Analyse des logiciels d application spécialisée pour le courtage en épargne collective Dép. de mathématiques et de génie industriel École Polytechnique de Montréal C.P. 6079, succ. Centre-ville Montréal (Québec) H3C 3A7 Canada alexandre.moise@polymtl.ca Alexandre Moïse Chaire en management des services financiers École des sciences de la gestion Université du Québec à Montréal C.P. 8888, succ. Centre-ville Montréal (Québec) H3C 3P8 Canada RESUMÉ En s appuyant sur une hiérarchie d abstraction pour la gestion de portefeuille de parts de fonds communs de placement, une analyse des logiciels d application spécialisée pour le courtage en épargne collective a été réalisée. Les résultats indiquent que l état de l art en matière d interfaces humain-ordinateur (IHO) pour ces logiciels est caractérisé par (1) un mode de présentation et d interaction principalement alphanumérique, (2) une dispersion des informations à travers différents logiciels d application spécialisée et (3) l absence de certaines informations de niveaux d abstraction élevés. Ces résultats suggèrent de pousser les recherches vers la conception écologique d une IHO pour ce doamine d application. MOTS CLÉS : Gestion de portefeuille, fonds communs de placement, hiérarchie d abstraction, interface humainordinateur, évaluation. ABSTRACT Based on an abstraction hierarchy for mutual fund units portfolio management, an analysis of specialized application softwares for group saving plans has been performed. The results indicate that the state of the art regarding humancomputer interfaces for these softwares is characterized by (1) an essentially alphanumeric presentation and interaction mode, (2) the dispersion of information through various specialized application softwares, and (3) the absence of certain information from higher level of abstraction. These results suggest to push research toward ecological interface design for this application domain. KEYWORDS: Portfolio management, mutual funds, abstraction hierarchy, human-computer interface, evaluation.
INTRODUCTION Les logiciels d application spécialisée (LAS) sont de plus en plus présents dans l environnement de travail du représentant en épargne collective. Ce dernier est responsable de la bonne gestion des portefeuilles de parts de fonds communs de placement (FCP) de ses clients qui, dans bien des cas, peuvent se compter par centaines. Les LAS soutenant le travail du représentant en épargne collective peuvent être regroupés en trois catégories : - Gestion de la relation client. Cette catégorie permet de gérer le contact avec les clients en offrant des fonctionnalités telles le stockage des coordonnées des clients, l envoie massif de courriers électroniques, l affichage des rendez-vous, l affichage des notes au dossier, etc. - Gestion du portefeuille. Cette catégorie permet de s assurer que le portefeuille du client correspond à ses besoins tout en étant plus performant que le marché. Le représentant en épargne collective a la possibilité de simuler une modification de la répartition du capital avant de réaliser les achats et ventes de parts de FCP. - Surveillance du marché. Cette catégorie permet d identifier les menaces et les opportunités d investissement. Il offre une vue sur les différents FCP offerts et procure certaines fonctionnalités de comparaison les uns aux autres. Puisque le représentant en épargne collective doit principalement gérer le portefeuille de parts de FCP de ses clients, cet article porte exclusivement sur les LAS destinés à soutenir cette tâche. L objectif de cet article est de décrire l état de l art en matière d interfaces humain-ordinateur (IHO) pour cette catégorie de LAS. Pour ce faire, il est essentiel de se rattacher à un cadre de référence représentant le domaine d application. REPRÉSENTATION DU DOMAINE D APPLICATION La hiérarchie d abstraction (HA) a été choisie pour représenter le domaine d application : la gestion de portefeuille de parts de FCP. Elle consiste à structurer les informations essentielles à l atteinte des buts à travers différents niveaux d abstraction [5][6][7]. Ce faisant, la HA correspond à l explicitation du modèle mental d un individu, c est-à-dire l ensemble des variables et leurs relations nécessaires à la compréhension du domaine d application. Par conséquent, la HA est psychologiquement compatible avec le processus de résolution de problème d un individu [7]. Chaque niveau d abstraction décrit un ensemble de variables et de relations spécifiques à ce niveau d abstraction. Tel que présenté à la figure 1, les liens entre les niveaux d abstraction s appuient sur des relations «but-moyens», ce qui signifie que pour toute paire verticale de niveau d abstraction, l élément du niveau supérieur décrit le but à atteindre (le «pourquoi?») et les éléments associés du niveau inférieur décrivent les moyens utilisés (le «comment?») pour atteindre ce but. De cette façon, le niveau d abstraction le plus élevé décrit le but pour lequel le système est utilisé et le niveau d abstraction le plus bas décrit généralement les aspects physiques du système, c est-à-dire ceux qui peuvent être manipulés ou qui sont perceptibles dans l environnement. Les niveaux d abstraction intermédiaires portent sur les aspects fonctionnels entre ces deux niveaux d abstraction. En d autres mots, le passage d un niveau d abstraction à un autre implique un changement dans les concepts et la structure de représentation ainsi que dans les informations utilisées pour caractériser le système à ce niveau d abstraction. Figure 1 : Cadre générique d une hiérarchie d abstraction. La HA a été appliquée à plusieurs domaines dont principalement le contrôle de processus industriels, mais également la médecine, le contrôle d opérations militaires et la gestion de réseaux informatiques [8]. Plus particulièrement relié à la finance, les applications se limitent à l analyse fondamentale [3] et à la gestion d un fonds structuré [1]. Suite à une revue de la littérature sur la gestion d actifs financiers et d entrevues auprès de neuf représentants en épargne collective provenant de cinq cabinets différents, une HA appliquée à la gestion de portefeuilles de parts de FCP a été conçue. Celle-ci est présentée à la figure 2. Comme la gestion de portefeuille de parts de FCP requiert des informa-
tions de trois domaines spécifiques (client, portefeuille 1 et marché), celles-ci sont regroupées par domaine spécifique pour chaque niveau d abstraction. Finalités Effets Variations Indicateurs Descriptions Objectifs d investissement Contraintes d investissement Performance du portefeuille Profil de l investisseur Capacité d investissement Ajout/retrait de capital Gain/perte en capital Achat/vente de parts Capital investi Liquidités Nombre de parts Description du client Description de la part de FCP Description de l indice financier Figure 2 : Hiérarchie d abstraction pour la gestion de portefeuille de parts de FCP. Le premier niveau d abstraction, le plus élevé, nommé Finalités, présente les objectifs que doit atteindre le représentant en épargne collective avec le portefeuille. Le niveau d abstraction suivant, nommé Effets, présente les effets des variations, c est-à-dire le rendement et le risque. Le niveau d abstraction suivant, nommé Variations, présente les différences de valeurs entre deux périodes pour une même variable provenant du niveau d abstraction inférieur. Le niveau d abstraction suivant, nommé Indicateurs, présente les données brutes dont les valeurs peuvent être observées à tout moment. Finalement, le niveau d abstraction suivant, nommé Descriptions, présente les informations permettant de caractériser, le lcient, les parts de FCP détenues dans le portefeuille et les indices financiers utilisés pour représenter le marché. La relation «but-moyen» entre les niveaux d abstraction va comme suit. Par exemple, l objectif d investissement, appartenant au niveau d abstraction Finalités, est représenté par une valeur cible à atteindre à l échéance. Celle-ci est obtenue à partir du rendement du portefeuille qui appartient au niveau d abstraction Effets. Ce dernier est obtenu par la variation de la valeur du portefeuille entre différentes périodes qui appartient au niveau d abstraction Variations. La variation de la valeur, c est-à-dire les gains et pertes de valeur, sont obtenus en regardant la valeur du portefeuille à des périodes précises. Cette information appartient au niveau d abstraction Indicateurs. Il est possible de faire le raisonnement inverse, c est-à-dire de commencer par la valeur du portefeuille au niveau d abstraction Indicateurs pour arriver aux objectifs d investissement du niveau d abstraction Finalités en passant par les deux autres niveaux d abstraction. ANALYSE DES LOGICIELS D APPLICATION SPÉCIALISÉE Afin de soutenir convenablement le processus décisionnel du représentant en épargne collective dans la gestion de portefeuilles de parts de FCP, les LAS utilisés à cette fin par ce dernier devraient présenter les informations de chaque niveau d abstraction de la HA illustrée à la figure 2. 1 Un portefeuille est composé de parts de FCP. Par conséquent, le regroupement n est pas un domaine spécifique, mais un niveau de décomposition du domaine. Toutefois, comme les informations sur les parts de FCP sont essentielles au domaine d application, il est nécessaire de les inclure distinctement dans la HA.
AN-NET WEB Croesus PALTrak Synchro Total Objectifs d investissement Finalités Contraintes d investissement Performance Profil de l investisseur Capacité d investissement Effets Ajout/retrait de capital Variations Gain/perte en capital Achat/vente de parts Capital investi Liquidités Indicateurs Nombre de parts Description du client Descriptions Description de la part de FCP Description de l indice financier Figure 3 : Couverture du domaine d application par différents logiciels d application spécialisée. Pour avoir une idée de l état de l art en matière d IHO des LAS pour la gestion de portefeuilles de parts de FCP, quatre ont été passés en revue. Trois de ces derniers sont utilisés par les représentants rencontrés (AN-NET WEB, PALTrak et Synchro). L autre (Croesus) a été retenu puisqu il est utilisé pour la gestion des investissements par certaines des plus grandes institutions financières à l échelle mondiale. Le résultat de cette analyse est présenté à la figure 3. On constate que chaque LAS utilisé par le représentant en épargne collective ne le soutient pas totalement dans son travail. Premièrement, le mode de présentation et d interaction est principalement alphanumérique ce qui rend difficile la présentation des contraintes qui gouvernent l environnement. L utilisateur ne voit pas l effet des modifications avant de passer à l action. Toutefois, Synchro offre cette caractéristique, mais de manière limitée; l utilisateur peut manipuler les données à l aide de boutons permettant d augmenter ou de réduire afin de voir si les valeurs permettent d atteindre les cibles désirées. Deuxièmement, les logiciels ne présentent pas les informations sur le portefeuille, sur le client et sur le marché de manière intégrée. Celles-ci sont généralement dispersées dans l environnement de travail. Le représentant en épargne collective a donc besoin de recourir à différents LAS puisque chacun d eux couvre sensiblement un des trois domaines spécifiques de la HA. De plus, lorsque plusieurs informations sont présentées par un seul LAS, elles le sont à des endroits différents, obligeant ainsi l utilisateur à naviguer entre les différents écrans ou pages Web. Dernièrement, certaines informations ne sont pas présentées aux niveaux d abstraction les plus élevés par les LAS analysés, notamment le niveau d abstraction Finalités. Le représentant en épargne collective doit donc compenser cognitivement en intégrant les informations de niveaux d abstraction inférieurs afin d obtenir des informations de niveaux d abstraction supérieurs nécessaires pour ses décisions. Par contre, il est intéressant de remarquer l absence du paradigme «capteur unique indicateur unique». Ce dernier, consistant à ne présenter que les informations prises directement des capteurs sans les intégrer, est présent dans des domaines comme le contrôle de centrales nucléaires [9], la sur-
veillance de patients aux soins intensifs [4] et l anesthésie [2]. Or, la HA de la figure 3 montre que plusieurs informations de niveaux d abstraction supérieurs à Descriptions et Indicateurs sont effectivement présentées par les logiciels analysés. CONCLUSION Les sommes gérées par un représentant en épargne collective proviennent généralement d épargnants qui ne peuvent se permettre de subir les effets d une erreur de la part de celui-ci. Il est donc nécessaire de faire en sorte que l environnement de travail du représentant en épargne collective, principalement ses LAS, soutiennent convenablement son processus décisionnel. La présente analyse a permis de constater qu il y a place à amélioration. Afin de remédier à cette situation, la HA de la figure 2 devra être utilisée pour concevoir une IHO à partir d une approche écologique [6][7][8]. Cette approche de conception consiste à rendre les contraintes de l environnement explicites afin de soutenir le processus décisionnel de l utilisateur. Ce type d interface a fait ses preuves dans plusieurs domaines d application [8], mais pas en gestion d actifs financiers. L évaluation d une telle IHO sur la performance de représentants en épargne collective par rapport aux IHO plus traditionnelles, dont les caractéristiques sont décrites dans cet article, fera l objet de recherches ultérieures. REMERCIEMENTS L auteur tient à remercier tous les représentants en épargne collective rencontrés et les personnes contactées chez les entreprises qui commercialisent les logiciels d application spécialisée analysés. BIBLIOGRAPHIE 1. Achonu, J. and Jamieson, G.A. Work domain Analysis of a Financial System: An Abstraction Hierarchy for Portfolio Management. In Proc. of the 22 nd European Annual Conference on Human Decision Making and Control (Linköping, Sweden), 2003, pp. 103-109. 2. Agutter, J., Syroid, N., Drews, F., Westenskow, D., Bermudez, J. and Strayer, D. Graphic Data Display for Cardiovascular System. In Proc. of the IEEE Symposium on Information Visualization 2001 (INFOVIS 01), IEEE, 2001, pp. 163-166. 3. Dainoff, M.J., Dainoff, C.A. and McFeeters, L. On the Application of Cognitive Work Analysis to the Development of a Commercial Investment Software Tool. In Proc. of the Human Factors and Ergonomics Society 48 th Annual Meeting, Human Factors and Ergonomics Society, 2004, pp. 595-599. 4. Miller, A. Patient Monitoring Systems for Effective Patient Management in the ICU: Friend or Foe? In Proc. of the Joint Meeting of the Human Factors and Ergonomics Society and the International Ergonomics Association (IEA2000/HFES2000), Human Factors and Ergonomics Society, 2000, pp. 4-262-4-265. 5. Rasmussen, J. Skills, Rules, and Knowledge; Signals, Signs, and Symbols, and Other Distinctions in Human Performance Model. IEEE Transactions on Systems, Man, and Cybernetics, Vol. smc-13, No. 3, 1983, pp. 257-266. 6. Rasmussen, J., Pejtersen, A.M. and Goodstein, L.P. Cognitive Systems Engineering. John Wiley & Sons, Inc., New York, Newy York, 1994. 7. Vicente, K.J. and Rasmussen, J. Ecological Interface Design: Theoretical Foundations. IEEE Transactions on Systems, Man, and Cybernetics, Vol. 22, No. 4, 1992, pp. 589-606. 8. Vicente, K.J. Ecological Interface Design: Progress and Challenges. Human Factors, Vol. 44, No. 1, 2002, pp. 62-78. 9. Vicente, K.J., Moray, N., Lee, J.D., Rasmussen, J., Jones, B.G., Brock, R. and Djemil, T. Evaluation of a Rankine Cycle Display for Nuclear Power Plant Monitoring and Diagnosis. Human Factors, Vol 38, No. 3, 1996, pp. 506-521.