'une des plus grande bataille de cavalerie de l'histoire, il est tué d un coup de sabre à l épigastre le 16 août 1870 pendant la charge du plateau de l'yron, près de Mars-la-Tour. Pour Dick de Lonlay 30, son cheval ayant été tué dans la mêlée, il tombe, brise son épée et reste coincé, une jambe prise sous sa monture. Une douzaine de dragons oldenbourgeois s'acharnent alors sur lui «pour le larder et le fouler aux pieds de leurs chevaux». Son aide de camp, le lieutenant Voirin, qui ne peut rien faire pour le sauver, est lui même blessé de 17 coups de sabre en essayant de le protéger. Pour son autre aide de camp, le lieutenant Longuet, il a d'abord la poitrine percée d'un coup de lance, puis il reçoit un violent coup de sabre au dessus de l'oreille gauche et ne rejoint le fossé de la route de Mars la Tour qu'appuyé sur le bras d'un capitaine de dragons, pour mourir quelques heures plus tard à Rezonville Division Clérembault Français et Allemands, Histoire anecdotique de la guerre de

162 Au pré de mon arbre Version un peu différente du même capitaine Longuet, dans ses «Souvenirs inédits», cités par le colonel Rousset 31 : «Appuyé sur le bras d'un capitaine de dragons également blessé, le général put gagner le fossé de la route où il tomba presque inanimé... Comme un médecin arrivait et le soulevait, il rendit le dernier soupir.» Une anecdote parue dans la presse dit : «Un adjudant du 3 ème chasseurs, M. de Puységur, ayant aperçu le blessé, le signala au médecin-major de son régiment, le D r Bernard, de Metz ; celui-ci, malgré la fusillade, se porta à son secours. Parvenu auprès du général, il l'entendit murmurer : «Mon Dieu, que je souffre!» Et pour le dérober au feu de l'ennemi, il l'allongea doucement dans un sillon.» Jean-Pierre Jean 32, reprenant ce texte, écrit : «... Il expira dans les bras du D r Bernard.» Le capitaine Crestin, lui, a retrouvé son chef d'état-major, le colonel Camprenon, près de Bruville : «Sa jument, une superbe bête arabe, a l'oreille à moitié emportée d'un coup de sabre ; lui est inondé de sang, son épée est rouge jusqu'à la garde. Voirin et Bach ne reviennent pas ; Longuet manque, les généraux Legrand et de Montaigu ne sont pas là... La nuit est tombée... bientôt arrivent les plus tristes nouvelles : Le général Legrand est gisant sur le sol... Il est mort, et en partie dépouillé...» Incertitude de témoignages, oculaires ou rapportés, recueillis dans de telles circonstances! En fait, le général Legrand, mortellement atteint, a perdu connaissance ; et c est dans un bien triste état qu'on le ramène à Bruville, où les ambulances installées sont surchargées de besogne! Dans la grange de la maison Perrin, proche de la mairie, où gisait le général Brayer, tué dans le furieux combat du Fond de la Cuve, le général Legrand, à l'agonie, va bientôt mourir. Dans la nuit, son corps est transporté à l'église de Doncourt-lès- Conflans. Il s'y trouve encadré par les cercueils de deux officiers de la Garde, tombés eux aussi sur le plateau de Ville-sur-Yron. Dans son ouvrage «Journal d un aumônier », l'abbé de Meissas donne un récit poignant du service funèbre qu il a célébré très simplement dans l'atmosphère lugubre de cette église vide, du transport des trois cercueils de bois blanc sur un chariot lorrain accompagné du seul maire du village, et de l'inhumation hâtive de ces héros dans le petit cimetière de Doncourt-lès-Conflans, le 17 août, tandis que déjà les troupes françaises, suivant les ordres reçus, se replient en direction d'amanvillers. Quant au lieutenant Voirin, aide de camp du général, perdant son sang en abondance, s'est traîné dans un fossé de la route de Conflans. M. le Bouteil Le 4 è me corps de l'armée de Metz La Lorraine et ses champs de bataille, Libr. S i d o t,

163 Monique Duchesne ler, de Rezonville, passant à cet endroit le lendemain à l'aube, le hisse sur son tilbury et le ramène dans les lignes françaises. Dépêche télégraphique Paris, 18 août 1870, 10h40 soir (arrivée à Tours, le 19, à 1h du matin) Quartier général, 18 août, 5h soir Dans l'affaire du 16, le corps du général Ladmirault formant l'extrême-droite de l'armée, un bataillon du 73 e de ligne a détruit un régiment de lanciers Prussiens et lui a enlevé son étendard. Il y a eu plusieurs charges de cavalerie très brillantes ; dans l'une d'elles, le général Legrand 33 a été tué en chargeant à la tête de sa division. Le général Montaigu est disparu. Les généraux prussiens Doering et Wedel ont été tués. Les généraux Grueter et Wourauch sont blessés. Le prince Albert de Prusse commandant la cavalerie aurait été tué. À la chute du jour, nous étions maîtres des positions précédemment occupées par l'ennemi. Le lendemain 17, il y a eu près de Gravelotte quelques combats d'arrière-garde. On peut estimer approximativement à hommes les forces que l'ennemi avait engagé contre nous dans la journée du 16. Nous n'avons pas encore l'état de nos pertes d'une manière exacte. (la correspondance du quartier général.) Le ministre de l'intérieur, Signé : Henri Chevreau. Certifiée conforme Le préfet, R. Paulze-D'Ivoy Le général laisse une veuve et onze enfants 34, famille nombreuse sans fortune. Le képi du général Legrand, fendu d'un coup de sabre et taché de son sang, a été remis au Musée de l'armée d'afrique à Alger. Mais, en 1962, les collections de ce musée purent être, tout de même, ramenées à Paris. M. Frédéric Legrand s'inquiéta des souvenirs de son grandpère : le képi, retrouvé et identifié non sans difficultés, avait sa place, pensait-il, au Musée de Gravelotte. Or, entre temps, le glorieux trophée était entré dans les admirables collections du Musée de l'armée, aux Invalides. En compensation, M. Frédéric Legrand remit au Musée de Gravelotte les épaulettes d'or de son grand-père, ainsi qu'une peinture de Devilly 35 représentant le général blessé sur le champ de bataille. Alphonse de Neuville, dans sa célèbre composition «Charge de dragons à Gravelotte», s'est inspiré de la fin héroïque du général Legrand : on l'y voit, 33 - Fils de Monique Duchesne & Pierre Legrand Saint Romain. Voir la description de la bataille sur : http ://pagesperso-orange.fr/denis.martignon/guer1870.htm 34 - Un douzième, garçon, est mort en bas-âge Artiste lorrain, né à Metz en

164 Au pré de mon arbre montant un fougueux cheval noir, frappé en pleine action à la tête de ses dragons lancés dans une charge endiablée, tandis que l'aide de camp s'efforce de soutenir son chef. Ses deux fils, Frédéric et Pierre, serviront avec distinction dans la cavalerie d'afrique, fidèles au souvenir du sacrifice de leur père, digne de nos traditions militaires les plus pures et de leurs exigences. 164

165 Guillaume Duchesne ( ) Fils d Antoine-Nicolas et Luce Menjaud. Extrait des minutes de la Secrétairerie d'état Au palais des Tuileries, le 26 février 1814 Napoléon, Empereur des Français, roi d'italie et protecteur de la confédération du Rhin. Sur le rapport de notre ministre de l'intérieur nous avons décrété et décrétons ce qui suit : Article 1 er Nous accordons l'exemption de service militaire au S. Guillaume Duchesne, dessinateur, né le 7 juin 1785 à Versailles département de Seine et Oise.../... M. Filliot semble être un collègue des Estampes. Tiré de son Journal qu il écrit pendant l absence de sa femme partie dans la Vallée de la Taupe par Rosny-sur-Seine 1, chez Joséphine, avec ses deux plus jeunes enfants Augustin et Marie. Pendant ce temps, M me Emrich, de Noisy, se trouve souvent chez Guillaume et leur apprend la confection de pantoufles. On y rencontre aussi Charles et M me Sophie. Guillaume se rend souvent chez ses amis, M. & M me Orange, qui habitent à S t -Germain, et dont le fils, Auguste, est le filleul de Guillaume. Frère de Jean, Guillaume devient son acolyte au cabinet des Estampes. Lundi 15 avril 1839, sa fille Hortense rentre en pension et prend ses leçons de piano chez M. Drésan 2, puis avec M. de Roysant. Son fils Henri peint, sur la devanture de la boutique d'un restaurant des Batignolles, des grappes de raisin noir et blanc et des feuilles de vigne. Rose est à son service ; elle sent mauvais de sa personne. Il n en souffre pas longtemps : Rose donne son congé quatre jours plus tard! Le vendredi 19 avril 1839, sa fille Clémence entre chez M lle Joyau. Le dimanche 21 avril 1839 sa fille aînée Caroline, qui est modiste chez une patronne (ce pourrait être M me Choiselat), va dîner chez sa cousine Pauline 1 - À Buchelay (78). 2 - Plus tard on apprendra qu ils habitent Rue Royale. 165

166 Au pré de mon arbre Atoch 3. On y apprend que Charlotte 4 va partir le 1 er ou le 2 mai pour une pension à Provins. C'est une amie de Charlotte qui se charge de tous les frais. Depaulis 5 et Élisa arrivent. Depaulis est très affligé de la maladie de sa femme qui est toujours à la campagne pour se distraire ; et lui, on voit qu'il cherche à dissiper ses ennuis... Jeudi 25 avril 1839, Guillaume voit la cousine Aglaë 6 ; il lui raconte que sa femme est pour 6 mois à la campagne. Guillaume achète 600 œufs : 100 sont pour son usage en ces mois courant, les 5 autres sont empotés dans le grès, immergés dans de l'eau de chaux. Le 2 mai 1839, promenade aux Champs-Élysées pour la fête du Roi. Feu d artifice tiré sur le pont Louis XVI (22 ou 29) mai 1839 Guillaume déprime ; il en vient à douter de sa paternité: c'est encore de la pauvre espèce que cela, mais vraiment qui donc a fait nos enfants ; il ne se peut qu'ils soient les nôtres, nous avons des façons de rochers et eux sont des mottes de terre sans force et sans vigueur. Il compte arriver à Rosny 8 le samedi 21 mai, veille de la Pentecôte, par la galiote. Frédéric lui a envoyé une dame de service, qui ne sait point faire la cuisine, elle n y voit pas assez clair pour travailler à l aiguille et avec un pied habituellement malade, il lui consent 15 francs pour 6 à 7 heures de service. Paris, 3 juin 1839 (au lendemain de la Fête-Dieu) Nous y apprenons que sa fille Hortense a pour maître M. de Roysant ; elle a 2 leçons par jour. Vu ses bons résultats, il lui donne une pièce de cent sous pour mettre dans sa bourse. Caroline doit aller en calèche le dimanche à S t Germain avec la famille de Ferrand pour un diner en forêt mais elle n y est pas disposée, les Dames Souchet étant ici ; elle demande à son père de la faire excuser. Son père lui explique qu elle a tout à y perdre et Caroline se résout finalement à aller à S t Germain. Il y pleuvait et dut rentrer par le Wagon avec Marie (probablement de Ferrand). / Il était 2 heures 1/2 et les enfants n'ayant point fait de second déjeuner criaient la faim. Heureusement que notre dîner allait son train car, enfin, j'ai attrapé une femme de ménage. Celle-ci me vient de Marguerite ; elle est ici depuis 3 jours et je vois qu'elle est propre, mais très propre, autant sur elle que dans ce qu'elle fait. Elle paraît très douce, et laborieuse. Si ce n'est pas un cheval de travail comme Thérèse, au moins elle fait tout ce qu'il y a à faire, sans bruit, sans embarras. M lle Sophie, qui est toujours ma grande 3 - Petite-fille de Marie-Françoise Darmezin et Guillaume Marion du Mersan. 4 - Plus jeune sœur de Pauline. 5 - Veuf d'élise Duchesne (fille d Antoine -Nicolas) dont il eut deux fils et une fille Élisabeth ; remarié en 1823 avec Adeline Rolle. 6 - Sa sœur Marie-Antoinette Journé est mariée à Camille Menjaud. 7 - Pont de la Concorde. 8 - Rosny-sur-Seine, en aval de Mantes-la-Jolie. 166

167 Monique Duchesne ressource, lui a parlé, pendant mon absence, de l'économie de la maison, des habitudes qui se convenaient ainsi qu'à moi, et l'autre a répondu qu'elle était prête à faire comme on le voudrait. D'ailleurs cette femme n'est point dans la peine, assurément ; sa mise sans élégance ni coquetterie le fait bien voir. Son mari est frotteur au Palais Royal ; elle, cuisinière de son état, emploie son temps n'ayant point d'enfant : elle fait ordinairement des extras mais, puisque l'occasion se présente, elle n'est pas outrée d'avoir un fixe, et 15 francs lui conviennent. D'ailleurs, elle n'est fâchée que ce ne soit qu'une 1/2 journée parce que cela lui donne le temps de s'occuper de son ménage. Pendant que je t'écris tout cela, nous avons passé le temps nécessaire pour faire le chemin, des Champs-Élysées à la maison. Or nous voilà à table et nous mangeons 2 pigeons aux pois : cette paire avait été destinée à M me Fillot mais Henri, samedi soir, avait mal aux pieds, et alors j ai ajourné de quelque peu. Après la salade, nous bûmes à ta santé la liqueur que je façonne avec 3/4 d'eau. Puis, de causer jusqu à 7 heures, que nous allâmes au petit office du soir..../... J ai été ce matin faire une visite à M me Souchet et l'engager à dîner aujourd'hui puisque c'est le jour de son départ. J'y ai trouvé M. son frère qui avait engagé quelques personnes pour recevoir sa sœur. Si bien que ma visite a été infructueuse. Elle m'apprit que Charles Dinon est malade dans la pension Jubé. M lle Antoinette s'est bien trouvée du voyage depuis vendredi, et c'est aujourd'hui lundi ; elle n'a souffert du côté qu'hier seulement. Elle retourne chez elle sinon entièrement satisfaite au moins bien tranquillisée ; on lui avait dit à Laigle que sa fille avait au foie une maladie incurable, et maintenant elle n'en croit rien ; elle conçoit que la vie monotone de sa maison peut pour beaucoup contribuer à ce mal aise. Lorsque je t'ai annoncé l'arrivée de M me Emich, j'ai fait un oubli : celui de ne point te parler de charmants ouvrages qu'elle a faits et apportés..../... Demain mardi, Caroline vient déjeuner avec nous ; M me Emich a bien voulu s'arranger pour être des nôtres mais elle a fait une chose que j'aurais bien voulu empêcher : c'est un pâté qu'elle envoya par Biasdot, et plus mal encore, une tourte aux Godivan, parce qu'elle est revenue aujourd'hui pour dîner. Je ne te dis pas cela croyant te faire plaisir, je sais au contraire que cela te contrarie, mais, que veut, il faut que le mal trouve sa place comme le bien. Vendredi 7 juin C'est aujourd'hui l'anniversaire de ma naissance.../... Tu as vu ma journée de lundi et comme je m'y prends maintenant pour monter la garde, mais comme un bon citoyen je suis rentré au poste à 10 heures du soir et j'y ai passé la nuit ; elle était belle comme un ange et douce comme un agneau, aussi ne m'est-il rien arrivé de fâcheux qu'un accès de paresse qui me prit le matin en rentrant chez moi et dont je fus tourmenté jusqu'au soir. Mais la nuit suivante passée dans mon lit m'a beaucoup calmé et, lendemain, je me trouvais assez de courage pour reprendre mes occupations. Voici le sommaire de ma journée du mardi : je vais entrer dans les détails..../... Du mardi passons au mercredi. Je faisais ma rentrée au Cabinet des Estampes avec mon air triomphant, recevant les salutations de ces MM. qui eurent l'obligeance de me demander si j'avais été fatigué la veille et comment je me portais actuellement. Mais, leur dis-je, fort bien ; hier, à la rigueur, j'aurais pu venir aussi, mais les conservateurs adjoints sont rares ; on les fait avec peine. J'ai pensé que je devais travailler à les conserver. Vous avez bien fait me dirent-ils ; et cela allait gaiement. Mais arrivé au grand bureau, j'y trouvais le conservateur titulaire : il avait la figure tant soit peu 167

168 Au pré de mon arbre rembrunie : on ne t'a pas vu du tout avant-hier! me dit-il. Comment! Eh, mais j'étais de garde. Pendant 24 heures! Sans pouvoir disposer d'un moment? Oh non, mais tu ne m'as pas dit que tu désirais que je vienne. Cela est vrai, je ne l'aurais pas voulu ; mais je t'ai dit que j avais affaire à 1 heure et c'était à toi à faire ce que tu jugeais à propos de faire ; quant à moi, je n'avais rien à te dire. Ce que c'est que le rang, comme cela donne de l'autorité : il me l'a fait sentir ; il m'a fait voir que j'avais manqué, non pas au devoir, mais de prévenance envers mon chef. Ainsi, malgré mes 54 ans, on me rappelle à l'ordre quand je ne fais pas attention à ce que demande de moi la condescendance. Et mes coquins d'enfants ne veulent pas prendre l'habitude de se tenir en respect devant moi : Henri, ton mignon, comme Caroline, mon idole, me heurte le coude s'il se rencontre avec moi dans ma porte plutôt que de reculer un 1/2 pas : ils vont droit leur chemin. Garez-vous, si vous craignez d'être froissés. / On apprend que le vendredi soir, avec M me Emich, il a été entendre la jeune Hortense (13 ans) jouer un morceau de Henri Hers 9 Il est en tractations pour acheter une maison - 35 à 38 mille francs - dans le quartier des Batignolles mais s'interroge sur l'opportunité de l'affaire, se questionnant si le quartier est en voie de progrès ou si, au contraire, la partie est languissante. Il achète aussi un petit coucou pour Joséphine ; il l'a depuis trois jours et attend de l'avoir vu marcher 8 jours avant de le payer. Mardi (11 juin 1839) Ainsi donc, le matin, pour commencer, j'ai offert à M me Emrich une carte de bain et je l'ai priée de vouloir bien emmener Clémence avec elle. La veille, j'y avais conduit Henry et Hortense, ce qui m'a donné l'occasion de prendre un abonnement de 10 cachets. M me Beaumont 10 vient me faire une visite et je lui trouve un air inquiet, ce dont je lui fais part. Eh mais, dit-elle, je viens, mon oncle, te faire mes adieux. Je vais accompagner avec mon frère, Lady Coutt qui va aux eaux de Vichy et, de là, au Mont- Dore. C'est un voyage de deux mois ; elle aurait bien voulu emmener Cécile 11 mais, étant obligée de rester couchée dans la voiture, cela prend trop de place. Cécile reste donc avec son bon papa, elle ira passer trois semaines à la campagne chez M me Lenormand. 2 juillet 1839 Enfin, la voilà fondue, cette cloche! Une ordonnance royale, en date de ce jour, nomme M. Le Tronne directeur à vie, et apporte quelques modifications à l'ordonnance de 22 février dernier : M. Dunoyer avait donné sa démission le 29 juin et, le même jour, il a publié une lettre, que tu trouveras ci-joint. Elle est sage et de beaucoup préférable aux 3 dont elle est la réponse : il a eu beaucoup de calme, un véritable courage de supporter quatre mois et plus, les fortes 9 - Henri Herz, ( ), pianiste et compositeur Autrichien r é- sidant à Paris Née Rose-Cécile Duchesne ; fille de Jean frère de Guillaume ; pour être sa nièce, il est curieux que Guillaume la nomme M me Beaumont Plus tard, épouse de Gustave Marin-Darbel. 168

169 Monique Duchesne contrariétés qui ont été apportées avec l'intention de le fatiguer. J'ai été lui faire une visite pour le remercier de l'envoi de sa lettre, et lui dire que je sentais vivement la peine qu'il devait éprouver de n'avoir pu faire le bien qu'il était dans la disposition de faire. Je lui ai dit que la retenue mise dans sa lettre, pour éviter de céder à l'envie de répondre aux personnalités, était digne d'éloges. M me Dunoyer, présente, ajouta qu'elle avait admiré la force de caractère qui avait soutenu son mari pendant cette longue lutte. Elle aurait dû avoir une autre issue, dit-il, si la cause eut trouvé un défendeur dans l'autorité ; mais du moment où j'étais seul, il a bien fallu mettre bas les armes. M. Jomard, qui avait obtenu, en février, d'être séparé des Estampes, est blessé au vif de se retrouver réuni malgré lui au bout de quatre mois. C'est en effet une jouissance d'une courte durée. La peine est d'autant plus cuisante, qu'il voit parfaitement qui lui a joué ce tour, puisque depuis 6 semaines environ on pensait que certaines intrigues amèneraient ce qui existe aujourd'hui. Dans son humeur, M. Jomard, ce matin même, a fait retirer le bureau de M. Delagarde de la pièce où il était pour le mettre dans la pièce où il se tient ; M. Joyau y est aussi : de cette façon, la Géographie est tout entière retirée dans une seule pièce et n'est aucunement unie avec nous. À l'observation que lui en fit faire mon frère 12, il répondit vivement qu'il voulait avoir tout son monde autour de lui, qu'il protestait contre la réunion et il ne serait satisfait qu'autant qu'il aurait de plus un Conservateur adjoint, un employé et un frotteur. Mon frère, que l'âge mûr a rendu réfléchi, ne prit point la chose avec humeur, quoique fort contrarié au fond. Il parla de suite de tout autre chose et eut l'air peu affecté d'une division si formellement annoncée. Quant à moi, je fus ravi de sa modération ; en voici les raisons : premièrement, je ne suis point partisan de la réunion; en second lieu, je verrais avec peine les 2 conservateurs en querelle, et cela par intérêt personnel tant pour moi que pour mon fils. Pour moi, la chose est facile à expliquer, j'ai besoin de leur union pour les diverses propositions que j'espère faire par la suite comme j'en ai fait par le passé ; et, pour mon fils 13, je n'ai pas besoin de te rappeler qu'il faut le concours des 2 conservateurs pour le faire entrer avec nous. S'il fallait aller chercher le passé, je dirais qu'au mois de novembre dernier, alors qu'il fut proposé au conservatoire de le faire admettre surnuméraire avec l'espoir d'une gratification au bout de l'année, tous ces Messieurs étaient bienveillants pour moi, et que personne ne mit d'opposition, et je gagerais que si mon frère, qui était trésorier alors, n'avait pas, par un esprit d'équité (préjudiciable à nos intérêts), fait voir que les fonds étaient tellement obérés pour l'année qu'on ne pouvait pas s'engager à prendre un surnuméraire avec promesse d'une gratification. Je gagerais, dis-je, que mon fils aurait été nommé indûment, dit-on ; cela est possible, mais sans faire de tort à qui que ce fut au monde. Et aujourd'hui, non seulement la chose serait faite, mais elle aurait 7 mois d'existence ; et aujourd'hui qu'il est dit qu'il faut avoir fait une année au moins de stage dans une position pour en prendre une plus avantageuse, nous serions en mesure de demander bientôt de l'avancement. Mais, vois-tu, je te dis cela a toi, c est comme lorsque je fais cette réflexion à moi seul : ce n'est pas une plainte contre mon frère ; tant s'en faut que j'ai à m'en plaindre! Au contraire, je ne puis que me louer de ses bons procédés avec moi : il m'a fait conservateur adjoint et me fait jouir de mes prérogatives. Il ne voit point en moi l'homme mais la chose telle qu'elle doit être et je vais avoir occasion de le faire voir Jean Duchesne, Conservateur des Estampes A probablement espoir d intégrer son fils Henry. 169

170 Au pré de mon arbre 4 juillet (1839) Que de paroles! Que d'intérêts froissés par cette ordonnance. M. Valckener 14, Secrétaire-Trésorier de l'administration renversée n'a pas donné sa démission et il paraît qu'il veut avoir quelque chose en échange de ce qui lui échappe. On dit déjà que le directeur ne pourra pas diriger. D'autres, qui ne veulent pas avoir l'air de faire une plaisanterie, disent que l'autorité verra sous peu qu'un Conservateur ne peut pas être en même temps directeur parce qu'il serait juge et partie dans son département. D'un autre côté, mon frère désire rattraper la comptabilité mais M. Valckener la tient encore. Quant à ce qui me concerne, M. Rochette veut qu'on ne reconnaisse pas ma nomination et qu'on se ligue pour la faire annuler (bien obligé). Cela ne m'étonne pas puisqu'il me dit lui même, alors que je lui fis part de ma nomination, qu'il en était bien aise pour moi mais que toutes les nominations qui venaient d'être faites seraient regardées comme non avenues par le conservatoire, et qu'il ferait tout ce qui serait nécessaire pour cela. Que, pour lui, telle était sa volonté et qu'il y travaillerait de tout son pouvoir. Il me dit cela au mois de mars dernier, et aujourd'hui il tient parole. Mais il n'a encore entraîné personne. Du Mersan 15 veut aussi entrer dans la fusion et prétend se faire faire adjoint : mais, à cela, on dit non et trois fois non. Guillaume évoque des ravages dus à des inondations. De Bruxelles jusqu au Pays Basque 8 juillet 1839 / Nous sommes toujours ici dedans dans une tourmente qui peut avoir des conséquences fâcheuses : le ministère veut bien placer Monsieur Valckener 16 mais il ne voit rien de mieux que le faire Conservateur adjoint de la Bibliothèque du Roi ; mais dans quel département? Dans celui des estampes et cartes : il serait l'adjoint de M. Jomard, comme je suis adjoint de mon frère. Alors voilà M. Delagarde blessé, mécontent de ce que M. Jomard accepte cela sans l'avoir présenté pour remplir cette place. Voilà mon frère qui affirme qu'il exigera que M. l'adjoint vienne habituellement et qu'il ne se tienne pas à sa campagne à Villeneuve-S t -Georges comme nous l'avons vu faire étant secrétaire-trésorier. Mais, il a un contentement à côté de cela : c'est presque la certitude d'avoir la comptabilité de nouveau. Le ministre lui dit depuis peu : Eh bien, votre affaire est terminée ; c'est à dire, nous sommes libres de la terminer, la place est vacante Charles Athanase Walckenaër , entré dans l'administration après le retour des Bourbons, fut successivement maire du V e arrondissement de Paris, secrétaire général de la préfecture de la Seine (1816), préfet de la Nièvre, puis de l'aisne. Devient baron en Fut révoqué en 1830, et obtint, en 1839, les emplois de trésorier de la Bibli o- thèque royale et de conservateur des cartes géographiques et plans. Le nom de Walckenaère ou Walckenaera a été donné, en hommage à ses travaux d'entomologie, à un genre d'arachnides, dont il existe une vingtaine d'espèces en Europe (la Walckenaera acuminata se trouve en France) Théophile Marion du Mersan ( ) ; fils de Marie- Françoise Darmezin, il est cousin des Duchesne par la branche Pannetier Orthographié Valcknaer 170

171 Monique Duchesne Je serai enchanté, moi, de voir 2000 de plus à mon frère, et tu sais pourquoi ; mais, comme une satisfaction et une espérance de mieux ne marche pas sans donner quelques soucis, je crains aujourd'hui que les 3600 f. qu'il faudra donner au nouveau Conservateur adjoint n'absorbent tous les fonds disponibles et sur lesquels mon fils devait trouver son lopin. Je dis 3600 et non plus 4000 f. car il paraît que nos appointements vont être réduits à ce chiffre. Remarque bien que je dis «il paraît» car on ne sait rien à cet égard, l'ordonnance du 2 juillet ne règle pas les appointements, ni du directeur, ni des fonctionnaires nommés par l'ordonnance de février ; elle annonce un étal qui n'est pas encore sorti des bureaux du ministère ; mais on laisse voir beaucoup de choses étant rétablies sur le pied qui existait avant février et alors nos appointements peuvent être comme ils étaient, 3600 f.. Par ce moyen, on n'aura pas besoin d'une augmentation de fonds aussi considérable à demander à la chambre, et c'est là ce qui tient beaucoup parce que on sait qu'elle est peu disposée à accorder. MM. Sergent et Delandes auront lieu aussi d'être mécontents, vu que depuis longtemps on leur faisait espérer de les porter à 1200 et que l'ordonnance de février les leur donnait, et que la nouvelle combinaison qui donne 3600 à l'adjoint de Villeneuve-S t -Georges ôte la possibilité de récompenser légitimement 2 anciens employés, dont 1, surtout, est parfait en exactitude comme en travail. Notre Conservateur crie comme un diable aux oreilles du Directeur. Mais qu y peuvent-ils, tous deux. Il faut bien payer largement ceux qui ne font rien, et peu importe qu'un homme qui travaille et qui n'a que sa place soit rétribué d'une manière à l'encourager à mieux faire encore s'il lui est possible. C'est comme cela, voilà tout, il faut s'y habituer. 9 juillet (1839) / Je reviens à l'affaire qui me touche ici. M. Rochette promenait partout son principe illégal que deux frères soient adjoints l'un à l'autre et, heureusement, il ne fut pas écouté des uns et vivement repoussé par un autre. Celui-ci est M. Guérard, homme que je dois estimer. M. Magnien prit, dans cette affaire, le rôle de conciliateur. M. Paris, celui de conseiller, M. Hase s'est déclaré mon ami, et je crois même que M. Jomard m'a été favorable. Enfin, on a obtenu que, mercredi prochain, au Conservatoire on donnerait lecture de l'ordonnance qui me fait Conservateur adjoint. M. Rochette a promis de ne point faire valoir son Observation, se contentant de l'avoir faite à chacun en particulier ; et aussitôt la lecture faite, je serai introduit ; voilà ce qui est dit aujourd'hui mardi. Demain sera-ce encore la même chose. / Paris, mercredi 31 juillet 1839 Oui, ma chère amie, je reprends mon journal.../... En rentrant chez moi, je trouvais mon fils bien portant, content d'apprendre de toi bonne nouvelle. Il me remit aussitôt une lettre du ministère. C'est le ministre en personne qui me donne avis d'un arrêté qu'il a pris, par lequel je jouirai à dater du 1 er août de mes appointements de 3600 : bonne nouvelle, n'est-il pas vrai ; mais, patience, je te dirai en son temps combien les Conservateurs sont mécontents. / Lundi matin 171

172 Au pré de mon arbre Pendant que M. le Ministre avait la plume en main, il écrivit à M. Paris ce qu'il m'écrivit, puis à M. Julien la même chose. À mon frère, il annonça sa nomination de trésorier avec les appointements de 2000 f. ; puis il a fait nommer, par le Roi, 2 nouveaux Conservateurs adjoints, M. le baron de Walckenaër à la Géographie, M. Ravenel aux imprimés ; à M. Pilon 300 f. de plus. Voilà du nouveau pour un jour! Aussi, et c'est cela que je t'ai annoncé, le conservatoire est mécontent de ce que le ministre dispose des fonds en faveur des personnes qu'il a nommé de son chef, et de ce qu'il fait nommer de nouveau des personnes qui ne sont ni de la Bibliothèque, ni de l'institut ; il proteste contre cet arrêté : ainsi, voilà encore la guerre. Mais on ne fera point de lettres imprimées et publiées ; on se contentera de remontrances adressées au ministre dans les termes les plus modérés quoique forts, et cela dans le plus bref délai. Certainement, il est à dire que le ministre, en cette occasion, agit par un pouvoir arbitraire car dans l'ordonnance du Roi sous la date du 2 juillet dernier, rendue sur sa proposition, les Conservateurs adjoints doivent être pris parmi les employés de la Bibl.royale ou dans le sein de l'institut, et M. Ravenel n'appartient ni à l'un ni à l'autre de ces deux corps ; voilà donc l'ordonnance violée, avant un mois d'existence par le ministre qui en est l'auteur. De plus, on craint que cette porte ouverte à la faveur ne fasse entrer d'une manière indéfinie toutes les personnes qui tiennent, par quelque peu que ce soit, aux lettres ou au langues et, qu'ainsi, les employés se voyant constamment privés d'avancement, il résulterait que, n'ayant plus d'avenir, on ne pourrait plus espérer ni exiger, de leur part, le travail utile à l'établissement, et soutenu. D'autre part, le ministre s'arrogeant le droit de donner des augmentations de traitement à qui et comme bon lui semble, et toujours sans consulter le conservatoire, il autorise les employés à méconnaître l'autorité, légitime et voulue par l'ordonnance du roi, des conservateurs qui sont, dans chacun des départements, les chefs directs et seuls admis à juger avec connaissance du mérite de chacun des employés. Or, voici M. Pilon, 1 er employé aux imprimés, qui reçoit du ministre un accroissement de 300 f. pour quelle raison? et à la demande de qui? se demande-t-on. Sans doute M. Pilon est un excellent employé mais il faut faire abstraction complète de l'homme ici pour n'envisager le principe seulement. Le ministre a-t-il le droit de monter, et alors de diminuer aussi peut-être, les traitements de personnes qui sont sous des chefs immédiats sans seulement les consulter? Que d'abus ne peut-il pas découler de là! / (Je vous fais grâce de la suite) Jeudi 22 août 1839 Pour te calmer et cesser de t'émouvoir, je vais te parler de la douce et tranquille Lepinette ; elle est venue me voir, aujourd'hui, jeudi 22 août. Je l'aurais volontiers retenue à dîner avec nous, mais j'allais à Neuilly chez M me Huvé Habitent dans le Bois de Boulogne une maison qui appartient à M. Girardin, architecte ; elle est mitoyenne de la Folie -Saint-James (nom anglicisé de Saint-Gemme-sur-Loire dont est originaire le propriétaire) dessinée par l architecte Belanger et alors, en 18 39, à l état d abandon et transformée en un «village» du nom de «Saint-James» comportant 47 lots, «au bout de l avenue de Madrid, tu la suivras jusqu au bout. Et tu verras une grille qui donne dans le bois. Poursuit ta route environ 5 m i- 172

173 Monique Duchesne.../... Je t'ai dit que nous partîmes vers 5 heures pour Neuilly. Ainsi tu peux me voir roulant, roulant en calèche ouverte, assis dans le fond, mon chapeau à la main car il faisait beau temps et des gants neufs à 29 sols qui faisaient bonne mine, linge éclatant et cravate noire ; j'étais superbe, en vérité. Nous allions fort vite et la faim galopait avec moi. Je le crois bien, j'avais déjeuné à 7 heures 1/2. Car tu sauras qu'henry commence à prendre goût à aller à son atelier de bonne heure. Je me méfiais du dîner parce que je n'ai pas oublié que du vivant de Mme Caillat 18 jamais on n'était plus de 20 minutes à table. Cependant à 6h1/2 on sert, et je vois, pour 1 er service, Potage gras, fricandeau, pâté chaud, et le bœuf en relevé de potage. Tout cela parfait, abondant, et servi convenablement. En second, arrive poularde rôtie, trop noire mais nous n'en dirons rien, petits pois, salade du jardin, et une tourte aux fruits. Au dessert : tu y aurais vu une jatte de fraises, 2 plats de pêches admirables, 2 plats de prunes exquises, brioche, biscuits, massepain, fruits secs et fromage de Gruyère. Voilà, il faut dire que les fraises, les plats doubles de fruits et un excellent cantaloup, que j'ai oublié de placer à propos, furent apportés de Nogent-sur-Seine près St-Maur par Mme Bernier, belle-mère de M. Dupin, le fameux Dupin. J'étais placé entre cette dame et Mlle Huvé 19, l'aînée. Derrière nous galopaient 3 domestiques mâles, et une petite femelle pour le service particulier du pauvre vieux père Caillat 20 qui est planté dans un fauteuil comme un bouquet dans un pot ; il ne dit mot, mais il avale comme un sac de nuit qui contient toutes espèces de choses sans faire attention comment cela entre, et qui s'affaisse sur lui-même quand il est plein et qu'on ne s'occupe plus de lui. Quant à la dame, toute vieille qu'elle est, elle est fort convenable, si ce n'est qu'elle a des yeux de souris et qu'elle branle la tête. Cela ne l'empêche pas d'avoir sa voiture et 2 domestiques. Mais cela non plus ne l'empêchait pas de désirer qu'un Monsieur voulut bien l'accompagner dans sa voiture pour retourner à Paris, et, ce Monsieur, ce fut le tien qui s'est offert de fort bonne grâce et fut reconduit jusque chez lui comme un homme du bon monde. Ah, Monseigneur, que d'honneur! nutes, puis tu trouveras à droite une rue neuve qui donne entrée dans le village ; c'est là, précisément dans cette rue, que demeure M me Huvé. Au bout du village, si tu veux continuer de te promener sous des peupliers forts beaux, tu arriveras à l'ombre, au bord de la S eine, justement devant l'une des îles qui appartiennent à notre bon roi.» Belle-mère de Jean Jacques Marie Huvé, née Cécile Félix ( ) 19 - Les enfants Huvé sont : Félix Jean ( ) qui est Ingénieur civil des Mines et sera maire de Sablé (72) ; Adrien ( ) ; Félicie ( ) dont il est question ici ; et Louise Huvé ( ) On y apprend qu Adrien Huvé est matelot sur un vaisseau de la marine royale. Quand il aura 25 ans, il se destine à être Capitaine au long - cours. Sera lieutenant de vaisseau ; époux de Louise Jeanne Émile Cresson ; meurt le 12/2/1873 en son domicile sis au lieu -dit Lagrange, Juigné-sur- Sarthe (Sarthe). Inhumé cimetière du Père -Lachaise, 32 è me div. (1 è r e section) chemin de la Bédoyère, 1 è r e ligne (Paris 20 è me ) Barthélémy Caillat ( ) ; il a 77 ans et décèdera le 26 novembre. 173

174 Au pré de mon arbre Samedi 24 Je me suis éveillé de bonne heure comme de coutume et, comme de coutume, Dieu merci, j'ai fait mon élévation d'âme, priant pour ma femme et mes enfants, demandant pour nous tous la justification, mais durable et non pas passagère. J'étais dans l attention, le lendemain de fête de saint Louis, de m'approcher de la sainte table. C'était bien l'occasion de prier ton patron pour toi d'une manière toute particulière. Et je m'en suis acquitté, ma chère, avec joie. Je viens de voir M. Serre et il s'est inquiété de toi, de ta santé, de ton départ de Paris. Puis, il m'a parlé de Caroline et de l'intention dans laquelle nous pourrions être de la marier, à cause qu'elle est en âge. Il m'a demandé si nous avions donné suite à l affaire dont, toi et moi, lui avons parlé : il parait s'intéresser à elle et, sans s'expliquer, il m'a fait penser que, plus tard, il pourrait indiquer une Occasion qui put nous convenir : le tout en est resté là 21. / Lundi 2 septembre En arrivant ce matin, Caroline nous apprend une nouvelle sinistre, suite d'une imprudence, et d'un dégât dont la cause est le gaz. Un libraire, passage de l'opéra, s'étant aperçu, soit à l'odeur ou autrement, qu'il y avait quelque chose de dérangé dans l'appareil, vient pour visiter la chose. C était tard dans la soirée et les becs étaient fermés. La boutique remplie de gaz, la chandelle fait explosion qui tue l'homme, brise tout, blesse plusieurs passants. Mais tout cela n'est rien, absolument rien, si tu veux savoir. Je te dirai, mais, d'abord, dit le Te Deum. Va au plus vite à Rosny, à Perdreauville, n'importe où, à Mantes s'il le faut. Va vite entendre une messe d'action de grâce, qu'elle soit la plus belle pour toi, c'est à dire celle à laquelle tu auras été la plus attentive à louer la bonté de Dieu, à le remercier de ce qu'il fait. Prie, supplie, obtient et revient encore à louer Dieu de tout ton cœur ; tu n'en seras pas fâchée. Un grand pêcheur est revenu, il demande pardon à Dieu et à tous les fidèles pour lesquels il est depuis si longtemps le sujet de scandale. Il a fait une rétractation publique comme sa faute l'a été, et, dans ce moment, il fait pénitence au séminaire. En un mot, M. Auzon 22 se rétracte. Je dis M. Auzon car il me semble qu'il n'a rien d'abbé, qu'il ne peut avoir aucun pouvoir puisque celui qui croit l'avoir fait prêtre n'en a pas la puissance : au surplus, je ne sais rien de cela, tout ce qui m'enchante, c'est la conversion d'un homme qui entraînait tant de personnes dans la chute. De là, on peut espérer que ce nouveau Schisme a eu un grand échec. Il demande pardon, on dit qu'il est sincère dans sa rétractation ; nous devons l'aider de nos prières. Se pose la question de la succession ouverte par le décès de son frère Jean, survenu le 4 mars 1855: «Mardi 17 (ou 27, mais la lettre suivante nous fait pencher pour le 17) avril 1855 Mon ami il m'a fallu attendre les roses (Céline) il n'y en avait point de faites : les feuilles de pommier de Pétard aussi Pour cause, Caroline sera religieuse Louis-Napoléon Auzon prêtre de l'église Française de Clichy, appartient à l'église Française fondée vers 1830 par M. Chatel, rue du Pasde-la-Mule, près de la Bastille. 174

175 Monique Duchesne C'est en attendant que je t'écris : d'abord je te remercie d'avoir fait prier Dieu par ton petit Joseph. Maintenant tu peux faire cesser les prières de ce cher enfant car je viens d'apprendre il y a une heure que Deneria est nommé. Je le tiens de M. Paris auquel le fils Deneria a dit que son père avait sa nomination. Cela fini tout Je n'en suis pas moins reconnaissant de tous les témoignages d'intérêt que vous tous m'avez donnés en cette circonstance mais du moment où j'ai su que M. Taschereau 23 poussait son candidat et le faisait pousser par M. Fould, j'ai renoncé à toutes espérances. J'ai reçu hier une lettre de ta maman qui est partie mercredi, elle paraît assez contente, du moins de la position et de la vue, du spectacle que lui donne la basse-cour et les vaches qui jouent dans une plaine et courent dit-elle comme les chevaux et Françoise, l'une d'elles la lèche comme Follette. Caroline, tu le sais, sort de chez Mad. Gallyot puisque elle quitte le commerce pour aller vivre et mourir peut-être à la campagne. Caroline cherche une maison pour passer l'été. Il est difficile de la trouver vu que tout le monde est pourvu. Si elle reste avec moi, elle ira vous voir. Dans un temps nous avons comme pensionnaire Mad. Carborie. Jusqu'à présent elle n'est point gênante et cela va assez bien à Caroline et Clémence. Nous verrons si plus tard on lui fait le Sabba. Je savais bien t'être fort agréable en te confiant les archives de la famille. De mon côté j'ai le portrait au pastel de mon bisaïeul fait en 1744 par son fils Antoine Duch. mon grand père ; le portrait de grandeur de nature est fort bien : il représente un homme de 70 ans ; de 1744, ôter 70 il reste 1744/70 = 1674 ; il serait donc né en Je crois que son nom est Denis ; les deux feuilles de parchemin, au bas desquelles est un sceau enfermé dans une boîte de fer blanc doivent te donner ces détails : je crois aussi qu il était prévost des Bâtiments du Roi : et il me semble que l'un des parchemins est son licenciement des Gardes de la Compagnie... Peut-être alors serait celui qui était Garde du Corps de Louis XIV. Noté en marge de la lettre : Donne-moi aussi la naissance d Antoine Duchesne Donnes moi ces éclaircissements ; Un Dimanche et tu obligeras celui qui a la satisfaction d'être ton père. Je t'envoie des cheveux de mon frère, coupés à l'instant de sa mort, j'y ai joint aussi d'un autre qui vit encore. Je ferai en sorte d'avoir à la vente quelque même objet qui puisse te faire plaisir. J'ai même entre les mains quelque chose que je te destine et que je t'enverrai un peu plus tard......tu penses bien que je n'ai point le cœur ennemi. Oh non assurément. Mais c'est en contemplant mon père ce respectable homme de Dieu, ce bon serviteur, que j'ai la joie dans le cœur. Oh, ce bon père, je le regarde comme notre protecteur dans le Ciel ; C'est lui peut-être qui a obtenu pour toi les sentiments de foi et de piété et qui les fait perpétuer dans toute la famille : Heureux enfants que nous sommes! Tâchons de l'imiter et de mourir comme lui en méritant l'épithète d'homme de bien comme on lui a donné sur sa tombe. Dis à la chère Marie (Marie Heudin, épousée par Henri en 1827 ) que je ne la sépare point de toi quand je t'adresse la parole.» 23 - Directeur de la Bibliothèque Nationale D autres archives indiquent le 2 novembre 1663 au 27, rue du Roi de Sicile & 10 rue Pavée à Paris. 175

176 Au pré de mon arbre La nomination de Deneria lui reste en travers de la gorge... Dimanche 22 avril 1855 Après un jour d'interruption forcée par indisposition à la vessie causée par la recrudescence du froid : aujourd'hui Dimanche, je reprends ma lettre mes chers amis ; pour me soigner près du feu je n'ai point été à la grand messe et je chante les vespres en vous écrivant. Je viens de recevoir ta lettre de Condoléance mon ami ton amour filial est un puissant baume pour le cœur de ton père. Je te remercie de me l'avoir envoyé dans cette circonstance. Je profite de ce malaise pour demander un congé d'un mois à mes bons messieurs que j'ai trouvés doux comme une soie ; je m'en doutais. Je t'écrirai avant de partir. Aujourd'hui je te dis seulement que relativement au pastel de 1744 je sais que cela est Nicolas Duchesne père d'antoine. Garde du corps de Louis XIV en faveur duquel on créa la charge de Prévôt des Bâtiments du roi pour le dédommager d'avoir été forcé de quitter la Compagnie des Gardes par l'effet d'une ordonnance exigeant que les gardes fussent nobles, or Nicolas étant noble Bourgeois de Paris tout simplement il fallait sauter le pas. Je te demanderai seulement l'année de la naissance de cet aïeul et un jour tu verras l'emploi que j'ai fait du tout. Ici, une écriture différente, celle de l'une de ses filles, Caroline (née en 1819) ou Clémence (née en 1825). Mon père est malade depuis mardi ; il ne se lève pas ; il se ressent beaucoup de son mal à la vessie de sorte qu'il vomit fréquemment et a beaucoup de fièvre, cependant nous espérons qu'il n'en sera rien. Les roses que mon père a commandées chez M lle Céline ne sont pas encore faites ; il est en les attendant. Le prix des feuilles chez Pétard est de 30 c la grosse ; il y en a trois. La note de Briant se trouve ci-jointe. Henri Duchesne ( ) Henri est né le18 mars 1823, à Paris, Hôtel de la Tête-Noire ; il est le fils de Guillaume et Louise Lecomte, dit Bayencourt. Le 30 janvier 1832, il va avoir neuf ans, on sait, par la correspondance de son père, qu il est en pension à l Institution Boucher, à Laigle. Les différents courriers ne sont que leçons de morale ; aucun fait familial n y est énoncé. On y apprend toutefois le nom d un de ses camarades : Bardout. Il est question, outre M & M me Boucher et leur fille de 18 ans, les bonnes de la maison qui le chouchoutent, de M me Bisson qui prend en main l Institution à la suite des Boucher. Il y a aussi son directeur de conscience, l abbé Voiturier, et plus tard l abbé Charretier (ou Chartier). On y parle aussi, en 1835, des maîtres, M. Pigé et M. Delaude, et une voisine, M me Champion,. Il rentre chez ses parents à chaque vacances trimestrielles. Le 1 er février 1833, on apprend qu il a été premier de sa classe. Sa sœur Hortense, qui a 7 ans, montre des dispositions pour la musique ; au piano elle fait voir justesse, aplomb et fermeté. 176

177 Monique Duchesne De Paris, 4 juin 1833, sa mère Louise est de retour de Beauvais où elle a été passer les fêtes de la Pentecôte avec les sœurs d Henry qui se portent bien. Augustin est de plus en plus espiègle. Caroline a parlé de t'écrire, mais dire et faire sont deux. Le 4 février 1834, son père, doit prendre conseil auprès de M. Paris, son professeur de musique, pour le conseiller sur le choix d une Méthode de flûte. Le 30 mars 1834 (Jour de Pâques) son père se rend à Laigle. On y parle de la mise en pension future d Augustin qui n a que 3 ans! et sait tout juste dire son nom : Ton jeune cadet n'est qu'un vrai faubourien. À peine sait-il dire comme il se nomme, il faut voir toutes ses grimaces pour dire O-gu-tin qu'il pince, mord, exige impérieusement. Si tu l'avais vu, les jours derniers, pendant les troubles du quartier S t -Martin : A chaque fois qu'il entendait le rappel, il arrivait à moi, culbutant les chaises et me donnant une poignée de main : adieu Papa, adieu ; puis il traversait les chambres en courant, son tambour pendu au bout de son fusil, qu'il portait sur l'épaule, et criant tue, tue : il remplissait la maison de ses cris de joie. C'est vraiment un charmant enfant! En faut-il plus pour être l'idole de sa mère? Henry rentre en 6 ème à Pâques 1834 Le 31 décembre 1834, il écrit de Laigle à sa sœur Caroline pour lui souhaiter ses vœux. Paris, 26 février 1835 / C'est une petite sœur que nous avons nommée Marie. C'est Augustin qui en est le parrain avec Clémence. Voilà une nouvelle sœur qu'il faut aimer à l'égal des autres. / Quand tu viendras aux vacances prochaines, tu verras Clémence et Hortense : elles ne sont plus à Beauvais, la maison dans laquelle elles étaient a une succursale à Conflans près de Paris ; c'est à 3/4 de lieu de nous, au bord de la Seine, au dessus du jardin du Roi. C'est une promenade charmante pour y aller. Elles ont une magnifique maison avec un spacieux jardin exposés l'un et l'autre en plein midi, en pente douce, donnant vue sur une campagne très étendue. La Seine court au bas du jardin qui est bien planté d'arbres qui sont grands et forts, donnant une ombre délicieuse pendant les chaleurs. Il y a vigne et arbres fruitiers en quantité ; jusqu'à des poissons rouges dans un bassin entouré de rocailles. Je n'ai jamais vu le Paradis terrestre, au moins, je ne m'en souviens pas, mais je crois qu en comparaison du jardin de Conflans, ce n était qu un clos aride entouré de masures Paris 26 février 1835 Il est question de sa 1 ère communion 177

178 Au pré de mon arbre Il est fort à craindre qu'avant peu de jours j'aurai une bien triste nouvelle à t'apprendre, la mort menace ton oncle S t -Romain 25. Mais à tel point que depuis 12 jours on est étonné de le voir encore vivant tant il est abattu par la maladie. Il avait conservé toute sa tête mais déjà il balbutie, la langue est embarrassée et toutes ses facultés sont disparues. Il est administré, il y a trois jours. Prions mon fils, prions pour nos parents prêts à paraître devant Dieu. Paris le 9 juin 1835 Guillaume relate à son épouse la visite qu'il vient de faire à Henri, en pension à Laigle, accompagné de ses deux filles et d'augustin,.../... Cette instruction entendue au catéchisme m'a donné la meilleure idée de M. l'abbé Chartier : c'est un homme de 36 ans, natif de Laigle, de peu d'apparence, d'une instruction très étendue, d'une douceur évangélique, simple dans ses paroles et d'une piété qui se fait connaître facilement sans aucune ostentation. J ai été, après le catéchisme, lui faire ma visite, introduit par M me Boucher. Par ses discours j'ai connu qu'il avait été fortement prévenu en ma faveur soit par M. Boucher soit par l'abbé Voiturier ; / Dans la fin du jour nous avons été voir une papeterie établie sur la petite rivière qui circule dans les prés aux environs de Laigle ; la pluie depuis deux jours avait donné à toute la végétation une vigueur, de ton, qui est enchanteresse ; la famille Binon était des nôtres et la promenade fut très agréable. M me Binon venait d'apprendre le matin une nouvelle qui la contrarie beaucoup : un médecin, sur la retraite duquel elle ne comptait que dans trois ou quatre ans, vient d'annoncer dans toute la ville qu'il part pour Alger : tu devines sans doute ce qui la contrarie dans cette retraite : c est qu'elle est trop précipitée par rapport à un M. Binon le fils, et que dans trois ou quatre ans, comme on l'espérait, ce médecin se retirant eut été de suite remplacé par M. Gustave. / Nous sommes rentrés vers 10 heures et c'est après déjeuner que je t'écris : il est question d'aller avant de dîner à Courdemanche ; c'est la petite métairie qui appartient à M. Boucher, à une lieue de Laigle. M. l'abbé Voiturier, curé de Crouley, est instruit de mon arrivée à Laigle. Il vient de faire dire qu'il viendra me voir ; il a bien voulu ajouter que je suis son ami. M. Boucher a fait engager à dîner pour demain, quoique jour de jeune.../... Dans toutes ses lettres Guillaume fait état de ses convictions religieuses. D autres lettres montrent qu Henry a pour compagnons de classe : Jules Rossignol, Bardout, Pauthonier, Paul Leman, Ernest Marin, Charles Bisson 26 Le 8 juillet 1836, Henry Charles Duchesne est confirmé dans l église de S t -Nicolas-des-Champs Décèdera le 1 er avril d'un ulcère au foie. Son fils Frédéric, accouru de sa garnison, tombe malade et ne peut assister à l'enterrement Dans une lettre il dit de saluer M., M me, M l l e Bisson Rue S t Martin dans le 3 e arrondissement de Paris. 178

179 Monique Duchesne Lettre d Henry Duchesne à son ami Jules Rossignol 28, à l institut Boucher Laigle ; 1837 (Ne montre cette lettre à personne) Mon petit ami Je n'ose plus te répondre maintenant. Tu dois prendre ce retard comme une indifférence de ma part, cependant je t'aime toujours bien. Je suis dans une maison de commerce où je m'ennuie à la mort ; Tu sais qu'elle était mon ennui à l'aigle, c'est pis encore. Primo. Depuis le matin jusqu'au soir je fais des courses et je porte des paquets forts lourds. Secundo. Les jeunes gens avec qui je suis sont corrompus et ils me tourmentent. Si tu savais, j'éprouve tant de fatigue que, le soir, depuis 7 jusqu'à 10, je dors ; j'ai beau me mettre debout, le sommeil l'emporte. Il y a six mois que je suis dans cette maison. Je pleure du matin au soir. Je te demande une grâce, c'est de dire pour moi un Ave Maria tous les jours. Le temps que je regrette c'est le temps où je m'entretenais avec toi, c'est le plus beau temps de ma vie. Si j'ai retardé si longtemps à te répondre à la lettre qui m'a fait tant de plaisir c'est que je n'ai vraiment pas eu le temps. Le dimanche, je vais à la maison, le temps de déjeuner, s'habiller, aller à la messe maintenant (maman me donne une leçon de piano tous les dimanches), aller à vêpres et dîner, tout mon temps se trouve employé. Il est onze du soir, je sacrifie une heure pour t'écrire quoi que j'ai bien envie de dormir. Je me couche le soir à onze heures trente et le matin je me lève à six heures. Pardonne-moi ce griffonnage mais voilà six mois que je n'ai pas écrit. Si je n'avais pas envie de dormir j'en aurais plus long à te dire mais enfin l'heure est venue, il faut que je me couche. Adieu, espérons que nous nous entretiendrons une autre fois plus longtemps. Travaille bien. Je ne puis rien t'envoyer aujourd'hui. Adieu. Adieu mon petit ami, je t'embrasse comme je t'aime ainsi qu'augustin. Ton petit ami qui te sera toujours fidèle. H. Duchesne à son ami Jules Rossignol, au petit séminaire Séez 29 Tu peux montrer cette lettre à tes amis Paris 26 juin 1837 Mon cher ami.../... Tu sais que la S t Pierre est le 29 juin ; c'est l'anniversaire du jour où j'ai été délivré de cet ennui et de cet espèce d'esclavage que j'avais en apprentissage chez M. Durand. Henry fait du modelage, en 1838, avec M. Fauconnier : «il fait bien mais n en fait pas assez.». à son ami Jules Rossignol Paris 28 juillet Souvent orthographié Roussignol Oblitéré à Laigle le 27 juin ainsi qu à Seès (normalement Sèes!). 179

180 Au pré de mon arbre / Je ne puis t en dire davantage parce que je suis pressé d aller travailler quoique ce soit fête à Paris. / Lettre de Guillaume D. à son fils Henry résidant à Villiers-en-Désœuvre Canton de Sounières 30 Paris, le 4 août 1841 Mon cher ami. J'ai écrit à ta maman une lettre double, dans l'intention de la lui envoyer par le messager mardi de cette semaine : je l'ai gardée, et je la lui donnerais plus tard : aujourd'hui, je t'adresse cette lettre, pour vous donner connaissance à tous deux des informations que j'ai prises au sujet du commerce du miel. J'ai vu M. Mourrier lundi : le résultat de notre conversation fut que les ruches rapportent sauf les accidents inévitables causés par le temps ; mais dans Bezons, comme dans nos environs, il n'y a pas assez de pâturages, de prairies, surtout de sainfoin et de bois ; choses qui sont indispensables. Tu sais aussi que le pays de blé leur est inutile, et que le voisinage des eaux larges exposées aux vents leur est fort contraire. Donc, il est naturel et facile de voir que Bezons et ses environs ne valent rien. Néanmoins, les ruches qu'il gouvernait jadis au nombre de 60 rapportaient 3 et 400 francs ; une année, même, elles donnèrent 600 francs. Mais, après tout, il ne faut pas penser à en faire un état dans ces pays-ci. M me Mourrier a demeuré 3 ans à Estampes chez des personnes qui en faisaient commerce, et qui avaient 1500 ruches. Je revins à Paris de suite, et j'allais voir cet individu ; il se nomme Cochery. Il me dit que depuis l'âge de 14 ans jusqu'à 40 ans il avait fait ce métier tant chez les autres que pour son compte. Qu'il aimait beaucoup ces petites bêtes et il en aurait encore si sa femme ne l'avait pas tant tourmenté pour les quitter et venir s'établir boulanger à Paris. Une partie des départements de Seine-et-Marne, Loiret, et Seine-et-Oise, forment l'ancien Gatinay dont le miel a de la renommée à Paris. Il s'agit de choisir un endroit à proximité des arbres fruitiers, des sainfoins, et des bruyères, afin d'avoir ces trois floraisons qui se succèdent et donnent ample pâture aux mouches. Il était à Étampes parce que c'était son pays ; il y a encore son frère qui est établi épicier et fait aussi cire et miel. Mais s'il s'agit de se placer ou de choisir le village le mieux entouré, par exemple, m'a-t-il dit, entre Fontainebleau et Pithiviers. Quant on est à certaine distance de l'une de ces floraisons, on transporte ses ruches là où il est nécessaire, on les porte le soir, et après cette floraison passée, on trouve une seconde récolte de miel. M. Cochery avait 1500 ruches et voulait faire la culture en grand parce qu'il a toujours voulu augmenter son avoir. Il est bien certain que plus on a d'ambition, plus il faut se remuer et plus on court de risques. Je lui ai demandé si un homme aimant la tranquillité et recherchant seulement qu'à vivre, sans avoir l'ambition de faire fortune, pouvait se risquer raisonnablement à faire cet état. Il me répondit que rien n'en empêchait. Que pour le nombre qu'il fallait pour commencer, qu'il ne pouvait rien dire parce qu'il arrivait que quelquefois avec peu on faisait beaucoup si l'année était bonne, mais aussi qu'il pouvait arriver qu'on perdit une grande partie si l'année était mauvaise. Mais qu'avec de l'ordre et de la patience on pouvait se tirer d'affaire. Il y avait de l'argent à 30 - Aurait-il voulu dire Saulnières (Eure-et-Loire) alors qu il s agit du canton de Pacy-sur-Eure (Eure). 180

181 Monique Duchesne gagner, mais qu'il fallait savoir qu'on ne pouvait pas plus compter sur la chose qu'un laboureur ou un vigneron ne pouvait compter sur les belles apparences. M. Cochery s'offre à nous donner de nouveaux détails ou à nous rappeler les mêmes, mais il dit aussi qu'il est nécessaire de voir par ses propres yeux comme les choses se pratiquent. Que tu pourrais aller, comme amateur d'abord, voir son frère avec une lettre de lui. Ensuite les autres pour causer comme simple amateur, pour éviter la jalousie de métier. Consulte ta maman et ta mère nourrice. Réfléchissez à vous trois, voyez le bon et le mauvais. Si tu veux te promener par là (ce n'est pas les Pyrénées) je t'accompagnerais dans le mois de septembre. Fontainebleau me rappelle Joseph qui y demeure chez son neveu. Comme je compte sur l'intérêt qu'il me porte, je vais lui écrire et prier son neveu de me donner connaissance si on cultive des abeilles dans ses environs. Au moment où je t'écris, je viens de recevoir, à l'instant même, la visite de M. Leleu. Je lui ai parlé de tout cela et, justement, il se trouve que l'un de ses frères est établi et marié à Melun ; qu'il est ami de l'ancien fermier de Barbizon près Fontainebleau ; que lui, qui me parlait, a été passer quatre jours dans cette ferme avec son frère, qu'il y a une quantité de prairies, quantité d'arbres fruitiers. Barbizon est un petit village entouré de petits bois et maisons de campagne et d'un ruisseau à 1/4 de lieue, à 1/4 de lieue de la forêt de Fontainebleau, du côté où se trouve beaucoup de bruyères. Ce hameau est près de Chailly qui se trouve sur la route de Paris à Fontainebleau. Pour abréger, je te dirais sans te rapporter tout ce que nous avons dit à ce sujet, que nous avons vérifié ce qu'il a dit, en regardant la carte de Cassini, et que toute sa déclaration s'est trouvée exacte. Ainsi, je vais, aujourd'hui même, écrire au frère de Melun lui demander si le pays est propre à la ruche. Qu'il veuille bien s'en informer auprès de son ami ; et mieux encore, samedi, jour du marché, qu'il veuille bien prendre ces informations auprès de ses connaissances qui sont en grand nombre répandues dans les campagnes, parce qu'il est horloger et qu'il va faire des remontages de pendule dans beaucoup de villages et fermes. Sa femme vient à Paris mardi ou mercredi de la semaine prochaine, elle me rapportera la réponse. M. Leleu, de Paris, l'amènera pour voir la bibliothèque ; donc je la verrai. Ou si elle n'avait pas le temps de visiter pour satisfaire une curiosité inutile aux gens qui viennent à Paris pour affaires, il m'écrirait un mot et j'irai la voir. Donc, encore, je saurais quelque chose dont je t'instruirai. Dis à ta maman que si je ne lui écris pas cette fois, qu'elle se souvienne d'une partie seulement de tout ce que je lui ai écrit. Amitié à Joséphine, à ton frère et à ma petite Marie. Ton père Duchesne À la suite, Ma chère amie, j'ai reçu ta lettre après avoir terminé celle-ci, et, sans répondre à la tienne maintenant, je te prie de considérer que je ne mets point d'enthousiasme ; j'agis avec toute la réserve possible. Je n'ai pas dit qu'il fallut faire des sacrifices d'argent pour établir des ruches en ce moment, ni le printemps prochain. Je désire seulement étudier, et qu'henry étudie la chose de près. Je pense qu'il faut attendre des renseignements de Melun avant de se tenir à une chose arrêtée. Tu sais, aussi bien que moi, la difficulté qu'henry éprouvera de gagner de quoi vivre à Paris. Nous n'avons jamais parlé de fortune à amasser, et c'est là ce qui attire à Paris 181

182 Au pré de mon arbre le paysan qui se sent un caractère ambitieux et qui ne saura pas se contenter de vivoter en sabots. Mon fils n'est point un monsieur de Paris et il ne cherche pas à se faire paysan dans le sens que présente un cultivateur faisant valoir par lui-même. Henri dessinateur à Paris, tant qu'il sera jeune homme, gagnera 50, 60 ou 80 francs tout au plus et, du moment où il aura 36 ou 40 ans, personne ne l'emploiera dans un atelier (ceci est le jugement de M. André). De la manière dont je te le présente, dans un village, il peut faire du miel jusqu'à 60 ans et plus, et encore avoir la chance de rencontrer, pour épouser, une femme qui apportera tel petit commerce que tu voudras supposer. Lettre de Guillaume (probablement à son épouse) ; Paris, le 23 juin 1838 ; seul un passage retient l attention : / Pour changer de matière, je me porte vers Jean 31 : il est maintenant, par ordre du Préfet de police, détenu à Bicêtre comme aliéné. Le commissaire de police de mon quartier est venu hier, m'a fait lire la lettre du Préfet de police qui l'a instruit de cela et le charge de faire une enquête chez moi et dans toute la maison pour savoir la nature de la folie, les actes de démence que Jean aurait pu faire, le temps vers lequel on a pu remarquer le commencement de cette aliénation. Le tout dans le but de le guérir de sa folie. On désire beaucoup connaître sa famille et ses habitudes ainsi que les personnes qu'il fréquentait alors qu'il était libre. On aurait était satisfait qu'il eut une malle, des effets pour tâcher de trouver à le connaître par des papiers qui auraient pu s'y trouver. Comme il m'est impossible de donner satisfaction à toutes ces choses dernières, je m'en suis tiré comme je l'ai pu. / Lettre d Henry Duchesne à son ami Jules Rossignol Mon cher ami, Profitons de l'occasion qui se présente maintenant pour toi et pour moi. Maman est allée à l'aigle passer quelque temps chez M. et M me Boucher. Je te prie de me répondre et d'envoyer les noms de ceux qui voudront bien s'associer ; pour toi, je suis sûr que tu feras ce que je te demande, c'est à dire t'associer avec moi..../... Lettre d Henry Duchesne à son ami Jules Rossignol Mon cher ami Après le long intervalle qui s'est passé entre les deux dernières lettres et ma réponse, tu dois croire que je ne pense plus à toi. Tu sais, cher ami, que ce n'est pas indifférence mais que c est l'impossibilité qui m'a retenu. Ne gagnant pas assez d'argent pour pouvoir payer deux ports tous les mois, je suis obligé d'attendre une occasion ; il s'en présente une maintenant, M me Boucher vient à Paris pour consulter un médecin sur la santé de sa fille..../ Je vous ai fait associer quelques jours après ta demande..../ Tu sais, mon cher ami, que lorsque je gagne quelque chose je le mets à la caisse d'épargne. Au mois de février dernier, j'ai gag 15 jours quatre-vingt francs ; peu de temps après, j'ai reçu 60 francs mais il y avait 30 de dépenses avancées par papa ; en 31 - S'agirait-il du frère de Guillaume qui pourtant sera Conserv a- teur en chef (1839) du cabinet des Esta mpes à la Bibliothèque Impériale. 182

183 Monique Duchesne recevant les 60 francs j'en donne 30 à papa qui me les a donnés. Dans l'espace d'un mois, j'ai mis 140 francs à la caisse d'épargne, mais tous les mois ne sont pas comme cela et tant bien même ils seraient semblables au mois de février, je ne pourrais pas davantage t'écrire si ce n'est par des occasions. Je crois en avoir trouvé une : Pauthonier reste à Paris dans un magasin de mercerie rue Saint-Denis ; je tâcherai de pouvoir lui demander s'il ne se chargerait pas de prendre un petit paquet qui irait à Verneuil et, de là, a Séez..../ Je te dirai qu'alfred de Bossac, que nous aimons bien, est au collège de Versailles où il est en troisième. Et que M. Damour(?), professeur d'écriture et de calcul, est dans le même collège. / Je t'envoie un petit livre blanc qui est de ma façon car tu sais que j'ai été chez M. Duranruel 32, papetier 33. / Je t'envoie quelques échantillons des médailles de papa ; je pense que pourra peut-être lui en faire vendre car qui en fournit pour les séminaires de Paris et pour les couvents de Rennes, de Lyon, Bordeaux, Angers, Poitiers, Metz, etc. / Duchesne irneh lire henri inversé Lettre d Henry Duchesne à son ami Jules Rossignol (au Petit séminaire) Henry relate l assemblée générale de la Société de St Vincent de Paul, à laquelle il appartient. Lettre d Henry Duchesne à son ami Jules Rossignol Mon petit Jules L'église Saint-Germain l'auxerrois est une église qui était fermée en 1832 parce que l'on avait un service pour le duc de Berry..../... Je ne suis plus dans la maison de commerce ; Dieu soit béni! Je suis chez mes parents, je vais dessiner chez un ornementiste depuis 10 jusqu'à midi et de 2 à 5 heures. Je suis au comble de ma joie. Maman me donne deux leçons de piano par jour et une leçon de chant. Viens prendre part à ma joie.../... H. Duchesne ton ami Lettre d Henry Duchesne à son ami Jules Rossignol au petit séminaire de Séez. 13 X bre 1841 Mon cher Jules / 32 - En 1830, Jean-Marie Désiré Durand et Marie-Ferdinande Ruel reprennent la papeterie de la famille Ruel qui prend alors l enseigne D u- rand-ruel. Point de rencontre pour les artistes et les collectionneurs, et galerie. En 1839, la galerie déménage dans un quartier plus élégant, 103 rue des Petits Champs, près de la Place Vendôme Dans une autre lettre à son ami Rossignol : «Je suis on ne peut pas plus heureux depuis que je ne suis plus chez ce papetier.». 183

184 Au pré de mon arbre Hier dimanche 12 décembre, j ai été à l assemblée générale de la Société S t Vincent de Paul / le nombre de familles visitées par les confrères de Paris est de Henri Duchesne vend son fonds de commerce de fabrique de fleurs à M. et M me Paquai. 6 mars 1848 Entre les soussignés M. Jean Baptiste Matthieu Paquai, compositeur typographe et M me Hortense Duchesne 34, son épouse, qu'il autorise, demeurant ensemble à Paris rue Videlot 7, d'une part, Et M. Henri Duchesne, fleuriste, demeurant à Paris, rue Neuve des Petits Champs n 12, d'autre part, A été convenu ce qui suit M. Henri Duchesne vend par ces présentes et s'oblige à garantir de tous troubles, saisies, revendications et autres empêchements quelconque, à M. et M me Paquai, qui l'acceptent, le fonds de commerce de fabrique de fleurs, consistant 1 e dans les pratiques et achalandage, y attaché, 2 e dans les marchandises confectionnées et les marchandises non confectionnées dépendant du dit établissement, 3 e dans les outils et ustensiles servant à son exploitation et, 4 e dans les meubles meublants garnissant le salon de vente. Les dites marchandises, outils, ustensiles, meubles meublants et effets mobiliers détaillés en un état que les parties en ont dressé entre elles et qui est demeuré ci annexé. / M. et M me Paquai auront la possession et jouissance du fonds de commerce, présentement vendu, à compter du 15 février / Cette vente est faite moyennant le prix principal de 4000 francs. / Enfin, il est expressément convenu aussi comme condition essentielle avec M. Henri Duchesne que, s'il revient à Paris, il ne pourra s'établir comme fleuriste. / 22 mars 1848 Henri Duchesne quitte Paris Passeport à l'intérieur valable pour un an Nous préfet de police Invitons les autorités civiles et militaires à laisser passer et librement circuler de Paris département de la Seine à Nozay département de Loire inférieure Le citoyen Duchesne Henri profession de fleuriste natif de Paris département de la Seine demeurant à Paris rue Villedot 35 n 7 et à lui donner aide et protection en cas de besoin Délivré sur Certif t et p t pé Fait à Paris le 22 mars 1848 pr le Préfet Âgé de 25 ans 34 - Sœur d Henri. 35 -Orthographié avec un t. 184

185 Monique Duchesne taille d'un mètre 70 centimètres cheveux bruns barbe brune front haut menton rond sourcils noirs visage ovale yeux brun-roux teint brun nez moyen bouche moyenne Prix du Passe-port : Deux Francs Le même certificat sera délivré le 28 novembre 1851 pour librement circuler de Paris à Tours département d'indre et Loire. Henri Duchesne avec sa femme et sa fille âgée de 2 ans est alors fabricant de fleurs artificielles et déclare demeurer 14 rue neuve des petits champs. Son signalement a légèrement varié : il est alors âgé de 28 ans, taille d'un mètre 68 centimètres, et le teint est ordinaire. Le prix du passeport est de 2 Francs Lettre de Guillaume à ses enfants qui sont à Tours (Henri, Caroline, ), 30 février 1852 Mes chers enfants, à peine ai je reçu de vos nouvelles que je désire de nouveau le moment où vous nous écrirez les uns ou les autres ; et, à cet égard, je vois que c'est toujours Henri qui prend la plume ; vous n'avez pas établi de tour entre vous, à ce qui paraît, et Caroline se retire tout à fait de cette peine. Vous auriez cependant à nous communiquer mille détails qui nous intéresseraient assurément. Henri nous a dit qu'elle brodait en or. Je pense que c'est en lamé : Est-ce sur tulle ou étoffe pour la parure ; est-ce pour les ornements d'église comme les chasubliers le font. Elle a travaillé chez M. Corderau est-ce à titre onéreux pour elle ou bien le travail qu'elle fait a-t-il payé l'apprentissage. Nous avons écrit d'ici à Hortense qu'il ne fallait accorder aucune confiance à cet homme, que ses antécédents à Tours sont très mauvais, qu'il doit à tout le monde, qu'il a manqué déjà manger tout ce qu'il avait et que, dorénavant, quand il ne pourra plus tenir, il ira en Amérique tenter fortune. Tels sont les propos qu'il a tenu en personne à quelqu'un de la Tranchée et qui habite Paris ; elle a dit cela a Paquai. Ainsi, faites y attention en cas de crédit ou d'ouvrage fait pour lui sans être au comptant. Quant à sa femme, elle est, dit-on, charmante et sa victime en cela. Si je répète cela, c'est bien entendu dans votre intérêt et non pour répandre les mauvais bruits qui peuvent déshonorer. C'est assez sur cette partie, je veux vous parler de vous : et cependant vous en parler serait peut être dangereux. Qui sait si une demande, n'importe laquelle, ne paraîtrait pas ou indiscrète ou avoir tel caractère fait pour froisser. Ce qui est loin de ma pensée, je crois que vous en êtes persuadés. Oui et cependant cela m'est souvent arrivé de voir prendre en mauvaise part ce que je disais dans un sens qui ne devait point offenser. Je devrai en avoir l'habitude et n'y point faire attention, mais je suis encore trop jeune apparemment et ne suis pas encore endurci. À la prochaine lettre donnez nous connaissance de la position dans laquelle vous êtes quoi qu'elle change peu il est vrai. Mais comprenez ce que c'est que notre désir que ne nous permet pas de rester en stagnation. Adieu tout à vous, votre père Duchesne Partie 30 février

186 Au pré de mon arbre Lettre de Guillaume à Henri ; 5 juin 1852 Chers enfants, puisque vous avez terminé votre belle broderie, il faut en rendre Grâce à Dieu qui a inspiré les Dames qui ont été je crois fort utile ; cela nous a fait le plus grand plaisir ; il nous reste cependant à savoir si le prix pourra vous satisfaire ; considérez, si vous calculez vous-même pour demander le salaire ; considérez que vous aviez ces dames pour ouvrières et qu'il faut que le temps qu'elles y ont mis soit complet, sans quoi elles ne vous auraient rendu que peu de service. Vous parlez d'un fauteuil. C'est bien, mais vous aurez, j'espère, assez de temps pour vous reposer. Caroline nous a promis des détails, nous les attendons. Je crois que son temps est bientôt fini ; c'est comme un exil, dit-elle, qu elle ne le croyait pas ; au moins elle sera toujours bien venue et bien reçue. Le lendemain de l'octave de la fête Dieu est le jour qu'elle a fixé avec sa maman pour revenir ; nous n'en sommes pas éloignés. Il paraît que le voyage à Thomery recule à mesure que le temps avance. M me Lemme a écrit ces jours derniers. Elle attend très prochainement votre maman avec Caroline et moi-même, le tout jusqu'au 15 juillet. Sans doute qu'elle avait le transport quant elle écrivit cela, et moi j'ai peur du délire. M lle Theresa est mal portante. J'écris sans savoir si Hortense ou son mari se rendront à vos invitations réitérées, et je suis dérangé à mon bureau pour donner Bulletin et laissez (illisible) de sorte que les idées s'échappent ; vous pouvez le voir au décousu de mes phrases. Je t'ai dit que la palme avait été donnée à M lle Lorraine le jour même de ton départ ; elle n'est pas encore montée. Je pense que tu la verras avant son départ. M. Horeau a signé comme je vous l'ai dit, a reçu du Ministre l'ordre de ne point paraître dans les salles et de ne point siéger au Conservatoire : j'ai reçu ses adieux hier. M. Sergent a également refusé de signer entre les mains de M. Naudet ; il a même résisté longtemps. Mais M. Horeau, qui était là pour le moment, l'a déterminé et aussitôt il a adhéré. Dans les raisons de M. Naudet sont qu'elles étaient qu'il avait besoin de lui au département des Estampes à cause de mon frère ; voilà qui est flatteur. Je vous embrasse tous de bon cœur. Saluez de ma part les dames Berq et M me Faucheux. Tout à vous, votre père Duchesne Augustin a passé à la révision ce matin 5 juin, et il a été refusé. M. Docquin a perdu sa seconde femme de la petite vérole en 8 jours. M. Gustave Bisson est marié Paris 5 juin 1852 Lettre de Guillaume à Henri, année? Mon ami, j'ai reçu la lettre en arrivant à la Bibliothèque ; demain je terminerai en te disant ce que j'ai fait. 8 juin J espérais trouver des fers de bonne occasion. Mad. Chomard Mérieux m'a dit qu'il fallait les commander avant de les lui commander. Je lui ai fait reproche d'avoir abusé de bonne foi de ma femme qui était venu avec pleine confiance, et à laquelle on a donné 4 mauvais fers, aplatis par place et pour d'autres ébréchés : sa réponse m'a désarmé. Je savais dit-elle l'état dans lequel ils sont, je ne les ai donné que d'occasion, et ces dames 186

187 Monique Duchesne ont paru être pressées de sorte qu'on ne pouvait les faire exprès ; du reste, a-t-elle ajouté, si M. votre fils n'en est pas satisfait qu'il me les renvoie et je les reprendrais. Tu agiras donc comme tu l'entendras. Quant aux verveines, elles doivent venir mardi. Je te les enverrais aussitôt s'ils viennent assez à temps pour cela. Car, presque toujours, je suis pressé de si près que je n'ai pas une minute pour ajouter un mot. C'est qui est encore arrivé pour l'envoi de Paquai à M me Hypp. l'un de ces jours derniers. Je suis arrivé chez mes enfants peu après 3 heures et j'ai trouvé Paquai partant pour la diligence ; J'aurais voulu mettre dans cette boîte une lettre pour Caroline, laquelle aurait contenu celle-ci mais je ne pouvais arrêter le tout pour risquer que l'envoi fut retardé d'un jour. Je suis en mesure pour celle-ci, vous les aurez peut-être attendues avec impatience mais je crois raisonnable d'attendre l'envoi des fers. Sera ce pour mardi, je l'ignore car il faut supposer que Mérieux soit exact : nous le verrons bien. Lettre de Guillaume à ses enfants qui sont à Tours (Henri, Caroline, ) Paris le 30 juin 1852 Caroline travaille à la broderie (ornements d église) pour M. Corderas ; Guillaume recommande de s en méfier, qu il a des antécédents très mauvais à Tours. Lettre de Guillaume à Henri ; 8 juillet 1852 Mon cher ami, Une occasion nous est offerte par M me Riotto pour M me Riotto de Tours : nous en profitons pour t'envoyer plumes, boutons et ce que tu as demandé depuis quelque temps sauf cependant... car j'écris avant les emplettes faites et j'ignore s'il manquera quelque chose. Ta maman est toujours dans l'intention d'aller vous voir, il y a déjà longtemps qu'elle a choisi le 12 août et en effet c'est le jour préférable à tous, le jour seul convenable, le jour par excellence, le seul et unique. / Quant à moi, je resterai avec mes soucis, seul je les supporterai. Le silence me convient mieux que jamais. J'ai le cœur meurtri il est vrai, et je sens que ma compagnie ne peut avoir aucun charme. Je n'ai jamais pu faire contre fortune bon visage. Ma distraction sera de penser à votre satisfaction momentanée. Je vous suivrai jour par jour et je ne vous serai point charge. / Embrasse pour moi ta femme, et Caroline. Dis leur qu'elles ont conservé mon affection. Engage Adéodat 36 à devenir bien sage en grandissant..../... Paris le 8 juillet 1852 Je ne t'envoie que la moitié, ta maman portera le reste. Lettre de Guillaume à Henri 12 juillet 1852 Mon cher ami Offrir quelque chose à la famille Faucheux est payer une dette contractée par la reconnaissance. Aussi n'avons-nous hésité un moment à t'envoyer ce que tu demandes : 36 - Fille d Henry, née en

188 Au pré de mon arbre je crois que M. et M me Faucheux seront reconnaissants, et il est si heureux d'être bien avec ses voisins. Ainsi que toi, nous désirons bien que tu sois par suite occupé convenablement ; remercie bien de notre part M me Bonin. Il est encore une personne à Tours qui vous veut beaucoup de bien et est prête à s'employer à l'occasion : c'est M me Riottot : elle désire beaucoup connaître ta femme, qu'on lui a dit être charmante ; elle te trouve très convenable mais elle ajoute qu'elle entrerait mieux en conversation avec elle et plus amplement. Qu'elle trouverait peut être l'occasion de vous être utile et elle en serait très contente. Comme il ne faut rien négliger, je t'engage à faire en sorte que Marie fasse connaissance avec elle. Tu dois d'ailleurs connaître ces détails, je les tiens de M me Beaumont laquelle les tient peut-être de chez vous. Nous t'avons expédié par M. Riottot de Paris qui envoyait de la musique à M me Riottot de Tours, une moitié des plumes boutons etc. ; le reste arrive maintenant. M me Beaumont a écrit à M me Berck pour lui annoncer que le même envoi contient quelque peu pour elle. Elle lui dit de t'avertir du tout pour que tu ailles chez M me Riottot. Tout cela doit être fait maintenant je le pense. Nous avons lu l'article de la fontaine quoi que tu l'aies bâtonné. Avant tout sache le prix d'une fontaine à Tours car on doit en avoir, puis nous verrons ici s'il y a économie. J'en doute à cause du port, quoique par la petite vitesse. Adieu, mon cher enfant, j'embrasse ta femme de tout cœur ainsi que toi. Ton père Duchesne Paris, 2 (octobre ) Mon ami Selon la demande que tu m'a faites depuis mon retour, j'ai demandé à M lle de Villebon qu'elle choisit un parrain 38. À chaque fois, elle m'a dit qu'elle ne connaissait personne, et même que, si le parrain que tu trouverais avait à sa disposition une marraine, que tu ne la fâcherais aucunement, qu'elle avait accepté par l'amitié qu'elle vous porte mais qu'elle ne se formaliserait aucunement si, trouvant un parrain et une marraine, vous la dégagiez de sa promesse qu'elle tiendra cependant si la durée va jusqu'au bout. Nous en étions là lorsque nous avons reçu la visite inattendue de M. votre oncle Hébert qui nous a parlé de Marie 39 avec un intérêt très grand, nous répétant souvent qu'il l'aimait beaucoup, qu'elle est sa filleule. Et il est resté assez longtemps et nous avons parlé que de vous ; il venait pour vous voir bien entendu et demander l'adresse de votre maman Heudin. La visite se prolongeait et il revenait toujours à dire «C'est ma filleule et je l'aime beaucoup». Nous avons eu l'occasion de dire que vous attendiez la venue prochaine d'un second enfant. Eh! mais, dit-il de lui-même, est-ce que je ne pourrais pas en être le parrain. Sa mère est ma filleule et je l'aime beaucoup. Nous avons accepté en votre nom, l'assurant que vous seriez fort sensibles à un si grand témoignage de bonté et d'amitié pour vous. M. Hébert répétait, 10 fois, «Je me ferai un grand plaisir d'être parrain de cet enfant, sa mère est ma filleule» ; il nous a dit que, le lendemain, il retournerait chez lui, à Orléans, qu'il vous écrirait de suite pour vous annoncer lui-même qu'il désirait être le parrain de l'enfant de sa filleule. Il nous dit et Le 3 octobre 1852 est un dimanche En attente de la naissance de Joseph Duchesne, le 5 novembre 39 - Fille de François et Gertrude Hébert. 188

189 Monique Duchesne redit cela avec une gaieté franche et un entrain des plus aimables. Et nous sommes réjouis de cette circonstance vraiment providentielle. Je t'ai bien écrit que nous avions reçu cette visite mais je voulais laisser à M. Hébert le plaisir qu'il se proposait en vous écrivant lui-même ; c'est par cette raison que j'ai supprimé tous ces détails. Mais je vois que votre oncle ne vous a pas écrit. A-t-il perdu votre adresse? Dans cette supposition, vous feriez très bien de lui écrire, sans lui parler de son offre. Ou bien M. Hébert a-t-il était détourné de son intention, soit à Paris, soit à Orléans : je l'ignore. Mais il serait bien, dans tel position que ce soit, qu'il sache, par vous, que nous vous avons instruit de sa résidence à Orléans ; nous ignorons sa demeure, et il nous a dit seulement que son fils y était, je crois, en garnison. Du reste, la poste doit savoir lui remettre des lettres qu'il reçoit. Voilà un article terminé. Maintenant j'attaque Caroline 40, non pas sa personne mais le récit des aventures dernières qui pourront peut-être amener une position pour l'avenir. Dieu agira comme il l'entend. M me Alexandrine avait très bien reçu votre sœur et, dès le jour même, elle est restée à y travailler, sans appointements, mais avec la table et sa protection. Tout aussitôt, elle propose à Caroline de partir à la fin octobre pour Angers et faire les trois mois de la saison d'hiver à raison de 100 francs par mois. La patronne était à Paris, elles se sont vues et la parole a été donnée. Puis elle retournait chez elle à Angers disant à Caroline, je vous attends. Mais les conditions avaient été dites seulement par M me Alexandrine, comme étant une chose d'habitude entre elles et cette dame angevine. Deux jours après, voilà M. Lucas de Calais et sa fille qui arrivent de la part de M lle de Villebon proposer à Caroline de venir avec eux faire la saison d'hiver, puis celle d'été et traiter avec eux pour lui céder la maison de mode, le père gardant la maison de nouveautés ; toutes deux dans la même maison, dont il est propriétaire, mais séparée l'une de l'autre. Ces deux personnes nous ont plus à tous et aussi à votre sœur. Le bénéfice de la maison parait bon et certain, les conditions étaient douces et par tempérament. Mais il fallait de deux à 3 mille francs pour faire roulement. C'est là le point difficultueux. Enfin, on s'est donné 24 heures de réflexion et au bout desquelles il a fallu refuser entièrement et absolument. Regrets de part et d'autre, sentiments affectueux échangés, paroles affables de chacun, faisant regretter de ne pouvoir se connaître davantage, tout fut mis en usage pour témoigner une sympathie naissante et des adieux terminèrent cette scène. Alors, il fallut reporter toutes ses idées sur Angers. Le moment approchait où il fallait penser au départ. Mais il était prudent d'avoir une certitude donnée par la patronne d'angers, et de lui faire connaître les conditions posées par M. Alex. et auxquelles seules Car. voulait consentir. Son projet arrêté était, au retour d'angers en février, de rentrer près de M. Alex. qui lui trouverait à faire une saison à Londres. Cela était arrêté et aussi certain que le jour qui succède à la nuit. Cependant, il y avait une proposition faite par M lle de Vill. antérieurement à tout ceci, et en voici la substance : Une dame seule à Paris quartier Saint-Martin a créé une clientèle en mode, elle y a gagné f.. Maintenant qu'elle a 60 ans et qu'elle a élevé son fils unique, en le faisant passer par l'école Polytechnique, elle veut céder ; elle désire que l'on vienne passer, avec elle, la saison qui commence en avril et traiter, avec elle, au commencement de la saison d'hiver. Là il n'y a point de marchandises à acheter, n'ayant ni boutique, ni magasin ; elle n'attache pas une grande importance au prix de la 40 - Fille de Guillaume Duchesne, née en

190 Au pré de mon arbre clientèle, et il est dit que cent francs par an pendant trois ou quatre années seraient peut-être les conditions. Pour arriver à la fin de cette longue histoire, j'arrive à dire que, dimanche vers midi, voilà de nouveaux M. et M lle Lucas qui reviennent dire à Caroline qu'ils ne peuvent s'en retourner chez eux sans venir lui faire de nouvelles instances ; il est curieux de dire qu'ils sont arrivés pendant que votre maman écrivait à la patronne d'angers une lettre dont j'avais tracé le brouillon dans lequel Caroline disait qu'elle attendait, pour partir, qu'une lettre vint lui affirmer que la dame acceptait de donner cent francs par mois, payables à la fin de chacun d'eux, et les frais de voyage, et qu'elle voulait bien lui envoyer l'argent nécessaire pour se rendre à Angers. Caroline avait été poussée à cela parce qu'on lui a dit «Vous y serez bien nourrie, vous vous y amuserez, car on vous fera danser, mais faites payer parce que c'est un panier percé.». Cette lettre fut donc interrompue par l'arrivée de M lle Lucas qui arriva au cordon de sonnette en même temps que Jenaïde et son mari. Ils entrèrent tous quatre à la fois. Après les bisous, Caroline nous laisse M. et M me Marchand, et emmène dans sa chambre M. et M lle Lucas ; Une demi-heure après ils reviennent tous trois l'air joyeux et nous firent part de cette dernière décision qui est que Caroline renonce à la place d'angers, accepte celle de Calais et part le surlendemain à 6h du soir pour rester jusqu'au 1 er février moyennant 250 frs. La lettre à Angers est lue et jetée au feu. Les promesses sont renouvelées et l'espoir d'une amitié future est acceptée avec empressement par toutes les parties contractantes. Nous autres, témoins, nous avons applaudi des mains, et pour signe d'adhésion nous avons engagé à dîner les nouveaux patrons de Caroline. Nous en sommes au dimanche. La journée du lundi s'est passée, sans nouveaux événements, à dire et répéter «Ce sont de bonnes gens, nous pensons que tu y seras contente. Ils ont fait tout ce qu'ils ont pu pour t'avoir ; nous aimons mieux cela que l'angevine.». Le dîner, lundi, s'est passé gaiement, amicalement, à choquer les verres les uns contre les autres. Et, en se quittant, on s'est embrassés, de bon cœur, en serrant la main mille fois. J'ai oublié une circonstance de la visite du dimanche, c'est celle -ci : les deux Lucas pleuraient de joie de leur victoire remportée. Puisque je ne veux rien passer sous silence, je parlerai du mardi, jour du départ. Il était convenu qu'à 2h la malle serait envoyée à l'hôtel et qu'à 6h on partirait. Nouvel incident qui aurait peut-être tout renversé si les choses n'avaient pas été si avancées : la malle était remplie jusqu'à la serrure, il n'y avait qu'à la fermer, la corder et partir ; une dame vient demander à parler à la sœur de M. Duchesne, de Tours ; c'était en effet M me Hippolitte qui venait faire part de ses propositions, et Caroline de s'écrier «Ah! Madame, je désirais bien rentrer chez vous, mais voilà que je me suis engagée pour trois mois.». Eh bien! dit la tourangelle, après vos trois mois nous pourrons nous entendre : combien gagnez vous? 1200 f., répondit Caroline avec un aplomb étonnant et cependant avec un ton modeste. J'espère, dit M me Hippolitte, que nous nous reverrons ; elle s'en alla satisfaite à peu près. Par un mouvement de souvenir, Caroline lui fit offre de voir les fabrications de sa sœur Hortense 41 : Pasquai 42 fut appelé, il apporte, montre et étale tous ses modèles et vend à peu près pour 30 francs au comptant. Une vente un peu plus forte a été faite aussi à M lle Lucas qui se promet de revenir à son premier voyage Fille de Guillaume Duchesne, née en Jean-Baptiste Pasquai, mari d Hortense. 190

191 Monique Duchesne À 6h, nous étions tous à la voiture qui partit une demi-heure après. Caroline nous laissa ses larmes et ses excuses, ne manquant point de demander pardon à tous ceux qu'elle a offensé. Elle a laissé pour Marie 43 une lettre et un souvenir qui lui seront envoyés par le prochain ballot. Au mois de février, nous verrons ce qui arrivera. Maintenant, parlons des autres. Quelques commandes se succèdent à Hortense et son mari. Cela serait bien à souhaiter qu'il n'y ait point d'interruption. Voilà tout l'historique. Augustin 44 s'est mis à exercer la profession de dentiste. Il a déjà ferraillé plusieurs personnes, quelques malheureux patients sont tenus en laisse par leurs amis, et on va les lui lâcher peu à peu. Autrement dit, une clientèle paraît à l'horizon, il a une trousse bien fournie et un appareil pour endormir. Il y a un peu de positif et beaucoup d'en l'espoir d'un avenir. Il a fait une tournée à Chennevières et Champigny, il y a gagné quelques francs et on l'attend prochainement pour continuer le brisement des mâchoires. Mais voici une nouvelle dont l'effet sera de rapprocher votre cousin Frédéric en lui donnant de l'avancement : il va revenir à Paris avec le grade de lieutenant colonel des Guides. Sans vous engager à renoncer à la promesse de M lle de Villebon, je vous communiquerais ma pensée pour trouver parrain et marraine en même temps. Ce serait de le proposer à M lle Bonnin (?) qui a sans doute des connaissances auxquelles elle pourrait offrir de la commérage avec elle. Ta maman a eu une idée que nous avons trouvé lumineuse : ce serait de prier M. Dupont de te faire cette faveur et celle aussi de choisir une marraine. M lle Bedaine (?) est venue mercredi 27 ; elle nous a donné vos nouvelles et vos messages. Elle a acheté à Hortense pour 10f50 ; elle a dit avoir oublié ta recommandation et que la veille elle avait fait des emplettes comme de coutume. Mais a promis qu'à l'avenir elle viendrait d'abord ici. Elle veut bien se charger de cette lettre. Rappelle moi au bon souvenir de votre bonne voisine M me Faucheux. Dis-lui que, lorsque je passe dans les endroits les plus agréables de Paris, je pense à la satisfaction que j'aurai en les lui faisant remarquer, au printemps prochain, car je compte bien qu'elle tienne sa promesse et ne demandera mieux que de se promener avec moi pour visiter les quais, les boulevards, et visiter les édifices remarquables. Si vous êtes poussés à bout, ne pourriez-vous pas la prier de vous tirer de peine en acceptant de tirer sur les fonds avec son mari ou l'un de ses fils, votre cher enfant. Je comptais vous envoyer cette lettre par la poste avec le reçu de M me Riottot (?) mais M lle Bedaine (?) a demandé poliment à se charger de lettres pour vous. Je lui donne celle-ci qui arrivera mardi. Ainsi la dernière écrite sera la première reçue. Adieu mes chers enfants ; nous pensons que Caroline nous écrira demain dimanche 3 octobre. Quand je t'écrirai, je te dirai ce qu'elle nous aura communiqué. Tout à vous de cœur. Votre père Duchesne 43 - Plus jeune sœur, fille de Guillaume Duchesne, née en Fils de Guillaume Duchesne,

192 Au pré de mon arbre Embrassez Adéodat et dites lui que je me souviens qu'elle était souvent bien sage et que je l'engage à l'être toujours afin que le bon dieu l'aime bien et que la S te vierge la protège. En Note, d une encre différente Prix du Fev. 2,25 Perles 1,25 4,00 Commission 0,40 4,40 Lettre de Guillaume à sa belle-fille Marie, suite à la naissance de son fils Joseph, du 16 X bre 1852, sans grand intérêt. Dans une lettre de F (probablement Francine) Legrand à son cousin Henry Duchesne, de Douai, le 14 février 1863, ayant appris par courrier, elle exprime de «vives inquiétudes sur la santé de notre bon Charles 45» En 1857, Henry Duchesne habite Aux Maisons Blanches, près Saint- Cyr-sur-Loire. MAIRIE de VANVES (Octobre 1861) Reçu de M. Duchesne Henri la somme de cent trente quatre francs pour les frais d inhumation de son père décédé à Vanves le 15 8 bre 1861 Vanves ce 16 8 bre 1861 Le secrétaire Caribeau 21 octobre 1861 Augustin Duchesne pour son frère Henri A. Duchesne Dentiste, du Bureau de Bienfaisance et des Écoles du III e arrondissement, Rue Montmartre, 40, Paris Je soussigné, Augustin Duchesne, dentiste, rue Montmartre 40, m'engage à faire copier pour mon frère Henri Duchesne la tête du portrait de mon père peint par Turvenger 46 en remplacement de celui d'antoine que je disais lui faire faire s il choisissait le pastel. Fait à Paris le 21 8 bre 1861 Signé Aug Duchesne Augustin Duchesne à son frère Henri ; Augustin est dentiste! Mon cher frère 45 - Plus loin, il s agirait du Père Charles, un ecclésiastique ; antérieurement aurait été à Tours. Je n ai su l identifier M me Turvenger est élève d Eugène Delacroix. 192

193 Monique Duchesne Je te remercie de t'être occupé des ceintures et te demanderai d'en placer encore, si tu peux, à quel prix que ce soit, c'est à dire de diminuer ce qu'il faudra pour vendre. Je crois que tu as dû retenir ta commission sur la somme que tu as envoyée à ma mère. Pour tes portraits, ne t'impatiente pas ; comme je te l'ai déjà écrit, le portrait de mon père est fait depuis longtemps et je te l'aurais déjà envoyé vingt fois si j'avais su attendre aussi longtemps le second, celui de Nicolas, mais, maintenant qu'il s'avance, je ne te ferai qu'un seul envoi47 pour les deux et désirerais savoir, avant, si tu veux que je te fasse vernir celui de mon père Ton frère te serre la main et embrasse ta femme et tes enfants. Augustin Duchesne 47 - Sera expédié le 12 juillet

194 Au pré de mon arbre Augustin Duchesne à son frère Henri Cachet de la poste du 27 août 1862 / Adressée 46 rue S t -Étienne à Tours Mon cher Henri J'attends ton livre et j'espère trouver un instant pour le lire. Pour les ceintures, je t'en expédierai quelques douzaines. Vends les en solde le prix que tu pourras, retiens ta commission et fait moi parvenir le montant le plus tôt possible ; mais ne prends aucune commission, je ne pourrai les entreprendre. Voici les légendes de nos aïeux. Antoine Duchesne fils Nicolas.../... Je t'envoie six douzaines et demi, il y en quatre douzaines et demi de bien faites, le reste en solde. Du reste, examine-les, et vends-les, soit toutes en solde, soit une douzaine et demi à 30 franc. Fais en une affaire pour toi ou tout ce que tu voudras. Je désirerais avoir un billet de cent francs du tout. Il y en a en velours que je vendais 72 centimes, une brodée à 106 f la douzaine, une en taffetas (longue) à 12,50 pièce. Vends le tout ce que tu pourras ; tâche de m'envoyer cents francs, ça les vaut largement et j'en ai crânement besoin. Si il te devenait impossible de solder le tout, vends ce que tu pourras et renvoie de suite le reste, je le solderai à Paris. Arrange toi de manière à en garder pour ta femme et ta fille. Ton frère. Tous vont bien. Duchesne Jeune Hortense Duchesne à son frère Henri (après 1863) Mon cher Henri, Je n'ai reçu ta commande que le mercredi soir 22 courant, en sorte que tu ne recevras qu'une douz. de bourrelets, 3 assortis de couleur comme tu me le demandes. Je mettrai chez Orlac samedi cette partie de commandes. Tu le recevras donc dimanche matin. Pour le reste, je te l'enverrai le plus promptement que je pourrai. Une lettre te l'annoncera. Envoie donc, je t'en prie, soit boîte ou panier, c'est toujours très embarrassant. À bientôt. Pour le reste bonne chance. Adieu, je t'embrasse. Maman attend la lettre pour la mettre dans la boîte à Montrouge V ve Paquai Probablement Alexandre Hebert 48 à sa fille Clémence ; 19 novembre 1864 Ma chère Clémence 49, Il y a, en effet, un contrat de mariage passé par devant M e Caillemer, notaire à S t -Lô, et je ne puis savoir en quel terme il était conçu, car ta mère 50 me l'a dérobé avant notre départ pour Saint-Claude ; Mais il se trouvera probablement parmi ses papiers, et s'il 48 - Alexandre Hébert, Directeur des Contributions indirectes à O r- léans ; sa fille Gertrude est la belle-mère d Henry Clémence Hébert, fille d Alexandre Hébert Marie-Aimée Paris, feue épouse (apparemment séparée) d Alexandre Hébert. 194

195 Monique Duchesne n'y était pas, j en réclamerai un double au susdit notaire, ou à son successeur, en supposant qu'il ne vive plus, ou qu'il ait vendu son étude. Ta mère avait à son service, tantôt telle ou telle personne, tantôt telles autres, 3, 4, 5, 6 ou 7. J'entends, pour la garder, pour faire ses commissions, ou pour lui faire de bouillon de poulet à leurs frais car elle n'a jamais eu de servante proprement dite et ces personnes ne pouvant être contrôlées, ont très certainement remis au juge de paix des notes exagérées. Joins à cela les frais d'inhumation et les frais de justice, et tu comprendras l'énormité de la somme a prélever. Je te prie instamment de demander et de me faire connaître au plus tôt 1 er ce que coûte aux pompes funèbres un enterrement de 2 ème classe, bière comprise, 2 e et un service de même classe à l'église. Séparément l'un et l'autre, afin que je puisse discuter si la somme totale réclamée à Metz est bien supérieure à celle qu'on aurait demandé à Orléans. Si j'avais donné procuration, dans le temps, à ta mère, elle se serait infailliblement ruinée... Il a nécessairement fallu constituer un arriéré mais tu as dû voir, dans ma dernière lettre, que j'ai parlé de deux notaires, l'un pour représenter ton mari 51 et toi, et l'autre pour Auguste 52. Ce diable de sergent de ville me trotte toujours par la cervelle. Tu me recommandes de faire le moins de frais possible. Quels frais? Songe donc bien que j'en ai pas à faire, quant à moi, pour deux sous. L'excellent M. Davoux pourrait te dire à peu près ce que coûteront les frais de justice, y compris ce qui revient toujours au gardien des scellés dont je présume que tu pourrais cesser après l'inventaire. Je dois te prévenir qu'un entrepreneur de monuments funéraires s'est présenté à mon hôtel pour me faire des propositions, et que comme une simple croix de bois ne suffirait pas pour indiquer le lieu où ta malheureuse mère repose après tant d'années de souffrances. Je compte, après ma visite au cimetière, pour me recueillir devant cette croix, et pour examiner celles de pierre qui me sembleront tout à la fois convenables et le moins coûteuses, je compte, dis-je, prescrire une de même forme et de même dimension. Voilà ce qu'on me corne de toute part aux oreilles, et l'on s'attend même que je réunirai la fille 53 à sa mère qui vraiment l'adorait. Tu me donneras ton avis à ce sujet. J'ai vu la mère Gérard. Elle rempaille toujours des chaises. Son mari était absent. Le malheureux est tout courbé, et ne gagne plus que 10 sous par jour. Sa femme s'attend tous les jours à le voir rapporter mort. Tu sais qu'ils ont perdu sept enfants. Je suis un peu plus âgé qu'elle. Je me suis promené dans tous les sens sur l'esplanade, et me suis assis sur le banc qu'affectionnait ta mère. Resté seul, j'y ai pleuré tout à mon aise, en pensant à elle, et à tout ce que j'ai eu à souffrir pendant 40 ans de ma vie. Je vous écrirai immédiatement après l'inventaire, je veux dire après demain lundi. Je vous prie, mon cher Gatineau, de donner en mon nom, 115 f à M me Chuboche, le 24 de ce mois. Je vous les renverrai le 2 janvier prochain. Je ne désire, en résumé, que la montre de ma femme, et quelques petits objets qui devaient être restés en sa possession. 200 f. pour le tout me suffiraient. Je crois, et je 51 - Gatineau Fils d Alexandre Hébert A eu une fille, Églantine, morte à l âge de 12 ans. 195

196 Au pré de mon arbre répète, que je vous en tiendrais compte. L'inévitable sergent de ville, mon cauchemar, a vu la montre et la trouve fort jolie. Ta mère, ma Clémence, avait depuis longues années au Mont de piété, ce qui veut dire ici à la Caisse d'épargne, 8 à 900 francs qu'elle en a retiré peu de temps avant sa mort, et avec raison, car elle les y avait placés sous son nom de jeune fille!!! Je veux absolument savoir la date du dépôt, et son livret, sur lequel il y a un reste dû de 70 c, me l'indiquera. C'est une personne de confiance, désignée par le juge de paix ou par le commissairepriseur, qui se chargera, pour moi, d'acheter la montre. Il y a dans la chambre de ta mère, trois tableaux de piété, un beau christ en ivoire, et le petit tableau représentant plusieurs personnes autour d'un feu de paille. Je n'ai toujours pas vu la cuisine. Si vous ne pouviez pas me lire, j'écrirais plus lentement. Encore une fois tout à vous. Hebert 19 novembre 1864 Henry habitera successivement Paris, Laigle, Paris, Pau, Paris, Nozay (Bretagne), Tours de 1848 à Alors que ce livre était sous presse pour sa première édition, en avril 2011, nous avons renoué avec Jean-Michel Guillaume, 1939, fils de Jacqueline Duchesne : Henri Duchesne( ) et Marie Heudin ont eu 4 enfants 55 : Adéodate (sans descendance), Joseph ( ),Tharsice (sans descendance, mort dans les années 50), et mon arrière grand père Gabriel ( ), époux de Léonide Bouzy. Gabriel a eu 6 enfants dont mon grand-père maternel Henri (fils aîné, ), époux de Louise Barrat. Mon grand-père a eu en 1911 un unique enfant,ma mère Jacqueline. Je suis moi-même fils unique. Ma branche de la famille Duchesne ayant demeuré pendant plus d'un siècle dans une maison de Tours que je possède encore en partie, bien qu'habitant essentiellement Bruxelles, mais également Paris et la Creuse 56, le grenier recelait de nombreux documents que je possède toujours. Alors que Guillaume travaillait avec Jean à la Bibliothèque Nationale/Royale, son fils Henri fut d'abord fleuriste rue Villedo à Paris puis déménagea en Touraine pour raisons de santé où il poursuivit son métier de fleuriste. Son fils Gabriel et son petit-fils Henri furent horlogers bijoutiers à Tours Ou 18 mars Il oublie Martine, née en Jean-Michel Guillaume est propriétaire du château de Ga r- tempe, où nous lui avons rendu visite, Marie -France et moi, et fait connaissance, le 7 juillet

197 Monique Duchesne Tharsice Duchesne Jean-Michel Guillaume raconte : Le grand oncle Tharsice venait très souvent séjourner chez nous, à Tours, lorsque j'étais enfant ( années 1948 à 52/53 ). Il était alors pensionnaire (mes souvenirs d'enfant!) d'un couvent du côté de Vendôme et les dires de mes parents/grands-parents témoignaient de son état de disgrâce dû à sa «faute», ayant engrossé une de ses jeunes et jolies paroissiennes, étant alors curé de Fribourg-en-Brisgau. Étant depuis l'enfance bilingue français/allemand, je peux témoigner, après d'aussi longues années, de sa parfaite connaissance de l'allemand. Je n'ai aucun élément de preuve d'une quelconque «faute» mais son degré de culture et d'instruction valaient certainement mieux qu'un très long séjour dans un couvent pour un homme qui n'était pas ( encore mes souvenirs!) voué à la méditation. Françoise Avinen le nommait «oncle Parapluie»: ce surnom lui avait été donné suite à sa première visite à ses cousins de Ludon à qui il avait demandé qu'on vienne le chercher à la gare Saint-Jean, à Bordeaux, et à qui il avait dit qu'ils le reconnaitraient au signe distinctif de son parapluie qu'il tiendrait ouvert. Augustin Duchesne ( ) Fils de Guillaume et Pierrette «Louise» Catherine Lecomte, dit Bayencourt Lettre de Guillaume à ses enfants, Paris le 5 juin 1852 / Augustin a passé la révision ce matin 5 juin et il a été refusé / DUCHESNE DENTISTE 40, RUE MONTMARTRE, 40, Notre MAISON étant assez avantageusement connue par la bonne exécution de ses pièces artificielles pour qu'aucune réclame lui soit nécessaire, nous nous bornerons donc à rappeler au public les avantages réunis qu'il trouvera avec les nouveaux dentiers masticateurs DUCHESNE, rue Montmartre, 40. Nous garantissons que : 1 er Le client qui s'adressera à nous pourra MANGER avec nos nouveaux dentiers aussi complètement qu'il le faisait jadis avec ses propres dents ; 2 e Il pourra PARLER facilement ; car loin de gêner la prononciation, ils lui deviennent indispensables ; 3 e Il pourra RIRE sans crainte de découvrir les dents artificielles ; car par leur teinte et leur belle forme elles imitent la nature jusqu'à tromper l'œil le plus exercé ; 4 e Notre procédé (le plus doux de tous) a en outre l'immense avantage de pouvoir être ajusté à la bouche la plus délicate, véritablement sans douleur ni extraction d'aucune racine ; 5 e Toutes les pièces sortant de notre MAISON sont poinçonnées de notre nom et garanties par écrit complètement inaltérables pour 10 ans. DENTS A 5 FRANCS. 197

198 Au pré de mon arbre clientèle. Nous prenons comme garant de ce que nous avançons la confiance illimitée dont nous honore notre DUCHESNE, rue Montmartre, 40. Augustin ne fait pas que dans la dent tel que nous le confirme ce courrier : 15 novembre 1861 (cachet de la poste Tours 16 novembre 1861) Henri Duchesne rue de l Intendance, 20, Tours Mon cher Henri Je pense à l'instant que tu m'avais demandé une ceinture verte. S'il en est encore temps, veuille me répondre. Je puis t'en envoyer une soit en velours liseré vert ou en taffetas chaînette verte. Ton frère. Augustin Duchesne. Embrasse ta femme et tes enfants. 23 juillet 1866 (cachet de la poste Tours 24 juillet 1866) Henri Duchesne rue S t -Étienne, 46, Tours Mon cher à Henri Je suis arrivé à Bordeaux bien portant. Tu dois t'être aperçu de l'oubli que j'ai fait. Veuillez donc m'envoyer ma montre par le chemin de fer aussitôt le reçu de la présente. Mets-la dans une boîte cachetée et déclare au chemin de fer valeur 100 francs avec l'adresse M. Duchesne à l'hôtel du midi, Quai de Queyries n 3. Je t'embrasse toi, ta femme et tes enfants. Je te rembourserais le port soit sur la poste ou en revenant. Ton frère Duchesne jeune Non daté, sur papier à en-tête «A. Duchesne Dentiste du Bureau de bienfaisance et des Écoles du III éme Arrondissement, rue Montmartre, 40, Paris» Mon cher Henri Je t'envoie, comme tu me le demandes, une douzaine de ceintures assorties. J'ai fait aussi tes commissions. M me Pourelle m'a dit que tu devrais t'adresser directement à Germain, car elle était obligée de te les faire payer plus cher que tu ne les paierais ailleurs. Je t'envoie des factures pour les différentes livraisons que tu penses faire. Pour les paiements, ais l'obligeance de dire aux marchands, si faire se peut, de me solder fin de mois payable à Paris, ou de toute autre manière que tu jugeras à propos de faire, pourvu que je touche à Paris et fin de mois, sauf ceux qui feraient leur paiement à 30 jours de vente. Si tu vends celles-là, je t'enverrais des brodées en velours mais tâche de m'écouler celles-là. Ton frère Augustin Duchesne te serres affectueusement la main. Augustin décède en 1869 alors qu il est à Pau. C'est probablement Joséphine Boy, veuve d Augustin Duchesne et mère de Gaston Alexandre 1855 et 198

199 Monique Duchesne d Anatole Gaëtan 1853, Marthe Cécile Gabrielle, née en 1850 (est aussi décédée en 1869) qui s adressait à Henry Duchesne : Paris, le 16 février (1872) Mon cher beau-frère Je crois dégagée ma conscience en vous informant que je me suis imposée le sacrifice, malgré ma position difficile, après tous les mauvais temps que je viens de passer, de nourrir Gaston, votre pupille, pendant trois mois, et qu'aussitôt qu'il a pu posséder trente francs, il est parti pour s'engager à Rouen comme matelot sans en prévenir personne de la famille ; donc il se trouve à Rouen sans argent, sans aucune espèce de ressources, et je crains que cette malheureuse position l'entraîne à mal faire. Je vous en informe pour que vous compreniez bien que son présent et son avenir sont peut-être entre vos mains. Libre à vous de lui donner ou de ne pas lui donner votre consentement qu'il vous a déjà fait demander par le mari de ma bonne et à mon insu. Maintenant que je crois avoir fait mon devoir, je me crois dégagée de toute responsabilité. J'espère que votre famille se porte bien. Veuillez, je vous prie, les embrasser de ma part ainsi que de celle d'anatole. Votre dévouée belle-sœur. Veuve Duchesne jeune P.S. Voici l'adresse de Gaston, rue Saint-Julien n 38 chez M. Plé Rouen 199

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201 Nicolas Duchesne ( ) Un autre Nicolas 1 Duchesne est le petit-fils de Guillaume ( 1502) ; nous ne connaissons pas le prénom ni la date de naissance de son père. Né en 1567, élève de Fréminet, il a la chance de plaire à Marie de Médicis par quelques esquisses qu'il a présentées pour la décoration intérieure de son nouveau Palais du Luxembourg. Il n'a pas encore quarante ans, né avec «plus d'intrigue que de talents» il obtint la place de son maître. Il assiste le 12 décembre 1613 à la réception 2, comme maître-peintre, de Jean Lhomme ; il est assisté de Georges La Tour. Il eut l'adresse d'employer deux jeunes peintres de mérite : Nicolas Poussin et Philippe de Champaigne qui lui donnèrent des conseils dont il sut profiter. Mais ces derniers furent bientôt forcés de quitter un travail qui, en leur attirant les suffrages des connaisseurs, excitait sa jalousie. Le décor du Luxembourg Conformément au rêve de Marie de Médicis d'une opulente demeure parisienne inspirée des exemples florentins, l'architecte Clément II Métezeau 3 est chargé de relever au Palais Pitti les bases d'un premier projet que Salomon de Brosse 4 respectera. L'Italie est le modèle à suivre pour la décoration également : Marie de Médicis encourage son peintre à parfaire sa formation à Florence. Lorsque pour des raisons encore obscures, Jean Mosnier 5, originaire de Blois et de retour à Paris en 1625, n ayant obtenu les faveurs 6 de Claude Maugis, abbé de Saint-Ambroise, intendant des bâtiments de la reine mère, est écarté du chantier au profit de Nicolas Duchesne Nicolas Duchesne de la Richardière, traité dans le premier v o- lume consacré aux Duchesne. 2 - Consignée dans le registre des corporations parisiennes. 3 - Clément Métezeau ( ), architecte du roi. 4 - Salomon de Brosse (vers ). 5 - Plus âgé de deux ans que Philippe de Champaigne. 6 - Il est un peu rustre et n a pas donné de présents ou autres atte n- tions particulières, comme l aurait voulu l usage. 7 - http :// 1.pdf 201

202 Au pré de mon arbre Nul doute que celui-ci, présent 8 sur les lieux dès 1621, et qui a pu se faire connaître par son activité 9 au château de Fontainebleau, n'ait été lui aussi désig fonction de sa probable connaissance des décors italiens 10. Le décor somptueux n'a pas survécu à la Révolution et aux négligences plus dévastatrices encore dans son sillage ; aux transformations radicales enfin du palais royal en assemblée de la République. «Les Deux Anges Musiciens 11» du Louvre constituent le premier vestige identifié en 1972, sans que l'on se soit réellement interrogé 12 sur son appartenance à la direction de Duchesne ou de Philippe de Champaigne, auquel il fut donné d'office. Nicolas Duchesne (attribution inédite) : Étude pour l'un des «génies» des appartements de Marie de Médicis au Luxembourg, avant 1625, 726 x 522 mm. Col ; part. Photo Sotheby's. 8 - Duchesne seul est sur le chantier du Luxembourg, dès 1621 comme l'atteste la lettre de Claude Maugis du 13 Août 1621 qui énumère les travaux réalisés à cette date par le peintre. 9 - Auprès, ou sous les ordres, de Dubois Les tableaux du Luxembourg participent d'une connaissance de l'art italien que Duchesne devait impérativement posséder pour être inve s- ti en 1621 de la décoration du palais. À défaut de quelque information historique plus complète sur un éventuel séjour italien, sa présence a vérée sur le chantier de Fontainebleau avant 1619 est néanmoins significative 11 - Nicolas Duchesne : Deux Anges musiciens, avant 1625 ; 114 x 147 cm ; Musée du Louvre, Paris 12 - N'importe quel autre peintre de l'entourage de Duchesne, à commencer d'ailleurs par celui-ci, est en mesure de recourir à ces jaunes et bleus profonds et violacés pour Les Deux Anges musiciens et Le Triomphe de Marie de Médicis. Toute datation d'œuvres du Luxembourg d'avant 1625 implique une attribution à Nicolas Duchesne, le seul responsable de la décoration, à commencer d'ailleurs par l'établissement de l'iconographie de concert avec le commanditaire. Le personnage ne saurait être sous e s- timé, qui sut rallier à lui certains des artistes les plus prometteurs de la jeune génération. La compétence et l'activité d'une équipe parfaitement opérationnelle avant que Philippe de Champaigne ne l'intègre est encore démontrée sur un autre chantier : un acte de paiement en 1626 fait état de travaux de décoration de «Monsieur Duchesne» pour le plafond de la chambre de Richelieu dans l'ancien hôtel de Rambouillet, le noyau de ce qui deviendra le Palais-Cardinal. 202

203 Nicolas Duchesne On peut douter de l'objectivité du propos «Duchesne n'était pas un peintre fort abondant en pensées, ni habile à les exécuter». Duchesne, peintre influencé, sinon formé, par le maniérisme bellifontain, illustre et développe des principes condamnés justement par le classicisme au nom de la vraisemblance et de l'unité. Nicolas Duchesne, dont aucune peinture ne lui était attribuée à ce jour, est aussi crédité de «Marie de Médicis et l'unité de l'état», du «Triomphe de Marie de Médicis», des petits génies ailés, de certaines figures allégoriques du cabinet doré, peut-être des «Sibylles», et davantage Une reconstitution de l oratoire du Luxembourg, permet d esquisser quelques éléments de son décor. Achevé pour l'échéance de mai 1625, donc sous la seule autorité de Duchesne, il fait la part belle entre autres motifs à une série sur la vie de la Vierge ; l'autel est enrichi d'un beau «Jésus porté au Tombeau». De tout cela nulle trace, aucun vestige identifié. Or nous connaissons par la gravure une «Déploration», et un tableau sur bois également dépourvu d'historique : «L'Adoration des Mages» du Musée de Tessé, au Mans. L'oratoire du Luxembourg, reconstitution du décor peint. 203

204 Au pré de mon arbre L'Annonciation, v. 1627, 297 x 252 cm ; Musée des Beaux-Arts, Caen. Philippe de Champaigne ( ) Né dans une famille pauvre, il est baptisé le 26 mai 1602 à Bruxelles. Philippe de Champaigne appartient à un milieu modeste 13 : on pense que son père est tailleur. Il n'en reçut pas moins une éducation raffinée 14 au sein de laquelle figure le latin. Mais très tôt il fait apparaître une inclination à dessiner quelque figure plutôt qu à former des lettres. Il étudie la peinture et acquiert ce beau métier propre aux Pays-Bas espagnols, un faire souple, gras, ductile, ce qui lui vaudra une place à part parmi les peintres français contemporains On peut lire par ailleurs : fils d'une famille de la bourgeoisie aisée des Flandres 14 - Sur la base d un document daté de 1 622, où est cité son frère aîné, on peut penser qu il a été l'élève des Jésuites, leur collège étant par ailleurs voisin de Sainte Gudulle ; Philippe de Champaigne a entendu, durant toute son enfance, les vindictes contre la main mise de l autorité espagnole sur les Flandres, aux aguets de toute forme d'indépendance ; ce qui expliquera, plus tard, sa complicité avec Richelieu. 204

205 Nicolas Duchesne Vers l âge de douze ans, il fait ses débuts dans les ateliers du Nivellois Jean Bouillon à Bruxelles, puis dans celui de Michel Bourdeaux 15 ; puis il est élève de Jacques Fouquières (ca ), célèbre peintre paysagiste à Bruxelles qui lui apprend son art, un art qu'il pratiquera encore en 1656 pour le couvent parisien du Val de Grâce. Il fréquente la fille du peintre Van Orley, proche parente d un âge certain, qui l entretient des travaux de son père. On l'aurait aperçu, vers 1621, dans les ateliers d un peintre de Mons dont nous tairons le nom 16. Il est employé de la Chambre du roi Louis XIII à Anvers Il refuse, en 1621, d'aller travailler à Anvers chez Rubens (déjà son antipathie pour le baroque), et, avec Fouquières, il souhaite visiter Rome mais s arrête à Paris en Fixé dans le Quartier Latin, au Collège de Laon, il se lie d amitié avec Poussin. Introduit par lui auprès de Nicolas Duchesne, celui-ci l invite à participer aux travaux de décoration qu il dirige ( ), au Palais du Luxembourg, pour Marie de Médicis. Il travaille chez Georges Lallemand, peintre maniériste et quitte cet atelier vers 1625 pour se mettre à son compte. Nicolas Duchesne lui passe une de ses premières commandes pour l église Sainte-Geneviève de Montigny-le- Teigneux 17, une huile sur toile 18 représentant «Le Parlement de Paris invoquant sainte Geneviève pendant la Ligue». La soumission du jeune artiste aux directives de Duchesne, l'abandon de son expérience au profit d'une nouvelle technique de peindre, entraîne un stress qui l incite au retour à Bruxelles, en 1627, qui ressemble fort à une brouille avec son maître. On peut imaginer tout le dépit que cache ce qui est véritablement une fuite, après toutes les tensions contenues, les rêves de carrière et les efforts d'intégration entrepris parmi lesquels les controverses de Nicolas Duchesne pour lui donner sa fille. Lorsque à la fin de l'année 1627, au milieu des siens depuis quelques mois, le peintre reçoit à Bruxelles une lettre de Claude Maugis l'informant de la mort de Nicolas et lui offrant la succession 19 de celui-ci dans la charge de 15 - Pensionné par le roi d Espagne, travaille pour l infante Isabelle et son époux l archiduc Albert Car nous l ignorons! 17 - Actuellement Montigny-Lencoup (Seine et Marne) Dans l église paroissiale Saint-Denis de Senlisse (Yvelines) on peut aussi voir une huile sur toile avec Sainte Geneviève (XIX e ), copie inversée (d'après une estampe) d' une huile sur toile de Philippe de Champaigne actuellement au Musée royal des Beaux -arts de Bruxelles Dans l'atelier dirigé par Nicolas Duchesne, Philippe de Cha m- paigne avait eu un «supérieur» en plus du patron, le propre frère de Nicolas Duchesne, lequel reste dans l'équipe à la mor t de ce dernier. 205

206 Au pré de mon arbre peintre de Marie de Médicis ; notons combien cette nouvelle fonction implique pour lui, précisément, une polyvalence - portraits, tableaux religieux - à laquelle il avait dû renoncer dans l'équipe de Duchesne. Refuser pareille promotion eût été folie ; Champaigne accepte donc et revient au plus vite et, dès son retour, est nommé peintre de la Cour, en remplacement de Duchesne, et de valet de chambre du Roi, avec logement de fonction au Luxembourg et une pension de 1200 livres 20 ; pour un peintre de vingt-six ans c'est Byzance! Le 10 janvier 1628, il est de nouveau à Paris. Définitivement! Il poursuit la décoration du Palais du Luxembourg, dont les pièces maîtresses restent une série de grand tableaux relatant la vie de la commanditaire par Rubens. Champaigne 21 y peint plusieurs fresques des plafonds. Il décore également le Carmel 22 du faubourg Saint-Jacques, l un des chantiers préférés de la Reine Mère dont le célèbre «Le Christ et la Cananéenne», peint en 1628 pour l oratoire où Marie de Médicis a l habitude de se recueillir. Pour ses appartements privés, la régente lui commande quatre tableaux tirés de l'évangile de saint Matthieu, réservés à sa dévotion privée : «Jésus et la Cananéenne», «L'Entrée du Christ à Jérusalem», la «Pentecôte» et l «Ascension». Il est, avec Simon Vouet 23, l un des deux peintres les plus réputés du royaume. Alors que Vouet est premier peintre du Roi, les talents de Champaigne lui méritent la place de premier peintre de la Reine Mais aussi, à la mort de Duchesne, des œuvres commencées par Nicolas durent être achevées par Philippe de Champaigne dès son retour de Bruxelles. Il n'empêche que si la technique flamande restait adaptée à son caractère, l'intermède Duchesne lui a néanmoins mis entre les mains un outil approprié à une production plus continue et abondante. Le 30 novembre 1628, en l église Saint-Gervais-Saint-Protais, à Paris, Philippe de Champaigne épouse Charlotte, la fille de feu Nicolas Duchesne et de Marguerite Jacquet 24 qui habitent une maison rue des Écouffes 25, dont ils De supérieur, le frère passe aux ordres de son futur parent puisque Philippe épousera la fille de Nicolas Qui vaudrait plus de 1000 euros On prononce Champagne L église a été détruite lors de la Révolution Française mais pl u- sieurs tableaux, conservés dans des musées, pourraient faire partie de la décoration originale (Présentation au temple à Dijon, Résurrection de L a- zare à Grenoble, Assomption de la Vierge au Louvre) Simon Vouet ( ), formera Charles Le Brun Apparentée au père d'élisabeth Jacquet de la Guerre. 206

207 Nicolas Duchesne sont propriétaires, ayant pour enseigne l Aigle, à l'entrée du Marais entre la rue Saint-Antoine et la rue des Francs-Bourgeois, sise sur la paroisse..../... Rue des Rosiers ou rue des Écouffes dans des bouges Je les ai vus souvent le soir ils prennent l air dans la rue Et se déplacent rarement comme les pièces aux échecs Il y a surtout des Juifs leurs femmes portent perruque Elles restent assises exsangues au fond des boutiques Tu es debout devant le zinc d un bar crapuleux Tu prends un café à deux sous parmi les malheureux Tu es la nuit dans un grand restaurant Ces femmes ne sont pas méchantes elles ont des soucis cependant Toutes même la plus laide a fait souffrir son amant.../... Guillaume Appolinaire Tiré de «Zone» du recueil «Alcools» Vers le milieu de cette rue, du côté des numéros pairs 26, voyez-vous deux portes cintrées? L'une d elle montre, en guise de numéro, une figure d'aigle, alors qu'elle écarte ou rapproche ses battants au gré des propriétaires La rue des Écouffes est une rue du 4 e arrondissement qui va de la rue de Rivoli à la rue des Rosiers. C'est une rue étroite et sombre à l'al i- gnement irrégulier Le n 64 deviendra n 20. Une grande maison sise à Paris, rue des Écouffles, paroisse Saint - Gervais, laquelle en formait ci-devant deux et où pendait pour enseigne, à l'une la Pomme d'or, et à l'autre l'aigle, consistant en un corps de logis sur la rue, composé de deux portes cochères, d eux petites cours, écuries, deux remises, puits mitoyen et petit jardin ; un autre corps de logis ayant vue sur les cours et jardin, chacun desdits corps de logis ayant trois étages, chambre de domestique et grenier au- dessus, caves sous lesdits lieux, le tout de fond en comble et contenant en superficie quatre vingt quatre toises, vingt deux pieds ; et de face sur ladite rue 31 pieds. Tenant d'une part, vers le midy, à dame Françoise Margueritte Saulnier, veuve de Pierre Philbert Brochet de Saint Prest ; d'autre part, vers le nord, à M. Edme Antoine Genêt, à demoiselle Marie Élizabeth Le Moussu, veuve de sieur Pierre Saussaye ; et à M e Louis Angrand, vicomte de Fonpertuis ; d'un bout, vers Occident, sur ladite rue des Ecouffles ; et d'autre bout, vers Orient à M. Nicolas Hugues Bizeau. Au moment de la confection du terrier, la maison appartient à un Pierre Jacques Lallemand qui prend la qualité d'intéressé dans les affaires du Roi, et qui demeure rue d'argenteuil, paroisse S t -Roch. Il vient de l'acquérir en 1784 de Jean Paul Wencellins, ancien banquier à Paris qui l'a lui - 207

208 Au pré de mon arbre Philippe de Champaigne doit assumer une lourde charge en épousant Charlotte ; il devient, en effet, le tuteur des trois sœurs cadettes. En contrepartie il reçoit la maison de la rue des Écouffes qu'il donnera à sa mort 27, en 1674, à son neveu Jean-Baptiste. Ayant reçu, en janvier 1629, ses «lettres de naturalité», il quitte le service de la «Grosse banquière balourde», à laquelle il restera toujours attaché, et entre au service de Louis XIII, dont il devient le portraitiste officiel, et de Richelieu. Pour le premier, il peint, outre plusieurs portraits, en 1634, une «Réception du duc de Longueville dans l'ordre du Saint-Esprit» et, en 1638, un «Vœu de Louis XIII 28» pour la cathédrale Notre-Dame-de-Paris. Pour le second, il exécute des travaux au Palais Cardinal 29 et surtout de nombreuses effigies 30 où, contrevenant à la tradition qui veut que l'on représente assis les hommes d'église, il le montre le plus souvent debout, en homme d'état. Il est le seul peintre autorisé à peindre Richelieu en habits cardinalistiques. même eue, en octobre 1770, de Simon Alexandre Poisson, entrepreneur de Bâtiments à Paris. Ledit Poisson avait fait reconstruire cette maison unique sur le terrain occupé autrefois par les deux bâtiments qui avaient pour enseigne l'aigle et la Pomme d'or. Il tenait la première des créanciers sy n- dics de Claude Silvain Amelin, conseiller au Châtelet, par contrat de juillet Ledit feu Amelin avait reçu cette maison comme héritier pour mo i- tié de son père Pierre Amelin, aussi conseiller au Châtelet, et de Geneviève Gehan sa mère. «Auxquels feu sieur et dame Amelin ladite maison de Laigle appartenoit du chef d'elle, en qualité de seule et unique héritière de demoiselle Denise Duchesne, sa mère, à son décès veuve de sieur Claude Jehan, bourgeois de Paris.» Cette dernière est légataire universelle de Jean Baptiste de Cha m- paigne, peintre et valet de chambre du Roy, suivant son testament reçu par Gallois, notaire à Paris, le vingt octobre mil s ix cent quatre vingt un, et codicille étant ensuite le vingt sept dudit mois, duquel legs la délivrance a été ordonnée par sentence du Châtelet de Paris du deux janvier mil sept cent quatre vingt deux Il habite le 20 et meurt dans sa partie contiguë, au 18. Y a-t-il une relation avec la rue du Roi de Sicile dont il fut question plus haut? 28 - En 1636, après avoir placé le royaume sous la protection de la Vierge suite à une invasion espagnole, les troupes françaises reprennent le dessus. Le roi commande ce retable pour le chœur de Notre-Dame en mémoire de son vœu Aujourd'hui Palais Royal Il le représente onze fois. 208

209 Nicolas Duchesne Littéralement confisqué par ses deux illustres clients, et par leurs créatures (les ministres Bouthillier, Chavigny, Bullion et le chanoine Michel Le Masle), il dut attendre leur mort pour recouvrer sa liberté. Charles II d'angleterre, Louis XIV, les ministres Mazarin et Colbert posent pour lui. Il décore le dôme de la chapelle de la Sorbonne et d autres bâtiments, dont l église Saint-Germain-l Auxerrois. Il dessine également plusieurs cartons pour des tapisseries. Champaigne est alors très goûté par une clientèle qui lui commande des portraits : Princes de l'église (Camus), Haute Noblesse (La Trémoille), Grands commis (Charles Coiffier, Groulart de la Court), Corps de ville parisien, et surtout Parlementaires (Talon, Mesme, Bellièvre, Jérôme II Le Maistre), toute la Cour et la Ville posent devant lui et lui font peindre des figures où, refusant d'exprimer des expressions passagères, il veut saisir l'être profond de ses modèles. Il a un atelier fort achalandé et fait alors venir son neveu Jean-Baptiste de Champaigne 31 pour l assister dans sa production. Avec lui, en 1659, il décorera l'appartement du Roi au château de Vincennes et, en 1666, celui du Grand Dauphin au château des Tuileries. Sa renommée franchit nos frontières. En 1655, l'archiduc Léopold- Guillaume de Habsbourg, gouverneur des Pays-Bas espagnols, le rappellera à Bruxelles pour lui passer commande d'un «Adam et Ève pleurant la mort d'abel 32» ; de même, les brasseurs de la ville de Gand le font travailler. Il est reçu en 1648 membre fondateur de l Académie royale de peinture et de sculpture, où il devient professeur en 1653, puis recteur. Autant que portraitiste, Champaigne est aussi peintre sacré. Il œuvre pour les paroisses parisiennes - S t -Séverin, S t -Honoré, S t -Gervais - et pour les ordres religieux - Oratoriens et même Jésuites -. C est en 1657 qu il peint une série de trois grands tableaux pour sa paroisse Saint-Gervais-Saint-Protais sur la vie des deux saints dont «l Apparition à Saint Ambroise» et «La translation des corps des deux saints», les deux toiles étant maintenant au musée du Louvre. Puis, il passe de mode et se heurte à la concurrence de Charles Le Brun sous la direction de qui il participe à la décoration des Tuileries à partir de 1654 et, probablement à cette époque, il décore la chapelle seigneuriale de Pont-sur- Seine où apparaissent les monogrammes de Claude Bouthillier et de Marie de 31 - Jean-Baptiste de Champaigne ( ), fils d'evrard de Champaigne, magistrat de la ville de Bruxelles Musée Kunsthit, Vienne. 209

210 Au pré de mon arbre Bragelongne mais aussi ceux de Léon Bouthillier 33, le fils, Anne Phylépeaux sa femme, et leur fils Armand-Léon Bouthillier, lequel hérita du titre de seigneur de Pont sur Seine à la mort, en 1655, de son grand-père. Entre cette date et celle de son mariage en 1658 avec Élisabeth Bossuet, dont le monogramme fait précisément défaut, doit se situer la décoration des lambris et l'aménagement définitif de la chapelle seigneuriale,c'est une période confortée par la ressemblance remarquable entre les paysages et ceux du Val-de-Grâce peints en Cet ensemble est imprégné d'un climat social et moral particulier : Léon Bouthillier est mort le 11 octobre 1652, son père Claude le 13 mars 1655 ; Philippe de Champaigne, durement atteint la même année par la disparition de Françoise, compose avec une solitude d'autant plus prégnante que la France subit les conséquences démobilisatrices de la Fronde ; la peinture est plus que jamais ce refuge illustré par des paysages abritant des ermites 34. Toutefois, il peint pour son compte les directeurs, les solitaires et même la grande abbesse Angélique Arnauld, en 1654, et décore l appartement d Anne d Autriche au Val-de-Grâce, ainsi que, en 1656, le réfectoire de ce dernier avec «Le repas chez Simon le pharisien», aujourd hui à Nantes, étant le plus grand des cinq tableaux prévus pour l endroit. Commandée en 1655 par Servien pour l église des Ardilliers 35, la grande toile figure la Présentation de Jésus au temple ; le vieillard Siméon, placé dans le vestibule, tient l'enfant Jésus dans ses bras et prononce la formule : «Nunc dimittis...». Selon Bernard Dorival 36, cette grande toile non signée est une œuvre d'atelier reprenant explicitement une Présentation au temple réalisée environ 25 ans plus tôt. Le peintre a cependant accentué les éclairages et donné aux vêtements des couleurs inhabituelles et dramatiques, ce qui donne une forte présence aux personnages centraux. Le tableau devient aussitôt célèbre. D'après un récit un peu mélodramatique, un Saumurois, le sabre à la main, le protège contre les ravages des déchristianisateurs de En 1827, le Conseil municipal vote un budget de 600 francs pour sa restauration ; il l'envoie vers Paris, mais s'inquiète de ne pas le voir revenir : Par crainte de l'humidité, le tableau est transféré pendant un siècle dans la chapelle de l'hôpital! 33 - En octobre 1652, à la veille de sa mort, il fait un gros don à A n- toine Singlin, directeur de port-royal, qui sera soupçonné d extorsion de fonds Source : Philippe de Champaigne, par José Gonçalves Tombé malade à Saujon, près de Saintes, en 1632, le cardinal de Richelieu promet d'élever une chapelle à Notre -Dame des Ardilliers à Saumur, s'il guérit. Il n'a cependant pas rédigé de vœu en bonne et due forme, qui n'aurait pas manqué d'être publié par les desservants du pèl e- rinage. Il n'est d'ailleurs pas du tout sûr que le cardinal ait quelquefois visité sa chapelle Philippe de Champaigne, , t. 2, 1976, n

211 Nicolas Duchesne À la fin de sa vie, son activité pédagogique devient plus importante : même si aucun écrit ne subsiste de sa main, il existe des transcriptions de plusieurs de ses conférences, publiés par André Félibien en Il y commente plusieurs œuvres dont celles du Titien, participant ainsi au débat entre coloristes et dessinateurs et prônant une attitude modérée. C est maintenant qu il nous semble judicieux de relater les renseignements que Sainte-Beuve 37 et M. Finot 38 ont recueillis sur les relations de Philippe de Champaigne avec l'abbaye et les solitaires de Port-Royal. En 1605, - si vous voulez bien vous transporter avec nous aux environs d'étampes, - Geneviève Fraillon hérite de son oncle, Antoine Guyot ; dans la succession se trouve une maison et quelques héritages situés à Mondeville, à Videlles et lieux circonvoisins. N'ayant probablement pas l'usage facile de ces biens, puisqu'elle habite Paris, rue du Temple, avec son mari Marceau Jacquet, «juré du Roy en l'office de maçonnerie à Paris 39», Geneviève Fraillon passe, la même année, un bail de la maison de son oncle à messire Jean Noguet, prêtre, curé de Videlles, pour la somme de huit livres dix sous tournois. Quoique l'argent eut une tout autre valeur alors que de nos jours, il ne semble pas que ce soit, vu le prix, une habitation d'importance. Marceau Jacquet et sa femme eurent au moins deux enfants 40, Jean Jacquet, que nos documents qualifient de maître maçon à Paris vers 1640, et Marguerite, qui épouse en premières noces Nicolas Duchesne, peintre du Roi, et en secondes noces M e Claude Collin, contrôleur des bois en Champagne. On dit que du premier mariage naquirent trois filles, Geneviève, Denise et Catherine Duchesne ; nous y ajouteront Charlotte et un garçon. Comme nous le savons, Charlotte se marie à Philippe de Champaigne en 1628, ce dernier, comme nous le savons, devenant tuteur 41 de ses trois bellessœurs mineures, devenues orphelines de leur mère en Port-Royal, 3 e édit. (Paris, , 7 vol, in-8 ) Port-Royal et Magny (Paris, 1889, in-8 ) II ne serait pas impossible que cet artiste, dont les fonctions ressemblent assez à celles d un architecte expert, appartint à la famille d Antoine Jacquet, qui vécut longtemps à Fontainebleau et se maria devant le curé d Avon en 1550, et à qui l'on doit la magnif ique cheminée du château, démolie en 1725, et dont les superbes débris existent encore au M u- sée du Loutre. Ou connaît à Antoine Jacquet un fils, nommé Mathieu, qui vivait encore en Il y aurait aussi Marie, mariée à Jean Le Lieure 41 - L'amitié qui unissait Philippe de Champaigne et Nicolas D u- chesne s'explique d'autant plus qu'au Luxembourg ce dernier était chargé de la direction des travaux d'art, auxquels participa Champaigne avant de lui succéder dans cet office. Denise Duchesne fu t plus tard la belle-mère de Jean-Baptiste de Champaigne. 211

212 Au pré de mon arbre Pendant le même temps, le locataire de la maison de Mondeville, le curé de Videlles, était mort, lui aussi, après avoir cédé cette maison aux Marquis, famille de laboureur de Baulne et de Mondeville 42. Les héritiers négligent de payer régulièrement le loyer qu'ils doivent à la famille Duchesne. D'où des réclamations d'arrérages, des difficultés de payements 43 ; d'où l'intervention de Philippe de Champaigne, chargé de prendre la défense des intérêts de ses pupilles ; d'où enfin condamnation des débiteurs, en 1654, à restituer une somme de cent dix livres correspondant à treize années de loyer non payé, avec condamnation en outre aux frais du procès 44. En 1659, les sommes dues ne sont pas encore remboursées, lorsque Philippe de Champaigne, du consentement sans doute des demoiselles Duchesne qui en avaient pleine et entière jouissance, fait don irrévocable des biens de Videlles et de Mondeville à l'abbesse et aux religieuses de Port-Royal, par un acte passé devant deux notaires au Châtelet de Paris, dont la teneur suit : Par devant les notaires garde-notes du Roy au Châtelet de Paris soubsignez, fut présent en sa personne noble homme Philippe de Champaigne, peintre et vallet de chambre du Roy, demeurant à Paris, rue des Escouffes, paroisse Sainct Gervais, lequel volontairement a reconnu et confessé avoir donné, ceddé, quitté, transporté et délaissé, donne, cedde, quitte, transporte et délaisse par ces présentes dès maintenant à tousjours, par donnation irrévocable faite entre vifs, sans toutefois autre garentie que de ses faits et promesses seulement, aux révérendes mère abbesse et religieuses de l'abbaye de Port-Royal, ordre de Cisteaus, transférée au faux-bourg Saint-Jacques, et acceptant par révérende mère sœur Catherine Agnès de Saint-Paul, abbesse, sœur Angélique de Saint-Jean, sousprieure, sœur Magdelaine de Saincte-Agnès, sousprieure, sœur Jacqueline de Saincte-Euphémie, sousprieure, et sœur Françoise de Saincte- Claire, cellerière, toutes religieuses professes faisant tant pour elles que pour les autres religieuses de ladite abbaye, assemblée au devant de la grille du grand parloir, à ce présentes, pour et au nom de ladite abbaye et leurs successeurs en icelle, huit livres dix sols de rente de bail d'héritage, et tout ce qui en est deub d'arrérages escheus du passé, audit sieur Champaigne appartenant, comme estant aux droits des héritiers Nicolas Duchesne et Marguerite Jacquet, jadis sa femme, et de Claude Colin et de ladite Jacquet, sa femme en secondes nopces, qui estoient au lieu des héritiers et ayant causes 42 - Le tout situé Canton de la Ferté-Allais Un acompte cependant fut payé, en 1645, comme il appert par la quittance ci-jointe : «Je soubzigné Philippe Champaigne, peintre et v a- let de chambre du Roy, confesse avoir reçu de Mathieu, Marin, et Pierre Marquis, ayant acquis le droit de M e. Jaun Mauguet, prestre, curé de Videlles, la somme de cinquante neuf livres dix sols pour sept années d arrérages eschues au jour Saint-Jean Baptiste 1640, à cause de huit livres dix sols de rente d'héritage à moy deubs par les héritiers de M. Jean N o- guet, prebstre, curé de Videlles, lequel avoit constitué ladite rente au pr o- fit de Marceau Jncquet et Geneviefve Fraillon, desquels je suis héritier... Fait à Paris le douzième janvier mil six cens quarente cinq. Champaigne.».. (Archives nationales, S ) 44 - Tous les documents ci-dessus visés font partie de la même liasse des Archives nationales, S

213 Nicolas Duchesne de Marceau Jacquet, à la charge de laquelle rente ledit deffunt Marceau Jacquet aurait baillé et délaissé à deffunct Me Jean Noguet, vivant prestre, curé de Videlles, les héritages déclarez au contract dudit bail à rente passé par devant Thibert et Robinot, notaires à Paris, le six juin mil six cent cinq, au payement et continuation de laquelle rente André Le Chaintré et sa femme, André Chesnain et sa femme, Claude Rivière, Georges Audiger et sa femme, Mathieu Ferrand et sa femme, et Thomasse Rivière, tous héritiers dudit deffunct Me Jean Noguet, ont esté condamnez par sentence dudit Chastelet rendue au proffict dudit sieur Champaigne le onziesme juillet mil six cent quarente-deux, et aussy il donne ausdites dames, ce acceptant comme dessus, la somme de trente-cinq livres un sol six deniers qui luy est deue par lesdits susnomméz héritiers, pour les despens adjugez par ladite sentence et taxéz par exécutoire dudit Chastelet du huictiesme juillet mil six cent quarente-trois, et ce faisant il a baillé et mis es mains desdites dames lesdites sentence et exécutoire, et un extraict du compte-rendu par ledit sieur Champaigne ausdits héritiers Duchesne, Collin et Jacquet, les mettant et subrogeant du tout en son lieu, droit, place, noms, raisons, actions et hipotèques pour de ladite rente, arrérages d'icelle et despens donnez jouir, faire et disposer par lesdites dames abbesses et religieuses et leurs successeurs comme de chose à ladite abbaye appartenant ; cette présente donnation ainsy faitte par ledit sieur Chainpaigne pour l'affection qu'il a pour ladite abbaye en considération de sœur Catherine de Saincte Suzanne, sa fille, qui y est religieuse professe, et pour ce qu'il l a ainsy voullu, dont lesdites dames l'ont remercié, transportant tous droits de propriété, dessaisissant, voullans, procureurs les porteurs, donnans pouvoirs, et pour faire insinuer ces présentes, lesdistes parties ont constitué leur procureur le porteur d'icelui, luy en donnant pouvoir, promettans, obligeans, renonceans, etc... Fait et passé au parloir et grille de ladite abbaye, le dis neufiesme jour de may après midy, l'an mil sis cent cinquante neuf, et ont signé la minutte des présentes avec lesdites notaires soubz signés, demeurée vers Galloys, l'un d'iceux. (Signé) Lecaron et Galloys. Et, le cinquième jour d'août au dit an 1659, est comparu par devant lesdits notaires ledit sieur de Champagne, lequel a déclaré que depuis la donnation qu'il a faite desdites huit livres dix sols de rente au proffit desdites dame abbesse et religieuses de Port- Royal cy devant escript, il a recouvert un titre nouvel passé d'icelle par Mathieu, Marin, et Pierre Marquis, ès noms y déclarez, par devant Noguet, notaire royal à Mondeville, le premier juillet mil six cent quarente un, et partant il a mis et subrogé lesdîtes dames en l'ancien droit, place, actions et ypotecques contre lesdits Marquis pour s'en servir ainsi qu'elles adviseront, leur ayant mis es mains coppie, signée Noguet, dudit titre nouvel ; fait et passé à Paris, en l'estude desdits notaires, lesdits jour et an, et a signé la minutte des présentes estant ensuite de celle de laditte donnation devant escripte. (Signé) Lecaron et Galloys45. La mort de sa femme Charlotte en 1638, suivie de la chute mortelle de son fils unique en 1642, avaient rapproché Philippe de Champaigne de Port- Royal, à Paris. Philippe de Champaigne eut toujours une grande vénération pour cette maison et pour celles du même Ordre 46 ; outre diverses donations dont il 45 - Archives nationales, S. 4518b, et Y. Î96, f 407 v Notamment Saint-Cyran en Berri, comme il appert d'une lettre écrite de ce lieu par le Bénédictin dom Joseph Croisier : «M. Champagne, 213

214 Au pré de mon arbre fait bénéficier les moniales, il devient leur peintre - c'est en 1643 qu'il peint le portrait posthume de Saint-Cyran 47 - puis celui de Port-Royal-des-Champs où il exécute une série de tableaux. On accuse l'artiste de jansénisme, et sans doute avec raison. Le milieu dans lequel il vit, les amitiés qu'il contracte, ne peuvent que favoriser ses penchants. C'est assurément à ses relations avec Messieurs de Port-Royal que nous devons la plupart des œuvres de Philippe de Champaigne. Le portrait d'antoine Le Maistre 48, avocat en Parlement, que l'on peut voir, a une origine qui n'est point douteuse. On peut en dire autant des portraits du médecin de Port-Royal, Jean Hamon, qui orne aujourd'hui la salle du conseil de la Faculté de médecine de Paris 49 ; de celui du Conseiller d'état Robert Arnauld d'andilly, frère aîné du «Grand Arnault», qui est au Louvre 50 ; du portrait, daté de 1653, de Claude Joly, curé de Saint-Nicolas des Champs à Paris, puis évêque d'agen ; des portraits 51 de Jean-Ambroise Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran qui introduisit le jansénisme en France ; de celui de l'avocat Jérôme 1er Bignon 52, ami intime du précédent, ainsi que de l'architecte Perrault 53, dont grand ami de cette maison, il y a laissé beaucoup de pièces de sa façon ; il y a entre autres une Résurrection, une Nativité, et plusieurs autres pièces d'un goust exquis et délicat.». (Bibliothèque nationale, ms. lat , f 341.) 47 - Jean-Ambroise de Hauranne, abbé de Saint-Cyran (Bayonne 1581, Paris 1643) introduisit le jansénisme en France, doctrine appuyée entre autres par Pascal, qui allait s'opposer aux jésuites et au pouvoir royal Son portrait est conservé au Musée de Metz; Antoine Le Maistre ( ), fils d'isaac Le Maistre et de Catherine Arnault, sœur aînée de Angélique et Mère Agnès, abbesses du monastère de Port -Royaldes-Champs. Le 10 janvier 1638, Antoine et Simon Le Maistre s installent à Port - Royal de Paris, et se mettent alors sous la direction spirituelle de l abbé de Saint-Cyran La Galerie de portraits de l ancienne faculté de médecine de Paris, par le docteur A. Chéreau (extrait de l Union médicale des 12 et 19 août 1869) École flamande, n 88. Il est daté de Des répétitions du même portrait se trouvent chez M. J.-A. Poulot, à Lyon, et chez Karl Spencer Althorp, en Angleterre. Il en existe encore un autre, à notre connai s- sance, dans la sacristie de l'église d'itteville (Seine -et-oise), qui y aurait été apporté à l'époque révolutionnaire Il l a peint au moins deux fois Jérôme Bignon ( ), magistrat français Claude Perrault ( ) Architecte né et mort à Paris. S u- rintendant des bâtiments sous Colbert, il fut vraisembl ablement moins architecte qu'administrateur intrigant. 214

215 Nicolas Duchesne la famille est intimement liée à celle d'arnault ; du premier président Séguier 54, peint en 1671 ; de Charles Patu 55, curé de Saint-Martial à Paris, qui se trouve égaré au Musée de Bagnères de Bigorre ; du tableau donné par l'artiste aux dames jansénistes de Saint-Charles d'orléans, qui représente Saint Charles Borromée 56 à genoux devant un autel ; du portrait de Jacques Tubeuf 57, président de la Chambre des comptes, qui fut aussi mêlé aux affaires des jansénistes ; enfin et surtout du fort beau portrait d'angélique Arnauld 58. En 1648, il place ses deux filles, comme pensionnaires, dans le monastère du faubourg Saint-Jacques. Françoise, la cadette, y décède le 26 août 1655 ; elle n a que 18 ans. Catherine fait profession de foi, le 14 octobre 1657 et prend le nom de sœur Catherine de Sainte-Suzanne. C'est vraisemblablement à cause d elle que la donation des biens de Videlles et de Mondeville, déjà évoquée, est faite. C'est probablement Catherine que le peintre a représentée comme religieuse de Port-Royal sur son lit de mort dans une toile de petite dimension que possède le Musée Rath 59, à Genève. Sœur Catherine de Sainte-Suzanne tombe gravement malade 60 le 22 octobre 1660 ; laissons-lui la parole : le 13 novembre le mal «se jeta tout à fait sur le côté droit et particulièrement sur la jambe où je ressentis de fort grandes douleurs, et je me trouvai en un moment dans l impuissance de me soutenir dessus». Saignées, purgations, bains, fomentations, onctions, «tout, poursuitelle, m a été également inutile», de sorte qu au témoignage de la mère Agnès, elle doit «passer une partie du temps au lit, ou bien dans une chaise où elle ne peut se tenir qu en ayant une de ses jambes haute, qui est celle sur laquelle elle 54 - Séguier avait des liens de parenté avec la Mère Madeleine de Sainte- Agnès de Ligny, qui fut abbesse de Port- Royal, en 1661 : Magdelaine de Sainte Agnès est la fille de Jean de Ligny et de Charlotte Séguier, sœur du chancelier Pierre Séguier Baptisé le 1 er novembre Charles Borromée, ( ), prélat italien, dignitaire de l'église, artisan de la Réforme catholique, qui fut canonisé dès 1610 par le pape Paul V Jacques Tubeuf ( ), surintendant des Finances d Anne d Autriche l avait chargé d exécuter, en 1656, les quatre grands paysages pour le Val-de-Grâce sur le thème des Pénitentes dans le désert Sœur du Grand Arnault et troisième des vingt enfants d Antoine Arnauld, Jacqueline Marie Arnauld ( ), en religion Mère Angélique Arnauld, est abbesse et réformatrice de Port -Royal Le Musée a été fondé en 1824 par la famille Rath. Il s agit probablement de la toile «Religieuse morte ; ordre de Sainte-Brigitte», donné par M me s Sarasin-Bontems et Naville-Bontems Source http :// 215

216 Au pré de mon arbre ne peut en tout se soutenir». Incapable de se mouvoir, elle doit être portée «comme un enfant dans les bras», lorsqu elle va communier, et «de même, au parloir, quand mon père me venait voir». Après une fièvre de quatorze mois qui effraie plus d un médecin par son caractère tenace et l importance de ses symptômes alors que presque la moitié de son corps est paralysée, que la nature est déjà épuisée, les médecins l abandonnent 61 en octobre Bien que les religieuses eussent déjà fait «beaucoup de prières et plusieurs neuvaines pour ma guérison, qu il n avait pas plu à Dieu d exaucer» Les Sœurs tentent, à la fin de décembre, une nouvelle neuvaine, pour laquelle la mère Agnès, qui vient de céder la direction de l abbaye à Madeleine de Ligny Séguier, montre peu d enthousiasme. «Persuadée que Dieu me voulait malade, raconte toujours la sœur Catherine, puisqu il ôtait à tous les remèdes et moyens humains la vertu de me guérir», elle y consent cependant, mais seulement pourvu que ce soit «dans l intention de demander à Dieu qu il me fît la grâce de bien souffrir mon mal et de ne m en point ennuyer. Elle vint tous les jours à la chambre où j étais pour faire sa prière avec moi. La neuvaine commença le 29 décembre 1661». Le dernier jour, 6 janvier, fête de l Épiphanie, alors que la sœur Catherine se trouve dans la tribune de Port-Royal de Paris, où elle suit les vêpres, «la mère Agnès 61 - Les médecins se déclarent impuissants ; nous sommes à l époque du Diafoirus de Molière. 216

217 Nicolas Duchesne / s approcha de moi pour faire sa prière, écrit encore la malade, mais en la commençant il lui vint un mouvement d espérance de ma guérison qu elle n avait point eu pendant toute la neuvaine, n ayant même pas eu intention expresse de la demander». L état de la moniale ne s améliore pas, bien au contraire. Elle passe une nuit pire qu à l ordinaire, et, le lendemain matin, 7 janvier 1662, se retrouve dans la tribune de l église 62 clouée sur son fauteuil et la jambe droite sur un tabouret, afin d assister de là à la messe 63. Mais, au moment de la Préface, laissons-lui à nouveau la parole, «il me vint tout d un coup en pensée de me lever et d essayer de marcher. Je me levai à l heure même sans aide [...] et je fus jusqu au bout de la chambre [...]. Je me mis à genoux sans peine pour remercier Dieu et adorer le Saint-Sacrement, parce qu on sonna en même temps l Élévation de la grande messe, et je me relevai de même sans difficulté». La religieuse qui la soignait étant venue la voir, elle se lève de nouveau, puis elle se rend chez la mère Agnès, en compagnie de qui elle s en va ensuite entendre la messe. Après quoi, elle descend «un degré de quarante marches pour aller à l avant chœur, devant le Saint-Sacrement et devant la crèche pour rendre grâces à Jésus-Christ», en présence de toute la communauté, qui en chante, du coup, une antienne de remerciement. Mais il reste encore à son père de manifester à Dieu sa gratitude. Il le fait en peignant le tableau devenu célèbre entre le 7 janvier et la mi-juin 1662, date à laquelle il doit partir pour les Pays-Bas espagnols. La toile fut ainsi achevée par son neveu Jean-Baptiste, qui y porte, dans la partie supérieure gauche, l inscription 64 entendant manifester sa gratitude au Christ. Philippe de Champaigne trace cette image d un si grand miracle et un témoignage de sa joie. Il représente sa fille avec la mère supérieure Agnès Arnauld. La nonne est ici représentée allongée sur un fauteuil de paille et un tabouret en compagnie de la mère agenouillée. Les deux femmes, qui viennent d achever leur prière, ne se regardent pas, comme abîmées encore dans une contemplation apaisée, presque joyeuse. La pièce, une cellule du couvent, nue en dehors d une chaise et d une croix pendue au mur, est éclairée d en haut par un faisceau de lumière surnaturelle. Les tons froids, gris-blanc des robes, noirs des voiles, bruns indécis des murs sont à peine réchauffés par les rouges des croix cousues sur le costume des religieuses et le scapulaire posé sur les genoux 62 - Au monastère de Paris, situé au faubourg Saint -Jacques, dans l actuel hôpital Cochin En vérité la sœur Catherine est restée ce matin -là dans sa chambre, qu elle ne quittera qu après la messe de la communauté, pour aller trouver la mère Agnès, avec qui elle ira entendre une autre messe Rédigée par Monsieur Hamon, ainsi que, peut-être, par le Grand Arnauld. 217

218 Au pré de mon arbre de la grabataire. Le brun chaud des meubles, le jaune assourdi de la paille participent à l atmosphère de recueillement, de piété intériorisée. En 1662, de Champaigne effectue un nouveau voyage en Flandre. De cette époque datent la «Translation des reliques de saint Arnould 65», commandée par la guilde des brasseurs de Gand, ainsi que les «Les pèlerins d Emmaüs 66», datée de 1664 et provenant probablement de Port-Royal. Louis XIV lui commande encore en 1665 la «Réception du duc d'anjou dans l'ordre du Saint-Esprit 67» pour la cathédrale de Reims. Il réalise en 1673 «L'Assomption», pour l église Saint Bruno à Bordeaux, afin de compléter la décoration du chœur de l église, achevée en Différents documents nous permettent de suivre Philippe de Champaigne dans ses divers logements à Paris depuis l'année de son mariage en 1628, jusqu'au jour de sa mort. M. Jal a établi que lors de son mariage avec Charlotte Duchesne, fille de Nicolas, Philippe habite dans le même quartier que sa femme, sur la paroisse S t - Gervais, aux environs de la rue des Écouffes. Vers 1634, son nom figure sur les registres de S t -Sulpice ; sans doute l'artiste a dû abandonner un quartier trop éloigné de son travail afin de se rapprocher du Luxembourg. Peut-être habite-t-il déjà au Luxembourg où nous le voyons résider en août 1638, époque du décès de sa femme. Vers 1651 il se retire sur le territoire de l'église S t -Médard, comme le prouvent les registres de la paroisse. Il habite alors, rue Mouffetard, une maison occupée depuis par les Filles de la Miséricorde de Jésus et dont, à défaut d'autres souvenirs, il reste encore des vues dessinées 68. Il nous suffit d'ajouter que Philippe paraît y avoir résidé jusqu en 1656 ou Vers 1660, il exécute au château de Vincennes des travaux qui l'obligent peut-être à résider quelque temps dans le château même ou dans les environs. Car la distance est encore longue du donjon de Vincennes à la rue des Écouffes où le grand peintre vient finir sa carrière, dans le vieux quartier témoin des plus beaux jours de sa jeunesse, dans la maison même qui a abrité les premières années de sa femme Œuvre récemment découverte dans le commerce, à Paris Au Musée des Beaux Arts «voor Schone Kunsten», dit M.S.K., de Gand Connue par la réplique qu en fit Carl Loo ; au musée de Grenoble Que M. A. Bonnardot a minutieusement décrites dans la Revue universelle des Arts, t. VI, p C'est la vue de cette maison que le M a- gasin Pittoresque (t. XVIII, p. 217) a reproduite sous le titre de maison de Philippe de Champaigne. Nous renvoyons les lecteurs qui désireraient des détails plus étendus sur cette demeure à l'article de M. Bonnardot. 218

219 Nicolas Duchesne Jean-Baptiste de Champaigne, peintre lui-même et valet de chambre du roi, ayant épousé, le 9 mars 1670, Geneviève Jehan, nièce de Charlotte Duchesne, Philippe l'institue son légataire universel et lui donnera la maison des Écouffes ; sitôt veuve, Geneviève Jehan 69 la vendra à Lallemand, intéressé dans les affaires du roi. Or ce même capitaliste possédait la Pomme-d'Or, propriété contiguë. Philippe nous quitte le 13 août C est l'occasion pour les religieuses de Port-Royal de le mentionner dans leur obituaire 70 comme «bon peintre et bon chrétien». L inventaire post mortem relèvera dans sa bibliothèque de nombreux livres en latin. Jean-Baptiste qui s est aussi distingué dans le même art lui succède. Le testament de Jean-Baptiste tient tout entier en une page et demie ; un codicille occupe le bas de la seconde page. Le mourant a signé d'une main ferme. Il demeure alors, selon l'acte, dans l'îlot Notre-Dame, quai d'orléans, paroisse S t -Louis. Il lègue 500 livres aux pauvres de sa paroisse et 300 livres à l'abbaye de Port-Royal des Champs afin qu'on célèbre un service annuel pour le repos de son âme. Puis, rappelant les titres particuliers qui attachent sa famille à cette abbaye célèbre, Jean Baptiste laisse encore une somme de 1000 livres payables en deux ans à la communauté dont fait partie sœur Catherine de Sainte-Suzanne, fille de feu M. de Champaigne son oncle et bienfaiteur. A sa servante Anne, il lègue 100 livres ; à Jean Baptiste de Plate- Montagne, son filleul, 200 livres ; à l'hôpital général de Paris, 200 livres. Geneviève Jehan, sa femme, reçoit tout ce que le mourant possède tant à Bruxelles qu'en autres lieux des Pays-Bas ; enfin Catherine de Champaigne, fille unique de Jean Baptiste est nommée légataire universelle pour tout le reste de ses biens, sous cette condition que si elle venait à mourir avant d'être mariée, Denise Duchesne, belle-mère du testateur, femme de Claude Jehan, contrôleur des vins à Paris, succéderait aux lieu et place de ladite Catherine, à la charge de payer 3000 livres à l'hôpital des Enfants Trouvés à Paris. De la maison de la rue des Écouffes il n'est question ni dans le testament ni dans le codicille. C'est peut-être ce codicille qui offre le plus d'intérêt. Il nous apprend que la fille de Jean Baptiste, dont la mort semblait prévue par le testament, mourut en effet entre le vingt et le vingt-sept octobre : Jean Baptiste y institue définitivement sa belle-mère Denise, légataire universelle de ses biens, à la charge de payer 2000 livres à M. d'aigremont, confesseur du testateur Geneviève Jehan, petite-fille de Nicolas Duchesne ; remariée après 1685 à Pierre-Hubert Amelin, conseiller au Châtelet Un obituaire est un registre renfermant le nom des morts et la date anniversaire de leur sépulture afin de célébrer des offices religieux pour le repos de leur âme. 219

220 Au pré de mon arbre Charlotte Duchesne Au cours de l'année 2000, la Galerie morave de Brno, acquiert auprès d'un propriétaire privé tchèque un portrait de femme d une exceptionnelle qualité peint par un artiste anonyme du XVII e siècle. Sur la base du portrait exposé au Bowes Museum 71 et d une esquisse détenue par le MMA 72, le tableau à Brno est identifié comme le travail d un des plus importants portraitistes français du début du XVII e siècle, Philippe de Champaigne, et est décrit comme le portrait de son épouse Charlotte. Le portrait est présenté comme un témoignage éloquent de la fidélité de Champaigne à son épouse, même après sa mort précoce, et le portrait pourrait être posthume Situé à Barnard Castle, en Angleterre. Par co mparaison de la qualité des tableaux il est apparu que la version anglaise serait une copie ou l œuvre d'un faussaire Metropolitan Museum of Art de New York. 220

221 Duchesne de Chédouet Armes d'argent à trois glands de sinople accompagnés en chef d'une étoile de gueules. La famille du Chesne 1 est originaire du bourg de Moulins-la-Marche. En 1653, Louis Duchesne, y exerce, les fonctions de tabellion royal. Le 12 février 1703, en la paroisse de Courdevêque 2, son fils Alexandre 3, sieur de la Grèmudière, jeune homme de 30 ans, instruit et de bonne lignée, épouse damoiselle Marie-Gabrielle Catherine du Hamel 4. En conséquence de ce mariage Alexandre Duchesne quitte Moulins-la- Marche 5 où sa famille est ancienne et considérée, et s'établit à Alençon sans esprit de retour. Sieur de la Grèmudière, il avait obtenu, le 26 septembre 1700, des lettres patentes du Roi lui octroyant l'office de conseiller du Roi, élu en l'élection d'alençon, tenu précédemment par M. Jean des François. Il fut reçu en cette qualité au Bureau des finances et Chambres des Domaines de la généralité d'alençon le 12 juin Peu de temps après, M gr Charles François de Montmorency, duc de Montmorency et de Piney, marquis de Lonray 6, gouverneur de Normandie, le constitue son procureur et son fermier général pour le marquisat de Lonray. 1 - Le Bulletin de la Société historique de l'orne de l'année 1899 en donne une généalogie complète. Autre source http ://adesaintepreuve.free.fr/familles.html. 2 - En 1823, Moulins-la-Marche (768 habitants en 1821) absorbe Courdevêque (95 habitants, à l'ouest du territoire, aujourd'hui «Cour d'évêque») et Rouxoux (78 habitants, au nord, aujourd'hui «Ronxou»). 3 - Né à Moulins la Marche le 16 octobre D'origine Alençonnaise, Marie du Hamel est très probablement issue de Jacques Duhamel, avocat anobli en Elle comptait des parents dans Alençon et y possédait une maison rue des Poteries. 5 - Il laisse à Moulins des collatéraux qui, sous les qualificatifs de sieur des Vallées, de Aulnay, de Lisle et du Parc furent pendant plusieurs générations, les uns notaires royaux et procureurs héréditaires, les autres conseillers procureurs du roi, et s'allièrent aux Chérault des Brossettes, Guérin de Lomprey, Lévesque de la Héberderie, de la Vallée du Bosc, et Collot de Gircourt. 221

222 Au pré de mon arbre L'existence d'alexandre Duchesne se partage, dès lors, entre Alençon où il demeure rue des Poteries, dans la maison de sa femme, et le château de Lonray. C'est là, au mois d'avril 1740, qu'il est atteint de la maladie. Ses dernières volontés reçues par l'abbé François Granger, curé de Lonray, témoignent éloquemment de ses sentiments religieux. Après avoir recommandé son âme à Dieu par l'intercession de la Sainte Vierge et des saints, spécialement de S t Alexandre, son patron, il ordonne que son corps soit inhumé en l'église de Lonray. Il lègue 50 livres de rente à l'église de S t Nicolas de Moulins où il a été baptisé ; 50 livres aux pauvres de Lonray ; 100 livres au trésor de Notre-Dame d'alençon pour la célébration d'un grand service sonné à longs coups ; 300 livres aux pères capucins ; 300 livres aux filles de sainte Claire ; et s'assure des messes à perpétuité à Moulins et à Lonray. Il donne enfin 300 livres à sa cousine, fille aînée de Robert d'ennecey, sieur de Souchet, domicilié à Séez. Alexandre Duchesne meurt peu après. Marie du Hamel, infirme et paralysée, lui survit quelques années. De leur mariage était issu, en 1706, Denis Alexandre, objet de toute leur sollicitude. Denis Alexandre est un homme de valeur. Instruit d'abord par ses parents et par un neveu de sa mère, Louis-François du Hamel, il est l'un des meilleurs élèves du collège des Jésuites d'alençon. Dès 1738, il est conseiller du roi et son procureur 7 au bureau des finances et chambre des domaines d'alençon et voyer d'alençon, et joint bientôt à cette qualité, celles issues de son père, seigneur des fiefs de Chédouet, Brinville, la Normanderie, la Fresnaye et autres lieux, patron honoraire de la paroisse de Fresnaye-sous-Chédouet. Plus tard, Denis Alexandre Duchesne de Chédouet recueillera la terre de la Sicotière 8, sise à Bursard, au sud de Séez, de son cousin Pierre Brunet des Portes Ou Lonrai, à 4km d Alençon. 7 - Il est qualifié «ancien trésorier de France au bureau des f i- nances d'alençon» dans son acte de décès. 8 - Cassini l' orthographie la Cicotière. On trouve un lieu -dit la Sicotière, au nord d Acig Ille-et-Vilaine, canton de Cesson-Sévigné 9 - Qui est Pierre Brunet? Aurait-il un lien avec : Le 25 avril 1692, Renée de Barville fait inventorier les meubles laissés par son défunt époux au château du Douet, en Saint Paul -le-vicomte et, le 23 juin 1693, par contrat passé à Blèves, en l'étude de Jacques Tabur, convola en secondes noces avec René de Brunet, chevalier, seigneur du Douet, chevalier des ordres militaires du Mont-Carmel et de Saint-Lazare de Jérusalem, tant deçà que delà les Mers, commandeur de Monthoult, fils de défunt Jean, seigneur de R i- 222

223 Duchesne de Chédouet Ainsi, quand en 1740 il sollicite la main de damoiselle Catherine du Mesnil de Villiers 10 sa demande fut-elle favorablement accueillie. Au contrat de mariage passé à Pacé, le 13 juin 1740, les témoins de Denis sont Robert d'ennecey, sieur du Souchet, conseiller du Roi et Jean Brunet, sieur de la Noé, ses cousins ; Pierre Alexandre du Mesnil, écuyer, sieur de Villiers, et Louis du Mesnil, écuyer, sieur de Saint-Denis, frère et cousin germain de la future, sont présents. De ce mariage naquirent quatre enfants : Denys «Alexandre» Madeleine ; Jacques Robert «Étienne»; Catherine Anne ; Marie Louise Pélagie Denis Alexandre Duchesne de Chédouet meurt le 24 avril L aîné des garçons, Alexandre, garde du corps, épouse Thérèse Élisabeth Menjaud et donne naissance à l'éphémère branche Duchesne de Chédouet. 223 Le château de Chédouet La seigneurie 11 de paroisse, qui est annexée au château de Chédouet, appartient 12 en 1777 à M. Duchesne, procureur du roi au bureau des finances d'alençon. Le château de Chédouet, à 5 km. seulement au S. E. du bourg, pouvant être considéré comme y attenant, est une maison fort simple, avec un pavillon, autrefois entouré de fossés et défendu par un pont-levis. La commune est arrosée par le ruisseau de Chédouet, qui prend sa source dans la forêt, au triage de la Croix-Chéreau, coule au nord, passe à l'est du bourg, y forme l'étang du château, et va se jeter dans la Sarthe au-dessus de l'ancien prieuré de S t -Paul. L étang de Chédouet, d'environ 8 hectares, empoisson carpes et tanches. Celui de Sarthon, desséché est en pâtures depuis longtemps. Le moulin à blé de Chédouet est sur le ruisseau de ce nom. gours et de Rouilly et de Anne Martel, veuf de Léonore de Guilbert, demeurant à la Commanderie, en Bursard Catherine du Mesnil, fille de feu Alexandre du Mesnil, écuyer, sieur de Villiers, et de noble dame Marie Martel, de Saint-Denis sur Sarthon ; est-il besoin de rappeler, que cette famille Alençonnaise, fut anoblie au XV e siècle pour son dévouement à la cause nationale La partie de cette seigneurie qui dépendait de la baronnie de Saosnois, du bailliage de Mamers, s'étant trouvée réunie à la cour onne, après l'avènement de Henri IV au trône, fut aliénée postérieurement, avec faculté perpétuelle de rachat, à M. Boulemer de Bresteau, seigneur de Montigny, président au présidial d'alençon Ce château appartient encore à une dame de cette famille, appelée de Chédouet, qui habite la même ville.

224 Au pré de mon arbre Le moulin de Chédouet Ce plan seul vous fera je crois présumer, mon père, ainsi que le local me l'a fait croire que le ruisseau gg prenait jadis son cours vers le point v et que le petit ruisseau hh ne tombait dans le premier que par derrière la presqu'île dont le champ m est le cap. Pour établir un moulin, on a fermé l'étang en soulevant les eaux par trois bouts de chaussées : c'est ce qui lui donne un air absolument naturel, les arbres qui l'entourent étant d'ailleurs inégaux et nullement alignés. Il résulte de cette disposition des eaux un autre effet qui m'a beaucoup surpris le premier soir que je l'ai observé. Lorsque le moulin va, il s'établit un courant dans la ligne ss tandis que toute la moitié de l'étang du côté de Chédouet reste dormant ; cette partie donc fait miroir tandis que le courant ne le fait point de manière qu'on voit se refléter dans l'eau la sommité des arbres seulement tandis que leur pied de l'est pas ; cet effet cesse aussitôt que, la pale baissée, toute l'eau devient tranquille, alors l'image des arbres est entière comme dans tous les étangs. Ceci 224

225 Duchesne de Chédouet n'est que singulier ; mais ce qui est assez désagréable c'est que la partie voisine de l'habitation étant dormante, l'eau en est fort sale et l'étang plein de joncs, de pilets, de rouches et de paveux, c'est à dire de scipe, de masse, de roseau et de glaïeuls. Au reste, cet étang est cependant de bonne eau, car le poisson en est excellent tout frais pêché sans avoir besoin d'être dégorgé dans un vivier ; nous l'éprouvons chaque semaine, la ligne à pêcher devenant les jours de maigre la pourvoyeuse de la maison comme le fusil les jours gras. Le Pâtis S t -Georges porte le nom de la paroisse, dont les cloches ont été nommées Georgette, le curé les ayant fait fondre depuis le procès qui existe entre les seigneurs de Chédouet et le haut justicier M. de Montigny pour les honneurs de l'église du bourg de la Fresnay. Ce procès qu'on ne peut réussir à accommoder, qu'on ne veut pas presser de crainte que les frais se multiplient, M. de Montigny, fort indolent, ne finisse par proposer transaction lorsqu'ils se trouveront monter trop haut, ce procès, dis-je, fait que ni l'un ni l'autre Seigneur n'ont les prières nominales, le curé annonçant seulement au prône qu'on priera pour le Roi très chrétien, pour la Reine, pour la famille royale et pour le Seigneur de la paroisse. Mais, le pire inconvénient est que la chapelle Seigneuriale, qui ne peut être réparée avant le jugement, est dans un délabrement vraiment dégoûtant, sans pavé, l'autel tout à jour et les bancs eux mêmes assez ruinés. À propos de l'église, je vous ai dit, mon père, qu'elle est remplie de monde au deux messes : cependant il n'y a qu'une seule rue au bourg et peu de maisons ; mais c'est que les habitants en sont dispersés par toute la campagne et surtout dans le pied de la forêt. Je reviens à mon étang ; sans le moulin qu'il faut conserver, M. de Chédouet aurait assez envie de le remettre en herbes : c'est ce qu'ils ont fait d'un autre étang qu'ils nomment la Bauge qui est du côté de la forêt sur la gauche du chemin d'alençon. Au lieu de 60 livres de poisson qu'ils en tiraient, il est loué 200 livres en herbage. Cet avantage a fait détruire une grande partie des étangs qui se trouvaient dans tout le pays plat entre les forêts qui occupent les hauteurs. La moindre consommation du poisson depuis que le maigre n'est plus de mode à la capitale a pu y contribuer mais M. de la Sicotière pense que cette disproportion de produit résulte de l'amélioration du terrain par le long séjour de l'eau, de sorte qu'un jour les prés se trouvant dégraissés, il serait possible qu'on aperçut un profit à les remettre sous l'eau : vicissitude des choses humaines. Je me suis bien écarté du Manuel ; j'ai pourtant reçu du bonhomme Séguret de bonnes instructions sur les cidres que je veux vous indiquer en deux mots. Le poiré, bien plus vif que le pommé, se garde mieux et jusqu'à trois ans : le pommé se garde bien un an pour être bu dans la seconde ; l'albi mêlé de poire et pomme, quoique plus vif que le pommé, n'est pas si bon, ainsi que le vin mêlé de raisin blanc et noir. Les espèces de poires sont très variés : il y a le biard, la sauge, le petit Coignet, ce dernier fait de joli cidre ; mais le grand cidre est fait avec la rouge Vignet. Quant aux pommes, la Rousse, le Lonrai blanche et plate, le Bedaine blanche et longue font le bon cidre ; il y encore le Tafu a queue plus courte que le Lonrai, la carnette qui rouge et le gros barbari, mais c'est le Barbari sale qui fait le meilleur ; on ne lui reproche que de rapporter peu. 12 Le Manuel Versailles mercredi 25 Parlons d'abord de ce Manuel : en voici la position en carte topographique à vue de pays dans laquelle la formation de l'étang se trouve exposée ainsi que la disposition du bourg et du château. (Voir ci-dessus) 225

226 Au pré de mon arbre Alexandre Duchesne de Chédouet Mariage avec Thérèze Élisabeth Menjaud Le Chesnay (78) --- L'an mil sept cent soixante douze le sixième jour de juillet après la publication d'un ban 13 faite en l'église paroissiale de Notre Dame d'alençon le vingt huit juin dernier du côté du sieur Époux, vû la dispense des deux autres obtenus de M gr l'évêque d'ale de Seez 14 en date du vingt neuf du même mois, et aussi après la publication d'un ban faite en l'église Royale et paroissiale de S t Louis de Versailles les mêmes jours (mot illisible) que dessus, vu la dispense 15 de deux bancs de Monseig. l'archevêque de Paris en date du trente juin avec la permission de fiancer 16 le même jour, ont été par nous fiancés en conséquences le même jour et mariés sans opposition ni empêchement quelconque et ont reçu de nous curé de S Louis soussigné avec la 13 - «Les bans» (dans les textes anciens, comme celui -ci, on lit souvent bancs), a pour vocation de faire connaître le mariage à tous, afin que toute personne soit à même de s'y opposer, en démontrant d'évent uels empêchements. Ce sont les conciles de Latran (1215) et de Trente (1563) qui font obligation de la publication des trois bans pendant les 3 semaines préc é- dant la cérémonie Traditionnellement, la ville porte le nom de «Séez». C'est d'ailleurs cette orthographe que la hiérarchie catholique a conservé : dans l'orne, l'évêché est à Séez (diocèse de Séez). Pourtant, la ville de Séez est devenue la ville de Sées sous Napoléon suite à la campagne d'italie : la France se retrouve alors avec deux villes de Séez, dont une en Savoie Notre arbre généalogique donne un fils 1770 ; Les causes pour lesquelles on accordait dispense des bans, habituellement les deux de r- niers, et même parfois du premier, sont lorsque l extrait baptistaire est impossible à fournir (registre détruit, baptême non inscrit dans le registre) ; mariage trop proche d'une période de temps clos (défendu) de Carême et d'avent, qui aurait nécessité une dispense plus coûteuse pour être célébré ; lorsque les futurs conjoints veulent éviter l éclat, à cause de l inégalité d âge, de condition, ou de fortune ; lorsqu ayant vécu en concubinage, ils passaient néanmoins pour mari & femme, et qu on ne veut pas révéler leur turpitude ; si celui qui a croqué la pomme avant célébration, la future est dans un état intéressant, on hâte le mariage de peur qu il ne change de volonté ; si, après les fiançailles, le fiancé est obligé de s absenter pendant un temps considérable ; enfin lorsqu un homme, in extremis, veut épouser sa concubine pour réparer sa faute, assurer l état de celle avec laquelle il a vécu, et celui de ses enfants s il y en a. Veuf/veuve se remariant on veut éviter l'habituel charivari et rester discret surtout si le veuvage est récent. Actuellement on peut obtenir dispense d'affichage de la publication à la mairie si l'on peut craindre que cela créé un trouble à l'ordre p u- blic ; c est ainsi qu il en fut pour le Président Sarkozy & Carla Bruni Habituellement le temps des fiançailles était d une année. 226

227 Duchesne de Chédouet permission du sieur curé du Chesnay la bénédiction nuptiale après que nous avons eut prit leur mutuel consentement M r Denis Alexandre Duchesne de Chédouet Écuyer Garde du Corps du Roy 17 fils majeur âgé de trente un an de Mr Denis Duchesne Conseiller du Roy et son procureur honoraire au bureau des finances de la Généralité d'alençon seigneur des fiefs de Chédouet, Brinville, La (mot illisible, peut-être Fresnaye), La Normandière (?) & autres lieux patron honoraire de la paroisse du d. La Fresnaye, et de Noble dame Catherine Dumesnil de Villiers son épouse ses père & mère d'une part ; & Demoiselle Thérèze Élisabeth Menjaud fille majeure âgée de vingt cinq ans passés de f M. Jean Menjaud Contrôleur de la maison de madame la Comtesse de Provence, et de Thérèze Élisabeth Gaignedenier son épouse ses père & mère d'autre part : En présence et du consentement de parens et amis Gapier envoyé savoir du coté de l'époux de Messire François Michel de Moucheron Écuyer sieur de la Bretéguière, Garde du Corps & pensionnaire du Roy, chevalier de l'ordre royal & militaire de S t Louis, demeurant ordinairement à Verneuil au Perche, de présence en ce lieu au nom et comme fondé de la procuration spéciale à Car effet du d. sieur Duchesne père passé devant M e Foureault de Savane (?) et son conseil Notaire à Paris les vingt deux juin dernier dans laquelle le dit sieur Duchesne a stipulé tant en son nom que comme fondé de la procuration portant pouvoir de subs??? de la dite Dame son épouse de luy autorisé par la dite procuration passée devant Marchand et son conseil not(aire) Royaux à Alençon le onze du mois de juin dont l'original duement controllé et legatiné (?) est aneuné (?) à la ensuite du contrat de mariage du d(it) s(ieur) Duchesne de Chédouet et de la d(ite) D(emoise)lle Menjaud passé devant Le d(it) not(aire) Fourcault de Savane et son confrère le même jour vingt deux juin dernier l'original de la quelle procuration du d(it) sieur Duchesne père du d(it) jour vingt deux juin a passé ensuite l'extrait de celle de la d(ite) D(ame) Duchesne nous est resté entre le (mot illisible) de M e Pierre de Sainctilly (?) Ecuyer Garde du Corps du Roy chevalier de l'ordre royal et militaire de S t Louis dem(euran)t ordinairement à Verdun ce jour en ce lieu était M r Gabriel Charles François Jacques François (un mot rayé) Brossin de S t Didier Écuyer gendarme de la garde ordinanaire du roi dem(euran)t ordinairement à Alençon (interligne : ce jour en ce lieu), cousin du futur époux et du coté de l'épouse du d(it) sieur et M. ses père & mère et M Jean Menjaud avocat au Parlement Conseil(ler) du Roy N(otaire) au Ch(âte)let de Paris deux rüe son frère deux rue S t Honoré p(aroi)sse S t Germain lauxerrois et de M re Jean Louis de Moucheron Écuyer Garde du Corps du Roy dem(euran)t à Montreuil Largillé en Normandie diocèse de Lisieux ce jour en ce lieu lesquels ainsi que l'époux et l'épouse et le d(it) curé du lieu ont signé avec nous Duchesne de Chédouet ; Duchesne Sicottière ; T.E. Gaigne denier, Jean Menjaud ; T. E. Menjaud ; M. I. Menjaud ; Moucheron de la Bretignière ; Sainthiltier (?) ; M. E. Dupré; Brossin de S t Didier ; L. Menjaud ; C. Menjaud Octobre (1792) : / vente des meubles du citoyen Duchesne Chédouet, réputé émigré 11 octobre (1792) : réponse au rapport du district de Mamers sur les délits commis à la vente des meubles de Duchesne Chédouet, réputé émigré (fol. 138v) Renvoi en marge : Compagnie de Beauvau dd dg son M.S T. E. M M. T. E. G. BD M L M m 227

228 Au pré de mon arbre Séance du 9 frimaire an VII : la citoyenne Élisabeth Menjaud, femme d'alexandre Duchêne-Chédouet, demande qu'on la remette en jouissance d'une portion de bois sise à Roullée, canton de La Fresnaye. Son fils, Jean-Marie Duchesne de Chédouet possède, à La Fresnaye sur Chédouet, une pierre tombale remarquable, en granit, datée Nous ne connaissons pas de descendance mâle au delà de la première génération. Par contre, deux filles ont perpétué cette branche en s alliant respectivement : - Madeleine Joséphine «Élisabeth» avec François René Lefebvre d Argencé ; - et Antoinette Eulalie avec François Marie Vincent «Thomas» Hochedé de la Pinsonnais. Documents d archives Canton de Précigné 18 Correspondance de l'agent national 19 (16 frimaire - 1er fructidor an II). - 8 germinal an II : lettre à la Société populaire de Mamers : Je vous adresse, citoyens, douze exemplaires du rapport fait à la Convention nationale par Saint-Just le 23 ventôse dernier ; il dévoile le complot liberticide qui a conduit le père Duchesne à la guillotine, sa lecture mérite d'occuper une de vos séances. La République ou la mort. (fol. 10). 13 germinal : lettre au comité de Salut public : Je reçois aujourd'hui votre lettre du 7 de ce mois relative à l'exécution dans le district de Mamers du décret du 12 frimaire ; il y avait dans ce district deux dépôts de parchemins, livres et papiers manuscrits qui pouvaient blesser les principes de liberté et de raison ; l'un était à la municipalité, l'autre aux archives du district, mais le 21 frimaire, lorsque les brigands s'emparèrent de la ville du Mans et menacèrent le district de Mamers, les parchemins, papiers, manuscrits, etc., furent brûlés à l'exception de quelques uns qui sont maintenant enfermés dans une chambre particulière dont la clef est confiée à un administrateur du directoire. (fol. 15). Floréal : plusieurs lettres relatives à une insurrection à Orignyle-Roux (fol. 26 et suiv.). 24 floréal : lettre au président du tribunal civil de Mamers, relative à des perquisitions faites dans la forêt de Perseigne et qui ont amené la constatation de dévastations graves (fol. 37). Nombreuses lettres relatives à la fabrication des salpêtres et à des réquisitions diverses ; transmissions de décrets, de lois, de proclamations, instructions administratives aux municipalités. An II L Registre, 82 feuillets papier. 228

229 Duchesne de Chédouet Affaires diverses L2250 Créanciers des émigrés. - Instructions, délibération du directoire du département, états concernant les émigrés Dubois- Descourt et Duchesne. An II an IV. L Liasse, 290 pièces papier. Rapports et correspondances du commissaire du Directoire exécutif au commissaire central de la Sarthe sur la situation morale, politique et militaire du canton de Précigné messidor an IV : instructions relatives à la plantation d'arbres de la liberté brumaire an V : compte décadaire relatant les rassemblements de chouans qui se font dans la commune de S t -Denis-d'Anjou dans la Mayenne, et menacent Précigné. - 6 nivôse : rapport sur les menaces proférées par des chouans contre des citoyens républicains. - 9 nivôse : dénonciation de conférences secrètes tenues habituellement par le prêtre Pineau et quatre autres réfractaires. - 3 pluviôse : lettre sur le mauvais esprit général du canton que Glatier et ses partisans terrorisent. - 21pluviôse : rapport sur l'abattage des arbres de la liberté par les chouans dans plusieurs communes pluviôse : lettre relative à l'envahissement du canton par des bandes de déserteurs que les habitants accueillent bien. 15 floréal : récit typique de l'arrestation d'un patriote par des chouans près desquels il passait et qui étaient rassemblés pour entendre une messe dite par Glatier. An VI : listes des émigrés et des prêtres réfractaires du canton nivôse : rapport sur l'arrestation de Glatier par les chasseurs de la 30 e demi-brigade. Les rapports décadaires de l'an VI constatent une amélioration de l'esprit public, excepté le dernier où le commissaire Duchesne dit : «Je me suis aperçu que les vols et assassinats commis nouvellement dans les cantons voisins ont causé beaucoup d'inquiétude, et même imprimé une certaine terreur» / 229

230

231 Duchesne de la Sicotière C'est le troisième des enfants de Denis Alexandre Duchesne, Jacques Robert Étienne, 1742, écuyer, sieur de la Sicotière, qui perpétuera sa famille 1. Il entre en 1762, à 20 ans, dans les gardes du corps, compagnie de Beauvau, brigade de Monetay dans laquelle se trouve déjà son frère de Chédouet. C'est à Versailles qu'il fait la connaissance d'une jeune fille remarquable par ses qualités physique et morale, M lle Marie-Josèphe Menjaud 2, âgée de 24 ans. Il l'épouse - par contrat passé le 6 juillet , en l'église S t -Germain du Chesnay et de S t -Antoine du Buisson, diocèse de Paris, en présence de Jacques Denis Alexandre Duchesne, écuyer, sieur de Chédouet, son frère ; François Brossin de Saint-Didier 3, écuyer, gendarme de la garde, son cousin ; François 1 - Source : Vicomte de Motey : Origines de la Normandie et du V i- comté d Alençon. 2 - Fille de Jean, originaire de Fréjus, contrôleur de la Maison de son Altesse Madame la Comtesse de Provence et Madame la Dauphine, et de dame Élisabeth Gaignedenier. 3 - Cousins par leur arrière-arrière-arrière-grand-père Isaac du Mesnil ; Marie Anne Charlotte de Brossin, épouse de Louis du Mesnil a eu pour filleule, en 1743, Catherine Anne Duchesne de la Sicotière. La famille Brossin de Saint-Didier est originaire d'alençon. - François est né à Mamers le 12 novembre 1749 ; Son auteur, Louis-François-Pierre Brossin, Sgr patron de Fontenay, Saint - Didier, Longuenoë, etc., garde-marteau de la maîtrise des eaux et forêts d'alençon, fut pourvu en 1781 de la charge anoblissante de secrétaire du Roi en la cha n- cellerie près le Parlement de Paris, obtint des lettres d'honneur le 11 ja n- vier 1778 et fit régler ses armoiries par d'hozier en Il avait épousé Lucie Luce de Roquemont qui mourut jeune et qui fut inhumée en 1759 en l'église Saint-Léonard d'alençon. - Gabriel-Jacques, fils du précédent, né le 12 novembre 1749 à Mamers (décèdera le 23 décembre 1821 à Paris), écuyer, seigneur de Fontenay, Saint-Didier, Longuenoë et Lyvet, était capitaine au régiment royal de dragons quand il épousa, en 1782 à Paris, Agathe «Sophie» Augustine de Parseval née à Paris en Louis-François-Pierre est le fils de Jacques Brossin, né vers 1680, décédé le 19 avril 1757, Fontenai-les-Louvets, Orne, Basse Normandie, Escuyer, Garde dans la réserve du Roy, Seigneur de Tronfresne (?), Co n- seiller du Roy, Receveur des bois et forêts de la maîtrise de Domfront, 231

232 Au pré de mon arbre Michel de Moucheron, écuyer, sieur de la Bretignière, chevalier de S t Louis ; Pierre Lhuillier, écuyer, chevalier de S t Louis ; Jean-Louis de Moucheron, écuyer ; Pierre de Saint-Hillier 4, écuyer, tous garde du corps ; Claude François le Poutre, avocat au Parlement, et son épouse Thérèse de la Porte. Du côté de la future, le frère, Jean Menjaud, avocat au Parlement, conseiller du Roi, notaire au Châtelet de Paris, et Madeleine du Prè 5, son épouse ; sa sœur damoiselle Thérèse Menjaud, fiancée de M. de Chédouet ; ses autres sœurs Jeanne Catherine et Luce Menjaud ; Jean-Baptiste du Pré6, conseiller du Roi, notaire au Châtelet de Paris et dame Marie Madeleine Caron, son épouse, représentaient la famille. Un certain nombre de témoins d'honneurs signaient au contrat. Leurs noms prouvent en quelle estime était tenu Jacques Robert Étienne de la Sicotière. Ce sont M gr le prince de Beauvau, capitaine des gardes du corps de sa majesté ; M gr. le duc et Madame la duchesse de Fleury ; M gr l'évêque de Chartres, le chevalier de Fleury ; le marquis de la Rivière ; le comte de Noailles ; le duc de Mouchy ; le marquis de Muy ; enfin M. Danger, Major des gardes du corps, compagnie de Beauvau. M lle Menjaud apporte une dot de livres et un trousseau estimé à livres. M. de la Sicotière reçoit, de son père, la terre de son nom. Contrat de mariage entre M. Duchesne de la Sicotière et D lle Menjaud 24 juin 1772 Par devant les conseillers du Roy, notaire à Paris, soussigné, furent présents M. Denys Duchesne, conseiller du roi son procureur honoraire au bureau des finances de la généralité d'alençon, seigneur des fiefs de Chédouet, Brainville, la Fresnaye, la Mormanderie et autres lieux, patron honoraire de la paroisse de la Fresnaye, demeurant ordinairement à Alençon, étant de présent à Versailles, logé avenue de Sceaux en une maison ayant pour enseigne la fleur de Lys. Tant en son nom que comme se faisant fort de noble dame Catherine du Mesnil de Villiers, son épouse, par laquelle il s'oblige de faire ratifier les présentes pour Jacques Robert Étienne Duchesne de la Sicotière, leur fils, écuyer, garde du corps du roi compagnie de Beauvau, demeurant avec ledit S. et dame, son père et mère étant aussi logés à Versailles, avenue de Sceaux, et actuellement ainsi que ledit S. son père à Paris, au présent et de son consentement pour lui en son nom d'une part. Et S. Jean Menjaud, contrôleur de la maison de Mme la comtesse de Provence et dame Thérèse Élizabeth Gaignedenier, son épouse, qu'il autorise, demeurant à Versailles, rue Satory près de Saint Louis, étant ce jour à Paris. Seigneur et Patron de Fontenai-les-louvets, marié avec Dame Marie du Mesnil Saint- Didier, née vers 1690, décédée le 10 mars 1740, Fontenai -les- Louvets. 4 - S gr de Sommedieux. 5 - Fille de Jean-Baptiste, qui suit. 6 - Jean-Baptiste Alexandre-Jean, né vers 1720 ; notaire au Châtelet de 1742 à

233 Duchesne de la Sicotière Stipulons pour Mlle Marie-Joseph Menjaud, leur fille mineure, demeurante avec le dit S. et dame, son père et mère, et en ce jour à Paris à ce présente et de son consentement pour elle et en son nom, d'autre part. 233

234 Au pré de mon arbre Lesquels, pour raison du mariage qui doit unir ledit S. Duchesne de la Sicotière et ladite Dlle Menjaud et dont la célébration se fera dans peu, selon les cérémonies de l'église, et ont arrêté les conditions de la manière qui suit en la présence de M. le Prince de Beauvau7, capitaine des gardes du corps de S.M., de M. le duc8 et Mme la duchesse de Fleury9, de Mgr l'évêque de Chartres10, de M. le Chevalier de Fleury11, de M. le marquis de la Rivière12, de M. le comte de Moaille13, duc de Mouchy, de M. le marquis du Mury, de M. Danger, major des Gardes du corps de S.M., compagnie de Beauvau. Et encore, en la présence des parents, amis, des futurs époux, de la part du futur, M. Denis Alexandre Duchesne de Chédouet, son frère, écuyer, garde du corps de S.M., même compagnie, de M. Gabriel Jacques François Brossin de S. Didier, écuyer, gendarme de la garde ordinaire du roi, son cousin. M. François Michel de Moucheron, écuyer de la Brétignière, chef de l'ordre Royal et militaire de Saint Louis, M. Pierre Hillier, écuyer aussi, chef de l'ordre Royal et militaire de Saint-Louis, et Jean-Louis Moucheron, écuyer, tous trois gardes du corps du roi. M. Claude François de Lapoutre, avocat au parlement et dame Marie-Thérèse de Lapoutre, son épouse, et demoiselle de Lapoutre, fille majeure amie. Et de la part de la future, M. Jean Menjaud, avocat en parlement, conseiller du roi, notaire au Châtelet de Paris, son frère et dame Magdeleine Élizabeth Dupré, son épouse. Demoiselle Thérèse Élizabeth Menjaud, accordée avec le S. Duchesne de Chédouet, frère aîné du futur. Demoiselle Jeanne Catherine et Luce Menjaud, aussi sa sœur. M. Jean Baptiste Alexandre Dupré, conseiller du roi, notaire au Châtelet de Paris et dame Marie Madeleine Laran, son épouse. M. Jean Baptiste François et S. Dupré, amis et alliés. Les futurs époux se marient suivant les dispositions de la coutume de Normandie à laquelle ils se soumettent, dérogeant à cet effet aux dispositions de toute autre coutume, notamment à celle de Paris dans le ressort de laquelle la future est domiciliée. 7 - Charles Juste de Beauvau-Craon ; a laissé son nom à l hôtel Beauvau. 8 - André Hercule de Rosset ( ), 1 er du nom, marquis de Rocozel, baron de Ceilhes, etc. 9 - Anne-Magdeleine-Françoise de Monceaux, dame du palais de la reine, fille de feu Jacques de Monceaux, marquis d'auxy, chevalier des ordres du Roi, et de feue Marie-Madelaine de la Grange-Trianon Pierre Augustin Bernardin de Rosset de Fleury ( ) ; Premier aumônier de Marie Leszczynska puis de Marie -Antoinette Petit-neveu du cardinal de Fleury, fils de Jean -Hercule, et de Marie Rey. Jean- André- Hercule de Rosset de Rocozel, ( ). Chevalier de Malte, brigadier des armées du Roi, gouverneur de Montlouis en 1763, lieutenant général des armées du Roi en Participe aux guerres de succession d'autriche et de Sept Ans Pierre-Charles, Marquis de la Rivière a épousé en 1771 Marie - Henriette-Élisabeth-Gabrielle de Rosset de Fleury, fille de André Hercule ci dessus Il s agit de Philippe de Noailles, comte de Noailles (et non Moaille), duc de Mouchy, etc. né à Paris en 1715 et mort guillotiné à Paris le 27 juin

235 Duchesne de la Sicotière Le père et mère de la future épouse lui constituent en dot en avancement de leur succession future, chacun par moitié, la somme de quarante mille livres en déduction de laquelle il s'obligent solidairement sous les renonciations ordinaires, aux bénéfices de droit de payer aux futurs époux en deniers comptants dans le courant d'une année à compter de ce jour la somme de quinze mille livres et pour les vingt cinq mille livres restant, ils s'obligent solidairement, comme dessus, d'en payer l'intérêt sans aucune retenue d'imposition royale présente et à venir aux futurs époux à compter du jour de la célébration du mariage en deux paiements égaux annuellement jusqu'au remboursement qu'ils pourront faire du capital quand ils jugeront à propos. Plus, ils s'obligent, de même, de fournir aussi la veille du mariage à ladite demoiselle future épouse leur fille, un trousseau de valeur de cinq mille. Et enfin, ils s'engagent de conserver à la future épouse, sa part héréditaire dans la succession et de ne faire aucune disposition en faveur de leurs autres enfants contraire à la présente soumission. En considération du mariage, le futur époux fait donation à la future épouse au cas qu'elle le survive, de l'autre moitié dans les meubles et biens réputés tels suivant la coutume de Normandie pour en faire et disposer par elle en toute propriété comme de choses lui appartenant pourvue toutefois qu'au jour du décès du futur époux il n'y ait aucun enfant vivant ou à naître du dit mariage dans laquelle donation, si elle a lieu, se trouveront confondus les biens paraphernaux14 de la future épouse. La future épouse donne au futur époux, au cas qui le survive sans enfants, par forme de don mobile, la somme de cinq mille livres dont il disposera en toute propriété comme de choses lui appartenant. Ledit S. Duchesne tant pour lui que pour la dame son épouse donne et constitue en dot, en avancement de leur succession et avec toutes garanties de leur part au futur époux, leur fils, la terre de la Sicotière15 située (blanc) avec tous ses appartenances et dépendances ainsi qu'elle se poursuit et comporte ni en rien excepter ni retenir et y compris quatre arpents de prés qui ont été nouvellement acquis par ledit S. Duchesne et qui tiennent à la terre par le futur époux jouir du tout en pleine propriété à (blanc) la jouissance savoir de la terre du jour de la célébration du mariage, et des quelques arpents du pré de la Toussaint prochain attendu que celle desdits S. Duchesne n'a lieu à cet égard que dudit jour au terme du titre de l'acquisition. Plus ledit S. Duchesne père, tant pour lui que pour ladite Dame son épouse, réserve le futur époux à leur succession pour prendre de telles parts et portions qu'il aura droit d'y prendre suivant la coutume de Normandie. Pour assurer la dot de la future épouse, le futur époux fera emploi tant des livres qui de la dot doivent être payées dans le cours d'une année à compter de ce jour, que des livres de surplus quand les père et mère de la future jugeront à propos de rembourser, en acquisition d'héritage et de faire dans les contrats d'acquisition la déclaration nécessaire de l'origine des deniers pour que les héritages acquis soient représentés des deniers totaux de la future épouse desquels emplois il promet de justifier aux dits S. et d. Menjaud, père et mère. Arrivant le prédécès de la future épouse, sans enfant, le futur époux aura (blanc) pour rendre ce qui sera alors à restituer en deniers comptants et en payant l'intérêt suivant la coutume de Normandie. Le délai de la restitution de la dot n'aura lieu qu'autant que le 14 - Biens personnels de la femme qui sont laissés à sa jouissance et à son administration par opposition aux biens dotaux qu'administrait le mari Il existe un village nommé La Sicotière sur la c ommune de La Flocellière (Vendée). 235

236 Au pré de mon arbre futur époux restera en viduité, car s'il vient à se remarier, la totalité de la restitution deviendra exigible le jour du second mariage. C'est ainsi que le tout a été convenu entre les parties, fait et passé à Paris en la maison de M. Menjaud, notaire à Paris, frère de la future épouse. Les 22 (blanc pour an mille sept cent soixante douze), le d. S. Duchesne de la Sicotière, de la d. dlle Marie-Joseph Menjaud, à présent son épouse, qu'il autorise à l'effet de présenter étant tous deux ce jour à Paris ont reconnu et confessé avoir reçu desdits S. et d. Menjaud, leur père et mère, beau-père et belle-mère, par les mains du d. S. Menjaud étant aussi ce jour à Paris à ce prisent en espèces sonnantes ayant court (blanc) en la somme de quinze mille livres qu'ils ont promises payées au d. S. et d. leur gendre et fille à compte de la dot de livres qu'ils ont solidairement constitué à la d. dame leur fille par le contrat de mariage dont l'expédition en des autres parts, comme aussi ils reconnaissent qu'ils leur ont fourni et délivré le trousseau de valeur de cinq mille livres qu'ils ont remis à leur fille par le contrat de laquelle somme de quinze mille livres présentement reçue ainsi que du trousseau les d. S. Duchesne de la Sicotière quittent et déchargent le d. S. et d. Menjaud, leur père et mère, beau-père, belle-mère et les en remercient sans préjudice de vingt cinq mille livres restants dus de la dot. Le quatre juillet an mil sept cent soixante douze ont comparu à Paris M. François Michel de Moucheron, écuyer du S. de la Brétignière, garde du corps et pensionnaire du roi, capitaine de cavalerie, chevalier de l'ordre Royal militaire de Saint-Louis, au nom et comme fondé de la procuration spéciale à l'effet des (blanc) de la d. dame Duchesne nommée au contrat de mariage dont expédition et des autres parts passées devant Marchand et son conseil (blanc- pour notaire à) Alençon le vingt sept juin dernier par laquelle ladite dame a été «Quem 16» autorisée du dit jour son mari... À quelque temps de là, Denis Alexandre Duchesne de Chédouet épouse Thérèse Menjaud, et par un curieux effet du hasard Luce Menjaud épouse, en 1777, Nicolas Antoine Duchesne prévôt des Bâtiments du roi. Ce dernier, malgré son patronyme, n'a aucun lien de parenté avec ceux de la Sicotière et de Chédouet. Jacques Robert Duchesne la Sicotière obtient, en 1772, le grade de capitaine, et fait régulièrement son service auprès du roi jusqu'aux journées d'octobre Il est de garde au château de Versailles quand l'émeute y fait irruption. Comme ses camarades, il accomplit héroïquement son devoir pour protéger, contre les violences de la foule, Louis XVI et Marie-Antoinette, et faillit périr. Il y figure, le 6 octobre, parmi les gardes du corps qui, épuisés de faim et de fatigue, la plupart sans chapeau, s'avancent derrière le carrosse du roi, les uns à pied, les autres à cheval. C'était le suprême service qu'il dut rendre à l'infortuné monarque. En récompense de sa fidélité, de la Sicotière reçut la Croix de Chevalier de l'ordre Royal et militaire de Saint-Louis ; le chevalier de Villereau 17, maré Date où l'événement a pu se produire Louis-Gaspard de Villereau. chevalier de Saint-Louis, officier aux gardes françaises, de Paris, partira ensuite avec un passeport pour Bath (Angleterre) en 1792, puis pour Breda et enfin malade à Romont 236

237 Duchesne de la Sicotière chal des camps et armées du roi, chargé de la lui remettre et de lui donner l'accolade, lui annonça cette nouvelle en ces termes : Courlonge, le 18 mai 1790 J'ai l'honneur, Monsieur, de vous donner avis que je viens de recevoir votre croix de Saint-Louis, mais que le plaisir de vous annoncer une grâce aussi agréable fut vivement combattue par la peine de ne pas la voir commune entre vous, Monsieur, et M. votre frère dont on ne me parle point. Dites-lui combien j'en suis affligé. Dites-lui, aussi, que je vais écrire à notre prince pour l'engager à redresser cet oubli car je ne dispose rien de plus. Venez vous faire recevoir quand vous voudrez qui comptez toujours sur les sentiments du parfait attachement avec lequel j'ai l'honneur d'être votre très humble serviteur. Le Ch er de Villereau M. de la Sicotière est reçu dans l'ordre de Saint Louis le 30 mai ; il figure alors sur les contrôles de la compagnie de Noailles. En 1791, il émigre «par dévouement», dit sa femme, la laissant et sept enfants encore jeunes à Alençon. Il ne devait pas les revoir. Après avoir fait la campagne de 1792 dans l'armée de Condé, et avoir partagé les misères, les douleurs, les vicissitudes des Condéens, il se réfugie, en octobre 1797, à Helsen, près d'arelsen, principauté de Waldeck. C'est là qu'il meurt, loin des siens, d'une attaque d'apoplexie, le 3 mars Tous ses biens, y compris ceux de sa femme, avaient été saisis et vendus par la nation. M me de la Sicotière, dans cette terrible période, frappée dans ses affections les plus chères et dans sa fortune, puise, dans sa foi et dans le sentiment du devoir, le courage nécessaire pour élever admirablement ses enfants. Des neuf enfants, dont quatre fils, il lui reste deux fils et trois filles qui devinrent M mes Guillemot, Vatel, et la baronne de Faudoas. Nous ne savons pas grand chose de l'aîné des garçons, Jean Étienne ; il est probablement mort en bas-âge. Des trois autres fils 1 er Jacques-Antoine, marié à Jeanne Dorothée 18 le Sage du Parc de la Dormie, fille de Pierre François et de dame Marie Louise Françoise Lenfant de La Blanchardière. Jacques-Antoine aura deux fils, dont Léon-François qui suivra ; (Suisse, canton de Fribourg), émigré d'eure -et-loir maintenu, radiation demandée par son ex-femme Bouret veuve Cambis : 13 germinal an VII Fille de Pierre François Le Sage, du Parc et de dame Marie Louise Françoise Lenfant de La Blanchardière. 237

238 Au pré de mon arbre 2 e Jérémie-Pierre, baptisé à Alençon en 1781 ; marié à Rose Élisabeth Antoinette de Chandebois de Bellegarde. Ils ont deux fils et une fille. Jérémie-Pierre décèdera le 11 novembre 1870 ; 3 e Pierre-Alexandre, baptisé à Alençon en 1785, vélite au régiment à cheval des grenadiers de la garde impériale, meurt le 15 avril 1807 à l'hôpital de Friedstatt. Léon Duchesne Pierre François Léon Duchesne de La Sicotière naît le 3 février 1812 dans le vieux manoir de la Dormie, commune de Valfambert (Orne). Après des études au collège jésuite d Alençon, dont il sort en 1830, il suit des cours de droit à l'université de Caen ; en 1835, le voilà avocat au barreau d Alençon. Il se lance dans la politique, conseiller municipal, puis d'arrondissement, il démissionne de ses fonctions lors du coup d'état du 2 décembre Conseiller général en 1862, député de l Orne de 1871 à 1876 puis sénateur jusqu'à sa mort. Il fonde la Société d'horticulture en 1847, le Musée des beaux-arts et de la dentelle d Alençon en 1857, la Société historique et archéologique de l Orne en 1882, puis la Société d'histoire contemporaine en Auteur de plusieurs ouvrages sur l'histoire de l'orne, de la Normandie pendant la période révolutionnaire, et du Maine, c est un bibliophile et collectionneur ; sa collection de livres a été léguée à la ville d'alençon et constitue le fonds la Sicotière de la bibliothèque municipale. Marié à Sophie Marie de Launay de Saint-Denis, décède le 28 février Alençon possède un square à son nom avec un buste de Léon de la Sicotière 19. Léon et Sophie Marie sont les parents de Anne Marie Antoinette, née en 1853, décédée le 14 mars 1941 à Alençon, baronne de Sainte Preuve par son mariage le 20 décembre 1881 avec Henry Binet de Boisgiroult, baron de Sainte Preuve ; sans postérité. 19 Lire Léon Duchesne de la Sicotière par Robert Triger et Louis Polain ; Sa vie & ses œuvres par Triger. Bibliographie de ses écrits par Polain. Alençon, Renaut-de Broise,

239 Les Pannetier Il est intéressant de connaître les familles alliées à la famille Duchesne, et nous procèderons par l'établissement de la généalogie de celle qui donne une épouse à Nicolas, une mère à Antoine et à Marie Anne Félicitée Duchesne. Luzy. Jacques Pannetier, 1571, est marchand à Nevers, et a épousé Imberte Ils ont deux fils : Jean et Jacques. Jacques, né le 31 janvier 1626, à Nevers, meurt à Paris, le 14 janvier D'abord curé d'apremont, au diocèse de Nevers, il démissionne et prend l'habit des Carmes déchaussés 1 sous le nom de révérend père amateur du Saint- Esprit. Il est l'aumônier de M me la princesse de Condé lorsqu'elle séjourne à Paris, au Petit Luxembourg. Il est tuteur de sa nièce, Claude Pannetier. Jean, son aîné de dix-sept ans, est notaire et procureur à Nevers, et épouse, le 1 er mars 1638, Jeanne Barrault 2, fille de Pierre, notaire royal à Nevers, et de Marthe Paulchin. Le contrat de mariage 3 mérite d'être rapporté dans ses conditions et pour sa teneur. «A tous ceux qui les présentes verront, le garde du scel étably etc. Sçalut, sçavoir faisons que par devant François Goby, notaire à Nevers, personnellement établi, honorable homme Jacques Pannetier, marchand demeurant à Nevers, honnête femme Imberthe Luzy, et M. Jean Pannetier, notaire apostolique et au duché de Nivernais et procureur en l'officinalité de Nevers, leur fils d'une part, Maître Hiéronisme Barrault, notaire royal demeurant au dit Nevers, honnête femme Marthe Paulchin, sa femme, et honnête fille Jeanne Barrault, leur fille, d'autre part, / 1 - Leur nom vient du Mont Carmel, situé en Israël, au dessu s d'haïfa. Les Carmes déchaussés (ou Carmes déchaux) appelés ainsi parce qu' ils portent des sandales très ouvertes, sont des religieux contemplatifs et apostoliques. 2 - Née le 24 juin 1612, à Nevers, et morte le 12 mars Contrat du 24 mai 1638 par devant François Goby, notaire à N e- vers 239

240 Au pré de mon arbre La future, ses père et mère lui donneront en dot la somme de 300 livres payable le lendemain des noces outre laquelle la dite future portera en ladite communauté son pécule qu'elle a par devers elle, lequel ses père et mère promettent de faire valoir la somme de 200 livres en deniers ou en espèces, au choix du futur, payable le dit jour, lendemain des noces desquelles sommes le dit futur sera tenu recevant icelle de donner acquit à la dite future et à ses père et mère au bas des présentes / Et est intervenu honorable homme Jean Figère, marchand à Nevers, oncle du dit futur, lequel en faveur du dit mariage, qui autrement n'eut été fait, et en considération des soins et agréables services à lui fait par le dit futur pendant 20 ans qu'il demeura avec lui, de la preuve desquels il le relève par les présentes, lui a donné et donne par donation entre vifs, par simple et irrévocable, la somme de 1000 livres tournois à prendre et recevoir sur les plus clairs et apparents de ses biens, soit sur sa portion de moitié sur ses meubles et conquets 4, soit sur son héritage ancien et pour requérir l'insinuation des présentes en tous lieux où besoin sera, le dit Figère a constitué son procureur général et spécial le porteur des présentes, se réservant toutefois le dit Figère l'usufruit de la somme tant pour lui que pour Françoise Plassard, sa femme, leur vie durant, révoquant, le dit Figère, toutes donations et dispositions que lui et la dite Plassard pourraient avoir faites cy-devant au profit du dit futur qui demeureront comprises en la présente. Auront des futurs en cas de dissolution des préciputs sçavoir le futur ses habits, bagues et joyaux et pour icelles bagues et joyaux la somme de 60 livres et outre ce, aura icelle future la viduité durant, la jouissance d'une chambre garnie de meubles selon sa qualité à dire par parents communs qu'elle prendra par inventaire à sa caution juratoire pour les rendre, le cas échéant, en l'état qu'ils seront et encore une chambre de la maison du futur où il y en aura une sinon pour le loyer la somme de 10 livres par an et a le futur donnée et donne à ladite future de la somme de 40 livres pour une fois d'honoraires ayant lieu, seront les futurs habillés par leurs pères et mères d'habits nuptiaux suivant leur qualité et sans diminution de la dot à eux promise et les père et mère du dit futur tenu de l'acquitter sans diminution de la dite dot de toutes dettes jusqu'au jour des épousailles, se feront les frais de noces par moitié et le surplus du présent contrat non spécifié sera et demeure règlé selon la coutume du Nivernais..../... En la maison du dit Barrault après-midi le 24 ème mai 1638 ; présent noble et scientifique personne M. Laurent de Chéry, trésorier et chanoine de Saint-Cyr de Nevers ; Noble homme et sage M. Evrard Bardin, sieur de Champagne, procureur général des domaines de Mesdames ; vénérable et discrète personne M. Jean Genet et Jean Grenetier, chanoines de Nevers ; noble homme et sage M. Jean des Champs, élu en l'élection de Nivernais ; noble M. Sabourin, aussi élu en la dite élection ; noble homme et sage M e Claude Quar- 4 - Dans le sens de conquis : on appelle ainsi toute acquisition faite par le mari ou la femme durant le mariage ; même signification que a c- quêts, terme communément employé de nos jours. 240

241 Les Pannetier tier, avocat ; honorable homme Claude Luzy ; M. Boullanger ; M. Grégoire Chenu, prêtre en la dite Église de Nevers ; Charles Marche, Pierre Paulchin, Jacques Paulchin, Noël David, M. Hierosme Rousset, M. Jean Buisson, M. Gilbert, taillandier, et Jean Micaut procureur de Nevers, M e Guillaume de France, notaire royal, et M. François Précacède, échevin pour le roi en cette ville, tous demeurant au dite Nevers et temdus qui ont dit es sçavoir signer sauf les soussignés, la dite aussi et les dit Luzy, mère du futur et le dit Figère dit ne sçavoir signer enquis. L'original des présentes est signé : Barrault, etc....». Du mariage de Jean Pannetier et de Jeanne Barrault naquirent cinq enfants : 1 - François (21 mars ), curé de Neuvy le Barrois 5, d se de Nevers. 2 - Laurent (28 janvier février 1710), huissier du cabinet du fils du grand Condé, commissaire général des saisies du duché de Nivernais. Laurent épouse le 17 janvier 1678, Jeanne Lucas, fille de Guillaume, marchand à Nevers et de Gabrielle Tilloux. Les deux Jannot, notaires à Nevers, étaient, l'un, le cadet, témoin de mariage de Laurent, et l'autre, l'aîné, le notaire qui a signé le contrat. M lle Jannot, fille de l'aîné, aurait bien voulu épouser Laurent qui fréquentait la maison du père Jannot. Jalouse de Jeanne Lucas, elle fit ce couplet ingénu qui fait anecdote de famille et peut passer comme vers de société fait par une demoiselle de province qui avait les chevilles de M. Adam Billaut, menuisier de Nevers. Tels qu'ils sont, les voici, comme on les a souvent chantés : (Air d'une marche de ce temps-là) Jeanneton Lucas Vous avez des appas, Donnez-en donc à ceux qui n'en ont pas ; M. Pannetier qui vient souvent chez nous, Dit qu'il n'en aura jamais d'autre que vous. Ce couplet nous apprend que le mariage de Laurent est un mariage d'inclination. Il est pensé comme Fontenelle qui dit : Deux beaux yeux sont plus nobles que le roi! Laurent Pannetier eu sept enfants dont : - Jeanne Marie-Louise qui devint M me Nicolas Duchesne ; vers. 5 - Neuvy-le-Barrois se situe dans le Berry, à 25 km au sud de N e- 241

242 Au pré de mon arbre - Louise ( janvier 1725 à S t -Pierre-le-Moûtier) ; elle épousa, le 19 juin 1713, Joseph Darmezin 6, mort le 15 novembre 1722, notaire à S t -Pierrele-Moûtier. Nous y reviendrons. - Thérèse (28 juillet avril 1755, à Paris, cul-de-sac S t Hyacinthe, paroisse de S t Roch) ; femme de chambre de la princesse de Conti 7, a obtenu, à sa mort, une pension de six cents livres. Elle entre alors au service de M lle de la Rochesurion, mais, M lle de la Rochesurion ne la payant pas, considérant que l honneur de la servir tient lieu de récompense, elle la quitte en 1723 et préfère s en tenir à sa pension de 600 livres. Laurent Pannetier fait des recherches sur l'explication des proverbes et des prophéties des psaumes de David, à Nevers. Il rassemble toutes les éditions qu'il a pu rencontrer de la Bible. Il médite tous les jours et compare ces précieux textes. Il compose un ouvrage 8 qu'il n'a pas le temps de faire imprimer à cause des infirmités qui l'accablèrent pendant les deux dernières années de sa vie. 3 - Claude (21 mars mars 1718) ; elle meurt au petit Luxembourg, rue de Vaugirard, à Paris. Son père est huissier du cabinet du prince de Condé. L'oncle de Claude, et son tuteur, est l'aumônier de la princesse Anne de Bavière, princesse palatine ; en 1663, Claude est nommée femme de chambre favorite d Anne de Bavière, mariée le 11 décembre 1663 à Henri Jules de Bourbon, prince de Condé, fils unique de Louis II, surnommé le Grand Condé. À l'hôtel de Condé, on nomme Claude, M lle de Fougères9. Elle connaît Laurent-François Boursier ( ), prêtre, Docteur de la maison et société de Sorbonne, théologien janséniste opposé à la bulle Unigenitus. 6 - Ou Darmezin. 7 - Plusieurs femmes portèrent le titre de princesse ; pour concordance de date, nous penchons pour Marie Anne de Bourbon - Conti ( ) qui n en avait pas le titre : Anne Martinozzi ( ) Marie-Anne de Bourbon ( ), dite M lle de Blois Marie Thérèse de Condé ( ) qui a pour fille Marie Anne de Bourbon-Conti ( ) Louise Élisabeth de Condé ( ) Louise Diane d Orléans ( ) Fortunée-Marie d Este ( ) Louise Diane d Orléans ( ) 8 - Nicolas Duchesne de la Richardière, son gendre, les a fait relier en deux gros volumes, et un petit volume in Ou Feugère, Fugère, Figères. On a vu qu'il existait un oncle Jean Figère. 242

243 Les Pannetier 4 - Jeanne Eugénie (24 juin avril 1717, à Nevers) célibataire. Elle habite avec sa mère Jeanne, née Barrault, et on envoie Jeanne- Marie Louise, âgée de six ans chez sa grand-mère qui est douce et l'aime beaucoup. La tante Jeanne Eugénie est jalouse de sa nièce et quand la bonne grand-mère va à la messe ou en emplettes, ou à confesse, ou en visite, Jeanne Eugénie traite durement Jeanne-Marie Louise, et même la bat quelquefois, ce qui fait que Jeanne-Marie Louise pleure quand il s'agit d'aller coucher chez son aïeule qu'elle aime cependant très tendrement. Jeanne-Marie Louise évoquera souvent cette dure tante Eugénie auprès de son fils Antoine Duchesne. 5 - Nicolas, né le 15 juillet 1657 à Nevers, mort le 25 février 1699, à Nevers, épouse le 18 novembre 1687, Thérèse Ségault, décédée le 18 septembre Ils eurent quatre enfants et cette branche cadette devint l aînée à la mort de Jean Panetier, le 17 avril 1721, ce dernier n ayant eu qu une fille, Françoise. La seconde fille de Nicolas, Jeanne-Françoise, (29 janvier mai 1758, rue des 2 écus, Paris) est nommée femme de chambre de M me la princesse de Condé, Anne palatine de Bavière. Suite à la disparition de la princesse, le 23 février 1723, elle entre au service de M lle de Clermont. Alors, ayant une pension de 800 livres, elle se retire chez son amie, M me Boivin, marchande de dentelles de la Reine, chez qui elle loue un appartement sur le devant, au second étage, avec vue sur l emplacement de l ancien jardin de l hôtel de Soissons 10. Elle a chez elle, deux nièces : Marie-Thérèse et Marie Adélaïde. Leur frère, Paul Philibert (1742, vivant en 1789) se lie avec Antoine Duchesne et fait partie de l'académie joyeuse de Versailles. Par testament, reçu par M e de Langlard, en date du 22 mars 1755, insinué à Paris le 15 mai 1755, Thérèse Pannetier institue pour ses légataires universels Monique Darmezin et Jean-Joseph Darmezin, et Marie-Anne Félicité Duchesne et Antoine Duchesne, ses neveux et nièces. Elle donne et lègue à Marie-Anne Desroques, fille, sa domestique, l'usufruit et jouissance, sa vie durant, la somme de 300 livres de rente au principal de 6000 livres, constituée au profit de la demoiselle Pannetier par le domaine de la ville. Jeanne-Marie Louise Pannetier, veuve de Nicolas Duchesne, se porte héritière pour moitié de la succession de sa sœur. Il est échu à chacun des dits quatre légataires, 75 livres de rente au principal de 1500 livres, et la nue propriété du quart de 300 livres de rente perpétuelle sur le domaine de la ville, dont l'usufruit est attribué à Desroques, la do À l'emplacement approximatif où se trouve aujourd'hui la bourse de commerce de Paris. 243

244 Au pré de mon arbre mestique. Marie Anne Desroques meurt le 14 août 1780, à l'âge de 68 ans, et l'usufruit revient aux légataires. Monique Flore Darmezin, aînée des enfants de Joseph Darmezin et de Louise Pannetier, née en 1717, fut nommée en 1738, femme de chambre de M lle de Clermont, surintendante de la maison de la reine, Marie Lesinska. À la mort de M lle de Clermont, en 1741, elle obtient une pension de 400 livres. Louise Pannetier - fille de Laurent et Jeanne Lucas - et Joseph Darmezin eurent deux enfants : - Monique, née en 1717, femme de Chambre, en 1738, de M me de Clermont, surintendante de la maison de la Reine. Elle vit dans l entourage proche d Antoine-Anthelme Duchesne après son veuvage. - Jean-Joseph qui eut une nombreuse progéniture, dont Marie- Françoise, née en 1758, qui suit. Ainsi, les Pannetier et Darmezin, par Claude, Thérèse, Jeanne Françoise, et Monique, ont eu l'honneur d'être attachées à la maison de Condé pendant environ 78 ans, sans interruption de 1663 à Marie-Françoise Darmezin de la Marre À elle seule, c'est tout un poème! En 1775, de Guillaume-François Marion du Mersan à Antoine- Anthelme Duchesne Vous êtes trop galant homme et trop éclairé, Monsieur, pour ne pas connaître à quoi oblige la loi du dépôt. En effet vous prouvez que vous en êtes vigoureux observateur par l'extrême circonspection et la conduite scrupuleuse que vous observez dans l'affaire qui concerne votre jeune parente, dépôt très précieux sans doute. Un secret confié en est un aussi qui impose les plus strictes obligations. Une bonne preuve que je vous crois incapable de les violer, c'est que je vous ai laissé, entre les mains, les indications qui vous peuvent mettre sur la voie pour prendre sur mon compte les informations les plus exactes ; Quoi qu'il ne convienne pas de faire, à cet égard, la moindre démarche ni la moindre question, jusqu'à ce que Mademoiselle votre sœur ait pris une résolution. J ai à vous demander, Monsieur, ainsi qu'à elle, une grâce que je ne crois pas de nature à être refusée ; car quand je serais un ange de ténèbres transformé en ange de Lumière, Mademoiselle Duchesne n'aurait rien à craindre de mes ruses infernales ; Puisque je me borne à vous demander une entrevue et des éclaircissements en présence d'une personne qui puisse m'exorciser et mettre en fuite l'esprit tentateur, s'il s'avisait de la couler dans notre petit chapitre, comme il fait en beaucoup d'autres. Il n'est pas que Mademoiselle votre sœur n'ait une entière confiance dans son confesseur ou tout autre ecclésiastique dont les lumières lui soient connues. C'est cette personne que je demande pour arbitre. Vertueuse et pieuse au point que l'est Mademoiselle votre sœur, voudraitelle prendre sur son compte le sort de sa jeune parente, et pour ce monde et pour l'éternité peut-être. L'un et l'autre dépendant beaucoup du caractère avec qui on lui fera former ce lien redoutable que la mort seule peut rompre? Mademoiselle Duchesne, ce qu'à Dieu ne plaise, ne peut elle pas être enlevée avant que d'avoir procuré un établissement convenable à cette parente qu'elle aime si tendrement et trop peut-être, 244

245 Les Pannetier puisque l'attachement qu'elle a pour elle me paraît le plus grand obstacle à mes visées, dans la crainte mal fondée que je ne lui enlève sa pupille pour la confiner dans une province. Que je crains qu'elle ne tombe entre les mains de quelqu'un qui, je l'ose dire, par sa façon de penser et sa conduite méritera beaucoup moins que moi de l'obtenir, et la rendra certainement moins heureuse, fut-il mille fois plus riche et beaucoup plus jeune. Vous connaissez les motifs qui seuls m'y ont fait penser. Cela seul, aux yeux d'un homme aussi pénétrant que vous, Monsieur, et de votre caractère, vaut mieux que tous les renseignements possibles et les témoignages d'un (illisible) entier. Je vous prie donc de bien peser la demande que je vous fais et de juger si, d'après la règle des procédés et d'une conscience délicate, Mademoiselle votre sœur, et vous, pouvez refuser de vous y prêter. Je ne puis me le figurer : mais si, contre mon attente, Mademoiselle Duchesne y avait quelques répugnance, je vous conjure de m'accorder un moment d'entretien soit aux Thuileries, ou partout ailleurs, de m'indiquer le jour et l'heure qui vous sera le plus commode ; pourvu que ce ne soit pas mercredi, ayant ce jour-là du monde à dîner chez moi. Si, avant notre conversation, vous rencontrez les personnes que vous avez déjà questionnées à mon sujet, j'exige, croyant en avoir le droit, que vous leur parliez de façon qu'ils ne croient pas que j ai des vues personnelles, ce qui vous est d'autant plus facile que vous direz l'exacte vérité en leur déclarant que je vous ai présenté l'ami pour qui j'avais porté la parole. Le reste va de suite, et vous êtes le maître de leur communiquer ce que vous pensez étranger du succès de mes démarches et de mes négociations. Pour moi, je ne cessais de vous répéter et, quel qu'en soit la suite, que je me féliciterai toujours d'avoir fait votre connaissance : mais, j en serais bien fâché si les précautions excessives de Mademoiselle votre sœur ne me permettent pas de la cultiver ainsi que la sienne que je sais apprécier, quoique je sois prêt à vous donner ma parole d'honneur si elle m'admettait dans votre société, je me conduirais de façon que Mademoiselle de La Marre ignorerait, toute sa vie, de quoi il a été question, si elle ne pouvait l'apprendre que de moi. Si je suis forcé de renoncer à mes prétentions, j'en aurai un regret inexprimable quoi qu'il me paraisse impossible de rien ajouter à ma vive douleur ; je sens que Mademoiselle Duchesne y mettrait le comble si elle était assez injuste pour m'interdire votre société et m'ôter la satisfaction de vous témoigner par mes assiduités, tout le cas que j'en fais ainsi que les sentiments avec lesquels je serai toute ma vie, Monsieur. Votre très humble et très obéissant serviteur. du Mersan Le patronyme est Marion. Guillaume -François ( ) prend celui de «du Mersan» d'après le nom d'un de ses domaines pour se distinguer de ses frères. Marion du Mersan : D argent à quatre fleurs de lis de gueules. Le premier que l' on connaisse de la famille est Brient Marion, s e- crétaire de la chancellerie de Jean V, duc de Bretagne. Il est mentionné dans l'état de la maison de ce prince, dressé par ordre de Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, régent du duché de Bretagne en Jean Marion, écuyer 1418 ; Jehan Marion, inhumé à Saint -Pierre de Rennes. Pierre Marion, vicaire général, évêque de Saint -Brieuc et de Rennes ; signe du sceau de Troyes, aux États de Bretagne sous Jean VI

246 Au pré de mon arbre Guillaume-François Marion du Mersan à Antoine-Anthelme Duchesne Il m'est impossible de partir pour la Bresse avant que de vous avoir parlé, Monsieur ; et vous ne me refuserez pas, sans doute, cette petite satisfaction après avoir eu la bonté de plaider ma cause auprès de Mademoiselle votre sœur ; procédé généreux dont j'aurai une éternelle reconnaissance. J'oubliais de vous dire, Monsieur, que voulant me conformer aux intentions de M lle Duchesne, qui sont pour moi des ordres respectables, je passai hier, auprès d'elle et de M lle de La Marre sur la terrasse des esparins, sans les saluer, feignant de ne pas les apercevoir. Il y avait un abbé avec elles ; il est bienheureux cette abbé ; je lui adressai à voix basse cette apostrophe connue : non tibi invides : sed mihi de les. Vous conviendrez, Monsieur, qu'il est également embarrassant de dire du bien ou du mal de soi-même ouvertement et en son propre nom. Le Moi ou le Je ne me répugnent pas moins qu'au célèbre Pascal. Peut-on se louer sans paraître fat et impudent, peut-on se déprécier sans paraitre un Tartuffe et se rendre suspect d'une fausse modestie? Prendre son ami pour truchement n'a pas de moindres inconvénients. Il ne peut se résoudre à révéler les défauts de son commettant, quelque permission ou même quelque ordre qu'on lui en ait donné ; se figurant que se savoir manquer à l'amitié et trahir la cause dont il s'est chargé. Quelle que soit la liaison et la confiance de deux amis, l'un peut-il jamais assez connaître la façon de penser et de sentir de l'autre pour la bien rendre et en répondre? Est-il en état de satisfaire à des questions imprévues? Je n'ai point imaginé de meilleurs expédients pour prévenir tous ces embarras que de prendre moi-même le rôle de mon ambassadeur, bien décidé à m'en acquitter loyalement et je crois l'avoir fait. Je n'ai rien avancé pour ou contre moi dont je n'offre et ne sois privé à donner des preuves évidentes. Après ce que je viens de dire, il est inutile d'ajouter que le jeune homme sexagénaire que j'ai proposé n'est autre que le S r du Mersan. L'absent de 47 ans est un parent de M. de la Morlais, bon gentilhomme Breton, mon intime ami, qui, à son retour, se mettra sur les rangs si vous le jugez a propos. Vous voyez, Monsieur, que j'ai d'abord parlé pour moi et vous ne pouvez y trouver à redire, sachant avec tout le monde ce que prescrit la charité bien ordonnée. Si le S r du Mersan ne vous paraît pas un parti acceptable, il n'en sera ni surpris, ni humilié. Ne vous faites donc aucune peine de le lui annoncer en lui renvoyant ses paperasses et ses lettres sous une enveloppe bien cachetée, non par votre domestique mais par un savoyard auquel il remettra un billet pour vous en accuser la réception ; Vous protestant d'avance que plein de vénération pour vous, Monsieur, et votre vertueuse famille, il serait enchanté de procurer à Mademoiselle de La Marre un Guillaume Marion, chanoine de Rennes en 1449, député par son chapitre aux états de Rennes, allié aux de Quinemont, du Breton. Décédé le 27 octobre 1452, il fut inhumé dans la vieille chapelle servant de sacristie en 1755 ; on y retrouva sa tombe, portant, en caractères gothiques, cette inscription : Cy gist missire... Marion... qui fonda un obit et décéda le 27 o c- tobre l'an 1452 (Inventaire de la Cathédrale). Jean Le Moyne de la Borderie, né à Vitré, fils de René et de Marie Marion, prêtre, docteur en théologie, chanoine, scolastique, vicaire général et official de Rennes, prit possession de l'archidiaconat du Désert le 23 octobre Il mourut le 6 avril 1764, âgé de 66 ans, et fut inhumé dans le caveau de la cathédrale. 246

247 Les Pannetier établissement digne d'elle, et qu'il s'en occupera sérieusement. Si vous ne croyez pas devoir rompre trop précipitamment et que vous songiez à faire des informations ultérieures, je vous prie de les suspendre jusqu'à ce que nous ayons concerté des moyens de concilier les ménagements que je souhaiterais et les éclaircissements qu'exigent les intérêts de Mademoiselle votre parente. Vous voudrez bien, Monsieur, me dispenser de terminer par la formule ordinaire une lettre qui ne l'est pas afin que ma signature ne vous apprenne pas mon nom plutôt qu'il ne faut. Cette omission vous exemptera la peine de tourner le feuillet. Guillaume-François Marion du Mersan n est pas un inconnu puisqu il avait écrit en 1770 «Tontaine, Tonton», chanson de chasse, pour le château de La Brosse, qui appartenait alors au duc de Montmorency. Mes amis, partons pour la chasse : Du cor j'entends le joyeux son. Tonton, tonton, Tontaine, tonton. Jamais ce plaisir ne nous lasse, Il est bon en toute saison. Tonton, Tontaine, tonton. À sa manière chacun. chasse, Et le jeune homme et le barbon. Tonton, tonton, Tontaine, tonton. Mais le vieux chasse la bécasse, Et le jeune un gibier mignon. Tonton, Tontaine, tonton. Pour suivre le chevreuil qui passe Il parcourt les bois, le vallon. Tonton, tonton, Tontaine, tonton. Et jamais, en suivant sa trace, Il ne trouve le chemin long. Tonton, Tontaine, tonton. A l'affût le chasseur se place, Guettant le lièvre ou l'oisillon. Tonton, tonton, Tontaine, tonton. Mais si jeune fillette passe, Il la prend : pour lui tout est bon. Tonton, Tontaine, tonton. Le vrai chasseur est plein d'audace ; Il est gai, joyeux et luron. Tonton, tonton, Tontaine, tonton, Mais, quelque fanfare qu il fasse, Le chasseur n'est pas fanfaron. Tonton, Tontaine, tonton. Quand un bois de cerf l'embarrasse, Chez sa voisine, sans façon, Tonton, tonton, Tontaine, tonton. Bien discrètement il le place Sur la tête d un compagnon. Tonton, Tontaine, tonton. Quand on a terminé la chasse, Le chasseur se rend au grand rond. Tonton, tonton, Tontaine, tonton, Et chacun boit à pleine tasse Au grand saint Hubert, son patron. Tonton, Tontaine, tonton. 247

248 Au pré de mon arbre de Marie-Françoise Darmezin à Antoine-Nicolas Duchesne Du 6 7 bre 1777 Ce n'est pas ma faute, cher cousin, si vous n'avez pas eu plutôt de nos nouvelles. J'avais écrit un mot à mon oncle, mercredi, mais la lettre n'est pas partie. Je puis bien dire que voilà la première personne que je perds à qui j'étais attachée. J'ai été pendant 4 jours comme une vraie hébétée, ne pouvant pas faire la moindre chose. Cela me fait voir que plus j'irai en avant, plus j'aurai de chagrin. Si on pensait toujours à la mort, on ne chercherait pas à faire des établissements ; plus on aime et plus on est malheureux. La fille que nous avons actuellement paraît convenir. C'est une allemande, elles sont franches. Je suis bien sensible, cher cousin, à toutes les amitiés que tu me fais. Je n'ai guère mérité la façon de penser que tu as pour moi, mais enfin je te prie de me la conserver. Si j'ai le bonheur d'être dans la famille, c'est à toi à qui j'en ai l'obligation car ma tante m'a toujours dit que si ça t'avait fait la moindre peine qu'elle ne m'aurait pas demandé à maman. Soit persuadé de toute ma reconnaissance et des sentiments d'amitié avec lesquels je suis, cher cousin, pour la vie, ta très humble servante. lamare J'embrasse ma cousine de tout mon cœur, mes respects, s'il vous plaît à mon oncle et (il manque la suite de la lettre) d Antoine Anthelme Duchesne Paris, jeudi 15 8 bre 1778 à Madame Darmezin mère 12 Ne croyez point, ma chère cousine, que ma sœur et moi nous ayons cherché à établir la Marre. Elle est encore assez jeune. Rien ne pressait. C'est un événement singulier qu'il est bon, en ce moment, de vous apprendre. Il y a deux ans qu'un inconnu fut demander à ma sœur un rendez-vous, où il proposa un de ses amis qui avait trois mille livres de rentes. Il en fit un portrait si peu flatteur qu'il eut bientôt son congé. Il y a un mois que nous étions à Versailles et qu'on apporta à ma sœur une lettre de M. du Mersan qui revenait à la charge et proposait deux partis pour la jeune personne. Cet acharnement tenant, dit-il, de l'obstination était fondé sur la vertu, les talents et surtout l'excellente éducation qu'elle avait reçus. Il disait les partis plus considérables que le premier. Arrivé à Paris, j allais voir M. du Mersan qui ne me dit pas alors le nom d'un de ses amis. Il vint me voir le lendemain. Ma sœur, seule avec moi, se trouva à l'entrevue. Nous demandâmes le nom et nous ne pûmes encore l'obtenir. Il vint encore deux fois me voir, moi seul, et comme il m'avait trouvé un jour occupé à faire de petits vers, que je lui ai lu, dans l'intervalle des visites il en a fait de forts jolis, car il a beaucoup d'esprit, il n'a vu jusqu'à présent que les gens du plus haut parage. Enfin, à la quatrième visite, il me laissa une lettre cachetée et me dit : voilà la lettre de mon ami, vous la lisez à votre aise. Nous soupçonnions déjà, ma sœur et moi que son ami c'était lui-même. Et je vis dans cette lettre que nous ne nous étions pas trompés, c'était M. du Mersan lui-même. C'est alors que nous avons fait de premières informations qui, lui étant fort favorables, lui ont fait demander avec insistance de voir la demoiselle et d'être reçu dans la maison. Nous n'avons rien voulu précipiter. Nous avons demandé dix jours pour vous prévenir sur votre consentement, pour faire de dernières informations, et avant de le quitter nous 12 - Née Antoinette Menetrier 248

249 Les Pannetier avons été chez M. Rendu, notaire, lui, mon fils, et moi dresser un projet d'article que vous trouverez ci-joint. Depuis votre lettre écrite, nous avons sondé la jeune personne qui s'en doutait déjà, qui vient de voir trois de ses jeunes amies s'établir, et nous avons reconnu que non seulement elle n'en était pas éloignée, mais qu'elle en mourait d'envie. L'âge ne l'effarouche pas, il est noble, il a de l'esprit, elle se flatte de vivre heureuse avec lui et se promet d'avoir tous les égards et les complaisances nécessaires. Je le souhaite mais Lamarre n'est rien moins que démonstrative et se cabrerait si elle était contrariée. Au reste, nous croyons devoir consentir et nous attendons votre dernier avis qui nous décidera. J'agirai pour vous, Madame, comme pour moi. Je voudrais qu'elle restât dans notre voisinage, elle ne parait point effarouchée de la Bretagne 13, pourvu qu'elle passe seulement trois mois à Paris. Sa vanité personnelle est flattée, son instinct la conduit, et son ambition la séduit. Voilà son portrait actuel. Elle considère ni le passé, ni l'avenir, elle ne voit qu'un présent flatteur et de belles robes. Nous pensons la tante Darmezin 14, ma sœur et moi, quoi que le prétendu ne demande rien, qu'il est séant de lui faire un trousseau de linge de corps seulement et nous lui en donnons un de 1200 livres. Mon fils et ma bru comptent lui faire un présent utile, une plisse et un manchon. Le Monsieur fera le reste... il dit avoir dix mille livres d'argent comptant et il a soixante dix mille livres de bons biens. Ce n'est pas une fortune, mais nous croyons qu'il faut profiter d'un avantage qui se rencontre rarement. Il lui donne exactement la moitié de son bien s'il n'y a pas d'enfant ; et avec 1750 livres une femme seule a de quoi vivre en communauté avec une femme de chambre, ou en province a son ménage si l'âge le lui permet. Voilà où s'aboutit l'éducation que M lle Duchesne a faite. On lui préfère un étranger, mais cet étranger est un mari. C'est l'ordre de la nature et elle y souscrit comme moi. Nous eussions seulement désiré plus de démonstration de regrets. C'est un sacrifice que nous partageons avec vous comme tenant lieu, l'une à l'autre, de père et de mère, les filles les abandonnent pour aller avec leur mari. C'est la loi et les prophètes : soumettez vous comme nous a cette loi. Peut-être fin 1778? Françoise Darmezin écrit à Antoine-Nicolas À Monsieur Monsieur Duchesne Je ne veux pas, cher cousin, laisser partir ces Messieurs sans lettre pour vous. Quoique je me flatte d'avoir le plaisir de vous voir le premier jour de l'an, je veux vous prévenir en vous souhaitant une très bonne année et bonne santé. Je ne crois pas avoir besoin de vous demander votre amitié, vous m'en avez donné tant de preuves que je ne peux douter de l'avoir. Je vous en demanderai donc seulement la continuation. Enfin, voilà donc tous d'accord. M. du Mersan vient tous les jours à la maison depuis la signature du contrat et ma tante à la bonté de le retenir souvent à souper. Ce jour, des illuminations nous a donné le temps d'avoir une conversation particulière ensemble ; mon oncle l'a même faite à dessein de sorte que nous avons été de la maison jusqu'au bout de la terrasse de l'eau, tête à tête, sans qu'il y parut. Mon oncle donnait le bras à M me et M lle de Vernon, et moi je le donnais à M. du Mersan. Vous entendez bien que ma 13 - Le père de Guillaume-François, Joseph Marion est Seigneur du Landa et sénéchal du Catelan Monique. 249

250 Au pré de mon arbre tante était pas car elle n'aurait pas été contente. Adieu, cher cousin, portez-vous bien, aimez moi toujours un peu, et soyez sûr du plus parfait retour. De Félicité à son frère Antoine-Anthelme Duchesne 22 février 1779 Vous voulez donc recevoir une Gazette, mon Frère. Eh bien, je vais vous rendre compte de ma conduite. Je n'attends des M. et Madame15 que le samedi. C'est ainsi que vous voulez que je la nomme ; ils sont venus le vendredi, à une heure et demie. M. m'a dit qu'il venait me l'amener dîner ; qu'il allait, lui, dîner à l'hôtel de Montmorency annoncer son mariage. Ce qu'il a fait, effectivement. La Duchesse n'en voulait rien croire et disait : «Voilà encore un tour de votre façon.». Enfin elle en est persuadée et lui a dit : «Nous allons donc vous perdre, pour ne plus vous revoir.». Il l'a fort assurée que cela ne l'empêcherait de lui faire sa cour. Il revint sur les six heures, et fit collation avec moi. Visite de M. Guérin, l'abbé le Moine, Mme Arnauld, l'abbé Lynch ; l'on fit la belle conversation. Ils ont gardé leur maison le samedi, mais comme vous aviez annoncé leur visite pour ce jour, à deux heures je vis arriver une Déesse Flore, car elle en était couverte. Elle fut fort surprise de me trouver seule à table, prenant le café et me dit : «Je croyais trouver ici M. et Mme du Mersan.». Ses gens dirent à la cuisine qu'elle comptait dîner avec eux. M., à qui j'ai compté cela, s'est félicité d'être venu la veille. Après son départ, je me mis à tirer mon vin, d'arche s'offrit à m'aider et je l'acceptai très volontiers. Cela fut fait en trois heures de temps. Je m'habillai, et j'allais chez Mme Luce que je ne trouvai pas non plus que Mme de Mai. Je passais le reste de la soirée chez Mme de Rougerie ; l'on voulait me retenir à collation mais j'avais besoin de repos. Hier, dîner chez les demoiselles, vos santés célébrées, Vêpres à St Roch. Je revins ici tout de suite, fort à propos car M. et Mme arrivèrent tout de suite. J eus une compagnie de nombreuses : les demoiselles et la petite Hétan, Mme Michaux et son fils, M. Guérin, M. Felipon. Table préparée pour une loterie, sont arrivés M. et Mme et Mlle Luce, Mme sa sœur et Mlle sa fille : il a fallu faire apporter des tables. Il y a eu un reversi, un whist, et un vingt et un. M. et Mme se sont mis avec les enfants. Aujourd'hui Mme est encore en dépôt ici : M. est allé dîner et annoncer à M. le Comte de Bussy16. Il doit revenir et faire collation ici. Je n'ai pas encore eu le temps de me reconnaître du Mersan Mémoire pour le Sieur de Bussy, brigadier des armées du roi ; expositif de ses créances sur la Compagni e des Indes à Paris, Lambert imprimeur rue et à côté de la Comédie Française, 1764, in -4 de 189 pp. relié en maroquin rouge dos orné, fil. tranche dorée (Rel. anc.). Exemplaire po r- tant au bas du dernier f. une petite pièce de 5 vers écrite par Guillaume - François Marion Du Mersan, seigneur de Surville, commissaire général de l'armée française près du roi de Golconde et agent -général de France au Décan. Chabouillet, petit-fils de Guillaume-François Marion, conservateur au Cabinet des Médailles, a fait don de ce Mémoire à la Bibliothèque Nationale 250

251 Les Pannetier Voulez-vous bien vous charger d'embrasser pour moi Colin, Lucette et Thérèse, notre cousine Monique. Je vous envoie 12 mouchoirs comme vous me les avez demandés. Je vous embrasse bien tendrement et suis de tout mon cœur votre très humble servante et sœur. Duchesne Marion du Mersan Guillaume François Marion du Mersan, ancien écuyer, avait été commissaire de l'armée française auxiliaire près du roi de Golconde et agent-général de France au Dekkcan : c est là, vers 1751, qu il se lia d amitié avec Charles Joseph Patissier de Bussy. Charles Joseph, alors aux Indes, fit acheter à son profit, par son frère Bouchard, le marquisat de Castelnau 17. L'acte est signé le 30 janvier 1756 en contre partie d'une somme de livres 18. En juillet 1759, la sœur du Marquis, dite «Mademoiselle», et M. François Marion du Mersan recueillent à Paris, un jeune Hindou d'une douzaine d'années, surnommé «Bengale». Il reçoit de la dite Demoiselle, une éducation religieuse qui commença ce même mois, et fut baptisé le 6 octobre 1760, en l'église de Plou, sous le nom de «Charles François Chandernagor 19» ; il fut attaché au service de Mademoiselle de Bussy, sa marraine. Depuis l'été 1779, Guillaume François Marion du Mersan et son épouse, séjournent au château de Castelnau en compagnie de Madame la marquise de Folleville 20 et ses enfants, et de «Mademoiselle», Madeleine Sophie de Bussy, Charles Joseph Patissier de Bussy, marquis de Castelnau est né en Picardie soit en 1718 ou en Il effectue l'essentiel de sa carrière mil i- taire lors de ses deux séjours aux Indes françaises. Marié à Marie Gertru de Vincent dite «Chonchon», fille du premier mariage de Jeanne Albert dite Begum Joanna qui signifie «Princesse noire» épouse en seconde noce de François Joseph Dupleix, gouverneur de Chandernagor, puis gouverneur général des Indes orientales françaises. Il se remaria le 2 juin 1765 avec Marie Charlotte Justine de Messey. En 1785, M. Bussy sera inhumé à Po n- dichéry, dont il est gouverneur Ce marquisat, ancienne seigneurie de Breuilhamenon, inclut les villages et paroisses de Plou, de Poisieux, de Sa int-georges, de Sainte Lizaigne, et du Coudray qui comprenait lui -même, les terres de Civray et de Rosière (Cher) Environ valeur Aura pour descendants un ministre de la République «André Chandernagor» et une romancière historienne talentueuse «Françoise Chandernagor». ( Nièce du marquis de Bussy. 251

252 Au pré de mon arbre sœur du marquis de Bussy, pour laquelle Guillaume François avait certaines affinités... Une lettre du 12 octobre (sans année) de Marie-Françoise Darmezin à Antoine Nicolas Duchesne ; oblitérée à Issoudun Marie-Françoise Marion du Mersan semble habiter Bourges, mais elle n en a pris ni le ton, ni la manière. Elle révèle que c est la naissance de Luce Thérèse qui lui a donné envie de se marier. Elle demande si l on marie M lle de Vernon, et M lle Gaigne. de Marie-Françoise Darmezin à Félicité Duchesne ; oblitéré à Bourges Du 22 mai /... Vous croyez bien que depuis que je suis séparée de vous, mes regrets sont de ne pouvoir pas partager avec vous, chère tante, tous les événements qui me peuvent arriver. Mais je connais trop la tendresse de votre cœur pour avoir voulu vous mander mon chagrin avant qu'il soit fini. Cependant, je vous dirai, chère tante, que vous l'avez augmenté car je joignais, à toutes les inquiétudes, celle de votre santé ainsi que celle de mon oncle. Je vous avais cependant bien prié de ne pas me laisser si longtemps sans me donner de vos nouvelles, et qu'un mot me tranquilliserait.../... de Marie-Françoise Darmezin à Antoine Nicolas Duchesne ; oblitéré à Bourges Du 17 juillet 1780 Je disais dans ma dernière lettre, mon cher cousin, que je ne tarderai pas à vous écrire mais quelque contretemps et surtout un fâcheux accident qui m'a fort alarmée m'en a empêchée jusqu'à présent. Il y a près de quinze jours, qu'au milieu de la nuit, je fus réveillée par des efforts violents que faisait M. du Mersan qui semblait prêt d'étouffer, faute de pouvoir respirer. La crise passée, il se plaignait d'un déchirement de poitrine et d'une grande oppression. Ses attaques, plus ou moins violentes, ont duré plus de huit jours et ne revenaient que la nuit quand il dormait et le jour quand il s'assoupissait. Ces efforts étaient quelquefois si violents qu'il rendait du sang, quoique le meilleur médecin du canton qui a passé ici deux jours ait été témoin de deux accès. Il a avoué de bonne foi qu'il ne connaissait pas bien ce genre de maladie et qu'il n'en avait pas eu d'exemple ; il a pourtant de l'expérience et, à près de soixante dix ans. Heureusement cela va beaucoup mieux depuis quatre jours, il ne lui reste qu'une grande faiblesse, une toux sèche qui lui tiraille la poitrine. Il est sans doute inutile de vous parler du chagrin et des inquiétudes que cela m'a donnée. Que ma cousine se suppose à ma place et, dans toutes les mêmes circonstances, vous pourrez, tous deux, juger de ce que j'ai éprouvé. Ah, si j'avais été si enchantée de mon mariage qu'on l'a imaginé, comme votre autre lettre me l'a donné à entendre, ce que je vois, et l'avenir que je prévois, m'auraient bien corrigée. Mais comment aurai-je été si enchantée d'un établissement dont M. du Mersan, avant comme après le mariage, m'a toujours parlé lui-même désavantageusement, et pour sa fortune, et pour le genre de vie qu'il se proposait, et même pour son caractère qu'il disait sujet à de fréquents accès de la plus noire mélancolie. 252

253 Les Pannetier Ce que vous me dites de ma tante dans votre dernière lettre ajoute beaucoup à mes chagrins. Je regardais comme une augmentation de malheur, dans la circonstance où je me trouve, l'éloignement de ma famille. Je me flattais que j'aurais tiré beaucoup de consolation de ma Tante et de mon Oncle, et je vois par le peu que vous me dites que ces préventions sur mon compte ne sont pas dissipées. Je crois que je peux dire préventions car vous me connaissez assez et je me suis expliquée avec vous assez clairement depuis et avant mon mariage pour que vous puissiez répondre que je n'ai jamais eu une façon de penser différente de celle que l'attachement et la reconnaissance que je lui dois m'avait inspirée. J'ai eu le malheur de ne me pas bien faire entendre ; enfin elle a cru que je n'avais point du tout de regrets de la quitter, et voilà ce qui lui a fait dire que j'étais dans le plus grand enchantement de me marier. Malheureusement, elle ne m'a jamais permis de m'expliquer la dessus qu'à demi car, je vous l'avoue, j'aurais sacrifié tout pour ne lui pas causer de chagrins. Je croyais que ma tante voulait faire pour moi ce que font toutes les mères qui sont enchantées de bien établir leurs enfants. Je ne vous cacherai pas que de savoir que je lui ai causé du chagrin me trouble beaucoup et m'a empêchée jusqu'à présent de goûter en paix des fruits de mon établissement. Que le caractère et les procédés de M. du Mersan m'ont fait trouver beaucoup plus heureux qu'il ne me l'avait annoncés. Si enfin elle revient sur mon compte quelle que soit ma situation, je me croirais heureuse, espérant que la santé de M. du Mersan se rétablira par les soins que j'en aurai et que je l'engagerai à en prendre lui-même, l'amitié qu'il me témoigne et sa tendresse pour notre enfant pourront lui rendre la moins insupportable qu'elle ne lui paraissait quand il se livrait à la solitude et à sa mélancolie. J'ai profité de son sommeil pour vous écrire cette longue lettre parce que je pourrai bien ne pas trouver un moment libre pour l'achever et la cacheter. J'embrasse bien tendrement ma chère cousine et vos chers enfants, et vous prie de me croire avec les sentiments inviolables avec lesquels je suis votre très humble servante Darmezin du Mersan. Je vous prie, mon cher cousin, nous ne me pas oublier auprès de mes Tantes et de mon Oncle à qui je n'écrirai que les mêmes choses si j'en avais le moment. À propos de mes Tantes, comment m'a-t-on fait un crime d en nommer une par son nom, comme le fait M me Duchesne en m'écrivant pour les distinguer. Mais on est prévenu contre moi, et tout est mal pris ; mais c'est pour moi une consolation de savoir que vous et ma cousine, qui me connaissez bien, jugez mieux de mes sentiments. Le 6 novembre 1780, M. Le Normand, curé de Plou, baptise dans la chapelle du château de Castelnau, suivant la permission de M gr l'archevêque de Bourges en date du 14 octobre, une fille, répondant aux prénoms d Adèle Clémentine, née cette nuit du mariage de M. Antoine Charles Gabriel Marquis de Folleville 21 et de D e Catherine Charlotte Sophie de Bussy son épouse Chevalier et seigneur de Manancourt, de La Motte les Allaines, de Bouchassonnés de Basonde, Grands et pe tits, Équencourt, Commandant d'escadron au régiment de Dragons de son altesse Monseigneur le duc de Bourbon. 253

254 Au pré de mon arbre Le parrain est M. Clément Henri François Marquis d'haspel 22, représenté 23 par M. Guillaume François Marion du Mersan seigneur du Fresney ; la marraine est D lle Magdeleine Sophie de Bussy, sa grande tante. Sont présents le sus dit Marquis de Folleville le père, Charles Joseph Marquis de Bussy 24, son grand oncle maternel ; M. de Folleville son frère aîné ondoyé en cette chapelle le 15 décembre 1778 ; M. Charles Honorine de Berthelot de la Villeurmoy 25 et son épouse D e Charlotte Claude d'anteuil ; Dame Jeanne Geneviève Louise Aubesente épouse de Messire François de Fauzay ; D e Jeanne Françoise Darmezin épouse du S r du Mersan. Et après la cérémonie se sont transportés dans les appartements de D e Catherine Charlotte Sophie de Bussy, la mère, qui à signé avec tous les témoins : Guillaume François Marion du Mersan ; Charles Honorine de Berthelot de la Villeurmoy ; Douce de la Villeurmoy ; Antoine Charles Gabriel marquis de Folleville ; Catherine Charlotte Sophie de Bussy de Folleville. de Marie-Françoise Darmezin à Antoine Nicolas Duchesne ; oblitéré à Bourges Du 20 février 1781 J'ai voulu attendre pour vous répondre, cher cousin, que j'eusse suivi le conseil que vous me donnez..../... Je suis toujours surprise que vous ne voyez pas que la seule chose qui affecte ma pauvre tante est la séparation. Elle était accoutumée à moi, m'avait donné toute sa confiance pour ce qui regardait son ménage, et ce changement là lui a été très cruel. Vous avez été témoin de l'aigreur qu'elle a eu vis-à-vis de moi dès les premières propositions de mon mariage. Certainement, je n'avais pas encore eu de tort ; le seul que je pense avoir dans son esprit était de croire que j'acceptais le parti qu'elle me proposerait. Je me trouverais bien heureuse si je savais pouvoir faire quelque chose qui lui rende la vie moins insupportable ; ce serait pour moi une consolation dont j'ai vraiment besoin. Je n'ai pas celui de vous redire à quel point je l'aime ; vous en avez été témoin assez souvent. J'ai peine à vous pardonner, cher cousin, de me laisser aussi longtemps dans l'inquiétude, les nouvelles que vous me donniez étaient assez alarmantes pour me faire savoir le mieux, s'il y en a comme je l'espère. Vous savez que je ne peux en avoir que par vous. Ainsi, je vous supplie, aussitôt ma lettre reçue, de vouloir bien m'en donner de très détaillés. Dites moi si elle est obligée de garder le lit, et si elle sort. Vous me demandez ce qu'il y a eu entre mon oncle et moi. Vous n'avez donc guère de mémoire car je vous l'ai mandé tout du long, et même j'ai été très étonnée de ce que 22 - Chevalier et seigneur d'hasonde Suivant la procuration passée devant Foquet et c r t s notaires à la Bassée en Artois en date du 10 octobre Chevalier et seigneur de Castelnau, du Coudré et de Saint Fl o- rent, Maréchal des camps et armées du roi Chevalier et Conseiller du roi en tous ses Conseils, Maître des requêtes ordinaires en son Hôtel. 254

255 Les Pannetier vous ne m'avez pas répondu à cet article là. Peut-être avez-vous encore la lettre, je ne veux pas vous en dire davantage. M. du Mersan se propose tous les postes de vous écrire et est toujours fâché de n'en pas trouver le temps. Il est bien sensible des choses tendres que vous me dites pour lui, comme sûrement, quelque jour il aura un moment, il vous en témoignera lui-même sa reconnaissance..../... Je suis à Castelnau avec des personnes qui s'intéressent beaucoup à l'affaire du comte de Solar 26. Voudrez-vous bien, cher cousin, me mander où cela en est, et si l'abbé de l'épée en est encore chargé Alors qu'au château, on fête l'anniversaire de la petite Justine, fille de M me de Solar, un enfant produisant des cris étranges, à la grande honte de sa mère, fait irruption au milieu des convives. C'est Guillaume de Solar, sourd-muet que sa mère, M me de Solar, cache dans une masure au fond de la forêt. Alors qu il a 12 à 13 ans, il est retrouvé le 1 er août 1773, sur la grand route de Péronne, à peu de distance du château de Séchelles, abandon pleine campagne et placé à Bicêtre ; il est recueilli par l'abbé de L'Épée en Après des recherches, celui-ci est persuadé d avoir établi l identité de son protégé : il s agirait d un certain Joseph de Solar. Par le langage des signes, qu'il est le premier à avoir conçu comme une vraie langue, débute une douloureuse et fascinante aventure : l'abbé, é paulé par sa sœur, n'a plus qu'une seule obsession, parvenir à communiquer avec lui et connaître son secret. Officiellement, sa mère, la veuve de Solar, l aurait confié à Cazeaux, un étudiant en droit, pour le mener chez un médecin célèbre, aux eaux de Bagnères, et «Joseph» serait décédé de la petite vérole près de Toulouse le 28 janvier Face à un si cruel destin, l abbé prend la décision d'en appeler à la Justice, de faire retrouver sa famille, de faire punir ceux qui se sont rendu coupables d'enlèvement et d'abandon d'enfant, afin de restaurer Joseph dans ses droits et de lui restituer sa véritable identité. L «affaire Solar», qui défraie la chronique judiciaire, est l'occasion pour l'abbé de déployer toute sa pugnacité pour défendre l'un de ses élèves, un enfant abandonné dans de mystérieuses conditions et en qui certains voulaient reconnaître le jeune comte de Solar. Pour la justice, il ne fait alors aucun doute que la comtesse (décédée fin 1775) aurait demandé à Cazeaux de faire disparaître son fils. Cazeaux est arrêté et clame son innocence. Élie de Beaumont, j u- riste réputé, est persuadé de l erreur judiciaire. Il demande à Guillaume Tronson du Coudray de se charger de sa défense. Malgré la personnalité de la partie adverse, le jeune avocat réussit brillamment à faire relaxer Cazeaux et la mort naturelle du comte de Solar est confirmée. Le jeune sourd et muet s engagera par la suite dans un régiment de dragons et mourra en pleine bataille, faute d avoir entendu l ordre de faire retraite. Un téléfilm, L Enfant secret (2006), retrace l'affaire Solar mais prend beaucoup de libertés avec la vérité. 255

256 Au pré de mon arbre de Marie-Françoise Darmezin à Antoine Nicolas Duchesne ; oblitéré à Bourges Du 21 avril (probablement 1781 ; peut être 1780).../... Je vous fais bien sincèrement mon compliment de la visite que vous avez reçue. J'ai toujours eu l'espérance d'un véritable raccommodement 27. Dieu veuille qu'il dure et qu'après trois ans de véritable chagrin, vous puissiez jouir de la paix que vous souhaitez tous. Depuis que je n'ai eu de vos nouvelles, j'en ai reçu de ma tante et de sa propre main, vous le savez peut-être. Je n'ai pas manqué de lui répondre la poste suivante. J'ai bien vu qu'elle affectait d'avoir un style sec, mais cependant il y a voir deux ou trois phrases qui m'ont pénétrées et m'ont fait voir que si je pouvais demeurer auprès d'elle, elle oublierait tout et me rendrait son amitié. C'en était assez pour me faire fondre en larmes, et pour murmurer beaucoup de la longue absence que je suis forcée de faire. Je ne suis pas dans ce moment ici à Castelnau mais toujours avec les habitants. Nous avons été forcés de nous enfuir très promptement, la petite vérole étant dans le château. M me la marquise de Folleville, qui ne l'a pas eu, la craint beaucoup, pour elle, et encore plus pour son fils. Aussi, pour se guérir de la peur, elle doit partir bientôt pour se faire inoculer à Paris. Moi, je serais désespérée que mon fils l'ait à son âge, n'ayant pas encore toutes ses dents, et ne tétant plus. Toutes ces raisons là nous ont décidé à partir dans l'instant, et nous sommes actuellement au château de S t -Florent qui n'est qu'à une lieu et demi de Castelnau. Cela ne fait rien pour nos adresses ; si vous me faites l'amitié de m'écrire, adressez moi vos lettres à l'ordinaire..../... J'ai été bien surprise de la mort de Noël 28. Il annonçait la santé. Quand j'apprends la mort de gens qui paraissaient aussi vigoureux, cela me fait jeter tout de suite les yeux sur moi qui n'est sûrement pas l'air de faire l'épitaphe du genre humain, et cette réflexion fait que je me dis «tu mourras bien toi quand il plaira à Dieu» ; pourvu qu'il me donne assez de temps pour me reconnaître. Si j'avais le temps, j'en dirais bien long la dessus mais il faut que je me couche parce qu'il n'est pas loin de minuit. / Mon mari est allé faire ses Pâques à Bourges ; j'espère qu'à son arrivée je le trouverai changé. de Marie-Françoise Darmezin à Luce Menjaud et à son mari Antoine Nicolas Duchesne Du 17 septembre (1781) Tu es bien heureuse d'avoir déjà une petite fille de trois ans. Je voudrais bien que mon anonyme les eu. Il me semble qu'à cet âge là on est plus sûr de les conserver. Pour moi Source : L'abbé de l'épée, sa vie, son apostolat, ses travaux, sa lutte et ses succès ; avec l'historique des monuments élevés à sa mémoire à Paris et à Versailles. Berthier, Ferdinand Paris : Lévy frères, Fait probablement allusion aux relations conflictuelles avec les beaux-parents Menjaud Antoine-Nicolas avait évoqué «un extrait mortuaire de Noël» à la veille de la Toussaint

257 Les Pannetier je ne regarde jamais le mien qu'en tremblant. J ai dans la tête que je n'aurais pas le bonheur de le conserver ; cette idée là me tourmente souvent..../... Vous avez raison de dire que je suis dans la magnificence. Il est certain que quand je quitterai Castelnau pour aller... je ne sais où, je trouverais bien à déchanter. Beau château, superbe parc contenant 360 arpents, grande chère, grand nombre de domestiques, des voitures aux ordres des personnes qui n'en ont pas, bonne compagnie, voilà ma position actuelle..../... Quand vous écrirez, vous mettrez mon adresse à l'ordinaire, seulement au lieu de Bourges vous mettrez Charon. Je ne vous dis rien de mon mari, vous savez qu'il vous aime bien. De Marie-Françoise Darmezin à Antoine Nicolas Duchesne ; une lettre du 20 mars (sans année) de Castelnau, oblitéré à Bourges, nous apprend qu ils quittent M lle de Bussy et rentrent à Paris 29, dans trois semaines ou un mois, ayant des engagements qui retardent leur apparition dans la Capitale. Origines bretonnes Le grand-père de François Guillaume est Claude Marion de Kerhoël ; probablement à rapprocher de ceux que l on trouve dans la littérature : Les fermiers des Devoirs, ne pouvant établir de Régie sur les boissons, présentent au roi une requête en vue de faire cesser la fraude dont se rendent coupables les Insulaires, en revendant du vin détaxé aux ports circonvoisins. Sur cet exposé, ils requièrent qu il plût à la Cour de nommer le sieur de Kerhuel, «brigadier establi à l Isle (de Sein) pour le tabac» de veiller à ce qu il ne s y fit aucune dissipation frauduleuse des boissons et de recevoir toutes les déclarations d entrée et de sortie des vins. À la sortie du décret, publié au prône de la grandmesse du 15 août 1725, tous les sénans vinrent déclarer au bureau du représentant de l Amiral. De même, bien que ce ne soit pas gravé dans le marbre, mais simplement sculpté dans le granit, on trouve sur les contreforts ou sur les pignons de l'église Saint-Nonna de Tréoultré 30, des voiliers qui racontent à leur façon le passé glorieux de cette fin du monde qu est le pays bigouden. Sur le second pignon du mur sud de l'édifice, en partant du porche, un vaisseau de guerre, bien conservé, porte trois mâts. Son phare carré est déployé sur le mât de misaine. Sur la vergue du grand mât, deux marins semblent occupés à 29 - Ils habitent rue S t -Pierre entre celle du Calvaire et le Pont-auxchoux Aujourd hui Penmarc h. 257

258 Au pré de mon arbre carguer ou à ferler la grand voile. Dans la hune, deux autres matelots lèvent les bras au ciel, l un brandissant un drapeau, l autre une hache et une épée. Le mât d'artimon porte sa vergue apiquée vers l'avant. On remarque sur le pont des gueules menaçantes de bouches à feu dont les deux plus grandes sont servies par un artilleur et semblent prêtes à cracher. On vous dira que cette scène relate l'expédition cornouaillaise conduite par le marchand Michel Marion de Kerhuel, qui oblige Charles VIII à lever le blocus devant Nantes le 6 août D autres vestiges, tels la tour et le pigeonnier du manoir de Kerhuel (XV e -XVI e siècles) situé à Plonéour-Lanvern, à proximité de Quimper et Pont l Abbé, furent la propriété successive des familles Kerlehuezre (en 1426), Marion (en 1450), Gouin (à partir de 1678) ; le manoir qui existe de nos jours a été reconstruit au XIX e siècle. Théophile Marion du Mersan François Marion Dumersan, écuyer, seigneur de Fresney, et son épouse, enceinte, Jeanne Marie Françoise Darmezin, demeurant d habitude à Paris, sont en séjour au château de Castelnau, à Plou, où elle donne naissance à un fils le 4 janvier Le 6 janvier, de santé fragile, on ne le transporte point à la paroisse mais l'ondoie au château sans lui donner de prénom. Ce sera l'anonyme... de Marie-Françoise Darmezin à Félicité Duchesne ; oblitéré à Bourges Du 22 mai 1780 Depuis que je n'ai eu l'honneur de vous écrire, très chère, j'ai eu un terrible assaut à soutenir. Je me suis trouvée seule à Castelnau pendant assez de temps, M. du Mersan étant aller voir un bien de campagne qu'on lui avait dit pouvoir lui convenir. Et, du lendemain de son départ, mon fils est tombé très dangereusement malade ; les convulsions ont été si violentes que nous l'avons cru mort. Il a été fort longtemps en danger, mais très heureusement il s'en est tiré. Tout cela a été occasionné par les dents, car dès qu'elles ont été percées, il a toujours été de mieux en mieux. Jugez, chère tante, combien ma position était fâcheuse, mon fils à la mort, et son père absent..../... En 1795, alors que sa famille est inquiétée par la Terreur et que son père est ruiné, Théophile, qui a pris goût au théâtre en apprenant à lire dans Racine et Molière, trouve un emploi auprès d'aubin-louis Millin de Grandmaison 31, conservateur du Cabinet des médailles et antiques de la Bibliothèque nationale Aubin-Louis Millin de Grandmaison ( ) est un naturaliste mais surtout un «touche à tout». Millin est emprison 1793 en raison de sa lutte contre les Jacobins et sa rédaction de la Chronique de Paris. Après un an de prison, il part enseigner l'archéologie à la Bibliothèque nationale où il fut conservateur-professeur du département des antiquités. 258

259 Les Pannetier Avec son collègue Théodore-Edme Mionnet 32, futur membre de l'académie des inscriptions et belles-lettres, Théophile met au point un nouveau système de classification des médailles par ordre géographique et chronologique, travail qui lui vaut d'être nommé conservateur adjoint du Cabinet des médailles en avril 1825 À M. Benoît Conseiller d'état Directeur général des contributions indirectes En son hôtel Rue S te Avoye 33 À Paris Vous rappelez vous, Monsieur, un de vos confrères à la Société d'agriculture de Versailles, M. Duchesne qui en était alors secrétaire? Comme vous êtes gravé dans sa mémoire et qu'il se souvient des anciens rapports que nous avons eu ensemble, il est venu me demander une lettre pour vous en faveur d'un de ses cousins, fils d'un ami de mon père. Ce jeune homme, déjà père de famille, se nomme M. Dumersan et est employé depuis Il est maintenant veneur à cheval à Fismes 34 arrondissement de Reims. Il désire son avancement, et a droit à votre bienveillance. Je serai charmé, Monsieur, que ce vous fut une occasion d'un souvenir qui put être utile à M. Dumersan. J'ai l'honneur d'être, Monsieur, Votre très humble et très obéissante servante. En 1828, Théophile Marion du Mersan publie une «Petite Histoire du Cabinet des Médailles» : il y reprend les mêmes termes que son collègue Legrand : «Objets trouvés à Tournai en 1653, dans un tombeau que l on crut être celui de Childéric 35.». Il devient en président du Conservatoi re de la Bibliothèque nationale de France Théodore-Edmé Mionnet, 1770, est le fils d un huissier - priseur. Il devint avocat, fut incorporé aux armées révolutionnaires puis attaché aux bureaux de l Instruction publique. Dès l enfance, il fréquentait les ventes où officiait son père et avait pris le goût des médailles. Il réussit à entrer au Cabinet des médailles en 1795, juste avant la mort de l abbé Barthélemy. Il fut premier employé au Cabinet, chargé du nouveau cla s- sement des médailles. On n a pas beaucoup de documents permettant de dire quelles étaient ses fonctions exactes. À cette époque, il y avait très peu de personnel et Mionnet resta au Cabinet jusqu à sa mort en La rue S te -Avoye tirait son nom du couvent ainsi dénommé. Elle allait de la rue S t -Merri à la rue des Haudriettes et fut ajoutée en 1851 à la rue du Temple qui s'appela jadis rue de la Chevalerie -du-temple Presque tous les futurs rois qui ont été se faire sacrer à Reims passèrent par Fismes, dernière étape du voyage Source : http :// 259

260 Au pré de mon arbre Retournement de situation en Dans une réédition de son livre, Théophile corrige ainsi : «Objets trouvés à Tournai en 1653, dans le tombeau de Childéric ; il y avait dans ce tombeau un cachet en or portant un buste de face avec l inscription CHIDIRICI REGIS.» 1838, nouvelle réédition des travaux. On retrouve mentionné : «Quelques objets trouvés en 1653 à Tournai, dans un tombeau que l on a supposé être celui de Childéric, père de Clovis, mort en 481». Et ceci à propos des abeilles : «il y en avait une assez grande quantité ; le reste a disparu dans le vol du 5 septembre 1831». Devant tant de légèreté et d erreurs que nous n avons pas toutes relevées, on comprend que les archéologues de la même génération n y ont pas prêté attention. Pour eux l affaire était limpide. Personne ne pouvait contester l authenticité du sceau retrouvé dans le tombeau de Childéric qui identifiait la sépulture. On ne peut comprendre la suspicion de Marion du Mersan que si l on se place sur un plan strictement politique - Restauration et «abeilles napoléoniennes -, mais là nous sortons du propos. En 1876, M. Chabouillet 36, conservateur du département des médailles et antiques, et gendre de Guillaume-François Marion du Mersan, abonde dans le sens donné par son beau-frère, quand il parle des objets sortis du tombeau de Tournai. Dans le cadre professionnel, Théophile est en contact avec ses cousins Jean et Guillaume Duchesne, et, par alliance, avec Sampierdarena, Depaulis, graveurs célèbres à l époque, tous liés aux Menjaud. Employé au service des médailles et antiques à la Bibliothèque Royale, sa véritable activité est la numismatique et les gravures ; En 1832, Théophile étant resté premier employé, il est récompensé par la décoration de la Légion-d'Honneur. M. Muret remplaça le jeune Oberlin, mort dans la même année, et sa place fut partagée entre deux auxiliaires, MM. Ghéerbrand et Anatole Chabouillet. Théophile est nommé conservateur en Pierre Marie «Anatole» Chabouillet naît à Paris en 1814, y meurt en Il entre en 1832 au Cabinet des médailles où il est nommé secrétaire de la Section d'archéologie du Comité des Travaux historiques des Sociétés savantes en 1858 (fonction qui lui est enlevée en 1883), puis conservateur du Cabinet en 1859, poste qu'il occupe jusqu'à sa retraite en 1890, date à laquelle il est rempla cé par Henri Lavoix. Son œuvre princ i- pale demeure le «Catalogue général des camées et pierres gravées de la Bibliothèque impériale», paru en Il reçoit la donation du Duc de Luynes en Secrétaire de la Section d' archéologie du Comité des travau x historiques et scientifiques, de 1858 à 1883 ; membre résidant de la Société n a- tionale des antiquaires de France, de 1861 à

261 Les Pannetier Parallèlement, à l'âge de dix-huit ans, il débute au théâtre par «Arlequin perruquier, ou Les Têtes à la Titus», une critique des modes et des mœurs du temps, et commence bientôt à alimenter les théâtres de boulevard. Il compose en deux ans pas moins de dix-huit pièces, dont «L'ange et le diable» en 1799, drame en cinq actes qui connaît plus de cent représentations, chiffre prodigieux pour l'époque. Au total, il produit 238 pièces, dont plus de 50 à lui seul. Les autres sont issues d'une collaboration avec les meilleurs vaudevillistes parisiens, parmi lesquels Jean-Nicolas Bouilly, Nicolas Brazier, Pierre Frédéric Adolphe Carmouche, Marc-Antoine Désaugiers, Mélesville et Eugène Scribe. Son plus grand succès est «Les Saltimbanques», une «farce désopilante» selon le Grand Dictionnaire universel du XIX e siècle, donnée au Théâtre des variétés en Ce qui caractérise en général les ouvrages de M. Dumersan, c'est le talent d'observer les mœurs et les habitudes des différentes classes du peuple, et de les peindre de la manière la plus vraie et la plus plaisante ; aussi c'est dans ce genre qu'il a obtenu les succès les plus soutenus et les plus mérités. Mais ce qui doit distinguer cet auteur dramatique de la plupart de ses confrères, c'est que ses productions, dont le nombre seul suffirait pour faire la réputation de plus d'un vaudevilliste, semblent n'avoir été pour lui que les délassements de travaux plus abstraits et plus importants : parmi toute cette production d auteur dramatique, vaudevilliste, poète, chansonnier, romancier, Dumersan trouve le temps de rédiger des ouvrages de numismatique et d'histoire du théâtre, dont un lexique d'expressions théâtrales et d'argot des comédiens, le «Manuel des coulisses». Ses ouvrages d érudition, publiés dans le cadre de son travail se font remarquer par une clarté et une élégance de style qui ne sont pas toujours le partage des savants. Vers la fin de sa vie, il publie plusieurs recueils de chansons, notamment les «Chansons nationales et populaires de France», parues en deux volumes en Dominique Menjaud raconte que la chanson «La Mère Michel» aurait été popularisée vers 1820 par Théophile du Marsan, Son activité d écrivain a pu lui faire côtoyer la Comédie française et Jean Adolphe Menjaud. Théophile décède le 13 avril 1849, à Paris. Par arrêté du ministre de l Instruction publique en date du 12 mai, Anatole Chabouillet 37, premier employé au cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale, est nommé conservateur-adjoint en remplacement de son beau-père. C est Adolphe Duchalais, archiviste paléographe, qui remplace Anatole comme premier employé Pour mémoire, M. Ghéerbrand étant mort en 1836, a été re m- placé à cette époque par Anatole Chabouillet, auquel on adjoign it M. Adrien de Longperrier ; Anatole est alors troisième employé auxiliaire, derrière M. Muret, Théophile du Mersan, son beau -père étant premier employé. 261

262 Au pré de mon arbre En 1859, Anatole Chabouillet, est nommé conservateur au cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale en remplacement de Charles Lenormant. Bataille de Saint-Vaast-la-Hougue Étant donné la proximité de la famille Pannetier de Nevers avec le pouvoir, il y a tout lieu de penser qu elle peut être parente du sieur Pannetier, chef d'escadre, qui a combattu lors de la bataille navale de Saint-Vaast-la-Hougue. Le 29 mai 1692, la flotte de Anne-Hilarion Costentin - prénom prédestiné - Tourville se dirige vers la Hougue, pour embarquer l'armée de Jacques II ; Tourville est sur le «Soleil Royal». Mais on annonce la flotte anglo-hollandaise au large de Barfleur. L'amiral n'est pas prévenu à temps que la flotte anglaise lui est supérieure (96 navires anglo-hollandais sous le commandement de Russel, avec une cinquantaine de brûlots, contre 44 vaisseaux français - après l'arrivée inespérée de Villette-Mursay et de son escadre le 25 mai - et onze brûlots). Louis XIV ayant, en mars, donné l'ordre d'attaquer quelles que soient les circonstances, Tourville décide d'attaquer la flotte ennemie en plein centre. L'engagement de «Barfleur» a lieu vers les 10 h du matin. Pendant près de 12 heures, la bataille est indécise mais en raison de la différence importante du nombre de navires engagés, la victoire ne souffre aucun équivoque : les Français ne perdirent pas une chaloupe! Il n'y eut que le vaisseau du sieur Pannetier qui eut sa poupe mise en désordre par une bombe et on dénombra seulement 1700 hommes morts ou blessés. Par contre les Anglais déplorent la perte de deux navires, et la mort du contre-amiral Carter. La nuit tombe. Tourville tient héroïquement sans céder, cependant la flotte française renonce à l'expédition projetée et tente de se mettre à l'abri, se mettant en fuite profitant de la nuit et de la brume. Au matin du 30, avec la levée du brouillard, Tourville constate qu'il ne lui reste que 35 vaisseaux. Il en manque donc 9 (7, dont ceux des Lieutenantsgénéraux Gabaret, Nesmond et Langeron qui sont repartis sur Brest et 2, très mal en point, qui font route sur Cherbourg). Faute de fortification sur la côte normande, Tourville décide alors de faire franchir le rail Blanchard à la flotte. 22 vaisseaux passent le Cap de la Hague avant la renverse de courant mais 13 autres (de 1 er et de 2 e rangs, les plus lourds et ayant le plus fort tirant d'eau), ne peuvent franchir le trop fameux raz Blanchard. Ils sont contraints de rebrousser chemin et pensent se réfugier dans la baie de la Hougue. Le 1 er juin, trois navires fortement touchés pendant la bataille de Barfleur - tient! il a fallu tout ce temps pour s en apercevoir? - s'échouent au large de Cherbourg : le «Triomphant» près de l'embouchure de la Divette, «l'admirable» sur les Mielles, et le «Soleil royal», navire amiral, à la pointe du Hommet. L'artillerie des fortifications de la ville tient pour quelque temps l'ennemi à 262

263 Les Pannetier distance. Pour ne pas être otage de l ennemi, Tourville quitte son navire, percé de toutes parts, et monte sur «L Ambitieux». Le stock de poudre du «Soleil Royal» et du «Triomphant», en s'embrasant, explose et les projections provoquent de gros dégâts matériels et humains dans la ville. «L'Ambitieux», Le «Merveilleux», Le «Foudroyant», Le «Magnifique», Le «Tonnant», Le «Saint-Philippe», Le «Terrible», Le «Fort», Le «Fier» et Le «Gaillard» se dirigent vers la Hougue et y mouillent. Le 2 juin, les six plus gros navires sont échoués du côté de l'îlet, six autres du côté des Hoguets, derrière le fort de la Hougue. À l'arrivée des ennemis, le marquis de Villette met le feu à «L'Ambitieux». Le 3 juin, les anglais brûlent les autres vaisseaux, mais les Français, matelots et soldats, réussissent à défendre une partie des bâtiments de charge. Les 2 et 3 juin, les Anglais, embarqués sur des chaloupes, incendient l'un après l'autre les navires en rade de la Hougue. Jacques II et ses «Jacobites», contemplent, des hauteurs de Quinéville, ce qui signifie la fin de leurs ambitions de reprendre le trône d Angleterre. Pendant quelques décennies, les vestiges de la flotte de Tourville ont servi de mouillage pour les marins et de ressources en bois. Peu à peu oubliées, les épaves sont redécouvertes en 1985, donnant lieu à d'importantes recherches archéologiques, présentées en partie au musée maritime de Tatihou. Les 22 qui ont pu passer le rail sous le commandement du chef d'escadre Louis Pannetier, sont talonnés de près par l'escadre anglaise de John Ashby. Malgré l'urgence, aucun pilote local ne veut prendre le risque de faire entrer les vaisseaux dans le port de S t -Malo. L'auteur précédemment cité écrit : «des barques se présentent. Les patrons interrogés hochent la tête. Ils accepteraient de piloter les vaisseaux de moins de 50 canons en profitant du courant de flot, mais ils déclarent impossible d'arriver à la Rance avec un trois-ponts de 86 canons comme «le Grand». Le vaisseau n'aura pas assez de tirant d'eau sous la quille, même à la haute mer. Il fera côte ou se crèvera sur quelques rochers. À S t -Malo peut être trouverait-on un pilote en le demandant à M. Duguay! Pannetier trépigne d'impatience. Le temps presse. Devra-t-il se résigner à échouer ou brûler ses 22 vaisseaux pour les soustraire à l'ennemi? L'espoir du salut vient tout à coup. Un simple matelot, Hervé Riel, qui, au Croisic, a été levé de force comme matelot pour la campagne, se dit très capable de piloter «le Grand» dans la baie qu'il connaît bien. On le questionne. Ce Riel a longtemps navigué sur des corsaires malouins et y fut affecté à la timonerie. Il inspire confiance. Pannetier le charge de donner la route avec le pilote entretenu du «Grand» qui marchera en tête de ligne.(...). Pannetier s'estime heureux, après des heures tragiques, d'avoir pu mettre à l'abri les 22 vaisseaux du Roi» Dans «La légende de la Hougue», son auteur, G. de Raulin, confirme: 263

264 Au pré de mon arbre «Se sentant suivi de près par John Ashby, qui dispose d'un nombre double de vaisseaux, il (Pannetier) craint d'être forcé d'accepter le combat. Aucun pilote ne veut l'entrer dans le port avant l'heure de la marée. Mais rester en rade, c'est faire le jeu de l'ennemi. Plutôt que de s'y exposer, il préfère courir la chance et tenter le passage. Un matelot du Croisic, Hervé Riel, levé de force, s'offre à le conduire malgré l'avis des pilotes. Il est assez heureux pour y réussir» Louis XIV ne tient pas rigueur à Tourville et lui donnera son bâton de maréchal de France en

265 Les Menjaud Au XVII e et avant 1, les Menjaud sont nombreux dans le Sud de la France, en particulier dans la haute vallée du Var, village de Guillaumes où une Louise Menjaud naît en 1600, s y marie et y décèdera. Il est fait mention de Menjaud, en 1642, à Gassin, dans la presqu île de Saint Tropez. Il est bien sûr fait état d Antoine Menjaud, né à Fréjus et marié le 9 décembre 1482 ; mais il n a eu que des filles Leur lien reste à découvrir avec Jean Menjaud, né à Fréjus en 1703, et éventuellement avec d autres Menjaud. Le cahier manuscrit d Amable Levacher Duplessis, apparenté 2 aux Menjaud de son époque, décrit en 1858 l histoire de sa famille et cite une quantité d anecdotes et d appréciations sur la vie à son époque. Il nous apprend que quelques-uns des quatorze enfants de Nicolas Levacher, son ancêtre mort en 1688, marchand d'étoffes, à Paris, près de Saint- Germain l'auxerrois, ont été anoblis. Ils portent donc des patronymes différents : Levacher de Fontenoy, Levacher de Varennes, Levacher de Longvillers, Levacher du Plessis, selon les lieux de leurs domaines. Il est curieux de constater que le véritable nom du Cardinal de Richelieu était Armand-Jean du Plessis (ou Duplessis). Le Larousse universel du XIX e siècle nous apprend que celui-ci avait un petit neveu, Louis Armand François du Plessis ( ), qui eut une existence mouvementée : «Sa vie entière fut un scandale, et il est resté le type le plus brillant de la dépravation de cette époque...». Ce même Larousse nous apprend qu il contribua à faire obtenir le chapeau de cardinal à Fleury. Or on sait que Jean Menjaud ( ) est au service du Cardinal de Fleury. Faut-il y voir un lien entre les Richelieu du Plessis et Menjaud? Nous ne le pensons pas, d autant plus qu Amable ne le mentionne pas dans son manuscrit. Il évoque 3 par contre, apparemment sans trop y croire, la possibilité d une parenté avec la famille de Jeanne d Arc. 1 - Inspiré du document écrit par Dominique Menjaud Sa tante Adélaïde a épousé, le 30 avr il 1794, Alexandre «Toussaint» Menjaud. 3 - Page 26 Levacher Duplessis / Jeanne d Arc. 265

266 Au pré de mon arbre On remarquera également que le peintre accrédité de Richelieu est Philippe de Champaigne, dont l'épouse, née Duchesne, est d une famille qui contractera alliance avec les Menjaud en Jean Menjaud ( ) Jean Menjaud naît à Fréjus le 14 février 1703 ; son père Jean- Joseph 4 est cité comme consul et bourgeois de la ville, lui-même fils d Antoine 5, chirurgien. Jean entre au service du futur Cardinal de Fleury 6 comme chirurgien barbier, avant de le suivre à Versailles. Très certainement par l entremise du Cardinal, Jean est nommé officier 7 de la bouche de la Reine. Le portrait de Jean montre qu'il porte l'épée, privilège réservé aux officiers. Les chaussures pointues sont classiquement décrites comme un signe de puissance sociale et une bague similaire à celle qu'il porte est toujours dans la famille. Des proches travaillent également dans l entourage royal, à commencer par son épouse, Thérèse Élisabeth Gaignedenier, intendante de la fille de Louis XV, Madame Victoire. On sait aussi que Jean du Brousseau, dit de Saint-Cry, est valet de chambre du gouverneur de Versailles et garde des chasses de Versailles et Marly au début du XVIII e siècle ; il avait épousé Élisabeth Hunon, grand-tante de Thérèse-Élisabeth Gaignedenier. 4 - Époux de Louise Vieu (ou Calvy). 5 - Époux de Catherine Mayffret (ou Meyfrede). 6 - André Hercule de Fleury, évêque de Fréjus jusqu en 1715 et «souffrant du mauvais air de cette ville» fut nommé à Tournus avant de devenir précepteur du futur Roi Louis XV. Il semble avoir eu beaucoup d influence sur le jeune Roi et fut un brillant ministre. 7 - Liste «officiers». Un des titres de Jean Menjaud à Versailles est «officier commensal». Le Larousse universel du 19 è me siècle nous apprend que ces officiers bénéficiaient de nombreux avantages, dont l exemption de charges et d impôts. «L existence de tant de privilèges absurdes prodigués à des gens inutiles n a pas été une des moindres causes de la Révolution.». que Jean ne connaîtra pas puisqu il mourra en

267 Les Menjaud Jean Menjaud reçoit du Roi un terrain, à condition d y faire bâtir. Il habite à Versailles, rue de l Orangerie ; «La dite maison 8 a été construite en mil sept cent trente sept durant la communauté de biens d'entre les dits Jean Menjaud et Thérèse Élisabeth Gaigne Deniers son épouse sur un terrain donné par le roi Louis XV sans aucune charge par suivant brevet de Dieu en date du six décembre mil sept cent trente six signé Louis et contre signé Philipeaux.». En outre, il possède une maison de campagne au Chesnay 9. L'an mil sept cent quatre vingt huit, le deux novembre, Jean Menjaud, contrôleur de la Maison de Madame, époux de Thérèse Élisabeth Gagnedeniers, décédé hier, âgé de quatre-vingt-six ans, a été inhumé par nous soussigné prêtre de la Mission faisant les fonctions curiales en présence de Denis Alexandre Duchesne de Chédouet, son petit fils, et d'antoine Nicolas Duchesne, son gendre, lesquels et autres ont signé avec nous et autres. Signent : - Duchesne de Chédouet - L'ab. Royer Chapelain - Duchesne - Henry prêtre - Gusel (?) fils Des huit enfants de Jean Menjaud et Thérèse Élisabeth Gaignedenier, - Thérèse-Élisabeth épouse Alexandre Duchesne de Chédouet ; - Marie-Joséphine épouse Jacques Duchesne de la Sicotière ; - et Luce épouse Antoine Nicolas Duchesne Malheureusement Thérèse Élisabeth Gaignedenier, qui paraît avoir été omnipotente, et d un caractère difficile, se brouille avec Antoine Anthelme Duchesne et, par voie de conséquence avec son gendre Antoine-Nicolas ; Les deux autres gendres, Chédouet et la Sicotière, semblent inspirés d une certaine crainte de son humeur quand ils en parlent. 8 - D après les hypothèques de Versailles (1816). Cette maison existe encore, à l angle des actuelles rue Hardy (ancienne rue du Potager puis rue des Tournelles) et de la rue du Maréchal Joffre (ancienne rue de Satory), en face de l église Saint Louis. 9 - Le château du Chesnay, qui appartient en 1638 à Pierre Le Pelletier des Touches, puis à Charles Maignard de Bernières, est démoli et remplacé par l'édifice actuel pour le compte de Jean Me n- jaud. Agrandi après la Révolution par les Caruel de Saint-Martin, il accueille des personnes célèbres comme le peintre Théodore Gér i- cault. 267

268 Au pré de mon arbre D'autres alliances Duchesne-Menjaud suivront, dont la petite fille de Luce, Adélaïde Sampierdarena qui épousera son cousin Camille Menjaud, petit fils de Jean. 268

269 Les Menjaud Jean Menjaud ( 1745) Fils du précédent, les documents familiaux le concernant sont rares mais riches d enseignements ; les dates de la vie de Jean Menjaud et de son épouse Madeleine Dupré 10, mariage, décès sont mal connues 11. On ne leur connaît qu un seul enfant légitime, Alexandre Toussaint, 1768, qui sera peintre, et prendra Adélaïde Levacher-Duplessis comme tendre et chère épouse. Jean commence une carrière de notaire, rue Saint Honoré à Paris, du 13 février 1770 jusqu au 15 décembre Jean est le beau-frère d Antoine-Nicolas Duchesne ; on sait combien il a œuvré pour le faire tolérer par son père et sa mère. Les livres consacrés à l'histoire de la Révolution nous en apprennent davantage puisque Jean y est mêlé de très près, au point de mériter comme Antoine-Nicolas Duchesne d'être placé sur la liste des promis à la guillotine. Le manuscrit d Amable Levacher Duplessis nous raconte que : «Jean Menjaud, ancien notaire, était juge de paix 12 du 1 er arrond. t lors des journées des 5 et 6 juin. En cette qualité, il constata ce qui s'était alors passé aux Tuileries et il en dressa procès verbal. Aussi après le 10 août fut-il décrété déposé des corps, condamné à mort par contumace et obligé de se cacher». Les 5 et 6 juin 1792 ne semblent pas avoir marqué les historiens ; l'allusion d'amable serait plutôt à rapporter à la journée du 20 juin. Comment en est-on arrivé là? 10 - Madeleine Dupré, est fille et petite fille de notaires Le livre de généalogie Duchesne-Menjaud, nous indique 1745 comme date de naissance, alors que le document déjà cité «Menjaud Jean II, Histoire» nous apprend qu'il avait 59 ans en 1794, ce qui situerait sa naissance en Les fonctions du juge de paix furent d abord électives comme toutes les magistratures créées ou renouvelées par la loi du 24 août Ce juge était chargé de régler les petits litiges. La seule condition requise pour être éligible était de jouir de ses droits civils et civiques, et d être âgé de trente ans. C est l Assemblée Const i- tuante qui a créé et organisé les justices de paix qui existaient pré a- lablement près le Châtelet de Paris, justement où officie Jean Me n- jaud du 24 janvier 1791 au 9 août

270 Au pré de mon arbre Depuis octobre 1789, le Roi a été contraint de quitter Versailles et se trouve en résidence surveillée au palais des Tuileries, après sa fuite et son arrestation à Varennes le 21 juin 1791 ; le mépris pour le roi a grandi. En 1790, Jean Menjaud demeure bâtiment des Feuillants, rue Saint-Honoré ; il devient quatrième des quinze électeurs 13, et juge de paix 14 de la section des Tuileries 15. Jean rend son premier jugement le 24 janvier 1791, et se consacre scrupuleusement à sa juridiction. Ainsi, le 12 février 1792, on trouve trace d une demande de transfèrement des nommés Pierre Bunet et Boudier de la Conciergerie à l Abbaye. Au printemps 1792, la tension est extrême : la dépréciation des assignats - les subprimes de l époque - devenus papier-monnaie, 300 millions en décembre 1791, et encore 300 millions en avril 1792, au moment de la déclaration de guerre contre le reste de l'europe, crée une grave crise économique et sociale : Côté cours, c est l envolée des prix : le pain, sucre, café, chandelle, savon, etc. sont inabordables, leur pénurie s ajoutant à la spéculation. Côté jardin des Tuileries, Louis XVI ne dispose plus que du droit de véto ; il en use et abuse. Le roi, qui pourtant sent le sérieux de la crise, choisit le 19 juin pour annoncer à l'assemblée qu'il oppose son veto à deux décrets. Un de ces décrets prévoit d amasser fédérés aux portes de Paris pour 13 - Le suffrage est censitaire. Les citoyens actifs doivent être âgés de 25 ans accomplis, domiciliés depuis un an dans la ville ou le canton, ne pas être domestiques ; ils doivent, en outre, être inscrits à la garde nationale, avoir prêté serment civique, n être ni en état d accusation, ni failli, ni insolvable non libéré ; enfin, ils doivent acquitter une contribution directe égale à 3 journées de travail. Un décret du 28 février 1790 prévoit que «tout militaire qui aura servi l espace de seize ans, sans interruption et sans reproche, jouira de la plénitude des droits de citoyen actif.» Le suffrage est indirect. Les citoyens actifs désignent au sein des assemblées primaires les électeurs du second degré chargés d élire les députés. Pour être électeur du second degré, il faut être propriétaire, usufruitier ou fermier d un bien évalué dont la valeu r varie entre 100 et 400 journées de travail, selon l importance des communes Son premier jugement date du 24 janvier La section n'avait, en 1790, que 15 électeurs, dont 9 se u- lement furent renommés ; il faut noter que deux anciens électeurs, Delavigne-Deschamps et Menjaud nommés 6 e et 14 e, refusèrent leur nomination en

271 Les Menjaud commémorer le 14 juillet 1789, projet que le roi juge inacceptable, pouvant porter atteinte à l'ordre public. À ce que rapporte Jean-Baptiste Lareynie 16, soldat volontaire du bataillon de l'île Saint-Louis, et surtout agent double, il sait depuis environ huit jours, par les informateurs dont il dispose dans le faubourg Saint- Antoine, que les citoyens de ce faubourg sont travaillés par le brasseur Antoine Joseph Santerre, commandant du bataillon des Enfants-Trouvés, le boucher Louis Legendre, demeurant rue des Boucheries, faubourg Saint-Germain, le compagnon orfèvre Rossignol, l'imprimeur Momoro, et ces hommes perdus, prêts toujours pour le crime, Gonchon, Huguenin, Saint-Huruge, Fournier dit l'«américain» et électeur du département de Paris, Buirette-Verrières 17, demeurant au-dessus du café du Rendez-Vous, rue du Théâtre-Français, renforcés d'étrangers, tels le Polonais Lazouski et l'italien Rotondo qui, avec la complicité tacite mais certaine du maire de Paris, Jérôme Pétion et de Manuel, procureur de la commune, malaxent les faubourgs. Lesquels tiennent nuitamment des conciliabules chez Santerre, 11 rue de Reuilly, et quelquefois dans la salle du comité de la section des Enfants-Trouvés ; là on délibère en présence d'un très petit nombre d'affidés du faubourg, tels que Rossignol, Nicolas, sapeur du bataillon des Enfants-Trouvés, Brierre, marchand de vin, Gonor, se disant vainqueur de la Bastille, et autres ; et que c'est là que se forge la fameuse pétition destinée à l Assemblée, et se trame le complot du 20 juin. Santerre ne brasse pas que l orge ; on le sait, il a aussi la faculté «d instrumenter» le «peuple des faubourgs» pour lequel sont mis à disposition des tonneaux de bière à volonté. Il est aidé en cela par son beau-frère et non moins administrateur de police Étienne Jean Panis 18, lui aussi accessible aux pots-de-vin 16 - Jeune prêtre défroqué du Sarladais,, il préfère troquer la noire soutane de l abbé contre la belle tenue rouge des officiers a l- lant aider les «insurgents américains». Cet écrivain, libelliste, éditeur de brûlots contre la cour et la monarchie, boutefeu lors de la prise de la Bastille le 14 juillet 1789 (sans doute avec passablement de forfanterie), modérateur et prob a- blement délateur lors de la journée du 20 juin aux Tuileries, ce personnage est tour à tour héros, cambrioleur, proxénète, pamphl é- taire, indic à ses heures. Il sera même accusé de détournement de mineure mais la mineure en question n en était sûrement pas à son coup d essai! 17 - Claude-Remy Buirette de Verrières ( ), avocat Il occupe, rue de Grammont, à l angle avec le boulevard, un appartement dans un corps de bâtiment d un des hôtels partic u- liers du marquis de Travanet, banquier de jeux de la reine, et fam i- lier du duc d Orléans. 271

272 Au pré de mon arbre La veille de cette journée il se tient un comité secret chez Santerre, qui commence vers minuit, auquel participent Pétion, maire de Paris, Robespierre, Manuel, procureur de la commune, Alexandre, commandant du bataillon de Saint-Marcel, et Charles, l abbé de la Reynie, le libraire Poinsot, Alexis de Brûlart de Genlis de Sillery, ex-député de l'assemblée nationale et cocu, son épouse étant intimement liée avec Pétion ; sans faire état de sa liaison 19 avec le duc de Chartres. Grâce à sa position dans la société, Stéphanie Félicité Ducrest de Saint-Aubin fut présentée à la cour deux ans après son mariage. M me de Montesson, qui avait été mariée clandestinement à Louis-Philippe d Orléans, la fit admettre au début de 1772 comme dame d honneur de la duchesse de Chartres, belle-fille du duc d Orléans, tandis que le comte de Genlis était nommé capitaine des gardes du duc de Chartres, futur Philippe Égalité. Ces deux postes comportaient le logement au Palais-Royal ainsi que des gages de livres pour le mari et pour la femme de celui-ci. À peine arrivée, à l été 1772, alors que la duchesse est partie en cure à Forges-les Eaux, la comtesse de Genlis entame une liaison passionnelle avec le duc de Chartres Quant à Pétion, il n en était pas à sa première aventure ; chargé de ramener la famille royale après son arrestation à Varennes, le 20 juin 1791, il avait alors éprouvé des sentiments pour Madame Élisabeth, qui se trouvait à ses côtés dans la berline royale : «Je pense, écrira-t-il, que si nous eussions été seuls, elle se serait abandonnée dans mes bras aux mouvements de la nature» En octobre-novembre 1791, il accompagne M me de Genlis à Londres quand celle-ci y conduit trois élèves, parmi lesquelles Adélaïde d Orléans Nous n en dirons pas plus! Le 20, Santerrre voyant que plusieurs des siens et surtout les chefs de son parti, effrayés par l'arrêté du directoire du département, refusent de descendre armés sous prétexte qu'on tirerait sur eux, les assure 19 - Pamela Brûlart de Sillery, née vers 1777 et morte en 1831, est la fille illégitime de Philippe d Orléans et de Félicité de Genlis. Après sa naissance, sa mère l envoya en Angleterre. Préceptrice des enfants de Philippe d Orléans, la mère fit r e- venir sa fille prétextant qu une jeune Anglaise serait d un grand secours pour les enfants du duc d Orléans dans l apprentissage de cette langue. Officiellement, Pamela est considérée comme une petite orpheline adoptée par la généreuse gouvernante. 272

273 Les Menjaud qu'ils n'ont rien à craindre, que la garde nationale n'aura pas d'ordre, et que Pétion sera là. Sur les 11 heures, le rassemblement ne dépasse pas 1500 individus (d après les organisateurs, et 450 d après la police, y compris les curieux et les journalistes), et ce n est que lorsque Santerre se met à la tête d'un détachement d'invalides sortant de chez lui, et avec lequel il est arrivé sur la place, et qu'il eut excité les flâneurs à se joindre à lui, que la multitude s'est grossie considérablement jusqu'à son arrivée au passage des Feuillants ; là, n'ayant point voulu forcer le poste, il se relègue dans la cour des Capucins 20, où il fait planter l arbre de la liberté 21 qu il destinait au jardin des Tuileries, en commémoration du serment du Jeu de Paume. Alors, Jean-Baptiste Lareynie demande à plusieurs des gens de la suite de Santerre, pourquoi le mai n'est pas planté sur la terrasse du château, ainsi que cela avait été décidé, et ces gens lui répondent qu'ils s'en garderaient bien, que c'était un piège tendu par les Feuillantins, parce qu'il y avait du canon braqué dans le jardin, que la ficelle était trop grosse et qu'ils ne tomberaient pas dans le panneau. Jean-Baptiste Lareynie observe alors que l'attroupement est presque entièrement dissipé, et ce n est que lorsque les tambours et la musique se firent entendre dans l'enceinte de l'assemblée nationale, que les attroupés, alors dispersé ça et là, se rallièrent, se réunissant aux autres badauds, et défilèrent avec décence sur trois de hauteur devant le corps législatif. Il remarque que ces gens-là, en passant dans les Tuileries, ne se permettent rien de scandaleux et ne tentent point d'entrer dans le château ; rassemblés même sur la place du Carrousel où ils sont parvenus en faisant le tour par le quai du Louvre, ils ne manifestent aucune intention de pénétrer dans les cours, jusqu'à l'arrivée de Santerre, qui était resté à l'assemblée nationale, et qui n'en sortit qu'à la levée de la séance. Alors Santerre, accompagné de plusieurs personnes, parmi lesquelles le «généralissime des sans-culottes» Victor-Amédée de la Fage, marquis de Saint-Huruge 22, s'adresse à sa troupe, pour lors très calme : 20 - A proximité de la rue S t Honoré Le «mai» ; ces arbres eurent pour précurseurs l arbre de mai, que l on plantait dans beaucoup d endroits pour célébrer la venue du printemps Sa femme, une comédienne du nom de Mercier, étant convoitée par l intendant de Bourgogne Amelot, ce dernier le fit enfermer. Libéré par des amis, il se réfugia en Angleterre. De retour en France en 1789, il poursuivit une carrière d agitateur sous la R é- volution où, selon le mot de Lamartine, «il était à lui seul une sédition» 273

274 Au pré de mon arbre «Pourquoi n'entrez-vous pas Vous n'êtes pas descendus pour autre chose. Si on refuse d'ouvrir la porte, qu'on la brise à coups de canon!» Aussitôt il commande à ses canonniers de le suivre, et dit que, si on lui refuse la porte, il faut la briser à coups de boulets ; ensuite il se présente dans cet appareil à la porte du château, où lui est opposée une faible résistance de la part de la maréchaussée à cheval, mais une ferme opposition de la part de la garde nationale ; cela occasionne beaucoup de bruit et d'agitation, et on a failli en venir à des voies de fait, lorsque deux hommes en écharpes aux couleurs nationales,antoine René Boucher, officier municipal de la section du Bonnet-Rouge, et François Sergent, dit Sergent-Marceau 23, aussi officier municipal 24, arrivent par les cours, et ordonnent d'ouvrir les portes, ajoutant que personne n'a le droit de les fermer, et que tout citoyen a celui d'entrer. René Boucher se défendra de cette accusation à son égard ; voici sa version des faits : La grande porte de la cour royale était fermée, il n y avait que le guichet d ouvert. Nous nous transportâmes, M. Boucher- Saint-Sauveur 25, M. Mouchet et moi, sur le seuil du guichet, où nous haranguâmes la foule. Nous dîmes à ceux qui étaient à portée de nous entendre : «Vous ne devez pas entrer en armes chez le roi ; la cour fait partie de son habitation, il nous a dit, il y a une demi-heure, qu il attendait votre pétition, mais dans la forme prescrite par la loi. Où sont vos vingt députés sans armes? qu ils approchent et qu ils entrent seuls.». Les citoyens qui nous environnaient entraient parfaitement dans nos raisons ; mais la masse du monde de toutes les parties du Carroussel se pressait sur eux et sur nous, les dissipe, me sépare de mes collègues, et me repousse au-dedans de la cour. Les portes sont ouvertes par la garde nationale, et Santerre et sa troupe se précipitent en désordre dans les cours ; Santerre, faisant traîner du canon pour briser les portes de l'appartement du roi s'il les trouve fermées, et tirer sur la garde nationale qui s'oppose à son incursion, est arrêté dans sa marche, dans la dernière cour à gauche au bas de l'escalier du pavillon, par un groupe de citoyens qui lui tient les discours les plus raisonnables pour apaiser sa fureur, le menace de le rendre responsable de tout ce qui arriverait de mal, parce que, lui dit-il, vous êtes seul l'auteur de ce rassemblement inconstitutionnel, vous seul avez égaré ces braves 23 - Sa situation lui a permis de renseigner Santerre sur les moyens d entrer par effet de surprise au château. Plus tard rebaptisé «Sergent Agate» à cause d une très belle bague qu il a au doigt et qui provient d un cadavre Ami de Pétion, il s est vu confier le département de police Antoine Boucher-Saint-Sauveur, avocat, il fera partie du comité de sûreté générale. 274

275 Les Menjaud gens, et vous seul parmi eux êtes un scélérat. Le ton avec lequel ces honnêtes citoyens parlent à Santerre le font pâlir ; mais, encouragé par un clin d'œil du boucher Legendre, Santerre a recours à un subterfuge hypocrite en s'adressant à sa troupe, lui disant : «Messieurs, dressez procèsverbal du refus que je fais de marcher à votre tête dans les appartements du roi» ; pour toute réponse, la foule, accoutumée à deviner Santerre, culbute le groupe des honnêtes gens, entre avec son canon et son commandant, Santerre, et pénètre dans les appartements par toutes les issues, après en avoir brisé les portes et les fenêtres. Au moment où ils vomissent toutes sortes de blasphèmes contre la personne sacrée du roi, Sa Majesté se présente, marchant seule à la tête d'une foule innombrable de bons citoyens, disposés à verser tout leur sang plutôt que de laisser consommer le plus grand de tous les crimes ; alors un mouvement subit et précipité de la foultitude, ayant fait craindre pour les jours du monarque, des grenadiers de poste au château l'entourent presque malgré lui : un aide-decamp de M. Wittenkoff 26 masque le corps du roi, et sur ce mouvement la multitude devient moins pressante ; c'est à ce moment que Legendre s adresse au monarque : «Monsieur (mot auquel le roi témoigne de la surprise et marque son indignation) ; oui, Monsieur (appuie fortement Legendre), écouteznous, vous êtes fait pour nous écouter : vous êtes un perfide, vous nous avez toujours trompés, vous nous trompez encore ; mais prenez garde à vous, la mesure est à son comble, et le peuple est las de se voir votre jouet.». Alors il lit une espèce de pétition contenant des blasphèmes, des menaces, et les volontés du souverain dont Legendre se dit l'orateur et le chargé de pouvoirs. Le roi reste calme, et répond : «Je ferai tout ce que la constitution et l'assemblée nationale m'ordonnent de faire» S en suit un mouvement plus considérable, occasionné par les gens qui entrent par toutes les issues. Un jeune émeutier s'écrie : «Sire, je vous demande, au nom des cent mille âmes qui m'entourent, le rappel des ministres patriotes 27 que vous avez renvoyés. Je demande la sanction du décret sur les prêtres (réfractaires) et les vingt mille hommes ; l'exécution, ou vous périrez». Le roi lui répond : «Vous vous écartez de la loi. Adressez-vous aux magistrats du peuple», et c'est avec calme que Louis XVI réitère sa fidélité à la Constitution. Ensuite il se place à une croisée pour se faire voir de ceux qui sont dans la cour. Là il prend le bonnet rouge, gras et usé, d un savetier de la rue de l Oursine qui se trouve à côté de lui et voulut le mettre sur sa tête ; mais ne pouvant en venir à bout parce que son 26 - Le Moniteur écrit Bichenkoff ; Wittenkoff loge aux Tuileries Les ministres Girondins ; il n en a gardé que deux suite au remaniement du 18 juin. 275

276 Au pré de mon arbre nez s embarrassait dans une des oreilles de ce bonnet, un grenadier le prend et le lui enfonce sur la tête, et c est alors que Louis XVI accepte de trinquer, allant jusqu'à boire, à la régalade, une bouteille tendue par un des manifestants. Vers les six à sept heures du soir, Jean-Baptiste Lareynie revient et monte au château ; il voit plusieurs officiers municipaux, parmi lesquels il remarque l officier municipal, le médecin Philibert Borie, luttant avec le peuple et s'efforçant de lui faire évacuer les appartements ; sur ces entrefaites, Pétion se montre au milieu de deux grenadiers qui le soutiennent de manière à faire croire qu'ils le portent sur leurs bras ; Pétion a l'air tout essoufflé, s'adressant à la multitude, il dit : «Le peuple a fait ce qu'il devait faire, vous avez agi en hommes libres, mais en voilà assez, je vous ordonne de vous retirer» ; de cet instant le peuple s'est retiré et a disparu. C est ainsi que le Girondin Pierre Victurnien Vergniaud et Pétion, le maire de Paris 28, mettent fin, dans le calme et la bonne humeur, à la manifestation. Jean Menjaud reçoit alors la plainte du Roi pour instruire sur la violation des appartements royaux aux Tuileries. Déférant à cette réquisition, le juge de paix se rend à vingt-et-une heures au château pour y constater les effractions perpétrés. Le calme est encore loin de régner ; on redoute que le mouvement ne soit reconductible. De fait, le lendemain, le bruit court d une nouvelle descente du faubourg. Jean-Baptiste Lareynie se transporte en fiacre au faubourg Saint- Antoine, qu'il traverse entièrement, et s'arrête à la barrière du Trône dans la première auberge à gauche ; là, il entend murmurer, par des gens qu'il ne voit pas, mais qui paraissent déjeuner dans le jardin palissade à l'extérieur, : «Oui, on aurait pu... mais lorsqu'on a vu... c'est si imposant...»., et puis «nous sommes Français... sacredieu! si c'eût été d'autres... on lui eût tordu le cou comme à un enfant... Il vient... me v'là... me v'là...;». Jean-Baptiste Lareynie n'en entendant pas davantage, se retire. Il a vu, depuis, plusieurs de ces gens entraînés par Santerre, entre lesquels sont Desjon, Pannetier, un nom qui nous interpelle 29, et un Breton dont Jean-Baptiste a oublié le nom, qui l'ont assuré que la majorité des citoyens du faubourg est affligée de la démarche qui a été faite chez 28 - Cités dans les documents évoqués et dont Jean Menjaud relatera les actes Gaillard de haute taille et robuste, l'épicier Pannetier a pris part à la prise de la Bastille. On n en sait pas plus. 276

277 Les Menjaud le roi ; que ce n'était leur intention, et qu'on devait être certain que cela n'arriverait plus, que d'ailleurs il y avait quelque chose là-dessous. Le 21, à dix-neuf heures, Menjaud revient aux Tuileries, «ayant entendu battre au rappel dans le jardin», et trouve le procureur général syndic, lequel lui fait remarquer «qu'il serait bon qu'il y eut quelques juges de paix au château pour se présenter au besoin et concourir, avec des officiers municipaux, au maintien de l'ordre». Sur ce, Menjaud demande à ses collègues de se joindre à lui afin d'accomplir cette astreinte à tour de rôle, ce que firent jusqu'au 25 au soir, avec lui, Jean Guillaume Locré de Roissy, Buob 30, Bocquillon 31, et Louis- Gilles-Camille Fayel 32, «dans un local près la porte de la Cour des Princes» que l'intendant mit à leur disposition. Les juges de paix se retirent, inquiets de la dénonciation que le député de la Côte d'or Claude Basire, du club des Cordeliers 33, vient de faire à l'assemblée de leurs installations aux Tuileries. Il y a aussi M. Pasloret, président de la Commission extraordinaire des Douze, qui réclame, par courrier adressé au ministre de la justice, des éclaircissements sur le fait des juges de paix tenant leurs séances dans le palais des Tuileries Dès le lendemain, 26 juin, Jean Menjaud adresse au ministre de la Justice un compte rendu 34 de sa conduite durant ces quelques jours. Il déclare que, par crainte d'un nouveau rassemblement armé, il a cru devoir s'installer aux Tuileries et qu'il y a procédé aux auditions de témoins, Arnaud de Laporte, intendant de la liste civile, ayant requis, au nom du roi, information sur les violences et excès commis au cours de la soirée du 20 juin Juge de paix de la section Poissonnière demeurant porte Saint-Denis, rue Basse, n 7, il sera arrêté après la journée du 10 août 1792, et aussitôt enfermé a l'abbaye, et massacré le 3 septembre. Il avait été employé par M. Bertrand de Molleville pour la contre-police de la Cour, et rendit, à ce qu'on assure, beaucoup de services à ce ministre avant la catastrophe qui renversa la mona r- chie Bocquillon, juge de paix de la section de l Observatoire, demeurant place de l Estrapade. Subit le même triste sort que Buob Fayel est juge de paix de la section du Roi -de-sicile, et officier de police du district de Paris, demeurant à Paris, rue des Écouffes, n 18, paroisse Saint-Gervais. Fut déporté Futurs «Montagnards» 34 - Archives du ministère de la justice. 277

278 Au pré de mon arbre Il rappelle que l'article 28 de la loi du 3 août 1791 relative aux attroupements fait devoir aux juges de paix, dans le cas où l'agitation recommencerait, de se réunir afin de «donner les réquisitions nécessaires» au rétablissement de l'ordre public. Il a fait assigner par huissier, M. Guinguerlot, lieutenant-colonel de la gendarmerie nationale, à l'effet de déposer sur les violences, effractions, dégâts et délits commis dans les appartements du château des Tuileries, au cours de la soirée du mercredi 20 juin. Quelques jours s écoulent Pétion est cassé de son poste le 7 juillet, de même que le procureur syndic Manuel, le roi et le directoire du département les accusant de négligence ; ce qui ne fait qu augmenter encore la tension. Les révolutionnaires veulent se venger des magistrats qui ont rempli leur devoir en enquêtant sur les évènements du 20 juin. Le jeudi matin 12 juillet 1792, alors que la veille le roi a confirmé l arrêté du directoire du département, Pétion présente sa défense devant l Assemblée, qui par décret, quelques jours plus tard, lèvera sa suspension, ainsi que celle de Manuel. Ce même jour, un projet de décret est étudié en séance par l Assemblée nationale sous la présidence de M. Dubayet : M. Lemonley : On a dénoncé à la suite des événements qui ont eu lieu le 20 juin au château des Tuileries, que les juges-de-paix y avaient établi un comité central, y entendaient des témoins sur ces mêmes événements, et y étaient nourris et payés comme des personnes qui composent la maison du roi. Le comité de surveillance a remis à votre commission extraordinaire une déclaration faite à la municipalité de Paris par deux citoyens, d'où il résulte que le 24 de ce mois, un particulier arrêté aux Champs-Élysées, a été conduit au château des Tuileries, dans l'antichambre des ambassadeurs, où siégeaient cinq juges-de-paix ; a été interrogé pendant trois quarts d'heure, et n'a été renvoyé qu'à charge de donner caution. Votre commission extraordinaire, que vous aviez chargée de rendre compte de ces faits, a demandé au ministre de la justice les renseignements qu'on devait attendre de sa surveillance. M. Duranthon a transmis à votre commission une lettre du sieur Menjaud, juge-de paix de la section des Tuileries. La voici : 26 juin 1792 Monsieur, d'après les inquiétudes qui s'étaient manifestées à la fin de la semaine dernière, qui faisaient craindre un rassemblement armé pour hier, lequel devait se porter au château des Tuileries, nous avons cru de notre devoir de nous réunir un certain nombre au château, pour être à portée, dans le cas où le rassemblement aurait lieu, de donner les réquisitions nécessaires pour le dissiper, en observant l'ordre porté par l'article 28 de la loi du 3 août 1791, concernant les attroupements, et conformément aux autres articles de la même 278

279 Les Menjaud loi rappelée dans l'affiche du département. Il nous a été donné un local pour notre réunion, dans l'appartement ci-devant occupé par M. Gouvion 35. Comme j'avais donné vendredi dernier, cédule pour faire assigner devant moi les témoins dans l information requise par M. Delaporte, intendant de la liste civile, au nom du roi, des violences et excès commis dans la soirée du 20 juin, et que les citations avaient été données pour hier chez moi, attendu que je demeure dans la cour des Feuillants, on m'a envoyé les personnes qui avaient été citées. J'ai procédé à leur audition dans la chambre qui m'avait été donnée, pour ne pas les renvoyer ; mais il n'y a pas eu de comité central d'établi. Il n'est pas vrai, non plus, que nous ayons été traités par le roi. Nous n'avons rien demandé, connaissant trop nos devoirs, qui ne nous permettent pas de prendre des repas dans le lieu où nous faisons nos instructions. Je vous observe encore, monsieur, que nous avons agi à l'instar des officiers municipaux, qui sont venus constamment au château depuis jeudi dernier, où d eux d'entre eux se sont tenus successivement pour être prêts au besoin, et prévenir les désordres que l'on craignait. Signé, le juge-de-paix de la section des Tuilleries, Menjaud, P. S. - J'ai l'honneur de vous observer encore, monsieur, qu'hier au soir, quand nous avons vu les inquiétudes dissipées, nous avons arrêté de retourner chez nous ; et, à compter de ce matin, j'ai reçu chez moi des témoins dans l'information dont il s'agit. Lemonley poursuit : L'opinion de votre commission s'est bientôt fixée sur le parti à prendre dans cette circonstance. En général, messieurs, les dénonciations contre le pouvoir judiciaire ne doivent pas être accueillies légèrement, ni traitées avec indifférence. Sans contredit, l'indépendance de ce pouvoir est un dogme d'une Constitution libre ; et si la moindre atteinte y était portée, les tribunaux ne seraient bientôt plus que d'odieuses commissions, des instruments de tyrannie, jouets des opinions dominantes et aussi funestes pour la liberté politique que pour la liberté individuelle. Mais autant le pouvoir judiciaire doit être respecté dans ses bornes légitimes, autant il faut veiller à ce qu'il ne les franchisse pas. Plus il a besoin de vigueur pour agir et réprimer, plus on doit prévenir les abus qu'il serait tenté de faire. Si l'on compte en effet pour quelque chose l'expérience du passé ; si l'on considère que presque tous les actes de la vie tombent dans le ressort du pouvoir judiciaire, si l'on réfléchit combien sa marche est redoutable, et laisse des traces profondes, combien et l'intérêt et la crainte peuvent propager son influence, on se convaincra sans peine que la vigilance la plus sévère est nécessaire pour empêcher ses entreprises, et réfréner cette tendance à l'agrandissement que doit donner l'importance de ses fonctions. Mais la constitution a prescrit la manière dont ses écarts doivent être réprimés, dont ses forfaitures doivent être poursuivies. La disposition de l'article 6 du chapitre 5 de l'acte constitutionnel porte : le ministre de la justice dénoncera au tribunal de cassation, par la voie du commissaire du roi, et sans préjudice des parties intéressées, les actes par lesquels les juges auraient excédé les bornes de leurs pouvoirs. Le tribunal les accueillera ; et s'ils donnent lieu à la forfaiture, le 35 - Probablement le lieutenant-général Jean-Baptiste Gouvion qui venait d être tué le 11 juin d'un coup de canon, à une a f- faire d'avant-postes, en avant de Maubeuge. 279

280 Au pré de mon arbre fait sera dénoncé au corps législatif, qui rendra le décret d'accusation, s'il y a lieu, et renverra les prévenus devant la haute-cour-nationale. Ainsi, la marche constitutionnelle est tracée. Si les actes de juridiction faits par quelques juges-de-paix dans le château des Tuileries, ont nécessité ces poursuites ; ou le ministre de la justice agira, et alors la forfaiture vous sera dénoncée légalement, et vous prononcerez ; ou le ministre restera dans l'inaction, et alors vous examinerez s il y a lieu à exercer la responsabilité. Jusque-là toute décision, toute opinion même de l'assemblée nationale serait prématurée. C'est surtout lorsqu'il s'agit de rappeler à ses devoirs une autorité constituée, qu elle doit elle-même se renfermer avec plus de soin dans les limites constitutionnelles. Voici, messieurs, le projet que votre commission extraordinaire des Douze 36 m'a chargé de vous présenter. L'assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de sa Commission extraordinaire des Douze, renvoie au pouvoir exécutif les dénonciations de quelques actes de juridiction, faits par quelques jugesde-paix de Paris, dans le château des Tuileries. Elle charge le ministre de la justice de lui rendre compte par écrit, dans trois jours, des mesures qu'il aura prises à ce sujet. M. Gensonné : Je crois que la commission des Douze s'est étrangement trompée ; elle a confondue ici deux choses qu il faut distinguer avec soin : les fonctions judiciaires et les fonctions de simple police de sûreté. Ce n'est que pour ces prévarications judiciaires que le renvoi au tribunal de cassation peut être invoqué, parce que le tribunal de cassation n est investi par la loi que du droit d'annuler les jugements, et même les jugements en dernier ressort. Ainsi le tribunal de cassation ne peut connaître que des actes judiciaires, et ne peut pas connaitre des actes de simple police de sûreté. La loi sur la police de sûreté a voulu que toutes les fois que ces officiers auraient prévariqué dans leurs fonctions, l'action fut ouverte par-devant les tribunaux. Je demande d'après cela, que vous passiez à l'ordre du jour sur le projet qui vous est présenté, et que vous renvoyiez à la commission des Douze pour nous présenter un second projet. M. Guadé : Avant de combattre l'opinion de M. Gensonné, je crois devoir citer un fait à l'assemblée, qui a été probablement omis par M. le rapporteur. Dans la dénonciation on reprochait que le particulier arrêté avait été traduit dans une des salles du château des Tuileries, où il avait été interrogé en présence de toutes les personnes composant la cour du roi. Le juge de paix a gardé le silence sur ce fait important ; il n a répondu qu'à celui l établissement d'un bureau central au château. Je crois, messieurs, devoir relever ce fait là pour motiver la motion que je ferai de renvoyer au pouvoir exécutif. Maintenant je conviens avec M. Gensonné de tous les principes qu'il a posés ; mais j'observe que ses raisonnements ne peuvent pas écarter le projet qui vous est présenté, car il n'est pas question dans le projet de décret de renvoyer au 36 - Erreur! La «Commission des Douze», chargée de rechercher et de poursuivre les conspirate urs est supprimée le 2 décembre 1792, et devient «Commission extraordinaire des Douze» que par recréation, le 18 mai

281 Les Menjaud tribunal de cassation. Il est question de renvoyer au pouvoir exécutif pour qu'il prenne des mesures. Or, puisqu'il est convenu par tout le monde que l'assemblée nationale ne peut pas se saisir de l'affaire, il est bien évident qu'il faut que le renvoi soit décrété ; car s'il s'agit de juger les juges de paix, dont il est question, pour avoir excédé les bornes de leur pouvoir, en faisant une instruction dans le château des Tuileries, c'est-à-dire dans la demeure de la partie plaignante, l'assemblée ne peut pas s'en mêler. Le projet de décret ne porte autre chose que ce renvoi. Ce sera au ministre de la justice à savoir par quels moyens il veut faire réprimer les écarts auxquels les juges de paix se sont livrés. Je conclus donc à l'adoption du projet de décret. Adopté. L'Assemblée n hésite pas à casser les juges de paix pourtant légalement élus par les citoyens. Bertrand de Molleville 37, chef de la police secrète royaliste, ami et tout dévoué à Louis XVI, fait condamner à mort Jean Menjaud. Certains juges de paix seront purement massacrés. Jean Menjaud et les autres juges de paix ont à se défendre de l accusation fausse - d avoir fait destituer le populaire maire Pétion. D'autre part, il justifie les auditions effectuées aux Tuileries : ignorant que les événements l'obligeraient à revenir au château, il avait fait assigner en son domicile certains témoins de l'affaire pour le matin du 25. Comme il habite dans la cour des Feuillants, proche des Tuileries, on lui a envoyé les personnes citées dans l'appartement du palais où il se trouvait. Ce fut pour ne pas les renvoyer qu'il les a auditionnées sur place mais, assure-t-il, «il n'y a point de eu de Comité central d'établi ; il n'est pas vrai non plus que nous ayons été traités par le roi». Et, précise-t-il, il n'a pris aucun repas et s'est conduit comme les officiers municipaux de permanence aux Tuileries. Convaincu par cette version des faits, Duranthon 38, ministre de la justice, adresse le 16 juillet 1792 au président de l'assemblée nationale 37 - Antoine François Bertrand de Molleville, est tout d abord conseiller au Parlement de Toulouse en 1766, puis maître des r e- quêtes en 1774 et finalement Intendant de Bretagne, en 1784, chargé en 1788 de dissoudre le Parlement de Bretagne. Favorable en 1789 à la réunion des États Généraux, il conseille par la suite au roi la di s- solution de l Assemblée. Nommé ministre de la Marine et de s Colonies, il organise l émigration des officiers en masse. Du fait de no m- breuses dénonciations, il démissionne de ses fonctions et devient le chef de la police secrète royaliste. Avant et après la journée du 10 août 1792, il essaie de faire évader le roi, mais il doit se résoudre à fuir en Angleterre. Malgré son dévouement et son amitié pour Louis XVI, il est l un de ses plus maladroits serviteurs. 281

282 Au pré de mon arbre un rapport annihilant les dénonciations faites contre les actes de juridiction contestés. Il n'y a point eu, conclut-il, de tribunal établi dans l'intérieur du château. Le juge de paix a reçu, il est vrai, le 25, les déclarations de quelques personnes attachées aux roi et à la famille royale, témoins nécessaires de ce qui s'est passé à l'intérieur du château, mais il n'y a été fait aucun acte.../... qui ait pu donner à la réunion le caractère de Bureau central, et encore moins celui de tribunal. Le même jour, Menjaud expédie à Duranthon un nouveau courrier qui fait justice «des imputations hasardées (sic) contre les juges de paix sur les prétendus mandat d'amener décernés contre MM. Pétion et Manuel, et sur de prétendus mandats d'arrêt contre trente membres du Corps législatif». Malgré ces tracas, Jean Menjaud tient ses audiences jusqu'au 9 août 1792 : ce jour-là, il appose des scellés sans se douter de sa suspension imminente 39. Le peuple s'agite : vers 22 heures, des roulements de tambour grondent dans les faubourgs. Ils prennent de l'ampleur d'instant en instant. Entre minuit et une heure, les cloches de S t -Paul, au cœur du faubourg, se mettent à sonner, puis celles des églises de l est de la capitale signe de ralliement du peuple ; en armes, il se met en marche. Sur le Pont-Neuf, des canons placés là pour empêcher la jonction des quartiers S t -Marcel et S t -Antoine, et protéger les Tuileries, sont enlevés sur l'ordre de la municipalité de Paris. Le tocsin, les battements de tambours, le grondement des roues pesantes sur le pavé constituent le bruit de fond de ce jour révolutionnaire. On chante et danse le dernier tube, qui débarque juste de Marseille : 38 - Antoine Duranthon ou Duranton, ou Jacques Duranthon, selon les sources, né à Mussidan (Dordogne) en 1736, guillotiné à Bordeaux le 20 décembre Avocat, ministre de la justice du 14 avril 1792 au 4 juillet Il assure l'intérim du ministère des f i- nances du 13 au 18 juin Girondin, sera exécuté par les part i- sans de Robespierre Jean-Jacques Fantin, greffier de la prévôté de l hôtel de ville, sera nommé juge de paix à sa place le 11 septembre. 282

283 Les Menjaud Dansons la Carmagnole, Vive le son, vive le son. Dansons la Carmagnole, Vive le son du canon! La foule s attaque au palais dont la garde a pourtant été renforcée. Le Roi, sur insistance des députés demande aux gardes de cesser le combat. Ceux-ci sont massacrés, et Louis XVI ne doit son salut qu'en se réfugiant à l'assemblée où l accueille Vergniaud. Menjaud reste chez lui toute cette journée. Vers les dix-neuf heures et demi, Jean sort «sur la réquisition, de deux citoyens à lui inconnus, de se transporter au château des Tuileries dans une pièce» que le feu est prêt de gagner, afin de procéder à un constat. Il rentre chez lui vers les vingt heures et reçoit, comme il traverse la cour des Feuillants, «un quatrième ou cinquième avis de quelqu'un à lui totalement inconnu, de pourvoir à sa sureté». Vers vingt heures et demie, il se transporte au comité civil de la section pour interroger un homme soupçonné de vol, et «reçu un dernier avis de ne pas rester chez lui». Il y passe vers les vingt et une heures et repart «incontinent après», croisant sur son chemin trois individus qui expriment : «à demain les juges de paix!». Dans ce contexte on ne peut plus troublé, Jean, pris entre deux feux - les vaches qui rient et Jean qui pleure - n a plus d autre issue que l évasion et en disparaissant en cette soirée du 10 août 1792, c est sauve qui peut. Bien lui en prit ; dès l'aube, «une troupe de furieux» envahissent sa maison. Après une violente perquisition, ces hommes, ne trouvant ni les papiers qu'ils cherchent, ni le magistrat, «attachèrent à un bonnet un écriteau portant son nom avec des épithètes infâmes, promenant dans les rues au bout d'une pique, et allèrent le brûler dans les cours du Palais de Justice». Son fils, par qui nous connaissons la scène, précise que le juge de paix, «proscrit, mis hors la loi, erra pendant longtemps». Jean Menjaud se cache à Verrières-le-Buisson 40. Peut-être est-il hébergé par les Philippe-Victoire Vilmorin, grainier- pépiniériste du roi, de l'académie d'agriculture, qui habite quai de la Mégisserie et est électeur de la section du Louvre, et qui connaît fort bien Antoine-Nicolas Duchesne. Mais ce n est là qu une supposition À trois lieues au sud-ouest de Paris. 283

284 Au pré de mon arbre A-t-il été dénoncé? Le 19 floréal an II (8 mai 1794), il se voit arrêté par les membres du comité de surveillance du district de Montagne- Bel-Air. Le jour même, tout semblait organisé, le citoyen Claude-Charles George, du comité de surveillance de la section des Tuileries, obtient son transfert à Paris. On l'interroge dans la soirée. Les deux griefs majeurs formulés à son encontre sont : - sa fuite de Paris au soir du 10 août, à quoi il répond «qu'il vaudrait autant lui observer qu'il devait se laisser égorger chez lui» - et, l'instruction menée après l'affaire du 20 juin, qu'il estima «conduite selon les normes de l'arrêté du département qui était pour lui une autorité supérieure à laquelle il ne pouvait se soustraire sans prévariquer». Son attitude très courageuse au cours de cette confrontation ne pouvait qu'indisposer ses détracteurs : on l'écroue sur le champ à Sainte- Pélagie 41, tout en ordonnant une perquisition à son domicile parisien et, le 22 floréal, l examen des papiers qu'il a laissés en sa maison de Verrières, lesquels devaient parvenir dans les meilleurs délais au Comité de Sûreté générale. Il se dit en famille que Jean Menjaud est mis en prison, comme beaucoup d'autres innocents, risquant fort de faire partie d une charrette, sans autre forme de procès. Le 6 prairial (25 mai) ledit comité ordonne son départ de Sainte- Pélagie pour la Conciergerie, où devrait le juger le Tribunal révolutionnaire. Des lenteurs inexplicables, sinon la faiblesse de l'acte d'accusation, - mais l homme de loi Antoine Quentin Fouquier de Tinville, accusateur public auprès de ce tribunal, s'en soucie-t-il - se produisent, et permettent à Menjaud d'échapper au couperet. Curieusement, on l'oublie même dans sa prison : le 18 fructidor (4 septembre 1794), preuve que le transfert ordonné ne s'est jamais réalisé, l'ex-juge de paix, «âgé de cinquante-neuf ans, père de famille», écrit de la «maison Pélagie» pour se justifier d'avoir informé, en 1792, et se plaindre du délabrement de sa santé «altérée par une maladie de poitrine». Homme agréable, il a l'adresse de se mettre bien avec son garde chiourme Besnard. Cet argousin a une fille, Éléonore, aimable, qui s'intéresse aux malheurs de ce prisonnier séduisant ; ce dernier ne dut rien 41 - Prison installée en 1792 dans les locaux d un établiss e- ment pour filles repenties, fondé au XVII e siècle et sis rue de la Clef. Sera démolie en

285 Les Menjaud négliger pour qu'elle s'attendrisse sur son sort, bien au delà du partage du pain... et plus, si affinité, selon la formule consacrée. Le 27 vendémiaire an III (18 octobre 1794), le Tribunal révolutionnaire ordonne d extraire Menjaud des prisons : le papier lui revient porteur de la mention «inconnu à la Conciergerie». Le Tribunal lance un avis de recherche ; le gardien de Sainte- Pélagie informe par retour qu'on a conduit Menjaud, le 4 du même mois (25 septembre), au Luxembourg ; on s'enquiert de nouveau du prévenu. Le commis-greffier du Luxembourg répond qu'un ordre du Comité de Sûreté générale a remis l'ancien magistrat en liberté le 12 (3 octobre 1794), et que celui-ci a regagné sa section. Lorsque Jean Menjaud est rendu à la liberté, il croit certainement prudent de ne pas indiquer l'endroit où il se réfugie ; une lettre adressée à son beau-frère, le citoyen Antoine Nicolas Duchesne, nous apprend seulement qu'il est encore pour quelques temps aux environs de Fontainebleau, sans spécifier l'endroit. Pour remercier Éléonore Besnard, épouse Granet, Jean lui fit un garçon : Jean Adolphe, né 42 le 25 messidor an III (13 juillet 1795) ; il sera pensionnaire de la Comédie Française. Nous en reparlerons plus loin. Cette «aventure» ne fut pas du goût de la famille, mais pas du tout ; elle ne voulut jamais avoir de rapport avec ce bâtard. Il faut arriver presque au milieu du siècle dernier pour qu une femme tolérante, Marguerite Menjaud 43, trouve cette situation grotesque et prenne contact avec le dernier représentant de ce rameau, ténor à l'opéra ; elle le traita en honorable cousin! Jean Menjaud décède après le 16 juillet 1800, date à laquelle est établi un acte : entre la citoyenne Éléonore Besnard actuellement épouse du citoyen Marc Antoine Granet 44 demeurant rue du rocher N 488 à la petite Pologne 45 d une part, et le citoyen Jean Menjaud demeurant à Pa Pour être exact, sa conception se situe vers fin octobre 1794, soit quelques jours après sa libération de prison Épouse de son cousin Paul Menjaud Contrat de mariage du 12 messidor an VII Faubourg dit de la Petite-Pologne, du nom d'un cabaret installé dans les environs. Le duc de Chartres, celui qui prit plus tard le nom de Ph i- lippe Égalité, avait sa petite folie (qui deviendra le parc Monceau) rue du Rocher, ou rue des Errancis. 285

286 Au pré de mon arbre ris, rue de la Michaudière au coin de celle projette division la d autre part.. En mémoire des services rendus à la monarchie et des souffrances endurées, le 8 mars 1816, le fils de Jean Menjaud sollicita vainement de Louis XVIII la place qu'avait tenu son père qui, dit-il, ruina sa fortune et sa santé par cette affaire et «mourut dans le malheur». Pierre Menjaud ( ) Pour la petite histoire, nous évoquerons ici une grande figure qui domina la vie religieuse de la paroisse de Cornillon 46, si perturbée, pendant la Révolution. Ce personnage, dont le souvenir demeure vivant dans les mémoires, est l abbé Menjaud, alors vicaire de l abbé Pagèze de la Vernède, curé en titre. Ces deux prêtres refusèrent, ou s ils le firent, ce fut avec des restrictions qui le rendaient nul, de prêter serment à la constitution civile du clergé. Les deux hommes furent remplacés par un nouveau curé, Joseph Frach qui, lui, prêta serment le 12 Juin Pierre Menjaud se retira dans son village natal, Aramon, où il était né le 14 Août Très vite, pour échapper à l arrestation et à la déportation, notre abbé quitte la France, comme le font autres prêtres. Il gagne l Italie. Après la chute de Robespierre, la terreur se relâche et la liberté du culte étant rétablie, Menjaud revient à Cornillon et, à la grande joie de ses paroissiens, reprend ses fonctions spirituelles. Mais le coup d état de Septembre 1797 amène le retour des persécutions, la loi visant les prêtres réfractaires est rétablie et on impose aux prêtres un nouveau serment : nouveau refus de Menjaud qui vit désormais sous la menace d une déportation en Guyane. Heureusement, il trouve refuge chez des habitants de toute confiance ; il se cache dans leur maison et peut y célébrer clandestinement la messe... Un jour, il est dénoncé, mais, averti à temps par son délateur rongé par un singulier remords 47, il peut s échapper, déguisé en rémouleur et se réfugie dans une grotte que l on nomme «le trou du vicaire» ; elle est située au nord-est de Cornillon. Une autre fois, il défroque et prend l apparence d un berger afin de se dérober à ses poursuivants Source http :// Masculin invariable ; le remords peut-il être singulier? 286

287 Les Menjaud Pierre Menjaud restera toujours fidèle à sa paroisse ; il refusera la cure de Bagnols et celle de S t Baudile à Nîmes. Qui dit église, dit «clocher» ; le 6 Juillet 1820, le curé Menjaud, assisté de son vicaire l abbé Chauvin, bénit la cloche paroissiale, entouré des prêtres du secteur et d une grande assistance. Pendant les dernières années de son ministère, il instruit et forme son petit cousin Alexis Menjaud, si bien formé, que ce dernier devint, par la suite, évêque de Nancy et de Toul, archevêque de Bourges, Primat des «Aquitaines». Pierre Menjaud meurt à Cornillon d une congestion cérébrale le 4 Octobre Sa tombe se trouve dans le cimetière du village, où il exerça son ministère durant 40 ans avec les interruptions dues aux péripéties que l on sait. Alexandre «Toussaint» Menjaud ( ) Alexandre nous est connu presque uniquement comme peintre et peu de documents de famille évoquent sa vie. Naigeon l aîné, peintre et conservateur des tableaux des galeries du palais de la Chambre des Pairs de France 48, qui demeure au palais pavillon à droite, au-dessus de la salle des Vernet, dit 49 qu il est né le 24 novembre 1768, à Paris. Cependant, Amable Levacher Duplessis 50 relate : «Adélaïde Levacher du Plessis a épousé le 31 (?) avril 1794 M. Alexandre Toussaint Menjaud, âgé de 21 ans, fils de M e Jean Menjaud, ancien notaire au Châtelet de Paris et de Madeleine Élisabeth Dupré son épouse, sœur de M. Dupré, marié à Emilie Levacher Duplessis. Adélaïde Levacher Duplessis devenait ainsi nièce de sa sœur. M. Alexandre Menjaud était peintre, fils de notaire, neveu de notaire, il ne voulut jamais l'être». Cette remarque place la naissance en 1773, date aussi communément admise dans le milieu artistique Musée du Luxembourg Explication des tableaux, statues, bustes, etc. composant les galeries de la chambre des pairs de France 1814 Imprimerie Didot 50 Levacher Duplessis / Alexandre T, page

288 Au pré de mon arbre La suite du récit nous apporte quelques enseignements sur la vie du couple. Alexandre décroche le Prix de Rome de peinture 51 en 1802 et fut estimé comme peintre d'histoire, genre très prisé à l'époque. Il devient peintre officiel de Napoléon et plusieurs de ses tableaux représentent la famille impériale. Sa femme 52 meurt à Rouen, en 1808, où elle tenait un bureau de loterie. Quelques documents 53 évoquent sa vie. Alexandre s oppose au mariage de son fils Camille avec sa cousine Adèle Sampierdarena. Mais les lettres de Camille à Alexandre montrent que ce dernier accepte finalement l'union, sans daigner toutefois être présent à la cérémonie Il resta éloigné de son fils comme en témoigne une lettre d un ami lui demandant d être le parrain du premier enfant de Camille et Adèle. Élève de Regnault, il a peint notamment : - La Duchesse d Angoulême au lit de mort de l abbé Edgeworth - Le duc d Angoulême au pont de la Drôme (1815) Musée de Bordeaux 51 - «Crésus, roi de Samos, en prison avec ses enfants, atte n- dant la mort» 52 - Le musée de Rouen conserve un de ses portraits, peint par Alexandre Documents détenus par Dominique Menjaud Annonce médaille d or. - Menjaud Alexandre T. inventaire Décès. 288

289 Les Menjaud Les Adieux de Girodet à son atelier. - François 1 er et la Belle Ferronnière, Collé avait donné une comédie, intitulée La partie de chasse de Henri IV, où l on voit Michau recueillir ce roi égaré dans la forêt de Sénart ; la scène a été maintes fois représentée : par Menjaud 54, par Vincent, par Moreau le Jeune... Henri IV chez le meunier Michau Cependant, n'en déplaise à certains, si le charbonnier est remplacé par un meunier dénommé Michau, c'est qu'il y a eu emprunt d une autre légende populaire : François Ier s'étant égaré à la chasse, entre vers les 54 - Scène traitée à l'imitation des peintres flamands du XVII e siècle ; propriété de l'état ; musée national du château de Pau. Un tableau de tonalité très troubadour consacré à ce sujet et présenté aux Salons de 1808 et de 1814 par Alexandre Menjaud ( ) connut de nombreuses imitations, comme celle que S i- mon Charles Miger ( ) voulut offrir, sur ses vieux jours, à la véritable vénération qu il n avait cessé d entretenir à l égar d du Béarnais, en vers et en chansons. 289

290 Au pré de mon arbre neuf heures du soir dans la cabane d'un charbonnier ; le mari est absent. Le Roi ne trouve que la femme accroupie auprès du feu ; c'est en hiver et il a plu. Il demande une retraite pour la nuit et à souper. L'un et l'autre lui furent accordés ; mais à l'égard du souper, il fallut attendre le retour du mari ; et en attendant, le Roi se chauffe assis sur une mauvaise chaise, qui était la seule qu'il y eût dans la maison. Vers les dix heures arrive le charbonnier, las de son travail, fort affamé et tout mouillé ; le compliment d'entrée ne fut pas long ; la femme expose la chose à son mari et tout fut dit. Mais à peine le charbonnier eut-il salué son hôte, et secoué son chapeau tout trempé, que prenant la place la plus commode, et le siège que le Roi occupait, il lui dit : «Monsieur, je prends votre place, parce que c'est celle où je me mets toujours, et cette chaise, parce qu'elle est à moi ; or, et par droit et par raison, chacun est maître en sa maison.». François applaudit au proverbe, et se place ailleurs sur une sellette de bois. On soupe, on règle les affaires du royaume, on se plaint des impôts. Le charbonnier voulait qu'on les supprimât ; François eut de la peine à lui faire entendre raison. «À la bonne heure donc, dit le charbonnier, mais ces défenses rigoureuses pour la chasse, les approuvez-vous aussi? Je vous crois honnête homme, et je pense que vous ne me perdrez pas : j'ai là un morceau de sanglier qui en vaut bien un autre ; mangeons-le, mais surtout bouche close...». François promit tout, mangea avec appétit, se coucha sur des feuilles et dormit bien. Le lendemain, il se fit connaître, paya son hôte et lui permit la chasse. - Marie-Louise portant le roi de Rome à Napoléon I er, pendant le repas de l Empereur 55, On se trouve dans l intimité d un foyer bourgeois très éloignée du style Empire. Un drapé de châles, jeté sur le dossier du fauteuil de l Impératrice, un autre replié sur le bras d un personnage féminin légèrement incliné à l arrièreplan, accordent à la scène familiale la douceur de lignes courbes. Le traitement épuré du mobilier favorise l identification de chacun à la fable domestique, alors que toute puissance est donnée par le peintre à la symbolique de la lumière. Le blanc, symbole d innocence et de pureté, unit en effet la mère, le bas du corps de l Empereur jusqu à la taille - une serviette sur sa cuisse indiquant qu il a interrompu son repas -, 55 - ftp ://trf. education.gouv.fr/pub/edutel/siac/siac2/jury/2005/capes_int/let _mod1.pdf 290

291 Les Menjaud la table - où n est disposé qu un seul couvert - et l enfant dans une seule légitimé sacrée que souligne encore le diadème, insolite dans ce décor, dont le peintre a coiffé l Impératrice que le peintre a placée de profil dans l angle droit du tableau, assise à l avant d un fauteuil, mains jointes sur ses genoux, embrassant d un seul regard d adoration l Empereur et l Enfant.. En arrière-plan, trois silhouettes, dont les regards admiratifs convergent vers l enfant au centre. Les couleurs vives des costumes et les jeux d ombre, par contraste, mettent en valeur la clarté du premier plan. Le regard de l Empereur et celui de l enfant dont le bras s accroche en couronne au cou impérial, unis dans une même direction, traversent le tableau et fixent le regard du spectateur. - L Avare puni. Un avare 56 avait fait placer à la porte du caveau qui contenait son trésor une serrure à secret, dont l'effet était de refermer sur-le-champ cette porte sans qu'il fût possible à celui qui était entré de la rouvrir jamais. La précaution qu'il fallait prendre avant d'entrer dans le caveau pour pouvoir en sortir n'était connue que de lui seul. Un jour qu'il allait visiter son argent, il oublia la fatale précaution et la porte se referma ; Après plusieurs jours d'horribles souffrances, il expira de faim et de soif sur ses trésors. Alexandre «Toussaint» Menjaud meurt à Paris le 27 février 1831 (ou 6 septembre 1832). Alexis Basile Menjaud ( ) Antoine-Joseph 57 a deux fils, Jean-Baptiste et Victor, qui se livrent avec leur père aux travaux de la culture et aux soins domestiques dans leur propriété de Chusclan (Gard), modeste village situé au bord de la Cèze. Simple, laborieux et estimé dans le pays, Antoine-Joseph possède un certain degré d'instruction, ce qui est rare à cette époque. Ses compa http ://findingaid.winterthur. org/html/html_finding_aids/doc1351.htm &ei=vcryszpulzssjaej6iwdq&sa=x&oi=translate&resnum=2&ct=result&prev=/search%3fq %3Dmenjaud%252Bbaillard%26hl%3Dfr%26rlz%3D1T4PBEA_frFR273 FR273%26sa%3DN%26start%3D Jean Menjaud, beau-père d Antoine-Nicolas Duchesne, a un frère aîné, Joseph, 1689 qui a eu un fils, Antoine, 1719, et un petit-fils Antoine-Joseph,

292 Au pré de mon arbre triotes ont recours à ses conseils, à son expérience et à son bon sens reconnu. Son épouse, Marie-Anne Roustant, dont le frère exerce la profession de chirurgien, unit à une piété peu commune un esprit d'ordre, d'économie et une parfaite administration de son modeste intérieur de famille ; mais avant tout, elle se préoccupe, avant tout, de former le cœur de ses enfants. Marie-Anne, arrivée à un âge avancé, fut attristée à la pensée de donner naissance à un troisième enfant ; elle en manifeste plusieurs fois ses alarmes. Mais le ciel en a décidé autrement et veut récompenser la foi et la piété de cette vertueuse mère ; le bébé lui fut don prime : Alexis Basile naît le 1 ee err r Juin Quelques jours après sa naissance, Alexis est baptisé par le vénérable M. Roubaud, curé de Chusclan, à qui le ciel réservera la consolation de revoir un jour, dans sa vieillesse avancée, son jeune néophyte revêtu des insignes de l'épiscopat. Physiquement Alexis ressemble à sa mère, mais s'il a d'elle la douceur de caractère, sa bonté affectueuse et sa nature aimante, il en hérite aussi une santé délicate qui mit plusieurs fois ses jours en danger dans sa première enfance, et qui réclama des soins particuliers dans toutes les circonstances de sa vie. Le petit Alexis doit, dès son enfance, prendre part aux travaux de l'agriculture et aux soins de la maison ; il aide son père à planter la vigne, il garde les brebis, il cueille la feuille de mûrier pour l'éducation des vers à soie. Chusclan étant dépourvu d'instituteur, on l'envoie à l'école d'orsan, village voisin. On ne sait pas encore quelle carrière s ouvrira à cet enfant intelligent et pieux. La Providence vint en aide à sa famille. Un soir, Pierre Menjaud, curé de Cornillon, cousin éloigné de son père, revient d'avignon pour se rendre dans sa paroisse ; il est surpris par une violente bourrasque : il est alors, sur la route, en face de Chusclan. L'obscurité de la nuit lui barre le chemin, zébrée d éclairs. L abbé décide d'aller frapper à la porte de son parent ; il est reçu avec la plus cordiale hospitalité. L'intelligence précoce du jeune Alexis fait impression sur l'abbé qui propose que l'enfant vienne à Cornillon commencer ses études de latinité - c'est en avec ses trois condisciples Roux, Mathieu, et Justamond, à qui il conservera une amitié vivace et qu'il retrouvera, plus tard, tous élevés, comme lui, au sacerdoce : Roux, curé de Vénéjan (Gard), pendant plus de trente ans ; Mathieu, curé de Génouillac (Gard), chanoine titulaire de la cathédrale de Nîmes ; et Justamond, savant distingué, esprit élevé et profond dans la science sacrée des Pères grecs et la- 292

293 Les Menjaud tins, hébraïsant érudit, d'abord supérieur du petit séminaire d'avignon, chanoine titulaire de la métropole d Avignon, et enfin vicaire général du diocèse. À peine vient-il de terminer sa rhétorique, qu'il professe au collège d'uzès, trois ans plus tard, en classe de septième. Doué d'un grand goût artistique, il fait ses premiers essais de musique et de peinture. Son biographe, M. l'abbé Blanc 58, à qui nous faisons dans cette biographie de fréquents emprunts, dit, qu'à cette époque, il peint en miniature, sur ivoire et de mémoire, le portrait de son père, et qu'il composa un «O Sahitaris hostia», motet à trois voix, qu'aubert, chef d'orchestre aux Tuileries, a jugé digne d'être exécuté à la chapelle impériale. En 1812, Alexis entre au grand séminaire d'avignon ; mais à peine a-t-il passé une année dans cet établissement, qu une cousine de sa mère, Madame Ycard 59, de Chusclan, obtient, du cardinal Jean-Sifrein Maury 60, une bourse à Saint-Sulpice. Alexis part pour Paris le 8 juin 1813, quittant, non sans regrets, sa famille, les lieux de son enfance, son cher séminaire diocésain, et ses nombreux amis. Alexis descend chez le cardinal. Quelle ne fut sa déception : son Éminence absente, le jeune séminariste est reçu par la concierge qui l'accueille comme un compatriote du Cardinal, et qui, faute de lit à lui offrir, lui cède le fauteuil de sa loge, dans lequel l'abbé s'étale et ne tarde pas à s'endormir comme un bienheureux 61. Le lendemain, il est installé à Saint- Sulpice pour entrer en théologie. À Saint-Sulpice, il a pour maîtres (et amis) des prêtres tels que le vénérable supérieur général de la C ie des prêtres de Saint-Sulpice M. Émery, MM. Duclaux, Garnier, Desjardins, Legris-Duval, de Mac- Carthy, de Rauzan et Charles-Auguste-Marie-Joseph de Forbin-Janson, tous deux fondateurs des Missions de France ; Saint-Sulpice avait vu passer, sans tous les nommer, des évêques ou futurs évêques tels que Messeigneurs Charles-François d'aviau du Bois de Sanzay, Paul- Thérèse-David d'astros, Denis-Antoine-Luc Fraissinous, Hyacinthe- Louis de Quelen, Étienne-Jean-François Borderies, Claude-Hippolyte Clausel de Montais Certains auteurs citent, probablement à tort, Jean L'abbé Blanc, de Bagnols, que des liens de parenté unit à Monseigneur Menjaud a écrit la vie du prélat. 1 vol. in-8. Nancy. L'abbé Blanc y relate plusieurs traits peu connus de la vie intime du prélat M me Ycard meurt en 1815 à Chusclan Né à Valréas. À la Restauration, on lui fera payer dur e- ment son ralliement à l'empire, et il s exilera à Rome Menjaud fit ce récit à l'un de ses hôtes bagnolais, aux Tuileries. 293

294 Au pré de mon arbre Louis-Anne-Magdeleine Lefebvre de Cheverus ; il est vrai que Jacques André Émery lui a offert une place gratuite dans son séminaire ; mais le jeune de Cheverus était trop attaché aux directeurs de Saint-Magloire pour les quitter : la reconnaissance l'empêcha d'accepter. C est alors, qu Alexis assiste, dans la chapelle des Tuileries, à la messe impériale. La curiosité du jeune acolyte est distraite vers les tribunes où se trouvent Napoléon et sa cour. Le vainqueur de Marengo et d'austerlitz, qu'il est avide de contempler, remarquant la préoccupation de l'abbé, fait charger le directeur de Saint-Sulpice de réprimander celui des clercs dont l attitude est peu conforme à la piété d'un fervent séminariste. L'abbé Blanc ajoute : «C'est ce même abbé qui, à quarante-quatre ans de distance, devra négocier à Rome, auprès de Pie IX, le rétablissement de la grande aumônerie de l'empereur Napoléon III, et recevoir du monarque les marques non équivoques de son estime et de sa tendre amitié.» L'abbé Menjaud va diriger un des catéchismes de persévérance de la paroisse Saint-Sulpice ; là, il est aimé des enfants qu'il instruit avec une douceur, une amabilité et une simplicité parfaites. Parmi ces gamins, Menjaud distingue Félix Antoine Philibert Dupanloup qui deviendra une des gloires 62 de l'épiscopat français. Alexis devient secrétaire de son Éminence cardinal Maury tout en poursuivant ses études de théologie. C'est là qu'il écrit, sous sa dictée, lettres, mandements et circulaires administratives 63. Alexis Menjaud est ordonné prêtre le 21 décembre 1816, par Monseigneur Jean-Baptiste de Latil, nouvel évêque d'amyclée, et ancien séminariste de S t Sulpice. Peu après son ordination, Alexis entre dans la société des prêtres des missions de France, fondée par les abbés Rauzan et Forbin-Janson. Le jeune missionnaire se jette dans ce nouveau ministère avec toute l'ardeur de son âge et de son cœur. Tours, Clermont, Grenoble, Arles, Bordeaux, entendirent tour à tour sa voix ; là, il confesse beaucoup et dirige spécialement le chant et les chœurs. Malheureusement, le jeune ecclésiastique ayant plus de zèle que d énergie, plus de bonne volonté que de force, ne peut apporter à la chaire chrétienne la puissance de talent 62 - A suscité une version dérivée de la chanson «Bali Balo» 63 - Menjaud raconte plus tard avec quelle véhémence et, pa r- fois, avec quelle sainte colère, le fougueux méridional s'exprime, parcourant à grand pas l'espace de son cabinet d'études, accentuant énergiquement chaque phrase. 294

295 Les Menjaud de son illustre compatriote, le Père Brydayne 64 ; il s'épuise bientôt dans cet apostolat laborieux, au point que le vénérable Père Rauzan, le voyant exténué, et comprenant qu'il faut songer pour lui à une position plus conforme à la débilité de sa nature, exprime cette nécessité avec toute l'originalité de son vif langage, dans des termes que la dignité de la chaire ne comporte guère, mais que je vous demande cependant permission de vous redire : «Mon pauvre ami, vous n'en pouvez plus, il est grand temps de vous mettre au vert.». M me de Lezeau avait formé à Paris, rue Picpus, la Congrégation de la Mère-de-Dieu, dont le but principal était l'instruction et l'éducation chrétienne des jeunes filles des officiers de la Légion-d'Honneur. La maison des Loges, dans la forêt de Saint-Germain, en est la succursale ; c'est là que, par les soins de M. l'abbé Hyacinthe-Louis de Quélen, vicaire général de la Grande-Aumônerie, l'abbé Menjaud entre en qualité d'aumônier. «C'est un crucifix qu'on nous envoie 65», s'écrie la Supérieure générale, M me de Lezeau, en voyant le jeune missionnaire aussi flapi! Trois ans plus tard, l'abbé, dont la santé s'est fortifiée, entre comme chapelain de la chapelle royale des Quinze-Vingt 66, hospice de la rue de Charenton, à Paris ; on y voit deux ou trois cents pauvres aveugles ; ils y reçoivent, avec tous les soins que réclament leur âge et leur infirmité, les consolations de la religion et les soins spirituels de l'âme. Il n y reste pas longtemps ; en 1824, M gr de Forbin-Janson, alors évêque de Nancy, se souvenant de ses anciennes relations avec l'abbé Menjaud, son collègue aux missions, obtient, du roi, sa nomination au siège de chanoine titulaire de Nancy. Menjaud est associé à l'administration du nouvel évêque en qualité de vicaire général honoraire. Il œuvre à la fondation de l œuvre de Saint-Vincent destinée à recueillir les jeunes filles 67 de la ville et de la campagne et, en 1825, est appelé comme administrateur du provisorat du collège royal de Nancy où il reste cinq ans. Pendant son Provisorat, une nouvelle cruelle vient attrister le chanoine Menjaud : le décès subit de son père, en septembre 1826, que son frère Victor avait précédé de trois ans dans la tombe ; cela vint créer une de ces positions de famille pénibles et difficiles par les charges inévitables qu'elles imposent. Son frère Victor avait laissé, en mourant, une jeune veuve et sept enfants en bas âge, cinq filles et deux garçons. À la 64 - Né le 31 mars 1701 à Chusclan Vie de Monseigneur Menjaud, l'abbé Blanc, p Hospice fondé par saint Louis en Dites «Orphelines». 295

296 Au pré de mon arbre douleur d'une double perte aussi rapprochée vient se joindre, dans son âme si sensible, l'amer regret de voir sa belle-sœur convoler à de secondes noces. L'année 1830 est mémorable pour lui, prêtre universitaire. Après la révolution de Juillet, Forbin-Janson fuyant devant l'orage qui gronde autour de son siège épiscopal de Nancy se dirige précipitamment vers l'allemagne 68, et confie l'administration de son diocèse à ses vicaires généraux. Bientôt le proviseur-chanoine est révoqué, il remet les registres administratifs à son successeur, et, en compagnie du chanoine Manse, autre ami dévoué à l'évêque fugitif, sortent de Nancy, et vont à la recherche de leur prélat pour lui apporter des subsides. Mille dangers les menacent dans cette expédition de dévouement. M gr Menjaud se plaira, plus tard, à en raconter les rudes épreuves telles que les difficultés de sa sortie de Nancy, sous un vêtement laïque ; un de 68 - En juillet 1830, on apprit la chute de Charles X. L évêque se trouve alors en tournée de confirmation dans la région de Ch â- teau-salins. Il est informé que son séminaire et son évêché ont été pillés par les émeutiers. Comme on assure que sa tête est mise à prix, qu on parle de le pendre à une croix de mission, son entourage lui déconseille fortement de retourner à Nancy. Il passe en All e- magne. À Paris le siège des Missionnaires de France et l établissement du Mont-Valérien sont livrés au pillage. Au début de 1831, un décret du gouvernement décidera la dissolution des Mi s- sionnaires de France et leur quasi-spoliation. À l automne 1830, se retrouvent à Fribourg en Suisse quelques évêques qui se sont enfuis. Il y a là le cardin al de Rohan- Chabot, archevêque de Besançon, M gr Tharin, ancien condisciple d Eugène de Mazenod à Saint-Sulpice, ancien évêque de Strasbourg et précepteur du petit-fils de Charles X, le duc de Bordeaux, et aussi M gr de Forbin-Janson. Leflon dit à leur sujet qu ils sont «tous également marqués par leurs tendances politiques extrêmes et null e- ment suspects de sagesse excessive.». Comme l écrit Eugène de Mazenod dans une lettre aux sc o- lastiques de Billens le 19 novembre 33, c est désormais pour Forbin - Janson une vie de proscrit. Les dangers que l évêque court sont trop grands et l ordre public s en trouverait gravement compromis. Et même si le clergé semble divisé sur le fond, personne ne souhaite que l évêque provoque les nombreux opposants. Le diocèse est a d- ministré par les vicaires généraux, plus ou moins en dépendance de l évêque. Un premier évêque coadjuteur sera nommé en la personne de M gr Donnet, pas très favorable, semble -t-il, à Forbin-Janson. L année suivante, avec l appui de M gr de Mazenod, ce sera M g r Menjaud. (Tiré de «Vie Oblate» ) 296

297 Les Menjaud ses amis, garde national, qui l'aperçoit dans la rue à ce moment critique, refuse de le protéger dans la crainte de se compromettre ; mais un de ses anciens élèves, garde national comme le premier, reconnaît son ancien Proviseur sous ce nouveau costume et favorise aussitôt sa sortie par la porte Sainte-Catherine ; sa course à pied jusqu'à Champigneulles, sa halte dans une auberge de ce village, pour y attendre le passage de la diligence de Metz qui les conduira à Trêves, les grossières invectives et menaces de mort proférées en ce moment par les habitués du lieu, et en présence des deux voyageurs inconnus, contre Forbin-Janson et l abbé Menjaud ; le désobligeant accueil d'un vicaire général de Trêves, auprès duquel ils vont s'enquérir des nouvelles de M gr l'évêque de Nancy. Celui-ci, refusant de croire à l'authenticité de leurs lettres de prêtrise et autres titres ecclésiastiques, les traite d'espions, les prend pour des fauteurs de la Révolution de France, et les dénonce tous deux à la police du pays. Dans l'impossibilité de rejoindre Sa Grandeur, et à bout de recherches, ils se décident à lui faire parvenir les secours dont ils sont porteurs, par l'intermédiaire de la famille de sœur Hildegarde, religieuse de la communauté de Saint-Charles à Nancy, qui leur offrit, à Trêves, une généreuse hospitalité. De retour à Nancy en 1833, le chanoine Menjaud n'y est pas moins en butte à des contrariétés, et à des vexations occultes qui viennent se briser contre la douceur de son caractère et sa patience à toute épreuve ; mais la Providence semble veiller sur lui, en adoucissant les amertumes de sa position, par les prévenances et les bonnes relations de quelques respectables familles, en particulier les d'arbois de Jubainville, dont M gr Menjaud apprécia toujours le sincère dévouement. En 1835, le retour de Forbin étant devenu impossible, l'évêque écrit au pape et demande un coadjuteur. Ferdinand François-Auguste Donnet 69, sacré évêque partibus de Roses, est nommé coadjuteur de Nancy ; il vient prendre les rênes de l'administration diocésaine. Le chanoine Menjaud, déjà nommé supérieur général de toutes les communautés religieuses, prête son concours au coadjuteur. Il trouve assez de forces pour prêcher la station du carême à Marseille et aller évangéliser les villes d'aix et de Verdun. Fin 1836, une plus haute dignité est réservée à Monseigneur Donnet : le coadjuteur de Nancy est appelé à l'archevêché de Bordeaux. C'est à cette époque qu Eugène de Mazenod suggère à Forbin- Janson, et au ministre du culte de l'évêque, de nommer Alexis Menjaud 69 - Selon la légende il aurait été enterré une première fois en 1826 car déclaré mort durant son sermon lorsqu'il n'était encore que prêtre. Ce serait un de ses amis qui demanda à ouvrir le cercueil après avoir entendu des coups venant de celui-ci. 297

298 Au pré de mon arbre comme coadjuteur : Mazenod avait su apprécier les qualités d Alexis lorsqu il était venu prêcher le carême à Marseille, en Le 30 novembre 1837, Mazenod est reçu en audience par le roi pour sa prestation de serment comme évêque de Marseille. Il en profite pour aborder la question de l évêque de Nancy. Voici ce qu en dit son Journal : Je fus surpris de trouver le roi sans rancune contre ce dernier 71 et certes il aurait pu se rappeler, indépendamment de tous les propos que l évêque se permet sur son compte, la scène du musée où l évêque n ôta pas son chapeau en passant devant lui. Le roi n aurait pas été éloigné de le nommer à un autre siège pour faire cesser l état violent de Nancy. Je ne craignais pas de lui dire tout doucement que le serment serait un obstacle à cet arrangement. Le roi, loin de s en formaliser, excusa cette répugnance. Je commençai par jeter en avant le mot de suffragant, que je fis goûter plus tard au garde des sceaux quand l évêque de Nancy m autorisa à me porter pour médiateur. Nous trouvons dans Rey le récit du passage de Mazenod à Nancy. Chargé d une véritable médiation auprès du Roi et des ministres, le nouvel évêque de Marseille déploie toutes les ressources de ses aptitudes diplomatiques pour amener une réconciliation ardemment désirée ; il obtient des promesses sérieuses. Quoique pressé de revenir à Marseille, il accepte l invitation de l évêque de Nancy d aller faire l ordination des Quatre-temps de l Avent. Il part de Paris le 14 décembre au soir par un froid cuisant auquel le père Tempier est cruellement exposé, étant obligé de prendre place, faute de mieux, auprès du conducteur de la malle-poste. Les voyageurs passent par Châlons et Verdun et n arrivent à Metz que le 15 à 10 heures du soir. Le lendemain, après une étape au petit séminaire de Pont-à- Mousson pour y s entretenir avec les professeurs puis les élèves, ils arrivent à Nancy, fort tard. Le lendemain, dimanche 17 décembre, ordination générale dans la chapelle du grand séminaire. L ordination terminée, le Vicaire général lui adresse ses remerciements en formant le vœu que si leur évêque ne peut plus retourner au sein de son diocèse, Dieu veuille bien leur accorder un pasteur qui ressemblât à l évêque de Marseille. Dans sa réponse, Mazenod plaide encore la cause de son ami, et ramène les choses à leur juste valeur. Rambert commente : 70 - L évêque de Marseille est Fortuné de Mazenod, qui a pour vicaire son neveu Eugène de Mazenod, ainsi que le père Te m- pier. Eugène Mazenod a fait ses études théologiques au collège de Saint-Sulpice de Paris où il rentre le 12 octobre 1808 ; Menjaud y sera en 1815 ; s y sont-ils rencontrés? C est probable Forbin-Janson 298

299 Les Menjaud «L accueil qu il reçut fut des plus enthousiastes, mais ne servit de rien pour la mission dont il s était chargé en faveur de M gr de Forbin- Janson.». Le lundi 18, les voyageurs reprennent la diligence en direction de Dijon. Très occupé par son installation comme évêque de Marseille, elle aura lieu le 24 décembre, Mazenod n écrit à son ami Forbin-Janson qu une lettre assez brève, le mettant cependant en demeure de choisir nettement : «Je me bornerai à vous dire, inspiré par ma conviction et par mon amitié pour vous, que je suis plus que jamais convaincu que, si vous donnez suite à la négociation que j avais amenée au point d en faire dépendre la conclusion de votre volonté, et que vous choisissiez pour suffragant un homme tel que M. Menjaud, c est-à-dire dévoué à votre personne, modeste, zélé pour le bien de votre diocèse, content et satisfait du sort que vous lui ferez, et ne voulant point s élever ni changer de position, dans deux ans vous pourrez rentrer dans votre diocèse ; si au contraire vous persistez dans la pensée de désigner des hommes tels que celui dont vous m aviez parlé, vous ne sortirez jamais de vos embarras, et le mal s aggravera toujours davantage.». Le rôle de médiateur n est pas commode, d autant que Forbin- Janson est loin de mettre de l huile dans les rouages. Monseigneur de Mazenod multiplie les démarches pour qu un auxiliaire soit nommé à Nancy. Il pense toujours à l abbé Menjaud. Quant à Forbin-Janson, invité à Marseille, il promet sa visite, mais se fait attendre. Le Fondateur écrit qu on est «accoutumé à ses lenteurs». Le temps passe ; enfin M gr de Forbin-Janson désigne le chanoine Menjaud pour nouveau coadjuteur : sa nomination avec droit de succession date de l arrêté royal du 19 juillet 1838, quand une vive opposition se manifeste contre lui dans la ville de Nancy même, ses détracteurs n y voyant que la doublure de Forbin-Janson ; on établit un registre dans la mairie et ce registre est couvert de nombreuses signatures. Le Journal des Débats, qui n'a point parlé des réclamations élevées à Nancy contre la nomination de M. l'abbé Menjaud à la coadjutorerie de Nancy, emprunte l'article suivant à l'écho de l'est du 5 août. «La nomination de M. Menjaud, en qualité de coadjuteur à l'évêché de Nancy, a soulevé des récriminations. Avant de répondre aux attaques, nous avons dû connaître les motifs qui avaient pu militer en faveur du choix qui vient d'être fait. Voici quel a été le résultat de nos recherches. M. Menjaud fut appelé à Paris par M. le cardinal Maury dont il a été le secrétaire intime ; plus tard, il fut aumônier des succursales de la Légion d'honneur, puis proviseur du collège de Nancy, ensuite chanoine et vicaire-général de ce diocèse. Jamais il n'a eu de part active dans l'administration épiscopale de M. de Forbin-Janson. Depuis la révolution de juillet, M. Menjaud a tenu une conduite prudente ; aucune manifestation 299

300 Au pré de mon arbre politique ne put lui être reprochée : il pourra par ses exemples autant que par ses paroles, dire que le prêtre ne doit jamais s'immiscer dans le gouvernement des peuples et se livrer aux affaires du siècle.» Le gouvernement ne pouvait laisser la religion catholique sans chef dans ce diocèse. L'intérêt qu'a pu porter a M. Menjaud dans un autre temps, M. de Forbin- Janson, n'a pu être un motif d'exclusion, surtout lorsque plusieurs personnages honorables et éminents lui donnaient leurs recommandations.». L'insertion de cet article, dans un journal organe avoué du gouvernement, mérite d'être remarquée. Du reste, tout n'est pas exact dans cet article. Comment, peut-on dire que M. Menjaud n'a pas eu de part active dans l'administration de M. de Janson, tandis qu'il est son grand-vicaire depuis quatorze ans, et qu'il a dû même avoir plus de part à l'administration depuis l'absence forcée de M. de Janson? On ajoute que depuis la dernière révolution aucune manifestation politique ne peut être reprochée à M. Menjaud ; mais cet éloge qu'on donne avec raison à M. l'abbé Menjaud, on pourrait le décerner avec la même justice à M. l'évêque, à qui, depuis 1830, on ne saurait reprocher aucune manifestation politique, et qui s'est toujours renfermé dans l'exercice de son ministère. Enfin, il est assez ridicule de dire que l'intérêt qu'a porté dans un autre temps M. de Janson à M. l'abbé Menjaud ne peut être un motif d'exclusion, comme si les suffrages d'un prélat si respectable ne méritaient pas toute confiance. Ce n'est pas seulement dans un autre temps que M. de Janson a témoigné de l'intérêt à M. l'abbé Menjaud, c'est le prélat qui l'a lui-même en dernier lieu choisi et désigné pour coadjuteur, et dans ce choix il a eu en vue le bien du diocèse, et la nécessité de pourvoir à l'établissement d'une administration stable et régulière. Il a paru dans le Journal de la Meurthe, du 4 août, une lettre d'un anonyme qui proteste, au nom du cierge, contre la nomination de M. l'abbé Menjaud à la coadjutorerie de Nancy. M. l'abbé Rohrbacher adresse à ce sujet une réclamation au journal, qui ne paraît pas l'avoir accueillie. Serait-ce parce que M. Rohrbacher s'étonne qu'un individu qui n'ose parler en son nom se permette de parler au nom de tout un corps? Serait-ce parce qu'il dit que le choix du gouvernement ne peut être meilleur? Serait-ce, enfin, parce qu'il ajoute que la ville de Nancy ferait bien de prendre garde à ce que cette affaire n'imprime une tache à sa renommée, et que lui-même a eu besoin de courage, tant en France qu'à l'étranger, pour se dire d'un diocèse qui repousse son évêque? En même temps, Charles Joseph Eugène de Mazenod écrit au moins cinq lettres à son égard en En présence d'une telle opposition, l'abbé Menjaud s'empresse d'écrire et d'envoyer sa démission au ministre Barthe qui ne l accepte pas. Préconisé évêque de Joppé in partibus infideliun, le 18 février 1839, au 300

301 Les Menjaud milieu de ce regrettable conflit, Monseigneur Menjaud est sacré 72, 23 rue Picpus à Paris, dans la chapelle des Religieuses de la Congrégation de la Mère-de-Dieu, le 2 juin 1839, par Monseigneur de Janson. Malgré les témoignages d'improbation d'une fraction politique opposée, le chapitre et la ville de Nancy sont représentés à la cérémonie. Il semble ne pas y avoir bonne entente entre l'autorité ecclésiastique et le pouvoir civil. Monseigneur Menjaud trouve heureusement un ami au sein du Conseil du roi, Jean-Baptiste Teste, ministre de la Justice et des Cultes, qui lui est favorable dans cette occasion. Comme le carpillon de la fable, «De que farés de me 73?» lui dit Monseigneur Menjaud, en occitan, dans une visite au ministre. - Monseigneur, reprit le ministre, vous irez à Nancy. - Mais le roi ne le veut pas, ajouta le coadjuteur. - Eh bien! continua Teste : «son ministre l ordonne.» et aussitôt un ordre formel arrive du ministère, avisant les autorités départementales de la Meurthe de la prochaine arrivée de Monseigneur le coadjuteur dans sa ville épiscopale, et ajoutant qu'elles ont à répondre du calme et de l'ordre public. Le 14 juin, Monseigneur Menjaud arrive à Nancy, à six heures du matin. On avait annoncé qu'il y aurait un charivari, M. le procureurgénéral avait répondu qu'il irait le partager avec M. le coadjuteur. Aussitôt après l'arrivée du prélat, un factionnaire est placé à la porte de l'évêché, et un aide-de-camp du général vient annoncer qu'à onze heures le corps d'officiers de la garnison viendrait rendre ses devoirs à M. le coadjuteur. Le coadjuteur reçoit toutes les visites officielles et la paix publique ne fut pas un seul instant troublée. Le lendemain M. Menjaud visite les principales autorités du département. Son installation a lieu avec pompe le dimanche suivant. Les préventions hostiles contre le coadjuteur sont très vite dissipées ; l'air de dignité et de bonté souriante, les manières aisées et affectueuses du prélat conquièrent la population. Morlot 74, nommé évêque d Orléans, reçoit l'ordination épiscopale le 18 août 1839, à Paris, des mains d'alexis Menjaud-Basile, évêque de Nancy et de Toul Évêque de Joppé, inpartibus, coadjuteur de Nancy. Le nouvel évêque choisit pour armes : D'azur à la colombe d'argent apportant un rameau d'olivier de sinople, avec cet exergue : Spes mea Deus Jean-Baptiste Teste est natif de Bagnols-sur-Cèze, et apte à comprendre : «Que ferez-vous de moi?» 301

302 Au pré de mon arbre Dans son mandement au carême, le 11 février 1841, M gr Menjaud montre dans la cupidité le seul moteur et la seule norme du «progrès». M gr Menjaud fonde la Collégiale de Bon Secours, en 1841, qui devint une maison de retraite pour les prêtres vieux et infirmes. Cependant, l'obligation de songer à sa santé affaiblie et le besoin de repos après tant d'épreuves, forcent Alexis Menjaud à venir à Chusclan, le 25 septembre Le village est en fête ; le souvenir en est conservé vivant dans la mémoire des habitants de cette commune 75. C est pendant ce séjour qu'il reçoit la visite du vieux prieur Roubaud, retiré à Orsan à cause de son grand âge. L'entrevue du prélat et de l'ancien pasteur de Chusclan est expansive et touchante. En effet, un brillant avenir semble dévolu au plus jeune, tandis que le digne vieillard, ravi de la dernière consolation qui lui est réservée, peut songer à la récompense due à sa vie laborieuse et dévouée et au repos éternel. L'abbé Blanc 76, curé de Saint-Michel-d'Euzet reçoit son parent Monseigneur Menjaud ; Blanc deviendra chanoine et aumônier au lycée de Nancy. Alexis revoit la Chartreuse de Valbonne et, retourne à Cornillon dont le souvenir est cher à son cœur ; un bagnolais, l'abbé Mazelier, en est curé. M gr Menjaud passe une journée entière dans ce village où nous l'avons vu à l'âge de douze ans commencer ses études de latinité. Il laisse 74 - François-Nicolas-Madeleine Morlot sera nommé Grand aumônier le 13 août 1857 ; Menjaud restant premier aumônier, sous sa direction Relation de l arrivée et du séjour de Monseigneur Me n- jaud à Chusclan, par M. Bauquier, d'uzès Jean Baptiste Blanc, né le 15 janvier 1812 à Bagnols (Gard). Ordonné le 17 décembre 1836 à Nîmes. Vicaire à Pont - S t - Esprit, et de suite curé à S t Michel d Euzet : Aumônier du Co l- lège royal de Nancy : 20 octobre Chanoine honoraire : 1 er juillet Retiré à la Collégiale de Bonsecours : 21 octobre Décède le 17 mai Appelé à Nancy par son parent M gr Menjaud pour remplir les fonctions d aumônier au collège royal où il resta 33 ans. Il a montré une affection particulière pour les œuvres de charité et les maisons religieuses de la ville. Il était membre de toutes les associations de bienfaisance. Il a publié «le Christianisme intégral» qui résume les leçons d instruction religieuse qu il donna au lycée ainsi que des biographies, dont celle de M gr Menjaud, et la monographie de l ancien lycée. 302

303 Les Menjaud d'abondantes aumônes pour les pauvres et fonde un service annuel à perpétuité à la mémoire du bienfaiteur de ses premières années 77. Alexis s octroie un repos de quelques jours auprès de son frère Jean-Baptiste 78, à Aramon. A Nîmes, il rend visite à Monseigneur Jean-François Cart qui le prie d'ouvrir la retraite pastorale au grand séminaire... Peu de jours après le coadjuteur s en retourne à Nancy. A sa rentrée dans sa ville lorraine, en 1842, M gr Menjaud fonde une œuvre qui est accueillie avec l'assentiment général : le Pensionnat des Sœurs du Saint Cœur de Marie, dans le but d'instruire les jeunes filles pauvres dans les différents métiers, et à protéger leur vertu. Les statuts, élaborés par l'abbé Masson, nous indiquent que la congrégation n est propriétaire de rien, et doit pourvoir, plus que pardessus tout, à l'entretien des enfants pauvres, et la décoration des autels. La dévotion de l'adoration Perpétuelle est instituée dans la maison-mère. Le P. Lacordaire prête à cette œuvre pie le concours de son éloquence... La maison prospèra : des religieuses de cet ordre, établies à Chusclan, dans l'ancienne maison de Monseigneur Menjaud y créent une école et un ouvroir de jeunes filles. Nous pourrions encore citer plusieurs autres fondations qui honorent la mémoire de Monseigneur Menjaud : l'une d'elle mérite une mention particulière, c'est l'œuvre des enfants de la Chine : une association établie dans les écoles ; une cotisation de cinq centimes par mois, payée par chaque enfant, produit des sommes considérables, lesquelles sont expédiées aux missionnaires de l'extrême Orient. Le 2 janvier 1843, M gr Menjaud donne un grand dîner à toutes les autorités de la ville auquel Lacordaire semble être présent 79, dîner auquel est invité le sous-préfet de Toul, le baron de Vincent Plus tard, M g r Menjaud ornera l'église de Cornillon d e ses dons particuliers : il fit obtenir de la Grande Aumônerie de France un tableau pour le maître-autel : une copie de Saint Pierre, du Guide, par Léon Alègre Ce frère, établi depuis l'année 1797, à Aramon, ville n a- tale de sa femme. Le Dictionnaire biographique des prêtres du diocèse de Na n- cy et de Toul, par Madame Sylvie Straehli, cite Antoine Menjaud, né le 21 avril (?) à Aramon (Gard). Ordonné le 21 mai Année d entrée au Grand Séminaire : 1848, cours de philosophie. Entré à Saint Sulpice : A quitté le diocèse immédiatement pour S t Acheul (Noviciat des PP Jésuites). 303

304 Au pré de mon arbre M gr Menjaud avait approuvé la maison de 1 ouvroir fondée par la comtesse de Gondrecourt dans un but de préservation pour les jeunes filles. Le 8 février 1843, il bénit la chapelle et le Père Henri-Dominique Lacordaire 80 y prononce une allocution devant un auditoire d élite, où il venge noblement cette œuvre de charité des préjugés qui 1 avaient accueillie au début. Après deux projets, sans suite, de fondation à Strasbourg puis près de Lunéville, l empressement d un groupe de nancéens notables, et le ferme appui de M gr Menjaud qui a le courage de lui donner sa parole sans prendre l avis du ministère, et tout en prévoyant bien que leur projet ne se réaliserait pas sans difficulté, soit du côté de l opinion, soit du côté du gouvernement, amènent le père Lacordaire à prévoir d établir la première maison de la renaissance dominicaine en France, en À peine le bruit d une prise de possession à Nancy s est-il répandu, que le ministre des cultes, ce même M. Martin (du Nord) qui, en 1841, invitait le Père Lacordaire à dîner le lendemain de son discours à Notre-Dame, prend l alarme, et écrit lettre sur lettre à M gr Menjaud, coadjuteur de Nancy, pour le presser de refuser son consentement, lui disant que c est une affaire très grave, qu il en appelle à sa bonne foi, et qu on lui dissimule la portée de ce que veut faire l abbé Lacordaire. Le préfet, dans de longues visites à M gr Menjaud, redit et amplifie les mêmes choses. Le coadjuteur, plus ferme que jamais, répond qu il n a pas le pouvoir de chasser un bon prêtre de son diocèse. Il y eut ensuite une plainte de Lacordaire contre le recteur qui s était offensé de le voir donner un discours au lycée de la ville. L administration comprit qu on s était engagé trop loin, et que les choses, quelle que fut l issue du procès, tourneraient contre elle. On s arrangea donc pour assoupir 1 affaire ; on mit une sourdine aux diatribes de la presse de Paris et de Nancy, et l on fit dans la conciliation. M gr Menjaud, dans une lettre publique, déclare que le Père Lacordaire a été calomnié, que sa doctrine a toujours été aussi pure que sa vie, que le recteur a outre-passé ses droits, et qu il se réservait de lui en demander satisfaction en ce qui regardait la personne de l aumônier du lycée. Nul ne réclama, et le Père Lacordaire, se croyant suffisamment justifié, et cédant aussi aux conseils d un prélat auquel il était trop redevable pour lui rien refuser, consent à retirer sa plainte Lettre de Lacordaire à l abbé de la cathédrale de Toul, du 23 décembre Jean-Baptiste-Henri, en religion le père Henri-Dominique Lacordaire 304

305 Les Menjaud M gr Menjaud est le premier évêque de France à entreprendre cette œuvre de restauration ; M. Thiery de Saint-Beaussant lui donne sa maison, capable de loger tout au plus cinq à six religieux : Nancy devient leur premier berceau. Plus tard, Saint-Beaussant complète lui-même sa fondation en y ajoutant une chapelle, un réfectoire et quelques cellules pour y loger des hôtes ; il en fut le premier M gr de Forbin-Janson, exilé par la Révolution de 1830, se préoccupant activement de l'œuvre de la Sainte Enfance partit pour évangéliser le Canada et les États-Unis ; il vient mourir chez son frère, le 11 juillet 1844, aux Aygalades, près de Marseille, et sa dépouille mortelle est transportée à Paris. M gr de Mazenod apprend le décès à l'évêque Menjaud ; le 23 juillet, à l'issue d'un service très solennel, présidé par M gr Menjaud, et auquel assistent deux archevêques et trois évêques, le prélat, «qui laissait après lui de si glorieux souvenirs et qui aima les pauvres d'un amour si tendre», est inhumé dans le cimetière de Picpus. Cette disparition vaut à Menjaud d être promu évêque titulaire de Nancy. Le 28 août suivant, il fait célébrer, à Nancy, un service funèbre en mémoire de son illustre prédécesseur. Pendant la cérémonie, le R. P. Lacordaire prit la parole et prononça avec un éclatant succès, une de ces oraisons funèbres qui font époque parce qu'elles sont un modèle de talent oratoire. L'évêque porte un véritable intérêt à toutes les communautés de son diocèse : La Visitation, les dames du Bon Pasteur, les Dominicaines, les Bénédictines, les Révérends Pères Chartreux, de Bosserville, les sœurs de Charité, de l'espérance, des Abandonnées, de Niederbronn ; les Liguoriens 81, les Oblats de Marie, les Jésuites, l Œuvre des Allemands, l Œuvre du Patronage, les Élèves de la doctrine chrétienne qui sous le pieux évêque, prit le caractère d'un institut religieux, la congrégation de Saint-Charles dont les sœurs desservent les hôpitaux. Les Oblats décident de faire une fondation à Nancy et le fondateur écrit 82 à l'évêque Menjaud le 14 Juin 1847 : «Je serais heureux si vous pourriez devenir un second père à mon œuvre... J'ose vous assurer, et je vous garantie que vous ne pourrez jamais regretter de l avoir adoptée. L'esprit que j instille en eux et qu'ils 81 - Religieux de l'ordre du Très-Saint-Rédempteur ; leur fondateur est S t Alphonse de Liguori ( ) 82 - Oblate Writings I, vol. 13, no. 110, p

306 Au pré de mon arbre ont parfaitement compris, c'est qu'ils se considèrent comme des fils de l'évêque, lui promettant la soumission et l'affection inviolable...». Yvon Beaudoin, omi Les relations entre l'évêque Menjaud et les Oblats ont toujours été excellentes. Il est le seul qui leur ait confié, comme nous allons le voir, la direction du sanctuaire de Notre-Dame de Sion, et de l'aumônerie des prisons de la ville. Dans les premiers jours qui suivent le 24 février 1848, l'évêque adresse au clergé et aux fidèles des conseils salutaires, inspirés par sa prudence et sa modération : il rappelle qu'au milieu de toutes les révolutions qui agitent le monde, l'église doit continuer son œuvre qui est la sanctification des âmes, et que sans faire dépendre ses destinées de telle ou telle forme de gouvernement, elle les a toutes adoptées et bénies, lorsqu'elles ont réalisé les principes immortels de justice et de liberté qui sont la base de tout ordre social... Sous une sage administration municipale et diocésaine, la ville de Nancy traverse les jours de perturbation, pure de tout excès : partout le bon ordre est maintenu. Malgré les intentions peu bienveillantes de certains groupes contre quelques communautés religieuses, l'évêque est respecté. Il y a bon accord avec les deux pouvoirs, le Maire de Nancy écrit à Monseigneur Menjaud : «Quant à vous, Monseigneur, vous êtes sous la sauvegarde de l'estime publique et de la considération des citoyens.» Le 31 décembre 1848 a lieu, sur la place du Peuple, ci-devant Place Stanislas, la bénédiction des drapeaux de la République destinés aux bataillons de la garde nationale. Monseigneur revêtu de ses habits pontificaux préside et prononce un discours. L'évêque de Nancy fonde des comités cantonaux chargés des soins de l administration. Cette institution rend des services réels au clergé du diocèse. Alors sont établies les conférences ecclésiastiques et des examens annuels pour les jeunes prêtres. Dans son voyage au Midi, en 1849, M gr Menjaud doit remplir un devoir bien pénible à son cœur, celui d'assister à ses derniers moments, et préparer à la mort, son frère Jean-Baptiste. Ce frère, établi depuis l'année 1797, à Aramon, ville natale de sa femme, est le chef estimé d'une famille de quatre fils et deux filles. Alexis recueille les dernières paroles de son frère Jean-Baptiste : «Mon cher Alexis, je meurs en chrétien et en honnête homme ; avant de paraître devant Dieu, laissez-moi vous dire, et à vous tous, mes 306

307 Les Menjaud enfants, que je n'ai pas à me reprocher, dans ma longue carrière, d'avoir volé, même une cerise!» Joseph Trouillet, après son ordination en 1833, avait été nommé vicaire à l'église Saint-Jacques à Lunéville. Il est chargé de l'aumônerie de l'hôpital civil et militaire. Il obtient pour réputation celle d'un homme souriant et tranquille, et dont l'audace laisse peu de champ au refus. Puis, il se porte volontaire pour administrer la paroisse de Chanteheux, où il bâtit une maison de cure en Ensuite, il participe activement à la création d'une nouvelle paroisse pour les habitants du faubourg de Villers, à Lunéville, grâce au soutien de M gr Menjaud, évêque de Nancy, lequel autorise la construction d'une église dédiée à Saint-Maur. Dès 1849, l'abbé Trouillet achète un terrain sur ses deniers personnels, et cherche des financements pour y construire l'église. Pour faire face aux dépenses de la construction, il se fait quêteur mendiant : il parcourt la France, l Allemagne, l Autriche, la Bavière et même l Angleterre. Il n hésite pas à solliciter l Empereur François-Joseph, dont la bienveillance ne lui fera jamais défaut. L'église Saint-Maur, de style romano-byzantin, est achevée en Lors de son discours 83, M gr Menjaud déclare que «le mot «impossible» n'est ni français ni chrétien, et devrait désormais disparaître du vocabulaire de M. Trouillet. Pourquoi ne mentionnons-nous pas une œuvre modeste en apparence, l'œuvre des soldats, fondée en 1849 par l'abbé Charlet, chanoine de la cathédrale. Plus de cent trente Jeunes militaires recevaient avec la coopération des frères des écoles chrétiennes, les éléments de lecture, d'écriture et de calcul. De charitables membres de la Faculté des lettres leur faisaient des conférences sur la morale et sur l'histoire. Le 28 octobre 1850, M gr Menjaud signe une lettre circulaire à son clergé, condamnant les trois frères Baillard, Léopold, François et Quirin 84, prêtres déchus de la communauté de Sion, maintenant affiliés à la secte normande de Vintras, se réservant, à lui et à ses vicaires généraux, l absolution des adeptes. Souvenons-nous que Menjaud est encore redevable de 4500 francs sur les 6000 promis par son prédécesseur aux frères Baillard! 83 - Allocution de M gr l'évêque de Nancy A.-B. Menjaud à l'occasion de la bénédiction de l'église Saint-Maur, de Lunéville, le 23 novembre Issus d une famille honorable de Borville ; leur père en fut maire durant 15 ans. 307

308 Au pré de mon arbre On est loin du temps, alors qu il venait d être nommé coadjuteur de Nancy, où Menjaud, ayant réservé sa première visite à Notre-Dame de Sion, avait fraternisé avec ces religieux En 1913, Maurice Barrès publiera la Colline inspirée 85 qui débute par des considérations devenues fameuses sur les «lieux où souffle l'esprit» et en particulier sur l'un d'eux : la colline de Sion-Vaudémont, hautlieu de son pays d'origine. Barrès raconte ensuite l'histoire singulière et déjà oubliée des trois frères Baillard, trois prêtres qui essayèrent de donner un nouvel élan à la vie religieuse de cette province. Le chef de file des Baillard, l'aîné, Léopold, animé d'un grand élan, commence par relever de leurs ruines plusieurs couvents et s'efforce de les faire revivre. C'est en lien avec M gr de Forbin-Janson et son coadjuteur, M gr Menjaud, que Baillard s'intéresse à Sion. Il acquiert le couvent en 1837 ; aidé de ses deux frères, il décide de faire revivre la colline sacrée de Sion, autrefois lieu de pèlerinage dédié, au plus lointain des âges, à Rostmerta 86, détrônée par Saint Gérard de Toul, le fervent évangélisateur de la Lorraine, à la fin du dixième siècle, qui vient installer la Vierge Marie sur la colline dans une timide chapelle. La statue de la mère du Christ remplace les idoles de la compagne de Mercure, déesse aux cheveux courts, au jeune sein nu, chevauchant les dragons du paganisme. Vers 1840, Léopold fonde l'institut des Frères de Notre-Dame de Sion-Vaudémont qui deviendra la petite congrégation enseignante des Frères de la Doctrine chrétienne dont l'évêque le nomme supérieur général ; il développe de multiples œuvres sur la colline, et va de succès en succès. Le 21 novembre 1845, Anne-Marie Boulay, mère des frères Baillard, vint à décéder chez eux. Attirant multitude à Sion, l'institut se répand dans le monde entier et brasse des capitaux considérables jusqu'à entraîner un grave conflit d intérêts avec l'évêque de Nancy qui s'élève contre les expédients financiers qu'emploie Léopold dans l'édification de son œuvre. L'évêque interdit les quêtes qui constituent la principale ressource de l'institut. Bientôt survient la ruine, et les trois frères sont invités à faire retraite chez les Chartreux. Un moment abattu, Léopold reprend courage, en entendant parler pour la première fois d'un certain Pierre Michel Vintras qui attire des foules considérables en Normandie par son don de prophétie. Il se rend aussitôt, en 1847, auprès de ce charlatan illuminé. Sa méfiance cède dès leur premier entretien et il devient un des disciples de Vintras Rapporté par le film Les Chardons de la colline (1983), de Gilles Laporte Déesse celte du commerce et de la fertilité, représentée portant un panier de fruits ou une corne d abondance. 308

309 Les Menjaud Lorsqu'il retourne à Sion, où l'attendent ses frères et quelques fidèles, c'est pour y établir une communauté qui reconnaîtra Vintras comme son maître spirituel, entraînant dans cette cabale les religieuses qui vivent avec lui, ainsi que des gens du village... Peu à peu, la petite communauté passe de l orthodoxie à l illuminisme, et le culte aboutit à une espèce de parodie de celui de l'église, transformant Notre-Dame de Sion en bastion de la secte vintrassienne. En 1849, M gr Menjaud propose aux Oblats d'aller s'établir à Notre-Dame de Sion, le plus ancien lieu de pèlerinage et le plus célèbre de toute la Lorraine. Le père Dassy écrit aussitôt à Marseille et propose de vendre la maison de Nancy pour établir la communauté près du sanctuaire dans un local inhabité. M gr de Mazenod lui répond, le 10 mars, qu il ne veut plus fonder d établissements hors des villes et surtout dans les campagnes reculées et lui demande de tirer le meilleur parti de leur résidence à Nancy. Au cours de la messe dominicale du 8 septembre 1850, Léopold Baillard annonce en chaire la fondation de l'œuvre de la Miséricorde dont le centre est Sion... Quelques jours plus tard, les trois frères sont suspens, puis interdits par l'évêque... Les épreuves s'abattent sur la communauté dont les membres, l'un après l'autre, se dispersent ; même l'un des trois frères abandonne la partie. Le second, François, est conduit en prison, et le couvent est repris par les autorités ecclésiastiques. À l'automne 1850, peu après le scandale donné par les Baillard, M gr Menjaud, l'évêque de Nancy, qui a été en janvier l'hôte de M gr de Mazenod à Marseille, a directement recours au père Dassy et aux Oblats pour faire face aux dérives et desservir provisoirement Sion. Le père Dassy accepte la desserte de Notre-Dame de Sion avant de pouvoir recourir à M gr de Mazenod. Le 11 novembre 1850, il accompagne, à Sion, le jeune père Louis Soullier, ordon mai. Il est prévu que le père Soullier et le père Jean-Baptiste Conrard, ordon octobre, alterneront à Sion dans des périodes de trois semaines à un mois. M gr de Mazenod considèrera toutefois que c'est une grande tâche pour de pauvres missionnaires de combattre des sectaires de l'âge de ces frères Baillard : de nombreux habitants de Saxon, le maire Munier en tête, et trois des conseillers de la fabrique sont favorables aux Baillard qui exercent un puissant ascendant sur les paroissiens, visitent les malades, donnent de bons conseils. Cependant la nouvelle secte ne fait plus d adeptes. Le Père Conrard lit au prône l'interdit lancé par M gr Menjaud contre les Baillard. La lecture du bref laudatif de Pie IX produit sur tous une profonde impression ; quelques schismatiques en sont effrayés. Les Baillard sont de plus en plus déconsidérés. Le bon ordre est rétabli à Saxon, et la mission des oblats est remplie. Quand, la secte dé- 309

310 Au pré de mon arbre bandée, les Oblats se retirent en juin 1851, la grosse majorité de la paroisse est réconciliée avec l'église. Les pères Soullier et Conrard ont parfaitement répondu aux espoirs mis en eux. Cependant, les Baillard continuent dans leur chapelle le culte vintrasien devant une poignée d'adeptes, mais ne tardent pas à être aux prises avec de nouvelles difficultés pécuniaires. M. Madrolle voyant la situation précaire des Baillard, offre à l'un d'eux une de ses maisons de campagne dans la Côte-d'Or. Quirin accepte plus tard cette offre ; il est employé dans les imprimeries de Dijon pendant quelques mois, puis il s'occupe d'assurances contre l'incendie et la grêle durant huit ans. Après onze ans de séjour en Bourgogne, il reviendra à Sion. Le 17 mars 1852, le préfet du Calvados prend une mesure énergique contre la secte de Vintras ; il fait arrêter, à Tilly, les derniers adhérents, au nombre desquels se trouvent trois prêtres interdits et deux dames d'un nom honorable. Après le départ de Quirin, Léopold et François ont été expulsés de Sion par exploit d'huissier, et se réfugient à Saxon dans la maison de M lle Sellier qui leur est dévouée. Pour faire cesser les réunions qu'ils tiennent, M gr Menjaud fait intervenir la magistrature qui n'autorise pas officiellement l'interdiction des réunions clandestines des Baillard. Sûr d'être approuvé par l'autorité civile, le nouveau maire de Sion, Janot, nommé à cet effet, se charge de disperser la secte, qui ne compte plus qu'une quinzaine d'adeptes, filles ou femmes : ce fut le jour de la Pentecôte, 30 mai 1852, grande fête du Saint-Esprit pour les enfants du Carmel. Léopold célébrait clandestinement la messe, à dix heures du matin, dans la grange de Pierre Mayeur. Le maire, accompagné du garde champêtre, pénètre dans la grange pendant le sermon. Pris dans une rixe, François est condamné à deux mois de détention, et Léopold est invité à se présenter à Nancy devant le procureur de la République. Il prend rapidement le chemin de Londres. On fit néanmoins son procès : il est condamné par contumace à un an de détention, parce qu'en prêchant, à Sion, l'œuvre de la Miséricorde, il offense la morale et la religion catholique. Le 2 juin 1852, M gr Menjaud interdit aux trois frères Baillard le port du costume ecclésiastique. L'évêque acquiert un presbytère et entreprend les démarches pour que Sion devienne paroisse. En , une résidence sera ouverte à Notre-Dame de Sion sous la direction du père Conrard. Le 25 septembre 1853, le père Eugène Dorey, supérieur de Nancy, prend possession de l'église de Sion, et le père Conrard en devient le premier curé. Saxon-Sion est officiellement érigée en paroisse le 1 er janvier Puis vint le projet de construction à Sion du monument diocésain commémoratif de la proclamation du dogme de l'immaculée Conception. Le père Soullier, devenu supérieur de Nancy en 1855, en fit la proposition, immédiatement soutenue par M gr Menjaud. 310

311 Les Menjaud Le 10 juin 1858 sur la montagne de Sion, cérémonie de la pose de la première pierre du monument à Marie Immaculée, avec allocution de M gr A.-B. Menjaud, évêque de Nancy et de Toul ; les difficultés s'accumulent, et les travaux traîneront dix-huit ans... Quand François Baillard eut purgé sa peine, il revint à Saxon, chez Marie-Anne Sellier. Après cinq ans, Léopold, croyant que sa peine est prescrite, quitte Londres pour rentrer en France. Il répond à l'invitation d'un vicomte qui connait l'œuvre de la Miséricorde et désire entretenir dans son château un des abbés Baillard : Léopold est bien reçu. Le curé du lieu est averti que Léopold expose les doctrines de Vintras au château. La police prévient le vicomte qu'il ait à faire évader Léopold s'il ne veut pas être inquiété. Enfuit à Château-Gontier, Léopold est appréhendé par la maréchaussée. Il en appelle au tribunal d'angers, qui confirme le premier jugement. Sa peine accomplie, il revient à Sion en 1858 et habite, avec François, chez Marie-Anne Sellier. Ils s'occupent à leur tour d'assurances contre la grêle et l'incendie jusqu'à leur mort. Ils n'oublient pas toutefois l'œuvre de la Miséricorde, dont ils pratiquent les exercices dans leur maison. Léopold reste en relations avec Vintras. Moins d'un mois après le retour de Quirin à Saxon, avec Sœur Marthe, le 4 juin, François meurt après une courte maladie à l'âge de 65 ans. Léopold est absent et Quirin assiste le mourant. François est inhumé au cimetière de Sion, et ses frères lui font élever un petit monument funèbre. Quirin va, avec sœur Marthe, s'établir à Nancy, où il se trouvera encore, le 12 juillet 1868, date à laquelle il termine la rédaction de son Histoire des trois frères. La guerre de 1870 survient. Léopold l'a attendue et annoncée comme l'année noire. Elle paraissait être la confirmation et le triomphe de ses sombres pronostics. Pour tenter le retour de Léopold, M gr Foulon lui fait part de la conversion de Quirin. Dans une lettre en réponse à ses avances, Léopold regrette la «faiblesse» de son frère, mais il ne peut discuter les raisons qu'il ne connait pas. Pour lui, il demeure fidèle à ses convictions, établies sur les miracles dont il a été témoin, et il est sûr que les prophéties de Vintras s'accompliront. Dernier survivant de cette lutte contre les persécutions, mais croyant toujours à la venue d'un immense bouleversement du monde qui amènera le triomphe de la nouvelle foi, Léopold traîne son existence misérable et menacée. Le prêtre catholique persévère à ramener Léopold dans le sillon de l'église ; Léopold est pris de remord. Ému par son amour sincère pour sa colline et, après lui avoir donné l extrême-onction, le prêtre obtient que Léopold, accablé par l âge et le malheur, mais toujours dévoré de la flamme intime, et cheminant dans la plaine lorraine, abjure son hérésie : Léopold se rétracte et le 23 mai 1883 ; dix jours après, il meurt. 311

312 Au pré de mon arbre Par ordre de M gr Turinaz, les obsèques de Léopold sont catholiques, mais sans les cérémonies traditionnelles usitées aux funérailles des prêtres. Nous ne pouvons rapporter le nombre considérable des églises bâties ou restaurées pendant l'épiscopat de Monseigneur Menjaud. L'évêque avait voulu même, pour donner une direction harmonique et un caractère d'uniformité à toutes ces constructions nouvelles, établir une commission spéciale d'hommes compétents, afin d'en diriger les travaux d'après les règles de l'art catholique. Depuis plus de 150 ans, l'église S t Rémy s impose sur le lit de la Meurthe. On l appelle la belle mendiante. À l époque, la ville se développe, la population grandit mais Baccarat est sans église. La construction d un lieu de culte s impose. En 1850, Monseigneur Menjaud approuve le projet de cet édifice. Les travaux débutent le 16 mai Le 15 octobre 1853, la paroisse est patronnée par S t Rémy, et l année suivante le titre de cure cantonale, établi à Deneuvre, est transféré 87 à Baccarat. En 1856, l église est consacrée par les évêques de Nancy et Saint Dié qui trouvent «belle» cette église 88 d où le surnom de «la belle mendiante». Est-ce qu'il n'y a pas des nécessités sociales? Est-ce qu'il ne faut pas que Béville ait quatre-vingt-sept mille francs par an, et Fleury quatrevingt-quinze mille? Est-ce qu'il ne faut pas que le grand aumônier Menjaud, évêque de Nancy, ait trois cent quarante-deux francs par jour 89? et que Bassano et Cambacérès aient par jour chacun trois cent quatre-vingttrois francs, et Vaillant quatre cent soixante-huit, et Saint-Arnaud huit cent vingt-deux? Est-ce qu'il ne faut pas que Louis Bonaparte ait par jour soixante-seize mille sept cent douze francs? Peut-on être empereur à moins? Lorsque le prince Louis-Napoléon, président de la République fait son premier voyage à Nancy en août 1850, l évêque entouré de ses vicaires généraux et de son chapitre le harangue. Sa parole émue laisse au nouvel élu une impression favorable Les 2 églises de Deneuvre et de Baccarat, limitrophe, ont ainsi le même nom Elle sera détruite par un bombardement aérien le 7 o c- tobre Après le déblaiement, les travaux de construction de la nouvelle église s achèveront en octobre L histoire d un crime (ou d un coup d état!), de Victor- Hugo. 312

313 Les Menjaud Menjaud se trouve être à Paris lors du coup d état du 2 décembre 1851 ; il l approuve. Le 10 décembre il écrit au Président une formule qu il tient d'un curé de campagne : «La société reconnaîtra que vous êtes sorti de la légalité pour entrer dans le droit.». Le prince se souvient du prélat lorrain lorsque quelques habitants de Nancy ou du département furent compromis ; l évêque Menjaud voulut se rendre à l'élysée pour implorer la clémence du chef de l'état. Il reçoit l'accueil le plus cordial, et le prince promet de consulter les dossiers des accusés... Peu après, les prévenus sont rendus à leurs familles. Malgré les commotions politiques de cette époque, nous retrouvons M gr Menjaud encourageant la fondation de nouvelles œuvres telle la maison des Petites sœurs des Pauvres et l'œuvre des Tabernacles, pour venir en aide à la pauvreté des églises de campagne. Lors de la pose de première pierre du canal de la Marne au Rhin - cette cérémonie coïncide avec l inauguration de la ligne de chemin de fer entre Paris et Nancy - le 17 juin 1852 à 11 heures et demie, malgré le temps horrible qui règne depuis le matin, le cortège des invités se réunit à la gare Sainte-Catherine du canal. Les invités prennent place dans les bateaux mis à disposition par les ingénieurs du canal. Tous ces bateaux sont couverts, magnifiquement pavoisés 90, et disposés très confortablement. Le premier porte la musique du 73 ème, en compagnie des sapeurs pompiers, puis vient immédiatement l élégante gondole de l ingénieur en chef, montée par les principales autorités administratives et militaires, ainsi que par M gr Menjaud, l évêque de Nancy. Dans tous les bateaux est dressée la plus abondante et la plus délicate collation. Partie de Nancy à midi, après avoir laissé sur les rives du canal tout un peuple de curieux, la flottille se rend à Frouard à la rencontre du convoi ministériel venant de Paris et qui arrivera au rendez-vous avec deux heures de retard! Le convoi touche Frouard à 14 h 30. On s arrête à Maxéville ; à Champigneulles et au pont de biais. L arrivée est saluée par des détonations. L enceinte et le niveau de la double écluse 91 qui doit relier à la Moselle le canal de la Marne au Rhin, sont repérés par de légers échafaudages qui semblent, dans l état naturel du terrain, placés à une hauteur 90 - Probablement à faire à des marins d eau douce L étiquette navale voudrait que l on ne pavoise qu à l arrêt! 91 - La hauteur de chute est de 7,60 ; de nos jours a été transformée en écluse simple. 313

314 Au pré de mon arbre fantastique. À peu près au milieu, une large excavation a été pratiquée pour recevoir la pierre qu on va bénir et sceller... A trois mètres d élévation environ, du côté de la Meurthe, et sous un abri surmonté d une croix de mousse, se trouve un autel. Du côté du canal, faisant face à l autel, s élève la tente destinée aux invités. Les troupes font la haie depuis le canal jusqu au lieu de la cérémonie et autour des tentes. Un détachement de chasseurs à cheval se tient sur le côté du carré qui regarde Metz. À 15 heures, le convoi de Paris est signalé ; la musique joue, le tambour bat «Aux Champs», et bientôt, M. le Ministre de l instruction publique et des cultes, conduit par M. l ingénieur en chef, et accompagné de M. le Préfet de la Meurthe, qui s est porté à sa rencontre jusqu à Commercy, vient prendre place en avant de l estrade. Aussitôt les présentations terminées, on prononce des allocutions. M gr Menjaud prend la parole - discours sur l alliance indissoluble de la science et de la religion - dont voici un extrait : «Monsieur le Ministre, Messieurs, Notre époque, si remarquable par les grands travaux qu'elle conçoit et qu'elle exécute, ne l'est pas moins par l'empressement avec lequel elle met ces travaux sous la protection de Dieu en appelant sur eux les bénédictions de l'église... Ce n'est donc pas une vaine cérémonie que nous allons accomplir en bénissant cette pierre fondamentale ; ce sont les travaux des hommes que nous bénirons en demandant à Dieu, qu'il en écarte tout danger et tout péché, en le priant, lui, le grand architecte du monde, d'affermir nos œuvres humaines, pour la prospérité de la France». Des réjouissances publiques ont lieu, et le soir un banquet réunit les autorités à l'hôtel de ville ; l évêque porte un toast au progrès moral sous l'influence de la Religion. Au mois de juillet, le prince Louis-Napoléon revient à Nancy : nouvelle harangue de M gr Menjaud accentuant ses préférences et l'espoir qu'il met dans le prince qui tient en main les destinées de la France. Louis-Napoléon pendant son séjour dans le département de la Meurthe entoure constamment l'évêque des marques les plus touchantes de sympathie ; comme dernière preuve de distinction, il lui propose la croix de la Légion d'honneur. Nous reconnaissons la sollicitude de M gr Menjaud dans l'organisation des Bibliothèques cantonales. Sa lettre pastorale du 18 septembre 1852 contient ces paroles remarquables : «Il faut le reconnaître, dit le prélat, c'est une nécessité de notre époque, la classe ouvrière a généralement plus d'instruction qu'autrefois, et elle est tourmentée d'un immense besoin de lire : ce sont des âmes affamées qui nous demandent du pain, et nous devons, à tout prix, leur en procurer ; la justice et la charité nous en font une obligation rigoureuse. 314

315 Les Menjaud Que feront, au reste, tant de jeunes gens, tant de domestiques et d'ouvriers désœuvrés, durant les longues soirées d'hiver, ou pendant les jours de chômage et de repos? ils rempliront les cabarets et s y démoraliseront ; les jeunes filles, de leur côté, se livreront à des divertissements dangereux ou criminels, ou liront des romans qui les pervertiront... Heureux celui entre les mains duquel tombe un bon livre, car c'est pour lui un ami sincère et dévoué, qui lui donne des avis salutaires, réveille le remords endormi au fond de sa conscience, lui indique les moyens à prendre pour recouvrer la paix de l'âme, lui trace la route à suivre pour arriver au vrai bonheur, lui signale les écueils où sa vertu ferait naufrage, et le porte, par de puissants motifs, à embrasser courageusement le parti de la vertu.» La Providence, dit l'abbé Blanc, réservait à l'humble enfant de Chusclan, après les honneurs de l'épiscopat dans l'église de Dieu, une autre distinction : une position élevée auprès des puissants de la terre... le prince président songe à rétablir la grande aumônerie de France et veut appeler Monseigneur Menjaud à la dignité de premier aumônier de sa maison : L évêque décline modestement - cet honneur qu'il n'acceptera qu'à la condition de ne pas quitter son diocèse. Sa nomination est signée le dernier jour de Les relations de Monseigneur avec la Cour sont honorables et bienveillantes. Il se plie péniblement - aux exigences de sa position, et ses goûts particuliers le portent de préférence à la vie simple et laborieuse au sein de ses chers diocésains. Dans cette haute position de confiance, M gr Menjaud rend des services remarqués. On n ignore pas que l aumônerie reçoit annuellement plus de vingt mille pétitions de toute nature, et que l'évêque de Nancy, (pendant les six années de son administration), fait obtenir au seul département de la Meurthe plus de francs. Il signale au ministre des cultes son vicaire général, Monsieur l'abbé Delalle, bientôt nommé à l'évêché de Rhodez. Son sacre sera célébré à Nancy le 18 novembre Le 17 juin 1855, M gr Menjaud assiste, cours Léopold à Nancy, à l'inauguration de la statue du général Drouot 92, né et mort dans cette ville, et surnommé le sage de l'armée. De nombreuses personnalités honorent de leur présence cette manifestation. Napoléon III est représenté par son aide de camp le général comte de Goyon. Les enfants des écoles, des collèges, du Lycée Impérial assistent à la cérémonie. Un escadron de Lanciers, un détachement du 8 e Chasseurs, une compagnie de Grenadiers du 24 e de Ligne et sa musique rehaussent cette inauguration Comte Louis Antoine Drouot ( ), général d'artillerie français. 315

316 Au pré de mon arbre Des discours sont prononcés par M gr Menjaud, Albert Lengle préfet de la Meurthe, Alfred Buquet maire de Nancy et par le général de la Hitte représentant le ministre de la Guerre. Le 18 septembre 1853, M gr Menjaud désigne pour son vicairegénéral Nicolas Gridel, né le 12 mai 1801 à Brouville, curé de la Cathédrale de Nancy. Jambois, ordonné vicaire à la Cathédrale de Nancy, est en 1855, secrétaire particulier de M gr Menjaud puis secrétaire général de l'évêché. Pierre François Claude, né le 26 janvier 1818 à Château-Salins, devient Secrétaire particulier de M gr Menjaud le 1 er octobre 1856, puis Supérieur du Petit Séminaire de Pont-à-Mousson le 1 er août Secrétaire particulier de Monseigneur, alors aumônier de l Empereur, il l accompagne chaque année quelques mois à la cour. Lors d un voyage qu il fait à Rome avec M gr Menjaud, le Souverain Pontife, Pie IX, le nomme Camérier secret 93 de Sa Sainteté. Monseigneur Menjaud participe, comme premier aumônier, à plus d'une solennité mémorable : il assiste au mariage de l'empereur et à la bénédiction nuptiale. Il prend part au Concile. Il rétablit la liturgie romaine dans le diocèse de Nancy et de Toul. En 1857, il va à Rome solliciter la bulle apostolique pour consacrer la nouvelle grande aumônerie de Napoléon III. La réception que lui fait la cour pontificale est due à sa personne et à sa mission. L'évêque retourne en France comblé d'égards et de faveurs : le pape l'a nommé comte Romain, prélat assistant au trône pontifical, et a rétabli en faveur des chanoines de la cathédrale de Nancy, une décoration particulière portée avant 1789 dans l'église primatiale. Pendant que le choléra fait de nombreuses victimes dans plusieurs localités de son diocèse, l'évêque déploie un courage et un dévouement admirables. On le voit, malgré une forte répugnance instinctive, malgré le délabrement de sa santé, accompagné de l'abbé Delalle, parcourir les salles de l'hôpital Saint-Charles et adresser aux malades réunis des paroles de consolation et d'encouragement. C est le 29 janvier 1853 à dix heures du matin, veille de la cérémonie publique du mariage religieux de Sa Majesté Napoléon III, que M gr Menjaud célèbre la sainte messe dans la chapelle du palais de l'élysée, en présence de l'empereur, et de son Excellence la comtesse de Té Les camériers secrets ont la charge de l'antichambre dite secrète du pape, où attendent les personnes reçues en audience pr i- vée. 316

317 Les Menjaud ba 94, pour appeler les bénédictions célestes sur cette union souveraine qui intéresse, à un si haut degré, le bonheur des futurs époux, comme les destinées de la Patrie. Sa Majesté et son Excellence la comtesse de Téba reçoivent la sainte communion de la main de sa Grandeur. Appelé à l'honneur de signer au contrat civil, dans le palais des Tuileries, Monseigneur assiste à cette imposante cérémonie de la loi, qui réunit dans la salle des Maréchaux, autour de Napoléon III et de sa compagne, les membres de la famille impériale, le nonce du Pape, les cardinaux, maréchaux, amiraux, grands officiers et officiers de la Maison de l'empereur, ainsi que les ambassadeurs et ministres plénipotentiaires de sa Majesté, présents à Paris, et le corps diplomatique étranger. Le lendemain, la vieille basilique de Notre-Dame est témoin d'une auguste cérémonie, et l'enthousiasme de la population parisienne donne au mariage religieux de l'empereur, le caractère d'une fête nationale. M gr Sibour 95, Archevêque de Paris, célèbre la sainte-messe, bénit les augustes époux, et après le Pater, M gr l'évêque de Nancy, premier aumônier, revêtu, sur son rochet 96 épiscopal, du manteau doublé d'hermine qui est le costume de sa dignité, conjointement avec M gr l'évêque de Versailles, étend le poêle de brocard d'argent sur la tête de leurs Majestés, à genoux au pied de l'autel, pendant l'oraison. La solennité de cette cérémonie religieuse a convoqué dans l'antique métropole, avec tous les dignitaires officiels, cinq cardinaux français, plusieurs archevêques, évêques, le chapitre de Notre-Dame, et un nombreux clergé. Le retour du cortège aux Tuileries est un vrai triomphe ; les mémoires de l'époque nous redisent, et la joie dont rayonnait le visage de l'empereur saluant la foule, et la rare distinction, la grâce parfaite avec lesquelles l'impératrice accueillait, sur son passage, les acclamations dont elle était l'objet. Alexis n oublie pas son village natal, Chusclan, ni celui de Cornillon, où il a passé, dit-il, les plus belles années de sa vie María Eugénia Palafox de Guzmán-Portocarrero y Kirkpatrick de Closbourn, marquise d' Ardales, marquise de Moya, co m- tesse de Teba, comtesse de Montijo (Grenade 1826 Madrid, 1920), dite Eugénie de Montijo Originaire de S t Paul-Trois-Châteaux, de deux ans aîné d Alexis Menjaud, se sont côtoyés au séminaire Le rochet a presque la même forme que l aube : mêmes manches, même corps mais s'arrêtant à la hauteur des genoux. L'e x- trémité des manches est généralement ornée de d entelles laissant apparaître une étoffe de la couleur des manches de la soutane : noire, violette, cramoisie ou rouge. 317

318 Au pré de mon arbre On lui doit, de splendides ornements sacerdotaux 97, parmi lesquels, une chasuble, deux dalmatiques et une chape provenant de la chapelle impériale, où il officie en tant que premier aumônier. L acte d ondoiement 98 du prince impérial, du 16 mars 1856, est signé par l Empereur, le comte de Morny, M gr Menjaud, évêque de Nancy, etc. A l'âge de deux ans, alors qu'il marche à peine, le petit Hubert Lyautey 99 assiste du haut d'une fenêtre de l'appartement de son arrière grand-mère, place Stanislas, au défilé militaire don l'honneur du baptême du prince impérial. Nancy, pavoisée, est à la fête, la nurse asseoit le petit Hubert, ravi sur le bord de la fenêtre. Soudain, l'appui métallique de la fenêtre rongé par la corrosion, cède sous le poids du bébé. En une fraction de seconde, c'est la chute! Hubert tombe d'un étage dans le vide ; par miracle, le store d'un magasin situé au rez-de-chaussée, amortit la chute de l'enfant, et lui sauve la vie. Après cet exercice de haute voltige, il deviendra officier de cavalerie, puis maréchal L abbé Blanc dit aussi que ses fonctions à la Cour, et les soins de son diocèse, n empêchent M gr Menjaud de se rendre utile et agréable aux familles qui réclament le concours et l'éclat de son ministère. Bien qu il n y ait pas toujours concordance de dates, ce n est pas parole d évangile, nous citons l abbé Blanc : «C'est ainsi qu'on voit sa Grandeur, à différentes époques, donner la bénédiction nuptiale au mariage de S. A. le Prince de la Moscowa 100, dans la chapelle des Tuileries, et à celui de S. Exc. le Maréchal Pélissier 101, duc de Malakoff, dans la chapelle du palais de Saint-Cloud Parure provenant du Palais des Tuileries le 7 Mars 1856, envoyée par le Secrétaire Général, Ch. Ouin La -Croix Le baptême sera célébré le 14 juin ; M gr Menjaud est à droite du prie-dieu de l Empereur Récit de Hervé de Charette de La Contrie Le prince de la Moscowa, Napoléon Joseph Ney, marié en 1828, a eu un fils Michel Napoléon, mort sans alliance à Paris le 19 mai Il pourrait s agir du mariage de sa fille, Albine, mariée civ i- lement le 27 mai 1852 à Paris avec le Comte Jean, Gilbert, Victor de Fialin de Persigny, Ministre de l'intérieur de l'agriculture et du commerce, officier de la légion d'honneur, grande croix de s ordres du Dannebrog de Danemark et de S t Maurice et Lazare de Sardaigne, etc En 1845, couvert par Bugeaud, il enfume et fait périr 500 insoumis de la tribu des Ouled-Riah, réfugiés dans les grottes du 318

319 Les Menjaud Elle bénit aussi les mariages religieux de M me la Comtesse de Montangon, née de Muller 102, le jour même que, par la nouvelle de la mort de M gr de Forbin-Janson, M gr Menjaud devenait Évêque titulaire de Nancy et de Toul ; de M. le Baron Eugène François de Menneval 103, ministre plénipotentiaire de France à la Cour de Munich, et de M lle Camille Jeannequin 104 ; de M. de la Charrière, alors chef de bataillon au 39 e régiment de ligne, plus tard général de brigade 105, et M me, née Paillard ; de M me la Marquise Albert de Frégeville, née Cézard 106 ; et celui de sa sœur, M me la Comtesse Olivier Molitor 107, dans sa chapelle épiscopale à Nancy ; le mariage de M me de la Garde, née de Comeau, dans l'église paroissiale d'eulmont ; de M me Charles Bour 108, née Marie Joséphine Hyacinthe Pacotte, dans l'église de Cirey-sur-Vezouze 109 ; et celui de M me la Vicomtesse de Guichen 110, née Marie Berthe Husson de Prailly, dans la chapelle du château de Sainte-Catherine 111.». Dahra. Commandant en chef de l'armée d'orient. Ennobli duc de Malakoff le 22 juillet Marié le 12 octobre 1858, à Paris, avec Sophie Valera, Ma r- quise de la Panieaga, jeune et charmante espagnole, il en aura une fille, Louise, dont il fera son tyran, celui de sa maison et de tout son état-major On connaît le mariage de Charles Victor de Montagon, marié le 27 avril 1842 avec Clotilde de Müller de Lambillon d Abaincourt. Cela ne correspond pas au décès de Forbin -Janson, le 11 juillet Après la mort de son épouse, M. de Menneval a été o r- donné prêtre à Rome, le 19 avril Sera vicaire général honoraire du diocèse de Nancy Mariés le 25 janvier 1854, à Nancy Ce sera, le 30 novembre 1870, la bataille du mont Mesly commandée par le général Ladreit de la Charrière qui tombe dès le premier assaut Sophie Cézard, mariée le 29 mai 1854 à Nancy Malvina-Cécile Cézard, mariée le 20 juillet Il doit s agir de Charles Bour, dessinateur & lith o- graphe, Mariés le 6 septembre Cirey-sur-Vezouze était un lieu faïencier entre 1798 et 1855 grâce à la manufacture crée par J o- seph Pacotte, probablement le grand-père de Marie Alphonse Luc Maximilien de Bouexic, marié le 29 se p- tembre Le château, situé à Bertrambois-Lafrimbolle, à 4 km de Cirey-sur-Vezouze appartient à Eugène Chevandier de Valdrome dont la sœur est Hortense Chevandier de Valdrome, baronne de Prailly, mère de la mariée. 319

320 Au pré de mon arbre Ses sollicitudes vont aussi vers l église de Blâmont Depuis un siècle, cette œuvre s'imposait, mais on la retardait, en remaniant, vaille que vaille, l'ancien édifice, resté, malgré tout, trop exigu. Vers 1850, les murailles présentaient des lézardes inquiétantes, la toiture était vermoulue, et le clocher, si endommagé que la petite cloche, dite Fromental, s'en détacha, au risque d'écraser plusieurs personnes. M gr Menjaud, en apprenant le fait, se hâta d'interdire la vieille église. On décida de faire du neuf. C'est pour concourir à cette œuvre que, dans l'hiver de 1852, on imagina une cavalcade historique qui représenta le duc René II, venant prendre possession de sa bonne ville de Blâmont. Toute la contrée accourut pour la voir se dérouler, le 17 février C'était le lundi gras. La première pierre fut posée, le 20 octobre 1852, et l'église Saint- Maurice achevée quatre ans plus tard sous la conduite de M. Vautrin, architecte à Nancy, aidé par le dessinateur Laurent et les entrepreneurs Meüsburger frères. Dans l'intervalle, les offices furent célébrés dans la chapelle du collège. La bénédiction est donnée par M gr Menjaud, le 6 septembre Ce n est pas seulement dans le département de la Meurthe que M gr Menjaud répand ses bienfaits ; il songe à l'église 112 de son village : Sous la protection du Père Brydayne, il sollicite des dons et des offrandes du Gouvernement et de quelques uns de ses pieux diocésains. Monseigneur Sibour, lui aussi admirateur de Brydayne, s'associe à l'œuvre et à la suite d'un discours prêché à Notre-Dame-de-Paris par le P. Lacordaire, l'archevêque écrit à M gr Menjaud une lettre sympathique. Menjaud offre lui-même francs. Le 11 janvier 1857, M gr Menjaud assiste aux Funérailles de M gr Sibour, archevêque de Paris, sauvagement assassiné, la semaine précédente, d'un coup de couteau par Jean Louis Verger, un prêtre qu'il avait interdit. Malgré l'heure matinale fixée pour la cérémonie funèbre, malgré la pluie et la neige qui transforme les rues en un immense lac fangeux, une foule nombreuse se porte sur le parcours du cortège, aux abords du palais archiépiscopal et sur le parvis Notre-Dame Une belle église romane s'éleva à Chusclan sur l'empl a- cement de l'ancien cimetière ; l'architecte fut M. Laval. ( ). On y remarque de belles orgues sortant de la maison Cuvillier à Nancy ; les vitraux sont également d'un artiste lorrain ; les peintures de l'abside, de l'abbé Sublet, peintre lyonnais. 320

321 Les Menjaud Conformément aux prescriptions de 1'Église pour l'inhumation des prêtres, l'archevêque a pris soin est couché de façon qu il rentre à l'église la tête la première 113. C est après les vêpres que le corps est descendu dans le caveau des archevêques 114. L'évêque Menjaud demande la Croix de Chapitre qui est octroyée le 28 mars 1857 Armes. - D'or au chevron d'azur accompag chef de 3 branches d'olivier de sinople, et en pointe d'une tête de léopard de sable. Ces armes, qui rappellent celles de son prédécesseur, sont celles qu'il eut comme évêque de Nancy. - Comme coadjuteur il portait : d'azur à la colombe d'argent portant un rameau d'olivier de sinople. - Comme archevêque il modifia absolument ses armoiries et prit : d'azur au Jéhovah d'or, au chef cousu de gueules chargé de 3 étoiles d'argent. Devises. - Comme coadjuteur : Spes mea Deus. Comme évêque : Sena- bis pacem Domini. Comme archevêque : Status quem eligis et assumpsis. Revers de la croix de chapitre 115 des chanoines de Nancy, en vermeil et émail, 61 x 73 mm de diamètre, fabrication de l'orfèvre Daubrée à Nancy, France C'est le contraire qui se pratique pour l'enter rement des laïques Le caveau destiné à recevoir les restes des ar chevêques de Paris est situé à l'entrée du chœur de la cathédrale. La famille de Mgr. Sibour, cédant aux instances de M. le curé de Saint -Étienne-du- Mont, a décidé que le cœur de l'archevêque de Paris serait déposé dans cette église Il s'agit d'un aspect méconnu de la phaléristique. I n- signes religieux autant que dis tinctions, les croix de chanoine app a- raissent au milieu du XVIIIe siècle en Europe. Les croix de chapitre sont la marque distinctive du chapitre de chaque cathédrale et témoignent de son ancienneté. Propriétés du Chapitre, elles lui reviennent au décès du titulaire. Elles font partie intégrante du costume de chœur et sont portées quotidiennement pour chaque office. 321

322 Au pré de mon arbre À Plombières, Eugénie 116, qu'accompagne son mari, visite la ville et les établissements thermaux. Le dimanche 12 juillet 1857, leurs Majestés assistent à la messe paroissiale célébrée par M gr Menjaud, évêque de Nancy ; on remarque leur recueillement. Nancy a obtenu le siège de la seizième académie et des facultés des sciences et des lettres en juin Cette attribution resta cependant fragile pour la faculté des sciences, mais grâce à l'engagement obstiné du conseil municipal de Nancy, le projet sera réalisé. De trois projets, c est celui qui se situe sur la place de Grève (place Carnot) à l'emplacement du pensionnat Saint-Léopold qui est retenu. Le pensionnat Saint-Léopold appartient à l'évêché, qui n'accepte pas le prix proposé. Le 5 juin 1856, dans une lettre adressée au ministre, M gr Menjaud avait exprimé son souhait de voir réévalué le montant proposé par la ville. Soulignant une forte opposition de l'opinion publique et le silence gardé par la ville qui aurait pu faire croire à l'abandon du projet, il informe que des solutions de remplacement ont été étudiées. L'architecte chargé de l'étude propose le déplacement du pensionnat vers une maison présentant de nombreux inconvénients, un espace restreint et une situation moins agréable, pour une somme de F alors que la ville ne propose que F! Après expertise, un jugement permet d'élever la somme à F, ce que Menjaud apprend avec douleur. Il conclue ainsi : «Il nous fallut non seulement céder et nous taire, mais encore, ce qui nous fut infiniment plus pénible, prendre, par nécessité, la résolution de réduire, faute de ressources, aux simples proportions d'un externat, un pensionnat qui avait jusqu'alors joui de la confiance des plus honorables familles de Nancy» M gr Menjaud installe l'institut S t Léopold dans un bâtiment attenant au palais épiscopal en oubliant d'en faire la demande au ministre des cultes, et se fait chapitrer vertement 117. Quand l'évêque de Nancy bénit la première pierre du nouveau palais académique en juin 1859, les acteurs de la mise en place de la Faculté des Sciences de Nancy poussent un soupir de soulagement. L'évêque prononce une allocution de laquelle nous voulons citer seulement la première phrase, quoique ce ne soit là qu'une pensée bien connue : «On l'a dit : Messieurs, il y a deux siècles et demi : peu de science conduit à l'athéisme, beaucoup de science rapproche de Dieu...» Lien http :// fr/site/i ndex. php?2006/04/04/121-napoleon-iiia-plombieres Lettre du ; archives diocésaines : ADMM, 50J 4/

323 Les Menjaud Un jour, il se trouve jeté en d'effroyables difficultés à la suite d un carême prêché sur le mariage par un prêtre impétueux, curé de sa cathédrale. Il veut arrêter l'effet de cette verve trop imagée au moment où les sermons sont livrés à l'impression. Une crise lamentable où le clergé, les fidèles, la ville, le diocèse,sont partagés d'opinion, entraîne le pauvre évêque dans un tourbillon d'ennuis. Il voulut donner sa démission. Petit, très élégant en sa démarche trotte-menu, avec sa merveilleuse chevelure blanche (j'ose à peine rappeler qu'elle est de contrefaçon), sa parole caressante, légèrement teintée d'accent provençal, Alexis-Basile Menjaud gouverna longtemps le diocèse lorrain, plus encore par le charme de son caractère, la mansuétude de son visage que par l'ascendant de son autorité canonique. Il a reçu comme coadjuteur d'abord, après M gr Donnet, puis comme évêque titulaire, l'héritage difficile de Forbin- Janson, un apôtre d'âme très haute, mais d'un zèle trop ardent pour le mysticisme très tempéré de son troupeau. Alexis-Basile se donna la mission d'un pacificateur. Mais à force de pacifier, il laissa son autorité décliner. Il vieillit, séjourne trop longuement aux Tuileries, et sa petite main blanche ne sait plus manier avec vigueur la crosse symbolique 118. À cela s ajoute que pendant la dernière année de son épiscopat en Lorraine, après avoir élevé sur la montagne de Sion-Vaudemont un monument à la Vierge Immaculée, M gr Menjaud éprouve une déception bien cruelle : le palais épiscopal, propriété de l'état, est converti en hôtel de préfecture et l'évêque de Nancy se voit obligé de se retirer dans un local moins digne de la haute position qu'il occupe. L'empereur ayant connaissance des mécomptes du premier aumônier lui offre, le 30 juillet 1859, le titre d'archevêque de Bourges laissé vacant suite au décès de Jacques- Marie-Antoine-Célestin du Pont rappelé vers la maison du Père le 26 mai Alors Monseigneur Menjaud abreuvé d'amertume, se résigne à cette promotion qu il prend pour une mise au placard. Avant d'abandonner sa chère Lorraine, il distribue d'abondantes aumônes aux pauvres et aux établissements charitables de Nancy. Le secrétaire de l'évêché remet, de sa part, mille francs à chacune des maisons qu'il n'a cessé de patronner. Il quitte la ville de Nancy qu'il a habitée pendant vingt-cinq ans et adresse à ses diocésains les adieux les plus touchants : «Église antique, Église vénérée et chérie de Nancy et de Toul, Dieu nous est témoin que nous aurions voulu ne jamais nous séparer de vous ; que nous n'avons point désiré pour nos mains affaiblies un nouveau champ à cultiver! Que c'est à vous, et à vous seule que nous espérions demander le repos de l'ouvrier après sa journée terminée» La crosse épiscopale est un bâton surmonté d'une cro i- sette entourée de deux figures de serpents affrontés qui symbolisent la prudence et la sagesse. 323

324 Au pré de mon arbre Archevêque de Bourges 119, Alexis arrive à Paris vers la fin octobre On lit 120 dans l'univers du I4 novembre 1859 : S. Em. le cardinal-archevêque de Paris a remis jeudi le pallium 121 à M gr Menjaud et à M gr Despretz, récemment nommés aux archevêchés de Bourges et de Toulouse. Cette cérémonie a eu lieu dans la chapelle de la Congrégation de la Mère de Dieu, où l'archevêque nommé de Bourges a rempli les fonctions d'aumônier et où il a été sacré évêque. Le 17 novembre, M gr Menjaud fait son entrée solennelle dans sa nouvelle ville épiscopale, au milieu d'une multitude empressée et déjà sympathique, après avoir pris le 11 novembre possession par procureur. Le prélat ne tarde pas à entreprendre des travaux d'administration. Une des œuvres auxquelles il veut attacher son nom est la restauration de l'ancienne abbaye de Chezal-Benoit, devenu depuis un collège libre dirigé par des prêtres choisis dans les rangs du clergé du Berry. Joseph Lamblin 122, directeur de S t -Léopold en 1848, ensuite directeur puis supérieur de La Malgrange, est du voyage de Nancy à Bourges dont il devient vicaire général. La santé de M gr Menjaud va s'affaiblissant de jour en jour : il se voit forcé de suspendre ses visites pastorales dans le département du Cher et de l'indre qui composent son diocèse, et va demander l'hospitalité du repos, au couvent des dames du Sacré-Cœur, à Châtellerault, à peu de distance, et dont Félicie Menjaud, est supérieure : «je viens mourir chez toi», lui dit Monseigneur en entrant dans la communauté. Les soins affectueux de sa nièce pendant son séjour calment un peu ses souffrances. La maladie empire ; les médecins conseillent les eaux de Vichy, où Alexis y trouve son ami Louis-Napoléon (entre intimes, sans chichis, on s appelle par son prénom). Pendant vingt jours, malgré les soins les plus attentifs de son médecin, il n'obtient aucun soulagement. M gr Men Armes de l archevêque de Bourges : d'azur au Jehovah d'argent, au chef de gueules chargé de trois étoiles d'argent. Devise : Beatiis quem elegisti et assiimpsisti Paru dans le «Journal de Toulouse» du 16 novembre Reçu de la part du Pape ; le Pallium est une pièce d'étoffe blanche entourant les épaules, avec des pendants tombant devant et derrière et couverte de soie noire et de 4 croix rouges. Le pape envoie le pallium aux prélats comme marque de leur dignité. L'usage commença au IV e siècle Né le 31 décembre 1812 à Art-sur-Meurthe ; enterré dans la même ville. 324

325 Les Menjaud jaud demande un coadjuteur ; il obtient l'abbé Charles-Amable de Latourd'Auvergne-Lauraguais, événement heureux qui vient apporter un adoucissement momentané à toutes ses douleurs physiques. Bientôt ses nombreux amis jugent la situation désespérée et l'abbé Lamblin a le courage de lui avouer. L'archevêque revêtu de ses ornements pontificaux, reçoit les derniers sacrements des mains de son coadjuteur. Le coadjuteur qui a sollicité auparavant pour l'archevêque la bénédiction apostolique du saint père, demande à son tour au prélat mourant ses dernières bénédictions. M gr Menjaud adresse des adieux touchants aux membres du clergé qui l'assistent, et par un mouvement de sa main défaillante, il bénit son clergé, ses séminaires, son diocèse de Bourges, son ancien clergé de Nancy et sa famille absente 123. La maladie empire et la crise est imminente. On approche du saint prêtre son crucifix, sa relique de la vraie croix, et son scapulaire ; il les baise avec respect et amour ; il semble se recueillir sous la dernière absolution. Enfin, après une courte et douce agonie, il s'endort paisiblement le mardi 10 décembre 1861, à deux heures du matin, dans la soixante-etonzième année de son âge et la vingt-troisième de sa prélature. À lire le communiqué, M gr Menjaud 124, archevêque de Bourges, premier aumônier de l'empereur, succombe, le 10 décembre 1861, à Bourges, à la suite d'une indisposition 125 qui l'a atteint depuis quelques jours seulement et dont rien ne laissait prévoir l'issue aussi fatale et aussi soudaine. Le 17 décembre, ses obsèques sont un vrai triomphe dans la cathédrale de Bourges. M gr le cardinal Donnet, archevêque de Bordeaux, préside la cérémonie ; M gr de la Tour d'auvergne, nouvel archevêque de Bourges, et M grs les évêques de Tulle, de Nevers et de Limoges, chanoines et chapelains suivent le corps ; les coins du poêle sont tenus par le général, le président de la cour et les préfets du Cher et de l'indre. Dans la métropole, le corps descendu du char est déposé sur le catafalque dressé à l'entrée du chœur. Ce catafalque, envoyé de Paris, par le garde-meuble de la couronne, est celui qui a servi aux obsèques du roi Jérôme 126. M gr F Il n'y avait à Bourges que son neveu Pierre Menjaud, sous-lieutenant au 1 e régiment des voltigeurs de la garde http :// -desinstituteurs/fascicules/1861/inrp_jdi_ _fa.pdf Infection des voies urinaires Le plus jeune frère de Napoléon, mort le 24 juin 1860 au château de Vilgénis (Seine-et- Oise) (de nos jours Massy). Ses o b- sèques furent célébrées le 3 juillet en l'église des Invalides. 325

326 Au pré de mon arbre Dupanloup, évêque d'orléans, prononce l'oraison funèbre 127 de celui qui fut son père spirituel. L appréciation de l'homme et du prêtre est toute dans cette phrase : «Âme affectueuse et bonne, cœur sympathique et dévoué. Monseigneur Menjaud ne savait pas haïr, il ne sut jamais qu'aimer», Le corps est descendu dans le caveau des archevêques de Bourges et déposé dans la crypte. Inscription sur le tombeau de Monseigneur Menjaud À la mémoire de Monseigneur illustrissime et révérendissime Alexis-Basile MENJAUD, Patriarche, archevêque de Bourges, Primat des Aquitains, comte romain. Prélat assistant au Trône pontifical. Premier aumônier de l'empereur Napoléon III, Chanoine honoraire du premier ordre du chapitre impérial de Saint-Denis, Chevalier du Saint Sépulcre et de Saint-Jean-de- Jérusalem, Commandeur de l'ordre impérial de la Légion d'honneur, etc., etc. Titulaire de la Légion d Honneur. M gr Menjaud a été membre de la société d archéologie de Lorraine Miséricordieux pour tous, Il se repose de ses travaux. Ses œuvres lui survirent. Le 19 décembre, M gr Darboy célèbre à Notre-Dame-de-Paris un service funèbre pour l'illustre prélat du Berry. Monseigneur Menjaud laisse par testament des legs aux églises et communautés de Bourges ; il assigne la somme de fr pour les pauvres de Nancy ; il n oublie pas Chusclan, Cornillon et Aramon: Les portraits de Monseigneur Menjaud, peints par Léon Alégré, figurent au Musée de Bagnols, et dans la sacristie de l église ; la place de l'église de Chusclan porte son nom. Victor Hugo, dans «Les châtiments 128», ne le loupe 129 pas, dénonçant sa prétendue hypocrisie en termes très durs, tandis qu il règle ses comptes avec d autres contemporains : «Du lourd dictionnaire où Beauzée et Batteux Ont versé les trésors de leur bon sens goutteux, Il faut, grâce aux vainqueurs, refaire chaque lettre Lien http :// org/stream/nouvellesœuvres01dupauoft/nouvellesœ uvres01dupauoft_djvu.txt Livre III La Famille est restaurée VIII Splendeurs V La rancœur de Victor Hugo envers Menjaud vise un i- quement Alexis puisqu il avait accepté que sa pièce Hernani soit jouée par Jean Adolphe Menjaud. 326

327 Les Menjaud Ame de l'homme, ils ont trouvé moyen de mettre Sur tes vieilles laideurs un tas de mots nouveaux, Leurs noms. L'hypocrisie aux yeux bas et dévots A nom Menjaud, et vend Jésus dans sa chapelle ; On a baptisé la honte, elle s'appelle Sibour ; la trahison, Maupas ; l'assassinat Sous le nom de Magnan est membre du sénat ;...». Camille Menjaud ( ) Camille est un personnage qui complique la généalogie : il épouse Adélaïde Sampierdarena, sa cousine par sa mère Luce-Thérèse Duchesne, fille d'antoine Nicolas et Luce Menjaud ; Adélaïde décède à l'âge de 30 ans, laissant deux enfants, Alexandre et Louis. Camille se remarie avec Marie Antoinette Journé dont il aura quatre enfants, Abel, Éléonore, Paul et Robert. Paul 130, fils d Alexandre, épousera en 1893 la fille de Robert, sa demi-cousine germaine Marguerite. Vous suivez? Camille est reçu à l'école polytechnique en 1813, un an avant le philosophe Auguste Comte avec qui il restera lié. Il enseigne comme agrégé de mathématiques et de physique dans les déjà prestigieux lycées Henri IV et Louis Le Grand ; il publie plusieurs livres de mathématiques et physique En 1826, il est nommé répétiteur à l école Polytechnique ; Il doit cependant renoncer à son poste, en 1830, pour avoir refusé de prêter le serment demandé aux fonctionnaires par Louis-Philippe. Selon Amable Levacher Duplessis : «Cela eut été fort beau s'il l'avait fait par conscience et parce qu'il ne voulait pas servir un gouvernement révolutionnaire, mais ce n'était pas là sa raison, il n'était pas légitimiste, il prétendait seulement que la loi n'était pas applicable aux agrégés de l'université et il s'obstina à ne pas prêter serment». Malgré les soutiens il ne sera pas réintégré. Avec Auguste Comte, Maurice Courtial, Marie-Pierre Guibert, Adolphe Gondinet, Alexandre Meissas, Jean-Claude Fulchiron, Auguste Perdonnet, Louis Marie Joseph Roussel, il crée les cours populaires au sein de l Association Polytechnique : en 1833, il ouvre à la Sorbonne un Ingénieur ECP ; directeur de la sucrerie de Souppes. 327

328 Au pré de mon arbre cours de dessin linéaire, de la figure et de l ornement et cours de physique. En 1835, il arrête son enseignement «pour raison de santé». On doit à Camille des articles consacrés aux «forces» et aux «machines à vapeur» dans des dictionnaires techniques. Il s essaye dans la mise en application de ses théories : avec l ariégeois Antoine Galy- Cazalat 131, lui aussi ancien élève de l'école Polytechnique, il fonde la société des voitures à vapeur de Paris à Versailles sur routes ordinaires ; ils soumettent leur système de transport à l'institut et à la société d'encouragement : étant donné que la complication du mécanisme dans les voitures à vapeur entraîne des frais de réparation et des pertes de force, qui rendent ces voitures inapplicables aux routes communes, et ruineuses pour les compagnies de chemins de fer, nos inventeurs sont amenés à imaginer des machines rotatives dont l'axe soit le même que l'essieu des roues locomotives. Ils demandent que la première voiture de la compagnie qu'ils représentent soit jugée par les commissaires chargés d'examiner la locomotive anglaise qui est allée à Neuilly, et dont M. Galy- Cazalat a transmis la description à l'institut 132 dans le mois d'octobre C est un fiasco Avec le recul, leur erreur aura peut-être été d avoir eu raison trop tôt puisque leur projet aboutira quelques années plus tard repris par d autres personnes. Il n empêche, son cousin Amable nous décrit Galy-Cazalat, comme un véritable escroc. Des lettres nous sont parvenues : les premières sont celles d'un enfant de dix ans à son père, suivies de celles relatives au premier mariage de Camille. Les dernières nous apprennent que le père et le fils ne se voient plus. Un brouillon d'une autre, adressée à M gr Alexis Basile Menjaud, lui présente son livre de mathématiques, dans l'espoir bien sûr qu'il soit adopté dans l'enseignement catholique. Une curieuse lettre consacrée aux ricochets pourrait indiquer un intérêt de Camille pour ce mystère mathématique. Il est curieux de constater que ses enfants nous sont assez largement inconnus. Aucun renseignement, aucun portrait ni souvenir familial ne concerne son fils aîné Alexandre qui fut pourtant chemisier, remisier à la bourse, puis professeur. Le nom de son épouse - Adler ou Ladher nous est incertain. Le deuxième fils, Louis Albert, commence une brillante carrière de médecin (interne et chef de clinique), interrompue par une mort précoce, à 36 ans En 1826, professeur de physique au collège de Ve r- sailles Commissaires, MM. Arago, Poncelet, Coriolis et Séguier. 328

329 Les Menjaud Mis à part une lettre, nous ne disposons d aucune trace d Abel, 1832 et mort en Éléonore, décède en bas âge. Paul et Robert sont représentés sur le tableau ci-contre. Paul, le plus âgé, sera victime du choléra à l âge de onze ans. En 1841, dix ans après son second mariage, Camille décède au 6 de l impasse S t Dominique d'enfer, à 46 ans. Son épouse Marie-Antoinette Journé reçoit plusieurs lettres de soutien, témoignant de l excellent souvenir laissé par son mari. Dans une lettre adressée par M gr Alexis Menjaud à la veuve de Camille qui sollicitait une faveur, celui-là répond par une fin de nonrecevoir. Jean-Adolphe Menjaud ( ) Extrait des registres de l'état civil du 6 e arrondissement de Paris : Du 28 messidor an III e de la République, acte de naissance de Jean- Adolphe, né le 25 e jour de messidor 133 & heure de dix heures du matin, à Paris, rue du Faubourg du Temple, fils de Jean Menjaud, liquidateur à la Trésorerie (*), et de Éléonore Bénard, Suivent les noms des témoins. (*) Et précédemment notaire, avant la Révolution. En famille, on se plaît à dire 134 qu'éléonore est la fille du geôlier, et a contribué à la libération de Jean et plus, par affinité. Le 16 juillet 1800, Entre la citoyenne Éléonore Besnard actuellement épouse du citoyen Marc Antoine Granet 135 (en marge, suivant le contrat de mariage passé devant Turel et juillet L existence de cette branche illégitime, longtemps co n- sidérée comme honteuse et cachée, était quand même connue dans la famille et sa preuve conservée. «Jean Adolphe était le fils illégitime de mon aïeul Jean, notaire puis juge de Paix à Paris pendant la Révolution, et qui fut condamné à mort par contumace. Il réussit à se cacher et l'histoire familiale raconte qu'il sauva sa tête en engrossant la fille du geôlier.» Les documents d'époque remettent en cause cette hyp o- thèse, alléguant que l'époux légitime d'éléonore Bénard, Marc - Antoine Granet, après avoir été président du département du Var, était député à l'élection législative en 1792 et cité comme propri é- taire parisien cette même année. Il y a confusion avec François Omer Granet député en 1791, marié le 14 mars 1797 avec Claire Anne Eymar. 329

330 Au pré de mon arbre son collègue notaire à Paris le 12 messidor an sept dûment enregistré) demeurant rue du rocher N 488 à la petite Pologne d une part, et le citoyen Jean Menjaud liquidateur à la Trésorerie demeurant à Paris, rue de la Michaudière au coin de celle projetté division Lepelletier, d autre part. A été dit que le vingt cinq messidor de l an trois il naquit de leur cohabitation un fils qu ils nommèrent Jean Adolphe Menjaud. Que cet enfant est jusqu ici resté chez la citoyenne Granet sa mère qui l a élevé à ses frais et a seule fourni à sa nourriture et entretien mais que les besoins de cet enfant devenant plus grands il s agit au jour d hui statuer sur son existence future, fixer le prix de sa nourriture, entretien et éducation pour l avenir et régler la manière dont le citoyen Menjaud y contribuera. Pourquoi il a été arrêté et convenu ce qui suit. Le dit Jean Adolphe Menjaud est et demeure toujours confié comme il l a été jusqu ici aux soins de la citoyenne Besnard sa mère chez laquelle le dit Menjaud aura la liberté de l aller voir 136 toutes les fois qu il le jugera à propos (illisible) de laquelle et sous quelque prétexte que ce puisse être il ne pourra le retirer à quoi il renonce formellement par ces présentes cette clause étant de rigueur sur ce laquelle à ce présente (illisible) point ou lieu. La somme que le dit citoyen Menjaud fournira et s engage par ces présentes à fournir les frais de nourriture et éducation du dit enfant est et demeure fixée à celle de six cent francs par année jusqu au premier messidor an douze époque à laquelle le dit enfant sera sur le point d avoir neuf ans et alors l augmentation que nécessiteront ses nouveaux besoins sera fixée à l amiable si faire se peut, entre les parties, si non en justice en sa manière accoutumée. La dite pension de six cents francs a été stipulée payable à compter du premier messidor an sept. Pour donner en ce moment toutes les facilités possibles au citoyen Menjaud, la dite citoyenne Besnard s engage de faire toutes les avances qui seront nécessaires pendant le dit terme et jusqu au dit jour premier messidor an douze auquel jour le dit Menjaud promet de son côté et s oblige de payer à la dite citoyenne Besnard la somme de trois mille francs en espèces d or ou d argent et non autrement pour les cinq années qui seront lors échues de la dite pension de six cents francs. Laquelle somme il s est engagé de payer à la dite citoyenne Besnard même dans le cas où le dit Jean Adolphe Menjaud viendrait à décéder d ici au dit jour 1 er messidor an douze et ce à titre d indemnité des années antérieures pendant lesquelles le dit Menjaud n a rien fourni et à titre de reconnaissance de ses bons soins et procédé pour leur enfant commun. Pour opérer une hypothèque en faveur de la dite citoyenne Granet il a été ce jour d hui souscrit par le citoyen Menjaud au profit de la citoyenne Granet* (* qui le reconnaît) une obligation de payer la somme de trois mille francs payable le dit jour premier messidor an douze laquelle obligation ne fera avec les présentes qu un seul et même titre et dont l acquit intégral opéré en faveur de Menjaud l acquit intégral des présentes. Il est bien entendu que le dit enfant est conservé dans l exercice de tous ses droits résultant de la loi présente et à venir. Fait double à Paris ce vingt sept messidor an huit de la république française. approuvé l écriture À qui va-t-il rendre visite : la mère ou l enfant? 330

331 Les Menjaud Menjaud Bénard Granet approuvé l écriture De Bordeaux à la Comédie-Française En 1812, et l'année suivante, ayant remporté le second prix de tragédie du Conservatoire, Jean Adolphe Menjaud est attaché au Grand- Théâtre de Bordeaux, sous son nom de famille, et agréé par le public du lieu dans l'emploi des jeunes premiers tragiques et comiques. Pendant un séjour que Talma 137 et M lle Mars 138 font dans cette ville, où ils donnent quelques représentations, Menjaud les seconde avec ardeur, et se concilie la bienveillance des deux célèbres artistes. Grâce a leur influence, il est, peu après, mandé a Paris ; le 16 février 1817, 1'affiche de 1'Odéon annonce, en caractères minuscules, le début d Adolphe dans le rôle d'olivier du Capitaine Belronde ; début tellement incognito qu il passe inaperçu. Mais, le 19 mai 1819, le jeune débutant est admis à la Comédie- Française, et, sans être annoncé, joue les rôles d'hippolyte dans «Phèdre», et de Derval dans «Les Rivaux d'eux-mêmes 139», François-Joseph Talma ( ) fut l acteur français le plus prestigieux de son époque Anne-Françoise-Hippolyte Boutet, dite Mademoiselle Mars, ( ), est une comédienne Comédie en un acte, en prose, de Pigault-Lebrun. Charles-Antoine- Guillaume Pigault de l'épinoy 1753 à C a- lais est envoyé dans une maison de commerce à Londres ; ayant séduit la fille de son patron, et celle-ci ayant péri dans le naufrage du navire sur lequel les deux amants ont pris la fuite, il n ose pas r e- tourner en Angleterre et revient à Calais, où son père le fait empr i- sonner au moyen d une lettre de cachet. Après deux ans de captivité, il entre dans la gendarmerie d élite de la petite maison du roi et d e- vient par sa franchise, sa gaieté, son amour des plaisirs, le boute -entrain du régiment. La gendarmerie d élite ayant été supprimée, il reparait à Calais, lie une nouvelle intrigue amoureuse et est de no u- veau emprisonné par lettre de cachet, à la demande de son père. Cette seconde captivité dure deux ans, au bout desquels il s évade et se fait comédien en province. Acteur pitoyable, il parvient cepe n- dant à décourager les sifflets du public par son esprit et sa bonne humeur. Ayant séduit à Paris la fille d un ouvrier, il l emmène en Hollande, l épouse et vit en Belgique, continuant à jouer la comédie, donnant des leçons de français et faisant représenter quelques pièces de sa composition. Cependant, son père, à la nouvelle de son mariage, le fait porter sur les registres de l état civil de Calais comme n existant plus. Charles-Antoine présente une requête au parlement de Paris 331

332 Au pré de mon arbre Ce n'est pas que Menjaud manquât de moyens mais d une timidité maladive, qui, un jour de reprise de Turcaret, songera à se faire passer une roue de voiture sur le pied pour ne pas aller jouer «le Marquis», et qui, voilà cinq ans, s'était sauvé jusqu'à Rome pour fuir ses terreurs de chaque soir. Son jeu terne, incolore, sa tenue embarrassée et contrainte font de lui ce qu'au théâtre on appelle un repoussoir. Aussi, durant de longues années est-il vu avec indifférence par le public ; et loin de chercher à sortir d'une position aussi fausse que pénible pour son amourpropre, il semble, au contraire, ne chercher qu'à s'effacer. En 1821, mécontent de son rang d'infériorité, il donne sa démission et contracte un engagement avec Auguste-Simon-Jean-Chrysostome Poirson, dit Delestre-Poirson, directeur du théâtre du Gymnase- Dramatique ouvert récemment et où il devra paraitre au 1 er avril de l'année suivante. Dans l'intervalle de temps qui s'écoule entre la signature de cet engagement et les débuts de l'acteur, quelques amis arrangent officieusement ses affaires ; de plus, il se trouve que Jean-Adolphe est pris d intérêt pour M lle Devin, actrice de la Comédie Française, et rattaché de cette façon à la société qu'il veut quitter. D'abord, Jean Adolphe demande à rompre son engagement pris avec le directeur du Gymnase. Celui-ci ne le veut pas ; Menjaud assure qu'il ne paraîtra pas au Gymnase. On affiche ses débuts pour constater son refus et, comme il ne paraît pas en effet, les directeurs de ce théâtre emploient les voies judiciaires pour lui rappeler les termes de son contrat : il est attaqué par Delestre Poirson. Soutenu par les Comédiens Français, qui parviennent à faire voir aux juges que leur pensionnaire a raison quoiqu'il y eut eu un engagement de signé, Menjaud est déclaré libre. Bien leur en a pris : il se révèle très vite comme un des meilleurs éléments. Jean Adolphe Menjaud épouse, le 27 mars 1822, Armandine Émilie Devin cadette, alors pensionnaire, comme lui, de la Comédie- Française. Armandine-Émilie est née à Paris le 8 novembre 1794, fille de Christophe-Jacques Devin, rentier, et de Jacqueline-Françoise-Armantine Tessier. Après avoir joué la comédie de 1807 a 1809 à l'odéon. Le Conservatoire 140 a alors comme professeurs Fleury, Talma, Lafon et Baptiste aîné, mais ce dernier donne surtout des leçons de déqui, par arrêt confirme sa mort. Il modifie alors son nom et, de P i- gault de l Épinoy devient Pigault-Lebrun http :// org/stream/mmoiresdesamson00adgoog/mmoiresdes amson00adgoog_djvu.txt 332

333 Les Menjaud clamation lyrique. Vint le concours de M lle Demerson, qui vient de faire de brillants débuts à la Comédie-Française, jeta beaucoup d'éclat sur la séance en disant une «Scène du Cercle» de Poinsinet, et une autre de «Démocrite amoureux». C'est une élève de Baptiste aîné. Elle a, comme on s'y attend, le premier prix de comédie. Le second est adjugé à M lle Ménétrier, qui se fera connaître ensuite au Vaudeville et au Gymnase sous le nom de Minette. On décerne le troisième prix à M lle Devin. Armée de ce prix, elle part à Rouen, puis à Nantes, où elle reste quatre ans ; elle débute au Théâtre-Français, le 15 juillet 1815, par les rôles d'eugénie dans «La Femme jalouse» et de Charlotte dans «Les Deux Frères». Il est incontestable qu Armandine-Émilie a du talent, mais il lui manque ce charme extérieur qui rend le talent aimable et sympathique, et qu'un trait dans son visage ne lui permet pas de posséder. Son nez, car c'est de lui qu'il s'agit, est trop accusé, et l'âge, en emportant la fleur de la jeunesse, accroîtra encore ce défaut d'harmonie ; ce nez donna d ailleurs lieu à une réponse piquante de M lle Mars. De santé fragile, Armandine Émilie dut se retirer très tôt des tréteaux ; elle décèdera le 13 avril 1844 aux Batignolles. En 1826, Jean Adolphe devient membre de la Société, et, deux années plus tard, lors de la retraite d'armand 141, il fut à son tour chef d'emploi. Cette position et l accueil bienveillant du public auraient dû lui donner plus de confiance en lui-même ; et cependant ce n'est jamais sans se faire violence qu'il se décide à paraître sur scène, et il a besoin de s'y préparer de longue haleine et se raisonner longtemps à l'avance. Il manque de vigueur, d'énergie, de puissance : sa physionomie, toujours placide, se refuse à la peinture des émotions vives et quand la situation l'anime, sa figure, même au milieu des emportements de la passion, conserve l'air souriant. Aussi est-il mieux placé, incontestablement, dans les rôles qui demandent de la grâce, de la finesse, de la légèreté ; il tient brillamment des rôles de jeunes premiers. En 1829, attendant la représentation de sa tragédie «Henri III et sa Cour», M. Dumas s'était lié depuis peu avec Firmin, il en fit la lecture chez celui-ci à qui il destinait un des principaux personnages. Menjaud avait accepté le rôle de Joyeuse et M me Menjaud celui du jeune page, mais Dumas offrit plus tard ce rôle à M lle Despréaux qui devint M me Allan, et Menjaud, blessé de ce procédé, refusa de jouer dans l ouvrage. Voir aussi http :// com/doc/ /alexandre - Dumas-Henri-III-et-sa-cour page Benoît Roussel dit Armand, doyen de 1828 à 1830, quitte la maison de Molière en

334 Au pré de mon arbre En 1838, bien qu il ne soit pas arrivé a l âge où le repos est nécessaire, et que le rang distingué qu'il occupe a la Comédie-Française n'eut pu que le rehausser encore par de nouveaux succès, il manifeste l'intention de se retirer. M. Vedel, alors directeur, se préoccupe du moyen de le retenir, et y parvient par une représentation donnée a son bénéfice le 5 mai L'année suivante, une transaction amiable, où le ministre intervient, le lie pour deux ans encore. Menjaud joue, criait un honnête particulier ; courons faire queue. Prenez garde aux antécédents, lui répond un ancien, c'est lui qui vous la fera! Quand à sa femme, elle ne coiffe plus que son mari. Alors que George Sand est une romancière déjà célèbre, sa première pièce «Cosima ou la Haine dans l amour» est présentée au Comité de Lecture 142 de la Comédie Française, alors administrée par Buloz. À la page 48 du Journal du Comité de Lecture, on peut relever le passage suivant Le 26 septembre 1839, à onze heures et demie, le Comité de lecture présidé par M. Buloz, Commissaire Royal, et composé de MM. Vedel, Directeur de la Comédie, Monrose, Desmousseaux, Menjaud, Samson, Périer, Joany, Ligier, Beauvallet, Régnier, Guiaud, Geffroy, M mes Dupont, Tousez, Mante, Anaïs, a entendu la lecture d un drame en cinq actes, avec prologue, en prose, ayant pour titre : «La haine dans l amour» par M me George Sand, le Comité a voté au scrutin secret. Dépouillement onze boules blanches, quatre boules rouges, deux boules noires. L ouvrage a été reçu. Jean Adolphe Menjaud y tient le rôle du duc de Florence (mais aux trois dernières représentations il se fait remplacé par Marius) : sans doute en raison d une cabale bien montée par des gens soucieux de faire payer à l auteur ses idées d avant-garde, la pièce dut être retirée après sept représentations seulement! Doué par la nature d'un extérieur propre a représenter l'homme de cour au XVIII e siècle, il porte à merveille l'habit habillé de ce temps-là. Parmi les caractères dans lesquels il se fait remarquer, il en est un surtout, Ce Comité dont la composition très stricte a été réglée par Napoléon dans l'article 68 du Décret de Moscou est constitué d un nombre déterminé de représentants du gouvernement, d écrivains et de comédiens. Toute pièce susceptible d entrer au répertoire y est lue à haute voix et fait l objet d un vote assez étrange puisque les su f- frages s y expriment au moyen de boules de couleurs différentes. 334

335 Les Menjaud celui de Bolingbroke dans «Le Verre d eau 143», qui fit ressortir les nuances distinctives de son talent. Il saisit admirablement le mélange de gravité et d'enjouement qui compose ce personnage. II y est sobre de gestes, et sa gaité de bon goût n'exclue pas la dignité. À ce propos, laissez-moi vous raconter une anecdote : à la seconde galerie, deux femmes qui ne se connaissaient pas. Après le troisième acte, l'une dit à l'autre : «- Quelle belle pièce! - Oui, M lle Plessy est joliment jolie, et celui qui fait le ministre est joliment bon! - Oui, Bolingbroke. Vous trouvez, n'est-ce pas? - Oh! oui. Comme il envoie bien tout cela! - Oui. Eh bien! Savez-vous ce qu'il a mangé à dîner? Du veau aux petits pois. C'est moi qui suis sa cuisinière». Jean Adolphe joue pour la dernière fois le rôle de Saint-Géran, le 30 mars 1842, dans «Une Chaîne 144», qui compte parmi ses meilleures créations, et il quitte la scène dans la plénitude de son talent, et dans une phase où sa présence à la Comédie-Française devient plus que nécessaire. La direction et plusieurs auteurs, considérant son départ comme une «calamité», tentèrent, encore, de le faire retenir par le ministre, mais, résistant aux offres flatteuses, il se retire à Tours. Il s'est retraité au moment où, ayant vaincu sa timidité excessive et la gaucherie qui en résultait, il laisse bien des regrets aux amateurs. Jean Adolphe se remarie après quelques années de veuvage. Comme homme privé, il s'est concilié l estime de ceux qui le connaissent. Naturellement modeste, garçon d'un caractère doux et timide qui ne manque pas de talent et poussant même ce sentiment trop loin, il est d'un commerce facile et liant ; il est, en outre, serviable et se montre D Eugène Scribe. Le verre d'eau ou Les effets et les causes, comédie en cinq actes et en prose. Représentée pour la première fo is au Théâtre-Français, par les comédiens ordinaires du Roi, le 17 n o- vembre Distribution de la pièce : La reine Anne : M lle Plessy ; La Duchesse de Marlborough, sa favorite : M lle Mante ; Henri de Saint-Jean, vicomte de Bolingbroke : M. Menjaud ; Masham, Enseigne au régiment des Gardes : M. Maillard ; Abigail, cousine de la duchesse de Marlborough : M lle Doze ; Le Marquis de Torcy, envoyé de Louis XIV : M. Fonta ; Thompson, huissier de la chambre de la reine : M. Mathieu ; Un membre du parlement : M. Robert. La scène se passe à Londres, au Palais Saint-James. Les quatre premiers actes dans un salon de réception. Le dernier dans la chambre de la reine D'Eugène Scribe. 335

336 Au pré de mon arbre toujours le premier à provoquer une souscription, lorsqu'une infortune vient frapper à la porte du Théâtre-Français. II possède plusieurs talents agréables : ainsi, il se délasse en ciselant au tour ; il aime passionnément la musique et sait chanter. II a même l'amour-propre de se manifester au public sous ce dernier aspect, et on dit que, de son temps, on ne joue guère le Barbier de Séville, de Beaumarchais, qu'il ne revendiquât comme faveur de dire dans la coulisse l'air de Lindor, que roucoule le comte Almaviva sous les fenêtres de sa belle ; et cela au préjudice des chanteurs de profession que cela concerne directement, et disons-le, à plus juste titre. Il est très flatté des applaudissements que lui vaut cette excursion momentanée hors du domaine de ses rôles habituels. Il décède à Tours le 22 novembre 1864 des suites d'une congestion cérébrale. Dans le tableau «Les Sociétaires de la Comédie-Française», peint par E.-A.-F. Geffroy en 1857, Molière est représenté avec ses «créatures», incarnées par les acteurs de la Comédie-Française. Molière est assis à l'écart, à l'extrême gauche du décor librement inspiré des Allées des Arceaux de Montpellier, ville où Molière fit plusieurs séjours avant son installation à Paris. Les personnages sont plus ou moins groupés par pièce, sur l'escalier de droite, les personnages des Fâcheux et du Bourgeois gentilhomme, pièce où Menjaud joua Cléonte en Jean-Adolphe et Amandine en costume de scène 336

337 Les Menjaud Il existe 145 des : - Portrait en pied représentant : Menjaud (dans «Turcaret») - Lithographie en noir sur chine appliquée (30 x 22 cm marges comprises) extraite de la «Galerie des Artistes Dramatiques» publiée à Paris chez Marchant en Portrait en pied gravé de M me Menjaud née Devin. - Belle Gravure en couleurs - tirage d'époque Format 35 x 24,5 cm - Dessin de Lacauchie - En costume dans le rôle d'édouard dans les Enfants d'édouard - Amable Levacher Duplessis (1792-?) Bien que n étant pas un ascendant direct, Amable Levacher Duplessis mérite cependant une place à part entière. En effet il est l auteur du manuscrit maintes fois cité et qui rapporte non seulement l histoire de sa famille, mais aussi de nombreuses réflexions sur l histoire de France (en particulier la Révolution) et sur ses contemporains. Amable est cousin germain de Camille Menjaud et on comprend, à le lire, que les deux familles sont très liées. Il épouse sa cousine germaine Sophie Dupré qui est elle-même cousine d Alexandre Menjaud, le peintre. A propos d Alexandre, Amable nous dit avec espièglerie : «Il était mon oncle par son mariage avec la sœur de mon père, et mon cousin par mon mariage avec sa cousine germaine puisqu'il était fils de la sœur de M. Dupré, père de ma femme. Je fus donc cousin germain de ses enfants par leur mère, de même que ma femme, fille d'émilie Levacher du Plessis, et ma femme et moi sommes leurs oncles et tantes à la mode de Bretagne, ma femme étant cousine germaine de leur père. Il est difficile d'être plus parents.». Certaines analyses d Amable, regardées avec le recul du temps, prêtent à sourire : «A qui et à quoi servira ce fameux télégraphe ; qui s'en servira? Un simple parapluie est plus utile à l'humanité» D autres remarques plus ou moins acides sont toujours d actualité. La «Nouvelle histoire de la Révolution de 1789», par Francis Nettement 146, 1862, reprend certains points de l'histoire familiale : Ensemble extrait de la Galerie Théâtrale ou Collection des portraits en pied des principaux acteurs des premiers Théâtres de la Capitale parue à Paris chez Barraud en Avec sa notice biographique de quelques pages. 337

338 Au pré de mon arbre «Nous devons à M. Duplessis, avocat à Paris, la communication du document auquel nous avons fait allusion. Certes, la famille dont il s'agit était étrangère à une illustration comme celle de Colbert, mais ses alliances et son élévation, à la même époque, communes d'ailleurs à beaucoup d'anciennes familles de la bourgeoisie parisienne, même sans autre condition qu'une fortune honorablement acquise dans l'industrie et le commerce, montrent d'autant mieux que le mouvement ascendant de cette chose, son entrée même dans la carrière des armes, étaient alors quelque chose de fréquent et même de peu extraordinaire. M. Levacher Duplessis, marchand d'étoffes d'or et d'argent, dont le magasin se trouvait près de Saint-Germain l'auxerrois, mort le 29 juin 1688, laissa neuf enfants, le même nombre que le grand Colbert. Deux de ses fils furent chanoines de la cathédrale de Toul ; cela n'a rien de surprenant, puisque le clergé, de temps immémorial, était ouvert à tout le monde ; un troisième fut payeur des rentes à l'hôtel de ville, fonction administrative ; un quatrième, Jean Levacher de Fontenay, fut grand prévôt de l'ile de France, charge d'épée et de robe ; un cinquième, Pierre Levacher Longvilliers, conseiller au Parlement de Metz ; un sixième enfin, Joachim Levacher, capitaine au corps royal du génie. Une des deux filles de Nicolas Levacher Duplessis épouse de Tourmont conseiller au Parlement de Paris, et l'autre, Pierre-Denis Bechet, président de la cour des aides de Paris. Une descendante de Tourmont, Augustine de Tourmont, épousera Jacques Bins, Comte de Saint Victor, homme de lettres 147. Un de leurs fils, Paul de Saint Victor, helléniste et historien, fut le secrétaire de Lamartine, depuis 1848 ; en 1852, Lamartine fait entrer Paul au «Pays 148» où il s'occupera des feuilletons dramatiques - alors qu'il déteste le théâtre. Remarquable écrivain, pour Claudin, il est égal à Balzac, Dumas ou Gautier. Il écrit avec grandiloquence, admire les auteurs nobles, - ce qui ne l'empêche pas de réclamer, lors des obsèques de Murger, qu'on lui prêtât «Le Diable au corps» d'andréa de Nerciat. En 1851, il appartient à la même bohème que Barbey d'aurevilly ; il est très proche de Théophile Gautier, dont il prend la succession à «La Presse», en Edmond About l'attaque, dans «Figaro», en signant Valentin de Quevilly des «Lettres d'un bon jeune homme». Lorsque les Goncourt Lien internet http ://books.google. ch/books?id=obkjaaaaqaaj&pg=pa458&lpg=pa45 8&dq=bar%C3%B3n+de+Busche&source=web&ots=_ NfzNY1uAL&sig= bje_kv_rlwjxeonxkt85i8prmh8&hl=fr#ppa459,m Larousse du 19 e Fondé en 1849 par Charles Alletz et de Bouville 338

339 Les Menjaud écrivent «Les Hommes de lettres», Saint-Victor est un personnage influent, tandis qu'eux sont débutants. Lamartine dit de lui : «Chaque fois que je lis de Saint-Victor, je me trouve éteint». Victor Hugo écrira le 9 juillet 1881 : «Saint-Victor est mort. Coup violent. J'ai pleuré. C'était une noble et grande âme. Il était de ma famille dans le monde des esprits...» Humoriste, on lui prête ce mot : «Il n y a rien d insupportable comme l homme qui cherche cent sous ; on a beau les lui donner, il en a toujours besoin». Sarah Bernhardt, qu il rencontre chez Victor-Hugo, en 1872, en dresse un portrait peu appétissant : «Comme un être odieux / ses joues avaient l air de deux vessies suintant l huile qu elles contenaient ; son nez en bec de corbin était acerbe ; ses yeux méchants et durs ; ses bras étaient trop courts ; son ventre trop gros. Il avait l air d une jaunisse.». En 1857, Paul fut l amant d Alice Ozy, ce dont elle s est toujours défendue. Ami des Huot de Goncourt (il défendra «Henriette Maréchal»), il se brouille - passagèrement - avec eux, en partie à cause de sa liaison avec Lia Félix, une sœur de la célèbre Rachel 149 ; cette liaison donne le jour à Claire, le 26 octobre Edmond Goncourt en est le parrain. Claire sera fanatique de Victor Hugo ; elle crée vers 1890 un salon littéraire fort couru jusqu à la première guerre mondiale. Dreyfusarde Personnage que l on retrouve dans l œuvre d Edmond : La Faustin Élisabeth, dite Rachel Félix ( ) fut remarquée par M lle Mars et entre à la Comédie Française. Sa vie privée et ses nombreux amants parmi lesquels on trouve plusieurs membres de la noblesse, alimente les gazettes de l'époque, et les nombreuses biographies qui lui o nt été consacrées. Elle est très libre en amour, elle joue avec les hommes qui se succ è- dent dans sa vie à un rythme accéléré, et s'imagine à chaque fois, qu'elle vient de rencontrer «l'homme de sa vie». Elle aura deux enfants, issus de liaisons avec des nobles d'empire : Alexandre W a- leswski, né le 3 novembre 1845, le fils du comte Walewski ( ), lui-même fils naturel de Maria Walewska et de Napoléon I er (Rachel est donc la seule femme a avoir donné une descendance à Napoléon!). Alexandre deviendra diplomate. Le cadet est Gabriel- Victor Félix, né le 26 janvier 1848, fils d'arthur Bertrand, lui -même fils du général Bertrand ; il servira dans la marine. Tous deux sont élevés dans la religion catholique, par respect pour leurs pères, bien que Rachel elle- même n' ait jamais renié son appartenance au j u- daïsme. Elle a pour sœurs Sarah, Dinah, Lia et Rebecca, et un frère, Raphaël. 339

340 Au pré de mon arbre bouillante elle a des origines juives par sa mère on la surnomme «Notre-Dame de Révision» : tous les partisans du capitaine reçoivent au 28 avenue Marceau un accueil chaleureux. Elle est décrite de taille presque naine surmontée d une coiffure extravagante avec un chignon instable sous un chapeau haut de forme. Enfin, une arrière petite-fille de Nicolas Levacher Duplessis, marchand d'étoffes, devint la femme du marquis de Cherisey, lieutenant général sous Louis XV, et une autre, Louise Anne Marie Denise de Charron, du marquis Joseph Pichon de la Rivoire, écuyer cavalcadeur de la Dauphine, mère du roi Louis XVII». Nous trouvons dans la grosse du compte de tutelle, donnée au Chastelet le 8 juillet 1688, une semaine après la mort de notre marchand d'étoffes d'or et d'argent, Nicolas Levacher Duplessis, décédé rue Thibautodé 150, marguillier de Saint-Germain l'auxerrois, le relevé de toutes les sentences rendues contre ses débiteurs, tous nobles de cour, dont les noms, la plupart historiques, méritent d'être reproduits. On a tant parlé de l'égalité devant la loi, qui n'aurait existé que depuis 1789, qu'il est curieux de voir comment les princes et les plus grands seigneurs étaient forcés de subir, sous Louis XIV, les sentences du Châtelet. Parmi les débiteurs du marchand d étoffes, nous rencontrons le grand Condé qui est, comme les autres, poursuivi, et qui paie à la requête de Levacher Duplessis ; après lui, le prince de Conti, condamné à payer la somme de dix mille cinq cents livres ; le duc de Valentinois, le maréchal et la maréchale d'humières, le baron de Beauvais, le sieur de Grignan et la dame son épouse (sentence du Châtelet du 6 avril 1686) ; Le comte de Soissons, M. et madame de Vivienne, le chevalier de Béthune, le chevalier de Sourdis, et le duc de Rohan (avec les sentences et les sommes spécifiées). D'autres ouvrages décrivent les Levacher Duplessis comme des réactionnaires nostalgiques de la Royauté. La famille Ruinart Louise Boucher 151, née le 13 avril 1813 à l Aigle, est la petitefille de Émilie Levacher-Duplessis cousine germaine d 'Amable Maisons, 6 Lanternes en Ce tronçon de la rue dont nous nous entretenons serpente entre la rue de Rivoli et celle Saint-Germain-l'Auxerrois. Thibaut-Odet, trésorier d'auvergne en 1242, lui aurait donné son premier nom, au dire de l'abbé Lebeuf ; toutefois on écrivait rue Thibault-aux-Dez au siècle XIII e, et cette orthographe nous reporte à l'existence probable d'un joueu r heureux, qui a bâti pignon sur rue au lieu de se jeter à l'eau Décédée à Blois le 23 juin

341 Les Menjaud Louise épouse le 18 avril 1831, à Paris, Henry Ruinart de Brimont, fils de François, homme politique, maire de Reims, viticulteur ; il avait accueilli Charles X pour son sacre. Il sera un ardent promoteur des vins de Champagne dont la maison Ruinart est toujours un des plus grands producteurs. On pourra regretter que les familles se soient perdues de vue. 341

342

343 Les Magnol Le nom de Magnol est porté par une illustre famille originaire d'annonay, implantée à Montpellier depuis la fin du XVI e siècle. Ses premiers représentants dans cette ville exercèrent la profession d'apothicaire. Les suivants la délaissèrent pour celle, plus honorable alors, de médecin. Depuis et jusqu'à nos jours, de nombreux membres de cette famille ont exercé l'art de guérir. Grâce aux travaux d'érudition de Louis Irissou 1, nous pouvons préciser que, le 26 mars 1585, Jean Magnol 2, originaire d'annonay, vient à Montpellier : il frappe à la porte de Gabriel Sanche 3, maître apothicaire de la ville, à qui il a été recommandé. Le décès d'un Antoine Magnol survenu le 5 juin 1666, à l'âge de 85 ans, donne à penser qu'un de ses jeunes parents est venu le rejoindre par la suite 4. Dès son arrivée, Jean sollicite des consuls du corps des apothicaires 5 l'autorisation de servir en boutique, ce qui lui est accordé le 4 avril 1585, date de son immatriculation : les démarches administratives allaient bon train! 1 - Jean Magnol, compagnon apothicaire, L. Irissou, Montpe l- lier, Causse-Graille-Castelnau, Sa date de naissance nous est inconnue ; toutefois si l'on se réfère à l'âge qui lui est donné à sa mort, on peut penser qu'il vit le jour aux environs de Apothicaire à Montpellier comme son père et son grand - père, il tient son officine rue de l'argenterie et est qualifié de fou r- nisseur du roi de Navarre et d'apothicaire du roi. Son arrière -grandpère, d origine catalane, s'installe à Montpellier comme maître tei n- turier, et cité en 1525 habitant une maison avec jardin «au-devant de Sainte-Catherine». 4 - Archives municipales de Montpellier, Registres de la R.P.R., GG. 336, f Les statuts de 1572 à Montpellier signent une organisation laïque du collège des apothicaires. Approuvés par le roi ils ont force de loi, hissant ainsi la profession à celui de gens de robe, séparant l'apothicaire de l'épicier bien avant le statut royal de 1777 signé par Louis XIV et applicable à toute la France. 343

344 Au pré de mon arbre Il travaille aussitôt chez Louis Bosc. François Montchal, d'annonay lui aussi, époux de Marguerite Barrière, s'était fait aider, de son vivant, depuis 1566, par Jean Bonnet, son compatriote. À sa mort 6, en 1574, son garçon avait continué à tenir l'officine non sans avoir, dès le 20 mars 1575, conquis la maîtrise. Mort à son tour en 1585, la veuve Montchal, trouve tout naturel de faire appel à un nouveau garçon originaire d Annonay : Jean Magnol quitte soudainement Louis Bosc, sans préavis, ce qui lui vaut une sanction de trois mois pendant lesquels il lui est interdit de se placer. Le 26 mars 1586, la sanction est levée et Jean signe un contrat 7 avec la veuve Montchal qui tient la «boutique verte» de son mari, rue Dorée 8, là où s'élèvera l'hôtel de Flaugergues 9. Ce contrat reconnait qu'il participe à la gérance de la boutique comme compagnon apothicaire ; il servira en boutique pendant treize ans. Mais il lui faut d abord satisfaire, en présence du vice-chancelier de l'université de Médecine, Nicolas Dortoman, à un examen probatoire dont il se tire, n ayons pas peur des mots, médiocrement, le 20 octobre Assuré quant à son avenir immédiat, il songe à se marier, à une date vraisemblablement voisine de Sa femme, Françoise de Janet, 6 - Les veuves d'apothicaires en effet, comme celles des ch i- rurgiens d'ailleurs, avaient le droit de conserver l'officine ou la bo u- tique de leur époux en se faisant aider par un garçon reconnu apte à tenir cet emploi. 7 - Par le contrat de bail relatif à la gérance, le métier d'ap o- thicaire pouvait être assimilé à celui de droguiste. 8 - Aujourd hui rue de la Loge : rue principale au Moyen - Âge ; s appelait rue Dorée à cause des nombreuses boutiques de b i- joutiers. Au n 19 bis, dans le fond d un bar -tabac, on trouve le puits de Saint-Roch. Il n est visible que le 16 août, jour où les pèlerins venus d un peu partout font la queue pour recevoir l eau qui autr e- fois désaltéra le saint, de passage à Montpellier. La journée se pou r- suit par une procession et un office à l église qui porte son nom. On ne tire pas d eau en dehors de ce jour -là. 9 - Pierre Flaugergues, contre-garde pour le roi au grenier à sel de Montpellier, possédait un immeuble derrière celui de Pascal et sur deux rues, qui passa en 1687 sur la tête de Marie Flaugergues, épouse d'henry Grefeuille, receveur et payeur alternatif d es gages des officiers du bureau des finances de Montpellier ; il confrontait Jean Magnol, maître apothicaire, plus tard Pierre Magnol (1701), (testament du , Marqués notaire, ). 344

345 Magnol était, dit Planchon, originaire de Mèze. De cette union naîtront plusieurs enfants, probablement neuf 10. Il est compagnon apothicaire depuis 1585 et désire se mettre à son compte. En 1599, il décide de recevoir les insignes de la maîtrise, ce qui va encore lui valoir de longs et pénibles examens. Pour obtenir ce niveau, il doit en effet faire ses chefs-d'œuvre dont les formules se trouvent dans la Pharmacopoea Monspeliensis, codex imposé par les nouveaux statuts d apothicaire. Commencés le 21 mars 1599, ces examens ne se terminent que le 27 avril 1601 ; il reçoit alors les ornements de son grade. Il est invité à prêter serment devant le chancelier de l'université de Médecine Jean Hucher 11, sous le parrainage de Jean de Clausanges, Maître apothicaire. C'est à ce moment-là qu il ouvre l'officine de la rue de la Vieille, à deux pas de la rue de la Loge, officine qu'on pourra encore voir à la fin du XVIII e siècle. Particulièrement estimé de ses collègues, il est appelé à les représenter en différentes circonstances. Louis Irissou nous apprend qu'il fut 6 fois consul des métiers, 2 fois procureur, une fois consul majeur, une fois consul de mer et deux fois membre du conseil des 24. Jean Magnol appartient à la R.P.R. («Religion prétendue réformée»), ce qui, dans une ville qui est un des principaux foyers de la nouvelle religion, ne peut lui nuire, bien au contraire Il n'en sera pas de même pour sa descendance! Jean meurt rue de la Vieille, le 11 septembre 1632, âgé de 70 ans. Nous ne pouvons préciser la date de naissance exacte de son fils aîné, Claude ; Planchon avance la date du 25 février 1596, ce qui paraît plausible si l'on en croit l'âge qui lui est donné au moment de sa mort. En tout cas, il ne doit pas été confondu avec une de ses sœurs, également prénommée Claude, qui naît à Montpellier le 2 novembre L'officine, en ce temps-là, étant héréditaire, Claude Magnol se trouve appelé à embrasser la profession. En 1618, il obtient la maîtrise, mais il semble alors qu'il s établisse à son compte et non pas dans la boutique paternelle de la rue de la Vieille 12. Nous savons peu de choses sur 10 - Des lacunes dans les registres de la R.P.P. entre 1595 et 1599 ne permettent pas de connaître les naissances qui eurent lieu à ce moment-là Jean Hucher était né à Beauvais en Picardie. II fit ses études à Montpellier, du moins celles de médecine, y prit ses degrés et fut professeur en 1570, chancelier en L.Irissou, op. Cit 345

346 Au pré de mon arbre lui, si ce n'est qu'il est passionné d'histoire naturelle, et qu'il collectionne toutes sortes d'objets s'y rapportant 13. Claude Magnol est un Maître Apothicaire distingué dans sa profession, exact jusqu'au scrupule dans la composition des médicaments, et très attentif à ramasser et à conserver chez lui ce qu'il y a de plus rare dans les classes des animaux, des végétaux et des minéraux. Cette attention, qui le met en état d'exécuter fidèlement et en tout temps les prescriptions des médecins, forme chez lui une espèce de bibliothèque, très commode pour ceux qui veulent connaître les diverses productions de la nature. C'est dans cette ambiance que sont élevés ses sept enfants issus du mariage qu'il contracta le 16 août 1620 avec Lisette de Ranchin, fille d'étienne de Ranchin, bourgeois et de Jeanne Amalric, familles farouchement protestantes. Lisette Ranchin 14 On sait qu un Jacques Le Chandelier originaire de Rouen, Gilles Le Douesne, originaire de Ruffec furent compagnon chez Magnol vers 1655 ; Philippe Durry, originaire de Chastillonsur-Loing (Gâtinais) poursuit son apprentissage dans la boutique de Maître Claude, et se fait enregistrer le 25 juin 1667; et Jean Louis, originaire de Bourges, vers 1669, et Jean Despriez, originaire de Nesle (Picardie) qui se fait enregistrer le 26 juillet 1670, poursuivent leur apprentissage dans la boutique de Magnol. Claude Magnol décède le 13 février Nous passerons rapidement sur la vie de sa fille aînée, Jeanne, née le 24 août Elle nous intéresse uniquement par le mariage qu'elle fait, le 7 avril 1640, avec Pierre Beyres, maître apothicaire, dont on retrouve souvent le patronyme dans l'histoire de la pharmacie montpelliéraine A. Gauteron, Éloge de M. Magnol (Éloges des académ i- ciens de Montpellier, par R. Desgenettes) Toile appartenant à la famille Magnol Archives mun. de Montpellier, Registres de la R.P.R., GG f Archives mun. de Montpellier, Registres de la R.P.R. GG. 326, f Archives mun. de Montpellier, Registres de la R.P.R., GG. 368, f

347 Magnol Nous n'avons pas non plus grand-chose à dire de César, né le 29 juillet Troisième enfant de la famille, mais le premier survivant mâle, il se fait immatriculer le 4 février 1642 en vue d'exercer plus tard le métier de son père 19. Nous manquons malheureusement de précisions sur son compte. Il meurt prématurément le 3 septembre 1666, âgé de 38 ans20, apparemment sans descendance. Pour l anecdote, relative aux Magnol, vers la seconde moitié du XVII e siècle, le curé de Notre-Dame-des-Tables se plaint auprès des Consuls et réclame un lieu de sépulture pour ses paroissiens ; sa demande finit par être entendue et la ville achète hors de la porte de la Saunerie le champ de M. Magnol, situé à la bifurcation des routes de Villeneuve-les- Maguelone ou de Saint-Martin-de-Prunet et de Béziers, qu'elle destine à devenir cimetière. Plus tard, le 30 août 1699, pose de la première pierre de l'église Saint-Denis à l'emplacement du cimetière ; le terrain hors de l'emplacement de l'église resta cimetière : il ne contenait plus qu'une sétérée 21 et demie Pierre Magnol Pierre Magnol voit le jour à Montpellier le 8 juin Dernier ou avant dernier né de la famille, il a tout le loisir de choisir sa profession. Du côté paternel, il est fils et petit-fils d apothicaires ; sa mère est issue d une famille qui tient le haut du pavé : Étienne Ranchin, son arrière grand-père, originaire d'uzès, fut jurisconsulte de Montpellier. Son mérite lui ayant fait obtenir à Montpellier une place de professeur en droit, il y attire Jean Ranchin, son frère, grand-vicaire et official d'uzès, qui devient conseiller en la cour des aydes de Montpellier en Étienne lui succédera dans cette charge en 1561, et il établit dans cette ville une famille nombreuse, qui produira quantité de sujets distingués dans la robe, l'église, la médecine, et les belles-lettres. Étienne fait des notes sur les décisions du célèbre juriste grenoblois Guy de la Pape, qui se trouvent imprimées dans l'édition de Lyon en 18 - Archives mun. de Montpellier, Registres de la R.P.R., GG. 327, f L. Irissou, op. cit Archives mun. de Montpellier, Registres de la R.P.R., GG. 336, f La sétérée («sestéra / sestérè» en patois) est la surface pouvant être ensemencée avec un sétier de grain. Le sétier = 12 boi s- seaux de 24 litres Arch. mun. de Montpellier, Registres de la R.P.R., GG , f

348 Au pré de mon arbre 1577 ; mais son principal ouvrage est celui qui a pour titre : «Miscellanea decisionum juris tam civilis quùm canonici, ex magis approbatis & receptis autoribus» : c'est un sommaire des règles les plus certaines et les plus usitées du droit, où, sans proposer des espèces, comme plusieurs avaient fait avant lui, il se contente pour rendre son ouvrage 23 plus court, d'indiquer les auteurs qui appuient ses décisions. Ranchin compose ce livre, comme il le dit dans la préface, durant les premiers troubles de religion en L'interruption des écoles lui en donne le loisir ; et comme il ne quitta pas la ville, il fut témoin des désordres qui s y passent, et dont il fait un récit abrégé dans la même préface. Étienne Ranchin meurt en 1583, à l âge de 73 ans, comme on le voit par cette inscription que François, l'un de ses fils, chancelier en médecine, fit graver sur la façade du collège de sainte Anne, à la fondation duquel Étienne avait beaucoup contribué: D. M, STEPHANI RANCHINI Uceticensìs in Suprema Subsidiorum çuriâ Senatoris, & in Placnatineâ academiá professoris primarii ; fiorentissima famillia parentis ; qui anno Domini M D LXXXIII, etatis LXXIII, professionis XL, in hoc Montepelio diem obiens novissimam, ut posteris suum erga hanc scholam testaretur amorem, in proxima D. Anna. ade corpus condiri testamento jussit. Étienne eut des fils, dont François, Jean et Guillaume, qui suivent. François Ranchin, naît à Montpellier vers l'an II embrasse dans sa jeunesse l état ecclésiastique comme on le voit par les lettres de doctorat qu'il donnera en 1615 à Jean-Étienne Strobelberger, où il prend le titre de prieur de Saint Martin de Florac, de Saint Étienne de Montaut, et de Saint Pierre de Vebron 24. Il conserva ces trois bénéfices pendant qu'il fit ses études de médecine, et même après son mariage avec Marguerite de Carlencas, comme il était assez ordinaire en 23 - Cet ouvrage fut imprimé in-folio en 1580, & dédié à Pierre de Panissa, son ami premier président en la souveraine cour des généraux c'est le nom qu'on donnait alors à la cour des aides. Ce livre a été traduit en français, et imprimé à Genève en 1709, sous ce titre : «Les décisions d'étienne Ranchin ra n- gées par ordre alphabétique, avec des annotations, par rapport aux constitutions de Louis le Grand, par Philippe Bornier, natif de Montpellier et réfugié en Brandebourg». La préface de Ranchin est supprimée dans cette traduction Titres dont il a été pourvu par Henri IV. 348

349 Magnol ce temps-là. On lui en fera le reproche : Jean Riolan rapporte 25 une lettre de Pierre de Fenouillet, évêque de Montpellier, du 6 août 1634, dans laquelle ce prélat se plaint de ce que Ranchin après avoir joui des revenus de plusieurs bénéfices ecclésiastiques, durant environ trente ans, s'étant marié avec une femme de la religion prétendue réformée, laquelle feignit, pour l'épouser, de se faire catholique, et, depuis, fait profession ouverte de l'hérésie, gardait néanmoins tous les titres de la faculté de médecine, au risque qu'ils soient divertis après sa mort. François commence à étudier la Médecine en 1587, et obtint le bonnet de Docteur en Il succède à Jean Saporta en La charge de Chancelier ayant été vacante 26 pendant trois ans après la mort d'andré du Laurens, depuis 1609, qu'il mourut, jusqu'en 1612, Ranchin réussit à réunir les suffrages des Professeurs en sa faveur, au prix d un marchandage, celui de donner un tapis pour la grande table du conclave, et de faire faire une robe de Rabelais neuve 27, à la place de celle dont on se servait, ce qu'il exécuta. Il est fait chancelier ; Ranchin aime sa Faculté, et ne néglige rien pour embellir les Écoles, et durant plus de trente ans qu'il possédera cette charge, il travaille sans relâche pour l'honneur de sa faculté tant par les réparations qu'il fait faire aux collèges de médecine, que par les traités qu'il donne au public. En 1620, il fait établir un nouvel amphithéâtre d'anatomie à la place de l'ancien, bâti du temps de Rondelet, qui tombe en ruine, et il y place plusieurs anciens marbres, qu'il se procure des anciens édifices de Nîmes ; il orne, la grande salle des Actes, des portraits des Professeurs qui y avaient enseigné la Médecine ; et pour suivre cet exemple, on y place depuis les portraits de tous les Professeurs. II ajoute aux inscriptions anciennes, qui sont sur la façade des Écoles, deux inscriptions en l'honneur de Jean Hucher, et d'andré du Laurens «Curieuses recherches sur les écoles en médecine de P a- ris & de Montpellier», par Jean Riolan 26 - Temps pendant lequel on était obligé de mettre «vacante Cancellariatu» au bas des lettres qu'on expédiait aux Docteurs, et où le chancelier avait droit de signer Ce qu il fit en 1612, Ranchin fit mettre en broderie, sur la robe, ces trois lettres F. R. C. qui signifiaient, à ce qu'il disait, Franciscus Rabelaesus Chinonensis, mais que les mauvaises langues tradu i- sent Franciscus Ranchinus Cancellarius. La robe de Rabelais que portent actuellement les étudiants en médecine, lors de leur soutenance de thèse, n est pas authentique! 349

350 Au pré de mon arbre La même année il répare le Collège de Mende 28 qui menace de tomber en ruine, où il a fait sa demeure. Ce qu'il y a de plus louable, c'est qu'il fait ces établissements et ces réparations à ses dépens, mais il peut faire face à ces dépenses sans peine, outre qu'il est riche et qu'il a été pourvu dans sa jeunesse de trois bénéfices, dont il jouit encore, même étant marié, par un abus qui est assez commun à l époque. Par ces manières généreuses, il s'attire l'amitié et la confiance de ses Collègues, qui consentirent qu'il eût la préséance dans toutes les assemblées en qualité de Chancelier ; ils croyaient que cette complaisance ne tirerait pas à conséquence, en quoi ils se sont trompés, car les Chanceliers suivants s'en font fait un titre, pour jouir de cette préséance, au grand préjudice de la Faculté. Mais s il eut à payer, il s'en rétribue en quelque manière, par les inscriptions qu'il y met, pour nous apprendre que c'est à lui qu'on en a l'obligation : voici l'inscription qu'on peut lire sur l Amphithéâtre : Q. F. F. S. Theatrum hocce anatomicum olim a majoribus constructum, injuria temporis collapsum, F. RANCHINUS, Cancellarius & Judex Universitatis, in gratiam patriae, & posteritatis gloriam, ornamentumque Academiae, perpetuamque memoriam, propiis sumptibus restauravit, & magnifice exornavit, anno M. DC. XX. Et l'inscription qui est sur le Collège de Mende, est du même acabit : Q. F. F. S. Collegium hocce duode cim Medicorum, ab Urbano V. P(ontifice) M(aximo) fundatum vetustate corruptum, & ruinam minitans reparavit & ad meliorem faciem formamq(ue) reduxit F. RANCHINUS Cancellarius Universitatis Med(icinae) Monspel(iensis) anno M. DC. XX. Et plus est, il place son buste du côté du jardin, avec les armoiries des Ranchin au bas. En 1627 François Ranchin fait imprimer à Lyon «Opusculá medica», in-4 ; ce recueil comprend un traité général sur toutes les maladies, et plusieurs autres sur certaines maladies en particulier. On trouve au commencement de ce livre une «Histoire abrégée de la faculté de médecine de Montpellier», dans un discours qu'il avait fait autrefois à l'ouverture du collège, qui a pour titre : «Sacrum Apollinare». Il y met, 28 - Au n 1 de la rue Germain, à Montpellier. Fondé en 1369 par Urbain V, originaire de Grizac (Lozère), pour douze Écoliers en Médecine du Diocèse de Mende 350

351 Magnol comme dans tous ses ouvrages, beaucoup d'esprit et de vivacité, surtout dans sa préface sur le serment d'hippocrate 29. François Ranchin est premier consul 30 et viguier en 1629, du temps où la peste ravage la ville, et il n'omît rien de ce qui est en son pouvoir pour empêcher de plus grands désordres. Il se donne droit de vie ou de mort sur quiconque. Il isole les pestiférés dans des bidonvilles qu il installe dans les faubourgs et ainsi parvient à enrayer ce terrible fléau. Il compose à cette occasion un traité 31 de la peste qui fait toujours ses ravages en Occident, dans lequel on trouve une histoire détaillée de celle dont il vient d être témoin : il y marque les précautions qu'il faut prendre pour préserver les villes de la contagion, la manière de se conduire quand le mal y est entré, etc. Ranchin s y montre sous un jour assez curieux où l'homme d'action qu'il sait être à l'occasion fait place au croyant superstitieux du Moyen Age. «La lèpre, dit-il, est un fléau envoyé par Dieu pour punir les hommes. Moïse l'a dit. Il faut donc s'incliner. De ce fait tout essai de thérapeutique devient inutile. C'est l'affaire du prêtre et non du médecin». Il déclare que la lèpre a des formes différentes suivant qu'elle frappe un arabe, un juif ou un chrétien! Le traité sur la vérole qui lui fait suite est plus objectif. Il reconnaît le caractère contagieux de la maladie, par contact. Il traite à part la blennorragie et peut-être la maladie de Nicolas et Favre (bubons vénériens), mais, par la suite, il mélange chancres, gommes, verrues, carnosités, pustules, etc. Ne lui reprochons cependant pas de n'avoir pas vu plus clair dans les différentes maladies vénériennes : Les savants du XVIII e siècle ne feront pas mieux! Dans «Des maladies et accidents qui arrivent à ceux qui courent la poste et des moyens pour conserver les courriers et pour les guérir», on voit que Ranchin s intéresse aussi à la médecine du travail : il étudie les maladies contractées par les employés du service de la poste qui se faisait alors à cheval. L'auteur étudie successivement la lassitude, les courbatures, les excoriations des fesses, les traumatismes par chute, les troubles de la vue causés par le mouvement et par le vent, etc. et inclut la blennorragie dans ces maladies professionnelles! Tout aussi intéressant est le traité suivant sur la géhenne, ouvrage médico-légal. Il y étudie les maladies et les délabrements causés par la torture : syncopes, luxations, dilacérations des chairs, extirpation des doigts et des orteils, fièvre, insomnie, etc. Notons qu'il s interroge s'il 29 - «l Histoire ecclésiastique de Montpellier», par Charles d'aigrefeuille Le maire de l époque Ce traité fait partie du recueil intitulé : «Opuscules, ou Traités curieux en médecine de François Ranchin, etc.» â Lyon, 1640, in

352 Au pré de mon arbre n'est pas possible de rendre ces malheureux insensibles à la douleur soit par art magique, soit par des remèdes naturels. Vient ensuite une étude tout aussi curieuse sur la cruentation 32. Il était alors classique de croire qu'un cadavre se mettait à saigner lorsqu'il était mis en présence de son assassin. Ranchin étudie la question dans ses détails, envisageant même l'intervention du démon, des sorciers, des esprits et même de l'âme du mort. Le procédé, nous apprend-il, s'applique aussi à des membres isolés. Vu les croyances de son époque, il semble que Ranchin n'ait pas voulu s'inscrire en faux contre ce procédé, mais il sème le doute chez son lecteur en se demandant comment il se fait que la cruentation ait lieu quand il s'agit de découvrir l'assassin et ne se manifeste plus quand il est connu? Le sujet suivant touche à la pharmacologie. Il traite de la nature, vertus et propriétés des cerfs et passe en revue leur sang, leur semence, leur chair, leurs cornes, etc., sans oublier l'eau de tête, l'os du cœur, les larmes et le fiel. Tout cela faisant alors partie de la pharmacopée d usage courant à l époque Il s interroge aussi sur l odeur de la violette que la térébenthine donne aux urines. François Ranchin se marie deux fois, d abord avec Marguerite d Estève dont il a plusieurs enfants, ensuite avec Marguerite de Carlencas le 6 mai François Ranchin meurt en 1640 laissant un fils qui succéda à tous les bénéfices, et une fille, qui épouse M. de la Beaume, lieutenant du roi de la ville de Montpellier. Il laisse sa bibliothèque aux Capucins de Montpellier. Quant à Jean Rachin, autre fils d'étienne, il est seigneur de Savillac dans l'épître dédicatoire à Robert de Girard, évêque d'uzès qui est à la tête du livre d'étienne Ranchin 33, sur le chapitre «Rainetius extrà de testamentis» Nom donné à l époque au phénomène du suintement et même du jaillissement de sang, plus ou moins de temps après la mort, par les plaies d'une personne tuée ; phénomène auquel on a t- tachait une valeur superstitieuse et fausse pour la découverte des meurtriers C'est une continuation du traité que Benoît, jurisconsulte et conseiller au parlement de Toulouse, avait co mmencé sur un chapitre du texte, mais qu'il avait laissé imparfait. Ranchin en a fait la troisième partie que Benoît n'a pu achever ; le tout fut imprimé à Lyon en

353 Magnol Guillaume Ranchin, autre fils d'étienne, est professeur en droit de l'université de Montpellier. Il fait imprimer 34 en 1594, un traité sur les successions «ab intestat», intitulé : «Guillelmi Ranchini in Monspeliensi Scholâ antecessoris traclatus de Successionibus ab intestato», à Lyon, in-12, dédié à Pierre de Rosel, ancien juge-mage de Nîmes, et alors premier président en la cour des aides de Languedoc. Ranchin concilie dans ce traité le droit français avec le droit romain. À la page 377 de «L'histoire ecclésiastique de Montpellier», Charles d'aigrefeuille ajoute que Guillaume Ranchin fut dans la suite avocat général en la cour des aides de Montpellier, et qu'il fit dans l'exercice de cette charge plusieurs discours qui furent imprimés en 1604, dans, un livre qui a pour titre : «Premier recueil des publiques actions d'éloquence française». II n'y a dans ce recueil que quatre discours de Ranchin, dont le plus remarquable est celui qu'il fit en 1598, sur l'enregistrement des lettres de survivance au gouvernement de Languedoc, de Henri de Montmorency, fils du dernier connétable de ce nom. Guillaume Ranchin, meurt en 1605, n'ayant encore que quarantecinq ans, comme on le voit par cette inscription mise sur la façade du collège de sainte Anne à Montpellier : D. M. GUILLELMI RANCHINI Monspeliensis, Stephani filii, & ejusdem in Placentineâ professione successoris, viri consularis, & in tribunali Tolosano Senatoris, defuncti & sepulti in Montepelio, anno M D C V, etatis XLV. Henri de Ranchin, conseiller en la cour des comptes, aides et finances de Montpellier, a fait imprimer en 1697, à Paris, chez Delaulne, «les Psaumes de David» en vers français, dédiés à Louis XIV». On a encore d'autres poésies du même. Jacques de Ranchin, conseiller en la chambre de l'édit et originaire de Montpellier par son père et sa mère, est auteur du fameux triolet, qui commence ainsi : Le premier jour du mois de may Fut le plus beau jour de ma vie, etc Il est auteur d'autres poésies On cite encore : «Edictum perpetuum à Salvio Juliano J. C. compositum, à Guillelmo Ranchin restítutum», in-8 ; «Variarum lectionum libri III», à Paris, Plantin, 1597 in-8, et «Révision du concile de Trente, contenant les nullités d'icelui, les griefs des princes chrétiens, de l Église gallicane, etc.». in-8, à Genève, en

354 Au pré de mon arbre Revenons à Pierre Magnol : chez les apothicaires et chez les chirurgiens aisés de la ville, obtenir qu'un des leurs prit rang parmi les docteurs en médecine est le plus cher de leurs désirs. Très tôt Pierre se passionne pour l Histoire naturelle et la Botanique 35 tout en s intéressant à la Médecine et à la Physique disposant d une des universités les plus fameuses de l époque. Pierre ne déçut pas les siens ; immatriculé à l'université de Médecine le 19 mai , il parcourt très régulièrement le cycle de ses études : bachelier le 28 août 1657, licencié le 1 er août 1658, il reçoit les insignes du doctorat le 11 janvier Mais, ayant satisfait à ses obligations filiales, il semble bien qu'il se soit gardé de faire de la clientèle. À partir de cette année là, il consacre une grande partie de son temps 38 à l étude de la Botanique, parcourant pendant près d'un quart de siècle, la garrigue languedocienne et cévenole. Sa réputation de botaniste parvient jusqu'à Paris où Antoine Vallot 39, premier médecin du Roi et ancien docteur de Montpellier, s'intéresse au Jardin Royal de la capitale, alors bien négligé. Il dépêche un de ses amis, Denis Jonquet 40, à Montpellier en 1663, pour étudier sur place, en compagnie de Pierre Magnol, les améliorations qui pourraient être faites au jardin parisien en s'inspirant des réalisations effectuées à celui de Montpellier. Jonquet revient de sa mission si enchanté de l'accueil que lui a réservé Magnol que Vallot lui obtient, le 12 décembre 1663, un brevet de médecin royal, titre honorifique sans fonction officielle il est vrai. L'année suivante, Vallot recommande encore à Magnol son ami Guy-Crescent 35 - Lors de sa fondation en 1593 par Pierre Richer de Bell e- val, le Jardin des Plantes de Montpellier est destiné à la culture des simples mais le projet de Richer dépasse bientôt les plantes médic i- nales qui servent à l enseignement des futurs médecins et ap othicaires pour devenir un véritable outil d étude botanique, inédit à l époque Et non en février comme disent certains. Archives de la Faculté de Médecine de Montpellier, S. 20, f 278 v Archives de la Faculté de Médecine de Montpellier, S N étant pas issu d une famille très riche on pense tout e- fois qu il subvint à ses besoins en exerçant la médecine Antoine Vallot est né à Arles en 1594 ou 1595, et mort le 9 août 1671 au Jardin Royal à Paris. Ce qui a marqué le début de sa carrière auprès du roi Louis XIV, c'est le traitement de sa maladie de petite vérole qu'il eut en Directeur du Jardin des plantes, il cultive des plantes à Saint-Germain des Prés. Mort le 6 septembre

355 Magnol Fagon 41, alors en voyage en Languedoc. Les deux botanistes se lient d'une amitié solide et durable qui devait servir, bien plus tard, les intérêts de Pierre Magnol aussi bien que ceux de l'école de médecine de Montpellier. En 1664 le poste de «Démonstrateur 42 de plantes» étant vacant à l université de Montpellier, Pierre Magnol postule à cette fonction mais on écarte 43 sa nomination pour des questions religieuses. Il faut dire que sa famille a adopté le calvinisme. En 1667, pour le même motif, la chaire de Professeur de Médecine lui est refusée. Deux chaires sont déclarées vacantes par suite du décès de Pierre Benoit 44 et de Pierre Sanche père 45, et une dispute est ouverte en Magnol y participe en compagnie d'andré Brunel, de Jérôme Tenque, d'arnaud Fonsorbe et d'edmond Morphée. Les épreuves de Magnol sont plus que brillantes et son nom est retenu en premier pour être présenté au Roi 46. Malheureusement la police royale veille à ce que les protestants n accèdent pas à une fonction publique ce qui le fait écarter sans appel d'une de ces deux chaires qui reviennent respectivement à Tenque et à Brunel. En attendant, sa réputation ne fait que croître et les principales sociétés savantes de l'europe se l'associent. Les étudiants se pressent 41 - Guy-Crescent Fagon ( ), médecin de Louis XIV et directeur du Jardin du Roi ; petit-neveu de Guy de la Brosse, son parrain, fondateur du jardin du Roi (actuel Jardin des Plantes) Démonstrateur : personne qui enseigne ou expose en montrant les choses dont il parle. Au Jardin des Plantes le s cours de chimie sont faits à la fois par un professeur et un démonstrateur. Le premier rôle est tenu par le médecin ordinaire du roi qui dispense son enseignement sans jamais s abaisser à manipuler les drogues. Le second rôle est celui du démonstrateur q ui appuie, au moyen d expériences, les propos de son collègue lorsque celui -ci a terminé son exposé. Le démonstrateur de plantes indique ces dernières avec une baguette. À cette époque on distingue le jardin de démonstr a- tion du jardin de production Bien que Montpellier soit un bastion du protestantisme, le catholicisme romain est religion d'état et la discrimination rel i- gieuse est toujours en vigueur malgré l'édit de Nantes sig 1598 qui avait mis, en France, un terme aux guerres de Religion Pierre Benoît, originaire de Carcassonne, fut docteur en 1658.Il ne jouit pas longtemps d une Chaire qu il a acheté. Le 29 décembre 1664 ; il meurt en Pierre Sanche est de Montpellier et fut promu docteur en 1616 ; le 10 mai 1641, il obtient la chaire laissée vacante par la mort de François Ranchin ; il meurt en Nous avons les 12 questions qu il publia, après les avoir soutenues les 9, 10 et 11 avril

356 Au pré de mon arbre nombreux à ses herborisations. Parmi eux figure Joseph Pitton de Tournefort que nous trouvons à plusieurs reprises à Montpellier entre 1679 et C'est pour son jeune auditoire qu'il décide de publier en 1676, un catalogue alphabétique des plantes de la région. Le succès de ce livre est tel qu'une nouvelle édition voit le jour en Pendant 20 ans Magnol campe sur ses positions jusqu au moment où l Edit de Nantes est révoqué en octobre N envisageant pas, comme beaucoup de Huguenots le firent alors, de fuir la France, la révocation devait avoir les plus grandes conséquences sur la vie de Pierre Magnol qui, le 30 octobre de cette année-là, abjure la religion 48 de ses pères en compagnie d'un de ses frères, Paul, Trésorier Général des Finances 49. Cet acte lui ouvre la voie : le chancelier Michel Chicoyneau, appelé à Paris en 1687 pour les affaires de l'école, confie à Pierre Magnol le soin de démontrer les plantes aux étudiants en médecine, ce qu'il fait à la satisfaction de tous, non seulement dans le Jardin des Plantes, mais encore dans la campagne. Malheureusement pour Magnol, le chancelier avait une nombreuse famille qui ne lui laissait aucun espoir d'occuper un jour la chaire d'anatomie et de botanique qui revindra à François Chicoyneau 50, troisième fils de Michel. Aussi Pierre reprit-il ses herborisations comme par le passé, dirigeant ses pas cette fois-ci vers la Provence, les Alpes et même la Suisse Botanicum monspeliense, Lyon, F. Bourly, 1676, et Mon t- pellier, D. Pech, C'est donc par erreur que ses biographes placent son a b- juration en 1694, époque sur laquelle nous aurons à revenir. Rema r- quons simplement que l'invitation de Michel Chicoyneau à le re m- placer en 1687, se situe moins de deux ans plus tard, ce qui est sign i- ficatif Archives municipales de Montpellier, GG. 43, f 43 v Un épisode à la fois dramatique et rocambolesque ma r- qua son activité auprès du monarque. De retour de la guerre en Flandre, Louis XV s arrêta à Metz où il tomba gravement malade au point que l on craignit pour sa vie. Aidé de Lapeyronie, premier chirurgien du Roi, Chicoyneau réussit à faire retrouver au Roi sa santé en 15 jours. Pour la petite histoire, le Roi vivait à cette époque une liaison avec la Duchesse de Châteauroux. On raconte q ue le renvoi de cette dernière par son confesseur fit autant pour la guérison du Roi que les praticiens à son chevet. 356

357 Magnol En 1693, grâce à la protection du savant naturaliste Joseph Pitton de Tournefort ( ) et de Guy-Crescent Fagon 51 il est nommé docteur à la cour du Roi, et suppléant au Jardin royal de Montpellier. Magnol ne fait qu un court séjour dans la capitale : nous sommes en 1694 ; notre botaniste se trouve alors à Paris auprès de son ami Fagon, devenu premier Médecin du Roi depuis un an à peine, lorsque la nouvelle de la mort d'aimé Durant, professeur à l'université de Médecine de Montpellier, parvient à leurs oreilles. Sans attendre, Fagon plaide auprès du Roi la cause de Magnol, invoquant le brillant concours qu'il avait soutenu 26 ans plus tôt. Le premier médecin du Roi est assez heureux pour obtenir l'agrément de Louis XIV, et Pierre Magnol reçoit son brevet de professeur royal le 13 septembre Il va occuper une des quatre chaires fondées en Ce n'est donc pas celle de botanique. Il résulte de tout cela que la nomination de Magnol ne fut nullement le résultat d'une conversion hâtive comme plusieurs auteurs l'ont insinué. Sans doute son appartenance à la religion catholique était-elle une condition nécessaire pour accéder alors au professorat, mais elle n'aurait peut-être pas été suffisante sans l'amitié agissante de Fagon. Bien que n'étant pas chargé officiellement de l'enseignement de la botanique, Magnol n'en continue pas moins à faire des herborisations, entouré d'un nombre imposant d'élèves, parmi lesquels il faut citer successivement Antoine et Bernard de Jussieu. Toutefois, Michel Chicoyneau, devenu vieux, le rappelle à nouveau auprès de lui pendant trois ans, de 1694, année de sa nomination de professeur, à Il lui confie en outre la Direction du Jardin des Plantes. A l'issue de ces trois ans, François Chicoyneau, qui avait étudié la médecine, put démontrer à son tour les plantes, ce que son inexpérience avait empêché jusque-là. Magnol retourne alors à ses occupations habituelles qu'il n'a d'ailleurs pas délaissées pour cela. Mais avant l'expiration de ses trois ans, il avait tenu à rendre compte de sa gestion en publiant une flore du Jardin Médecin de la Dauphine, de la Reine puis du Roi Louis XIV Ce diplôme fut sauvé d'une destruction complète par le Pr. Justin Benoit qui le découvrit chez un épicier en gros vers le m i- lieu du XIX e siècle Hortus Regius Monspeliensis, Montpellier, H. Pech,

358 Au pré de mon arbre Le Roi le récompense des services rendus en le nommant inspecteur à vie du Jardin. Albert Leenhardt ajoute qu'il reçut alors des lettres de noblesse 54. Sa vie se poursuit toujours égale à elle-même. Son œuvre principale, son Prodromus, avait paru en , mais il ne semble pas qu'il ait réalisé tout ce qu'il pouvait avoir de fécond. Son œuvre de prédilection resta une nouvelle classification des plantes à laquelle il songeait déjà, et à laquelle il consacre le reste de son activité jusqu'à sa mort si bien qu'elle ne paraîtra qu'à titre posthume en C'est aussi à cette époque que certains savants commencent à se réunir régulièrement dans la bibliothèque de l'évêque Joachim Colbert pour y faire connaître le résultat de leurs travaux. Ce sont François- Xavier Bon, François de Plantade, Jean de Clapiès, Jean Astruc, François Lapeyronie et Pierre Magnol. Ils forment le noyau autour duquel allait se cristalliser, au mois de février 1706, la nouvelle Société Royale des Sciences. Magnol est donc un des membres fondateurs et non des moindres. Le fauteuil qu'il occupe est un des trois réservés à la botanique. Il est demandé à chacun de se consacrer plus spécialement à une étude détaillée et approfondie d'un problème scientifique : Magnol fait savoir qu'il s'intéresse à une nouvelle classification des plantes et qu'il y consacrera le principal de son activité. On sait qu'il tint parole. Sur ces entrefaites, son ancien élève, Joseph Pitton de Tournefort, meurt prématurément le 28 décembre Son fauteuil à l'académie royale des Sciences de Paris est aussitôt offert à Magnol qui l'accepte en C'est à ce moment qu'il cède sa place à la Société royale des Sciences de Montpellier. S'étant rendu à Paris, il y est très bien reçu par ses nouveaux collègues. Mais l'âge et le climat le contraignent à revenir rapidement dans le Midi de la France qu'il ne quitte plus, partagé entre son enseignement et son jardin personnel où il cultive, malgré les infirmités dues à l âge, quelques plantes rares et curieuses A. Leenhardt, Montpelliérains médecins des rois, Large n- tière, E. Mazel, s. d Prodromus historiae generalis plantarum, Montpellier, G. & H. Pech, «Novus character plantarum» Montpellier, H. Pech,

359 Magnol Il s éteint le 21 mai 1715 et est inhumé dans l'église Sainte-Anne toute proche de son domicile 57. Signalons ici pour mémoire l'acquisition qu'il fait en 1701 d'une nouvelle maison qui, depuis, est restée dans la famille. Les connaisseurs admirent toujours le délicieux escalier de sa cour intérieure 58. Pierre Magnol épouse le 26 septembre 1671, alors qu'il appartient encore à la religion protestante, Alix Fabre, fille d'antoine Fabre, financier, et d'antoinette Chambon 59. Ils eurent plusieurs enfants, mais un seul retiendra notre attention : Antoine. Toutefois avant d'aborder la génération suivante, il est nécessaire d'étudier l'œuvre laissée par celui qui fut un des plus grands botanistes de son temps. Disons quelques mots de ses travaux en Botanique ; ils lui valurent, de la part des plus grands dans cette discipline une réputation flatteuse. Il entretient une correspondance avec les Anglais John Ray et James Petiver, avec Petrus Houttuyn, Jan Commelin et avec le Suisse J.H. Lavater. Nous n'insisterons pas sur les douze questions imprimées du concours de 1668 qui n'ont pas trait à la botanique, bien qu'elles aient contribué à lui valoir, mais en vain, la première place 60. Son traité de Botanique sur la flore des environs de Montpellier, des Alpes et des Pyrénées, paru en 1676 et sa seconde édition sortie en 1686 feront longtemps référence et servent de base aux travaux de Linné. Les plantes qui y sont décrites le sont avec une extrême précision et Magnol indique pour chacune d elles l habitat ainsi que les propriétés usuelles ou médicinales. Son «Botanicum monspeliense», rédigé à l'usage de ses élèves et qui connut deux éditions, ne présente pas un caractère très original. Il devait cependant inciter d'autres botanistes à s'engager dans cette voie comme François Boissier de Sauvages, en 1751, et Antoine Gouan, en Il y décrit 1354 espèces de plantes pour lesquelles il donne leurs principales vertus et les lieux où elles croissent dans les environs de 57 - Archives municipales de Montpellier, Registres paroi s- siaux de Sainte-Anne 58 - Cette maison porte le n 1 de la rue Philippi et le n 10 de la rue Bayle Archives municipales de Montpellier, Registres de la R.P.R., GG. 341, f Quaestiones medicae duodecim, Montpellier, D. Pech, 1668 (23 p. In-4 ). 359

360 Au pré de mon arbre Montpellier. La seconde édition contient quelques plantes nouvelles. Notons la présence de 22 à 23 planches originales qui ajoutent à l'intérêt de ce livre de 309 pages in-8. Abandonnons l'ordre chronologique pour, citer ici «l Hortus Regius» qui devait, lui aussi, inciter d'autres auteurs à l'imiter, comme Antoine Gouan en 1762, et Pierre-Marie-Auguste Broussonnet en Les plantes y sont présentées dans l'ordre alphabétique, accompagnées de 21 illustrations hors texte. La classification de Tournefort, selon laquelle le Jardin des Plantes venait d'être réorganisé en 1695, y est utilisée : la sienne propre n'est alors qu'en gestation. Cet ouvrage de 209 pages in-8 fait honneur à la fois au botaniste et au réorganisateur du Jardin. J.-E. Planchon cite aussi une œuvre inédite, une sorte de nouvelle présentation du «Pinax» de Gaspard Bauhin corrigé et augmenté. Reparti en 12 livres, cet écrit comprend «la description de chaque plante avec son nom, sa figure, ses principales vertus et qualités», dit-il. Toutefois, si le «Pinax» marquait une étape importante dans l'histoire de la botanique au XVI e siècle, il sera dépassé par les essais de classification des auteurs du siècle suivant. Ne regrettons donc pas trop la disparition de ce manuscrit. Nous citerons, pour mémoire, les communications de Magnol à la Société royale des Sciences de Montpellier et à l'académie des Sciences de Paris. Elles portent sur la circulation de la sève, sujet alors fort controversé. Il y démontre que «la sève qui fait les fleurs et les fruits» vient de la moelle et non de l'écorce. Il présente également en séance la fleur du figuier jusqu'ici inconnue qu'il découvrit dans le fruit même. Enfin, il tente, mais en vain, de démontrer que les coraux sont des plantes, alors que le comte de Marsilli 61, de passage à Montpellier, y voit une matière pierreuse. C'est à un de ses élèves, Bernard de Jussieu, que reviendra le mérite d'y voir un caractère animal. Mentionnons encore une étude qu'il fit à l'occasion d'une disette, en 1709, dans laquelle il vante la racine de chiendent.. Dans une de ses deux œuvres principales, un petit livre de 79 pages in-8, ouvrage dédié à Fagon édité en 1689, «Podromus historiae generalis plantarum» il fait apparaître, pour la première fois, la notion de famille 62 dans la classification Luigi Ferdinando Marsigli ( ), italien scientifique, militaire, géographe, natura liste, géologue, botaniste La botanique scientifique apparaît au XVI e siècle ; avec Brunfels et Fuchs la botanique devient réellement une science d observation et non plus de compilation. Au siècle suivant Ray ( ), en Angleterre, invente le concept moderne d espèce A la même époque Magnol propose la notion de famille botanique. Pitton de Tournefort ( ) introduit la notion de genre. En Suède Linné, à la suite de Duchesne en France, élabore une classif i- 360

361 Magnol Magnol avait tout d'abord classé les animaux en familles, les familles en espèces et les espèces en différentes affinités. Il a l'idée d'appliquer cette classification aux plantes mais, bien qu'ayant une certaine prédilection pour les fleurs, c'est de toutes les parties de la plante qu'il tire ses caractéristiques ; tige, racine, feuille, fruit et fleur, s'opposant ainsi à tout ce qui avait été fait jusque-là. Portant son attention sur toutes les caractéristiques des plantes, et non plus sur une seule choisie arbitrairement, il ne peut en résulter cette fois-ci qu'une classification naturelle. Magnol répartit les plantes en 10 familles et 76 tables. Malheureusement ce n'est là qu'un essai. L'auteur ne sut pas pousser plus avant ses avantages, et sa réalisation laissa à désirer. Cette intuition de génie fut donc sans lendemain puisque la dernière de ses œuvres marque plutôt un recul sur celle-là. Il n'en reste pas moins qu'il a jeté les bases de la méthode naturelle et que par conséquent il n'a pas travaillé en vain. En effet si deux de ses élèves, Antoine et surtout Bernard de Jussieu, attachèrent leur nom à la méthode naturelle, ce n'est pas là le fait du hasard. L'un et l'autre avaient été ses élèves. Charles Martins et E. Guyénot 63 ont traduit dans leurs ouvrages le paragraphe capital du «Prodromus» de Magnol. En 1697 il fait paraître un catalogue des plantes qui sont rassemblées dans le jardin botanique royal de Montpellier. En 1720, à titre posthume, son fils Antoine Magnol 64, fait paraître l ouvrage «Novus character plantarum» divisé en deux parties : la première traite des herbacées et des arbrisseaux, la seconde des arbustes et des arbres. Dans l'esprit de Pierre Magnol, c'était certainement l'œuvre à laquelle il tenait le plus. L'ouvrage de Magnol, de 340 pages in-4, est divisé en deux traités contenant chacun 3 livres. Le calice n'était pas encore bien défini. On parlait de calice externe ou périanthe et de calice interne ou péricarpe. Magnol prend le mot dans son sens le plus général. Il entend par calice externe, la partie de la fleur qui enveloppe et qui soutient la fleur et la semence ; et par calice interne, la capsule ou fruit qui contient les graines. D'où les trois classes dans lesquelles il répartit ses plantes suivant qu'elles n'ont qu'un calice externe ou qu'un calice interne ou bien les deux. Remarquons que comme la plupart des botanistes de cation basée sur les différences d es organes sexuels. En France Be r- nard de Jussieu élabore une classification suivant les parentés nat u- relles des plantes ; son neveu officialise la famille comme entité n a- turelle regroupant des genres voisins C. Martins, Coup d'œil sur l'histoire des botanistes et du Jardin des Plantes de Montpellier (extrait de la Gazette médicale de Montpellier), Montpellier, Ricard frères, 1852, et E. Guyénot. Les sciences de la vie aux XVIIe et XVIIIe siècles. L'idée d'évolution. 2e éd., Paris, A. Michel, A qui certains biographes attribuent, par erreur, la p a- ternité de cet ouvrage 361

362 Au pré de mon arbre cette époque, il crut bon de répartir les plantes en deux traités, l'un intéressant les herbes et les sous-arbrisseaux, l'autre les arbres et les arbrisseaux. Ce livre démontre suffisamment combien grand était l'esprit d'observation et d'organisation de son auteur. Il est une étape dans l'histoire des systèmes artificiels en botanique, mais il ne peut éclipser le «Prodromus» qui est et qui restera l'œuvre capitale de Pierre Magnol. Il ne se rendit pas compte, et ses contemporains pas davantage, que le «Prodromus» était une œuvre d'avant-garde et le «Novus character plantarum» une tentative de classification nouvelle, certes, mais dans un genre où d autres l avaient devancé. Dans ses différents ouvrages, Magnol décrit plus de espèces, certaines pour la première fois. Tournefort avait déjà créé un système facile à comprendre en raison de sa grande précision dans les définitions des genres, qui s'appuyait sur la corolle. Magnol crut mieux faire en faisant du calice le centre de sa classification. D'autres, après lui, devaient encore s'y essayer ; Boerhaave avec le fruit, Siegesbeck avec la graine, Linné avec les étamines, etc. Ce dernier système finit par prévaloir au XVIII e siècle sur celui de Tournefort, mais il était aussi artificiel que les autres. Seule une méthode naturelle peut vraiment rallier tous les suffrages. Qui n est pas tombé en arrêt devant un magnolia grandiflora qui exhale un parfum délicieux? Ce que l on ignore peut-être c est que le père Charles Plumier 65, marseillais entré très tôt dans les ordres, est envoyé, par Begon 66, en mission aux Antilles avec Joseph-Donat de Surian, pharmacien, chimiste, herboriste et médecin de Marseille. Il ramène de nombreuses plantes et, pour étoffer et diversifier la nomenclature de ses découvertes, Plumier prend l habitude de dédier celles-ci à de grands botanistes ou à des personnages influents : c est ainsi qu il dédie le Bégonia à Begon ; en 1703, il catalogue l arbre originaire de la forêt antillaise, sous le nom de Magnolia dodécapetala, en hommage à Magnol, particulièrement en regard de sa classification des végétaux. Malheureusement Linné débaptisera la plante pour en faire un Talauma, et attribue par la suite le nom magnolia à l espèce virginiana en s attribuant la paternité de l hommage fait à Magnol mais «oubliant» de rendre à Plumier ce qui lui était dû Charles Plumier, né à Marseille le 20 avril 1646 de Jean Plumier et Madeleine Roussel, simples artisans. Mort le 20 novembre 1704 à Santa Maria près de Cadix alors qu il s a pprêtait à partir au Pérou Intendant des galères à Marseille. 362

363 Magnol Antoine Magnol Antoine Magnol, fils de Pierre et d'alix Fabre, ne prêtera pas à un aussi grand développement. Né dans la R.P.R. le 11 novembre , il entreprend des études médicales à partir du 18 juillet Le cycle de celles-ci se déroule normalement. Bachelier le 6 août 1696, il est fait docteur le 16 février On rapporte qu'il sert alors aux armées. En tout cas, il est à nouveau à Montpellier en 1706 quand son père lui obtient, grâce à Fagon, la survivance de sa chaire. Désormais, il fait des cours à l'université de médecine, suppléant son vieux père. À la mort de celui-ci, en 1715, il devient professeur titulaire. On aimerait pouvoir citer quelques faits notoires relatifs à son passage dans cette chaire qu'il occupera pendant 44 ans. Il n'y a malheureusement rien à en dire, ni aucune œuvre 70 à faire connaître, si ce n'est la publication qu'il fait en 1720 du «Novus character plantarum» de son père. Nous devons citer cependant 14 thèses d'étudiants rédigées d'après ses conseils. C'était un procédé commode pour s'exprimer à une époque où le journalisme médical faisait seulement son apparition. Toutefois, vu la personnalité que devaient revêtir plus tard deux de ses élèves, Bernard de Jussieu et Gabriel-François Venel 71, on est en droit de se demander si les élèves avaient eu réellement besoin des conseils du maître pour rédiger leurs travaux Archives municipales de Montpellier, Registres de la R.P.R., GG. 346, f 48, v 68 - Archives de la Faculté de Médecine de Montpellier, S. 22, f Arch. de la Fac de Méd. de Montpellier, S. 55 ; la date de sa licence a été omise Il est toutefois auteur de Dissertatio de naturali secr e- tione bilis in jecore (Montpellier, 1719), Denatura et causis fluiditatis sanguinis naturalis et deperditæ (Montpellier, 1741) ainsi qu'une édition posthume de certains manuscrits de son père Gabriel François Venel est un médecin, pharmacien et chimiste français, né le 23 août 1723 à Tourbes (Hérault) et mort le 29 octobre 1775 à Pézenas. Élève de Rouelle l aîné, le professeur de Antoine Lavoisier, Gabriel François Venel était professeur de méd e- cine à Montpellier, il enseignait également la pharmacie et la chimie. Il était membre de la Société royale des sciences de Montpellier à partir de Inspecteur général des Eaux minérales, il a analysé, avec Pierre Bayen, toutes les eaux minérales de France. Il collabore à l Encyclopédie de Diderot, pour laquelle il r é- dige 673 articles. 363

364 Au pré de mon arbre Sur ses vieux jours, Antoine Magnol décide à son tour de se choisir un survivancier. Jean-François Imbert obtint des provisions pour cette chaire le 16 mars Le 28 avril suivant, il est officiellement installé dans ses fonctions 72. Toutefois la chaire de Jacques Lazerme étant venue à vaquer par suite du décès de son titulaire, Imbert, invoquant sa qualité de survivancier, réussit à se faire nommer à cette place, ce qui était contraire à tout règlement, la survivance étant le résultat d'une transaction pour une chaire bien déterminée. Mais Imbert avait de puissants appuis 73. Le 4 octobre 1756, il était reconnu comme professeur. Magnol se retrouva ainsi sans survivancier jusqu'à sa mort survenue quatre ans plus tard, le 10 mai Catherine Peyron, sa femme, qu'il a épousée le 15 mai 1712 à la paroisse Sainte-Anne, devait lui donner sept enfants : bien curieuse est l'histoire de cette famille. En dehors du fils aîné Pierre, qui devint médecin tout en exerçant les fonctions de Trésorier de France, elle comprend, en effet, un fils cadet, Pierre-Antoine, qui devint prêtre, trois filles, Alix, Catherine et Antoinette, qui se firent religieuses, enfin deux autres fils, Michel et François, qui entrèrent au couvent. Quand on songe que la con Archives de la Faculté de Médecine de Montpellier, D. 62 & Jean-François Imbert , Intendant du jardin des Plantes, deviendra chancelier de l'université de médecine de Mon t- pellier, premier médecin de l'armée de Richelieu ; marié à Marie Thérèse (de) Senac dont le père a été surintendant des eaux minérales du royaume et premier médecin du Roi. Lorsqu'il parvint à cette charge, il se fit remplacer au Palais -Royal par un docteur de Montpellier nommé Fizes, qui était un bavard, et fut disgracié par le Duc d'orléans au bout d'un mois : - «Je lui avais prescrit, nous dit Sénac qui lui n était pas bavard, d'approcher gravement de son m a- lade, de tâter le pouls, de faire tirer la langue, et de regarder série u- sement dans le bassin, de ne point parler, de s'enfoncer dans sa pe r- ruque et d'y rester un moment les yeux fermés, de prononcer son arrêt, et de s'en aller sans penser à faire de révérence. Au lieu de cela, mon imbécile a jaboté comme une pie ; il a parlé politique et littérature, en disant "Votre Altesse Sérénissime" à tout bout de champ. Il n'a que ce qu'il mérite ; et voilà ce qui doit arriver à ceux qui n'écoutent pas leurs anciens!» 74 - Registres paroissiaux de Sainte -Anne. 364

365 Magnol version de leur grand-père remonte à 1685, et que leur père a été baptisé protestant, on reste confondu devant une foi catholique aussi intense. Nous parlerons plus brièvement des générations suivantes. Pierre, fils d'antoine, immatriculé à l'université de médecine le 31 mai , est reçu bachelier le 16 novembre 1734 et docteur le 1 er avril Son appartenance au corps médical est donc indubitable. Toutefois, sur les registres paroissiaux, à la naissance ou au décès de ses enfants, il se dit seulement Trésorier de France. Le 8 novembre 1746 il avait épousé Catherine Duché qui lui donna, semble-t-il, cinq enfants. Le fils aîné de cette nouvelle génération, Pierre-Antoine 77, suivitil la carrière familiale? Planchon le dit médecin, sans avancer de preuves. Les registres de l'université de médecine de leur côté sont muets à son sujet. Par contre les registres paroissiaux le disent écuyer et aussi officier de dragons. Il est marié à Françoise-Thérèse Castaing de La Devèze. L'un de leurs arrière-petit-fils, Eugène, né le 10 août 1866, embrassera, à son tour, la profession médicale, après avoir été interne des hôpitaux en Il meurt sans enfants le 12 octobre Quant à Ludovic, frère d Eugène, Mamie Mareille note dans son cahier : mercredi. Oncle Ludovic Magnol 78, 95 ans, gâteux 79, est mort à Montpellier. Claude part l enterrer et emmène M.-France (c est l oncle de Georges, pas le mien). Georges D. me fait ma déclaration d impôts sur le revenu et, pressé par le temps (il part à Montpellier), me fait signer en blanc ; advienne que pourra je signe. Francois-Félix 80, né le 20 novembre 1754 à Montpellier, et baptisé à Sainte-Anne, qui décèdera le 30 ventôse an II, à l'âge de 39 ans autre fils de Pierre Magnol et Catherine Duché, figure sur les registres de 75 - Archives de la Faculté de Médecine de Montpellier, S. 25. Il était né le 11 mars 1715 (Sainte-Anne). Il mourut le 4 prairial an II (état-civil) Archives de la Faculté de Médecine de Montpellier, S. 60 ; la licence a été omise Né le 30 août 1747 (Sainte-Anne). 78 -Marié à Jeanne Duchesne, sœur de Paul; père de Pierre, Georges et Germaine 79 - Le 1er janvier 2012 Françoise Avinen rectifie: Ludovic a gardé toute sa lucidité jusqu'à la veille de sa mort Planchon lui donne un troisième prénom, Vilars, qui ne figure nulle part ailleurs. 365

366 Au pré de mon arbre l'école en qui possède sa thèse imprimée de baccalauréat 82. Il avait épousé, en 1789, Henriette Coulas. Pierre Magnol et Catherine Duché ont eu trois autres enfants dont nous ignorons les prénoms Baccalauréat le 20 juin 1776 ; licence le 13 décembre, et doctorat le 18 décembre suivant (Archives de la Faculté de Médecine de Montpellier, S. 64) Tentamen medicum de vermibus intestinalibus (20 juin 1776 à 10 heures), Montpellier, J.-F. Picot, 1776 (40 p. in-4 ). 366

367 Bovet Paul Duchesne a épousé Gabrielle de Bovet. On trouve le tombeau de la famille de Bovet à Moras, commune de Crémieu, dans l Isère. La première mention de la chapelle de Moras apparaît en 1172 à l'occasion d'une transaction entre la cathédrale de Vienne et l'abbaye de Saint-Theudère 1. Elle est ensuite mentionnée dans un pouillé du XIV e siècle Morasio prope Cremiacum avec un revenu de dix livres. Il faut ensuite attendre le XVIII e siècle pour trouver des documents 2 sur l'église 1 - Sur la commune de Saint-Chef, dans le nord du département de l Isère. 2 - La date portée sur le linteau de la fenêtre de façade semble indiquer la date d'une reconstruction. En 1829, à la demande du conseil municipal, l'architecte Barral, agent voyer en chef du d é- partement, fournit un plan et un devis estimatif. En effet il constate que l'église exige des réparations assez majeures et n'est p as assez vaste pour contenir la population. Elle est d'ailleurs éloignée de toute espèce d'habitation... Les convenances exigent donc l'érection d'un nouvel édifice situé près du presbytère et dans un local d'un accès facile à tous les paroissiens. Sans d oute trop onéreux, ces tr a- vaux n' ont pas été réalisés. En effet, en 1830, le sieur Jouvenet, a r- chitecte résidant à Crémieu fournit un devis de réparations accepté par le préfet le 2 octobre 1830 et suivi de l'adjudication des travaux à Jean Freton, maître charpentier à Crémieu, et à son associé Jean Ma r- tineau, maître maçon à Veyssilieu, le 1er avril Ils sont réceptionnés le 31 mars La somme des réparations étant très élevée, la commune est autorisée à s'imposer extraordinairement de la somme de 5000 f. en neuf ans. En 1846, la foudre ayant détruit une partie du clocher-mur et endommagé la toiture ainsi que les murs, l'architecte Hugues Quenin propose de remplacer la voûte du chœur par une charpente, de détruire le porche accolé à la façade et de refaire la toiture. Nous savons par témoignage oral que la chapelle a de nouveau subi des travaux de restauration dans les années Les éléments les plus anciens conservés dans l'édifice actuel sont la partie inférieure du mur de chevet datant probabl ement de la construction de la chapelle au XIIe siècle, ainsi que les éléments sculptés (archivolte, coussinets). L'aspect actuel résulte des tran s- 367

368 Au pré de mon arbre paroissiale de Moras. En 1791, elle est victime d'un vol. À cette occasion est mentionnée la chapelle de Madame de Bovet. Originaire du Dauphiné, on trouve un Jean de Bovet sergent du Roi en 1333, qualité qui doit avoir été distinguée, puisqu'on la trouve à Guillaume de Roussillon et à Guillaume de Dicy en Le sceau de ce Jean Bovet au bas d'une quittance représente un bœuf ou taureau. Gaucelin Bovet donna aussi quittance de ses appointements de guerre l'an Son sceau représente un taureau. Le principal domicile des Bovet est Crémieu, dans la baronnie de la Tour du Pin, où les Bovet de Demptézieu et Crémieu, seigneurs de La Mure, passée en fief du Roi, ont leur sépulture dans l'église 3 de Sainte Marie de Tortas située sur la commune de Leyrieu 4. Noble Jean Bovet, fils d'étienne, épouse, en 1437, Marie de Bœnc ; lui ou un autre Jean Bovet est compris au rang des nobles et gentilshommes du Dauphiné dans les révisions qui en furent faites dans les années 1473 et 1484 ; la vraisemblance donne lieu de croire qu'il est le Jean Bovet dont le fils se nomme Zacharie : Le vicomte Révérend a d'autre part consacré une assez longue notice à la famille de Bovet dans son Annuaire de la Noblesse 5 de On peut voir dans cette notice que Zacharie Bovet, aurait été fils de Jean et d'agnès de Vallin, petit-fils de Jean et de Marie de Bœnc et arrière-petitfils d'étienne Bovet qui épousa Catherine d'optevaz et qui aurait été luiformations du XIX e siècle : la nef a été raccourcie, la sacristie et la chapelle de Bovet situées au sud ont été détruites, la façade a été remontée et les fenêtres latérales déplacées sur l' élévation occide n- tale. 3 - L'église paroissiale de Tortas est mentionnée au patronage de Saint-Chef en 1172 (Varille, Loison, p. 16). En 1315, elle fait partie des biens cédés par le dauphin au seigneur d'anthon en échange du mandement de Pérouges (Chevalier, t. IV, n 19201). Elle fut le lieu de sépulture des Bovet de Demptézieu, seigneurs de la Mure au 15e siècle (Brun-Buisson, Évocations). Jusqu'en 1793, la paroisse de Sainte- Marie-de-Tortas regroupait celles de Leyrieu et de Saint - Romain-de- Jalionas qui jusqu' en 1606 faisaient partie de l'archipr ê- tré de la Tour-du-Pin, puis de celui de Crémieu. Après la Révol u- tion, Sainte- Marie-de-Tortas est rattachée à Leyrieu qui devient paroisse en 1850, après avoir été rattachée à celle de Vernas. 4 - Composée du bourg et de ses deux hameaux, Certeau et Ste Marie de Tortas, est adossée aux falaises calcaires du plateau de l Isle Crémieu, à quelques kilomètres des méandres du Rhône. 5 - Laurent de Bovet, lieutenant pour le Roi et gouverneur de la ville et du château du Briançon, et Jean -François de Bovet, conseiller du Roi au Parlement du Dauphiné et garde des sceaux, firent enregistrer leur blason à l'armorial général de

369 Bovet même fils de Jean Bovet et de Catherine de Virieu et petit-fils de Jean Bovet, écuyer, et d'agathe Alleman. Noble Zacharie Bovet, établi à Crémieu, dans la baronnie de la Tour du Pin, y possède des biens en Il rend des services importants au dauphin Louis, futur roi Louis XI, qui le charge de négociations auprès du pape Paul II, en 1466, comme le prouve une bulle de 1497 du pape Alexandre VI. Zacharie vit encore en Il laisse de Philippe de Brunel, sa femme, pour fils aîné noble Antoine Bovet, et pour fils cadet noble Claude Bovet, auteur d'une branche connue sous la dénomination de seigneurs de la Bretonnière et divisée en deux rameaux dont l'un a suivi le parti des armes et l'autre a pris celui de la robe. Antoine de Bovet, auteur de la branche aînée, épouse dans les premières années du XVI e siècle Marguerite de Vallin, fille de Claude et de Claudine de Virieu. Leur fils, Pierre de Bovet, S gr de la Tour de Moiras en 1580, marié à Gasparde de Rigaud de Rajat, en eut deux fils : 1 er Pierre de Bovet, S gr de la Tour de Moiras, qui épouse Françoise de Pingon de Prangin ; 2 e Henri de Bovet de Moiras, qui épouse Marguerite de Buffilet. Ces deux frères furent les auteurs de deux rameaux dont les représentants furent maintenus dans leur noblesse le 20 juillet 1667 par jugement de l'intendant Dugué. Le premier de ces deux rameaux s'éteignit en la personne de François de Bovet, 1745, savant égyptologue, évêque de Sisteron en 1789, archevêque de Toulouse en 1817, qui mourut à Paris en Ce prélat avait eu plusieurs neveux auxquels il survécut et dont l'un, Fabien de Bovet, né le 7 mars 1772, s'était fait accorder en 1789 le certificat de noblesse prescrit pour obtenir le grade de sous-lieutenant. Le second rameau de cette branche s'éteignit avec Charles de Bovet, qui fut admis dans l'ordre de Malte en 1781, et avec sa sœur, Adélaïde qui mourut dans un âge avancé en 1866 sans avoir contracté d'alliance. La branche cadette, issue de Claude, ne tarde pas à perdre sa noblesse par dérogeance. Elle alla se fixer à Crest et donne à cette ville une longue série de notaires. Antoine, dit Claude Bovet, notaire royal à Crest, épouse Suzanne d'arier, le 25 janvier 1550, dernière représentante d'une vieille famille dont ses descendants relevèrent le nom. Leur fils, Jean Bovet d'arier, lieutenant particulier en la sénéchaussée de Crest, décédé en 1617, dut, pour régulariser sa situation nobiliaire, se faire accorder le 16 novembre 1606 des lettres patentes d'ano- 369

370 Au pré de mon arbre blissement pour lui et sa descendance née en loyal mariage pour avoir tellement travaillé à la découverte d'une trahison qui se tramait dans la ville de Crest ; et aussi pour, en tant que Magistrat de la ville, avoir mis fin aux troubles de 1585, et pour d'autres faits encore... Indignés contre lui, les rebelles mirent son père à rançon, ruinèrent trois de ses fermes et ravagèrent tout le bétail et autres biens qui s'y trouvèrent, tellement qu'ils diminuèrent de beaucoup ses moyens, mais non la volonté qu'il avait de réprimer. Jean Bovet d'arier laisse deux fils, François, né vers 1573 d'un premier mariage avec Isabeau de la Mure, avocat au Parlement de Grenoble, et Jean, né posthume en 1617 d'un troisième mariage avec Foy de Colombat, qui furent les auteurs de deux rameaux : Jacques François Bovier d'arier, fils de François, et chef du premier rameau, fut un jurisconsulte distingué. Il est conseiller du Roi et premier professeur en l'université de Valence quand il fut maintenu dans sa noblesse le 20 juillet 1667 par jugement de l'intendant Dugué après avoir, malgré l'anoblissement de 1606, prouvé sa filiation depuis Claude Bovet vivant en Il eut un fils, Jean-Baptiste : on trouve, dans la littérature, des procédures civiles faites au nom de Combe, contre noble Jean-Baptiste de Bovet-Darier, seigneur de La Bretonnière, syndic des Récollets de Valence, en paiement de fournitures. Ce rameau, connu dans la suite sous le nom de Bovet de la Bretonnière 6, donna un conseiller au Parlement de Grenoble et s'éteignit vers le milieu du XVIII e siècle. Jean Bovet d'arier, né à Crest en 1617, auteur du second rameau, aujourd'hui seul existant, obtient le 10 janvier 1665 l'enregistrement au Parlement de Grenoble des lettres de noblesse obtenues par son père en Il fut probablement le même personnage qu'un noble Jean de Bovet, conseiller du Roi et son maître d'hôtel ordinaire, capitaine au régiment de Navarre, que l'on trouve avoir été maintenu dans sa noblesse en 1667 en même temps que son oncle Jacques François, le professeur en l'université de Valence mentionné plus haut. Un Bovet sollicita 7 sous Louis XV la faveur d'être admis aux honneurs de la Cour. Est-ce ce Jean? 6 - Il est fait mention dans la littérature du contrat de m a- riage de Louis du Faure, marquis de Saint -Silvestre avec Anne Bovet de la Bretonnière. 7 - On trouve dans les manuscrits de Chérin, au mot Bouet, le rapport que le généalogiste des Ordres du Roi, chargé d 'examiner cette requête, adresse le 2 juin 1763 au marquis de Béringhen. Ce rapport dit : «On ignore l'origine de cette noblesse ; elle parait néanmoins ancienne ; mais, n'ayant point d'illustration, ni de po s- session de fiefs considérables, la privation d e ces deux avantages ne lui permet pas de prouver son ancienneté.». 370

371 Bovet Jean possède le domaine de Chosson, auquel il donne le nom de Bovet et que sa descendance conservera jusqu'en Il épouse Marie Chaix et en eut plusieurs enfants 8 qui retombèrent dans la bourgeoisie jusqu'à l'époque de la Restauration. L arrière-petit-fils, Jean-Claude Bovet, sieur du domaine de Bovet, 1728, notaire royal à Crest, laisse trois fils : 1 er Jean-Gaspard Bovet, 1758, marié en 1781 à Marthe Chaix qui fut l'aïeul des représentants actuels ; 2 e Antoine Bovet, 1760, receveur de l'enregistrement, dont le fils mourut sans postérité en 1852 ; 3 e Jean-François Bovet, 1762, directeur de l'enregistrement et des domaines, chevalier de la Légion d'honneur. Ce dernier obtint le 17 avril 1819 des lettres patentes d'anoblissement avec règlement d'armoiries après avoir justifié qu'il descendait de Jean Bovet d'arier, anobli en 1606 ; il fit dès lors, ainsi que ses neveux, précéder son nom de la particule 9 ; il ne laissa qu'un fils qui mourut sans postérité. Alexandre Gaspard de Bovet, fils de Jean-Gaspard et Marthe Chaix, nait en 1787 ; notaire à Crest, il se marie à Emma (ou Marie- Camille) Dareste de la Plagne qui lui donne quatre fils et une fille. Le plus jeune des fils, François Antoine Gabriel, né à Crest le 12 février 1827, sera polytechnicien. Il épouse Anne Audebert dont il a deux enfants, dont il va être question : Armand, né le 17 juin 1851, à Metz, et Marie-Anne, née dans la même ville, le 12 décembre Le colonel François-Antoine-Gabriel Bovet, directeur du génie à Besancon 10, est nommé au grade de général de brigade, par décret en date du 24 octobre 1881, dans la 1 ère section du cadre de l'état-major général de l'armée, en remplacement de M. le général de Brem, décédé. Le général de Bovet, membre du comité des fortifications, meurt le 22 septembre 1884, victime de son devoir. Insuffisamment remis d'une grave maladie, il a voulu néanmoins faire son inspection et commander les manœuvres de Belfort, dont il est gouverneur. Il quitte cette ville le dimanche matin, après avoir fait son 8 - Dont un seul eut une descendance. 9 - Alexandre Gaspard de Bovet, fils de Jean-Gaspard et Marthe Chaix a une fille, Marie Adeline, qui épouse vers 1810 Mourier, notaire à Pernes, et dont les enfants sont connus «Mourier de Bovet». 10 Le général de Bovet appartenait à l'arme du génie. Avant d'être Gouverneur de Belfort, il avait commandé le génie de la sixième région à Châlonssur-Marne. 371

372 Au pré de mon arbre service jusqu'au bout, et meurt le lendemain, à six heures du soir. Il repose dans le tombeau de la famille Bovet, à Crest. Armand Bovet ( ) Armand, son fils, polytechnicien, est ingénieur maritime ; il se marie en 1885 avec Sophie Marie Charlotte de Courpon 11, fille d Albert et Charlotte Gaillardon. Albert de Courpon lors du coup d'état du 2 décembre 1851 La garde nationale ne fut pas convoquée pendant les événements de décembre. Dans la matinée du 2, le colonel d état-major Vieyra reçoit un ordre écrit de la main même du Président, pour qu il s oppose à toute prise d armes de la garde nationale. Le prince ajoute que, s il a besoin de légions dévouées, il donnera des ordres plus tard. On sait en effet, à l'élysée, qu il est impossible de compter sur la garde nationale, à l exception de quelques compagnies de la 2 e légion. Si quelques dévouements isolés se produisirent, on reconnu l impossibilité de les utiliser. M. Vieyra fait signer au général Lawœstine des lettres adressées aux colonels des diverses légions de Paris, faisant défense de laisser battre le rappel, sous aucun prétexte, sans un ordre exprès de l état-major général. Des dépôts d armes et de munitions existent dans plusieurs mairies ; il y a là fusils et cartouches. On s empresse de les enlever et de les transporter à Vincennes. Malgré ces précautions, le général Lauriston, colonel de la 10 e légion, qui est opposé au coup d'état, et qui éprouve l attachement de ses gardes nationaux aux institutions républicaines, convoque les officiers de sa légion, en habit bourgeois, s assure de leur dévouement à la Constitution, et leur fait jurer de la défendre les armes à la main. Les tambours sont envoyés chez les gardes nationaux pour les convoquer en armes, à domicile Sophie Marie Charlotte apparaît dans le dic tionnaire des peintres à Montmarte. Ce dictionnaire contient 4285 biographies, sur la période allant de 1800 à 1999, comprenant les peintres d'avant - garde depuis le Romantisme jusqu'au Surréalisme, les peintres ac a- démiques et les petits maîtres, ainsi que les peintres d'aujourd'hui. De nombreuses biographies sont inédites et jamais encore publiées. Œuvres faisant intervenir la voix, pour voix et piano : Vœux falots, 1901, poésie de M me de Courpon, ms. pour voix et orchestre : Quand la flûte de pan, poésie de M me de Courpon, 1901, ms. 372

373 Bovet A cette nouvelle, M. Vieyra, comprenant le danger, charge Albert de Courpon, chef d escadron de l état-major, de signifier au colonel Lauriston que tous les gardes nationaux qui paraîtront armés seront fusillés. Des mesures militaires prises sur-le-champ appuyèrent ces menaces, et la réunion de la légion ne put avoir lieu. Quelques gardes nationaux bravèrent cependant la menace et purent le faire impunément ; mais ils se retirèrent, apprenant que le général Lauriston a donné sa démission Armand et Sophie de Bovet ont trois enfants : - Albert, né infirme avant 1890 ; - Henri, né avant 1891 ; sera ingénieur et directeur de l'usine Mazda d'issy-les-moulineaux ; marié à Juliette Davin, le couple n aura pas d enfants ; - Gabrielle, née le 10 décembre 1891, épousera Paul Duchesne, déjà évoqué. Armand meurt le 17 novembre Sophie de Bovet meurt en Ayant dilapidé toute sa fortune, elle ne laisse pratiquement que son immeuble de Paris, 9 rue de Rivoli, qui restera provisoirement dans l'indivision ; le ravalement du quartier venait d'être imposé par la ville de Paris, et le remboursement des annuités de l'emprunt consenti par le Crédit Foncier excédait le montant des revenus locatifs de l'immeuble! Par contre, l'important mobilier de la rue de Clichy, fut partagé et la plus grande partie, correspondant avec la nécessité d'aménager les pièces réservées à Albert, qui fut recueilli par sa sœur à Ludon - Henri n'envisageant pas de le maintenir à Paris -, et aux travaux entrepris pour cela, provoqua une avalanche de meubles, tableaux, tapis et objets divers qui entraîna beaucoup de transformations dans l'ensemble de la maison de Ludon. La vie d Albert à Ludon, a entraîné quelques problèmes. Il était assez facile dans la vie courante. Original, féru de littérature, il descendait dans la matinée et s'installait à son bureau où il écrivait sans fin des romans ou des vers. Très gourmand, il tenait bien sa place à table où il se comportait avec élégance. Mais, c'était tout de même un grand malade avec des lubies subites et il était capable de devenir très désagréable ou quelquefois pénible avec les femmes. Heureusement, Antoinette, la cuisinière savait lui tenir tête. Élise Duchesne 12 ne l'aimait pas. Très éprouvé par les restrictions sous l'occupation, il est mort, le 28 février 1942, d'une hémorragie cérébrale. Paul Duchesne lui a fait une courte oraison funèbre dans son journal de guerre : 12 - Née Marin-Darbel, belle-mère de Gabrielle. 373

374 Au pré de mon arbre «Fin très douce pour un homme qui craignait tant la mort. Disparition d'un pauvre homme, pas sot, très familial et qui n'avait jamais fait de mal à personne». Il est inhumé, à Ludon, dans le caveau de famille. Marie Anne Bovet ( ) Anne-Marie naît 13 rue d Asfeld, à Metz, le 12 décembre 1855 à 5 heures du matin. Elle est la fille du capitaine du Génie François Antoine Gabriel Bovet et de Françoise Louise Anne Audebert, native du même lieu, domiciliés à Arnaville 14. Marie-Anne épouse le marquis Guy de Bois-Hébert 15, né le 14 décembre 1874, vétéran des aviateurs de la guerre , se tuera dans un accident d avion le 23 octobre 1920 ; est inhumé à Dijon. Ils n'ont pas laissé de postérité. Elle écrit d'abord sous le pseudonyme de «Mab», tiré de ses initiales, des articles dans plusieurs revues et journaux français et anglais, des récits de voyages et des traductions d'ouvrages 16 anglais tel «Les quinze premières années du règne de la reine Victoria», ainsi que les Mémoires de Greville sur la cour de Georges IV, Guillaume IV. Puis elle se fait connaître par des articles de critique littéraire, chroniques, nouvelles et variétés parus dans divers journaux et revues de 13 - Probablement accouchée par Étienne Mahu 57 ans, ch i- rurgien et chevalier de la Légion d honneur, domicilié place de la Comédie à Metz ; a effectué la déclaration en mairie le lendemain de la naissance. Source pour la date et le lieu de naissance : «Dictionnaire de biographie française» sous la direction de M. Prévost,... Roman d'amat,... H. Tribout de Morembert,..., Paris : Letouzey et Ané, Il est dans la salle X des usuels de la BnF Arnaville est située à moins de 20 km du centre de Metz, à l'extrémité est du canton de Thiaucourt, entre deux côtes resse r- rées, au confluent de la Moselle et du Rupt-de-Mad. Au milieu du XIXe siècle, on y trouve 3 carrières de pierre de taille, 3 distilleries, 2 moulins à grains, une tannerie. C est un vi l- lage d environ 600 habitants, à 171 m d'altitude Son ancêtre a fait partie du camp normand à Hastings au côté de Guillaume le Conquérant lors de la conquête de l'angleterre le 14 octobre 1066, représentée sur la tapisserie de Bayeux Librairie de Firmin-Didot et Cie, imprimeurs de l'inst i- tut,

375 Bovet Paris ; elle écrit des articles sur la jet-set britannique et parisienne et collabore, depuis 1888, à «La Nouvelle Revue», à «La République Française» pour laquelle elle est correspondante spéciale en Irlande en 1888, à la «Revue bleue», au «Gaulois», au «Correspondant», à la «Vie Parisienne», «L'Illustration», «Le Figaro» ; elle collabore à deux revues londoniennes : «New Review» et «Fortnightly Review». Elle commence à publier sous son patronyme à partir de 1888, principalement de la littérature de voyage, tel «Irlande 1889» : Ce récit de voyage parait pour la première fois dans la revue Le Tour du Monde en 1890 sous le titre «Voyage en Irlande». La connaissance, qu elle a, des mouvements politiques et sociaux de l époque, l exactitude des références historiques, la qualité littéraire de l ouvrage, en font un document exceptionnel pour qui veut comprendre l Irlande contemporaine. Puis, de la même veine, «En Écosse, le Tour du Monde», année 1890, tome I et II Viendrons ensuite, «Le Général Gordon» paru chez Firmin-Didot & Cie ; un article paru dans l'illustration n 2495 du 20 décembre 1890 ; «Trois Mois en Irlande» 1891 ; Proche, très proche 17 dirons certains, de Gounod, de 40 ans son aîné, elle écrit sa biographie «Charles Gounod : sa vie et son œuvre» avec des dessins de Louise Abbema, peintre de la Belle époque ; ce livre est antérieur à avril 1891 puisque la revue anglaise The Musical Times and Singing Class Circular en fait état dans son Volume 32, No. 578 pages. 233 & 234. La cabale L Ordre kaballistique de la Rose-Croix est restauré, en 1888, par Joséphin Péladan et Stanislas de Guaïta, lui-même inspiré d'eliphas Levi. Le but est «de mener simultanément une action occulte en vue de préserver la civilisation judéo-chrétienne et une action diffusante au cœur d'un public de profanes mais curieux de sciences occultes». Erik Satie et Claude Debussy en font partie Sur une partition de Charles Gounod de Roméo et J u- liette pour piano et chant, parue à Paris chez Choudens, en 1873, est inscrit en bas de page «A mon amie Marie Anne de Bovet, Ch. Gounod». 375

376 Au pré de mon arbre Péladan, dissident en 1891, prétexte un refus de la magie opérative et fonde alors l'ordre de la Rose-Croix Catholique et esthétique du Temple et du Graal 18. Péladan ambitionne d'extirper la laideur du monde moderne, où elle s'incarne à ses yeux dans le judaïsme affairiste et le laïcisme maçonnique. Il prêche la religion de la beauté qu'il enveloppe des volutes d'encens d'un mysticisme oriental. L activité de l Ordre de la Rose-Croix du Temple et du Graal est alors entièrement consacrée à l organisation de salons, d expositions et de soirées dédiées aux beauxarts et qui s inscrivent dans le mouvement artistique appelé Symbolisme. Claude Debussy 19, ami du grand ésotériste qu est Stéphane Mallarmé et d'autres principaux occultistes, fréquente ces salons tel le commanditaire de Péladan dans cette entreprise qui n est autre que le comte Antoine de la Rochefoucauld, qui lui est intimement lié à la suite d une apparition du Sacré Cœur! Après sa rupture avec Péladan en 1893, Antoine de la Rochefoucauld crée une revue et nomme comme rédacteur, Jules Bois, un sataniste connu et, qui plus est, amant d'emma Calvé 20, la célèbre castafiorre. Ce lien avec Jules Bois est une piste à creuser, même si l indice parait plutôt filandreux pour mener notre enquête. Pas si filandreux que ça! Sur le devant de la scène occulte parisienne Bois entretient sa réputation de magicien noir ou sataniste 21, promoteur, en particulier, de l'ésotérisme féminin. Il se trouve être étroitement lié à des occultistes notables qui se disent être des catholiques et des défenseurs traditiona Appelé aussi Rose-Croix catholique. La chapelle souterraine de Notre-Dame de Marceille, proche de Rennes-le-Château, est rattachée aux légendes du Saint Graal 19 - Claude Debussy est Grand-Maître de l'ordre de Sion de 1885 à 1918, après Charles Nodier de 1804 à 1844, Victor Hugo de 1844 à 1885 ; ensuite viendront Jean Cocteau de 1918 à 1963, et d e- puis 1963, jusqu à sa mort, l'abbé Ducaud -Bourget. L'Ordre de Sion fut fondé à Jérusalem en 1090 sous le nom de Prieuré de Sion (P.S.) Emma Calvé ( ) était l'amie de réputés musiciens tels Gounod, Debussy, Massenet et Georges Bizet. Soprano de talent, son interprétation de Carmen lui assura une renommée inte r- nationale. Passionnée de mysticisme et d'occultisme, elle fréquente le célèbre cabaret le Chat Noir en compagnie de Mucha et de Camille Flammarion. Elle achète le château à Cabrières dans ses Causses natales Les Satanistes sont souvent confondus avec les Lucif é- riens, souvent pris l un pour l autre. 376

377 Bovet listes de la revendication au trône de Naundorff 22. Mais comment pouvons-nous concilier l'association d'un prétendu magicien noir avec le monde des traditionalistes catholiques? Il nous faut revenir à Rose Emma Calvé qui a été admise à l Ordre Martiniste, fin 1892, à Paris. Le martinisme 23, héritier de la pensée de Louis Claude de Saint-Martin, a été fondé l année précédente, en mars 1891, par Augustin Chaboseau et le docteur Gérard Encausse, dit Papus, ancien membre de la Société théosophique, et fait aussi partie dans l'ordre Kabbalistique de la Rose-Croix. Le martinisme serait, selon ses adeptes, une «sorte de maçonnerie teintée d occultisme, de magie et d ésotérisme». Les Martinistes travaillent également à la gloire du Grand Architecte de l Univers Pourquoi dit-on cela? Il se trouve que nous avons eu connaissance d une lettre autographe signée de M me de Boishébert à Jules Bois. Or, M me de Boishébert n est autre que Marie Anne de Bovet. Elle souhaiterait obtenir un passe-droit pour assister à ses conférences. «Mes trop nombreuses occupations m'empêchent de suivre d'aussi près que je le voudrais tout un ordre d'études qui m'inspirent l'intérêt le plus vif... un repos relatif que je m'octroie me permet d'y donner un peu de mon temps.». Elle voudrait également «Le Satanisme et la Magie qu'il me plairait de joindre à ceux de vos ouvrages que je possède» Naundorff fit son apparition en France en 1833 et se déclara être Louis XVII, donc prétendant à la couronne de France, re s- capé de la prison du temple en L'Ordre Martiniste exerce aujourd'hui ses activités sous l'égide de l'a.m.o.r.c. (L'Ancien et Mystique Ordre Rose -Croix), fondé en 1909 par par Harvey Spencer Lewis ( 1889). C'est l' organ i- sation rosicrucienne la plus connue et quantitativement la plus i m- portante et elle recourt fréquemment à un vocabulaire maçonnique. Il s'agit de conférer à la jeune organisation la patine ance strale de la maçonnerie et le même sérieux initiatique. Sa littérature n est qu une compilation des différents ésotérismes en vogue à l époque, la pl u- part venant de la Théosophie, justement en plein essor à cette époque. (Par exemple, il y a reprise de la doctrine typiquement théosophique des races inférieures et supérieures). Spencer Lewis monta de toute pièce un canular invraisemblable auquel croient aveugl é- ment les rosicruciens : Il prétend avoir été chargé de mission par la «grande loge blanche» pour «r estaurer» et installer l ordre rosicr u- cien aux États Unis. L ordre rosicrucien qu il a fondé ne serait pas la première manifestation de l ordre : Celui - ci apparaîtrait cycliquement sur terre et ses périodes de fonctionnement alterneraient avec des périodes de mise en veilleuse. 377

378 Au pré de mon arbre Par ce biais, Marie-Anne se trouve être embrigadée dans l Ordre Martiniste, aux côtés d Emma Calvé et y rencontre Georges Vitoux 24 ébahi par cette garçonne avant l'heure, contemplant Madeleine qui pose nue chez le photographe Jules Richard ; Georges Vitoux, est épris de Marie-Anne, et il s en suit l'emprise d'une passion charnelle. Quatre-vingt ans plus tard, le petit-fils découvre des scènes pornographiques sur plaques sèches au gélatino-bromure d argent. Le jeune garçon en fait part à son père, qui se trouve dans le bureau voisin : «Surtout, n en parle pas à ta mère.». C est tout. Ils n en reparleront jamais, l'un mais pas l'autre 25. Marie-Anne baigne alors dans le scientisme. En mars 1892, un nommé Saunière 26, pauvre curé d un bled paumé dans le midi de la France, prend le train à Couiza 27 et monte à Paris 28 pour «affaire». Il a seulement 200 francs en poche, divers papiers dont trois parchemins qu il désire monnayer, et une lettre pour l abbé Bueil, alors directeur du séminaire Saint-Sulpice 29, missive que lui a remis son évêque M gr Billard, qu il se permet de tutoyer et appelle par son prénom, Félix-Arsène. Saunière loge chez Ané, neveu de l abbé Bueil, dont l une des sœurs est religieuse, et l autre mariée à M. Letouzey, éditeur de la «Vie des Saints». Chez Letouzey, il rencontre le futur novice Émile Hoffet 30, de passage avec un chartriste de Saint-Gerlach 31. Il rencontre Emma Calvé 32, qui l entraine au Louvre 33 ; là - passez-moi l expression - il tombe de cul! Il est estomaqué par «les Bergers 24 - Georges Vitoux ( ), journaliste, rédacteur à La Nature et médecin L académicien Frédéric Vitoux, nous fait découvrir son aïeul Georges dans «Grand Hôtel Nelson» Saunière est depuis 1885 curé de Rennes le Château, proche du dernier refuge des hérétiques Cathares : Montségur Ligne Quillan-Limoux inaugurée en Son passage dans la capitale est attesté en mars 1892 par sa signature sur le registre du prêtre visiteur célébrant la messe L'église Saint-Sulpice est l'un des lieux de l'action du roman Da Vinci Code Émile Hoffet logeait à cette époque -là chez son oncle et libraire Ané. Il écrira beaucoup sur la franc-maçonnerie et les rosicruciens. Il dirigera avec l'ésotériste René Guénon une revue : Régnabit En Hollande Pierre Plantard accuse Emma d avoir connu un «flirt» avec l étrange abbé Saunière, celui-ci de passage à Paris, et alors qu elle n avait que 24 ans 378

379 Bovet d'arcadie», œuvre de Poussin 34 ; il n en croit pas ses yeux et se trouve en «pays» de connaissance : le hasard est étonnant! Le paysage lui est connu puisqu il y voit le point culminant, visible de sa cure, le pech de Bugarach 35, ses chères montagnes. En y regardant de plus près, il reconnaît aussi le château de Blanchefort 36 et Rennes. En outre, il y voit un tombeau similaire à celui 37 existant sur une butte rocheuse donnant sur une courbure du fleuve Rialsesse, près des Pontils, hameau de Peyrolles, à moins de deux lieues de Rennes. Il découvre aussi une inscription «Et in Arcadia Ego» qu il croit avoir vu quelque part. Mais où? Sa mémoire flanche Plus loin, c est un temps d arrêt devant «Saint-Antoine 38 et Saint Paul dans le désert», peint par David Teniers le jeune, qui représente aussi, dans le lointain, le rocher de Rennes-le-Château. Et, plus loin encore, un portrait du pape Célestin V 39, dont il n a pas retenu le nom de l artiste. Sur ce tableau du XIV e siècle figure une clé et l angle des deux cannes faisant 18 degrés, identique au tableau de Poussin. Saunière est perplexe. Devant tant de mystères, Emma propose alors de rencontrer un de ses amis appartenant au milieu occultiste. Sau Le directeur du Louvre du Da vinci Code est homonyme de l abbé Saunière Poussin ( ) ; C'est à son retour de Florence, et logeant à Paris, qu'il fait la connaissance de Philippe de Cha m- paigne, avec lequel il participe en particulier à la décoration du P a- lais du Luxembourg D autres personnes penchent pour le pech Cardou Alors que V.Vattier d Ambroyse, officier de l instruction publique, vient de publier en cette année 1892, dans la série «Le littoral de la France» et dans l ouvrage «de Lorient à la Rochelle», page 323, à propos du château de Clisson (près de Nantes) : «Le peintre s arrête, ravi, croyant reconnaître à chaque pas la trace de Nicolas Poussin». L ouvrage est paru chez Pares, Sanard et Derangeon, éditeurs 174, rue Saint Jacques à Paris Le propriétaire des terres, consterné par la tentative constante des chercheurs de trésor d'ouvrir le tombeau, l'a démoli en 1988 ; il ne reste que la base du tombeau Saint Antoine fêté le 17 janvier, date fatidique à RLC ; date du décès de la marquise de Blan chefort. Saint Sulpice de Paris dont la fête du saint patron est aussi le 17 janvier 39 - Célestin V fut élu pape le 5 juillet 1294 et abdiqua le 13 décembre suivant, s estimant incompétent. 379

380 Au pré de mon arbre nière est invité chez Claude Debussy, où il fait la connaissance de Charles Plantard avec lequel il entretiendra une correspondance suivie. Faisant usage de leur science, ils déchiffrent les parchemins. C est ainsi que l inscription vue sur le tableau de Poussin est l anagramme «I Tego Arcana Dei» qui se traduit par «Va je recèle les secrets de Dieu.». Eurêka! Saunière se souvient alors que c est cette même inscription qu il a vue sur le tombeau de Marie de Négre, dans son cimetière de Rennes-le- Château, près du clocher Sur un des parchemins, celui signé par Jean Bigou 40, est écrit un indice menant à l'emplacement où se situe une pierre retournée par Antoine Bigou il y a cent ans, non loin d un pilier wisigothique. Le manuscrit décodé donne une anagramme de l'épitaphe de Marie de Nègre ainsi que le message suivant : BERGERE PAS DE TENTATION QUE POUSSIN TENIERS GARDENT LA CLEF PAX 681 PAR LA CROIX ET CE CHEVAL DE DIEU J'ACHEVE CE DAEMON DE GARDIEN À MIDI 41 POMMES BLEUES Poussin et Teniers partagent donc la clef de l énigme, ce qui explique les temps d arrêts marqués par Saunière dans sa visite du musée. A la lueur de ceci, il est clair que l abbé Saunière ne songe plus à se dessaisir des parchemins et que son seul désir en est une exploitation... Revenu à Saint-Sulpice, il remarque de part et d autre de la ligne du méridien, deux tableaux de Signol : la «Mort de Jésus» et «l'épée au fourreau». «Mort ; Épée» sont aussi les deux mots qui apparaissent anormalement dans l épitaphe de la pierre tombale de la marquise de Blanchefort, de Rennes-le-Château. RLC Replaçons nous dans le contexte de ce petit pays de l Aude pité sur un piton rocheux. L'abbé Bérenger Saunière y a été nommé curé le 1 er juin 1885 ; il est bon vivant, homme fruste et malin, disposant d une culture sommaire car issu d un milieu modeste, et ne possède pas la fortune nécessaire pour retaper son église et son presbytère qui sont fort délabrés. Mais la providence est grande! Ne voici pas qu'en novembre 1885, il reçoit la visite d'un envoyé de la comtesse de Chambord 42, veuve 40 - Curé en 1736, l'oncle d'antoine Bigou (curé en 1774) et son prédécesseur comme prêtre de la paroisse Ce qui nous met sur la piste du méridien! 42 - Après la chute du Second Empire, le Duc de Bordeaux et Comte de Chambord, ( ), devait monter sur le trône de 380

381 Bovet du petit-fils de Charles X, l ancien prétendant à la couronne de France. L entremetteur que l on désigne sous le nom de «Monsieur de Chambord» n'est autre que Jean de Habsbourg! Il remet à l'abbé Saunière une somme de francs, contre quoi celui-ci s'engage à effectuer certaines recherches de documents dans son église. Entre 1885 et 1891, «Monsieur de Chambord» revient six fois pour superviser l'opération, versant son obole à chaque passage, soit au total francs. De plus, en 1891, le curé obtient de la municipalité francs pour continuer les réparations de l église. Antoine Captier, le bedeau qui sonne l'angélus pour le service du soir, descendant du beffroi, entrevoit quelque chose de brillant dans la partie supérieure d'un vieux balustre en bois jeté de côté par deux ouvriers, Pibouleu et Babou, pendant leur travail de restauration. Un emplacement creusé dans le bois renferme une fiole. Il la donne immédiatement à Saunière qui ouvre la fiole et y trouve un manuscrit et trois parchemins enroulés sur eux-mêmes. Le jour même, l'abbé rompt le contrat de travail à durée indéterminée et se livre personnellement à des recherches et il trouve une marmite pleine de pièces d'or de diverses époques avec des bijoux du XVI e et XVII e siècles. La plupart des bijoux sont négociés chez un orfèvre de Perpignan qui vient retrouver le curé à l hôtel de M. Eugène Castel, quai Sadi-Carnot 43. Les pièces d'or passent à l'étranger, un certain nombre entre les mains d'un numismate, Léo Schidlof, quelques-unes seront données, en 1908, à un jeune séminariste, Joseph Courtauly. Le manuscrit et les trois parchemins se composent : - d un texte de l abbé Jean Bigou ; France sous le nom d'henri V ; il se maria avec l'archiduchesse Marie-Thérèse d'autriche de la dynastie des Habsbourg née en Le comte de Chambord décédé en 1883 ne laisse aucune postérité, sa veuve, née Habsbourg, et ses partisans sont des ennemis de la branche d'orléans, ce sont eux qui forment «Le cercle du Lys», mouvement mérovingien qui existe encore de nos jours rue de l'am i- ral Mouchez à Paris, animé par 350 fidèles La Comtesse de Cha m- bord ne devint pas la dernière Reine de France, mais elle sut to u- jours se montrer généreuse avec l'abb é Saunière, également roy a- liste. La comtesse de Chambord décède le 25 mars 1886 au Palais Lantieri en Slovénie Sadi Carnot ( ) est une personnalité scientifique catalane qui s est intéressé à la thermodynamique appliquée. C est l oncle de Sadi Carnot, président de la république d alors. 381

382 Au pré de mon arbre - d'une généalogie des comtes de Rhédae 44 depuis l origine, acte de 1243, qui porte le sceau de Blanche de Castille 45 ; - d'un acte de 1608 de François-Pierre d'hautpoul, qui donne un complément de généalogie depuis 1240, avec un commentaire en mauvais latin ; - d'un testament de Henri d'hautpoul du 24 avril 1695, qui porte cachet et signature du testateur, avec en bas à droite les lettres P.S. en gothique, et une invocation latine à cinq saints : Antoine de Padoue, Antoine d'égypte, Sulpice de Bourges, Roch de Montpellier, et Marie- Madeleine. Ce dernier document réalisé deux mois avant le décès du testateur, alors âgé de 42 ans, demeure un mystère! Ces actes scellés par M e Espezel, à Limoux, dont ils portent le sceau brisé, sont ouverts au Château de Rennes en 1743, soit 48 ans plus tard par M e Ribes! Marie de Négre d Ables, Marquise d'hautpoul de Blanchefort est détentrice d'un grand secret transmis dans sa famille de génération en génération. À la veille de sa mort, elle confie à son confesseur le chanoine Antoine Bigou, cet arcane et des documents de famille avec mission de les transmettre à une personne de confiance. La marquise meurt dans le château de Rennes le 17 janvier Le chanoine fait enlever une grande dalle de pierre 46 du tombeau d'arques 47, qu'il place sur le tombeau de Marie de Négre et grave les inscriptions en latin et grec : ET IN ARCADIA EGO Sigebert, comte de Rhédae, est le fils de Bera il et le p e- tit-fils de Wamba, proclamé roi des Wisigoths en 672. Les comtes de Rhédae sont les descendants des rois wisigoths ; il semble que la femme de Sigebert, cette Magdala qui donne son nom à l église de Rennes, soit l une des trois filles de Bridjet, elle -même fille aînée du premier mariage de Dagobert II alors en exil D'où confusion dans l'esprit de certains à croire au trésor de cette reine Il existe dans les archives de l'évêché, un document de la main du prêtre portant sur le transfert par Guillaume Tiffou, de cette dalle de Serres à Rennes-le-Château, en novembre En réalité, le tombeau n'est pas à Arques, mais situé sur le méridien zéro entre Peyrolles et Serres non loin de Rennes La devise «ET IN ARCADIA EGO» est fort ancienne, puisque déjà en 1210, Robert, abbé du Mont Saint -Michel, en fait citation comme étant celle des Plantard, descendants des comtes de Rhedae. 382

383 Bovet À la tête de cette pierre tombale, il érige une autre pierre, proposant une épitaphe, dont les nombreuses irrégularités qu'elle contient peut attirer l attention sur sa nature. En effet, elle se présente comme un cryptogramme, dont l'interprétation indiquerait un endroit secret 49. Puis arrive cette époque troublée qu est la Révolution qui fait de Bigou un prêtre réfractaire. Troublé par son mandat, le ministre du culte occulte les documents en les plaçant dans un pilier de l autel de l église. Il décide de mettre face contre terre la fameuse dalle dite des Chevaliers représentant un chevalier et un enfant sur un même cheval. Puis, avec sa mule, il se réfugie en Espagne, et meurt peu de temps après, le 21 mars 1794, ayant déchargé sa conscience sur l abbé Cauneille. Ce dernier transmet «le bébé (avec l eau)» à l abbé Jean Vié 50, curé de Rennes-les-Bains et à l abbé Émile François Cayron, curé de S t Laurent de la Cabrisse et professeur du jeune Henri Boudet 51, futur curé de Rennes-les-Bains et qui s avèrera complice de Bérenger Saunière. Cayron et Vié apprennent qu'un trésor inestimable est caché dans le Rhazèz, entre les deux Rennes, le-château et les-bains, en douze lieux différents, que la clef du secret se trouve dans l'épitaphe de l'abbé Bigou pour Marie de Nègre et qu'il existe également des documents de grande importance historique Le sort veut donc que ce soit dans les années 1880 que les détails de ces secrets soient mis à jour par : - l'abbé Henri Boudet, qui vient d être évoqué, et qui semble être le cerveau de l affaire. Il a succédé à Jean Vié. Qu a-t-il appris de l'abbé Cayron? Mystère! - l'abbé Bérenger Saunière. Comme le pense Mathieu Paoli 52, ces documents révèlent-ils à l abbé Saunière la cachette de la marmite au trésor? Certainement pas. Admettons plutôt que le curé se persuade, à la vue des parchemins à 49 - L abbé Saunière prendra soin d effacer l épitaphe De la série M. & Mme Untel ont un fils 51 - Boudet, l homme de l ombre, a énormément contribué à l affaire de Rennes-le-Château mais sans jamais se mouiller ce qui prouve sa haute intelligence Pseudonyme de Ludwig Scheswig. Du Razés, au sud de Carcassonne, les recherches de Mathieu Paoli l' ont conduit au ch â- teau de Gisors en Normandie, dont les secrets firent couler beaucoup d'encre après la Libération et encore en Menée ensuite en Suisse et en Belgique, l'enquête a abouti à la découverte d'un mo u- vement secret visant à restaurer en France une monarchie constit u- tionnelle de lignée mérovingienne. 383

384 Au pré de mon arbre l aspect ésotérique, de l existence d'un trésor, et que la chance le favorise... Ainsi que l indique Élisabeth d'hautpoul : «Il faut déchiffrer 53 les pièces», ce travail n'est pas de la compétence de l abbé Saunière. En 1892, il se rend chez son ami et patron du diocèse, M gr Billard, évêque de Carcassonne, avec comme prétexte de négocier les parchemins. Celui-ci l oriente vers le méridien de Saint-Sulpice. C est ce qui nous vaut le voyage à Paris décrit plus haut. Après être revenu de Paris, le curé, aidé de sa fidèle gouvernante, décide de cacher certaines de ses découvertes ; en commençant par l'entrée secrète sous la «Dalle des Chevaliers», puis il effacera l'inscription sur la pierre tombale de Marie de Nègre, avant de déplacer les restes de sa dépouille dans un ossuaire déjà creusé parmi les tombes du cimetière! Sous la «Dalle des Chevaliers», dans une cachette, le curé découvre un crâne, percé de l'incision rituelle et l'entrée d une cavité. Dégageant la rocaille, il trouve un escalier menant sous l'église. En effet le registre de la paroisse datant de 1694 rapporte un tombeau des «Seigneurs de Rennes» que l'on peut supposer être à proximité. Le train de vie du curé et de sa gouvernante, Marie Denarnaud, devient ostentatoire. Ils reçoivent régulièrement des personnes célèbres d'une manière somptueuse comme s'ils avaient eu accès à une immense fortune. C est ainsi qu Emma Calvé lui rend visite, en août 1892, lors d'un voyage en Espagne où elle va s imprégner de flamenco en vue du Carmen qu elle doit bientôt jouer 55. C'est en janvier 1895 que Saunière efface ET IN ARCADIA EGO de la pierre qui se trouve sur la sépulture de la marquise de Blanchefort. Puis il la place sur l ossuaire qu'il a fait construire par Élie Bet. Dominique Olivier d'hautpoul adresse une première plainte à la mairie de Rennes en février 1895 pour que la pierre retirée soit remise sur la tombe de son aïeule C'est-à-dire faire traduire ces textes latins par des cha r- tristes Effectuée sur les morts à l'époque mérovingienne pour permettre à l'âme de s'échapper vers le ciel La première a lieu le 25 novembre 1892 à l'opéra - Comique. 384

385 Bovet En cette même année, l abbé Saunière fait graver une nouvelle dalle 56. Cette pierre est retirée quelques mois après avoir été placée sur la tombe de la marquise de Blanchefort, lors de la deuxième opposition de Dominique Olivier d'hautpoul à propos de l épitaphe «Reddis Regis». Cette dalle est mise à l écart dans un coin 57 du cimetière de Rennes ; elle n'est pas effacée et gît brisée en son milieu. En mars 1895, l abbé, pratiquant des fouilles nocturnes dans le cimetière fermé, provoque la colère et les protestations de ses ouailles. Une deuxième lettre de protestation du 14 mars 1895 est très explicite : «Monsieur le préfet, Nous ne sommes pas du tout contents que le cimetière se travaille surtout dans les conditions qu il a été jusqu ici ; s il y a des croix, elles sont enlevées, des pierres sur les tombes aussi, et en même temps ce dit travail ne consiste ni pour réparations ni rien...». Que cherche donc l abbé, et pourquoi fait-il disparaître au burin, l inscription de la dalle funéraire de Marie de Nègre d Ables, si elle ne cache pas un important secret? Quid de l épitaphe qu il tente de briser? Ceci fera couler beaucoup d encre En 1896, le curé engage la construction de la tour Magdala, la villa Béthania et entreprend la décoration de son église. La population et le clergé local, y compris l'abbé Boudet, sont scandalisés d'un tel étalage si manifeste de cette richesse. L année suivante arrive l assassinat mystérieux de l abbé Gélis, curé de Coustaussa. L enterrement eu lieu en présence de Boudet et Saunière. La cérémonie se déroule sans incident et pourtant c est là qu intervient la brouille entre Boudet et Saunière! Ils ne se réconcilieront qu en 1915, année du décès de Boudet. En 1902, Paul-Félix Beuvain de Beauséjour succède à M gr Billard à l évêché de Carcassonne. Les rumeurs sur Saunière montent jusqu à lui et il décide d intervenir. Il veut connaître l origine de ses ressources et Saunière ne voulant pas se justifier, il lui intente un procès 58. Il l interdit d'officier en 1911 et le condamne pour trafic de messes noires Dont le texte est publié en 1906 au tome XVII, p.105, du Bulletin de la Société d'études Scientifiques de l Aude Plus tard, elle est retirée par Ernest Cros, déposée à G i- noles, puis, en 1939, déplacée à Carcassonne dans une propriété pr i- vée où elle se trouve toujours Procès qu il traine jusqu à sa mort. 385

386 Au pré de mon arbre Au décès 59 de l'abbé Bérenger Saunière, le 22 janvier 1917, sa nièce, M me James, qui habite Montazels, exprime sa rancœur : elle n'a droit, pour tout héritage, qu à des queues de cerises, «...cette vieille paperasse que personne ne peut lire, et un livre de la collection le Magasin pittoresque, c'est tout...». Par contre, Marie Denarnaud vit de façon confortable dans la Villa Béthania qu elle occupe jusqu'à son décès, le 29 janvier 1953 ; elle a 85 ans. En août 1938, Pierre Plantard 60, petit-fils de Charles, la rencontre à Rennes-le-Château afin d y récupérer les lettres que l abbé Saunière avait reçues de son aïeul. Plantard se dit descendant des comtes de Rhedae, et de surcroît descendant 61 direct des mérovingiens par Dagobert II. «Marinette», comme on la nomme dans le pays, l accueille très aimablement à la villa Béthania ; il y reste trois jours, fêtant le soixantedixième anniversaire de la vieille fille. Au cours de ces journées l hôtesse évoque le portrait des deux protagonistes Boudet-Saunière. Il apprend que, de 1887 à 1901, l abbé Boudet a versé à M lle Denarnaud des sommes très importantes : francs qui financent Ia réfection de l'église de Rennes-le-Château et d autres travaux! De 1894 à 1903, il verse encore des sommes, mais assez minimes : seulement francs. Pas la moindre somme pour l abbé Bérenger Saunière ; par contre il note quatre petits versements au nom d Alfred Saunière, frère de l abbé, soit et francs en 1901, et deux fois francs en En octobre 1955, M me James vend pour francs «anciens, tout de même», les parchemins à deux anglais : le captain Ronald Stansmore et sir Thomas de «La Ligue Internationale de la Librairie Ancienne». Ce sont des personnages de cette ligue dont Mathieu Paoli fait entendre le témoignage le 16 octobre 1972 à Radio-Genève. «Cette ligue, fort ancienne, jouit d'une solide réputation. Son siège est à Londres et elle a façade sur toutes les grandes places du monde. Elle dispose d'excellents experts. Par conséquent, lorsqu'elle révèle le contenu des parchemins découverts par Berenger Saunière, il est difficile de crier à la farce...»., déclare M. Paoli. Puis vint Da vinci Code. Nous nous sommes quelque peu égarés 59 - D une cirrhose du foie Vicaire de la basilique Sainte-Clotilde de Paris Son ascendance est légalement prouvée par les parch e- mins de la Reine Blanche de Castille, découverts par le curé Saunière dans son église de Rennes-le-Château en

387 Bovet En 1893, Marie-Anne de Bovet publie «Terre d'émeraude», roman paru en feuilleton dans «Le Temps» ; puis «Confessions conjugales» paru chez P. Ollendorf. Suivra «Confessions d'une femme de trente ans» chez Lemerre, en Ce roman psychologique est dédié à P. Bourget. «Ouvrage cynique, pernicieux par ses évocations et par ses sophismes» nous prévient l Abbé Bethléem En cette année 1895, vers le 20 juin, Jules Bois se bat en duel contre Tailhade, qui deviendra peu après son ami. En 1896, de Fontfroide, Eugène Burnand 62 ( ) s en va en Camargue pour une dernière campagne artistique. Cette fois, c est en vue d un reportage sur le pèlerinage des bohémiens aux Saintes Maries de la Mer. Il dessine des têtes de tziganes, la procession sur la plage, les pèlerins dans l église, la veillée dans la crypte. Belles pages commandées par l Illustration pour illustrer un texte de Marie Anne de Bovet. Marie-Anne publie, en 1897, «La Jeune Grèce», œuvre dédiée au roi Georges I er de Grèce qui vient d inaugurer, l année précédente, les premiers jeux olympiques. En décembre 1897, la journaliste Marguerite Durand fonde le journal «La Fronde». Dans ce journalisme féministe, le 9 décembre 1897, Marie-Anne de Bovet se plaint de la façon dont Guy de Maupassant s en prend au sexe faible, limité à l'amour, et qui trouvait ironique que les femmes fussent son premier public : «cela s'appelle tirer sur ses propres troupes». De la même manière, elle s'attaque à Proudhon, connu pour avoir lancé la phrase «ménagère ou courtisane», pour ses mensonges, ses insultes et ses platitudes. Marie-Anne de Bovet questionne dans «La Fronde», le 22 décembre 1897, sur les notions de «l'éternel féminin» et de «l'éternel mystère de la femme» : «Jamais on ne parle de l'éternel masculin», «Il y a bien le mystère de chaque femme, mais ce n'est pas un mystère essentiel, propre à son sexe» Marie-Anne est une auteure reconnue et maîtrise la langue de Shakespeare mieux que quiconque. Ayant su que son ami Frank Harris est à Paris, elle lui demande de l introduire auprès de son compatriote irlandais, homosexuel 63 de surcroît, qu est Oscar Wilde. Oscar n'y fait pas 62 - Eugène Burnand, originaire du canton de Vaud, né le 30 août 1850 à Moudon, au château de Billens Condamné outre-manche en 1895 aux travaux forcés pour «conduite indécente». À ce propos, voici un bon mot de ma fille, alors âgée de 9 ans, qui est à l école communale de Feyzin avec Rachid, Mohamed, Nasser, etc qui n ont qu un jeu : regarder sous les jupes des filles ; de plus, ils sont grossiers, ils se traitent d «homosexuels». Sa ma- 387

388 Au pré de mon arbre obstacle et donc rendez-vous est pris. Quand il l'aperçoit, il s'arrête subitement (malgré un tas de cheveux clairs et des yeux vifs, elle est très plate!). En voyant son étonnement, Marie-Anne se lamente de son comportement si brusque : «Allons, avouez, M. Wilde, que je suis la femme la plus laide de France?». Avec déférence, Oscar répond d un sourire narquois. «Du monde, Madame, du monde.». L'assistance pouffe de rire. Le gay Oscar, croyant avoir gaffé, essaie de se rattraper : «Au monde, au monde» Le mal est fait ; une légende 64 est née! L'affaire Dreyfus Les faits relatés dans la presse se rapportent à des événements datant du 24 ou 26 septembre 1896, la preuve, désignée sous le nom de «bordereau», de la trahison d un officier de l état-major français parvenue au Service de Renseignements par la «voie ordinaire», c'est-à-dire par le canal de la femme de ménage 65 de l'ambassade d Allemagne. Mis en cause, l officier est arrêté le 15 octobre 1894, mais personne n'en dit mot... C'est le 1 er novembre 1894, par une note du Figaro, que l'opinion publique est alertée. Ce journal imprime le titre «Une affaire de trahison» et le communiqué suivant : «Des présomptions sérieuses ont motivé l'arrestation provisoire d'un officier français soupçonné d'avoir communiqué à des étrangers quelques documents peu importants. Il faut qu'on sache très vite la vérité». Le 13 janvier 1898, Laurent Tailhade entre dans le combat dreyfusard au côté de son maître, Zola, qui ne fut pourtant pas toujours l'une de ses admirations. Il écrit dans «L'Aurore» et dans «Les Droits de l'homme». Les duels alors s'enchaînent sans répit. La nationaliste Marie- Anne de Bovet le gifle et ce dernier lui réplique en lui crachant au visage, ce que rapporte Raphaël Viau qui se paie sa tête dans «La Libre Parole» et le conduit à un nouveau duel le 8 juillet On connaît la suite man lui demande : Sais-tu ce que cela veut dire? Oui, répond-elle, c est un mot vulgaire pour dire pédé! 64 - Sa laideur est devenue proverbiale! 65 - Travaillant pour le service de renseignements français. 388

389 Bovet En 1898, Gaston Vuillier part en Écosse pour réaliser sur place les illustrations du récit de voyage de Marie-Anne de Bovet, «L'Écosse, souvenirs et impressions de voyage» paru chez Hachette à Paris. Marie-Anne écrit aussi des ouvrages sur l'algérie tel «Monographie du tapis algérien» sur le tapis du Djebel Amour quel trouve d'un bel effet décoratif. L'harmonie de la couleur, la rectitude toute berbère du dessin, l'ont fait vivement apprécier. «Il allume, sous la cendre bleue du fond, de magnifiques scintillements de braise.». «Le Djebel Amour, confiné dans les sombres et généreuses teintes caroubier et indigo, parfois soulignées d'un peu de vert, aussi chaudes à l'œil que leur très haute laine l'est aux pieds, ceci dit pour nous qui marchons dessus tandis qu'aux indigènes, aux nomades particulièrement, il sert de siège et de couche. Soit remarqué en passant, nous les plaçons sans dessus-dessous, faisant de l'endroit ce qui est l'envers, en sorte que nous échappe la précision du très simple dessin, affectant d'ordinaire la forme losangée.». «Alger, Djelfa, Laghouat, Ghardaïa et l haptapole du M'Zab», Alger, Imprimerie Algérienne, 1924 «De Paris aux Dunes du Souf et retour en vingt et un jours.»., Alger, George & Lacan, avec 1 plan d itinéraire au Sahara «La grande pitié du Sahara», Plon 1935 «Le Désert Apprivoisé, Randonnées au Sahara» Elle a écrit de nombreux romans appréciés à l'époque mais tombés en désuétude ; il se pourrait, dit-il, que la revue Fémina ait reproduit ses textes dans les années Georges Duchesne se souvient avoir lu dans sa jeunesse «Mademoiselle l'amirale», roman illustré pour jeunes filles. Elle a été prolifique ; citons : «Le Saint-Simon de l'angleterre» «Un barde moderne : Robert Burns» «Chronique de New-York» «Marivaux, Romancier» «L'Esthétique de saint Augustin» «Un écrivain cosmopolite, Henry James» «Préjugés et Lieux communs» «Romans de femmes» «Partie du pied gauche» «Femmes du Monde et Femmes galantes» «L'Amour dans le Mariage» «Un Veuf» «Une Belle-mère» «La moitié de Poire» 389

390 Au pré de mon arbre «Le beau Fernand», roman illustré. 40 gravures d'après Vulliemin. Petite bibliothèque de la famille. Éditions Hachette. «L'homme rouge», nouvelle «Il faut manger pour vivre» «Parole juive» 66 «Petites rosseries», 1898, «Courte folie», 1901, «Maîtresse royale», Éditions Alphonse Lemerre «Autour de l'étendard», e édition «Plus fort que la vie», 1905, «Contre l'impossible», Alphonse Lemerre «Le Majorat», roman feuilleton inédit qui paraît dans la revue «Je sais tout» «Veuvage blanc», roman, Nillson, Paris 1908 Dans la collection «Les villes d art célèbres» paraît «Cracovie» - Renouard, Paris, «La dame à l'oreille de velours», Alphonse Lemerre «La fille de l autre», 1914, «La dernière de sa race», 1924 D après les renseignements fournis par la mairie de Metz, Marie- Anne de Bovet serait décédée en (Sans précision du lieu). Rue Marie Anne de Bovet Le conseil municipal de Metz a consacré une rue du quartier des Sablons à M.A de Bovet, dans sa délibération du 2 juin Quelques souvenirs 68 des Sablons: «Dans les années 1950 la rue Marie Anne de Bovet n'était pas encore une rue goudronnée avec des trottoirs. Le côté nord avait 3 ou 4 bâtiments. Ce qui était l'épicerie des «Laurent» est maintenant une boulangerie. Les copains étaient de tout le pâté de maisons formé par la rue Marie Anne de Bovet, la rue aux Arènes 66 - (à la mémoire d A. Dumas fils), Éditions Alphonse Lemerre, éditeur 23,31, passage Choiseul ; achevé d imprimer le 17 juin 1897 par Alphonse Lemerre, 6, rue des Bergers à Paris Gilles Picq qui collabore à une revue d'histoire littéraire qui s'intitule Histoires Littéraires, a un ami bibl iothécaire du service bibliographique de la BnF qui avance la date de 1943 comme date de décès de Marie-Anne de Bovet ; sans plus de précision, mais c'est une source très fiable en général. Georges Duchesne, 1917, est formel, il n a pas «connu» sa tante, étant trop jeune pour se souvenir de son décès qu il situe vers D'une habitante du lieu, prénommée Mireille. 390

391 Bovet et la rue Dembour. Nous allions chercher la sciure pour la boite du chat à la scierie des Minaires qui se trouvait rue Dembour. Mis à part le chantier de l allemand Pigué, il n'y avait pas de maison du côté impair de la rue. Quant à la bascule publique, elle faisait partie de notre enfance tout autant que les charbonniers du quartier. Nous aimions marcher sur la balance lorsque l'on allait vers la foire expo.». Qui sont-ils? Un Bovet prend part en 1789 aux assemblées de la noblesse de l'élection de Vienne. M. de Bovet de Fontbelle est du nombre des gentilshommes de l'élection de Grenoble qui signèrent le 6 avril 1789 une protestation de la noblesse et du clergé du Dauphiné contre les décisions prises par l'assemblée de Romans. 391

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