Le travail de l os, du bois de cerf et de la corne à l époque romaine : un artisanat en marge?

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1 Le travail de l os, du bois de cerf et de la corne à l époque romaine : un artisanat en marge? Actes de la table ronde instrumentum, Chauvigny (Vienne, F), 8-9 décembre 2005 sous la direction de Isabelle Bertrand co-édition monique mergoil montagnac Association des Publications Chauvinoises 2008

2 In : I. Bertrand (dir.), Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge? (Monographies Instrumentum 34), Montagnac 2008, p. 1-2 SOMMAIRE INTRODUCTION Le travail de l os et du bois de cerf à l époque romaine : bilan et perspectives de la recherche sur un artisanat mineur Isabelle BERTRAND p Technologie des matières dures d origine animale à l Âge du Fer en Europe celtique Delphine MINNI p Une grille d analyse pour décrire et comparer des ateliers de tabletiers? Michel FEUGÈRE, Vianney FOREST, Philippe PRÉVOT p Le travail de l os dans l antique Samarobriva (Amiens, F) : première approche Annick THUET p L artisanat de l os dans la ville-sanctuaire gallo-romaine du Vieil-Évreux (Eure). État des connaissances Laurent GUYARD p avec la collaboration de S. Bertaudière, S. Zeller, C. Fontaine, J.-P. Goupy Le travail de l os à Rennes (Ille-et-Vilaine) à travers un canif à manche sculpté trouvé 3-5 rue de Saint-Malo Françoise LABAUNE p avec la collaboration de G. Le Cloirec Un atelier de travail de l'os à Chartres au IIIe s. ap. J.-C. Dominique CANNY, Jean-Hervé YVINEC p avec la collaboration de D. Labarre, M. Aubrun Une fabrication de colle d'os dans le quartier de La Grande Boissière à Jublains (Mayenne)? Vianney FOREST p Le travail de l os et du bois de cerf à Lemonum (Poitiers, F) : lieux de production et objets finis. Un état des données Isabelle BERTRAND p

3 Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge? Os, bois de cerf et ivoire à Rom (Deux-Sèvres). Quelques éléments de réflexion sur l'approvisionnement en matière première et la distribution des objets dans l'agglomération Isabelle RODET-BELARBI, Nadine DIEUDONNÉ-GLAD p Un artisanat de l Antiquité tardive dans le théâtre de l agglomération antique de Drevant (Cher). La production de fusaïoles et autres objets en bois de cerf et os Christian CRIBELLIER, Isabelle BERTRAND p Peignes et étuis en os et bois de cerf du théâtre de Drevant (Cher) Isabelle BERTRAND p État des connaissances sur la production de l os à Orange (Vaucluse, F). Étude et comparaison des ateliers du travail de l os Philippe PRÉVOT p Les matières dures animales (os, bois de cerf et ivoire) dans la vallée de l Hérault : production et consommation Michel FEUGÈRE, Philippe PRÉVOT p La collection de tabletterie du Musée romain de Nyon (CH) Caroline ANDERES p Travail et décor des médaillons en bois de cerf. Analyse et essai typologique Émilie ALONSO p Différences et identités de la vie quotidienne dans les provinces romaines : l exemple de la tabletterie Sabine DESCHLER-ERB, Kordula GOSTENČNIK p Letti funerari in osso di età romana: aspetti della produzione e diffusione alla luce di alcuni rinvenimenti in Lombardia. Presentazione preliminare di un letto da Cerveteri (Roma) Chiara BIANCHI p L artisanat du bois de cerf à Iuvavum/Salzbourg, Autriche. Les manches de couteau Felix LANG p

4 In : I. Bertrand (dir.), Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge? (Monographies Instrumentum 34), Montagnac 2008, p Différences et identités de la vie quotidienne dans les provinces romaines : l exemple de la tabletterie Sabine DESCHLER-ERB, Kordula GOSTENČNIK Introduction En l an 2000, Michel Polfer (Luxembourg), alors président du groupe de travail Instrumentum, initia le projet de recherche international CRAFTS Structures, implantations et rôle économique de l artisanat Antique en Italie et dans les Provinces occidentales de l Empire Romain. Ce projet vise à analyser de manière détaillée le rôle économique de l artisanat et le statut social des artisans, dans une première phase par des équipes pluridisciplinaires sur un cadre géographique réduit, ainsi la province romaine ou la regio pour l Italie. Dans un deuxième temps, il est prévu de procéder à des mises en commun et à des comparaisons qui permettent de dégager des conclusions à l échelle de la partie occidentale de l Empire (Polfer 2004). Depuis, des scientifiques de différents pays européens (pour l instant Allemagne, Autriche, France, Italie, Luxembourg et Suisse) travaillent à la réalisation d une base de données commune consacrée à l artisanat romain et à la préparation de synthèses régionales. Cette contribution est la première tentative d une coopération interrégionale. L exemple de la tabletterie en Noricum et Germania superior a été choisi pour deux raisons : l état de recherche bien avancé dans les deux régions d une part, les conditions personnelles favorables, d autre part. Le résultat de cette coopération est décevant et encouragant en même temps : d une part, il permet de découvrir les problèmes imprévus en raison de l inégalité des sources dans les deux provinces et, d autre part, il confirme le potentiel de ce projet interrégional et interdisciplinaire. Les deux provinces et leurs sites Le Noricum et la Germania superior font partie des provinces du nord-ouest de l Empire romain. Le Noricum était situé dans les Alpes de l Est et était composé des parties de l Autriche, de l Allemagne, de la Slovénie et d Italie actuelle. La Germania superior s étendait à gauche et à droite du Rhin supérieur et assemblait des régions de la France de l Est, du Jura et du plateau suisse, et d Allemagne sud-ouest. Les deux provinces n étaient pas directement avoisinantes étant séparées par la province de Raetia et les Alpes. La distance entre le Noricum et la Germania superior était à peu près de 500 km. L orientation des voies de communication était complètement différente dans les deux provinces : les fleuves les plus importants de Noricum, l Inn et la Drau se dirigent vers le Danube et la Mer Noire alors que le Rhin en Germania superior mène à la mer du Nord. Noricum (K.G.) En tant qu espace naturel, le Noricum est divisé en deux régions. L une au nord qui, à partir de la crête principale des Alpes, se transforme en un paysage plus plat et va jusqu au limes danubien. L autre au sud, formée de vallées intra alpines, de cuvettes ainsi que de collines du pays préalpin dans la partie sud-est de la province. Du fait de sa proximité avec l Italie, le sud de Noricum se trouva sous influence romaine bien plus tôt que le nord situé le long du Danube (1). Vers le milieu du Ier s. av. J.-C. et trente ans environ avant l occupation romaine de l arc alpin sous l empereur Auguste (15 av. J.-C.), des commerçants venant de l Italie du nord-est, (1) Pour l histoire de la province : Alföldy 1974 ; Betz, Weber 1990 ; Gassner et al ; Fischer 2002 ; RGA2 s.v. Noricum (H. Ubl). 283

5 Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge? principalement d Aquileia, fondèrent sur le mont Magdalensberg, en Carinthie, une ville en territoire celtique. Ils posèrent ainsi la première pierre pour la romanisation de la future province. La richesse de Noricum est fondée sur ses gisements de minerai, ce qui éveilla très tôt les convoitises de Rome : l extraction du minerai de fer et sa méthode de fonte, car ce produit de qualité connu par les sources antiques sous le nom de ferrum noricum correspond à l acier moderne (Vetters 1966 ; Alföldy 1970 ; Piccottini 1981 ; Piccottini 2000) et le prélèvement de l or comme possession privée impériale. Les deux étaient extraits et fondus sous le contrôle direct de l État, l or étant coulé en lingots sur le site du Magdalensberg puis transporté à Rome (Piccottini 1994 ; 2001). Ces gisements de minerai, source économique primordial de la province, firent même leur chemin jusque sur les légendes de revers monétaires, de ce que l on appelle les frappes minières d Hadrien, où elles figurent sous l appellation MET(alla) NOR(ica) (2). Le site de Virunum l ancienne Magdalensberg La ville sur le Magdalensberg, qui s appelait déjà Virunum, tout comme celle qui lui succéda à l époque impériale, fut fondée, comme cela a été dit précédemment, vers le milieu du Ier s. av. J.-C. par des populations italiques (Piccottini 1977 ; 1989 ; 2003 ; Piccottini, Vetters 2003) (3) : c est d ailleurs ce que nous enseigne le mythe de fondation correspondant venu jusqu à nous grâce à des sources byzantines (Dobesch 1997) (4). Les premières maisons de commerce d Aquileia qui s y installèrent entretenaient des liaisons commerciales dans tout l espace méditerranéen, comme en témoignent les marchandises trouvées sur place. Jusqu à présent et grâce aux fouilles systématiques poursuivies annuellement dès 1948, on a surtout exploré les quartiers urbains immédiatement voisins du forum, les fortifications au sommet de la montagne ainsi que la route bordée de tombeaux sur le lieu-dit Lugbichl à l est de la ville. À partir du début de l occupation romaine de Noricum en 15 av. J.-C., Virunum l ancienne devint le centre administratif du territoire occupé jusqu à ce que Fig. 1 Magdalensberg, plan général avec répartition des déchets de tabletterie (d après Gostenčnik 2005a, Beilage 2). (2) RIC Hadrianus Nr ; Dembski (3) RGA2 s.v. Magdalensberg (H. Dolenz). (4) Pour les exemples hellénistiques cf. Nollé 2001,

6 S. Deschler-Erb, K. Gostenčnik Différences et identités de la vie quotidienne dans les provinces romaines la ville soit abandonnée, à l époque de l empereur Claude vers 50 ap. J.-C., au profit de la ville de Virunum nouvellement construite dans la plaine dit le Zollfeld à dix kilomètres environ à vol d oiseau au sud-ouest du Magdalensberg. La figure 1 montre le centre ville, fouillée systématiquement depuis La ville a été édifiée sur le versant sud, un peu en dessous du sommet du Magdalensberg culminant à m, à environ 600 m. au-dessus des plaines environnantes. Sur le Magdalensberg même, il n y avait pas d habitats celtes préalables, si bien que la ville a été fondée sur un terrain vierge. À partir de l occupation de Noricum, on peut justifier d une présence militaire, composée de légionnaires de la legio VIII Augusta (établie à Poetovio en Slovénie) ainsi que de soldats auxiliaires de la cohors I Montanorum. Pendant la période entre environ 20 à 10 av. J.-C. jusqu au début de notre ère, les tabernae du forum abritaient également un atelier pour les objets militaires (5). Les déchets en provenance d ateliers travaillant l os sont rares, mais, dès 1900, les déchets d un tel atelier ainsi que des déchets liés au travail de la corne ont été observés à l occasion des fouilles dans une insula dénommée le Bäderbezirk (Nowotny 1899). D après les connaissances actuelles, Virunum a été habitée au moins jusqu au IVe s. Dans le courant du Ve s., la population résiduelle se retira sur les hauteurs environnantes (Gratzerkogel, Ulrichsberg), jusqu à l abandon de ces dernières agglomérations romanes en altitude vers 600 en raison de l immigration des Slaves (Egger 1950 ; Vetters 1977, ; Glaser 1997, ). Municipium Claudium Virunum La fondation de Virunum, établie sous l empereur Claude comme capitale de la nouvelle province de Noricum sur le Zollfeld, suivait un système de quadrillage régulier (fig. 2) (Vetters 1976). Les constructions insulaires autour du capitole et du forum abritaient en premier lieu des logements (Praschniker, Kenner 1947). Dans le flanc de colline située à l est de la ville se trouvaient le seul théâtre connu jusqu à présent dans l espace est alpin ainsi qu un amphithéâtre, fouillé seulement dans les dernières années. Sur la terrasse, au-dessus, se trouvait le campement militaire récemment identifié grâce à des photographies aériennes, datant vraisemblablement du IIIe s. ap. J.-C. (Jernej, Gugl 2004 ; Doneus et al. 2003). Les quartiers artisanaux de Virunum se situaient principalement à la périphérie de la ville : au nord, à côté d ateliers travaillant le bronze et le fer ; une fouille de sauvetage récente a mis au jour une fullonica et il a été constaté que les bronziers, fabriquant surtout des fibules, se situaient au sud et au sudest (Dolenz, Polleres 2004 ; Fuchs, Kladnik 1992). Fig. 2 Virunum, plan général (après Dolenz et al. 1999, 74-75) et localisation des déchets et objets finis. (5) Piccottini, Vetters 2003, 133ff. (pierres tombales du Magdalensberg) ; Dolenz et al (fabrica pour les objets militaires). 285

7 Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge? Germania superior (S.D.-E.) Pendant toute son histoire, la Germania superior est restée une province frontalière, le site militaire Mogontiacum (Mayence) étant sa capitale (Wamser 2000 ; Flutsch et al ; Planck 2005 ; 2006). L influence militaire était assez grande, surtout dans les régions au bord du limes. La romanisation de cette province s est déroulée graduellement de l ouest vers l est, par l influence des provinces avoisinantes de la Gaule. Mais des différences régionales ont perduré pendant toute l occupation romaine : cela se montre par exemple par une agriculture, un déboisement et une chasse des animaux sauvages beaucoup plus intensive dans les régions de l ouest que vers l est et le nord de la province (Flutsch et al. 2002, ; Deschler-Erb 2001). La conséquence pour notre étude est qu il faut réduire le cadre géographique au niveau des régions pour l étude d un métier qui travaillait des matières premières animales. Le nord de la Suisse est une région dont les données archéologiques et archéozoologiques sont bien exploitées. À Bâle-Münsterhügel se trouvait un site celtique fortifié par un murus gallicus. Le site était probablement sous ordre de commandement romain. Vers 15 av. J.-C., les militaires romains se sont installés sur place (Deschler-Erb, Hagendorn 2005 ; Deschler- Erb et al. 2005). Vers av. J.-C., la colonie Augusta Raurica a été installée à 15 km de la ville actuelle de Bâle et est devenue le centre administratif et économique de la région. Ainsi Augusta Raurica adoptait le rôle de Bâle comme Virunum le faisait de Magdalensberg en Noricum. Pendant son apogée au deuxième et au début du IIIe s. ap. J.-C., environ habitants vivaient à Augusta Raurica qui comprenait alors le théâtre, l amphithéâtre, le forum, les thermes et les quartiers artisanaux (Laur-Belart, Berger 1991 ; Berger 1998) (fig. 3). La fabrication des produits de boucherie, comme la fumaison, était une branche économique importante, mais aussi la tannerie et la tabletterie sur os et corne (Deschler-Erb 1998 ; 2005 ; Deschler-Erb, sous presse). Vers le milieu du IIIe s., un tremblement de terre détruisit probablement en grande partie la florissante cité. Un peu plus tard, vers 275 ap. J.-C., la cité subit les répercussions des luttes contre les invasions germaniques ou des dissensions internes de l'empire. Peu de temps après, la colline surplombant la haute ville fut fortifiée (Kastelen) et servit de refuge à la population décimée. Différents quartiers de la cité romaine furent alors laissés à l'abandon. Après la destruction de la haute ville, de nombreux habitants emménagèrent dans la basse ville au bord du Rhin. Vers 300 ap. J.-C., les légions romaines édifièrent le fort de Kaiseraugst, le Castrum Rauracense, dotant ainsi la population d'un abri fortifié. Pendant de nombreuses années, le Castrum Rauracense, garnison de la Legio I Martia, fut l'un des principaux bastions défensifs sur la frontière de l'empire. Trente kilomètres à l est d Augusta Raurica se trouvait Vindonissa, le seul camp légionnaire implanté sur le territoire de la Suisse actuelle qui fonctionna entre 16 et 101 ap. J.-C. (Flutsch et al. 2002, 64-68). Comparer la tabletterie dans les deux provinces Noricum (K.G.) Le traitement scientifique des découvertes d ossements romains n en est qu à ses débuts pour l ensemble de la province de Noricum. Par contre, l important complexe précoce du Magdalensberg a fait l objet d une monographie ; les découvertes de Virunum et de Salzbourg sont actuellement en cours d étude (Gostenčnik 2005a ; 2005b ; Fig. 3 Augusta Raurica, plan général avec répartition des ateliers de tabletterie. 286

8 S. Deschler-Erb, K. Gostenčnik Différences et identités de la vie quotidienne dans les provinces romaines 2006) (6). Sur d autre sites, des découvertes d os isolées sont mentionnées en marge de la présentation de complexes entiers de découvertes, sans pourtant faire l objet d une exploitation scientifique adéquate. Des examens archéozoologiques sont certes disponibles pour quelques sites, mais les travaux plus anciens ne se réfèrent guère aux contextes archéologiques de découverte (7). Germania superior (S.D.-E.) En ce qui concerne la tabletterie, on peut dire que l état de recherche en Germania superior est assez différent suivant les régions. Les grandes collections de Mogontiacum, la capitale de la province et de la colonie Augusta Raurica sont publiées complètement, celle du camp légionnaire de Vindonissa partiellement (8). La tabletterie de Bâle-Münsterhügel est en train d être analysée. Malheureusement, ce site n a livré que peu d objets de tabletterie. Pour les vici de la province Germania superior, les ensembles de Nida-Heddernheim (Obmann 1997) et de Vitudurum (Martin-Kilcher 1991) sont publiés ; une tentative de comparaison a été faite pour les objets des villas de Biberist et de Neftenbach (Deschler-Erb 2001b). Les collections des colonies d Aventicum et de la colonia Julia Equestris (Nyon) et du vicus de Lousanna-Vidy sont en train d être publiées. Pour les autres sites, on peut constater la même chose que pour Noricum : les objets de tabletterie apparaissent de temps en temps dans les publications archéologiques sans être mentionnés spécialement. En ce qui concerne l archéozoologie, seule la région d Augusta Raurica est bien étudiée et permet des analyses comparatives (9).. la datation des sites diffère : le Magdalensberg, qui a livré la plupart du matériel osseux de cette région, est daté entre 50 av. et 50 ap. J.-C. Virunum, le site succédant au Haut-Empire, n a livré que peu d objets de tabletterie. Dans la région du nord de la Suisse actuelle, la situation est inverse : à Augusta Raurica, beaucoup d objets datent d entre la fin du Ier et le milieu du IIIe s. ap. J.-C., à Bâle, en revanche, peu d objets correspondent à l époque augustéenne. Malgré le fait que, dans la région du Magdalensberg l influence militaire soit assez grande, un camp légionnaire n a pas encore été trouvé. En revanche, cette comparaison permet de dégager certains points positifs :. nous avons deux grandes collections urbaines ;. la question de la production et des ateliers est analysée en détail dans les deux régions.. pour les deux régions, il existe des analyses archéozoologiques ; des comparaisons entre les conditions naturelles et l exploitation de la matière première par l homme sont donc possibles. La question de la matière première (S.D.-E.) Parmi tous les objets de tabletterie du Magdalensberg et d Augusta Raurica, l os prédomine très nettement. Le bois de cerf est peu représenté sur les deux sites, mais au Magdalensberg il est relativement plus important qu à Augusta Raurica (fig. 4a). La comparaison La comparaison de la tabletterie de la région du Magdalensberg et de la région d Augusta Raurica pose quelques problèmes méthodologiques :. les deux provinces ne sont pas directement avoisinantes ;. les conditions naturelles étaient différentes dans les deux régions ;. la romanisation s est déroulée différemment dans les deux régions. Fig. 4a La fréquence des matières premières parmi les objets de tabletterie du Magdalensberg et d Augusta Raurica (Ier s. ap. J.-C.). (6) Pour l exemple de Salzbourg, cf. l article de F. Lang dans ce volume, p (7) Analyses archéozoologiques pour le sud de Noricum : Hornberger 1970 ; Galik 2003 ; 2004 ; Gaggl (8) Mogontiacum : Mikler 1997 ; Augusta Raurica : Deschler-Erb 1998 ; Vindonissa : Unz, Deschler-Erb 1997 ; Holliger, Holliger-Wiesmann 1993 ; Schmid (9) Par exemple : Schibler, Furger 1988 ; Deschler-Erb 1992 ; Deschler-Erb et al ; Pfäffli, Schibler

9 Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge? Fig. 4b La fréquence des matières premières parmi les déchets d atelier du Magdalensberg et d Augusta Raurica (Ier s. ap. J.-C.). En regardant seulement les déchets d ateliers (fig. 4b), une grande différence se dessine entre les deux sites : le travail du bois de cerf est beaucoup plus représenté au Magdalensberg qu à Augusta Raurica. Comment expliquer cela? Les analyses archéozoologiques nous montrent que, pendant toute l occupation romaine, la chasse était beaucoup plus importante dans la région du Magdalensberg (fig. 5a) que dans la région d Augusta Raurica (fig. 5a et b). Cela veut dire que l environnement de la région du Magdalensberg était probablement moins anthropisé que celui de la région d Augusta Raurica. L agriculture n était pas si intensive qu en Germania superior et les animaux sauvages bénéficiaient de cette situation. Les hommes, en revanche, en profitaient en allant à la chasse et en ramassant les bois de cervidé pour la tabletterie. En ce qui concerne les différentes espèces chassées, il n y a pas une grande différence entre les deux régions (fig. 5a et 5b). Par exemple, l élan était très peu chassé sur les deux sites ; il n existait probablement que rarement dans les Alpes et les provinces du nord-ouest (10). Au contraire, au Magdalensberg, quelques objets en bois d élan ont été trouvés. L exploitation exceptionnelle de cette matière première sera discutée plus loin. L observation de la relation entre l homme et son milieu naturel pourrait donner l impression que la région du Magdalensberg était moins romanisée que celle d Augusta Raurica. Mais certains résultats archéozoologiques nous montrent que ce n est pas forcément le cas. Les bœufs de taille imposante que l on trouve tôt ou tard dans toutes les provinces sont l incarnation de l économie romaine (Lepetz 1996, ; Peters 1998, 47-62). Ils étaient beaucoup plus grands que les bœufs indigènes. Il est probable que les Romains ont importé des taureaux de la région méditerranéenne jusqu aux provinces du nord pour les élever avec les vaches de la région. On trouve des restes de ces grands bœufs romains déjà au Magdalensberg ; par contre, dans la région d Augusta Raurica, ils apparaissent dès la fin du Ier s. ap. J.-C. De ce point de vue, au Magdalensberg les influences romaines semblent beaucoup plus précoces qu à Augusta Raurica. Ceci amène à reconsidérer l hypothèse auparavant proposée pour les charnières d Augusta Raurica du Ier s. ap. J.-C. (Deschler-Erb 1997 ; 1998, 80-81). On a pu prouver que ces charnières n ont pas été produites sur place parce qu elles sont faites dans des métapodes de bœufs beaucoup plus épais que ceux issus de la boucherie locale à la même période. On pensait que les Romains ne pouvaient pas les produire au Ier s. parce a b Fig. 5 La fréquence des animaux sauvages parmi les déchets de boucherie : a. Magdalensberg (Hornberger 1970) et Bâle- Münsterhügel (Stopp en prép.) ; b. Virunum (Galik 2003 ; 2004) et Augusta Raurica (Schibler, Furger 1988). (10) Augusta Raurica : Schibler, Furger 1988 ; Magdalensberg : Hornberger

10 S. Deschler-Erb, K. Gostenčnik Différences et identités de la vie quotidienne dans les provinces romaines qu ils n avaient pas la matière première appropriée sur place. Au IIe s., la matière aurait été disponible, mais les charnières n étaient plus à la mode. Au Magdalensberg, une dizaine d années plus tôt, la matière était présente, mais il ne semble pas qu on ait produit des charnières. Il existe seulement l exemple d une réparation sur bois de cerf. Aussi les charnières finies y sont-elles très rares. Cela veut-il dire que les armoires avec charnières en os n étaient pas à la mode au Magdalensberg? Ou était-ce trop difficile de les transporter là-haut? Quoi qu il en soit, il semble que la production des charnières ait eu lieu dans des ateliers spécialisés hors de nos provinces, même si la matière première était à disposition pour les faire sur place. Pour finir cette discussion sur la matière première, les conditions naturelles locales, par exemple la fréquence des cervidés, ont vraisemblablement été importantes pour la tabletterie, mais pas dans tous les cas comme le montre l exemple des bœufs et les charnières. La question de la chronologie Le nombre d objets en os étudiés en provenance d Augusta Raurica, du Magdalensberg et de Virunum varie considérablement selon les cas : Augusta Raurica : 5902, Bâle-Münsterhügel : 18, Magdalensberg : 1087, Virunum : 180 (Deschler-Erb 1998 ; Deschler-Erb, en prép. ; Gostenčnik 2005a ; 2005b et 2006). De plus, le cadre chronologique des trois villes est très différent (cf. Introduction), si bien que les typologies locales effectives ne correspondent pas aux mêmes périodes : d un côté, le Magdalensberg d environ 50 av. à 50 ap. J.-C., de l autre, Augusta Raurica et Virunum de la seconde moitié du Ier s. au IVe s. ap. J.-C. Cela conduit à de nettes différences dans la fréquence des types les plus importants (fig. 6) : alors que sur le Magdalensberg, ce sont les stili et les pions de jeux qui sont les plus fréquemment représentés, ce sont les épingles à cheveux à Virunum et à Augusta Raurica. Cette comparaison montre que la situation temporelle d un site a une influence essentielle sur le spectre des types d artefacts osseux. La typologie des objets de tabletterie est beaucoup plus soumise à des changements chronologiques qu on ne le pense. Cette observation s applique pareillement aux deux provinces examinées ici. Parmi le riche matériel des trois sites, nous avons sélectionné quelques découvertes signifiantes afin de les examiner en détail et de déterminer les différences entre la première typologie, celle de la fin de la République et des débuts de l Empire, et celle de la période impériale et tardive ; l intégralité du matériel des trois sites étant présentée dans les publications disponibles et déjà citées. La typologie Écrire (K.G.) Parmi les découvertes osseuses de la fin de la République et de l époque julio-claudienne, le stilus osseux (fig. 7) est l un des outils les plus importants. Ces accessoires de l écriture sont attestés au moins à partir du IIIe s. av. J.-C. mais disparaissent de la typologie dans le courant du Ier s. ap. J.-C. (Gostenčnik 2005a, 41-74). Les fouilles sur le Magdalensberg ont donné jusqu ici 314 découvertes de stylets en os (y Fig. 6 La fréquence des différents types parmi les objets de tabletterie de Magdalensberg (1087 n) ; Virunum (180 n) et Augusta Raurica (5902 n). 289

11 Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge? 0 5 cm Fig. 7 Stylets : Magdalensberg (d après Gostenčnik 2005a) ; 2. Vindonissa (d après Huber 2003) ; Augst (d après Deschler-Erb 1998). 290

12 S. Deschler-Erb, K. Gostenčnik Différences et identités de la vie quotidienne dans les provinces romaines compris 4 produits semi-finis) et 200 autres en fer (Öllerer 1998) ; on peut en déduire que les tablettes de cire étaient le support d écriture le plus important dans cette ville commerçante et centre administratif précoce. Les découvertes de stylets du Magdalensberg peuvent être divisées en deux groupes principaux : 1. une forme biconique avec une boule de biffure en forme de noyau d olive ; à ce groupe appartient la plupart des découvertes et variantes (fig. 7, n ) ; 2. une forme longitudinale conique avec un bout d écriture relativement court, qui apparaît en deux variantes, l une avec et l autre sans boule de biffure (fig. 7, n ). Nombre de ces stylets osseux portent sur la boule de biffure les marques de dents humaines (fig. 7, n ), celle-ci pouvant même être entièrement détérioré par mastication comme un crayon, alors que sur le fût et sur la pointe d écriture ne se trouve aucune marque dentaire (11). Outre cette observation banale, il est possible de contrer la discorde entre la recherche germanophone et francophone au sujet de son utilité (12) stylet à écrire ou fuseau par l argument suivant : un fuseau n a pas besoin d une pointe aiguë contrairement à un instrument d écriture. Or une telle pointe se trouve chez la plupart des 314 découvertes du Magdalensberg, des pointes brisées ayant été réaffûtées au moyen de couteaux ou de limes (fig. 7, n ). Du Magdalensberg, nous connaissons jusqu ici environ 700 fusaïoles, la plupart d entre elles en céramique grossière brisée (Gostenčnik 2000) ; si une telle fusaïole avait été enfilée sur le fût brillamment poli d un stylet, celui-ci aurait été immanquablement rayé à l endroit correspondant, mais aucun stylet ne montre de telles traces en surface. Si l on compare le nombre de stylets avec celui des quenouilles et des fusaïoles fabriqués en os, on s aperçoit immédiatement que l os reste totalement sous-représenté dans la fabrication de ces outils textiles du Magdalensberg, nous connaissons environ 20 quenouilles (Gostenčnik 2005a, , fig ). En outre, le remblai du camp de la légion de Vindonissa a donné environ 60 fuseaux en bois (Wild 1970, 33 ; Gostenčnik 2005a, 37, note 101) ainsi que quelques quenouilles en os, en plus de quelques stylets osseux qui correspondent aux découvertes du Magdalensberg. On est donc autorisé à souligner que les fuseaux de la première période étaient principalement en bois. Parmi les stylets en fer du Magdalensberg ou par exemple ceux du camp de Dangstetten dans la future Germania superior, datant du début du règne d Auguste, ou encore ceux de Augsburg-Oberhausen en Raetia, quelques exemplaires possèdent également, comme les découvertes osseuses, de petites boules de biffure à la place d une spatule (13). Pour ces stylets de fer également, il s agit du détail d une forme précoce. Comme on l a vu ci-dessus, la présence de stylets osseux est attestée dès le IIIe s. av. J.-C. La forme plus longue à fût conique et pointe d écriture plus courte (fig. 7, n 14-17) se trouve plus fréquemment sur des sites républicains ainsi qu à Delos ou encore dans des oppida celtiques ou sur certains sites en France méridionale alors que les découvertes publiées de Lyon, par exemple, appartiennent exclusivement à notre première catégorie (14). Quelques-uns des stylets osseux du Magdalensberg, après avoir été brisés, ont été réutilisés en tant que crayon à lisser et, dans un cas, en tant que cachet. Le cachet (fig. 7, n 21) porte en écriture rétrograde l abréviation nominale L(ucius) Eg(---). En Germania superior, nous connaissons des stylets osseux à boule de biffure en forme de noyau d olive représentés par huit exemplaires d Augusta Raurica (fig. 7, n ) et quelques autres, publiés de façon éparse, de Vindonissa (fig. 7, 2), ainsi que 32 de Mayence ou 12 de Nida-Heddernheim dans la Wetterau (Deschler-Erb 1998, Taf ; Mikler 1997, Taf ; Obmann 1997, Taf ). Outre ces stylets osseux, les fouilles de Vindonissa ont également fournies plusieurs centaines de stylets en fer avec spatule de biffure. Le camp de Dangstetten, pour sa part, fournit 36 stylets osseux appartenant principalement à notre première catégorie, mais moins de 10 en métal : on est autorisé à voir là un critère temporel pour le rapide tarissement de ces artefacts à l époque postaugustéenne (Fingerlin 1986 ; 1998). Les découvertes osseuses des débuts portent nettement plus souvent des inscriptions que celles des (11) Cf. Gostenčnik 2005a, fig (12) Cf. Béal 1983, plusieurs stylets parmi le type XVIII ; commentaire de l auteur (p. 151) : Encore ces critères sont-ils subjectifs. Cf. Chazelles 2000, fig. 3 : fuseaux qui correspondent à notre type 2 ; pour les objets d écriture en os cf. Božič, Feugère (13) Öllerer 1998, 128 type VIII (avec des sous-types) ; Dangstetten (Fingerlin 1998, FS 658,24) ; plusieurs à Augsburg-Oberhausen (Hübener 1973 fig. 6,1-2 und fig. 22,34). (14) Gostenčnik 2005a, (avec beaucoup de parallèles) ; pour les oppida celtiques cf. Jacobi 1974 ; Delos cf. Déonna 1938, tab ; pour le sud de la France, cf. Chazelles 2000, fig. 3 ; cette forme n existe pas à Lyon (cf. Béal 1983). 291

13 Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge? cm Fig. 8 Jetons de jeux et d autres objets avec des inscriptions : 1-2. Tesserae nummulariae ; divers jetons de jeux ; épées de tissage ; Magdalensberg (d après Gostenčnik 2005a) ; Vindonissa (d après Huber 2003) ; Augst (d après Deschler-Erb 1998) ; 22. Virunum (d après Gostenčnik 2005b). 292

14 S. Deschler-Erb, K. Gostenčnik Différences et identités de la vie quotidienne dans les provinces romaines périodes plus tardives (15). Il se peut que cela soit lié en partie au fait que, dans la première typologie, figurent effectivement des artefacts qui ont été conçus d emblée comme supports d écriture. Parmi eux, figurent les tesserae nummulariae, des étiquettes de porte-monnaie romain datant du Ier s. av. et du Ier s. ap. J.-C. (fig. 8, n 1-2), comme indices du système bancaire romain (Andreau 1987 ; Bürge 1987) (16), ou des jetons de jeu spéciaux avec des signes numériques bilingues (lettres grecques et chiffres romains) (fig. 8, n 31), qui portent effective-ment des inscriptions en caractères capitaux ou encore en écriture majuscule. De plus, se trouvent de nombreux graffitis qui sont essentiellement des noms et des nombres en cursive majuscule. Ainsi, 12 des 314 stylets trouvés au Magdalensberg (fig. 7, n ) sont marqués de noms entiers ou abrégés qui sont des marques de propriété, 24 des 220 jetons (fig. 8, n 3-10) portent des inscriptions semblables et des graffitis, 8 des 12 tesserae nummulariae (fig. 8, n 1-2) portent effectivement des inscriptions ; s y ajoutent d autres artefacts singuliers comme une épée de tissage avec un graffito nominatif (fig. 8, n 33) ou un manche à couteau avec marque de propriété. Parmi les découvertes du Magdalensberg, 50 pièces ou 4,6 % portent des inscriptions ; pour Virunum, ce taux est bien inférieur de 180 découvertes ; il n y a qu un jeton (fig. 8, n 22) qui soit pourvu d un graffito, ce qui correspond à 0,55 %. Les découvertes osseuses de Mayence portent essentiellement des graffitis, à savoir 21 jetons de jeux sur un total de découvertes osseuses, abstraction faite d un cadran solaire en ivoire avec inscription, soit en tout 1,78 %. Augusta Raurica a livré 37 découvertes avec inscriptions sur un total de soit 0,63 %, également le plus souvent sur des jetons de jeux (fig. 8, n ) mais aussi sur une lame de tisserand (fig. 8, n 34). À Nida-Heddernheim, 12 jetons et une poignée, sur objets (soit 0,64 %) montrent des inscriptions ; à Lyon, ce sont 25 artefacts sur 1 345, soit 1,86 % (jetons, stylets, poignée, épée de tissage, anneau avec christogrammes). Dans l ensemble, toutes ces inscriptions nous livrent simplement des noms et des nombres. En conclusion, les stylets sont chronologiquement l un des groupes les plus précoces au sein des découvertes osseuses d époque romaine, ce qui explique pourquoi ils ne peuvent être présents que très exceptionnellement sur des sites postérieurs au milieu du Ier s. ap. J.-C. Que les découvertes osseuses des débuts soient nettement plus souvent porteuses d inscriptions s explique par le fait que certains objets de la première période servent de supports d écriture (tesserae nummulariae) ; de même, certains de ces objets sont plus facilement susceptibles de recevoir des inscriptions (stylets, épée de tissage). Les jetons de jeux portent des inscriptions semblables à toutes les périodes. Jouer (K.G.) Les jetons de jeux, au même titre que les épingles osseuses dont il sera question plus loin, comptent parmi les artefacts osseux les plus fréquents sur les sites romains. La comparaison entre la typologie précoce et la typologie tardive fournit une succession chronologique nette. Alors que sur le Magdalensberg, 220 jetons de jeux appartiennent exclusivement à une seule variante, à savoir celle à surface lisse et à bord biseauté (fig. 8, n 3-11), les découvertes d Augusta Raurica comportent des jetons à surface concave (fig. 8, n 15-21) ou avec des rainures concentriques et des bords entaillés (fig. 8, 23-29) ; le fait que Virunum a également produit essentiellement des exemplaires concaves et rainurés montre qu il s agit là non pas d une singularité locale, mais d un critère chronologique (Deschler-Erb 1998, , fig ; Gostenčnik 2005a, , fig et 2005b, , fig. 6) (17). Il en résulte que leur diffusion vers l ouest n a pu avoir lieu qu à l époque post-claudienne. Proportionnellement à la totalité du matériel découvert, la quantité de jetons est sensiblement la même à Augusta Raurica, sur le Magdalensberg et à Virunum. Les jetons bilingues mentionnés ci-dessus (fig. 8, n 31) proviennent vraisemblablement d Alexandrie en Égypte vers la fin de l époque hellénistique. E. Alföldi- Rosenbaum en traite dans plusieurs de ses travaux, sans pour autant avoir retrouvé le jeu qui en est à la base (18). La provenance d Alexandrie ainsi que la diffusion plus large ont probablement été la raison des signes numériques bilingues. Les inscriptions ont été exécutées dès la fabrication à l atelier et doivent avoir été une partie essentielle du jeu. Le lapin avec le chiffre III au revers fait également partie d un jeu inconnu. (15) Cf. Gostenčnik 2005a, et 2007 ; Deschler-Erb 1998 ; Mikler 1997 ; Obmann 1997 ; Béal (16) RE s.v. nummularius (R. Herzog). (17) Pour les questions de datations, le volume de J.-Cl. Béal (1983) n est plus actuel. (18) P. ex. Alföldi-Rosenbaum

15 Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge? cm Fig. 9 Cuillères : cochlearia ; 7-8. ligulae Magdalensberg (d après Gostenčnik 2005a) ; 3.9. Augusta Raurica (d après Deschler-Erb 1998) ; 6.8. Augusta Raurica (d après Riha, Stern 1982) ; 10. Virunum (d après Gostenčnik 2005b). 294

16 S. Deschler-Erb, K. Gostenčnik Différences et identités de la vie quotidienne dans les provinces romaines À l époque du Magdalensberg, il existe une forme unique de tesserae ordinaires ; la multiplicité des formes ne se manifeste qu aux périodes suivantes, ce qui explique la présence de jetons très divers à Augusta Raurica ou Virunum. Les facteurs chronologiques sont donc, ici encore, primordiaux. Manger (K.G.) La première typologie répertorie, parmi les petites cuillères ou cochleria, celles à coquilles rondes et celles à coquilles en forme d amande, ces deux formes étant représentées de façon très équilibrée sur le Magdalensberg, avec 23 en forme d amande (fig. 9, n 4-5) pour 27 rondes (fig. 9, n 1-2) ; par ailleurs, on répertorie 2 grandes cuillères de type ligula (fig. 9, n 7) (Gostenčnik 2005a, 78-98, fig ; Riha, Stern 1982). Les deux petites cuillères possèdent un axe qui va de part en part, alors que sur des exemples plus tardifs, tels ceux d Augusta Raurica et Virunum (fig. 9, n 9-10), l axe est brisé, ce qui signifie que la cuillère est surbaissée par rapport au manche [Deschler-Erb 1998, fig. 13,306 ; Riha, Stern 1982, fig (en métal)]. Les premières cuillères en forme d amande sont normalement rares. Ainsi St. J. Greep publia un exemplaire parmi des importations proto-romaines de Braughing en Angleterre ; d autres sites de découvertes sont Salamine de Chypre, Nida-Heddernheim, Dangstetten, Vindonissa, Trento ou Lyon, mais aucun de ces sites n a donné plus d une ou de deux pièces (Greep 1983, fig. 6,3 ; Chavane 1975, fig. 15,131 ; Obmann 1997, fig. 35,1452 ; Fingerlin 1986, FS 363,30 ; Riha, Stern 1982, fig. 14,1 ; Bassi 1995, fig. 1,16 ; Béal 1983, fig. 46,796). C est pourquoi il est possible de qualifier cette découverte de forme républicaine tardive voire augustéenne, bien que des exemplaires isolés apparaissent encore jusqu au milieu du Ier s. ap. J.-C. D Augusta Raurica, nous connaissons jusqu ici 201 cuillères rondes (fig. 9, n 3), qui ont été produites sur place (Deschler-Erb 1998, , fig ) ; le type en forme d amande n est plus diffusé sur ce site. À Vindonissa, se trouvent aussi bien le cochlear en forme d amande (fig. 9, n 6) que la grande ligula (fig. 9, n 8) même si elles sont rares (Riha, Stern 1982, fig. 14). Conclusion : pour les cuillères, il existe également une forme initiale, représentée par les exemplaires en forme d amande, qui a disparu de la typologie au plus tard après le milieu du Ier s. ap. J.-C. Les cochlearia ronds sont les mieux attestés, le modèle tardif à axe brisé étant globalement très rare. Couper (K.G.) Le traitement du fer était l un des artisanats principaux sur le Magdalensberg (Dolenz 1998 ; Schütz 2003), ainsi que probablement la fabrication de couteaux en fer avec des manches osseux bien que la production de couteaux n a pas pu être attestée avec certitude par manque de produits semi-finis. La forme la plus courante regroupe des couteaux avec manches en bois de cerf et une décoration de cercles concentriques (fig. 10, n 1-4) comportant une lame courbe, une plaque de manche et un anneau de suspension (19). Au cours de l été 2005, a été trouvé pour la première fois un tel manche à l état de produit semifini, ce qui devrait attester une production sur place. Typique pour le Magdalensberg est l occurrence exclusive de la décoration de cercles concentriques sur ces manches à deux coquilles, rarement élargie au bout du manche par une à deux encoches. Les couteaux portant cette décoration possèdent diverses tailles : à côté d exemplaires très grands, se trouvent des formats extrêmement petits, ces derniers, à la différence des grands, étant équipés de rivets de bronze (fig. 10, n 4). Un tel couteau est d ailleurs représenté en relief sur la stèle funéraire d un vannier d Aquileia (Zimmer 1982, , nr. 74). Des couteaux à lame courbe et à coquilles de manches en bois de cerf sont connus dans de nombreux camps militaires tout au long du limes jusqu en Germania inferior, mais aussi dans une agglomération civile comme Augusta Raurica (Deschler-Erb 1998, 133, fig. 9-10). Cependant, sur tous ces exemplaires, la décoration est linéaire (fig. 10, n 5-9) ; un tel couteau a également été trouvé à Virunum mais n a pas été publié. Il semble que la décoration linéaire n apparaisse qu après la période du Magdalensberg. Ainsi, on a constaté à Flavia Solva, au sud-est de Noricum, une production de couteau ayant été de courte durée vers la fin du Ier s. ap. J.-C. (20). Les manches en bois de cerf qui y furent confectionnés montrent déjà une décoration linéaire. On constate maintenant des éléments semblables à Salzbourg (21). (19) Dolenz 1998, , fig , couteaux ; Gostenčnik 2005a, , fig , manches en bois de cerf. (20) Heymans 2004 et commentaire personnel ; une étude par F. Lang en détail est en cours. (21) Cf. l article de F. Lang dans ce volume, p

17 Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge? cm 9 Fig. 10 Couteau à coquille de manche : 1-4. Magdalensberg (d après Gostenčnik 2005a) ; 5-9. Augusta Raurica (d après Deschler-Erb 1998). 296

18 S. Deschler-Erb, K. Gostenčnik Différences et identités de la vie quotidienne dans les provinces romaines cm Fig. 11 Épingles à tête percée : 1-2. Magdalensberg (d après Gostenčnik 2005a) ; 3-5. Virunum (d après Gostenčnik 2005b ; 2006) ; Augusta Raurica (d après Deschler-Erb 1998) ; Vindonissa (d après Huber 2003). 297

19 Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge? cm 25 Fig. 12 Épingles : 1-5. Magdalensberg (d après Gostenčnik 2005a) ; Virunum (d après Gostenčnik 2005b) ; Augusta Raurica (d après Deschler-Erb 1998). 298

20 S. Deschler-Erb, K. Gostenčnik Différences et identités de la vie quotidienne dans les provinces romaines Conclusion : des couteaux à lames courbes et à coquilles de manches en bois de cerf se trouvent dans les deux provinces. La décoration de pièces de Norique ne se distingue de celle des découvertes de la Germania superior que pendant la première période. Se parer (K.G.) Des épingles osseuses à tête percée (fig. 11) sont traitées ici non pas comme des outils textiles, mais comme épingles de parure (épingles à cheveux ou à vêtements). Ce point a été discuté (Bíró 2005 ; Seitz 1999, ; Gostenčnik 2005a, ) en détail par plusieurs chercheuses et nous résumerons ici les principaux arguments : 1. Dans des tombes contenant des corps, des épingles osseuses avec 1 à 3 perforations se trouvent au niveau du crâne ou du thorax ; 2. Les textiles romains sont en moyenne trop fins ou encore tissés de façon trop serrée pour pouvoir être cousus avec des aiguilles aussi épaisses (de 2 à 6 mm) ; 3. Sur des aiguilles à coudre, le fil, à mesure qu on le tirait, aurait dû laisser une encoche d usure dans le chat de l aiguille, comme cela s observe sur des planchettes à tisser ou encore sur des fusaïoles autour de la perforation centrale. Or ce n est le cas sur aucune des épingles perforées. Elles seraient donc toutes restées inutilisées! De plus, comme pour les aiguilles à coudre modernes, le fil doit prendre place dans une rainure afin que l aiguille et le fil traversent plus facilement l étoffe ; c est ce que montrent avec toute la netteté souhaitable les quelques 400 aiguilles à coudre en fer et en bronze du Magdalensberg, ainsi que la seule vraie aiguille à coudre osseuse provenant du même endroit (Gostenčnik 2000). 4. Souvent ces épingles perforées se trouvent dans le système d évacuation de thermes romains, à proximité de nombreuses autres épingles de parure et aucune femme romaine, quelles que soient sa classe sociale et ses mœurs, fussent-elles les plus rigoureuses, n a jamais cousu au bain (22). 5. Parfois dans les perforations des épingles sont accrochés des éléments décoratifs tels que des anneaux, de petites clés, des plaquettes de métal, etc. ; c est également le cas pour certaines épingles de parure en bronze. Les épingles osseuses à trois perforations provenant du Magdalensberg (fig. 11, n 1-2) sont de surcroît colorées (Gostenčnik 2005a, , fig. 22, 3-4 et et fig. 76, 1-2) : l on y distingue des spirales et des contre-spirales. De tels dessins peuvent souvent être repérés sur des cuillères à parfum et également sur quelques quenouilles (23). Jusqu ici de telles traces de couleurs n ont été observées sur quelques artefacts qu à Salzbourg, Lyon ou Vienne (24). Il est possible qu il s agisse là d un détail spécifique d atelier. Alors que les épingles osseuses sont dans l ensemble rares à la première période sur le Magdalensberg, il y en a 43 (dont 13 avec tête perforée) sur artefacts (fig. 11, n 1-2 et 12, n 1-5), soit 3,96 % elles sont massivement représentées dès la deuxième moitié du IIe s. jusqu au IIIe - IVe s. ap. J.-C. et montrent, de plus, des formes nombreuses et diversifiées. À Augusta Raurica, on a trouvé épingles osseuses dont 416 à tête perforée (fig. 11, n 6-15 et 12, n 12-25), soit 39,2 % de l ensemble du matériel découvert (25). À Virunum, cette proportion est encore bien plus élevée avec 117 pièces (dont 4 perforées) (fig. 11, n 3-5 et 12, n 6-11), soit 65 % (Gostenčnik 2005b, fig. 3 et 8). Manifestement l usage de porter des coiffures soutenues par de nombreuses épingles ne s est répandu qu au cours du IIe s. (26) ; il est possible que l on puisse déduire des différences régionales dans la coiffure en fonction du nombre d épingles perforées. Conclusion : des types très variés d épingles de parure se trouvent en grandes quantités essentiellement à partir de la deuxième moitié du IIe s. ap. J.-C., rarement avant. La comparaison des quantités découvertes aux deux endroits à des époques différentes est sans ambiguïté. Se protéger (S.D.-E.) Ni à Augusta Raurica (29 n) ni au Magdalensberg (8 n), les amulettes ne sont d une grande importance, mais il s agit d un groupe d objets assez spécifiques. Certains types n ont pas varié depuis des millénaires (27), il s agit donc de formes indigènes (28). Souvent les amulettes, comme les canines d ours (fig. 13), ne sont (22) Par exemple Seitz 1999 ou Greep (23) Gostenčnik 2005a, (spatules) et (quenouilles) ; cf. les formes de Béal 1983 et 1984a, A XXIV,2a, A XLI,1 et A XXI,9. (24) Salzbourg (F. Lang en prép.) ; Lyon (Béal 1983, fig. 32,437) ; Vienne (Béal 1984b, fig. 17). (25) Deschler-Erb 1998, , fig et , fig ; cf. Riha 1990, fig , épingles en os et en métal. (26) Cf. les complexes bien datés de Crummy 1979 ; Greep 1986 et (27) Par exemple les amulettes des canines d ours qui ont été trouvées sur le site néolithique d Arbon-Bleiche 3 (canton Thurgovie) (Deschler- Erb et al. 2002, 312 et 357). (28) Il semble que dans la région orientale de la Méditerranée les amulettes de dents et aussi en bois de cerfs n existaient pas (cf. Ayalon 2005). 299

21 Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge? Fig. 13 Amulettes en dent d ours : 1. Arbon-Bleiche 3, av. J.-C. (d après Deschler-Erb et al ; L. 76 mm) ; 2. Augusta Raurica (d après Deschler-Erb 1998 ; L. 72 mm) ; 3. Magdalensberg (Gostenčnik 2005a ; L. 75 mm). presque pas travaillées parce que leur forme naturelle est importante : elles symbolisent la force et le courage de cet animal. En portant cette dent, on peut bénéficier de ses qualités et être protégé contre tout le mal du monde. Les médaillons en bois de cerf non décorés sont représentés sur les deux sites. À Augusta Raurica et aussi dans le camp légionnaire de Vindonissa, on a trouvé des médaillons décorés avec des rainures concentriques (fig. 14). Il semble que c est une décoration typique des provinces de l ouest, parce qu elle n existe pas en Noricum. Les médaillons décorés d un phallus semblent être typiquement militaires, inconnus dans la colonie d Augusta Raurica, mais ils sont plusieurs fois attestés à Vindonissa ; un seul exemplaire a été trouvé au Magdalensberg. On pense que ces médaillons étaient des amulettes pour les chevaux ; ces animaux précieux et importants devaient être également protégés. Normalement, ils étaient utilisés par les militaires et les personnels officiels. Ceci expliquerait pourquoi peu d amulettes ont été découvertes dans la ville civile d Augusta Raurica par rapport à Vindonissa. Au Magdalensberg, les amulettes en bois de cerf sont rares plus que celles en bronze (Deimel 1987, Taf ). Étant donné la masse de bois de cerf trouvée sur ce site, les amulettes dans ce type de matériel devraient être beaucoup plus nombreuses. Peut-être en Noricum existait-il d autres traditions symboliques qu en Germania superior. La production Finalement, quelques mots concernant la production locale qui est le sujet du projet mené par CRAFTS. Quelques différences entre les sites sont perceptibles. La région du Magdalensberg (K.G.) La typologie du Magdalensberg (50 av. à 50 ap. J.-C.) est, pour la majeure partie, de provenance méditerranéenne et, de plus, républicaine. On peut remonter l évolution de la typologie dans l espace méditerranéen en partie jusqu au IIIe et IIe s. av. J.-C. Les manches de couteaux et les amulettes, par exemple, sont de provenance locale. La figure 1 montre en même temps la cartographie des déchets provenant d ateliers travaillant l os dans la ville sur le Magdalensberg Fig. 14 Médaillons de bois de cerf : 1-2. Augusta Raurica (d après Deschler-Erb 1998 ; l. 60 mm et 70 mm) ; 3-4. Vindonissa (d après Unz, Deschler-Erb 1997 ; l. 54 mm et 60 mm) ; 5-6. Magdalensberg (d après Gostenčnik 2005a ; l. 78 mm et 59 mm). 300